Némésis - ou une simple histoire de vengeance. de Akatsuuki

De toutes les personnes que Clément avait imaginé voir débarquer un beau jour devant la porte de son appartement minable, Erika était sûrement dans le bas de liste ; pas forcément la dernière, il y avait d’autres personnes qu’il était inconcevable de revoir, mais la jeune femme n’était sûrement pas l’une des premières non plus. Depuis combien de temps n’avait-il pas revu ses cheveux de jais, et ses puissants yeux chocolat ? Il ne saurait dire, et à vrai dire, n’avait pas eu le temps de se poser la question. Était-ce les effluves d’alcool qui hantaient son subconscient d’étranges mirages ? Cette probabilité était encore sûrement plus élevée que la réalité qui se dessinait devant lui.

- Tu … Tu es bien Erika ? Je ne délire pas ?

Comment en était-on arrivé ici ? Il ne saurait dire. Quelqu’un avait juste massacré sa porte de coups, alors que dehors, le soleil était à peine levé. En effet, Solgaleo baignait tout juste la cité d’un léger voile coloré, mais la voûte céleste restait tout de même encore d’une obscurité timide. Clément s’était levé difficilement, se tenant le crâne, où il lui semblait qu’un millier de Triopikeur étaient en train de creuser. Il portait encore la même chemise entrouverte de la veille, ses désormais longs cheveux mauves traînant en une vieille queue-de-cheval dans son dos. Il n’avait pas prévu de croiser d’autres personnes que ses voisins - ou le jeune serveur de son bar favori - et de ce fait, une sorte de barbe de trois jours colorait le bas de son visage. Cependant, ses prunelles, d’habitude d’un bleu fade et cerné, s’étaient illuminées de surprise en découvrant qui se tenait derrière la porte.

- Qui d’autre, souffla la jeune femme en détournant le regard, ça fait longtemps, Clément.
- Qu’est-ce que tu viens faire dans ce genre de quartier ?, ne put-il que répondre

Il avait sombré. Depuis que la Ligue lui avait arraché tout ce pour quoi il s’était battu durant sa jeunesse, tout ce sur quoi sa fierté s’était construite, il s’était perdu. Il avait été durant près de quinze ans Conseil 4 de la grandiose Ligue de Kanto, fuyant Johto et son passé trouble. Il y avait découvert force et honneur, avait excellé dans sa profession, s’était en quelque sorte fait adopter par la région orientale ; mais en vingt ans, le monde avait bien changé. La Ligue n’était plus qu’une dictature monochrome et fade, qui ne jurait que par le combat Pokemon. Les inégalités entre dresseurs et non-dresseurs s’étaient creusées, et désormais, la fissure semblait irréparable.

- J’ai besoin de ton aide, déclara Erika, alors que ses prunelles trahissaient une détermination malsaine mais sans égale

Depuis toujours, la jeune femme s’était montrée vaillante, n’hésitant pas à combattre et écraser ses adversaires. Malgré sa silhouette fine, elle s’était révélé être une dresseuse de taille, et son badge Prisme s’était fait une réputation certaine, démontrant ainsi le puissant niveau de ses Pokemon. Et même si désormais, il semblait à Clément que son ancienne camarade avait laissé son titre à l’une de ses disciples, elle n’en restait pas moins une renommée professeur de l’université de Niji, la ville arc-en-ciel.

En effet, depuis les exploits du jeune Red sur la Team Rocket et son démantèlement complet deux ans plus tard, la région n’avait eu de cesse de se développer, autant physiquement qu’industriellement. Les mégalopoles qu’étaient Safrania et Céladopole s’étaient drastiquement étendues, ne faisant rapidement plus qu’un et prenant ainsi le nom de Niji. Cependant, cette croissance n’était qu’une face de la pièce: pile voilait son visage aux yeux du monde, cachant aux curieux la pauvreté de villes comme Argenta.

- Mon aide ?, ne put que demander l’ancien dresseur en se grattant le crâne, qu’est-ce qu’une professeur réputée de Niji vient demander à un pauvre gars qui vit sûrement dans le quartier le plus malfamé de la ville ? Ça fait cinq ans que je vis ici et je ne t’ai vu que sur des affiches.

Erika afficha une mine légèrement contrariée ; il n’avait pas tort, et elle le savait. Cependant, il n’y avait que lui qui puisse l’aider, il était sa dernière carte dans son jeu déchiré. Et même si cela bafouait plus son ego que l’on ne pourrait le penser, elle n’en avait plus rien à faire. Elle était capable de jeter son honneur aux Némélios, le laisser brûler pour atteindre ses objectifs. La vengeance était un plat qui se mange froid, après tout ? Alors pourquoi s’encombrer d’une fierté brûlante ?

- Tu ne me laisses même pas entrer ? C’est la moindre des politesses tu sais, demanda-t-elle en guise réponse

Clément soupira, hésita un instant. Mais bon, qu’avait-il à perdre ?

De ce fait, l’ancien Conseil 4 se décala légèrement, laissant son ancienne camarade pénétrer à l’intérieur de l’appartement. Ce n’était qu’un petit couloir affublé d’un salon obscur, où les canettes de bières éventrées côtoyaient les restes de nourritures et de vaisselles sales entassées dans l’évier. Quelques vêtements étaient aussi dispersés au sol, alors que la lumière du jour perçait délicatement les rideaux abîmés.

- Fais pas gaffe au bordel, murmura le mauve en refermant la porte d’entrée, tandis que Erika semblait juger d’un regard hautain la décadence de l’ancien dresseur redouté
- Je pense vraiment que tu es le mieux placé pour m’aider …

Erika avait dit ça en rigolant nerveusement, ce qui ne fit que renforcer le scepticisme du garçon. Que se passait-il ? Dans quels problèmes compliqués voulait-elle l’embarquer ? Il n’était plus personne, juste un vieux soûlard au fond d’un appartement parfaitement à son image.

- Qu’est-ce que tu veux ?, réitéra-t-il, maintenant que la noire n’avait plus d’échappatoire
- Je … Je veux tuer Peter.

Les prunelles bleues de Clément semblèrent à deux doigts de sortir de leurs orbites respectives tant cette réponse était incroyablement stupide – en plus d’être la dernière chose à laquelle il s’attendait. Sérieusement, cela devait une caméra cachée, il n’y avait pas d’autres choix. « Aujourd’hui, au programme de Canal 2 TV, un ancien Conseil 4 se fait surprendre par l’une de ses anciennes connaissances ! Croyait-il vraiment qu’elle s’intéressait à lui ? ». C’était parfait comme accroche non ?

- Tu te fous de moi ? Tuer Peter ? Arceus sait à quel point je veux qu’il crève, mais faut pas pousser Erika.

Sérieusement, une partie de lui avait envie d’attraper les mains de la noire et lui dire qu’il accepterait n’importe quel plan débouchant sur la mort du Maître Dragon. Cependant, il fallait être réaliste : jamais il n’y arriverait. Il était devenu intouchable. Toutes les offensives à son encontre avaient fini par déboucher sur des situations le mettant encore plus en avant, et désormais, il était le leader incontesté de Kanto.

Comment cela était-il arrivé ? Assez simplement à vrai dire. Les années avaient passé, le combat Pokemon s’imposant comme l’unique justice de ce monde. Et lorsqu’il y a une petite douzaine d’années, un groupe nommé µw avait décidé de réaliser une sorte de coup d’état pour démettre Peter de ses fonctions, cela n’avait donné qu’un futur encore plus sombre : la Ligue était devenue une véritable dictature, simplement. Et le fil du temps ne faisait que renforcer sa puissance.

- Absolument pas, pesta Erika en détournant le regard, j’ai tout essayé. Tout le monde a tout essayé. Ce monde est en train de faner, mais je suis égoïste, ce n’est pas ça qui m’inquiète …

Elle avait dit cela avant d’à nouveau rigoler nerveusement, se tenant le bras gauche.

- Quoi alors ?
- L’incendie de Safrania.

Le grand incendie d’il y a deux ans ? Certes, Niji avait pris ce nom il y a déjà sept ans, mais les habitués ne pouvaient s’empêcher d’appeler les deux quartiers principaux par leur nom d’antan. Cependant, quel rapport cela avait-il avec l’arrivée de Erika ?

- J’y …, commença-t-elle avant d’inspirer une énorme bouffée d’oxygène, j’y ai perdu tous mes Pokemon.

Le regard de la jeune femme se voila instantanément de larmes, alors que Clément ne put qu’afficher un air étonné. Il n’en savait rien, et était désolée pour la noire. Il connaissait cette douleur, l’avait lui-même ressentie. Cependant, il lui semblait qu’à travers la tristesse de Erika, un désir de vengeance encore plus fort que le sien brûlait.

- Joliflor était dans le coma, mais a succombé de ses blessures avant-hier … Je pensais, je ne sais pas … que si au moins elle survivait, ma colère serrait atténuée … Mais je dois les venger, tous les venger … Cet incendie, tu en connais la cause non ?

Son ton était glacial, comme si Artikodin avait soufflé ces quelques mots. Cependant, il connaissait bel et bien la raison pour laquelle humains et Pokemons avaient péri cette nuit-là : la Ligue avait tenté d’annihiler le K0, l’organisation rebelle la plus puissante de ces dernières années. Reconstruite sur les ruines de µw, elle-même avait tenté en vain un assaut contre la Ligue : et cela avait fini par la destruction d’une partie de Niji.

Et ce jour-là, Clément avait pensé pour la dernière fois à tenter de vaincre la Ligue. A partir du moment où des dresseurs de légendes tel que Gold ne pouvaient rien faire face à la surpuissance de Peter et des sbires, comment pourrait-il ? La SYLPH était entrée sous leur contrôle total, permettant à leurs Pokemons une montée en puissance à faire pâlir chacun des dresseurs de cette région.

- Tu n’as aucun moyen d’y arriver Erika, c’est de la folie. Oublie que tu es venu me voir et j’oublierai aussi, déclara de ce fait Clément en invitant la dresseuse à sortir

Erika était énervée, triste, vexée, affligée ; il pouvait parfaitement le comprendre, mais de là à s’opposer à la Ligue, c’était encore autre chose. Il n’était pas suicidaire – sinon, il ne serait plus là depuis longtemps, pour sûr.

- Tu veux reprendre ta place non ?, s’exclama alors la jeune femme, tu as été viré de ton poste juste parce que c’était Aldo et Koga qui t’y avaient placé, tu connais autant que moi l’injustice de ce monde !
- Erika !, répondit alors l’ancien dresseur d’une voix grave, empêchant la jeune femme de continuer, je ne suis plus rien qu’un inconnu, je ne suis plus un dresseur ni rien ! Si le K0 n’a pas réussi, qu’espères-tu faire ?!

Tout était trop brusque pour lui. Il y a dix minutes encore, il n’était que l’ombre de lui-même, comatant dans une sorte d’état second, ses rêves étant tout aussi vide que sa misérable vie. Et maintenant, l’ancienne championne de Céladopole venait lui demander à tuer le monarque de Kanto ?!

Eh bien désolé pour elle, mais il allait se contenter de retourner se coucher et ignorer totalement cette discussion ; et surtout, il n’aurait aucun remord. Erika était littéralement arrivée comme une fleur, ne requérant sa présence qu’à l’instar d’un outil dont elle avait besoin pour atteindre son but. Et jamais il ne perdrait la vie pour une raison aussi absurde. Elle n’avait qu’à mourir seule.

- Tu es un ancien Conseil 4 !, s’écria cependant Erika, tu es celui qui connaît le mieux les lieux ! Je ne demande pas à ce que l’on remette en place tout le système, la nouvelle génération le ferra sans soucis. Je veux juste tuer Peter.

Se rendait-elle compte de ce qu’elle disait ?! Elle n’était ni la première ni la dernière à porter ce souhait à Jirachi, et ce n’était que de l’arrogance pure de penser que elle réussirait.

- Si j’étais utile, pourquoi le K0 ne m’a jamais demandé hein ? Ouais, si j’étais utile je ne serais pas devenu le dépravé que je suis !, répondit alors Clément en ouvrant les bras, comme pour dévoiler sa colère au monde, va demander à Koga ou Aldo, ils sauront sûrement mieux que moi ! Alors maintenant, sors d’ici, je ne veux plus jamais te revoir.
- Tu veux sauver Marion, non ?

Clément s’arrêta alors brusquement de bouger, son regard se figeant à l’instant-même où le nom de son ancienne amie avait été prononcé.
Erika était venue en connaissance de cause. Il ne savait pas pourquoi elle lui demandait de l’aide, à lui, mais ce dernier argument avait été prononcé trop calmement, trop distinctement, pour n’être que le fruit de la frustration de la noire. Et rien que pour ça, Clément avait envie de souhaiter la mort et de Peter, et de Erika.

- E-Et comment tu comptes t’y prendre ?, souffla-t-il alors dans un mélange d’espoir et de désespoir, de surprise et de colère, il me semble que tu n’as plus de Pokemon.
- Dans un monde où le combat Pokemon est la seule justice, il faut passer à autre chose.

Erika tendit alors sa main vers le mauve, où un objet était dissimulé sous un tissu blanc. Ainsi, avec une angoisse presque palpable, l’ancien Conseil 4 souleva délicatement le mouchoir immaculé.

- Tu es sérieuse ?, demanda-t-il alors
- Plus que jamais, répondit alors simplement la noire en pointant le pistolet brillant vers le ciel

Et à ce moment-là, Clément sentit plus que jamais qu’il devait faire demi-tour. Il ne réfléchissait pas vraiment, répondant à Erika sous le coup de la fatigue et des effluves d’alcool encore présentes. Cependant, pour une raison qu’il ignorait, il ne voulait pas refermer les yeux – et Clément présuma alors que cet instant serrait sûrement son dernier de répit.