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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 02/06/2018 à 23:32
» Dernière mise à jour le 03/06/2018 à 11:36

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre 71 : Lyrian
Joshua piétinait devant l’entrée du sas, l’œil rivé sur sa montre. Il était en avance. Il n’était pas encore cinq heures du matin.

La journée était passée avec une lenteur extrême. Le jeune homme avait pourtant dormi jusqu’à midi, avant d’être tiré du sommeil par une Lina affamée. Toute la journée, Joshua avait été ailleurs, peinant à s’impliquer dans les conversations. Il n’avait pas suivi sa petite amie à la salle de sport, prétextant des maux de tête. Lina avait haussé un sourcil mais n’avait pas réagi outre mesure.

Will avait enfin commencé les cours de tir qu’il leur avait promis. Joshua, Lina et Kate s’étaient ainsi retrouvés dans l’un des réfectoires où ils ne mangeaient jamais, dont les tables avaient été déblayées pour l’occasion afin de dégager un champ de tir. Jade, qui avait aussi été conviée, n’était pas venue.

L’ex-Elitien avait disposé des boîtes de conserve à différentes distances et leur avait fourni un revolver pour trois, chargé à balles réelles. Il y avait quelques caisses de munitions dans les entrepôts des sous-sols, mais Joshua n’y avait pas vu d’arme, et en avait donc conclu qu’il s’agissait de celle de Will.

Kate avait été la première à tirer ; elle avait touché les cibles un nombre respectable de fois, mais sa main droite s’était crispée à plusieurs reprises, et appuyer sur la gâchette lui était visiblement douloureux.

Lina avait été rapidement dispensée d’entraînement après avoir touché chaque cible en plein dans le mille, deux fois d’affilée, et ce même après que Will lui ait ordonné de reculer de plusieurs pas. Cet exploit, qui avait déclenché des sifflements admiratifs chez Kate, semblait avoir hautement perturbé l’ex-Elitien.

Joshua, quant à lui, avait royalement raté tous ses tirs sauf un, ce qui l’avait énervé au plus haut point. Le manque de sommeil, couplé à une pointe de jalousie en voyant la réussite de Lina, avaient achevé de le convaincre que cette journée n’était pas la sienne.

Il avait pourtant dû endurer le reste de l’entraînement au tir, au terme duquel il n’avait fait aucun progrès. Will les avait alors libérés, et Lina, confondant la fatigue et l’irritation de Joshua pour de la détresse, avait cherché à réconforter le jeune homme – en vain.

A vrai dire, le tir était le cadet de ses soucis. Outre la fatigue, s’il avait peiné à se concentrer, c’était surtout parce que son esprit tout entier était tendu dans une seule attente, une seule hâte : parler à Lyrian.

Mais ça, il ne pouvait pas le dire à Lina. Il ne pouvait rien dire à Lina, parce qu’il s’était rendu complice du secret de Will. Et vingt-quatre heures à peine après avoir pénétré au dixième pour la première fois, ce mensonge lui pesait déjà lourdement.

Le bruit de l’ascenseur qui se mettait en branle le tira de ses noires pensées. Il releva le regard et fixa les portes, à la fois impatient et terriblement anxieux à l’idée de ce qui allait se passer une fois qu’ils auraient franchi le sas.

Quelques secondes plus tard, et Will sortit de la cabine, le pass à la main. Surpris, il regarda Joshua des pieds à la tête :

« Et moi qui pensais être en avance. » lança-t-il en guise de salut.

Le jeune homme haussa les épaules.

« Je n’arrivais pas à dormir.
- Et pourtant tu avais une tête de déterré au tir toute à l’heure. On ne va pas pouvoir faire ça tous les soirs, j’ai l’impression.
- Je suis un grand garçon. » grommela Joshua.

L’ex-Elitien se massa la barbe, puis laissa visiblement tomber avant de se diriger vers le sas.

« Allez, en avant. Et fais très attention à ce que tu lui dis. »

Il posa son pass sur le lecteur magnétique, et l’interminable ouverture de la lourde porte blindée démarra. Dansant d’un pied sur l’autre, Joshua regarda la première porte se fermer pour que la deuxième s’ouvre, avant qu’ils ne pénètrent enfin dans l’enceinte de confinement du dixième.

Rien n’avait changé. La pénombre inquiétante, les cellules fermées par des portes de sécurité, le bureau avec les caméras, l’armoire remplie de Vortex. Tout était là.

« Comment va Sanae ? s’enquit Joshua.
- Bien. Je suis passé la voir toute à l’heure.
- La solitude ne lui pèse pas trop ?
- Elle n’est pas vraiment du genre à parler de ses sentiments.
- Avec moi, elle en parlait, rétorqua le jeune homme. Je peux la voir ?
- Pas besoin de rentrer dans la cellule. Il y a un microphone. Installe-toi. »

Will désigna le bureau surmonté des multiples écrans de surveillance. Mal à l’aise, le jeune homme aperçut Lyrian sur l’un d’eux. Tête baissée, ses cheveux mi-longs et crasseux cachaient son visage. Sanae, quand à elle, figurait sur un autre écran, assise en tailleur au milieu de sa cellule, mains sur les genoux, l’air serein.

« Appuie-là. » indiqua Will en pointant un bouton marqué d’un numéro.

Joshua s’installa sur le siège et s’exécuta, avant de se pencher vers le micro d’un ton hésitant :

« Sanae ? Tu m’entends ? »

Il jeta un œil à la caméra et aperçut l’Apocalyptica lever le regard vers la caméra. Ses lèvres bougèrent, et par les enceintes placées sur le bureau, sa voix légèrement déformée se fit entendre :

« Joshua, c’est toi ?
- C’est moi. Comment tu te sens ?
- Bien. Pourquoi ? »

Le jeune homme eut un instant d’hésitation.

« Eh bien… parce que ça fait bientôt deux jours que tu es enfermée ?
- J’ai passé bien plus que deux jours enfermée, dans ma vie, tu sais, se contenta-t-elle de répondre.
- Hm. Oui, j’imagine. Mais la solitude pèse à tout le monde.
- Je ne suis pas vraiment seule.
- Tu l’entends ? L’Autre ?
- Oui. »

Debout derrière Joshua, bras croisés, Will grommela.

« Qu’est-ce qu’il te dit ? » lança l’ex-Elitien d’un ton froid.

Elle ne répondit pas. A travers la caméra, Joshua la vit remuer légèrement.

« Sanae ? relança-t-il, inquiet.
- Il… il me présente ses excuses.
- Ses excuses ? Pour quoi ? » répéta Will.

Nouveau silence d’une ou deux secondes, puis Sanae soupira.

« Pour ce qu’il m’a obligée à faire aux scientifiques, notamment.
- Allons bon, ricana Will. Ça y est, l’Autre a des regrets ?
- Je crois qu’il… ne ment pas. Je crois qu’il regrette vraiment. Je sens sa tristesse.
- Peut-être qu’il ne te communique que ce qu’il a envie, suggéra Joshua. Peut-être qu’il essaye de t’amadouer.
- On ne peut pas me mentir, rétorqua Sanae. Pas avec les sentiments. C’est trop sincère. Ça ne se contrôle pas. C’est toi qui l’a dit, Joshua.
- On ne parle pas d’un humain, tempéra Will. On parle de l’Autre. Lyrian disait qu’il maîtrisait mieux les pouvoirs des Apocalyptica que les Apocalyptica eux-mêmes. Si ça se trouve, il est encore plus doué que toi pour décrypter les émotions des gens, et il s’en sert pour te faire croire ce qu’il veut. Ne te laisse pas avoir. »

Sur l’écran de surveillance, ils la virent opiner du chef.

« Vous allez l’interroger ? demanda-t-elle ensuite.
- Oui.
- Quelle heure est-il ?
- Cinq heures du matin.
- Faites attention. C’est la nuit qu’il est le plus fort, conseilla Sanae.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- C’est toujours la nuit que je l’entends le mieux. »

Will et Joshua échangèrent un regard sans savoir quoi répondre.

« Bon, eh bien, euh… On va te laisser ? suggéra finalement Joshua après une bonne seconde de silence. Je reviendrai te parler bientôt. »

Dans la caméra, il vit Sanae opiner calmement avant de retourner à sa méditation silencieuse. Effectivement, la solitude ne semblait pas lui peser plus que ça.

Joshua coupa le micro et se tourna vers Will.

« Alors ? On y va ?
- C’est quand tu veux. Pense à relâcher le bouton à chaque fois que tu as fini de parler, qu’il n’entende pas ce qu’on se dit en aparté. »

Le jeune homme opina. Le cœur battant la chamade, il jeta un regard à la caméra qui donnait sur la cellule de Lyrian. Ce dernier, assis en tailleur comme Sanae, avait la tête baissée, ses cheveux sales pendant devant son visage crasseux.

« Vous lui avez donné à manger, en neuf mois ? s’enquit Joshua.
- Oui. Il y a un sas sécurisé pour faire passer des plateaux.
- A quelle fréquence ?
- Une fois par semaine.
- C’est peu.
- Ça l’affaiblit, et ça limite le risque qu’il essaye de s’échapper.
- C’est Lyrian que vous privez de nourriture, pas l’Autre.
- La limite est plus difficile à cerner maintenant que quand tu l’as connu, rétorqua Will.
- Vous traitez les symptômes, pas la cause.
- C’est ce qu’on fait quand il n’y a pas de remède, non ? »

Joshua grimaça, mouché. Il se doutait que Will n’avait pas particulièrement bien traité Lyrian pendant ces mois de détention. A vrai dire, il n’était même pas sûr que ça le dérange tant que ça. Après tout, même s’il était contrôlé par l’Autre, c’était bien de la main de l’hybride qu’ils avaient tous failli mourir – et c’était de sa main que Thrak avait succombé.

Le jeune homme secoua la tête. Il préférait ne pas y penser.

« Quand tu veux. » lança Will, impassible, regard rivé sur la caméra de Lyrian.

Joshua inspira profondément, puis enclencha le micro.

« Bonsoir, Lyrian. Ou comment est-ce que je dois t’appeler ? L’Autre ? »

Du coin de l’œil, il vit l’Apocalyptica relever la tête vers la caméra, le transperçant de ses yeux gris avant de sourire de toutes ses dents.

~*~
Lina sursauta et se redressa brusquement dans son lit, réveillée par un cauchemar déjà oublié. En sueur, elle chercha instinctivement la présence de Joshua à ses côtés, mais le ne trouva pas.

« T’es aux toilettes ? » demanda-t-elle d’une voix ensommeillée.

Aucune réponse ne provint de la salle de bains.

« Joshua ? »

Rien. La jeune femme haussa les épaules et se retourna dans son lit. Joshua était sûrement parti au réfectoire. Il n’allait pas tarder à rentrer.

~*~
« Bonsoir, Joshua. Ravi de t’entendre. Comment vont tes poumons ? demanda calmement l’Autre.
- Mieux. Et certainement pas grâce à toi, grommela l’intéressé.
- Je m’en doute. Ça ne vaut peut-être pas grand-chose, mais je tiens à m’excuser. Ce que j’ai fait était monstrueux.
- Effectivement, ça ne vaut pas grand-chose.
- Je savais que tu répondrais quelque chose du genre. Mais je ne pourrai pas faire acte de bonne foi tant que vous me garderez enfermé dans cette cellule, tu t’en doutes.
- Mieux vaut ça que de prendre le risque de te laisser sortir. »

A travers le micro, il entendit Lyrian soupirer.

« Soit. J’avais espéré que tu sois plus ouvert que Will. Mais je comprends ton point de vue. Il est avec toi, j’imagine ? »

Joshua jeta un coup d’œil au barbu, qui opina du chef. Il ne servait à rien de mentir.

« Exact.
- Tu es conscient qu’il ne sert à rien de m’interroger si tu n’es pas prêt à croire à mes réponses ? » lança alors l’Autre.

Le jeune homme fronça les sourcils.

« Comment tu sais que je suis venu t’interroger ?
- Je l’ai juste deviné. Will me retient captif dans cette cellule depuis dix mois et deux semaines, et il s’est enfin rendu compte qu’il ne faisait aucun progrès, donc il t’a demandé de lui venir en aide. Rien de compliqué.
- Tu m’expliques comment tu fais pour savoir depuis combien de temps tu es là ? grommela soudain le barbu, assez fort pour que le micro le capte.
- L’enfermement fait peut-être perdre les repères, mais le temps continue de s’écouler à l’extérieur, répondit énigmatiquement l’Autre.
- Donc tu existes à l’extérieur. En-dehors de Lyrian. C’est comme ça que tu sais combien de temps a passé. Tu contrôles d’autres personnes, ou tu as ton propre corps ? intervint Joshua, saisissant la remarque au vol.
- Je ne contrôle personne.
- Tu contrôles Lyrian.
- Lyrian et moi ne sommes pas deux entités séparées, Joshua. Il fait partie de moi, et je fais partie de lui. Je suis Lyrian et il est l’Autre. Vois ça comme les racines d’une plante qui s’enfonce dans une dune de sable. Grâce à lui, je grandis, et grâce à moi, il gagne en solidité face au vent. C’est une symbiose. Le tout est plus grand que chacune de ses parties. Je ne te mentais pas, quand on voyageait ensemble. Le Lyrian que tu as connu existe encore, mais il ne sert à rien de vouloir nous dissocier, lui et moi. Je suis Lyrian. »

Joshua coupa le micro et souffla, cherchant quoi répondre. Il jeta un regard intrigué à Will, qui haussa les épaules.

« C’est ce qu’il m’a expliqué aussi, confirma l’ex-Elitien. Je pense qu’il dit la vérité. Il est resté tellement longtemps dans la tête de Lyrian qu’ils ont dû… fusionner, ou quelque chose du genre. Au moins en partie. Il a l’air effectivement plus calme et plus raisonné qu’avant. Mais va savoir s’il ne nous mène pas en bateau.
- C’est du délire. »

Le jeune homme, qui n’en menait pas large, réappuya sur le bouton du microphone et lança :

« Donc on ne peut pas te dissocier de lui ?
- Je sais que tu es convaincu qu’il faut libérer Lyrian du contrôle de l’Autre, mais la vérité est bien plus complexe que ça. Qu’est-ce qui arrive à la dune de sable si on déracine la plante ? Elle s’effrite au premier coup de vent, et la plante meurt. Tout le monde y perd.
- Tout ça, c’est toi qui le dit. C’est ta version des faits. Tu pourrais aussi, comme on le pense, être un parasite qui contrôle les autres, et dans ce cas-là tu n’aurais aucun intérêt à m’avouer que Lyrian pourrait se passer de toi. Tu prétends être indissociable de lui, mais si ça se trouve, tu ne fais que le contrôler et lui faire dire ce qui t’arrange.
- Je t’avais prévenu qu’il ne servait à rien de m’interroger si c’était pour ne pas croire mes réponses. Comment veux-tu que je te prouve ce que je dis ? En étant enfermé, qui plus est ?
- Commence par m’explique pourquoi tu as pris possession de lui pour commettre des massacres, comme tu l’as fait avec Sanae.
- Je ne prends plus possession des gens, je te l’ai dit. Je l’ai fait au début, c’est vrai. Et j’ai commis des atrocités. Mais c’est terminé. J’ai beaucoup appris en grandissant, tu sais.
- Ah oui ? Quoi, par exemple ? demanda Joshua en faisant un gros effort de volonté pour masquer le mépris dans sa voix.
- Au début, j’ai tenté l’intimidation et le conflit. J’étais puissant, je pouvais me le permettre, mais la balle qu’a mise Lina dans la tête de Lyrian m’a fait comprendre que ça n’était pas la bonne voie. Ensuite, avec toi, j’ai essayé la manipulation et le mensonge pour arriver à mes fins, mais ça n’a pas marché non plus. Ce n’est que maintenant que je comprends qu’on obtient de meilleurs résultats en convainquant et en incitant, plutôt qu’en dominant et en employant la force brute, répondit calmement l’Autre.
- De meilleurs résultats ? releva Will. Dans quel domaine ? Qu’est-ce que tu cherches à faire ?
- A guider l’humanité vers une société juste et stable, bien sûr. »

~*~
Lina, constant que Joshua n’était toujours pas rentré, jeta un coup d’œil au réveil en grommelant. On approchait des six heures du matin. Mais où pouvait-il bien s’être fourré ?

Inquiète, elle resta se triturer les méninges pendant plusieurs bonnes minutes avant de se décider à sortir du lit. Hagarde, elle se leva et enfila sa combinaison, avant de s’en aller déambuler dans les couloirs à la recherche du jeune homme.

~*~
« Guider l’humanité vers une société juste et stable, répéta lentement Joshua en détachant les mots. Rien que ça. Et pourquoi est-ce que ce serait à toi de le faire ?
- Parce que je suis le seul à même de le faire, rétorqua l’Autre. Je suis l’entité la plus puissante que porte cette terre. Il faut quelqu’un d’assez fort pour rassembler tous les survivants sous la même bannière, humains comme hybrides, et ce quelqu’un, c’est moi.
- Ta conception de « rassembler », c’est massacrer des innocents et les démembrer ? »

A travers la caméra, Joshua vit le visage de Lyrian s’assombrir.

« C’était une regrettable erreur, avoua l’Autre.
- Une regrettable erreur ?
- J’étais jeune. Je maîtrisais mal mes pulsions.
- Quelles pulsions ?
- Tu as fait des études de psychologie, non ? La pulsion de vie et la pulsion de mort doivent être des notions familières, pour toi.
- C’est de la psychanalyse, pas de la psychologie, rétorqua Joshua. Mais oui, je vois ce que c’est.
- Pas moi, grommela Will.
- Chaque être vivant est assujetti à un instinct primaire : survivre. C’est ancré en nous. Se nourrir, se préserver et se reproduire sont des comportements partagés par toutes les espèces, et elles découlent toutes du besoin de survivre, expliqua l’Autre.
- Et la pulsion de mort ?
- C’est le côté moins avouable du vivant. L’envie de destruction et d’autodestruction. C’est la pulsion qui vous pousse à descendre une bouteille de whisky par jour, Will. La pulsion qui pousse Lina à aboyer à l’excès sur ceux qui l’irritent. La pulsion qui pousse les plus fanatiques du culte d’Arceus à réprimer tout désir, tout plaisir. Elle engendre destruction, et agressivité. Envers soi et envers les autres. C’est l’envie de tuer et de se tuer.
- Conneries, grogna l’ex-Elitien. Je veux bien croire qu’on a tous un instinct de survie, mais un instinct de meurtre ?
- Alors pourquoi l’Histoire est-elle entachée de guerres et de massacres, si ce n’est pas dans la nature humaine ?
- Donc ton excuse pour ce que tu as forcé Lyrian ou Sanae à faire, c’est simplement que tu maîtrisais mal tes pulsions ? reprit Joshua, tâchant de recentrer la conversation.
- As-tu déjà vu des enfants jouer à s’entretuer ? Combien de petits garçons jouent à la guerre ? Ils vont parfois très loin, jusqu’à se faire mal sans vraiment le vouloir. Pas de manière avouée, en tout cas.
- Où est-ce que tu veux en venir ?
- Imagine maintenant qu’un de ces enfants soit plus grand et plus fort que les autres. Beaucoup plus grand, et beaucoup plus fort. Comme c’est un enfant, il n’a pas appris à réprimer ses pulsions. Il tolère très mal la frustration, et la société n’a pas eu le temps de lui enseigner l’éthique.
- Tu n’es pas un enfant, rétorqua Joshua.
- Je l’étais à l’époque. Je grandis de jour en jour, et j’apprends de chaque individu qui accepte de me laisser partager ses pensées. Mais lorsque j’ai poussé Lyrian ou Sanae à commettre les massacres dont tu me parles, je n’avais que quelques jours.
- Quelques jours ? Donc tu es… né à un moment ? demanda Will.
- Oui. Le jour du Changement.
- Tu n’avais pas « que quelques jours » quand tu as failli tous nous tuer devant le bunker, fit remarquer Joshua.
- J’étais à peine plus âgé qu’à ma naissance.
- Ça faisait des mois que le Changement était arrivé.
- Je ne grandis pas linéairement, ça ne marche pas comme ça, rétorqua l’Autre. Désolé, l’image de l’enfant n’étais pas la plus appropriée. Je n’évolue que lorsque que quelqu’un accepte de me laisser entrer dans son esprit. Avant d’être enfermé dans ce bunker, je n’avais connu que deux esprits, des esprits amnésiques et instables.
- Sanae et Lyrian.
- Oui. Sanae me bloque complètement depuis ce que j’ai forcée à faire, ce qui se comprend tout à fait, et Lyrian est enfermé ici depuis neuf mois, il a donc bien fallu que je trouve d’autres personnes pour m’apprendre. »

Joshua jeta un regard éloquent à Will, qui articula « Combien ? » en silence.

« De combien de gens est-ce que tu… partages les pensées ? » demanda alors le jeune homme en s’efforçant de reprendre les termes de l’Autre.

Ce dernier marqua une pause, l’air de réfléchir.

« Vingt-sept. » déclara-t-il soudain.

Le cœur de Joshua rata un battement. Il se retourna vers Will, qui ouvrait lui aussi des yeux ronds comme des billes.

« Vingt-huit, lança alors l’Autre.
- Hein ? Tu t’es trompé ?
- Non. »

Quelques secondes passèrent, pendant lesquelles ni Joshua ni Will ne surent quoi répondre. Ils se regardèrent, perplexes.

« Vingt-neuf. » annonça alors l’Autre.

C’est alors que Joshua comprit que l’Autre ne s’était effectivement pas trompé dans sa première estimation.

Il mettait simplement le chiffre à jour au fur et à mesure.