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Shades of Blue de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 27/10/2018 à 02:26
» Dernière mise à jour le 27/10/2018 à 02:26

» Mots-clés :   Drame   Famille   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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V - A Bolt From The Blue
Le buffle avançait d’un pas paisible à travers le sous-bois fourni. Son poitrail puissant écartait les arbustes sur son passage, et ceux qui résistaient finissaient par être piétinés sous ses sabots robustes, quand il ne refermait pas carrément ses molaires dessus pour arracher la végétation à portée. Pourtant, malgré ce rustre sans-gêne, les broussailles reprenaient bien vite leurs droits, refermant la route du Tauros dès que celui-ci s’était éloigné, se vengeant en essayant d’accrocher l’une des queues du bestiau. Lesquelles se contentaient de fouetter les branchages sournois pour balayer leurs vils desseins.
La cavalière de l’imposant boeuf ne regardait même pas où il mettait les sabots. L’air concentré sur l’écran de son PokéMatos, elle se contentait de pianoter de-ci, de-là, écartant parfois la tête pour éviter une branche basse. Pas une seule fois elle ne leva les yeux de son appareil, faisant preuve d’une confiance aveugle envers son Pokémon. C’est qu’ils avaient emprunté tant de fois ce chemin qu’il n’avait plus besoin de la moindre directive de sa part pour s’y retrouver.

Et effectivement, lorsque sa Dresseuse releva enfin la tête quand elle sentit Bowser Jr. s’arrêter sous ses jambes, elle constata qu’il l’avait encore une fois menée à bon port. Elle se laissa glisser au sol, pour ensuite lui gratouiller le crâne entre ses deux cornes.

« A tout à l’heure, Bowsey ! Essaie de ne pas déraciner trop d’arbres, cette fois. »

Le boeuf poussa un doux mugissement, avant de s’éloigner pour brouter. Leaf le laissa derrière elle, et entreprit de dévaler la colline menant au Sanctuaire.

Elle acheva sa descente par un dérapage parfaitement contrôlé que tout le monde aurait bien volontiers qualifié de miraculeux. Le bruit de son arrivée n’échappa pas au renard safrané, qui quitta les abords de la rive pour lui sauter dans les bras.

« Salut Impulse ! S’amusa-t-elle, alors que le Voltali reniflait ses mains et son sac avec intérêt. Non, pas de biscuit, je vais me faire gronder après ! Mais si tu es discret, ajouta-t-elle dans un murmure, je t’en pas…
- Ah non ! Il a enfin retrouvé une ligne à peu près correcte, c’est pas le moment de tout foutre en l’air ! » Protesta l’homme roux, en s’approchant de la jeune femme.

Celle-ci eut un sourire innocent, ce à quoi Blue répondit en ébouriffant sa courte chevelure.

« Tu devrais pas être en plein rush pour finir ta thèse, toi ?
- Si… Mais venir ici fait aussi partie de mon sujet, alors j’ai le droit ! Rétorqua-t-elle en tirant la langue.
- Ah ! Tu tiendras pas le même discours quand tu seras en panique parce qu’il te restera plus que deux heures pour rempiler dix pages et deux rapports !
- Ca sent pas du tout le vécu, dis-moi. »

Ce qui lui valut d’être encore plus décoiffée.

« Alors ? Qu’est-ce que ça a donné cette année ?
- Regarde par toi-même, » l’invita son mentor en désignant la crique.

Son ancienne assistante ne se fit pas prier.

En l’espace de six ans, les choses avaient bien bougé. Le programme de protection des Lokhlass s’était prouvé d’une efficacité redoutable, notamment grâce à la coopération de tous les pays concernés. Leur chasse s’était faite interdire par la plupart des gouvernements, et nombreux avaient été ceux qui étaient allés plus loin, même, en imposant des régulations strictes quant à la capture de spécimens sauvages. Des mesures que beaucoup de détracteurs avaient qualifié de draconiennes… Mais qui étaient un sacrifice nécessaire sur le court terme pour pouvoir assurer un avenir à cette espèce. Et les premiers résultats s’étaient faits concluants : pas plus tard que deux mois auparavant, le statut de conservation des Lokhlass avait été révisé, passant d’un état En Danger Critique à En Danger. Une petite victoire, certes, et qui ne donnait aucune garantie quant à la suite… Mais toute avancée était bonne à prendre !
Leaf, elle, avait plus ou moins suivi la même voie que le chercheur roux. Sa Quête des Badges avait pris brutalement fin face à Bruno, où ils ne parvinrent à se départager. Enfin, c’était un résultat assez prévisible, pour deux Dresseurs utilisant la même stratégie du “si ça passe pas, essaie plus fort”... Forcément, après cela, la jeune femme s’était retrouvée sans aucune créature suffisamment en forme pour affronter Lance.

L’étudiante ne s’arrêta qu’une fois les chevilles dans l’eau. La main en visière, elle plissa les yeux.

« Lapis, Lazuli, Pastel, » nomma-t-elle en voyant deux jeunes qui se chamaillaient sous le regard bienveillant d’une femelle. Ses yeux se posèrent alors sur une géante aux écailles diaphanes, en train de dormir à l’ombre un peu à l’écart. « Bismuth, encore en train de faire sa grand-mère ronchon… Eeeet Cobalt qui a toujours son coeur d’artichaut, » ajouta-t-elle, comme un mâle venait d’émerger de la surface, un amas d’algue en bouche qu’il voulut présenter à une femelle visiblement ennuyée d’être encore une fois sa cible. « Il va se… Et voilà, qu’est-ce que je disais ! Il devrait le savoir, à force, que Lagoon aime pas quand il la presse comme ça… »

Elle poussa un soupir en secouant la tête, avant de se concentrer sur les deux derniers adultes qui venaient eux aussi de faire surface avec un jeune mâle. Ce dernier avait l’air très fier de l’Ecayon qu’il avait attrapé, filant même le montrer aux deux congénères de son âge… Avant de se mettre à nager à toute vitesse dans la crique pour les empêcher de lui piquer sa prise.

« Zora, Liseron et Azurin… Attends, ça fait… Neuf ? Il en manque par rapport à l’an dernier, non ?
- Oui… Confirma Blue en hochant tristement la tête. Denim s’est faite avoir par un Sharpedo sur le retour, d’après les données qu’on a récoltées. Et Na’vi a l’air de s’être fait capturer pas loin de la Route Victoire de Sinnoh.
- Hum, grimaça Leaf. D’un côté, ça vaut mieux que s’il s’était fait tuer… Mais je vois pas non plus Vah’Ruta…?
- Elle est avec Abysse, sous l’eau. Depuis qu’ils sont arrivés, ces deux-là passent le plus clair de leur temps sous la surface… Tiens, quand on parle du Lougaroc. »

Les vagues se fendirent dans un vacarme assourdissant, alors qu’une masse phénoménale émergeait à l’air libre.
Vah’Ruta n’avait pas volé son nom. La matriarche de la horde faisait bien le double de Bismuth, pourtant la plus âgée du groupe. Là où un Lokhlass normal atteignait les 2,5 mètres de haut, la tête de la leader trônait à bien 5 mètres. Lorsqu’il lui avait envoyé des photos pour illustrer la différence de gabarit, Kukui avait même émis l’hypothèse qu’elle soit un Pokémon Dominant, dans le même genre que ceux qui se rendaient parfois maître d’un territoire relativement étendu à Alola.

La meneuse expulsa son reste d’oxygène dans un souffle sonore avant de tourner ses yeux d’encre vers les deux humains. Avisant la jeune femme, elle inclina respectueusement la tête pour la saluer, aussitôt imitée par Leaf.

« Ah, je me lasserai jamais de cet endroit… » Soupira-t-elle, alors que Lapis et Lazuli s’approchaient d’elle pour l’inviter à jouer.

Les deux jeunes femelles avaient abandonné leur course-poursuite quand Azurin s’était réfugié derrière sa mère, qui avait gentiment disputé les petites turbulentes. Boudeuses, elles avaient préféré chercher une autre camarade de jeux… Et elles savaient que la Dresseuse était la personne idéale pour ça ! A raison, puisque, les voyant venir vers elle, la jeune femme fouilla son sac pour en sortir un gros ballon qu’elle gonfla d’un geste.

« Cadeau les filles ! S’exclama-t-elle en leur envoyant le jouet.
- Je vais finir par croire que tu transportes tout un arsenal avec toi…
- Nooon, juste le nécessaire ! »

Mais, alors que les petites chipies nageaient joyeusement en se passant la balle, la matriarche laissa s’écouler trois notes cristallines de sa gorge. Aussitôt, tous les adultes de la horde se rassemblèrent autour d’elle. Même la vieille Bismuth daigna glisser jusqu’à sa reine sans trop rouspéter.
Un tel comportement ne manqua pas d’étonner Blue. Il ne les avait vus avoir ce genre de… Conciliabule que deux fois auparavant. La première, quand ils avaient accepté de laisser le chercheur et sa protégée les approcher jusque dans l’eau. La deuxième, quand il avait voulu leur placer une balise à tous, à la base de leur oreille gauche. Est-ce que… Cela voulait dire qu’ils venaient de franchir une nouvelle étape…? Mais dans ce cas, pourquoi Abysse ne se montrait-elle toujours pas ? De ses observations, et de ce que Lorelei lui avait aussi rapporté de ses études sur la horde de Quarmeau et le grand rassemblement de Sinnoh, jamais les adultes ne se concertaient si tous n’étaient pas présents. Peut-être… Peut-être qu’Abysse était souffrante, mais qu’ils hésitaient à la leur confier pour d’éventuels soins…?

Une note à l’unisson marqua la fin de la réunion. Tous se séparèrent pour retourner à leurs occupations -ce qui, pour Zora et Pastel, se résumait surtout à surveiller que le fils de la première puisse aussi participer au jeu des deux femelles sans qu’elles ne le bousculent trop.
En revanche, la confusion du Kantonais augmenta d’un cran en voyant Vah’Ruta glisser vers eux, son corps massif ne faisant qu’à peine onduler l’eau. Elle s’immobilisa à moins d’un mètre d’eux en leur présentant sa coque argentée. Voyant l’hésitation de l’homme roux, elle plongea ses iris d’encre dans ses pupilles cendrées. Sa crainte faiblit. Aucune once de panique ou d’angoisse ne voilait le regard serein de la matriarche. Non, en fait… Derrière sa douceur, elle semblait même avoir du mal à dissimuler une certaine joie. Comme si elle souhaitait leur faire une surprise…

Blue hocha la tête avec un petit sourire, avant de commencer à ôter ses vêtements pour ne plus être qu’en combinaison -avec son travail, il avait vite pris l’habitude d’être toujours prêt à se mouiller.

« Si tu as besoin de quelque ch… » Commença-t-il en se tournant vers son ancienne assistante.

Mais celle-ci était déjà en maillot, avec lunettes de plongée et masque de respiration aquatique sur le visage. Forcément, ne put-il s’empêcher de penser en souriant. Quelle idée il avait eue de sous-estimer un seul instant sa protégée.
Les deux humains se juchèrent sur le large dos de Vah’Ruta, laissant le Voltali seul sur la berge -c’est que l’eau, c’était bien, mais hors de question que son pull “You Asked FURRET” se retrouve trempé ! Sans compter que le sel allait abîmer la laine. Non, non, il était bien mieux à dormir au soleil… Mais fila fouiller le sac de Leaf à la recherche d’une friandise dès que la Lokhlass titanesque plongea.

Il était clair que la Pokémon Dominant nageait à un rythme bien plus placide que ce que ses formidables nageoires lui permettaient habituellement, afin de ne pas laisser ses cavaliers derrière elle. Ceux-ci serraient dans leurs bras l’un des pics épais comme un tronc qui parsemaient sa carapace, et devaient tout de même lutter pour ne pas se faire emporter à chaque mouvement alors que leur monture s’enfonçait vers les tréfonds de la crique.
Fort heureusement, leur plongée ne dura pas plus d’une minute. Vah’Ruta se redressa, pour passer dans une faille creusée à même le flanc de montagne et s’engager dans un boyau rocheux à peine assez large pour lui permettre de remonter la galerie en pressant son ventre contre la paroi, les pointes de sa coque raclant frénétiquement la roche dans son dos. La géante des mers dut même jouer des nageoires pour franchir les derniers mètres… Et finalement émerger dans une cavité.

Blue remonta ses lunettes de plongée sur son front en secouant la tête, ôtant son dispositif de respiration pour profiter de l’air.

« Tu savais qu’il y avait une grotte sous-marine ici ? Demanda sa protégée derrière lui, sa voix résonnant étrangement dans l’obscurité.
- Non, avoua-t-il, en fouillant dans sa poche. Mais je serais pas surpris que ce soit eux qui l’aient creusée, à force de venir ici. Vu que Ruta arrive à peine à passer, ça serait une trop grosse coïncidence sinon. »

Il finit par trouver deux bâtons lumineux qu’il gardait toujours en réserve. En donnant un à Leaf, il craqua celui qui lui restait dans les mains.
La lumière artificielle révéla qu’ils n’étaient pas seuls dans la caverne. Allongée sur le sable rocheux, de l’eau lui parvenant à peine à hauteur des nageoires dans une pataugeoire improvisée, Abysse cligna ses yeux habitués aux ténèbres. Reconnaissant les deux humains et sa reine, elle poussa une douce mélopée de bienvenue en inclinant la tête.

« Ouf, elle n’a pas l’air souffrante… Soupira Blue après lui avoir rendu son salut.
- On dirait même qu’elle est… Réjouie…? »

Ils échangèrent un regard incrédule, alors que la matriarche poussait une note bien amusée de leur réaction. Elle allongea alors son cou, les invitant à s’approcher de sa congénère. Mentor et étudiante se laissèrent glisser dans l’eau, nagèrent jusqu’à atteindre la cuvette aménagée…
Pour écarquiller les yeux en découvrant le flanc d’Abysse.

Une petite Lokhlass était blottie contre l’adulte. Les yeux clos, elle poussa un couinement plaintif en se pressant contre sa mère, dérangée par les bâtons luminescents. Celle-ci souffla pour la rassurer, alors que leurs invités firent de leur mieux pour atténuer l’éclat de leurs lampes.

« In… Incroyable... ! » Murmura Leaf, sidérée, la main plaquée sur sa bouche.

Son mentor n’en menait pas large. Bouche bée, il fallut que Vah’Ruta le pousse gentiment du museau pour qu’il fasse enfin un pas vers la femelle et sa progéniture. Complètement médusé, il dut poser sa main sur le cou d’Abysse pour s’empêcher de tomber à la renverse comme il s’accroupissait, non sans amuser les deux géantes des mers. Il tendit lentement son bras tremblant vers la nouvelle-née. Qui renifla avec intérêt ses doigts… Avant de préférer reposer sa tête sur le ventre de sa mère.

« … Je crois qu’elle n’a même pas deux jours, parvint-il enfin à balbutier.
- … Attends… Mais si la horde est arrivée y’a une semaine…? »

Blue tourna vers elle un visage resplendissant, des étoiles plein les yeux.

« C’est la première naissance du Sanctuaire ! » S’écria-t-il en haussant légèrement la voix.

Ce qui lui valut une nouvelle plainte de la petite géante.

***
Blue porta une main à sa gorge, pour desserrer le noeud coulissant autour de son cou… Mais son geste n’échappa pas à la personne derrière lui.

« Pour la dernière fois, restez tranquille ! S’écria le maquilleur d’un ton qui essayait désespérément de demeurer cordial. Vous passez dans moins d’une minute !
- Mais je peux à peine respirer avec ça ! »

Son interlocuteur ne voulut rien entendre, et réajusta la cravate d’un geste habile.

« Prenez un peu exemple sur votre Voltali ! » Ajouta-t-il en lui appliquant une énième couche de fond de teint.

Impulse ouvrit un oeil en l’entendant le citer. Le renard safrané se prélassait confortablement sur un coussin, pendant qu’un assistant brossait ses épines hirsutes. Sa fourrure avait retrouvé l’éclat qu’elle avait perdu avec la fin des entraînements réguliers, et au regard qu’il adressa à son maître, ce dernier comprit qu’il allait devoir ajouter une séance de brossage quotidienne à son emploi du temps chargé…

Mais déjà, la musique retentissait de l’autre côté du rideau.

« Bon, c’est loin d’être parfait mais ça fera le taf. »

Le maquilleur le fit se lever de la coiffeuse, pour le pousser rapidement vers l’entrée latérale donnant sur la scène. Juste à temps !

« … -dames, messieurs, je vous demande d’accueillir celui qui murmure à l’oreille des Lokhlass : Docteur Blue Oak ! »

Le chercheur roux poussa un petit soupir. Il avait bien tenté de leur faire abandonner ce surnom ridicule, mais rien à faire. Les journalistes l’appelaient déjà comme ça, et ils n’avaient pas l’air prêts de s’en défaire.
Passant ses doigts autour de son cou pour relâcher légèrement l’étreinte de la cravate -non sans que le maquilleur derrière n’en jette sa trousse au mur-, il adressa un hochement de tête à son Pokémon… Avant de s’engager sur la scène.

Il fut accueilli par des applaudissements assourdissants à peine s’était-il montré. Un léger sourire gêné aux lèvres, le Kantonais répondit en saluant de la main le public rendu invisible par les spots braqués sur la zone d’émission. A ses pieds, Impulse ne se privait pas pour parader, montrant fièrement le pull “Soooo BOUNSWEET” qu’il avait spécialement choisi pour l’occasion.

« Bonsoir Blue, et soyez le bienvenu au Pocket Show, l’accueillit la présentatrice une fois qu’il s’assit dans le fauteuil des invités.
- Merci beaucoup, Lois ! J’avoue avoir été surpris par votre demande d’interview, je ne pensais pas que mon travail vous intéressait autant.
- Vous êtes trop modeste ! S’exclama-t-elle dans un grand sourire. Cela fait un petit moment que nous suivons vos avancées, et ce que vous avez déjà accompli est vraiment incroyable ! Mais peut-être que vous pourriez expliquer un peu ce sur quoi vous travaillez, pour les téléspectateurs qui ne vous connaissent pas forcément.
- Eh bien… Pour résumer, j’étudie les populations de Lokhlass sur l’ensemble du globe. Ce qui m’a aussi amené à créer un programme de protection les concernant.
- Oui, parce que les Lokhlass sont une espèce menacée.
- Exactement, acquiesça Blue. Mais grâce aux efforts combinés des différents gouvernements concernés, leur situation s’est légèrement améliorée ces dernières années. Et je pense qu’on peut se montrer optimiste pour la suite.
- Surtout avec… Vous savez… Mais je ne vais pas gâcher la surprise, allez-y ! »

Le chercheur roux rit légèrement à la remarque, même s’il avait plutôt envie de grimacer en son for intérieur. Sans compter qu’il cuisait avec toutes ces lumières et l’épaisse couche de maquillage qu’on l’avait obligé à porter…

« Parmi toutes les hordes de Lokhlass existantes, il y en a une que j’étudie en particulier. Je l’avais repérée assez tôt, parce qu’elle finissait sa migration dans les eaux kantonaises…
- Oh woaw ! Vous voulez dire qu’il y avait des Lokhlass sauvages si proches de nous ?
- En effet. Mais je m’inquiétais un peu pour eux, parce qu’ils restaient constamment en haute mer, alors qu’un groupe de Lokhlass a tendance à chercher un endroit difficilement accessible pour ses prédateurs -et l’Homme en particulier.
- Et c’est comme ça que vous est venu l’idée de leur créer un havre de paix, l’interrompit Lois.
- C’est ça, même si je l’appelle plutôt le Sanctuaire.
- En tout cas, on peut dire que vous êtes très secret à ce propos ! Vous avez même refusé qu’un de nos caméramen vous accompagne pour filmer quelques images, même depuis notre hélico !
- C’est une précaution qui est nécessaire, malheureusement, voulut-il se justifier alors que l’audience poussait un oooh triste. Mon travail repose essentiellement sur la confiance que j’ai réussi à construire avec cette horde de Lokhlass. Je ne peux pas dévoiler trop d’informations à leur sujet, au risque de les voir devenir des cibles potentielles.
- Effectivement, je comprends vos réserves… Mais si vous êtes ici aujourd’hui, c’est avant tout pour nous faire part d’une excellente nouvelle pour l’avenir de cette espèce, n’est-ce pas ? »

Blue hocha la tête dans un sourire.

« En effet ! Il y a deux mois, nous avons eu une petite surprise… En la matière de Sapphire ! »

A la seconde où il prononça ce nom, une photo apparut sur tous les écrans du studio. Un aaaaaw attendri secoua le public, alors qu’ils découvraient la petite géante qui nageait aux côtés de sa mère.

« La horde avait déjà ramené quelques jeunes avec elle de chacune de ses migrations… Mais Sapphire est la première naissance que nous ayons eue dans le Sanctuaire ! Annonça Blue, non sans fierté. Ici, ajouta-t-il comme une courte vidéo passait en fond, vous pouvez la voir alors qu’elle est sortie à la surface pour la première fois, il y a à peine trois semaines. »

Les images achevèrent de faire fondre le public dans l’ombre, en particulier lorsque le poupon des mers plongea son museau dans l’eau pour faire de grosses bulles.

« Elle est vraiment adorable ! Commenta la présentatrice alors que, sur les écrans, Sapphire se pressait contre sa mère, intimidée par les deux chipies du groupe qui l’observaient avec curiosité. Mais il semblerait que les sciences Pokémon soient une tradition dans votre famille ! Pour ceux qui l’ignoreraient, vous êtes le petit-fils du Professeur Oak, qu’on ne présente plus. »

Et voilà. Il l’attendait, celle-là…

« C’est vrai… Admit-il en restant aussi calme que possible, aidé par Impulse qui lui planta discrètement une de ses épines dans la cuisse. Mais à vrai dire, ce n’est pas de lui que m’est venu cette vocation.
- Vraiment ?
- Non. En fait, à la base, je ne pensais pas du tout m’orienter vers de la recherche, notamment pour me différencier de lui. Je voulais faire quelque chose qui me soit propre… » Et bizarrement, elle n’avait pas relevé le fait qu’il avait été presque Maître de Tohjo… Il ne savait pas s’il devait lui en vouloir ou se montrer reconnaissant. « Mais au cours d’un séjour sur Quarmeau, j’ai rencontré une amie qui se préoccupait énormément des Lokhlass de l’Île.
- Et quelle amie ! Lorelei, l’une de nos anciennes Conseillères !
- Elle l’était toujours à ce moment-là, oui. Elle m’a notamment permis de rencontrer le groupe qui s’est établi là-bas… Et je serais incapable de vous expliquer concrètement, de vous dire pourquoi... Mais quelque chose dans le fait de les voir dans leur environnement naturel, de voir une Dresseuse aussi émérite que Lorelei être si inquiète pour leur sort m’a donné envie d’agir.
- Et heureusement, quand on voit le résultat aujourd’hui ! Approuva Lois. Mais, quand nous avons fait nos recherches pour cette émission, nous avons vu un argument qui revenait souvent, surtout concernant les importantes restrictions concernant la capture de Lokhlass… Vu leur situation critique aujourd’hui, ne serait-il pas plus sûr de tous les garder en captivité, ou de les restreindre, si je puis dire, à des zones protégées ? Après tout, c’est comme ça que les Minidraco et Draco du Parc Safari ont pu prospérer à nouveau, et il me semble que c’est ce qu’il se fait à Unys et au zoo de Parmanie… »

Blue demeura stoïque, les lèvres étirées en un sourire de façade… Mais pour peu qu’on le connaisse, le rabattement d’oreilles de son Voltali trahit l’exaspération de son maître. Palkia soit loué, Lorelei était encore sur Sinnoh. Sans quoi l’ancienne Conseillère n’aurait pas hésité une seule seconde à les appeler pour se lancer dans une longue explication sur pourquoi cette méthode était aussi efficace qu’une Trempette de Magicarpe en plein désert.

« Eh bien, prendre les Minidraco et les Draco comme exemple est trompeur. Certes, leur espèce avait aussi disparu de Kanto pendant un siècle, et elle bénéficiait elle aussi d’un programme de protection… Mais il s’agit de Pokémon sédentaires. Ils vont peut-être voyager à travers les différentes rivières, mais ils resteront toujours dans les environs du même lac. Ils ne le quitteront que si celui-ci devient trop peuplé à leur goût. Au contraire, les Lokhlass sont des créatures nomades. Ils ont besoin de voyager sur de vastes étendues, notamment parce qu’autrement, ils épuiseraient les ressources d’une même zone s’ils y restaient trop longtemps. Cette migration leur permet aussi de se reproduire avec des membres provenant d’autres hordes, ce qui assure…
- Autrement dit, le coupa Lois, s’il fallait implémenter des zones protégées, il faudrait presque considérer tout l’océan comme une réserve ! »

Un rire parcourut l’assistance, alors que le chercheur roux gardait un sourire gêné. Il fallait savoir, ils voulaient parler de son travail ou quoi ? Ses traits se crispèrent encore plus lorsque la présentatrice enchaîna :

« En tout cas, vous êtes très loin de l’image du scientifique que l’on se fait habituellement ! Déjà, vous n’avez pas de blouse blanche.
- Vu le nombre de fois où je dois me jeter à l’eau, je préfère choisir des vêtements faciles à enlever.
- Oh ! Je pense que bon nombre de jeunes gens sont ravis d’entendre ça, » sourit Lois, dans un ton qui ne laissait aucun doute quant à ce qu’elle sous-entendait… Ce qui provoqua des gloussements dans le public, et l’embrasement des joues du Kantonais. Heureusement, avec tout le fond de teint qui lui collait au visage, personne ne le remarqua. « Mais en plus, vous n’avez pas un Voltali comme les autres ! J’ai rarement vu un scientifique avoir un Pokémon avec un goût aussi prononcé pour la mode ! »

Reconnaissant le nom de son espèce, le renard safrané se redressa en bombant le poitrail sous les applaudissements et rires du public.

« Ah ça… Impulse et les pulls, c’est une vraie histoire d’amour, s’amusa son maître en lui ébouriffant les poils entre ses deux oreilles. Pourtant, au début, il était plutôt réticent à l’idée d’en mettre…
- Eh bien, nous avons une surprise pour lui ! »

Un Machoc assistant sortit alors des coulisses, pour poser un gros paquet devant le goupil survolté. Ce dernier pencha la tête sur le côté en voyant la boîte, leva les yeux vers Blue. Encouragé par celui-ci, il tira sur l’épais ruban rouge… Avant de bondir de joie en découvrant le pull “The LAPRAS Transformation” flambant neuf dans le papier de riz.

« Je crois bien que nous avons fait un heureux ! En tout cas, merci beaucoup d’être venu exprès à Safrania pour nous, Blue.
- Je vous en prie ! J’espère pouvoir revenir une autre fois, avec une autre bonne nouvelle.
- C’est tout ce que nous vous souhaitons ! Docteur Blue Oak ! »

Une ovation l’accompagna jusqu’à ce qu’il quitte la scène.
Une fois hors du champ de vision des caméras, il attrapa un mouchoir pour s’enlever tout le maquillage qui, avec la chaleur du plateau, s’était collé à sa peau. Comme il jetait le tissu devenu orange, il récupéra son PokéMatos, qu’il avait laissé dans les coulisses pour ne pas perturber l’émission… Qui se mit à sonner furieusement. Blue poussa un profond soupir en découvrant le nom de l’ancienne Conseillère sur l’écran. Elle avait dû voir l’émission…

***
« Urgh… J’en peux plus… »

Blue remontait lentement l’allée menant chez lui en compagnie de Toriel et Impulse. Une main sur l’estomac, il mettait péniblement un pied devant l’autre, la langue tirée.

Dès qu’elle avait pu se libérer un peu de ses nombreuses réunions au centre de relaxation, Daisy était retournée le voir sur Bourg Palette. Elle avait insisté pour les inviter tous dans leur restaurant préféré, pour fêter le succès de l’interview de son petit frère. Depuis qu’il était passé au Pocket Show, une dizaine de jours auparavant, les Lokhlass avaient été un sujet de conversation récurrent sur les réseaux sociaux. Sapphire avait particulièrement retenu l’attention, et en l’espace de quelques jours, le montant de dons reçu pour aider au financement du programme de protection avait dépassé la somme qu’ils obtenaient généralement en un an !

Le souci… C’était que le restaurant en question disposait d’un buffet à volonté. Et, comme par hasard, le jour choisi par sa soeur pour s’y rendre était précisément celui où l’établissement organisait son édition mensuelle du Gueuleton des Gloutons… Ils n’y avaient pas coupé : Daisy les y avait inscrits d’office, et son esprit de compétition avait obligé son frangin à ingurgiter bien plus que ce dont il se serait contenté en temps normal.
Mais la situation semblait avoir fait au moins un heureux. En effet, le renard safrané trottinait joyeusement sur les pavés, le ventre rebondi au point que les bords de son pull “You ILLUMISE My Heart” lui remontaient sur les épaules. Pour une fois qu’il avait pu se goinfrer sans que personne ne vienne le lui reprocher -au contraire, Daisy avait été la première à le resservir dès que sa gamelle se faisait vide-, il ne s’en était pas privé !

« Tu peux faire le fanfaron tant que tu veux, demain c’est diète pour toi, mon bonhomme, » le prévint son maître.

Enfin, ils atteignirent la porte de la maison… Mais Blue soupira de dépit en voyant les escaliers qu’il devait encore monter pour rejoindre sa chambre. La Nidoqueen lui tapota doucement l’épaule pour lui redonner courage, mais elle s’éclipsa rapidement vers ses propres appartements.

Après une grimpée qui lui parut interminable, le chercheur roux put enfin s’affaler sur son matelas, mais fut obligé de se mettre sur le dos pour ne pas appuyer sur son estomac. Impulse, lui, s’était déjà roulé en boule sur son coussin, après avoir pris soin d’ôter son pull pour le poser délicatement sur le petit tabouret spécialement prévu à cet effet. A tous les coups il allait ronfler, comme à chaque fois qu’il mangeait trop…
Le Kantonais se releva difficilement pour se changer, entre autres pour ne plus sentir son ventre être ainsi compressé par son jean. Mais, comme il s’installait confortablement sous les draps, il jeta un oeil à son application de géolocalisation. C’était devenu une sorte de petit rituel, de vérifier que la horde se porte bien avant qu’il aille se coucher. Même si les noms n’étaient pas visibles sur l’écran, il connaissait tellement leurs habitudes qu’il savait exactement quel membre représentait tel point. Seule la petite géante n’apparaissait pas. Il attendrait la veille du départ du groupe pour lui mettre sa propre balise, elle était encore trop jeune pour l’instant.
La fatigue se posa alors sur son visage pour lui picorer ses yeux gris, alimentée par son début de digestion. Dans un grommellement, il se passa une main sur les paupières, posant son PokéMatos sur la table de chevet de l’autre. Heureusement qu’il n’avait rien d’autre de prévu qu’une réunion standard avec les Rangers pour l’après-midi, il allait pouvoir dormir un peu plus longtemps que d’habitude…

Du moins… C’était ce qu’il pensait.

Alors que Blue était en plein rêve où il se retrouva être l’allié d’un Donphan rose en barbe à papa et d’un Noeunoeuf multicolore en Chocco, dans une quête pour trouver le plus gros Sorbouboul Framby du monde à offrir à un Méga-Alakazam pour que celui-ci leur révèle l’ingrédient secret de sa tarte à l’Oran, un jappement nerveux le fit émerger.
Ses yeux fatigués clignèrent dans le noir de la chambre, tandis que son esprit encore engourdi tentait tant bien que mal de traiter les grognements sourds du Voltali.

« Retourne te coucher, Impulse… » Marmonna-t-il en se tournant dans son lit.

Mais le goupil survolté semblait ne pas l’entendre de cette oreille. Il sauta aussitôt sur le matelas, grimpa sur son maître en redoublant ses glapissements affolés. Au point que ceux-ci en devenaient insupportables.

« T’es chiant franchement ! » Répliqua Blue en essayant de le repousser…

… Ce qui lui valut de se prendre une décharge sur les doigts, qui illumina brièvement la pièce avant de provoquer un cri de douleur.

« Non mais ça va bien ?! T’as vu l’heure qu’il est ?! » S’écria-t-il en se redressant d’un coup, allumant sa lampe de chevet d’un même mouvement.

Dès que la lumière revint dans la chambre, Impulse bondit au bas du lit. Il se précipita jusqu’à la porte, pour gratter frénétiquement le bois. Constatant que son humain ne réagissait toujours pas, il tourna la tête vers lui pour pousser un nouveau jappement pressant.

« Mais qu’est-ce qui te prend, enfin…? »

Blue fronça les sourcils. Son Voltali n’était clairement pas dans son état normal. Mais qu’est-ce qui pouvez le paniquer aut…
Un mauvais pressentiment lui secoua l’échine. Saisissant son PokéMatos, il activa immédiatement l’application de géolocalisation, craignant le pire…

Non. Rien. Les onze points s’affichaient toujours dans le Sanctuaire. Le comportement d’Impulse ne devait avoir aucun rapport. Soulagé, il s’apprêtait à refermer son appareil pour sérieusement s’occuper du cas de son Pokémon…
Son doigt se figea. Il regarda une nouvelle fois l’écran. Remonta les images des dernières heures. Et, tandis que les données défilaient sous ses yeux gris, son visage pâlit davantage à chaque seconde. Effectivement. Chacune des onze balises était bien présente. Mais aucune n’avait bougé, même d’un mètre, au cours des deux dernières heures !

« Non… »

Blue bondit hors du lit. Il prit à peine le temps d’attraper le blouson sur sa chaise, pour se précipiter hors de la chambre. Il dévala les escaliers, précédé d’Impulse. Le temps que Toriel arrive dans le couloir, réveillée par tout leur boucan, les deux s’étaient déjà rués dehors.

La nuit était d’un calme assourdissant, en partie à cause du froid hivernal qui commençait à s’installer. Mais la température actuelle était le cadet de ses soucis.
Le chercheur roux n’avait qu’une seule idée en tête : rejoindre le Sanctuaire au plus vite ! Mais, même en courant à perdre haleine, il lui faudrait bien une grosse heure pour s’y rendre à pied ! Il ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps ! Rah, si seulement Leaf était sur Bourg Palette, avec Bowser Jr., il y aurait été en…

Une idée lui traversa l’esprit.

« Impulse, commence à y aller sans moi ! Je te rejoins en route ! »

Le renard safrané lui lança un regard incrédule, comme il vit son maître courir dans la direction opposée. Mais il s’élança de son côté. Ce n’était pas le moment de chercher à comprendre ce qu’il faisait. Ils n’avaient pas le temps !

Jamais Blue n’avait parcouru aussi rapidement la route menant jusqu’à la colline du Laboratoire. A bout de souffle, il écrasa son doigt sur la sonnette. La cloche stridente eut tôt fait de faire s’allumer toutes les lumières du bâtiment. Enfin, après deux minutes qui lui semblèrent en durer mille, la porte s’ouvrit sur un Professeur Oak en robe de chambre.

« Blue…? Fit-il d’une voix confuse et empatée par son brusque réveil. Qu’est-ce que…
- Est-ce que tu as toujours Am-Stram-Gram ?! L’interrompit son petit-fils en faisant irruption dans la bâtisse.
- Qu…? J-je crois, oui…
- J’en ai besoin ! Tout de suite !
- Je ne comprends pas, qu’est-ce que…
- Va le chercher ! VITE ! »

Il laissa son grand-père sur place, pour filer jusqu’à l’établi. Heureusement, celui-ci était bien mieux rangé que dans son souvenir. Il s’empara de la première selle et bride adaptées, faisant fi de l’important nuage de poussière qui s’en dégagea, et revint d’un pas précipité dans l’entrée. Le vieil érudit l’y rejoignit quelques secondes plus tard, une Pokéball à la main… Que Blue lui arracha presque pour activer la capsule. L’autruche tricéphale qui s’en libéra se dévisagea, un peu perplexe d’avoir été appelée à une heure aussi tardive. Ses interrogations s’accentuèrent en sentant l’harnachement qu’on lui mettait.

« Mais enfin, est-ce que tu vas m’expliquer ce qu’il se passe ? Réussit-il enfin à demander, alors que son petit-fils finissait de sangler sa monture en quatrième vitesse.
- Appelle tout de suite les Rangers ! Répondit-il précipitamment en enfourchant le Dodrio.
- Les Rang…? Mais pourquoi ?
- Le Sanctuaire est attaqué ! »

Là-dessus, il pressa les flancs d’Am-Stram-Gram en criant un yip-yip. A ce signal, l’oiseau terrestre bondit vers l’avant, distançant le laboratoire en quelques foulées.

Cela faisait une éternité que Blue n’avait plus chevauché son ancien Pokémon. Il manqua de tomber plusieurs fois sur le premier kilomètre, désarçonné par l’allure si symétrique de la créature à plumes. Mais ses vieilles habitudes revinrent rapidement, et il avait retrouvé une assiette correcte au moment de laisser les dernières habitations derrière eux. Heureusement puisque, dès que le Dodrio se retrouva dans la plaine, il allongea ses trois cous pour accélérer encore la cadence.
Les serres puissantes de l’oiseau terrestre se plantaient dans le sol à chaque appui, faisant voler de pleines mottes de terre dès qu’elles s’enlevaient. Les trois têtes se levaient et s’abaissaient en cadence, chacune prenant la relève de ses voisines dès qu’une se reculait pour reprendre sa respiration. Am-Stram-Gram exploitait entièrement sa faculté respiratoire triplée. Si bien qu’il eut tôt fait de rattraper le Voltali, dont le manque d’exercice et le repas copieux de la veille avaient considérablement réduit la vitesse.

« Impulse ! Monte ! » Lui hurla son maître en fermant légèrement sa main sur les rênes comme ils arrivaient à sa hauteur.

Le Dodrio ralentit légèrement pour ne pas dépasser le renard safrané… Mais au moment où celui-ci se retrouva entre les jambes du chercheur roux, dès que son cavalier redonna du mou, il repartit en trombe.

Cependant… Ils arrivèrent bientôt en vue d’un obstacle de choix. La forêt épaisse précédant le Sanctuaire. Même si Blue connaissait le chemin le plus rapide, aussi douée qu’elle soit sur les espaces dégagés, l’autruche tricéphale allait être obligée de ralentir pour progresser efficacement dans le bois touffu… Or, ils ne pouvaient se permettre de perdre davantage de temps !
A une trentaine de mètres des premiers arbres, le cavalier angoissé raccourcit ses rênes. Sa monture redressa aussitôt ses têtes, perdant légèrement en vitesse de pointe… Mais à raison. L’autruche tricéphale enfonça sa jambe d’appel dans le sol, s’appuyant de tout son poids dessus pour s’élever d’un bond prodigieux au-dessus des cîmes. Ils franchirent une dizaine d’arbres d’une seule enjambée. Et tandis que la gravité semblait vouloir rappeler au Dodrio qu’il n’était pas doté d’ailes, ce dernier referma ses serres redoutables sur la canopée d’un des êtres sylvestres pour poursuivre sa course funambulesque.

Une main agrippée au pommeau de sa selle, l’autre accompagnant les mouvements de têtes en intervenant occasionnellement pour corriger sa direction, Blue avait le regard fixé sur le flanc de montagne qui ne cessait de s’approcher. Le ciel partiellement dégagé leur offrait le peu de luminosité que la demi-lune avait la générosité de leur octroyer, mais ce n’était pas assez pour distinguer ce qu’il se passait au loin.

Quand il les entendit.

Des vrombissements de plus en plus sonores, à mesure que les pas de géant d’Am-Stram-Gram les rapprochait. Des notes dissonantes, pleines de peur, de colère et de détresse. Le mugissement des attaques qui s’échangeaient. Les craquements quand elles manquaient leur cible. Les plaintes quand elles faisaient mouche.

Le Dodrio fit un ultime bond pour franchir la lisière, et s’immobilisa brutalement sur le haut de la butte sur l’ordre de son cavalier, lequel manqua de passer par-dessus bord. Il se redressa pour constater le tableau catastrophique qui se déroulait sous ses yeux abasourdis.
La crique était devenue un véritable champ de bataille. Plusieurs figures masquées, rendues impossibles à distinguer avec leurs vêtements sombres dans la nuit noire, s’activaient frénétiquement à harasser la horde. Un groupe avait encerclé Zora et le jeune Azurin, le menaçant de leurs Magnéton et Eléktek dès que l’un des géants tentait de résister. Ce qui avait dû arriver auparavant : deux masses inertes flottaient dans l’eau, présentant leur ventre blanc comme neige à la voûte perlée. D’autres personnes cagoulées étaient en train de charger une Lapis terrorisée dans un des hélicoptères-cargo, alors qu’un autre s’éloignait déjà, et certainement pas vide.
Mais de loin, la scène la plus virulente était la lutte acharnée que menaient la vieille Bismuth et sa reine pour tenter de repousser l’ennemi. La doyenne fonçait dans le tas, n’hésitant pas à renverser et écraser de tout son poids toute personne ou Pokémon passant à sa portée. Elle se montrait sans merci, concentrant volontiers les efforts des braconniers sur sa personne pour permettre à ses congénères d’avoir une chance de leur échapper. Vah’Ruta non plus n’était pas en reste. Usant de toute sa masse, le moindre mouvement de ses nageoires suffisait à provoquer une déferlante qui balayait les misérables qui osait s’en prendre à sa horde. Ses jets d’eau étaient autant de geysers bouillonnants qui propulsaient au loin ceux qui avaient eu le malheur de se trouver sur leur route, leur broyant les os. Ceux qui avaient réussi à les éviter devaient composer avec ses souffles polaires, devenus un blizzard tourbillonnant dans la cuvette formée par le Sanctuaire.

Et pourtant. Cela ne suffisait pas.
Malgré tous leurs efforts. Malgré leur volonté inébranlable de protéger ceux qui leur étaient chers… Les braconniers gagnaient par le nombre.

Tétanisé par cette scène d’horreur, il fallut que le deuxième véhicule aérien referme ses portes sur les cris terrifiés de Lapis pour que Blue retrouve enfin ses esprits.

« Impulse, va aider Ruta et Bismuth ! »

Le goupil survolté prit tout juste le temps d’acquiescer d’un grognement, que déjà il sautait à terre. A peine se réceptionna-t-il qu’il dévala la colline, une traîne éclatante jaillissant de ses coussinets alors que des mailles fulgurantes parcouraient sa fourrure dorée.
Le chercheur roux planta ses talons dans les flancs d’Am-Stram-Gram, qui bondit vers l’avant. Ils avaient une autre cible. L’hélicoptère qui commençait à décoller.

L’autruche tricéphale cavala en quatrième vitesse jusqu’au bas de la butte, mais cela ne suffit pas. Le temps qu’ils arrivent au niveau de la berge, le vaisseau était déjà trop haut et dans un angle bien trop aigu pour que l’oiseau terrestre puisse espérer l’atteindre.
Mais ils ne s’avouèrent pas vaincu !
Blue écarta les rênes, faisant brutalement virer de bord sa monture pour la diriger droit sur la falaise délimitant la baie. Le Dodrio ne pensa même pas à ralentir l’allure malgré le mur qui se dressait devant lui. Réitérant son envolée puissante, ses serres formidables se refermèrent cette fois-ci sur la roche… Pour remonter la paroi minérale pourtant presque à la verticale, dans une ascension qui s’apparentait bien plus à une course qu’à une escalade. Chacune de ses foulées brisait la pierre sous ses pattes, lesquelles roulaient en éboulis vers le sol, alors que le cavalier était obligé de se cramponner à sa selle pour rester allongé sur les cous sombres de sa monture et ne pas la déséquilibrer.

Mais grâce à leur voltige périlleuse, l’autruche tricéphale parvint au sommet de la muraille au moment où l’hélicoptère passait à portée. Blue ne réfléchit pas une seule seconde. Ses talons pressèrent une nouvelle fois les flancs du Dodrio… Qui, pulvérisant la roche sous ses serres dans un appui remarquable, s’envola.
Ses pattes basculèrent de l’arrière vers l’avant, pour lacérer dans un fracas assourdissant le métal de la coque comme elles se fichaient dedans. Cependant, les ergots avaient du mal à trouver une prise fiable, les plaies ferrailleuses s’agrandissant sous la pression du poids du cavalier et de sa monture…

« Am, Gram, Bec Vrille ! » Hurla le chercheur roux.

Les têtes mélancolique et colérique percèrent aussitôt l’hélicoptère de leur bec effilé, interrompant leur chute vers le vide.

« Stram, Furie ! »

La tête la plus optimiste se recula… Avant de venir pilonner la coque, dans des coups de marteau-piqueur qui eurent tôt fait de découper une fenêtre grossière. Dès que le passage fut suffisamment large, Blue se hissa sur ses étriers, agrippa le bord du métal en manquant de s’entailler les doigts dessus, prit appui sur les épaules de sa monture pour grimper à bord...
Mais il eut tout juste le temps d’apercevoir les silhouettes massives des deux prisonniers du véhicule. Une matraque électrique l’accueillit, s’abattant sans le moindre scrupule sur son bras. Le crépitement qui l’accompagna éclaira brièvement la figure masquée de son agresseur, ainsi que le petit R sanglant brodé sur son sombre uniforme. L’instant d’après…

Ce fut tout ce que le Kantonais put discerner. Une fraction de seconde plus tard, le moindre de ses muscles se contractait douloureusement, violemment stimulés par la foudre sournoise qui lui envahit le corps. Mais, dès qu’elle se dissipa… Toute sa chair se relâcha brutalement, vidée de ses forces, les terminaisons nerveuses engourdies. Il glissa. Tomba en arrière. Dans le vide. Comme si la gravité avait décidé de faire payer à ce sot les affronts que sa monture lui avait infligés.

L’esprit embrouillé par le choc subi, il ne comprit pas immédiatement la situation critique dans laquelle il se trouvait. Fort heureusement, son ancien Pokémon avait veillé au grain. Au cri d’alerte de Stram, les deux autres têtes retirèrent aussitôt leur bec, pour plonger à la poursuite de leur cavalier. Sa queue fermée en une unique plume, le Dodrio allongea ses cous et ses pattes, offrant le moins de résistance possible à l’air pour pouvoir gagner en vitesse et rattraper l’humain en détresse.
Blue chercha à attraper la bride de l’autruche tricéphale. Mais ses doigts ankylosés rendaient ses gestes maladroits. Il rata une première fois. Une deuxième. Pour enfin fermer sa main meurtrie sur le cuir. Dès qu’il sentit la pression de ses phalanges, Am-Stram-Gram se redressa pour l’aider à se remettre en selle. Il déploya brusquement l’éventail de sa queue pour freiner leur chute comme son humain peinait à chausser ses étriers, mais cela eut autant d’effet qu’un ventilateur contre un ouragan.

L’atterrissage fut brutal. Même en ployant les jarrets pour accuser le coup, l’autruche tricéphale poussa une plainte alors que son cavalier fut projeté vers l’avant. Il roula sur quelques mètres, une douleur lancinante lui traversant la poitrine quand une roche saillante percuta deux côtes, les fêlant au passage.
Une main sur son flanc douloureux, Blue se redressa péniblement.

Pour voir la vieille Bismuth s’enfoncer dans l’eau, terrassée par les attaques concentrées sur sa personne.
Malgré la présence d’Impulse, qui courait d’un bout à l’autre de la crique pour essayer de rediriger la foudre sur lui et d’attaquer l’ennemi autant qu’il le pouvait, les braconniers restaient en nombre bien trop important et bien trop organisés pour leur laisser la moindre chance.
Les yeux désespérés du chercheur croisèrent alors le regard d’encre de Vah’Ruta. Un frisson glacé lui traversa l’échine, alors qu’il lisait toute la détermination morbide dans les iris furieuses.

« N-non… »

La matriarche ferma les yeux, comme pour mettre fin à toute tentative de la raisonner. Le cou ployé, une brume fine commença à s’échapper de ses écailles azurées…

« Ruta, NON ! NE FAIS PAS CA ! »

Il se releva d’un bond, l’adrénaline et l’épouvante reléguant la douleur au second plan. A son cri, le Voltali s’était figé. Il tourna la tête vers la titan céruléenne. Vit le givre qui se formait autour de son corps. Et se précipita jusqu’à son maître, courant comme jamais.

« RUTA ! »

Le goupil survolté le percuta de plein fouet, ignorant le craquement sinistre provenant de ses côtes déjà endommagées. Le coup poussa Blue vers l’arrière…

Une note unique fendit le ciel, vibrante de toute la résolution de Vah’Ruta. Soudain, une déferlante d’un froid extrême s’échappa de son être. Un tsunami hivernal qui avalait tout, enfermait eau, terre, plante, humain, Pokémon, vivant, mort dans un carcan de glace éternelle.
L’avalanche s’abattit sur la berge, s’achevant dans une explosion phénoménale qui souffla tout être à portée. Qui projeta le chercheur roux exposé. Son crâne heurta une branche brisée par le conflit…

Et ce fut le noir.

***
« … sieur, est-ce que vous m’entendez ? »

Blue entrouvrit péniblement les yeux. Sa vision était à l’image de son esprit : troublée. C’était tout juste s’il devinait un amas de couleurs devant lui, rouges, noires, brunes et dorées, alors que des masses informes et floues s’agitaient au loin. Il sentait une main entre ses doigts, mais c’était comme s’il était étranger à son propre corps.

« Monsieur, si vous m’entendez, pressez ma main ! »

Les mots durent se frayer un chemin pour parvenir jusqu’à ses neurones, et même là, elles ne traitèrent l’information qu’avec plusieurs secondes de retard. Mais dès que ses phalanges se refermèrent sur la main gantée, la masse jaune s’approcha, et de nombreuses petites épines vinrent se frotter contre son visage. La sensation des aiguilles chaudes qui lui griffaient la peau lui était familière…
Le Kantonais cligna des yeux, sa vue gagnant en netteté à chaque fois que les rideaux de chair se rouvraient. Il put enfin distinguer clairement la frimousse soulagée du goupil survolté qui s’était blotti contre lui, le regard triple de l’autruche tricéphale qui le couvait, ainsi que l’uniforme encre et carmin du Ranger à ses côtés.

« Doucement ! » S’écria ce dernier en le voyant qui cherchait à se redresser.

Le chercheur roux comprit rapidement pourquoi il lui disait cela. A peine était-il parvenu à se rasseoir que son crâne et son buste le lancèrent furieusement, lui arrachant un gémissement douloureux. Impulse posa aussitôt ses pattes avant sur sa cuisse, le dévisageant de ses grands yeux inquiets, mais son maître le rassura comme il le put en caressant gauchement sa tête.
Mais, tandis qu’il passait sa main libre sur le bandage rudimentaire en soie que le Ranger avait appliqué en urgence pour maintenir ses côtes en place… Il se souvint.

« Ruta…! »

Il releva la tête, non sans grimacer de douleur au passage. Et ses yeux gris s’écarquillèrent.

Le Sanctuaire était transfiguré.

Le havre de paix n’était plus qu’une immense étendue glacée, une fleur tentaculaire aux pétales hostiles. La Glaciation n’avait épargné rien ni personne. Les flots s'étaient creusés en de cruels traquenards, happant ceux qui avaient eu le malheur de glisser sur son bord pour les broyer. Les vagues s'étaient hérissées en autant de stalagmites effilées, empalant ceux qui étaient passés à portée, déchiquetant la tôle de l’hélicoptère massif qui n’avait pas eu le temps de décoller. Le rivage n'était plus que banquise. Un voile blanc implacable avait recouvert la végétation alentour, grignotant sans scrupules les herbes grasses, les feuilles, l'écorce. Même l'aurore qui pointait le bout de ses rayons ne saurait réchauffer ce glacier funeste.
Et, au centre de cette scène désolée, trônait une lugubre sculpture.

Ignorant les recommandations du soigneur, Blue se leva. Il marcha péniblement, d’un pas chancelant, en prenant appui sur Am-Stram-Gram dont les pattes redoutables étaient aussi bandées. Il serra la couverture autour de ses épaules, alors que le froid s’intensifiait à mesure qu’il approchait. Il passa comme un fantôme au milieu de l’escouade de Rangers, qui s’affairaient à venir en aide aux blessés, à menotter les criminels, à déblayer les corps. Il s’avança en tremblant sur la glace traîtresse, son Voltali et son ancien Dodrio s’assurant qu’il ne finisse pas lui-même dans l’un des pièges gelés.
Lorsqu’il s’immobilisa enfin, au pied du cristal étincelant, il se trouvait au coeur de l’hiver artificiel. Pourtant, quand il leva le regard sur le monument morbide, le frisson qui lui secoua tout le corps n’était pas dû aux températures extrêmes.

Vah’Ruta était figée pour l’éternité dans un épais sarcophage limpide. Ses écailles s’étaient déjà ternies, blanchies par le froid fatal qu’elle avait généré. Sa coque d’argent s’était craquelée par endroits, agressée par l’assaut boréal. Le cou dressé vers le ciel, ses yeux d’onyx n’étaient plus que deux globes vitreux, qu’aucune lueur ne viendrait plus animer. Plus aucun de ses chants cristallins ne s’écoulerait de sa gueule ouverte. Pourtant, l’écho de son ultime et sinistre mélopée résonnait encore aux oreilles de Blue.
Une douleur intense traversa sa poitrine, mais qui n’avait rien à avoir avec ses flancs meurtris. Ses doigts tremblants quittèrent la chaleur de la couverture pour effleurer la glace encore fumante. Le froid vint aussitôt lui brûler la peau… Pourtant, cela fut loin de le dissuader. Son front vint se poser contre le cercueil sibérien. Il ferma les yeux. Serra les dents.

« Je suis désolé… »

Son murmure s’étrangla dans sa gorge.

« Ce n’est pas votre faute, Docteur Oak, dit le Ranger qui l’avait suivi.
- Bien sûr que si… C’est moi qui ai attiré l’attention sur eux, avec cette stupide émission…
- Si cela peut vous consoler… Ils préparaient leur coup depuis bien avant que vous ne fassiez votre apparition. »

Le soigneur lui montra son PokéMatos.

« Pirater un programme aussi complexe que celui de Bill n’est pas à la portée du premier venu. C’est un travail de longue haleine, qu’ils n’auraient certainement pas pu réussir en aussi peu de temps.
- Mais je leur ai quand même donné une bonne raison d’attaquer maintenant…
- Vous ne pouviez pas savoir. On ne pouvait pas savoir. En revanche… » Le Ranger s’éclaircit la gorge, cherchant visiblement comment faire pour aborder le sujet à venir. « … Par mesure de précaution, nous avons complètement désactivé le programme sur toutes les balises actives. Au moins jusqu’à ce que l’on découvre où se situe la faille, et qu’on puisse corriger le tir. Mais… »

Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Cela signifiait aussi perdre la trace de toutes les hordes qu’ils suivaient depuis le début.

« Ca vaut mieux… » Balbutia Blue.

Il ne se faisait pas d’illusions, cependant. Si les braconniers avaient réussi à hacker l’application, alors il y avait de fortes chances qu’ils aient aussi mis la main sur toutes les données accumulées au sujet des Lokhlass. Leurs déplacements. Leurs zones de migration. Leurs habitudes. Tout ce qu’ils avaient patiemment obtenu pendant de nombreuses années d’études, de recherches, servi sur un plateau d’argent et perverti en quelques heures.

« … Je n’ai pas rêvé… Commença-t-il, un goût amer dans la bouche. Leurs uniformes. C’était bien…? »

Le Ranger hocha gravement la tête.

« Oui… C’est leur première opération d’une aussi grande envergure depuis l’affaire du Puits Ramoloss. Non, en fait… Je dirais qu’elle est même bien plus importante, au vu des moyens qu’ils ont mobilisés. Ca ne présage rien de bon pour la suite, j’en ai peur. L’ordre a déjà été donné de doubler les effectifs sur les zones à risque, mais… »

Mais la Team Rocket avait déjà prouvé maintes fois qu’elle se jouait de telles précautions. Elle savait frapper là où on l’attendait le moins, et il y avait fort à parier que pour une cible compromise, elle en avait déjà trois autres dans le collimateur.
Le soigneur posa une main qui se voulait amicale sur son épaule.

« Je sais que ce n’est pas facile, mais… Vous et vos Pokémon êtes blessés. Les premiers soins ne vont pas suffire, il faut que je vous conduise à l’hôpital. »

Blue hocha mollement la tête. Il se sentait vide. Dévasté. Anéanti. Tout comme ce jour où tout avait basculé… A la différence qu’alors, lui avait été le seul impacté. Aujourd’hui… Son dur labeur avait été réduit à néant, prenant au passage la vie de ces géants qui lui avaient octroyé leur confiance.
Les épaules basses, il se détacha enfin de la sculpture éternelle, la peau anesthésiée. Il s’engagea à la suite du Ranger sur la glace tortueuse, pour revenir vers la berge enneigée…

Quand un écho plaintif lui parvint aux oreilles.

Le Kantonais s’immobilisa aussitôt. Il releva la tête, sa nuque douloureuse se manifestant une nouvelle fois.

« Docteur Oak…?
- Chut ! »

Il se retourna, tous les sens en alerte. Il n’avait pas pu rêver. Sinon, Impulse n’aurait pas aussi réagi à ce son si diffus.

Pendant une poignée de secondes, il n’y eut rien d’autre que le silence et les craquements de la glace. La rumeur de l’escouade qui s’affairait à quelques mètres d’eux.
Mais soudain, un nouveau cri étouffé hanta la crique gelée, dans un faible murmure. Le coeur de Blue bondit dans sa poitrine, tiraillant sa cage d’ivoire. Il aurait reconnu cette voix entre mille.

Il s’approcha du pan de falaise, suivant le renard safrané dont l’ouïe plus développée localiserait bien plus facilement l’origine de la lamentation... Qu’il situa derrière la roche !

« Est-ce que vous avez un Sablaireau ou un Pokémon excavateur dans le genre ? » Pressa le chercheur roux en se tournant vers le Ranger.

Ce dernier acquiesça, en libérant une imposante taupe noire aux longues griffes métalliques. Le Minotaupe planta sa lame frontale dans la pierre, ajustant sa position selon les vibrations qu’il percevait. Dès qu’il établit l’emplacement exact, ses pattes se mirent en action, creusant la falaise avec autant de facilité que s’il s’était agi de sable. Une cavité à la régularité impressionnante se forma en un temps record, s’enfonçant légèrement dans le sol… Jusqu’à ce que la créature souterraine cesse sa besogne au bout d’une minute. Elle revint à la surface, poussant un cri bref.

« Il y a une ouverture dans la roche, » traduit son Dresseur.

Mais Blue n’avait même pas attendu son explication. Dès que le Minotaupe s’était suffisamment écarté, il s’était immédiatement engagé dans le boyau minéral, faisant fi des mises en garde du Ranger.

Sa descente était rendue ardue par ses blessures, qui ne manquaient pas de se faire sentir à chaque mouvement. Mais il s’en fichait. Les gémissements terrorisés de plus en plus proches étaient tout ce qui lui importait.
Enfin, il parvint à la grotte en question. Malgré la pénombre, il n’eut aucun mal à deviner le cou qui se dressait vers lui. Les iris brillantes de peur et de pleurs qui le dévisageaient avec appréhension.

« Sapphire ! »

A l’appel de son nom, la petite géante poussa une plainte bouleversante. Elle ne comprenait pas. Elle était perdue. Elle voulait sortir. Elle avait peur. Elle voulait voir les autres.

Blue sauta dans la pataugeoire où la poupon des mers était née quelques mois plus tôt. L’eau était gelée, et pour cause. La Glaciation avait condamné la seule issue, piégeant la toute jeune Lokhlass dans son refuge. Qui sait ce qu’elle serait devenue s’ils ne l’avaient pas entendue ?
Sapphire se pressa vers l’humain dès que celui-ci se trouva à son niveau. Elle poussa une note sanglotante, alors qu’il posait sa main sur son front, à la base de sa corne encore minuscule. Ses doigts glissèrent le long de ses écailles, peinant à croire qu’elle avait réchappé au massacre.

« Je suis là, ma belle… Ca va aller... »

Mais cela ne suffit pas à calmer la petite géante. Blue étreignit son cou dans ses bras, le front enfoui dans le creux de son encolure, dans une tentative qu’il savait par avance vaine de consoler la rescapée. Ses pleurs redoublèrent. Emplissant toute la caverne. Se déversant au dehors. Résonnant dans la crique gelée.

Mais ses appels déchirants demeurèrent sans réponse.

***
Un morceau d’Ecayon à la main, la jeune femme entra précautionneusement dans l’eau. Elle veillait à garder des mouvements lents, prévisibles, afin de ne pas brusquer la petite Lokhlass qui s’était réfugiée à l’extrémité du bassin. Blue était à ses côtés, caressant régulièrement son cou pour la rassurer, alors qu’elle ne quittait pas des yeux cette intruse, surveillant ses moindres faits et gestes. Celle-ci s’était arrêtée dès que ses deux chevilles s’étaient retrouvées immergées, attendant la suite.

« Pour le moment, ça a l’air d’aller… Constata le chercheur roux, sans cesser un seul instant ses attentions. Essaie d’avancer un peu. »

Leaf hocha la tête. Elle reprit doucement sa progression, s’appliquant à ne pas trop remuer l’eau. Plus facile à dire qu’à faire, cependant. Dès que ses genoux atteignirent la surface, marcher devint plus difficile, presque impossible sans provoquer d’éclaboussures sonores.
Face à elle, le Kantonais sentait les écailles frémissantes sous ses doigts. Sapphire était aux aguets, la tête légèrement baissée en pointant sa corne minuscule vers l’humaine. Elle soufflait par moment, trahissant son malaise. Mais elle restait tranquille pour le moment…

Enfin, jusqu’à ce que la Dresseuse s’approche du centre du bassin.
Une plainte aiguë quitta sa gorge, alors qu’elle commençait à s’agiter…

« Doucement, ma belle, prononça Blue d’une voix calme, en refermant ses bras autour de son cou. Tout va bien. Leaf est une amie. »

Mais la jeune Lokhlass ne voulait rien savoir. Ses gémissements se firent plus virulents, ses mouvements plus vigoureux… Au point qu’elle bouscula son soigneur, le faisant malencontreusement tomber dans l’eau.
Blue manqua de se faire assommer par les nageoires paniquées qui brassaient les flots. Il s’éloigna rapidement pour refaire surface… Et revint aussitôt vers la rescapée. Son ancienne assistante, elle, avait déjà fait machine arrière.

« Ca va, ça va… Murmura-t-il en attrapant le museau de Sapphire dans ses mains. Regarde, elle est partie. »

Malgré ses efforts, il fallut bien deux bonnes minutes pour que la petite géante retrouve son calme. Et même alors, ses flancs se soulevaient toujours à un rythme bien plus prononcé que d’habitude lorsqu’il quitta la piscine pour rejoindre sa protégée.

« Encore raté… » Se désola-t-il dans un soupir.

Trois mois étaient passés depuis l’attaque du Sanctuaire… Et le bilan était lourd.
Le cercueil de glace n’avait pas facilité l’identification des corps, mais ils avaient enfin pu mettre un nom sur les quatre Lokhlass figés pour l’éternité. Cobalt et Abysse avaient été les premières victimes de cette chasse sauvage, avant d’être rejoints par Bismuth et Vah’Ruta. Ils n’avaient retrouvé aucune trace de Liseron, Pastel ou des deux chipies. Elles avaient probablement dû être emportées dans les deux cargos volants, pour être revendues au plus offrant… Et bien entendu, même en réactivant l’application, il avait été impossible de les localiser.
De toute la horde, seuls Lagoon, Azurin et Sapphire étaient encore vivants ou en liberté. La première avait trouvé refuge dans un groupe au sud des Îles Ecume, à mi-chemin de l’Archipel des Sevii. Le petit Lokhlass, lui, avait eu de la chance… Il s’était d’abord enfui avec sa mère, profitant de la diversion offerte par la matriarche et la doyenne. Malheureusement, les blessures de Zora avaient été trop importantes, et n’avaient pas manqué d’attirer des Sharpedo. Le pauvre enfant avait été retrouvé plusieurs jours plus tard, à la dérive et complètement perdu, traqué par un Tentacruel qui en aurait bien fait son repas si les Rangers n’étaient pas intervenus pour le reconduire auprès de Lagoon.
Quant à Sapphire…

Ils n’avaient eu d’autre choix que d’aménager une piscine grossière, bien trop petite pour elle dans le jardin de Blue. Et pour cause : la poupon des mers refusait que quiconque d’autre que lui ne l’approche, et poussait des cris terrorisés dès que l’humain quittait son champ de vision. Pire, le chercheur roux avait été obligé de la forcer à se nourrir les premières semaines, comme elle refusait catégoriquement de s’alimenter. Et même si la situation s’était légèrement améliorée ces derniers temps, il se levait systématiquement toutes les nuits pour la rassurer dans ses cauchemars, alors que ses plaintes perçantes portaient jusqu’au laboratoire de son grand-père.

« Elle a quand même tenu un petit moment, elle reprend doucement confiance, » voulut relativiser la jeune femme.

Blue se passa une main sur ses yeux de Pandespiègle en hochant la tête. Le manque de sommeil lui pesait, mais il avait presque fini par s’y habituer au bout de trois mois d’un tel régime.

« Peut-être, oui… Merci encore de t’être déplacée, Leaf. Même si c’est pour pas grand chose…
- Mais non, ne dis pas ça ! J’ai vraiment envie de l’aider à aller mieux, même si c’est qu’avec des petits trucs comme ça pour le moment. »

Son mentor la raccompagna jusqu’à la rue. Sapphire poussa une légère plainte en le voyant disparaître au coin du mur, mais n’alla pas plus loin. Maintenant, elle ne paniquait pas tant qu’il restait dans l’enceinte de la maison.

Une fois sa protégée repartie sur son Tauros, le Kantonais passa encore un moment en compagnie de la jeune rescapée avant de retourner chez lui. Pour se laisser tomber sur le canapé du salon dans un gros soupir. Impulse lui bondit aussitôt sur les genoux, frottant sa frimousse hérissée contre sa main nonchalante. Il remercia d’un bref hochement de tête la Nidoqueen, qui venait de lui apporter une tasse de café bien serré.

« Merci Toriel… »

Il en avala quelques gorgées… Mais même le breuvage corsé ne suffisait plus à le maintenir complètement éveillé. Il était épuisé, dans un état de demi-sommeil constant. Au point que cela le rendait de plus en plus maladroit. Jamais la vaisselle de la demeure n’avait été autant renouvelée -à part peut-être la fois où Daisy s’était faite larguer par un jeune homme un peu trop naïf vis à vis de son caractère éruptif.
Trop à bout pour avoir le courage de monter jusqu’à sa chambre, il s’allongea sur le canapé. Son Voltali se roula en boule contre son ventre, alors que la dinosaure maternelle le recouvrait d’un plaid et laissa la radio en fond sonore pour le bercer. S’il pouvait profiter même d’une simple petite heure de sommeil…

Il n’eut même pas ce loisir.

Blue ouvrit grand les yeux en se redressant d’un coup, éjectant le renard safrané au passage. Lequel poussa un jappement courroucé…

« Chut ! » L’enjoignit son maître.

Surpris, Impulse se tut immédiatement. Le Kantonais se précipita jusqu’au poste de radio pour en augmenter le volume… Mais trop tard. L’annonce était déjà passée.

Laissant tomber la couverture sur le plancher, il fonça dans sa chambre, faillit rater sa chaise de bureau alors qu’il s’installait devant son ordinateur. Il pianota comme un dingue sur le clavier, maugréant à chaque fois que ses doigts éreintés tapaient à côté de la touche voulue…
Mais au bout de quelques minutes de recherche, la bonne combinaison de mots-clés l’amenèrent sur la page qu’il souhaitait. Ses yeux gris parcoururent le site, repassant plusieurs fois sur certaines phrases pour être sûr d’en comprendre tout le sens malgré son état de fatigue. Ses sourcils se fronçaient à mesure que sa lecture se poursuivait. Ils n’avaient quand même pas osé !

Le regard fixé sur son écran, les poings serrés, des pensées noires s’accumulèrent dans son esprit. Lesquelles se muèrent en une idée. Une idée folle. Idiote. Insensée. Mais qui, à l’instant présent, lui paraissait être la meilleure solution.
Il cligna des yeux en sentant quelque chose se frotter contre sa jambe. Il baissa le regard, pour croiser celui de son Pokémon.

« … Impulse. Je m’apprête à faire quelque chose de vraiment, vraiment stupide. Voire illégal. Ce qui veut dire pas de pull. »

Le Voltali écarquilla les yeux. Pour que son humain dise ça, c’est que ça devait être sérieux ! Mais, malgré ça…
Sans la moindre hésitation, le goupil survolté ôta son pull “My sweet DEERLING”, prit tout de même le temps de le plier soigneusement sur son tabouret… Et se planta devant son maître d’un air résolu. Lequel lui adressa un sourire complice.

« Une fripouille jusqu’au bout, on dirait, » s’écria-t-il en lui ébouriffant le sommet du crâne.

A vrai dire, il était soulagé que le petit être ait décidé de l’accompagner. Ses chances de succès étaient déjà presque nulles, alors autant donner un petit coup de pouce au destin et essayer d’attirer sur lui les bonnes grâces de Victini.

La Nidoqueen tourna vers eux une tête confuse quand ils descendirent. Il fallait dire que la tenue affichée par le chercheur roux était à des lieux de ce qu’il portait habituellement, avec ces vêtements amples et sombres…

« Toriel, prévint Blue, on va certainement s’absenter quelques jours, Impulse et moi. Veille sur Sapphire en mon absence, d’accord ? »

La créature lavande le dévisagea de son air craintif. Dans quel pétrin allaient-ils se mettre…? Mais elle finit par acquiescer, non sans que son coeur ne se serre dans sa poitrine en voyant sa famille sortir de la maison.

Mais avant de partir, le Kantonais fit un crochet par le bassin. Une note enjouée et soulagée l’accueillit, alors que la petite Lokhlass se précipitait à sa rencontre, pressant sa tête contre son torse.

« Saf’, dit-il d’un ton doux en lui caressant les écailles avec tendresse. Il faut qu’on s’en aille un moment. »

Un souffle anxieux lui répondit, alors qu’elle secouait la tête en se reculant.

« Hey, hey ! » Il lui attrapa la corne du bout des doigts, son autre main venant chercher l’une de ses oreilles en spirale pour l’obliger à revenir à sa hauteur. « Je vais revenir. Je te le promets. J’ai toujours tenu parole jusqu’à présent, non ? »

Une plainte gémissante se fit entendre. Elle le suppliait de sa voix, de ses yeux de ne pas la laisser.

« Toriel sera avec toi jusqu’à ce qu’on rentre. Elle est gentille Toriel, non ? »

La poupon des mers bredouilla un semblant de mélodie, à moitié convaincue. Son soigneur n’avait cessé de lui caresser la tête, avant de déposer doucement ses lèvres sur son front.

« Sois sage, d’accord ? »

Sapphire gémit une nouvelle fois. Mais elle ne cherchait plus à essayer de le faire changer d’avis. Elle avait senti qu’elle n’y parviendrait pas, malgré toutes ses suppliques. Tout juste put-elle le regarder s’éloigner, étirant le cou jusqu’à ce que la courbe de la route ne masque l’humain et son Pokémon.

***
Malgré l’heure avancée de la soirée, les rues de Céladopole ne désemplissaient pas. Une foule constante d’employés, jeunes gens ou personnes plus âgées évoluait dans les méandres de la métropole, dont les artères étaient aussi éclairées qu’en plein jour.
L’avantage, c’est qu’avec un tel monde, passer inaperçu était un jeu d’enfant. Blue avait simplement pris quelques précautions supplémentaires, en dissimulant sa tignasse rousse sous la capuche de son sweat-shirt par exemple. Il avait également mis le masque de tissu qu’il avait récupéré dans la salle de bain avant de partir pour rendre son visage méconnaissable -ce qui, au vu de sa petite célébrité, n’était pas un luxe compte tenu de ce qu’il avait l’intention de faire. Ca plus sa démarche nonchalante, les mains dans les poches, et il avait simplement l’air d’un jeune homme qui avait attrapé un rhume tout ce qu’il y avait de plus banal aux yeux des passants -et au vu des immenses valises qu’il se trimballait sous les paupières, son déguisement n’était pas difficile à avaler.

Il déambula un peu au petit bonheur la chance, Impulse sur les talons, resta même assis une bonne dizaine de minutes sur un banc proche de la somptueuse fontaine habillant le parvis de l’hôtel de ville après être revenu sur ses pas. Ce n’était pas tant qu’il ne connaissait pas la ville -Daisy l’y avait traîné bien assez souvent quand elle retrouvait ses amies de la fac- qu’il souhaitait rendre son objectif imprévisible pour toute personne l’ayant pris en filature. Pourquoi quelqu’un ferait une chose pareille ? Aucune idée. La fatigue n’aidait pas vraiment à le faire réfléchir correctement, et alimentait au contraire la paranoïa qui l’habitait depuis qu’il avait pris sa décision.

Enfin, bien deux heures après son arrivée sur Céladopole, il s’aventura dans le quartier des jeux. Il ne fit même pas attention aux quelques stands attrape-touristes qui pullulaient, marcha droit jusqu’au bâtiment principal.
Le Casino avait peut-être eu une phase difficile après la mise au jour de ses véritables propriétaires, mais celle-ci était bien loin derrière lui. L’établissement était plus étincelant encore que dans le souvenir du chercheur roux, avec ses colonnes dorées et son tapis rouge accueillant les clients, flanqué de tout un lac artificiel où de nombreux jeux d’eau et de lumière se succédaient continuellement. Visiblement, le nouveau maître des lieux avait bien su rebondir. Ou alors, l’avarice des gens était trop importante pour s’arrêter à des questions d’éthique comme le financement du crime organisé.

« Impulse, on fait comme on a dit, » murmura Blue, dont la voix fut encore plus étouffée avec le tissu sur ses lèvres.

Le goupil survolté approuva d’un grognement, et fila à l’intérieur en se faufilant entre les jambes des passants. Son maître le suivit quelques minutes plus tard, mais s’arrêta au pied d’un des piliers du hall resplendissant de richesse. Il sortit son PokéMatos, prenant l’appel fictif qu’il venait faussement de recevoir.

Il n’eut pas à attendre bien longtemps. Les lampes vacillèrent légèrement, signe que le Voltali était passé à l’action… Et une clameur retentit alors dans tout le Casino, suivie d’applaudissements nourrie. Quelqu’un venait d’obtenir un Lucky Seven aux machines à sous, et les jetons tombaient en pluie sur l’heureux vainqueur. Trois Mackogneur passèrent rapidement à côté de Blue sans le remarquer, certainement mobilisés pour investiguer sur cette victoire un peu trop aléatoire. Forcément, depuis l’incident avec le précédent propriétaire et la facilité déconcertante avec laquelle le minable avait réussi à infiltrer leurs locaux, il fallait trouver autre chose qu’appuyer sur un bête bouton derrière une affiche pour accéder au butin.

Le petit être hérissé revint rapidement vers lui, alors qu’il se dirigeait vers l’aile des gains. Une dizaine de personnes faisaient la queue devant les guichets, attendant d’échanger leurs jetons contre des objets… Ou des Pokémon. Tous garantis d’élevages certifiés, vantait une affiche. Tss, tu parles…
La rumeur de la salle de jeux gagna en intensité, alors qu’une petite foule investit le lieu en portant l’heureux gagnant. Le visage cramoisi, les yeux brillants, l’employé de bureau avait du mal à croire en sa chance.

« J-je… Bredouilla-t-il une fois devant l’hôtesse, les autres clients s’étant écartés en applaudissant à leur tour. Je crois que j’ai ga-gagné le premier prix… »

Deux autres personnes l’aidèrent à poser les seaux plein à rabord sur le comptoir.

« Toutes mes félicitations ! On dirait que Victini vous a souri ! »

La jeune femme en uniforme se retourna pour ouvrir la vitrine subtilement décorée derrière elle. Elle prit délicatement l’épais coussin rouge, sur lequel trônait une Luxe Ball flambant neuve. Mais, alors qu’elle tendait la récompense…
Impulse lâcha une pleine décharge dans la prise qu’il avait repérée. Dans un crépitement sinistre, des étincelles surgirent hors des orifices… Avant de plonger le Casino entier dans le noir !

Des cris paniqués secouèrent l’assemblée. Mais déjà, Blue était passé à l’action.
Il fonça jusqu’au guichet, sa main se refermant sur la capsule vulnérable. Il la glissa dans la poche de son sweat-shirt, avant de s’éloigner d’un pas rapide. Il devait atteindre la sortie au plus vite, avant que…

Le générateur de secours se remit en route bien plus vite que ce qu’il aurait pensé. Il avait à peine posé un pied hors de la pièce que les lumières revinrent, et avec elles les roucoulements des machines à sous… Et les exclamations stupéfaites des personnes dans l’aile des gains. Sans prendre le temps de réfléchir, Blue eut le réflexe de se mettre à courir… Ce qui, bien évidemment, ne fit qu’attirer l’attention sur lui. Deux Mackogneur se placèrent en travers de sa route, un rictus mauvais aux lèvres alors qu’ils étiraient leurs quatre bras. S’il pensait pouvoir les passer comme ça, alors il se fourrait le doigt dans l’oeil jusqu’au…!
Des vipères grésillantes s’abattirent sur les deux malabars, les foudroyant sur place. Avec une telle abondance d’électricité, Impulse n’avait eu aucun mal à amplifier son attaque. Le Kantonais ne s’éternisa pas plus longtemps : il passa les portes de l’établissement, avant de s’enfuir dans les rues.

Malheureusement… S’il avait réfléchi à son plan jusqu’à ce point, il avait omis un détail pourtant crucial. Il n’avait strictement aucune idée de comment se sortir de cette situation. Epuisé comme il était, il n’avait même pas pensé que son signalement serait aussitôt transmis aux autorités… Et l’apprit à la dure alors qu’il émergeait d’une ruelle sombre pour rejoindre la gare. Il pila en voyant les agents de police qui stationnaient devant les marches, vérifiant l’identité de chaque voyageur désirant entrer dans le bâtiment. Blue tourna immédiatement les talons pour rebrousser chemin… Mais à l’aboiement hostile de l’Arcanin derrière lui, il sut aussitôt qu’il était grillé.
Il courut pendant encore de longues minutes, se débarrassant de son masque qui lui entravait la respiration… Pour finalement se retrouver dans une impasse. Il était piégé ! Il n’avait même pas de créature volante ou douée de téléportation pour l’aider à fuir -mais même si ça avait été le cas, les autorités étaient certainement en train de surveiller l’espace aérien de la métropole, et il était possible qu’ils aient mobilisé un champ de force temporaire pour empêcher les bonds spatiaux.

Un vent de panique lui secoua l’échine, alors que ses yeux engourdis par le manque de sommeil scrutaient frénétiquement le cul-de-sac. Ca ne pouvait pas se finir comme ça, quand même…!
Heureusement pour lui, Impulse avait suffisamment de jugeote pour deux. Il poussa un léger jappement en grattant la bouche d’égout qu’il avait dénichée.

« Bien joué, bonhomme ! »

Avec toute la peine du monde, ses muscles trouvant que décidément, eux aussi aimeraient bien un peu de repos, il réussit à soulever et décaler la plaque. Il dévala l’échelle, sans même penser à couvrir sa fuite.

L’idée était bonne sur papier… Mais dans les faits, Blue était encore moins familier du réseau souterrain qu’il ne l’était avec les petites rues de Céladopole. Il s’aventura au hasard des embranchements dans les canalisations, sous les regards étonnés des Tadmorv, dérangeant les Rattata dans leur repas. Il se perdait lui-même dans ce dédale nauséabond…

Si bien que ce qui devait arriver arriva.
Pour la deuxième fois en l’espace de cinq minutes, les deux fugitifs se retrouvèrent bloqués. Ils furent obligés de s’arrêter sur le rebord d’un bassin où stagnait une eau putride. Et cette fois-ci, aucune issue ne se présentait à eux.

« Tant pis… » Marmonna le chercheur roux en sortant la capsule volée.

Il fit pivoter l’interrupteur, avant de l’activer. Un éclair de jade en jaillit, illuminant les murs crasseux des égouts alors qu’une masse atterrit dans la cuvette.
La Lokhlass s’ébroua, heureuse d’être enfin à l’air libre… Mais poussa une plainte en sentant les relents fétides et le liquide infect dans lequel elle baignait. Avisant l’humain face à elle, une note soulagée quitta sa gorge alors qu’elle vint presser son front contre son torse.

« Moi aussi, je suis content de te revoir, Lapis… » Murmura-t-il en caressant sa tête.

Malheureusement, ils durent écourter leurs retrouvailles. L’écho des bottes marchant dans les écoulements leur parvenait, et n’allait pas en faiblissant.

« Lapis, écoute-moi. Il faut que tu partes. »

La jeune géante le regarda avec incompréhension, souffla nerveusement.

« Lagoon et Azurin sont encore en vie. Ils sont avec une horde, pas loin des Sevii. Tu sais comment y aller ? »

Elle secoua la tête, mais Blue n’était pas certain que ce soit en raison de son ignorance.

« Va jusqu’aux Îles Ecume, poursuivit-il, imperturbable. Ensuite, c’est plein sud. Je suis sûr que tu peux les retrouver, j’ai confiance en toi ma belle. »

A ces mots, la petite chipie étira son cou, chercha à passer sa tête derrière le dos de l’humain pour l’inciter à monter sur sa carapace… Mais celui-ci se déroba.

« Non, Lapis. On peut pas te suivre. »

Une supplique gémissante lui répondit, lui brisant le coeur. Mais il devait tenir bon.

« Il faut encore que je retrouve Lazuli et vos mères à toutes les deux. On peut pas partir maintenant. Mais toi, si. »

Lapis secoua la tête en soufflant, bien décidée à ne pas le laisser derrière alors qu’au fond, l’écho s’était mué en des bruits de plus en plus nets. Il n’avait plus le temps d’essayer de la raisonner.

« Impulse, » fit-il, les dents serrées.

Les oreilles plaquées contre son crâne, le renard safrané hocha tristement la tête. Sa fourrure dorée se dressa… Et une salve d’aiguilles se mit à pleuvoir à quelques centimètres seulement de la jeune géante des mers. La Lokhlass n’eut d’autre choix que de reculer en poussant des notes déchirantes.

« VA-T’EN ! » Lui hurla le chercheur roux.

Lapis tenta une dernière fois de le persuader de venir avec elle… Mais une nouvelle flopée d’épines fut tout ce qu’elle obtint. Le coeur tiraillé par le chagrin, elle échangea un long regard suppliant avec son sauveur. Et plongea dans l’eau épaisse.

Blue poussa un soupir soulagé, en voyant ses nageoires disparaître dans les flots fétides.

Peu lui importait, désormais, se dit-il alors que la police surgissait derrière lui.