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Le dernier voyage initiatique de Rikuiame



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» Auteur : Rikuiame - Voir le profil
» Créé le 15/11/2018 à 20:47
» Dernière mise à jour le 13/05/2019 à 10:11

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Kanto   Slice of life   Terreur

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An 4
An 4

Assise sur le dossier en béton d’un banc public du Bourg Palette, Clémence écoutait Laureline sangloter doucement, le visage perdu entre ses genoux remontés jusqu’au menton. Les deux dresseuses ne s’étaient pas revues depuis un long moment et elles avaient discuté à bâton rompu de leurs différentes aventures.

Puis, insidieusement, le regard de Laureline s’était voilé à l’évocation de ses Pokémon. Cela n’avait que peu surpris Clémence. Quelque chose d’indéfini dans le comportement de son amie lui avait mis la puce à l’oreille. Cela aurait pu être son sourire figé. Ou bien un de ses éclats de rire à l’écho un peu trop forcé. Il y avait manifestement un truc pas très Hélixique chez Laureline sans que sa camarade puisse mettre le doigt dessus. Elle ne s’était pas trompée.

« Tu comprends, je ne pouvais plus garder Pikachu quand il a évolué, gémit Laureline.
- Un Raichu ce n’est pas si mal comme Pokémon, tu sais. C’est moins mignon mais ça doit être vachement plus résistant. »
Laureline releva vivement la tête et planta un regard brûlant de colère et de détresse dans les yeux de sa confidente.
« Mais ce n’est pas ça le problème, lui reprocha-t-elle. C’était pas un Pikachu d’ici à la base.
- Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Il y eut un court silence, le temps que Clémence saisisse ce que Laureline essayait de lui faire comprendre. Puis elle écarquilla les yeux.

« Tu veux dire qu’il venait d’Alola ? Mince alors, ils retirent même les Pokémon qui ont une forme divergente de ceux nés à Kanto ? C’est pour ça que tu refusais de le faire évoluer ?
- Qu’est-ce que tu crois ? hurla la jeune femme. C’est fini ! FINI ! Si j’avais ce salaud sous la main, je lui éclaterais la face de mes propres mains ! »
L’estomac de Clémence se noua. Même s’il ne semblait y avoir personne aux alentours, on ne savait jamais qui pouvait bien écouter ce qu’elles disaient. La peur rongeait son esprit. L’effroi comprimait sa poitrine. Malgré elle, la dresseuse saisit le poignet de Laureline et siffla entre ses dents :
« Une citoyenne ne devrait pas dire ça du Front des Pokémon ! C’est dangereux !
- Mais, je ne parle pas d’eux ! Je parle du Professeur Chen ! »

Depuis que le scandale du ChenGate avait éclaté de nombreux dresseurs avaient découvert que les origines de leur Pokémon de départ n’étaient peut-être pas celles qu’ils croyaient. On pouvait entendre sur les canaux de radio pirate que Raphaël Chen plaidait la cause de son cousin, arguant que c’était le seul moyen qu’ils avaient trouvé pour sauver des milliers de Pokémon des bouleversements climatiques que connaissait Alola. Mais Clémence se gardait bien d’écouter ce genre d’émission dissidente et préférait rester branchée sur la chaîne 151. La radio officielle du FdP n’avait diffusé que des reproches et des accusations sur celui qu’ils déclaraient être un traître à la région. Pas un mot sur Alola et les problèmes que l’archipel traversait. Ils ne pouvaient pas être si grave puisque la radio ne les mentionnait même pas. Pas vrai ?

En tout cas, peu de temps après l’arrestation de Chen, la Milice avait commencé à confisquer aux dresseurs les Pokémon qui ne figuraient pas au registre du Pokédex Régional. Officiellement il s’agissait d’éviter la propagation des espèces non réglementaires dans la nature au cas où le propriétaire déciderait de le relâcher.

En effet, l’embargo sur les frontières extérieures avait continué d’engendrer de plus en plus de pénuries, particulièrement sur les objets de soin au Pokémon dont certains composants de fabrication étaient importés d’autres régions. Parallèlement le niveau d’inflation avait explosé, répandant une vague de misère sans précédent parmi les couches les plus fragiles de la population. Aujourd’hui, seuls les dresseurs les plus aisés pouvaient se permettre de payer une simple Potion. Il était devenu presque impossible de soigner ses Pokémon sans passer par un Centre Pokémon et la nouvelle taxe instaurée l’année précédente sur le stockage PC des Pokémon Exotiques avait contraint plus d’un dresseur à les remettre aux autorités. Quant à la Pension, il ne fallait pas y songer. Cela faisait belle lurette qu’ils y étaient interdits.

C’est ainsi que Clémence avait dû se défaire de Phyllali quelques mois plus tôt. Quand elle avait commencé son voyage, la dresseuse aurait juré ses grands dieux que jamais elle ne se séparerait de l’un de ses Pokémon. Que le lien d’amitié qui les unissait, elle et son équipe était plus fort que tout. Mais si elle devait être honnête avec elle-même, la jeune fille avait vécu sa séparation avec le Pokémon assimilé Exotique presque comme un soulagement.

Clémence s’en souvenait comme si c’était hier. Ils s’étaient pointés un jour, alors qu’elle mangeait à la terrasse d’un restaurant de Jadielle pour se remettre de sa défaite face au Champion de la ville. Deux hommes en uniforme noir avec le brassard du FdP bien visible sur l’avant-bras. Le plus petit l’avait vaguement saluée de la tête tandis que l’autre, le plus grand – Clémence se souvenait clairement qu’il avait une moustache qui lui tombait sur les lèvres – avait sollicité de voir sa Carte Dresseur. On lui demandait souvent ses papiers ces jours-ci.

Ils avaient été très polis avec elle. Prenant leur temps pour lui expliquer qu’ils avaient reçu un signalement de Pokémon Exotique. Ils enquêtaient sur celui-ci.

« Avait-elle eu connaissance de ce genre de Pokémon ? Oui.
Savait-elle où il se trouvait actuellement ? Oui.
À qui appartenait-il ? A elle.
Pourquoi l’avait-elle en sa possession ? Quand elle l’avait eu, ce n’était qu’un Evoli, tout ce qu’il y avait de plus régional.
Cette évolution particulière était-elle voulu ? Non. Non, bien sûr que non. Elle avait été accidentelle. Un charlatan lui avait vendu un éclat de Pierre Mousse en lui faisant croire que c’était une Pierre Eau. La couleur pouvait porter à confusion.
Avait-elle conscience que la détention de ce Pokémon était illégale ? Oui.
Avait-elle cherché à s’en séparer ? N… non.
Pourquoi ? Parce qu’elle ne croyait pas que le relâcher dans la nature était la solution car il risquait de se reproduire.
Ah oui ? Oui.
Dans ce cas, souhaitait-elle que la Milice s’en débarrasse pour elle ? »

Silence.

« Oui…

… merci.
»

***
Quelques temps après leur dernière conversation un peu houleuse, Clémence retourna voir son amie chez elle au Bourg Palette. Le trajet était assez court car elle fréquentait désormais les alentours de Jadielle. En effet, la jeune dresseuse tentait depuis des mois de battre Blue, le mythique Champion de l’arène sans succès. Il était le dernier obstacle à la séparer de son rêve : obtenir les huit badges qui la qualifieraient à la Ligue Indigo.

Avant de mettre un terme à sa carrière suite à la confiscation de son Pikachu, Laureline avait décroché le badge Terre. Clémence espérait donc que son amie pourrait lui donner des conseils sur la stratégie à adopter. Elle était toutefois inquiète de l’état dans lequel elle allait la retrouver. La perte de son Pokémon fétiche avait beaucoup affecté l’ancienne dresseuse. C’était compréhensible d’ailleurs. Clémence aussi n’avait pas bien vécu le fait de devoir abandonner Phyllali aux mains du FdP. Mais elle n’avait pas eu le choix. Qu’aurait-elle pu faire ? Il y avait bien eu des manifestations pour protester contre la politique du gouvernement mais les autorités avaient procédé à des arrestations. Se mêler à ce genre d’histoire c’était prendre le risque de se voir empêchée de concourir à la Ligue. Elle devait éviter à tout prix de faire des vagues et surmonter la douleur provoquée par la perte de son Pokémon. Elle devait l’oublier.

La maison de Laureline se trouvait un peu à l’écart du Bourg, à quelques mètres à peine de la jetée du haut de laquelle, les jours de beau temps, on apercevait Cramois’île. La vue était toujours belle et on voyait parfois batifoler quelques Tentacool près de la côte quand soufflaient les vents du nord. C’était une bâtisse ancienne ayant connu des jours meilleurs mais toujours entretenue par le père de Laureline, un retraité aimable aux cheveux d’argent qui n’avait jamais quitté son village natal, préférant cultiver son propre jardin.

Les craintes de Clémence sur le moral de Laureline se volatilisèrent au moment où elle ouvrit la porte, le visage rayonnant.
« Bonjour ! l’accueillit-elle en l’enlaçant. Comment ça va ?
- Plutôt bien, répondit Clémence étonnée de la voir ainsi rétablie. Quoi de neuf depuis la dernière fois ?
- Oh ! Tu vas être surprise ! Attends un peu… Il ne devrait pas tarder à venir voir ce qui se passe. »

La curiosité de Clémence piquée au vif, la jeune dresseuse jeta un coup d’œil à l’intérieur de la maison, cherchant la cause de l’apparente joie de sa camarade. Et puis soudain, elle le vit.
« Ça alors ! » s’exclama-t-elle.
Descendant sur ses courtes pattes les marches du premier étage, un magnifique petit Evoli, d’un brun profond de la queue au museau, fixait la visiteuse de ces grands yeux ébène.

« Il est hyper affectueux. » se vanta Laureline en attrapant le Pokémon pelucheux pour le serrer dans ses bras. Son nez disparu presque entièrement dans la fourrure de la bestiole. « Et il m’obéit au doigt et à l’œil ! »
A peine avait-elle prononcé cette phrase, que son Evoli se libéra de son étreinte et en profita pour sauter au sol et se précipiter à l’extérieur en jappant comme un dingue de sa petite voix adorable.

« Mais qu’est-ce qu’il a ? demanda Laureline d’un air exaspéré.
- Attends, tu vas voir. » lui répondit une Clémence hilare.
Son amie la dévisagea sans comprendre puis, un sourire complice vint éclairer son visage.
« Ne me dis pas que… »

C’est ce moment-là que le nouveau Pokémon de Clémence choisit de jaillir de sous le porche de la maison, filant comme une flèche à travers le gazon. Tache jaune sur fond vert dont seul le bout foncé de la queue dépassait des hautes herbes, c’était un Pikachu aux joues écarlates et aux yeux d’un noir profond, Evoli sur les talons. La course-poursuite dura jusqu’au moment où, se retournant brusquement, Pikachu ne lui envoie une décharge électrique. Le Pokémon de Laureline revint alors se blottir dans les bras de sa dresseuse en tremblant.

Les deux jeunes filles étaient prises d’un fou-rire. Quelle coïncidence ! Elles étaient revenues au premier jour de leur apprentissage, lorsqu’elles avaient obtenu leur tout premier Pokémon. C’était comme être dans une vie parallèle où leur choix aurait été inversé.

Quand elles eurent repris un peu de leur contenance, les deux comparses continuèrent leur conversation.
« Ben si je m’attendais à ça ! Toi, avec un Pikachu ?
- C’est toi qui dis ça alors que tu as passé des années à me rabâcher les oreilles sur la supériorité d’un Pokémon électrique contre Evoli ?
- Oh, j’ai eu envie de changer, riposta Laureline. Et puis le type ne fait pas tout, tu sais. Il faut aussi un dresseur talentueux. Je pourrais te battre avec un Magicarpe hydrophobe si je voulais.
- C’est un défi, ça ? Moi qui croyais que tu voulais arrêter le dressage.
- Je peux très bien arrêter le dressage et quand même réussir à te foutre une rouste, ma grosse.
- Oh à ta place je ne vendrais pas la peau du Chelou… du Ronflex – la peau du Ronflex – avant de l’avoir tué. » balbutia Clémence en regardant autour d’elle.
Depuis quelques temps elle avait pris l’habitude de ne mentionner que des Pokémon Régionaux. Au cas où. On ne savait jamais. Elle ne voulait pas se faire reprocher de vouloir faire la propagande de ceux des autres régions.

Malgré leur échange jovial en apparence, Clémence se garda bien de dire à son amie que, si elle avait jeté son dévolu sur Pikachu et non sur un autre Evoli, c’était que le souvenir de la perte de ce dernier était bien trop profondément ancré dans son esprit pour supporter d’en élever un nouveau. Au moins, la jeune dresseuse était certaine que son Pikachu était authentique, lui. Pas un Exotique. Elle l’avait acheté dans une des batteries d’élevage du Front des Pokémon qui visait à repeupler Kanto avec de vrais Pokémon de la région. Grâce au certificat qui garantissait sa provenance on ne pouvait plus l’accuser de se balader accompagnée d’un Pokémon Exotique.

Maintenant qu’elle se savait en règle, elle se sentait en sécurité. Elle commençait même à voir que les efforts déployés par le FdP – s’ils pouvaient paraître drastiques – commençaient à porter leurs fruits. Il était de plus en plus rare de croiser un Pokémon qui ne faisait parti du registre régional, même en pleine nature. Oh, il arrivait parfois de croiser un Exotique sauvage mais la Milice avait mis en place un numéro vert qui permettait aux bons citoyens de signaler la présence et la position de ces anomalies. La politique stricte ça pouvait avoir du bon. Peu à peu la région de Kanto reprenait son véritable visage. Si on oubliait les problèmes d’approvisionnement et les nombreux dresseurs démunis qui erraient désormais sur les routes à la recherche de Pokédollars pour payer les soins de leurs Pokémon.

« Bon ! relança Laureline un peu trop fort pour faire oublier ce moment de flottement. Ce combat on se le fait pas ou pas ?
- Ouais. Let’s go, Pikachu ! Montrons à cette grande gueule de quoi nous sommes capables. »

Comme tout le reste, il valait mieux ne pas trop y penser.