Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Calendrier de l'Avent 2018 de Comité de lecture



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 18/12/2018 à 23:37
» Dernière mise à jour le 18/12/2018 à 23:37

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Jour 18 : Le réveillon de Sacoche, par Keeibuy
Un claquement perce le salon : la grande aiguille vient de se dresser tout en haut de la vieille horloge. Une horloge très moche d'ailleurs, qu'on garde par principe pour « respecter » grand-papy. Prendre une demi-heure pour déposer une rose au cimetière encombrerait moins la pièce à vivre…

Topaze se décroche la mâchoire. Lui non plus n'est pas habitué à veiller si tard. Son bâillement est contagieux tout à coup et je me laisse aller, mais il a le réflexe de poser sa patte devant ma bouche pour étouffer le bruit que je m'apprêtais à relâcher.
Un regard attentif se pose dans le mien : ne surtout pas réveiller les parents, semble-t-il exprimer. S'il n'était pas là pour me tenir debout, je me serais déjà endormi devant la cheminée. J'ai beau l'avoir réveillé en pleine nuit, lui qui était déjà fatigué de la journée, il veille quand même au grain pour son maître... ou plutôt son camarade, je préfère ça.

Car ce soir est particulier pour mon Élékid et moi : ce soir, on fait une bonne fois pour toutes ce que tous les vantards de l'école se promettent de faire. Ce soir, on réalise le rêve de tous les enfants de mon âge, et que les adultes interdisent.
Ce soir, on attrape le Cadoizo de Noël.

C'est super sérieux. Je monte ce plan depuis des mois, et j'ai pris soin de chaque détail. Pendant que Papa croyait que je faisais mes devoirs des trois semaines suivantes, je dessinais en fait des plans et notait ce que j'avais observé la veille. « Gustave est dans les premiers de sa classe : le pédiatre a dit que c’est un surdoué ! » répétait-il encore à Tatie il y a quelques heures… forcément quand comme dit ma mère on « lèche les chaussures des clients » 5 jours par semaine, tout le monde est un génie, et surtout son propre fils.
Ce plan, j'en avais déjà parlé l'an dernier, pendant que Papa discutait avec le voisin qu'il avait fait venir pour accrocher les guirlandes au toit à sa place. « À cause de son vertige » comme il disait. Je lui avais dit qu’un jour, j'attendrai toute la nuit en me cachant pour surprendre le Cadoizo, voir s’il existait vraiment, vu que les grands du Parc Naturel nous disaient que non.

Quand je lui ai dit, il a rigolé et m'a répondu que « j'avais de la suite dans les idées, que c'était un bon plan pour avoir plus de cadeaux. ». Ma mère, elle, m'a dit que j'étais mignon, mais qu'il fallait le laisser tranquille, que plein d'enfants l'embêtaient déjà et qu'il avait tout de même tout Johto à faire en une seule nuit. À l'école, Théobald et Elyas m'ont dit de prendre des photos avec ma tablette si je le faisais vraiment, et que eux ne pouvaient pas le faire parce qu'ils n'avaient pas de cheminée...

Avoir plus de cadeaux, pouvoir parler, jouer avec lui, le capturer, même : tout le monde a ses bonnes raisons pour attendre cette bestiole qui vient tous les ans nous apporter des cadeaux, quand nos papas ronflent après avoir fait un concours de mousseux avec nos tontons et que nos mamans mettent des pastilles coupées dans la bûche pour que les enfants dorment. Mais moi, ma motivation est différente, bien au-delà de tout ce que pensent généralement les gens...

Moi et Topaze, on va plumer cette sale bête et la donner à manger à Sacoche, le Granbull de la voisine qui ne mange que des pokéblocs périmés depuis 2 ans. Mais ça forcément, je peux le dire à personne.

Pourquoi faire ? Après tout ce Cadoizo est gentil tout plein : il vole à travers la région sur son traîneau tiré par huit Cerfrousse, et il distribue des cadeaux aux enfants sages. C'est vraiment un gentil pokémon, qui ne demande rien et qui réconcilie les humains ? Eh bah non, ça l'est pas, et loin de ça même. Et c'est pour ça qu'avec Topaze, on s'est dit que cette nuit on allait en faire du rôti. Parce que ce pokémon est un menteur, un être horrible rempli de messages et de promesses fausses, qui manipule tous les enfants à ses fins, des enfants qui vont ensuite grandir et dire la même chose à leurs propres enfants... Et on va y mettre fin cette nuit, et prouver à tout le monde les méfaits de cet oiseau de malheur.

Un bruit de pas résonne soudain dans le corridor, et Topaze me tapote l'épaule, alerté. Je sursaute et regarde la pendule. La grande aiguille a dépassé le trois ; l'heure où généralement, Maman se réveille et va à la salle de bain. À demi rassuré, je me blottis contre le foyer, alors que Topaze part en éclaireur. Je souffle discrètement : aucune chance qu'elle me remarque.

« Tiens, tu es là, toi ? »

La voix à demi endormie de Maman me fait sursauter. Je m’écrase le plus possible contre le petit mur en plâtre qui sépare la cuisine du salon et bloque ma respiration. Si elle me voit , tout sera fichu, et j'aurai en plus le droit à une belle punition…

L'ampoule de la cuisinière s'allume : elle est juste à côté, venue boire un verre d'eau peut-être. Pour éviter qu'elle vienne rallumer la cheminée en pleine nuit, j'ai augmenté le chauffage dans toute la maison : j'espère que sa chambre n'est pas une fournaise, sinon elle serait tentée de venir dans ma chambre et de remarquer ma peluche de Riolu-Man dans mon lit... non, ce plan est parfait. J'ai juste à ne pas me faire repérer.

Je suis tenté de jeter un coup d'œil : maman est là, à quelques mètres derrière. Si je ne bouge pas, peut-être qu'elle croira à un bruit et retournera se coucher. Mais non : si elle a dit ça, c'est bien qu'elle m’a entendue, et elle va forcément venir voir vers la cheminée… et Topaze qui n'est pas là…

Les pas se rapprochent de moi : elle n'a qu'à contourner le mur pour me voir, et là, j'aurai droit à ses discours infinis où elle voudra m'expliquer calmement que j'ai fait quelque chose de mal, avant de s'emporter et me vomir sa frustration, puis reprendre sa voix plus douce… c’est souvent ça avec les adultes : ils sont prétendument plus intelligents et réalistes que nous, mais sont incapables de nous expliquer les choses clairement sans s'énerver et libérer leurs pulsions.
C'est mon grand-cousin chercheur en « sociologie » qui m'a expliqué ça après que j'aie cassé le Jirachi en verre qui était tout en haut du sapin et qu'on m'ait engueulé. Sauf que lui, personne le comprend quand il parle, même les grands dans leurs discussions de grands. « Nous sort pas ta grosse tête, on est tous là et c'est Noël : pour tes problèmes tu verras ça plus tard. » Comme quoi même les adultes sont bêtes ; rendus bêtes par ce Cadoizo, ça c'est sûr et certain.

Mais alors que je réfléchissais encore, ma mère s'est arrêtée de marcher, et je l'entends même revenir vers la table de la cuisine. Bizarre : si elle a vu quelque chose, pourquoi n'est-elle pas venue voir ? Je recommence à douter, et j'ai de plus en plus envie de m'avancer pour voir…

« Qu'est-ce que tu fais là, To… ah, quel nom Gustave t'a donné, déjà… bah, tu as dû être excité toute la journée et tu ne peux pas fermer l'œil. En tout cas, ne viens pas manger la bûche dans le frigo, et ne touche rien avec tes pattes ; je ne sais pas si elles sont lavées. »

Elle éteint et je l'entends repartir en bâillant. Elle a dû croiser Topaze qui allait préparer le dispositif du plan D : celui où quelqu'un devait se lever en pleine nuit. Une chance que dans le noir, elle ne l'ait pas vu avec les photos de son « voyage d'affaires » à Alola d'elle et son patron qu'elle cache bizarrement au fond de son bureau… drôle d'idée de travailler en maillot de bain d'ailleurs, et de photographier les moments où elle embrasse son "boss"…

Elle n'aime pas vraiment Topaze : les pokémon la répugnent. Quand je l'ai reçu à mon anniversaire, elle a insisté pour que je lave ses pattes, ramasse ses poils et change sa litière au moins quatre fois par jour, en plus d'avoir accroché une gigantesque liste de précautions sur le frigo. Certes, quand on le câline, on peut sentir nos cheveux se dresser et de l'électricité statique sur notre joue, mais ce n'est pas pour autant que mon Élékid est une sale bête. Elle grimace quand je lui dis que c'est mon meilleur copain, en me disant de plutôt jouer avec des garçons et des filles de l'école. Pas ma faute s'ils sont tous débiles, et qu'ils croient au bêtises du Cadoizo de Noël…

Maman n'aime plus grand monde dans cette maison, je pense. Elle travaille dans le gros gratte-ciel en verre tout neuf du centre-ville, celui avec un gros logo rouge dessus. Elle rentre tard, dort souvent dans la chambre d'amis, parle pas beaucoup avec Papa qui reste devant la télé et regarde le Pokéathlon et ne veut plus jouer avec moi parce qu'elle est fatiguée. Elle est contente que je fasse la cuisine, un peu le ménage et que je réponde au téléphone, que je sois « un grand garçon » comme elle dit quand elle vient me coucher, mais ça fait longtemps qu'on n'a pas joué à la Voltorbataille, qu'elle ne fait plus le Léviator Rouge dans le grand lit dans sa chambre ou qu'on n'est plus allés se balader dans le Bois aux Chênes... ça me manque un peu, mais j'imagine que c'est parce que je suis grand maintenant, et que je ne peux plus jouer comme un bébé. Encore un coup du Cadoizo, c'est certain.

Topaze revient à côté de moi, après avoir bien vérifié qu'elle soit repartie se coucher. Il tapote mon épaule : il fait toujours ça quand il sait que je suis en train de ruminer. Les pokémon sont vraiment malins, n'en déplaise à la maîtresse qui nous apprend que ce sont des bêtes sauvages, et dangereuses pour les enfants.
Mais les pokémon eux, ils connaissent les émotions, ils les comprennent mieux que nous, et sans un mot. Ils ne sont pas comme les humains : à être des petites choses fragiles, superficielles et faibles, qui veulent une petite vie bien rangée, sans violence, dans laquelle tout leur tombe tout cuit. Ils n'ont pas de petits problème de confort, d'emploi du temps, de souffrance ou de ce qu'ils devraient dire ou pas, : ils sont libres, indomptés, ils endurent la souffrance sans bruit, sans se plaindre. Sans jacter pour ne rien dire, sans se plaindre de la météo, de la boue et du froid, sans disputer le livreur qui a oublié un carton ou le vendeur pour la garantie de leur télé. S'ils ont faim, ils tuent une proie et la mangent sans se demander si elle souffre. Si l'un d'entre eux leur cause du tort, ils l'expriment ou se battent sans devoir appeler la police ou demander le divorce. Ils courent, nagent, volent où ils veulent, sans avoir les chaînes que portent fièrement les humains adultes. Ils vivent, surmontent les problèmes. Ils ne croient pas au Cadoizo de Noël.

Car ce volatile, cette sale bête, elle nous détourne de ça, de la Nature et de nos instincts. Elle nous rappelle de payer le loyer, de ranger sa chambre, d'être sage et poli avec tout le monde, de bien travailler à l'école et de ne pas embêter ses camarades. Elle punit les forts et cajole les faibles, elle refuse de montrer de la violence ou de la bestialité : ça c'est pas sage. Quand on se conduit selon ses ordres, elle nous offre un cadeau : elle achète le fait d'être de gentils Wattouat dans un troupeau. Elle nous rend stupides, gagas, accros à nos objets et doux avec tout le monde. Elle nous fait croire que le monde est beau, gentil, que la paix dans le monde existe, qu'un Maman peut travailler jusqu'à oublier sa famille et qu'un Papa peut s'en sortir sans rien faire de sa vie. Elle nous fait croire qu'un Papi et une Mamie peuvent vivre de nouvelles voitures et de thalassos à Vermilava en persuadant tout le monde qu'ils ont quarante ans de moins. Elle nous fait croire qu'on est une bonne personne lorsqu'on a une femme débile, des enfants stupides et une petite maison au milieu d'un lotissement avec un Caninos stérilisé et un petit emploi modèle.
Ce sale Cadoizo, ce fichu tas de plume avec son regard d'ahuri et sa saleté de bec, qui ruine des familles et qui sabote les vies, je veux l'attraper, le rouer de coups, clouer son bec une bonne fois pour toutes. Je veux arracher son plumage pour qu'on le confonde avec la volaille du réveillon, casser ses pattes pour ne plus le voir trottiner partout, couper sa gorge pour l'empêcher de chanter. On va le brûler, le noyer, l'électrocuter, le mettre dans le mixer, le donner à manger à Sacoche, ce vilain piaf ! Cet enfoiré !

Pendant que je cherchais mes plus vilains gros mots, un battement d'aile se prend soudain dans la cheminée. Surpris, Topaze et moi devenons chauds bouillants : le voilà enfin, il arrive. Je commence à faire signe de prendre la cage à oiseau et le bâillon à mon partenaire quand on entend la bête s'écraser dans la suie.

J'ouvre la porte en fonte l'écume à la bouche : un Piafabec noir de cendres, l’air hagard, s'ébroue en regardant où il a bien pu atterrir. Je regarde de nouveau Topaze, aussi hébété que moi.

Tant pis, tu paieras pour le Cadoizo. Et quoi qu'il en soit, Sacoche te trouvera à son goût...