Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Calendrier de l'Avent 2018 de Comité de lecture



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 10/12/2018 à 22:28
» Dernière mise à jour le 10/12/2018 à 22:28

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Jour 10 : Souvenir, par Suroh
Nosos se leva de son lit pour se rapprocher de la fenêtre, à travers laquelle il observa le lever du soleil. De longues colonnes de nuages gris embrumaient le ciel, éclairées par un unique rayon rouge qui avait bien de la peine à imposer sa présence face à cette garnison nébuleuse.

Nosos leva ses prunelles vers ce rayon mais se sentit comme brûlé par lui, il préféra donc baisser ses yeux et tirer un rideau pour ne plus avoir à supporter cette lueur évanescente. Il traîna son pas nonchalant dans les couloirs de sa maison et traversa d’innombrables portes. C’était en ce jour Noël et un sentiment de joie étreignait son coeur, le faisant presque suffoquer. Il allait en effet passer sa soirée avec sa famille, et cette idée l’emplissait d’un bonheur voilé de tristesse et de doute.

Son allure était celle d’un fantôme, sa maison était, elle, tout ce qu’il y avait de plus chic. Nosos déambulait donc en direction de sa cuisine, traversa une autre grande porte. Il se laissa choir sur une chaise de bois à l’apparence bien peu solide. Assis sur un tel support, on n’est jamais vraiment sûr de ne pas tomber. Il mangea toutes sortes de baies et laissait son regard se perdre dans la contemplation de cette cuisine qu’il avait lui même montée il y a bien longtemps. Rien n’avait vraiment changé depuis lors, il ne voyait aucune raison à ce que quoi que ce soit change ; rien n’allait jamais changer.
Quelques minutes passèrent. Nosos se leva, prit l’unique manteau du porte-manteau, le mit machinalement, puis ferma la porte d’entrée après l’avoir verrouillée d’un coup de clé dans le trou de la serrure. Avant de la fermer, il jeta un coup d’œil à la pendule cassée qu’il avait posée près de l’évier, mais une passoire en train de s’égoutter obstrua sa vision et l’en empêcha. Il se retourna, soupirant.

Face à l’immensité de Rivamar, avec ses ponts suspendus au-dessus du vide de l’océan parfois déchaîné, un poète eut pu mentionner que les flots qui battaient la roche sur laquelle la ville était construite représentaient ma foi très bien la complexité et l’ambivalence de chaque événement de la vie qui frappaient durement les pensées et la pensée d’un homme, prêt à tomber du fait de sa position chancelante dans la vie ; position que nul ne peut vraiment raffermir, les événements de la vie n’étant-ils pas tout à fait chaotiques et si puissants que la force d’un homme seul est bien incapable de mener la voile du navire de sa vie à travers la houle de cette marée déchaînée ?

Près de la maison de Nosos se tenait le marché de Noël, où des familles par dizaines se réunissaient pour rire et passer du bon temps. Nosos s’approchait de cette fête matinale, souriant malgré lui devant la tête de certains bambins émerveillés par la lumière de cet événement extraordinaire. Des effluves de pain, mêlés à ceux du vin et de mille autres mets alléchants parcouraient les rues de Rivamar en appelant chaque habitant à venir se joindre à la fête.
L’une des voisines de notre homme descendait le chemin qui menait au marché. Elle passa devant Nosos, qu’elle salua de la main. Nosos, enivré par l’ambiance festive, s’apprêtait à lui répondre gaiement ; mais il ne put s’empêcher de détailler du regard cette femme qui était devant lui. Il avait bien l’habitude de la voir, oui, mais elle avait quelque chose de changé. Après un examen minutieux du visage de la femme, il comprit que c’était son rouge à lèvre qui le dérangeait. Il retourna brusquement sa tête pour regarder le marché et pensa furieusement « C’est Noël ! »

L’autre lui demanda si quelque chose n’allait pas, il lui répondit d’un geste de la main, et la congédia sans plus de manières. Une fois qu’elle l’eut laissé seul, il eut l’impression de tomber, comme si ses pensées s’écrasaient contre le pavé de Rivamar. Sa tête était prise dans un étau, et il ne cessait de songer à cette bouche, cette bouche entrouverte et ceinturée de rouge qu’il venait de voir. Elle lui rappelait quelque chose, il le savait, mais il ne savait pas ce qu’elle lui rappelait.
Tel le Pokémon blessé qui est obligé de continuer d’avancer en boitant, Nosos reprit sa marche vers le lieu du rassemblement. Il devait trouver quelque chose à acheter pour l’une des personnes de sa famille, suite à quoi il rejoindrait son père pour qu’ils fassent un tour ensemble. Pas nécessairement dans cet ordre, d’ailleurs, pensa-t-il.

Il traversa le flot de personnes présentes dans ce marché comme une ombre, même s’il fit l’effort de rire parfois lorsqu’un commerçant l’interpellait pour essayer de l’arnaquer, comme le faisaient tous les commerçants du coin. Sa tenue des plus banales aurait pu le faire passer pour n’importe qui, et cette banalité le mettait à l’écart. Les autres passaient devant lui sans le voir, et il passait devant les autres sans vouloir les voir.

Une fois, il manqua de trébucher, et regarda avec un terrible effroi le léger trou à cause duquel il avait failli tomber. Il aurait juré qu’une tache rouge était présente au fond de celui-ci, mais bientôt le trou avait disparu, laissant sa place à un graffiti des plus banals représentant un Pokémon spectre. Nosos frotta sa main contre son front.

Il décida de boire un coup pour se rafraîchir les idées. Seul, il alla donc demander à l’un des commerçants du coin un verre d’eau. Il dut attendre des longues minutes le temps que les autres clients soient passés, pour que lui soit servi à son tour. Une fois son verre en main, il salua ceux qui l’avaient servi, puis repartit à travers les rues du marché.
Nosos ne savait pas combien de temps avait passé quand il remarqua que son verre était vide ; d’ailleurs après avoir longtemps battu le pavé de Rivamar, il s’était retrouvé près de la sortie du marché. Il profita du fait d’avoir les mains vides pour ouvrir le portail qui permettait d’en sortir, pensant que même s’il n’avait rien trouvé pour le soir, peu lui importait. Il ne se sentait pas très bien. Des tremblements l’avaient pris. Malgré lui. Heureusement que c’était Noël, et que Noël est un jour de fête qui ravit les cœurs de tous.

De la sueur coulait le long de son cou et de ses joues, il en sentait le goût salé qui lui rappelait celui du sang. Il ferma les yeux ; il ne vit rien et il vit du rouge. Le rouge le plus banal que l’on eût jamais vu, celui auquel tout le monde pense quand on lui dit « rouge ». Du rouge, quoi. Juste du rouge…

Il rouvrit ses yeux et se demanda où il était arrivé. Son regard balaya la rue dans laquelle il se tenait debout, cherchant à débusquer des indices qui pourraient le renseigner quant à l’endroit où il était. Ses yeux virent en détail les personnes qui l’entouraient et la foisonnante présence de maisons autour de lui, mais son cerveau n’enregistra qu’un élément de détail dans tout ce décor, élément qui contribua encore à déstabiliser Nosos.
C’était un mendiant, que Nosos ne pouvait voir qu’à travers un grillage à sa droite, et il se sentit bien en peine devant une telle vision de misère. Elle ne lui permit pas de se sentir mieux, et il porta sa main à sa tête, qui tournait, tremblait et était si troublée qu’il trébucha à nouveau et s’affaissa sur le sol. C’était étrange. Il ne parvenait pas à mobiliser ses membres, et un souvenir frappait sans cesse le fond de l’esprit de Nosos. Or, et c’était là le plus troublant, il ne parvenait pas à attraper cette réminiscence qui lui échappait toujours, toujours plus douloureuse.

Une jeune femme avec un sac en forme de Magicarpe surgit et courut jusqu’à lui, remplie de bonnes intentions et voulant lui venir en aide. Elle s’agenouilla près de lui, et observa son visage en ne sachant pas vraiment quoi faire.

De longs instants passèrent, pendant lesquels il ne se passa rien, et Nosos n’allait vraiment pas bien. Cette femme ne savait pas quoi faire, et surtout faisait inconsciemment du mal à Nosos qui avait les yeux rivés sur le motif de son sac.
Soudain une voix tonitruante perça la chape de malaise qui s’était créée autour de ce couple incongru.

« Mon fils ! Nom d’Arceus mais qu’est-ce qui t’arrive ! Pourquoi es-tu là, tout tremblant, par terre ! Et vous, là, poussez-vous donc, allez, poussez-vous ! »
Un homme grand, à l’allure fière et gargantuesque, aux épaules noueuses et au regard de glace, venait de surgir. Après que la jeune femme ait détalé comme un Sovkipou devant les sabots d’un Tauros, le père s’agenouilla auprès de son fils.

« Qu’est-ce qui t’arrive, mon grand ? Je pensais que ça t’avait passé.

– Non…, répondit dans un souffle Nosos.

– Viens avec moi, mon gars, viens. Je sais pas comment t’as fait pour arriver dans ce trou paumé mais j’vais t’prendre avec moi, tu m’as pas l’air dans ton assiette. »
Le père de Nosos le souleva avec une poigne de fer et l’emmena dans la voiture, comme un Kangourex s’occuperait de son enfant. Nosos n’eut que le temps de voir la porte claquer derrière lui, et de se sentir trembler encore un peu. Il regarda à travers la fenêtre et vit de nouveau le mendiant. Puis il ne le vit plus. Il n’était d’ailleurs même pas sûr de l’avoir vu.

Le ronronnement du moteur de la voiture emporta les réflexions de Nosos loin de lui, et le fit revenir à la réalité, son esprit redevenant lucide. Il cligna quelques fois des yeux, aperçu le regard de son père dans le rétroviseur.

« Qu’est-ce qui t’est arrivé, encore ? demanda abruptement le père de Nosos. Toujours tes conneries de souvenirs ?

– Mais je crois que ça m’avait vraiment fait peur…

– Nos’, tu sais bien que…

– Ce Skélénox que vous m’aviez offert, maman et toi, il était vraiment horrible. Je vois encore son œil rouge… Tu sais, là… On aurait dit du sang…

– On a déjà eu cette conversation mille fois, rétorqua le père dans un soupir mal contenu, ça n’était pas un Skélénox, et de toute façon tu l’as perdue, cette peluche.
– Je ne l’ai pas perdue, je l’ai jetée à hauteur de… Ah bah de ce panneau, tiens ! C’était là ! » cria-t-il en reconnaissant l’endroit.

Le père tourna la tête pour saisir à l’envolée l’image du lampadaire que Nosos avait pris pour un panneau :

« C’est un lampadaire, lui fit-il remarquer avec justesse. Tu sais, j’aimerais bien t’aider mais j’ai l’impression que tu t’obstines et que tu te fais des films pour pas grand-chose. Cette peluche, tu l’as eue dans les mains que pendant quelques instants, c’est tout. Pourquoi tu te mets à trembler chaque fois que tu vois du rouge, que tu vois un mendiant ou que tu manques de te casser la figure ?
– C’est pas ma faute, j’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose ce jour-là, soupira Nosos.

– Nos’, lors du Noël de tes huit ans, on t’a offert une peluche en forme d’Etourmi et tu as réussi le prodige de la perdre avant qu’on ne revienne de la maison de tes grands-parents. Tu n’as rien jeté par la fenêtre car tu étais assis derrière, que tu ne mouftais pas et je pense même que tu dormais. Pourquoi tu te fais des films ?

– Je ne sais pas… » répondit faiblement Nosos.
Assis sur la banquette arrière qui était des plus usées, Nosos ne savait pas quoi penser. Il réfléchissait à tout et il ne songeait à rien. Ah, si, il savait qu’il se verrait bien au milieu d’un paysage des plus bucoliques au sommet de l’une des montagnes de la région. Un endroit où il aurait la paix et où rien ne lui rappellerait ce dont il ne pouvait se souvenir. Il pourrait enfin arrêter d’être comme un enfant qui essaie vainement d’attraper de l’eau avec ses doigts.

La journée se passa sans tension. La pression que Nosos se mit pour ne plus déranger son père lui faisait oublier ses frustrations. Il se répétait sans cesse de ne pas faire attention à cette couleur qu’il ne devait plus voir, à ne pas faire attention à tous ces hommes dans la rue qu’il croisait, à ne plus faire attention à tous ces trous dans les murs, ces serrures, ces fenêtres, ces objets du quotidien percés pour mille raisons différentes. Seule comptait l’idée d’être normal ; pourquoi aurait-il peur de tout cela, après tout, sa mémoire devait être défaillante, comme celle de n’importe quel jeune adulte qui repense à sa jeunesse.

Lorsque la nuit étendit son voile obscur sur la ville de Rivamar, l’ambiance festive de Noël s’estompa de la même façon que le graphiste qui estompe les traits de son œuvre. Les guirlandes étaient tant de nouveaux traits consciencieusement exécutés dans la ville pour lui donner un air charmant et magnifique, tandis qu’une musique douce et délicieuse dansait dans la rue pour ravir les habitants. Chacun rentrait chez lui, et Nosos rejoignait avec son père la maison où ils passaient depuis des années leur Noël.
Alors qu’ils s’apprêtaient à rentrer dans la maison, Nosos eut soudain l’impression que quelque chose en lui s’était déverrouillé alors que la chaleur d’un brasero illuminait son visage :

« Dis, papa, le soir du Noël dont je te parle, y avait bien un mec qui est venu toquer à la porte pour demander si on avait pas à manger, non ?

– Oui, je te l’ai déjà dit, dit distinctement le père pour la dixième fois au moins.

– Tu es sûr qu’il n’avait rien de particulier… ?

– Bien sûr que non, c’est un mec qui voulait squatter chez nous car il s’était sûrement fait larguer et on n’avait rien à lui donner, que veux-tu que je te dise ?

– Rien, rien… » pensa Nosos, qui commençait à de nouveau avoir mal au crâne.
Son père ouvrit la porte de la maison. Nosos le regarda. Il sentait le pied de son père tressauter contre le pallier de la porte. Il déglutit. Incompris.

Nosos rentra dans la maison aux couleurs chaleureuses et agréables. Il salua sa famille, il salua tous ses amis. La soirée se passa sans encombre et sans qu’il ne stresse outre mesure – s’il avait été attentif, il aurait remarqué que ses proches avaient veillé à ce qu’il n’y ait rien dans toute la décoration qui puisse le déranger.
Une fois la soirée terminée, la pendule sonna les douze coups de minuit, et Nosos vint s’asseoir sur un canapé dans la véranda aux vitres translucides. Il posa ses coudes sur ses genoux, et sa tête sur ses mains. Il rêvassa. Le canapé, lui, était rouge, et pourtant, maintenant que cette journée était finie, cela ne le dérangeait plus.

Il sortit dans le jardin et observa le ciel, vide de nuages. Ses pensées s’envolèrent et il se demanda s’il parviendrait un jour à comprendre pourquoi de telles crises d’angoisse l’étreignent sans cesse à cette période de l’année.

Avant de s’éteindre comme la neige qui fond au soleil, sa dernière pensée fut qu’il aurait aimé comprendre pourquoi cette image de la poupée Skélénox avec son œil rouge qu’il pensait avoir jetée par la fenêtre de la voiture à la hauteur de ce lampadaire était aussi lancinante. Pourquoi cet œil rouge sang, celui de ce Pokémon à tête de squelette, revenait sans cesse le hanter à cette période de l’année ?
Puis soudain tout s’éclaira. Nosos se leva d’un coup, l’ensemble du puzzle se résolvait dans sa tête. Il s’élança vers son père et le lui dit.