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D'ombre et de sang, Livre I : La Grande Guerre Primale de Serian Norua



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Informations

» Auteur : Serian Norua - Voir le profil
» Créé le 15/06/2018 à 17:54
» Dernière mise à jour le 20/06/2018 à 01:13

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Fantastique   Présence de poké-humains   Science fiction

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Ch.1 : Présage de mort
Et ainsi le héros de Mithrandir se leva, suivi de sa majestueuse flotte. L'empire tremblait devant le roi né du peuple lui-même.
Le nébuleux, II, 4

Parmi les bourrasques sableuses de Carinae, une silhouette noire fend le désert. Un homme, seul, avance. Perdu dans un vieux manteau sale et déchiré, sa tête est protégée par un foulard sombre. Derrière, ses yeux sont cachés par des lunettes poussiéreuses. Il avance lentement, par petits pas, les jambes lourdes d’une marche sûrement longue et épuisante. Sur son épaule, il tient un long fusil. Une arme estampée de l’emblème impérial, aussi poussiéreuse et en piteux état que le voyageur lui-même.

Sous ses pieds, le sol se met à trembler et le sable remue, bien qu’imperceptiblement au milieu des vents violents. A une cinquantaine de mètres dans le ciel, un vaisseau rouge et noir le survole, provoquant un puissant vrombissement dans l’air. Sans s’arrêter, l’homme l’observe du coin de l’œil. Un navire du Consortium, il le reconnaît. Le tas de ferraille se dirige vers l’Ouest, probablement en direction de la Gran Matanza. A vrai dire, il n’est pas certain. Peut-être est-ce simplement un vaisseau Yukon. Les Yukon, c’est ainsi qu’on appelle les trafiquants. Ils ont de tout à l’intérieur, et certainement est-il rempli de morceaux de corps emballés, prêts à la revente.

Il n’y prête pas plus attention ; sa route a été longue, et sur Carinae cela arrive souvent. C’est ce qui fait le charme de la planète, après tout. Les esclaves maltraités, et le trafic. Au loin se discerne une tour, perçant les nuages de sables et contrastant avec le ciel orange. Une construction sombre, un ramassis de morceaux d’aciers dont le sommet semble n’avoir jamais été fini. Autour, des Ptéra la survolent. Arceus seul sait s’ils appartiennent aux Yukon, ou s’ils ont élu domicile là-haut. Qu’importe, personne n’ira les chercher là-bas de toute manière.

La chaleur est pesante, le soleil perce mal l’atmosphère de la planète, mais l’effet de serre est incroyable. A peu de choses près, on pourrait croire Phaeton moins brûlante. L’homme le sait, il connaît Mithrandir. Il a voyagé, après tout. Il a voyagé et vu des choses auxquelles d’autres n’auraient survécu. A sa ceinture, protégée par les pans de tissu déchiré, pend une Pokéball. Elle aussi est sale, et certainement a-t-elle vécu longtemps. A l’intérieur, le seul compagnon de l’homme solitaire. Mais il ne le montre pas. C’est dangereux, ici c’est de la chair fraîche.

Bientôt, il arrive au pied de la grande tour. Du sable s’accumule à l’entrée. Rien de bien spécial. Il s’avance dans l’antre dont les murs sont couverts de rouille et descend quelques marches. Un escalier étroit, laissant à peine la place pour deux humains. En bas, beaucoup de bruit. Une grande salle basse de plafond où la lumière n’est assurée que par des lampes au nebulae brut. Le genre très polluant, de faible qualité et n’offrant qu’un faible éclairage. De loin, on dirait de simples lanternes pendouillant mollement au plafond.

Un groupe de gens s’est accumulé autour d’une cage, criant et agitant des Pokédollars aussi froissés que sales. Dans la cage, un homme et un Pokémon se battent. Le voyageur s’y connaît un peu, la créature est un Crocodil. Ses yeux sont rouges, emplis de haine, et son corps couvert de marques de fouet. L’autre est un être visiblement chétif, nu comme un ver. L’un de ses bras traîne au sol, dans une mare de sang. Ça aussi, c’est courant. Parier sur des petits combats d’esclaves rapporte toujours plus que la Gran Matanza. Le Crocodil fond sur l’humain, et prenant sa tête dans sa gueule, s’entête à la lui arracher. Le supplice dure longtemps, et sous les cris fous des spectateurs les chairs se décrochent. Finalement, le corps blanc décapité tombe au sol. L’homme tourne les yeux.

Derrière, les autres hurlent de joie et jettent un nouvel abruti confus dans la cage. Le voyageur solitaire continue sa route, évitant les groupes qu’il croise. Tout autour, des gens sont assis autour de petites tables, sirotant toutes sortes de boissons. C’est bruyant, très bruyant. L’air est opaque, épaissi par la fumée des nombreuses cigarettes fumées ça-et-là. Des cigarettes nébuleuses, c’est ce que fument les pauvres. Ils n’ont pas assez d’argent pour avoir droit à la plante de tabac, alors ils tirent sur ces bâtonnets remplis de poudre de nebulae. Hautement toxiques, hautement inflammables. Un vrai petit explosif de poche dont on se remplit les poumons.

Il avance jusqu’au fond de la salle, découvrant dans le mur une petite entrée. Un rideau de fils fait office de porte, et celle-ci est encadrée par deux soldats. Eux, ce sont des Yukon. Ils portent l’ancienne tenue impériale du Consortium, une armure sale et endommagée plus que de raison. Ce sont deux humains assez grands. Suffisamment pour dominer de quelques centimètres le voyageur, qui lui-même n’est pas petit. Impossible de voir leur visage, caché derrière un casque noir terne. Tous deux tiennent une lance dont le talon est posé au sol.

Ce sont des armes impériales d’ancienne génération. L’esclavagisme est autorisé, mais pas le trafic non encadré. C’est une spécialité du Consortium, cependant, mais ça doit rester invisible. Alors on a les Yukon, c’est eux qui s’occupent du sale boulot. Bien qu’affiliés au Consortium, ils sont considérés comme des criminels, et ainsi tout leur équipement, allant de leurs armes à leurs vaisseaux, sont obsolètes. La pointe de l’arme forme un demi-cercle, dans lequel passe un éclair bleu. Rien de très sophistiqué, une vieille arme au nebulae.

L’homme fait un signe aux deux soldats qui restent de marbre. Il passe le rideau et tombe sur un petit escalier aussi sombre qu’étroit. Derrière, le brouhaha se fait plus contenu, moins angoissant. Il fait plutôt place à de la musique, un vieux titre de jazz qui résonne. Arrivé en bas de la quinzaine de marches, il pénètre dans une pièce aussi piètrement éclairée que la précédente, mais nettement plus calme. C’est d’ici que provient la musique, jouée sur un vieux tourne disque de l’époque H’Ronienne. Un véritable objet de collection, pour ainsi dire ; le châssis est en corne de Rhinastoc – un matériau pour sûr très rare – et le bras en acier nébuléen.

Le tourne disque est posé sur un petit meuble en bois raffiné, près du comptoir d’un bar classe. Des gens sont assis à quelques tables, discutant en silence. Au fond, il aperçoit ce pour quoi il vient. Ou plutôt pour qui il vient. Il s’approche. Trois gardes sont postés contre le mur, derrière une large table ronde. Un personnage s’y trouve. Un eneru. Rien d’étonnant à ça, en près de deux mille ans la population eneru a été dispersée dans Mithrandir. On en croise partout, et justement l’homme se rappelle en avoir vu dans la salle précédente. Un mélange contre-nature, c’est certain. L’eneru est donc mi-homme mi-Granbull. Un personnage très gras, vêtu d’une chemise blanche salie et de bretelles marrons. Sa peau est un mélange de beige et de mauve, et sa face a tout du Granbull : deux énormes dents surgissant de sa mâchoire inférieure, un petit nez sombre rabougri similaire à une truffe, et deux grandes oreilles tombantes.

Le voyageur s’avance jusqu’à lui et ôte son foulard et ses lunettes, révélant un humain à la peau noire et aux cheveux blancs courts. Ses yeux sont ternes, et une cicatrice barre sa joue gauche jusqu’à sa lèvre. L’autre lève le regard vers lui.

— Ah, Ysan ! Prends place, dépêche-toi.

L’homme s’exécute, s’asseyant sur une vieille chaise en bois face au gros chien. Celui-ci joue avec des liasses de Pokédollars. Certains billets sont tâchés de sang, d’autres sont par endroits encrassés de poussière, tous sont froissés.

— Tu en as mis du temps. Pourquoi ?

Sa voix est grave, presque métallique. La créature dégage tant une impression de force que de dégoût au vu de l’imposant tas de chair qu’elle constitue.

— Mes excuses, baron. Je me suis trouvé en difficulté face aux Alfheids.

L’autre fronce les sourcils, plissant ses yeux déjà petits. C’en est presque ridicule.

— Ces foutus hippies… gronde-t-il. Qu’est-ce que le Consortium attend pour les massacrer jusqu’au dernier ?!

Le dénommé Ysan passe une main dans son manteau noir pour en extirper un petit paquet rectangulaire. Des cigarettes. Il l’ouvre et s’en saisit d’une qu’il porte à sa bouche. Rangeant le petit morceau cartonné, il sort un briquet semblable à un zippo. L’objet est tout rouillé et sale, mais au moins il fonctionne. Au nebulae, comme la cigarette. Ici, tout marche au nebulae brut. Sa version raffinée est pour les vaisseaux, les centrales, etc. et la version brute, c’est le cancer Mithrandien qu’utilisent quotidiennement des milliards d’humains. Frottant la pierre, une flamme bleue dégageant une fumée noire sort. Il allume son bâtonnet beige, et sous la braise la même fumée s’en échappe.

— Vous savez bien, dit-il, que le Consortium ne peut pas. Ce serait se discréditer auprès de l’empire. C’est aux Yukon qu’il incombe de faire cette tâche.

Le gros eneru reste à fixer la table, perplexe. De sa main droite, desquels doigts sortaient des griffes, il tapote la large plaque de bois. De l’autre, il caresse ses billets verdâtres.

— Combien ils sont ? demande-t-il en relevant les yeux vers Ysan.

L’intéressé prend une grande bouffée, puis la recrache avant de répondre.

— Je dirais une cinquantaine, au bas mot. Ils sont retranchés dans les vieilles ruines de Cadmus. J’ai réussi à identifier deux de nos vaisseaux. L’un est démonté, l’autre est encore entier.

Face à lui, le baron enrage, les poings serrés. Il tourne le regard vers ses billets, et comme pris d’une angoisse soudaine se met à les compter. Ysan fronce les sourcils. Lorsque le baron Medelron est sous stress, il compte son argent. C’est là qu’il sait prendre les plus mauvaises décisions. Pas les plus stupides ni les plus irréfléchies, non. Les plus violentes. Quand sa richesse est menacée, il réagit avec la plus grande cruauté.

— Ces vaisseaux nous ont coûté des fortunes… grince-t-il. Et ce n’est même pas la peine de demander au Consortium de nous en envoyer de nouveaux. L’empire est vigilant, il est prêt à tout pour mettre la main sur les trafiquants. Nous, donc. Quel était l’état exact des navires ?

Sans un mot, l’homme passe la main dans une poche intérieure et en extirpe une petite boule métallique de la taille d’une balle de ping-pong. Il la pose sur la table, et d’une pression sur le dessus un faisceau lumineux en sort. S’élargissant, il en résulte un écran holographique triangulaire. Une série de photos y apparaissent, montrant tout d’abord un vaisseau dont la carlingue est par moitié enlevée, et dont des morceaux jonchent le sol. Le second vaisseau est nettement moins endommagé, et il semble compter toutes ses pièces. Derrière, on peut apercevoir une partie d’une construction noire, au style presque « gothique » faite d’acier. C’est similaire à la tour du baron. Celui-ci acquiesce à la vue des photographies.

— Le nebulae, grommèle-t-il. Ces sauvages veulent sûrement nous faire sauter avec. Ils n’iraient pas prendre d’assaut une mine, ils n’ont pas de quoi le faire.

— Que suggérez-vous, baron ? s’approche Ysan.

L’autre reste silencieux un instant, fixant de ses petits yeux le visage de l’homme face à lui. Il empeste. Mais rien d’étonnant. Le voyageur y est habitué.

— Tue-les, Ysan. Prends une garnison et va les buter. Je ne veux pas qu’il en reste un seul, c’est bien compris ?!

— Oui. Il en va de l’intérêt des Yukon.

L’homme se lève. Rapidement il glisse sa chaise sous la table et récupère son couvre-chef ainsi que ses lunettes. De nouveau masqué, il prend le chemin de la sortie. Leur discussion semblait n’intéresser personne dans la pièce. C’est aussi bien. Gravissant les marches, il revient dans la salle précédente et jette un œil à la cage. Le crocodil est en train de dévorer l’abdomen de l’humain agonisant.

Il y a peu d’enerus dans la pièce sombre, tous suivent cependant la même joie perverse que les humains. Le Crocodil a faim, c’est certain. Sûrement la vue de tout ce sang le met en appétit. Ysan en frissonne presque. Voilà le danger que représentent les Pokémon, songe-t-il. Il adresse un regard en direction de sa Pokéball. Toi tu es différent. Enfin quoi qu’il en soit, l’humain ne mérite pas plus de vivre que le monstre. De manière générale, les esclaves ne méritent pas de vivre.

Il sort de la tour. Le vent semble s’être calmé, voilà une bonne nouvelle. Dans le ciel orange, un vaisseau passe au loin. Impossible de savoir de quoi il s’agit à cette distance, mais l’homme ne peut s’empêcher de vouloir savoir. Il tend l’oreille, le bruit des moteurs est faible. Trop faible. De toute façon, la majorité des vaisseaux proviennent du même constructeur, seule la finition change.

Il porte son bras vers sa bouche, et tirant sur sa manche découvre un petit bracelet noir. L’objet semble collé à sa peau. Il y effectue une pression du doigt, l’anneau s’illumine légèrement. Un petit menu holographique en sort. Il le fait défiler, jusqu’à arriver à un nom en particulier. Tout est écrit en caractères Yusulv. C’est un dialecte Carinéen datant de plusieurs millénaires. Seuls quelques personnes savent le déchiffrer, et c’est le cas des Yukon. Les Yukon et les Alfheids, pour être plus exact. Mais la différence entre les deux n’est qu’idéologique, rien de plus.

Il appuie sur la ligne en question. Un « bip-bip » continu résonne pendant plusieurs secondes. Au bout d’un moment, le bruit s’arrête et l’on entend quelques grésillements. Puis une voix.

— Oui ?

— C’est Ysan. Envoie-moi une trentaine de soldats. Ordre de Medelron.

Un silence suit ces paroles. Puis une réponse.

— Reçu. Je transmets.

— Parfait.

Il met fin à la communication et cache de nouveau son bracelet. Se dirigeant à droite de la tour, il prend la direction d’un bar. Un bar plus fréquentable que cet immonde trou à rat. Trois cents mètres plus loin, à peine visible de là, une entrée dans un gros rocher. Devant bien faire dans les vingt mètres de large, le caillou est décoré de drapeaux abimés ou déchirés. Ysan entre. Il pénètre dans une petite pièce là encore éclairée aux lampes à nebulae, meublée par quelques tables et chaises en ferraille. En face, un bar aussi vieux que le mobilier occupé par un eneru. Un audacieux mélange entre un humain et un Mélokrik. Une peau rouge, une énorme moustache et des mandibules. Pas beau à voir.

Il s’assoit à un tabouret au comptoir, comptoir contre lequel il pose son arme.

— Un whiskey, adresse-t-il au maître des lieux.

L’un des derniers vieux alcools toujours produits. Quelque chose de bon, pas cet immonde bouillon fait à base de Pokémon. Attendant son verre, il balaye l’endroit du regard. Seuls deux ou trois clients sont assis à des tables. Le Yukon remarque qu’ils ont une bougie. C’est rare. Les bougies sont chères, la cire n’est pas facilement trouvable. Il faut bien compter dans les vingt Pokédollars. Ils en ont une de mauvaise qualité, la cire est trouble et la flamme pas belle.

Ysan plisse les yeux. L’aspect terne doit s’expliquer par le nebulae. Cette merde sert pour tout. L’odeur de brûlé et la fumée toxique qui s’en dégage n’est rien par rapport à son coût. On l’utilise même pour produire de la drogue. La plus puissante et la plus destructrice du système, la larme d’Arceus, est faite à partir de quatre-vingts pour cent de nebulae. Des centaines de millions de gens en prennent, ainsi que ses dérivés moins violents. Comme effet positif, elle permet de se sentir extrêmement heureux. Comme effets négatifs, elle imprègne le cerveau de nebulae, qui jour après jour, détruit les neurones. Au bout d’un moment, la personne devient folle, puis meurt. C’est encore pire chez les Pokémon.

Son bracelet se met à vibrer. L’approchant de son visage, il appuie dessus. Une fenêtre holographique s’ouvre, un appel. Il décroche.

— C’est bon, font les grésillements. Je t’ai envoyé les coordonnées du point de rendez-vous.

— Reçu.

Il met fin à l’appel, se saisit de son verre, et le descend d’une traite. Fouillant dans sa poche, il en extirpe un billet d’une valeur d’un Pokédollar. Il le cale sous le verre. Il porte sa main à son arme et prend une grande inspiration. Allons tuer.