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Calendrier de l'Avent 2018 de Comité de lecture



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» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 03/12/2018 à 08:42
» Dernière mise à jour le 03/12/2018 à 08:42

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Jour 3 : Lanakila, par LunElf
Le sommeil ne vient pas.

Roulant en boule sur sa fine couverture, le goupix change d’une énième position, alors que celle-ci lui paraissait encore être la plus confortable de toutes il y a cinq minutes. Ses grandes oreilles lui chauffent, un battement sourd résonne au fond de son crâne blanc. Les paupières closes de toute leur force de paupières, il sait qu’il ne pourra dormir.

Il règne une chaleur crasse. Pas la bonne chaleur douce d’un matin au soleil, celle, franche, d’un feu de cheminée, pas une de celles qui viennent de l’intérieur avec la joie et les rires. C’est une sorte de mélasse brunâtre terne, qui remplit toute l’atmosphère d’une lourdeur saturée, aux relents de rhume sale. La pièce est petite. En bois, en paille, et en tissus de couleurs fausses. Les jolis tapis aux teintes claires sont poissés de cette ambiance grasse, et en perdent tout leur attrait, leur fraîcheur, et leur réconfort. Comme la lampe principale, qui éclaire un peu jaune, pour l’occasion — et faiblement.

Il est seul.

L’homme et la femme sont partis au marché, sous vestes, pulls et gros manteaux. Le petit garçon est à côté, sous sa couette. Il est un peu malade. Le goupix a commencé par lui tenir compagnie, mais le petit ne le remarquait pas, et son odeur de fièvre confinée dans la chambre était désagréable. L’animal a trouvé refuge dans la pièce principale, close et non moins étouffante.

Il pleut.

Lassé, il rouvre les yeux pour fixer la fenêtre. Voici la saison froide, ici : pas de neige, rien que de l’eau, des trombes violentes ou des bruines déprimantes. Pour l’heure, ça tambourine sur le toit fin et ça claque contre le carreau, avec le vent. Il passe un coup de langue sur son pelage de neige, qui ne lui laisse qu’un goût assez désagréable.

La neige. Il en a entendu dire, on lui en a même lu, des merveilles sur la neige, la ‘’petite besogneuse de l’hiver’’ qui peint le monde en blanc. Un vrai blanc, scintillant sans doute, plein de cristaux taillés, un blanc pur, un blanc doux. Un vrai. Pas comme ce ciel laiteux de pleurer tout le jour, pas comme cette couverture sur laquelle il se roule, blanc cassé et huileux. Un blanc peut-être argenté, on n’en sait rien. Il lui semble garder en tête un vieux souvenir de neige. Cela remonte peut-être jusqu’à sa naissance, il n’est pas né ici : c’est la femme qui l’a offert, très tôt, au petit garçon.

L’être blanc pense à lui. L’enfant est enfermé comme lui dans l’atmosphère marron sale, mais lui, il est malade ; le goupix a le sentiment net que ça ne le guérira pas d’être enfoui si profond sous des duvets trop chauds. Il serait bien mieux avec de la neige plutôt que dans cette mauvaise température. C’est une pensée ressassée depuis qu’il essaie de dormir, depuis qu’il a quitté le petit corps endormi dans sa chambre.

Surpris, il se retourne alors qu’une main pataude effleure ses omoplates. Le garçon le caresse avec un gentil sourire. Il se laisse faire un moment en reposant la tête sur ses pattes. La pluie cesse.

« Tu ne trouves pas, dit l’enfant (et il a détourné les yeux vers la fenêtre), qu’il ferait meilleur dehors ? »

Parce que lui non plus n’est pas bien, lui aussi a senti la mauvaise chaleur, sirupeuse, s’insinuer dans ses membres et lui donner mal à la tête. Il pense que ce serait toujours mieux d’être dans le froid, le visage contre l’air piquant, à se réchauffer de soi-même en bougeant, en marchant, sans dépendre d’un feu de bois qui ne fait pas bien son travail. Il est trop engourdi et il lui semble que la maladie restera là autour tant qu’il ne se déplacera pas.

Le goupix est d’accord, le petit le voit tout de suite. Il voit aussi que son pokémon sait quoi faire et où aller. En regardant son compagnon, le renardeau se lève, tend le museau, et souffle délicatement quelques légers flocons qui naissent ternes et scintillent à peine avant de s’évanouir dans l’air. Le garçon a vu les adultes interdire au goupix de faire des boules de neige dans la maison, il comprend sa tristesse de vivre sans sa glace maternelle, son pelage blanc vicié par l’air à l’intérieur. Il consent aussitôt à la sortie, en hochant la tête.

Le temps pour l’animal de sauter sur le sol, le temps pour l'enfant de quelques vestes chaudes, de bottes, et d’un mot maladroit pour prévenir les parents… ils ont claqué la porte. En laissant échapper deux-trois lambeaux de mélasse brune sitôt dissous dans l’air humide.

De ce marron sale, on passe à un gris moins suintant, plus franc, moins condensé, plus à l’air libre. Mais un gris toujours sale.

Évidemment, il n’y aura pas la moindre trace de neige ici. Même en décembre où ce serait normal chez n’importe qui d’autre : ici dans les îles, ça ne l’est pas. Pas au niveau de la mer, où la température ne passe en aucun cas sous la barre du zéro. Il faut monter. Le petit garçon s’est tourné vers le sud-ouest ; le goupix hoche la tête. Là-bas, derrière les nuages qui s’étiolent, se découpe la forme dense du sommet de leur île, que chaque habitant connaît par cœur. L’animal sait qu’il vient de là, et que là d’où il vient, il trouvera la neige.

Lanakila sonne comme une mythique destination.

Ils se mettent donc en route, alors qu’une légère brise se lève entre les nuages gris. La longue route sinueuse au sud de leur village leur est familière, ils y viennent tout l’été. L’été est plus sympathique au goupix que l’hiver, malgré sa propre nature de glace : il ne s’embarrasse pas de protections au froid, pas de cloisonnement, de portes bien fermées pour garder la chaleur, et il est bien plus net que ce temps demi-teinte de gris pluvieux et tiède.

Ils cheminent côté à côte sans beaucoup discuter, juste un peu quand l’enfant remarque un nuage de forme évocatrice ou demande au goupix si c’est toujours par là. Celui-ci est le guide, et il sent la neige, de loin. La route, boueuse des dernières averses, n’est pas très agréable à arpenter : le petit s’y enfonce, le renard s’y trempe les pattes. Le vent forcissant charrie des odeurs de terre mouillée en agitant les feuilles des arbres et les hautes herbes. C’est bien le seul mouvement à donner un peu de vie au décor déserté de toute présence — humaine ou animale. Seule la silhouette d’un grand oiseau agite les ailes au loin, très loin au-dessus d’eux, en gris sombre sur gris.


C’est après un long moment de marche sans plaintes que le jeune duo fait enfin la rencontre d’un être vivant. Au détour d’un virage plus important que les précédents, ils aperçoivent un petit ourson noir et blanc, s’agitant sur le bord de la route. Il mâche une courte brindille avec énervement ; mais en les voyant venir, se calme tout à coup. En arrivant à sa hauteur, le goupix s’arrête.

« Quelque chose ne va pas ? » demande-t-il dans la langue des pokémons.

Un instant surpris, le pandespiègle l’évalue du regard.

« Non, lâche-t-il. Enfin, oui, enfin, je m’en tirerai tout seul. (Il effectue quelques pas nerveux sur place) C’est un foutu escroco qui me bloque cette foutue route quand j’essaie de passer. Moi, je dois aller voir mes amis de l’autre côté, mais je ne… (moue butée)… je ne suis pas assez fort pour lui tenir tête. Mais je vais réessayer et ça va marcher. Foutue journée quand même.

— Les escrocos ne se promènent pas vraiment par ici d’habitude, s’étonne le renard, plutôt au niveau du désert, plus loin…

— Lui si, foutue bestiole.

— Tu ne sais pas pourquoi il bloque la route ? »

Le pandespiègle garde un silence obstiné, puis finalement reconnaît :

« Non. Je lui ai pas demandé. »

Le garçon suit la scène en silence, intrigué par la forte tête de ce si petit pokémon. Son compagnon acquiesce.

« Écoute, nous devons aussi traverser la route, pour aller rechercher la neige en haut du mont Lanakila. Nous pouvons t’accompagner voir cet escroco, et le combattre si besoin. Nous serons plus efficaces à trois contre un s’il veut vraiment nous empêcher le passage. »

L’ourson bicolore paraît réfléchir, mais plutôt à un moyen de ne pas perdre la face qu’à la proposition.

« Pourquoi pas, décrète-t-il finalement. Autant s’assurer de remporter le combat : cette petite précaution peut s’avérer utile.

— Très bien, conclut le goupix sans relever. Allons-y donc. »

Ils reprennent ainsi la route, bardé de leur nouveau compagnon de voyage. Celui-ci marche en tête sur ses deux courtes pattes, adoptant une posture dominante, et marmonnant de temps à autres des bouts de phrase où l’on identifie fréquemment le mot « foutu » à défaut du reste.

Alors qu’ils avancent, l’herbe et la boue cèdent progressivement leur place à la rocaille. Les cailloux et petites pierres se multiplient, jusqu’à ce qu’un sol de roche dure remplace définitivement un revêtement glissant. Les pieds et pattes rencontrent avec bonheur cette nouvelle surface stable, et après une courte pause pour nettoyer la boue des pelages, la marche atteint un meilleur rythme.

Le décor se transforme également : d’arbres et de buissons, on passe à des rochers, puis carrément à des parois escarpées qui s’élèvent vite au-dessus des têtes pour ne préserver qu’une large bande de ciel gris. D’ailleurs, le temps s’éclaircit un peu, comme si une première couche de nuages s’était dissipée depuis le départ. Néanmoins la roche, grise elle aussi, n’arrange pas le paysage : si le vert des feuilles de la portion humide était terni, il restait une couleur. Le monochrome est maintenant dominant.

« Il devrait être par là le foutu escroco. J’ai fui d’ici jusque là où je vous ai vus quand il m’a effr… enfin, j’avais cru plus sage de battre en retraite pour mieux me préparer au combat. »

L’enfant et le goupix hochent diplomatiquement la tête d’un air entendu.


En effet, l’escroco est vite repéré. Loin de la sournoisie que son nom a fait craindre au duo, il déambule de long en large dans le passage, celui-ci trop encaissé pour laisser d’autres routes. Les noir et brun de ses écailles se détachent nettement sur le gris ambiant. Au bruit des pas qui viennent, il tourne le museau dans leur direction.

Le panda accélère alors.

« Foutu… »

C’est l’enfant qui le retient, d’une main et d’un souffle : « Attends ! ». Le petit ursidé se retourne pour lui jeter un regard furibond, tandis que le goupix s’avance prudemment vers l’obstacle pokémon.

« Bonjour.. ? »

L’escroco le considère d’un œil assez froid une fois le pandespiègle avisé, et entame d’une voix toute aussi froide :

« Tu voyages avec ce pokémon ?

— Nous l’avons juste croisé sur notre chemin, répond honnêtement le renard. Nous allons vers le sud, et il nous a dit que tu l’avais empêché de passer.

— Comment ! s’insurge le reptile. Empêché ! C’est ridicule, c’est lui qui m’a attaqué. J’étais simplement là à attendre un passant, quand il m’a sauté dessus pour me bourrer de coups ; je me suis défendu au mieux malgré la surprise et ai fini par le repousser. Il s’est enfui comme un lapin, ajoute-t-il en lorgnant vers l’intéressé.

Le goupix lui jette à son tour un regard étonné, ses yeux voyagent entre les deux pokémons, puis il reprend la parole en s’adressant à l’escroco :

« Et si je peux me permettre, que fais-tu par ici ? Tu es loin du désert.

— J’ai poursuivi un dedenne jusqu’ici, dit humblement la créature. Vous comprenez, par ce temps, le gibier est rare, d’autant plus à Haina. Je me suis aventuré un peu plus vers le sud, et ai longtemps couru après ma proie sans prêter attention au chemin. Il a fini par me semer dans ces rochers, et pour avoir tourné en rond un certain nombre de fois, je me crois incapable de retrouver ma route ; j’espérais donc voir passer quelqu’un… et pas un sauvage irrespectueux (regard appuyé vers l’arrière). »

La créature blanche se tourne donc vers le pandespiègle, qui a cessé de se débattre dans les bras de l’enfant pour adopter un air boudeur.

« Bon, c’est vrai. Je m’excuse. Tu peux me reposer, s’il te plaît ? »

Le garçon s’exécute prudemment. Un temps de silence suit.

« J’ai dit que j’allais rejoindre mes amis. Mais en fait, ceux-ci se moquent un peu de moi parce que je ne suis pas très fort, donc… (on sent que sa fierté lui complique la tâche)… ben, je voulais battre un pokémon fort, pour prouver que je valais comme eux. Je pensais profiter de l’effet de surprise.

— Foutus amis, commente le goupix à voix trop basse pour être audible.

— Bref, je suis désolé. Escroco, si tu acceptes, je veux bien te reconduire jusqu’au désert Haina, c’est sur ma route.

— Allons-y tous ensemble, c’est la nôtre également, suggère le renard blanc. Ça vous convient ?

— Merci bien, accepte le crocodile. Excuses acceptées » ajoute-t-il, magnanime, à l’intention de son agresseur.

Le chemin reprend dans un calme relatif avec une ébauche de conversation sur la destination du goupix et de son partenaire. Le pokémon répond par « la recherche du blanc », qui lui paraît joliment sonner, et ponctue son propos de quelques flocons soufflés d’une haleine froide. Le petit garçon s’adresse un peu au pandespiègle, qu’il semble bien aimer. La tension s’éteint donc assez vite ; dans le ciel, les nuages toujours gris cheminent par petits groupes.


Le prochain obstacle se présente quelques poignées de minutes plus tard : soudainement, la route, jusque-là lisse, se couvre d’aspérités tranchantes, d’arêtes de pierre acérées. Le renard stoppe le pas en criant : sa patte avant est en sang. Les autres se gardent vite d’achever leur mouvement ; même le petit garçon sent la roche pénétrer sous ses semelles usées comme des éclats de verre. L’ensemble de la troupe recule avec prudence pour retrouver un sol lisse.

Le goupix laisse quelques gouttes rouge vif s’étaler sur la pierre, en retenant ses larmes. Les autres scrutent la route : sur toute sa largeur, elle adopte cette surface particulière et meurtrière. Impossible de traverser : les arêtes sont partout, et ils ne tiendront pas longtemps à pied sur cette portion de route qui s’étend plus loin que le regard. L’enfant s’agenouille auprès de son pokémon tandis que les deux autres, unis face à l’épreuve, entament une discussion sans animosité.

« Je n’ai pas eu ce problème à l’aller grâce à mes pattes résistantes, mais j’ai peut-être une solution pour vous, déclare l’escroco. J’ai la capacité de projeter du sable et de la boue, et pourrais donc m’en servir pour créer un revêtement praticable (ce disant, il lorgne la roche vive d’un œil pensif)…

— Ça marcherait peut-être » acquiesce le pandespiègle.

Encouragé par l’approbation, le crocodile des sables ouvre grand la mâchoire et procède à son ouvrage. La boue à peine humide qu’il éjecte sur les pierres les recouvrent vite sur quelques centimètres de hauteur et trois pas de longueur ; le sable, en deuxième couche, facilitera la progression. Le pandespiègle se propose pour tâter le terrain : il s’y avance sans problème.

« Allons-y » déclare le goupix entre ses crocs, la patte enturbannée d’un bandage de fortune (un mouchoir).

La traversée est longue : il faut le temps à l’escroco de préparer sa route à intervalles réguliers. Fort heureusement, certaines portions de terrain redeviennent praticables de temps à autres, l’occasion de faire quelques pauses : piétiner sur place est presque plus fatigant que marcher. L’enfant porte son goupix blessé le plus souvent possible, mais son poids devient vite difficile à supporter pour ses maigres bras.

Finalement, un morceau de terre lisse se prolonge, tant et tant que le petit groupe admet vite être sorti d’affaire. C’est plus guillerets qu’ils poursuivent leur chemin, malgré l’éreintement et la grisaille toujours en place : ils marchent maintenant avec le Mont Lanakila en ligne de mire, que les parois de pierre n’arrivent plus à cacher. La vision rend de l’espoir au renard blanc qui boitille bravement ; l’escroco, sentant la proximité de son habitat, accélère également l’allure. Les autres suivent de bon cœur, échangeant parfois quelques mots.

Le sol finit par s’humidifier à nouveau, et l’air, devenu sec, fraîchit. La terre a eu le temps de sécher un peu durant leurs péripéties rocailleuses, et son contact meuble est plus agréable encore que la dureté de la pierre. L’herbe et les odeurs de végétation également charment les voyageurs sortis d’un décor minéral, ils le respirent à grandes bouffées — et alimentent la conversation de réflexions météorologiques.

Arrivés devant un point d’eau, l’escroco leur annonce qu’ils se séparent ici : le désert Haina se trouve juste au nord de là. La troupe se ramifie donc en deux, les divisions se souhaitant mutuellement bonne chance pour trouver de la nourriture d’un côté, de la neige pure de l’autre.

C’est un peu plus loin, alors que la plaine s’étrécit pour redevenir route entre deux murs de roche, que le pandespiègle, jusque-là muet et toujours marchant en tête sans qu’on puisse voir ses émotions, reprend la parole :

« Vous savez, dit-il d’un ton bourru en se retournant, pour retrouver mes amis, il aurait fallu que je parte dans le désert avec l’escroco. Mais je n’ai plus envie. Ils se moquent un peu trop de moi. Donc je me demandais, euh, est-ce que je pourrais vous accompagner jusqu’au sommet du Mont ? Euh, je suis intrigué par votre ‘’neige’’, et je n’y suis jamais allé…

— Bien sûr ! (Goupix sent l’effort qu’il lui coûte de demander une faveur et donne donc à sa voix le plus de chaleur possible.) Tu parles d’amis, mais je ne comprends pas vraiment comment des amis pourraient te faire du tort ainsi. Tu peux préférer rester avec nous, lui assure-t-il.

— Je n’y avais pas vraiment pensé… (le pandespiègle reste songeur puis lâche un peu à contrecœur :) Merci.

— Il n’y a pas de quoi, on aura plus de chances d’y arriver à trois qu’à deux ! »

Le Mont Lanakila est de plus en plus proche, sa silhouette grossit presque à vue d’œil à l’horizon.


C’est après une autre plaine et un virage au nord qu’une pente commence à se faire sentir sous leurs pieds et pattes. À moins d’une simple impression, la température fraîchit également, et le terrain se couvre à nouveau de cailloux. Le sommet les surplombe à présent, et les dialogues reprennent bon train pour évaluer sa hauteur ou le temps qu’ils mettront à y monter. La pente s’accentue, et le petit garçon doit reprendre à deux fois son goupix trébuchant dans les cailloux : sa patte ne s’arrange pas, il boite de manière appuyée. Un peu gêné par la blessure, sans trop savoir quoi faire, le panda reprend une contenance en cueillant des feuilles à grignoter lorsque son compagnon s’affaiblit. Il n’ose pas lui en proposer, il doute que ça lui plaise.


Le voyage conserve néanmoins un rythme honorable pendant un certain temps, jusqu’à ce que le trio se heurte à une nette surface verticale. Plus de pente, ou alors une qui remonte soudainement à quatre-vingt degrés. Le haut n’en est pas visible, et les rares brins d’arbustes qui zigzaguent sous la pierre ne suffiront pas à une escalade sécurisée. De part et d’autre, des rochers, non moins infranchissables, encadrent une route dont il serait difficile de se détourner.

Le goupix se laisse tomber en position assise, un peu découragé. Les autres font de même, après une inspection de la roche pour la forme. Pas d’issue visible. Avec cela, tous souffrent de fatigue, élancés par les muscles de leurs jambes ou pattes. Cela fait si longtemps qu’ils sont partis, avec seulement quelques pauses !

« Il nous faudrait des ailes pour en venir à bout, grommelle le pandespiègle. Dommage qu’on en ait pas. »

Par association d’idées, le goupix lève les yeux vers le ciel. Toujours gris, il a même l’impression qu’il a commencé à s’assombrir. Ça ne l’étonne pas beaucoup compte tenu du temps qu’il lui a semblé s’écouler pendant leur épopée, mais ça l’effraie un peu : comment verront-il le chemin dans le noir ? À supposer qu’il y ait un chemin…

Sorti de ses pensées par un mouvement dans l’air, il se recentre sur le ciel : en effet, une lointaine silhouette noire y bouge. Un oiseau qui les contemple peut-être depuis des hauteurs où tout est accessible : comme il l’envie… peut-être qu’avec des ailes, on peut aller à la rencontre des flocons, quand seuls les nuages froids bénéficient de leur beau blanc. On peut même, sans doute, aller en trois coups de vent dans de lointaines contrées où la neige est légion. On peut…

Il se rend alors compte que le point noir grossit. En plissant les yeux, il s’aperçoit de mieux : il s’approche d’eux. De plus en plus. De plus en plus, on y distingue des ailes de plumes nettes, noires, et un énorme bec en corne recourbée.

« Regardez » souffle-t-il, mais les autres avaient déjà suivi son regard.

L’immense oiseau des Îles se pose dans le canyon en mesurant parfaitement la force de ses ailes pour que ses pattes rencontrent le sol avec délicatesse. Pas le moins du monde déséquilibré par son bec imposant, il s’avance vers le petit groupe. Impressionné, Goupix reste néanmoins sur ses gardes : il se remet debout, tout comme ses camarades qui l’encadrent. Néanmoins, tous les trois sentent qu’il ne vient pas en ennemi : ses yeux brillent d’un éclat plus noble.

Sans laisser la place au silence, le nouveau venu prend la parole :

« Salutations, chers voyageurs. »

Sa voix, jaillie du fond de son bec, est profonde et empreinte d’une agréable chaleur. Par un réflexe inexplicable, le trio incline la tête avec une certaine déférence innée.

« On m’appelle le Père Bazoucan, et j’ai pour habitude d’arpenter les parages par les airs. Je vous suis de là-haut depuis ce matin, intrigué par vos si jeunes silhouettes alors même que personne ne pointe son nez dehors, humains comme pokémons. J’ai été aussi surpris du long voyage que vous avez effectué avec vaillance, et des créatures qui vous ont rejointes au fil du périple. Voilà maintenant que vous semblez vouloir monter ? Je me demande ce que vous recherchez avec une telle détermination. »

Il porte son regard sur la patte bandée du goupix. Celui-ci le regarde lui, et se souvient de cet oiseau tournoyant qu’il a entraperçu peu de temps après leur départ. L’idée d’avoir été observé durant toute leur longue marche est étrange… Un peu frustrante aussi, de la part de cet oiseau qui aurait fait en quelques minutes le long détour qu’ils ont dû prendre pour éviter Hokulani la montagne sans autre chemin possible. Cependant, ledit oiseau n’avait pas de mauvaises intentions en suivant leur parcours, tout en lui clame une gentillesse sans bornes.

« Nous cherchons juste la neige, s’avance le renard. Une neige d’un vrai blanc, qui manque sur cette île dans les hivers les plus froids. Je ne l’ai jamais vue, moi qui en viens, et nous nous morfondions dans une cabane trop chaude en regardant tomber la pluie. »

Comme plus tôt, il souffle devant lui un court nuage de brume où naissent quelques flocons. Là, ceux-ci lui paraissent plus scintillants que précédemment, et ils mettent plus longtemps à s’évaporer dans l’air. Le grand bazoucan hoche la tête à la façon d’un papa compréhensif et encourageant.

« Le monde est gris, par ces temps-ci. Je le vois bien depuis le ciel… même la végétation semble grise. Mais le gris n’est pas agréable pour tout le monde, ce n’est qu’une pâle hésitation entre le noir et le blanc, beaucoup plus sympathiques chacun à leur façon. Le gris de l’hiver traverse le jour le plus lumineux à la nuit la plus noire. Rechercher le blanc pur est un bel objectif.

— Je suis d’accord, souffle le goupix.

— Vous ne pouvez pas monter. Je suis prêt à vous hisser un à un pour que vous puissiez continuer votre voyage, et je ne vous en demanderai qu’un seul service en échange. »

Les trois compagnons, malgré eux, se rapprochent du toucan pour mieux entendre ce qu’il a à dire.

« Là-haut, près du sommet, il y a une vieille Chartor. Comme pour vous, je l’ai observée au fur et à mesure qu’elle gravissait Lanakila. Cependant, vous êtes jeunes et pleins d’énergie, et ce que vous feriez en trois jours, elle s’y escrime depuis longtemps… Je suis allé à sa rencontre. Je ne peux pas la porter, elle est trop lourde ; mais elle a besoin d’aide, besoin qu’on l’accompagne. Elle n’est plus loin de son but, je vous demande seulement de l’y mener. »

Le trio se consulte du regard pour la forme, mais il n’y a qu’un choix possible : avancer vers leur but tout en aidant quelqu’un. Ils hochent donc la tête.

« Marché conclu. »

Le regard pétillant, l’oiseau scelle à son tour l’accord en opinant. Puis déploie ses ailes.

Commence ainsi l’ascension du fameux mont Lanakila, soutenue par les ailes noires du grand bazoucan. Celles-ci battent de grandes brassées d’air silencieuses, avec plus de délicatesse qu’on ne les aurait crues capables. Tour à tour, le pandespiègle, le goupix et l’enfant découvrent les joies du vol, de l’air dans la fourrure, du froid montant en flèche, du vertige parfois, et l’époustouflant paysage vu du haut et rétrécissant à mesure qu’augmente la perspective du sommet. Le porteur suit la trajectoire du flanc de la montagne, ni trop près des arêtes rocheuses, ni trop libre dans le ciel, suspendu entre ciel et terre. La nuit tombe.

« Foutue vue, hein ? » déclare le pandespiègle après l’atterrissage de l’enfant, le dernier transporté, auprès d’eux. En l’attendant, les deux pokémons avaient conservé un silence presque religieux.

Le bazoucan se pose auprès d’eux, toujours majestueux bien qu’un peu pantelant.

« Vous êtes tout près du sommet. (Il désigne du bout de l’aile un passage dans la roche) Le chemin continue par ici. Vous y trouverez la chartor.

— Merci infiniment, s’incline le goupix, suivi par ses deux camarades.

— Merci à vous, j’espère que vous parviendrez vite à votre but. Je vous guetterai sur le retour, pour vous faire redescendre. »

Avec un dernier mouvement de sympathie, le grand oiseau déploie ses plumes vers un ciel toujours opaque et assombri. Le trio le contemple un moment, puis se tourne vers l’entrée du passage qu’a désigné leur bienfaiteur. Il s’agit d’une faille de roche béante à flanc de montagne, d’où s’échappe une faible lueur. De concert, les voyageurs s’y engagent avec prudence.


Cette faille sert d’entrée à une longue caverne voûtée qui se perd dans une obscurité relative. Sur les parois, une fine couche de givre irradie une lumière d’un blanc pâlot, faible, mais qui suffit au trio pour appréhender les limites de l’espace et le sol où ils posent leurs pas. Ils s’avancent donc avec précaution sur la surface un peu glissante, balayant les alentours de trois paires d’yeux curieuses. Le trajet se met à monter en sinuant de droite à gauche, assez large pour qu’ils puissent se tenir tous les trois côte à côte sans risque de chuter. Ils ne discutent plus, l’endroit incite davantage au silence.

Seulement quelques minutes plus loin, néanmoins, ils sont à nouveau bloqués par une paroi rocheuse. Plus précisément un gros bloc de pierre grise, grossièrement taillé, qui s’encastre assez précisément dans le passage pour le fermer hermétiquement — ils le découvrent après plus amples recherches. En posant la main sur la surface dure, l’enfant s’aperçoit également que le bloc ne paraît pas stable.

« Il y a peut-être moyen de dégager cette foutue pierre, déclare le pandespiègle à cette constatation. Laissez-moi faire.

— C’est plus difficile qu’il n’y paraît » déclare une nouvelle voix.

Les trois compères se retournent en tous sens, afin de déterminer qui en est le propriétaire ; le timbre est grinçant et fatigué, l’idée d’avoir affaire à la vieille chartor dont a parlé Père Bazoucan traverse vite l’esprit du goupix. Ainsi, son regard cherche au sol et se pose sur une pierre trop arrondie et lisse pour être naturelle. De sous cette pierre pointe un museau écailleux surmonté d’un œil plissé. Ce museau se redresse en dévoilant un long cou, et quatre pattes solides apparaissent sous la carapace de pierre. Le renard note vite que les motifs de celle-ci ne luisent pas, contrairement à ceux des chartor qu’il a déjà rencontrés ; et de la même façon, seul un mince filet de fumée s’échappe de l’orifice au sommet de son dos. Ce pokémon censé dégager une grande chaleur semble froid comme la pierre alentours.

« Vous êtes…? Le Père Bazoucan nous a parlé de vous…

— Peut-être, rétorque la femelle. Des p’tits jeunes, tiens. ‘Croyez qu’vous pourrez déplacer c’rocher ? Faudrait une bonne tonne de muscles. J’doute qu’z’y arriverez. Ça fait un moment que j’tente…

— Vous voulez accéder au sommet ? » demande poliment le goupix.

La chartor le considère d’un œil indifférent avant de reprendre :

« ‘Fin, essayez toujours hein. »

Et elle recule d’un pas pesant, marquant la fin de la conversation. Après un silence embarrassé, le pandespiègle s’avance finalement. Ses compagnons prennent du recul, et suite à quelques pas d’élan, le petit ours s’est lancé contre la roche, poing en avant, celui-ci gonflé d’énergie. La force du pokémon entre en violente collision avec l’obstacle, plus violente collision qu’on aurait pu le croire, et réussit à l’éloigner d’un pas vers l’avant. Satisfait, l’ourson bicolore recule à nouveau pour répéter l’opération.

Au terme de cinq tentatives de même acabit, il s’interrompt, haletant et suant, et se retourne avec une fierté non dissimulée :

« Voilà le travail ! »

En effet, sur le côté du pavé s’ouvre une mince issue laissant apercevoir la suite du chemin.

« Bravo ! » le félicite chaleureusement le renard tandis que l’enfant applaudit avec une petite danse sur place.

La femelle tortue grommelle un acquiescement et se dirige à pas butés vers le passage. Les trois compagnons attendent qu’elle l’ait franchi pour se faufiler à sa suite, et parvenir sur une nouvelle portion de route large.

« L’aut’ bazoucan vous a d’mandé d’veiller sur moi, hmm ? demande la chartor visiblement à contrecœur.

— Oui, reconnaît le goupix. Il voudrait que vous parveniez au sommet.

— J’aim’rais dire que j’peux m’débrouiller toute seule, soupire son interlocutrice. Mais j’l’avoue, j’me fais trop vieille pour ces aventures. C’vrai qu’j’aurais bien b’soin d’un coup d’patte.

— Il n’y a pas de honte à le demander, la rassure-t-il, nous serons ravis de vous accompagner. »

Le remerciement de la femelle s’étouffe dans sa gorge, et le goupix s’avance immédiatement vers la suite du trajet afin de lui éviter une situation gênante : on dirait que la reconnaissance n’est pas son fort. Le petit groupe emboîte donc le pas au pokémon vulpin.

Après une pente droite plus rude, ils ressortent à l’air libre. La nuit est définitivement tombée sur les parois sombres qui les entourent ; l’endroit n’est qu’un champ de cailloux sous un ciel noir toujours voilé, où aucune étoile ne scintille. Un léger vent froid et sec agite quelques touffes d’herbe morte. Ils se hâtent de traverser ce paysage peu engageant.

La chartor tient le rythme malgré ses membres fatigués, mais la troupe fait tout de même de son mieux, implicitement, pour la ménager. Après quelques minutes de marche, le goupix se replace à sa hauteur.

« Pourquoi cherches-tu à atteindre le sommet ? » demande-t-il, curieux.

Il n’obtient pas de réponse.

« Nous, nous venons du nord de l’île, et nous voulons trouver la neige. »

Un instant, il a l’impression qu’elle ne l’a pas entendu. Puis elle se tourne vers lui pour lâcher :

« Moi aussi. »

Et c’est tout. Mais il sent qu’il y a autre chose, derrière ce silence offusqué, quelque chose de presque tabou qu’elle ne risque pas de révéler. Sans plus s’en soucier alors, il continue à marcher en regardant droit devant lui. La douleur dans sa patte le lance.


Ils passent alors une arche de pierre, et se retrouvent à redescendre la pente d’une sorte de cuvette à ciel ouvert. Loin des murailles abruptes et de la verticalité brute du reste des parois du mont Lanakila, les parois lisses et doucement courbées vers le bas de ce lieu-ci lui donnent un air presque mystique. Cette ambiance-ci n’est pas saturée de grisaille ou écrasée par la nuit noire, mais il y règne quelque chose de plus doux et plus froid. C’est à pas prudents qu’ils effectuent leur descente, pour ne pas glisser, mais aussi en un sens, pour ne pas brusquer cet endroit aux accents sacrés.

Le sol est tendre sous leurs pattes, et l’enfant se penche pour le caresser du doigt. Cela fait un moment que le goupix ne l’a pas entendu tousser ou renifler, lui dont la fièvre était si haute ce matin même. L’air vivifiant a bel et bien eu bon effet sur lui, comme son pokémon le pressentait sous la sale chaleur du logis.

Le silence est total.

Un froissement vient le troubler alors que les voyageurs atteignent le centre, et donc le bas de la cuvette. Le goupix se retourne, pour apercevoir son double s’arrêter net à quelques pas derrière eux et l’observer de ses grands yeux givrés. Un autre goupix qui le regarde. Il s’apprête à lui adresser la parole quand un autre surgit à l’opposé, toujours derrière eux, et adopte la même attitude. Puis un troisième, et un quatrième. Puis une majestueuse feunarde, qui elle s’avance jusqu’à prendre leur tête, et incline alors la sienne dans une invitation. Ébahis, les quatre voyageurs se remettent timidement en mouvement, suivis par des renards de glace toujours plus nombreux. Il en sort de l’ombre, de derrière les rochers, des recoins de la grotte, comme par magie.

Et cette magie ne s’embarrassera pas de questions inutiles. Elle est, tout simplement. Le goupix a le sentiment que le moindre éclat de voix saura disperser une illusion parfaite, ou effraiera ces pokémons qui les guident à présent vers le sommet de la montagne. Alors, aucun membre du quatuor ne dit rien, se contentant d’ouvrir grand les yeux pour balayer la scène d’un maximum de regards, pendant que cette magie dure. Les pokémons, d’un blanc pur, semblent presque luisants dans l’obscurité.

Alors que le chemin, le long de la cuvette, remonte vers la droite, d’autres créatures se joignent à eux. Puissants absols, frissonnants stalgamins, ronds sabelettes et piquants sablaireaux, en plus des grands feunards à la grâce incroyable, tous s’assemblent en un cortège fluide et fantomatique en pointe de flèche vers la fin du voyage.


Parvenus au faîte de ce lieu féérique, ce n’est plus qu’une courte part de chemin qui s’étale, droite, devant eux, parsemée d’herbes hautes. Au bout, une paroi semblable à celle que le bazoucan les a aidés à franchir.

Alors, c’est un immense draïeul qui apparaît à leur suite, imposant, effilé, royal. Toujours sans un mot, ils s’arrêtent, le laissant les dépasser avec solennité, puis entament cette dernière portion de terrain derrière la créature draconique. Arrivée devant le mur, celle-ci tourne vers eux une tête marquée par l’âge, au bout d’un long cou souple, et d’un regard doux les incite à monter sur son dos. Ils s’exécutent, le souffle court.

C’est alors qu’il se reporte vers l’avant que le goupix sent la première perle de froid humidifier son museau blanc. Par réflexe, il sort la langue pour le lécher, tandis que ses yeux se lèvent, éperdus, vers le ciel nocturne : il neige.

Le draïeul décolle.

Ce sont peut-être des ailes qu’il porte aux flancs, des ailes sans plumes, aux écailles fines, mais il semble davantage flotter que se soulever à leur moyen. Incroyablement stable, c’est comme s’il glissait sur un banc d’air. Autour, se défiant du vertige et de la gravité, les innombrables pokémons les accompagnent en galopant, harmonieusement, sur la paroi quasi-frontale. Les neuf queues des feunards virevolent dans le froid, les lames des absols tranchent la brise glaciale, les stalgamins bondissent en cloches élégantes, l’ensemble sous un rideau de délicats flocons. La beauté de la scène est à émouvoir chacun des voyageurs : ils échangent parfois un regard émerveillé, avant de se retourner vers l’incroyable spectacle.

Au terme d’un moment de féérie qui aurait pu durer plusieurs heures comme quelques secondes, seul le ciel leur fait encore obstacle. Alors, le dragon vénérable s’avance sur le plateau, et les dépose en douceur au sommet du mont Lanakila.

Ils sont arrivés.


Alors que le sommet aurait dû être balayé par les vents à cette hauteur, il ne règne rien de plus qu’un calme traversé par un léger vent froid. Et du blanc. Du blanc partout : au sol, sur les quelques rochers affleurant, sur les parois de glace qui ceignent le haut lieu, partout, ce tapis inviolé s’étend à perte de regard, en dessous d’un ciel noir. Les flocons tourbillonnant lentement dans les airs tiennent lieu d’étoiles mobiles : l’ensemble, scintillant, rassemble tout le blanc, toute la brillance, toute la pureté éclatante du monde, sublimée par l’obscurité sur laquelle ressortent les cristaux animés d’une lumière propre ; les quatre voyageurs en sont tout éblouis. Le blanc d’ici est absolu, tranchant avec toute la grisaille, tous les verts, bruns et rouge ternes accumulés dans leurs prunelles toute une journée de marche durant.

Le goupix baisse les yeux sur sa patte : le bandage s’est défait, et aucune blessure n’y est plus visible. La douleur a également disparu. Il ne ressent plus aucune fatigue, les membres libérés des harassantes courbatures du jour.

Les créatures fantomatiques se déploient tout autour d’eux, affluant par derrière : s’alignant sur les côtés, ils font cercle jusqu’à une forme droite, élancée, toute en courbes et en beauté, devant eux, au centre du plateau. D’un voix qui semble chuchotée par tous les pokémons rassemblés, on leur propose de s’avancer.

Testant la neige du bout de la patte ou du pied, craintifs de l’abîmer, ils s’exécutent. Sous leurs pas, le tapis blanc reste inchangé, à peine marqué de légères traces argent.

La créature qui préside est un feunard d’une couleur extraordinaire. Il n’est même pas blanc, mais davantage, s’approchant plutôt d’une absence totale de couleur, sans la moindre ombre : une silhouette irradiée d’un blanc plus que parfait, où l’on distingue pourtant chaque poil, chaque détail de fourrure, et surtout, deux yeux d’argent posés sur eux.

« Bienvenue à vous » entonne la créature.

Sa voix évoque la chute d’un flocon, en très sonore et mélodieux.

« Vous êtes à Lanakila. Vous n’y êtes pas parvenus par l’endurance ou la force brute, mais par la volonté, le rêve et l’entraide, sans lesquels vous ne seriez arrivés jusqu’ici. Je règne sur ce mont. Pour être venus rencontrer les étoiles, permettez-moi de vous offrir un souhait en échange d’une simple faveur. »

Le feunard (ou la feunarde ? Impossible à dire) se tourne alors vers la chartor, qui a abandonné ses airs bougons pour un visage émerveillé.

« Nous aimons profondément notre neige, mais nous ne connaissons rien d’autre. Toi qui maîtrises les flammes, pourrais-tu nous montrer la chaleur ? »

L’air profondément émue, la femelle s’incline avec déférence.

« J’ai passé d’longues années à gravir c’te montagne, pas à pas. J’suis malade et fatiguée. J’ai gagné chaque longueur à l’effort. Tout c’que j’voulais, c’était d’atteindr’ le haut. Pour retrouver les anciennes traditions d’mon espèce : nous qui vivons au ras du sol, mourir au plus proche des étoiles. Je viens mourir ici. Je peux vous offrir ma chaleur. »

Sans plus de mots, elle tend le cou vers le ciel, et dans une ultime expiration, exhale une longue flamme effilée. Imprégnée de la magie des lieux, celle-ci se fait d’un blanc intense pour filer dans l’obscurité telle une flèche de lumière. Les pattes noueuses se dérobent sous la lourde carapace ; la vie s’éteint.

Profondément touchés par la scène, les trois compagnons restants conservent un silence affecté. La flamme a donné, pour une poignée d’instants, un éclat irréel au décor.

« Faites un vœu. »

L’enfant et le pandespiègle regardent leur goupix. Le petit renard sait que c’est à lui que revient le choix. Il s’avance un peu.

« Nous aimerions… nous aimerions que, chaque année, la neige tombe sur les Îles une journée. Pas seulement ici. Juste un jour de neige vraiment blanche, vraiment jolie, qui fondra le lendemain. Partout, une journée. »

L’être de lumière hoche la tête.

« C’est un beau vœu. Il en sera ainsi. »

Les pokémons se lèvent, toutes ces silhouettes de glace éthérées, grandes, imposantes ou pataudes, et se mettent à courir, en cercle, autour d’eux trois. Ce faisant, ils se rapprochent, fermant la ronde ; confiants, les petits voyageurs demeurent campés sur place. Les créatures du froid s’approchent jusqu’à se fondre en une masse indistincte, une vraie tempête de neige, qui finit par les effleurer : alors, le blanc emplit leurs trois visions, et tout s’éteint.


Le goupix ouvre les yeux. Depuis sa couverture, il contemple l’intérieur de la cabane. Il y fait toujours chaud, mais quelque chose a changé. Pour commencer, il se sent mieux. Plus frais. Il veut appeler le petit garçon, mais celui-ci ouvre déjà la porte de sa chambre, pieds nus, en pyjama. Ils se regardent, et sans se concerter, s’arrêtent devant la fenêtre.

Le paysage est enveloppé d’un manteau blanc. Il a neigé.