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Distort City de Feather17



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Informations

» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 10/04/2018 à 13:12
» Dernière mise à jour le 10/11/2021 à 14:01

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo

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003. I - 3 : Le vieux chêne
JOUEUR RED
BADGES : 0
POKÉDEX : 1
TEMPS : 0:15

L’orage éclata rapidement ce soir-là, plongeant tout Bourg-Palette dans l’obscurité la plus opaque. Quelques éclairs venaient parsemer le ciel ténébreux, effrayant les derniers Piafabec qui n’avaient pas eu le temps de se réfugier. Et alors qu’une de mes Pokéball s’abattait sur l’un des oiseaux victimes des intempéries, l’enfermant à jamais dans sa prison sphérique, le Professeur Chen rentrait chez lui en toute hâte.

Il claqua la porte et soupira d’aise en sentant la chaleur sauvage d’un feu de cheminé salvateur.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

Le Professeur Chen releva la tête, embêté par l’interruption dans sa quête de quiétude. Encore une fois, je n’y étais pas, mais c’est probablement ce que j’aurais ressenti si j’avais été à sa place. Quoi qu’il en soit, ce que je sais, c’est que le Professeur Chen s’était retrouvé face à sa petite-fille, la sœur de Blue — pour qui, je dois l’avouer, j’ai toujours eu un petit faible, comme tous les jeunes du village d’ailleurs. Green tenait fermement ses bras croisés et le fusillait du regard, signe que la tempête allait passer juste au-dessus de sa maison.

Car Green n’était pas seule à l’attendre chez lui. Ma maman tremblait de tous ses membres en tentant d’éviter de rompre la tasse de café qu’on lui avait proposée.

— Quelle belle surprise ! osa le Professeur Chen avec un sourire qu’il tenta le plus convaincant.
— Je n’en dirais pas tant ! rétorqua violemment ma maman.
— Mais enfin… que se passe-t-il ?
— Je vous retourne la question, Professeur Chen ! Que se passe-t-il dans votre petite tête névrosée pour que vous envoyiez mon fils, mon unique fils, dans ce périple si dangereux ?

Touché. Le Professeur Chen accepta le coup porté contre lui et se laissa le temps de s’installer sur un fauteuil, près du feu, pour lui répondre.

— Red… était en quête d’une émancipation. J’avais un projet qui lui plaisait. Nous nous sommes échangés un service l’un l’autre.
— Un service ? Un service ! s’énerva ma maman. Vous avez monté le cerveau de mon fils pour qu’il parte à l’aventure et vous avez fait en sorte que je ne puisse même pas l’en dissuader ! Vous nous avez tous manipulés !
— Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si révoltée à l’idée que Red parcoure les routes de Kanto. C’est le rêve de tous les adolescents de la région.
— Oh mais vous connaissez très bien mon fils, ne faites pas l’innocent ! Vous savez qu’il va vite prendre connaissance des badges d’arène et apprendre à aimer la compétition de la Ligue Indigo. Ce qui l’amènera inévitablement à déterrer le passé de notre famille alors que je l’en ai protégé depuis sa naissance avec tant de force et d’efforts !
— Peut-être qu’il est temps pour lui de comprendre d’où il vient et de savoir que son père…
— Assez !

C’était Green qui avait fait exploser son ordre autoritaire comme une attaque « Destruction ». Le Professeur Chen s’était mu dans son fauteuil.

— Qui es-tu pour décider de ce qui est bon pour les enfants des autres ?
— Tu as oublié que c’est ce que j’ai fait toute ma vie en vous élevant, toi et Blue ?

Ma maman en avait assez entendu. Face à tant de dégoût que lui inspirait le Professeur Chen, elle se leva, remercia Green pour l’accueil, dévisagea une dernière fois le vieux scientifique en essayant d’y mettre le plus de mépris possible (c’est toujours comme cela qu’elle agit avec ses ennemis), et s’en alla sous l’orage.

Le silence s’installa entre Green et son grand-père, un silence tendu qu’ils n’avaient que très rarement connu dans leur vie.

— Blue est à peine venu chercher son sac à dos avant de partir, déterminer à prouver à tout Kanto qu’il était digne de confiance, annonça la jeune fille d’un ton sec. Je suppose que tu te réjouis ?
— Je n’ai jamais voulu cela, avoua le Professeur Chen en s’effondrant sur son fauteuil. J’ai tout essayé pour l’en dissuader, mais il n’a rien voulu entendre…
— C’est bon, arrête. Tu as fait assez de mal comme ça.

Et Green le laissa à son tour.

Recroquevillé dans son fauteuil tel un bout de chiffon malpropre, le Professeur Chen se laissa alors sombrer dans un demi-sommeil peu réparateur, le genre de sommeil qui ne vous accable qu’une fois que votre cerveau est fatigué de l’environnement qui vous entoure. Je ne peux que l’imaginer terrifié par les cauchemars de cette nuit-là. Le lendemain, si mes souvenirs sont bons, il recevrait enfin un colis qui lui permettrait de poursuivre ses recherches et lui redonner espoir.

Dehors, un nouveau coup de tonnerre éclata alors que la foudre s’abattait dans une prairie adjacente. Dans cette dangereuse tempête, deux adolescents s’étaient lancés en quête de Pokémon.

Le Professeur Chen l’ignorait à cet instant précis, mais les décisions qu’il avait prises plus tôt dans la journée allaient sceller à jamais nos destins, à Blue et à moi. Car la suite de conséquences que le début de notre voyage entraîna m’amènerait inévitablement à cet instant présent, face à mon destin, face à ma mort imminente.

***
La pluie s’était abattue sur Distort City avec tant de violence qu’il était impossible à Redwan de distinguer une voiture à plus d’un mètre devant lui. Pédalant difficilement dans les rues qui s’inondaient rapidement, jamais il n’avait assisté à un orage aussi féroce. Lorsqu’il rentra chez lui, dans le confort de son bungalow insonorisé et chaleureux, il ne perdit pas une seconde : il fila dans sa salle de bain se sécher afin de ne pas tomber malade.

Nu comme un ver devant la glace, l’image que lui reflétait son miroir le perturba. L’adolescent rachitique qui se trouvait face à lui, sa peau d’un pâle maladif, son torse sans relief, son ventre trop plat, son sexe d’une taille trop peu avantageuse à son goût, ses fesses à peine bombées et ses pieds en canard, le révulsa. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était plus scruté le corps avec tant d’acharnement, et c’était comme si une autre personne se trouvait face à lui. Sans compter sa cicatrice à la main droite qu’il redécouvrait. Redwan ne reconnut pas le Redwan qui lui faisait face. Aussi, il s’emmitoufla dans un large pullover rouge qui lui tint bien chaud.

De la fenêtre de sa chambre, la maison de son voisin — qui l’embêtait tellement de manière générale à cause du vis-à-vis — avait presque intégralement disparu derrière les trombes d’eau qui s’abattaient sur Distort City. Cela ne lui déplaisait pas : finalement, il n’aurait pas à voir déambuler à travers les fenêtres de la vieille bâtisse le clochard qui lui servait de voisin. Il n’avait jamais compris comment un homme avec si peu de moyens financiers avait pu s’offrir une maison, bien que celle-ci tombât en ruines.

Le Prof Maboul, comme les villageois aimaient l’appeler, était un homme de mauvaise compagnie. Vieux, sale, édenté, traînant derrière lui une odeur de chat pestilentielle, le vieil hurluberlu ne manquait jamais une occasion de provoquer un malaise à chacune de ses apparitions en ville. Avec le temps, et comme si ses traits physiques n’étaient pas suffisants pour lui donner une mauvaise réputation, son cerveau avait subi quelques dommages irréversibles dus à l’âge, et il avait fini complètement dégénéré. Combien de fois Redwan ne l’avait-il pas entendu hurler dans son jardin sans aucune raison ? Crier après les passants pour les prévenir de l’arrivée imminente depuis les cieux d’extraterrestres doués de la parole ? Combien de fois Redwan ne l’avait-il pas retrouvé complètement nu et crasseux devant sa porte d’entrée sans se souvenir de la manière dont il devait retourner chez lui ?

En tous les cas, grâce à l’orage, Redwan n’avait pas à supporter la pollution visuelle du Prof Maboul — Monsieur Shane de son vrai nom — et il en fut fort aise.

Cependant, une voix d’enfant dans sa tête prit les commandes de ses pensées. Adam lui rappelait au travers de ses souvenirs le discours qu’il lui avait servi à la sortie du Café du Coin.

« Ce soir, quand l’orage se déclarera, je te conseille de jeter un coup d’œil au vieux chêne du jardin de ton voisin. On dit que la foudre ne passe jamais deux fois au même endroit, mais il se peut que la nature face une exception ce soir. Il faut absolument prévenir le Prof Maboul. »

Redwan ne l’avait pas cru pour l’orage, et il s’était mis soudainement à pleuvoir. Simple hasard. Ou alors l’enfant avait simplement vu les prévisions météorologiques. Mais en scrutant plus longuement le jardin de son voisin, Redwan commença à douter de ses propres certitudes. Au pied de l’immense chêne qui prenait racine au milieu du jardin du Prof Maboul, une petite masse sombre venait d’apparaître dans la pénombre de l’orage.

Tout à coup, la foudre éclata dans le ciel. Derrière lui, Stuart couina dans sa cage. La lumière qu’émit la foudre en tombant dans les prairies voisines avait illuminé un instant le jardin du Prof Maboul et Redwan l’avait reconnu : Adam !

— C’est pas vrai ! s’horrifia-t-il.

La porte menant à son jardin claqua sous la force du vent derrière lui alors que Redwan se précipitait sous le véritable déluge qu’offrait l’orage à Distort City. Il sauta au-dessus de la clôture qu’il partageait en commun avec le jardin du Prof Maboul et courut à toute vitesse dans la boue en direction de l’immense chêne. Claquant des dents, il agrippa Adam pour l’obliger à reculer de l’arbre alors que l’orage tonnait au-dessus de leur tête.

— Tu es complètement malade, ma parole ! hurla Redwan afin que sa voix porte aux oreilles d’Adam sous le tumulte de la tempête. Tu veux te faire électrocuter ?

Trop frigorifié pour parler, Adam pointa du doigt quelque chose au pied du chêne. Redwan bondit un mètre en arrière de terreur. À moitié immergé dans la boue, il avait reconnu la carapace d’une tortue et sa phobie l’avait rattrapé.

— Quand la foudre va s’abattre sur l’arbre, cette tortue va mourir ! Et crois-moi, tu es beaucoup trop attaché à cette tortue que pour la laisser mourir !
— T’es complètement maboul, toi aussi ! Tu risques ta vie pour une bête tortue ?
— Ce n’est pas n’importe quelle tortue ! Elle t’a sauvé la vie !
— QUOI ?!

Redwan crut mal comprendre les paroles insensées de l’enfant qui retourna auprès de la tortue. Mais l’animal était trop effrayé que pour se laisser faire et menaçait de sa mâchoire aiguisée à l’approche des petites mains d’Adam.

— Tu vas m’aider ?! s’impatienta-t-il.

La foudre tomba quelques mètres plus loin, dans le jardin de Redwan, et ce dernier se crispa. Entre l’apocalypse qui avait littéralement décidé de ravager Distort City et la petite tortue apeurée coincée dans la boue, il dû admettre que sa phobie paraissait ridicule.

— Tu dois surpasser ta phobie ! lui conseilla Adam. Je sais que ce n’est pas évident. Après tout ce que tu as subi dans ton autre vie, je comprends que tu sois terrifié. Mais tu dois surpasser cette phobie et vaincre ce traumatisme !

Décidant de ne plus essayer de comprendre les charabias de l’enfant, et surtout parce que plus ils perdaient de temps, plus les risques que la foudre leur tombât dessus augmentait, il se jeta au sol, sans réfléchir, les bras tendus vers l’animal qui le terrifiait.

— Qu’est-ce que vous foutez-là, vous ?!

Redwan se redressa en sursaut, les bras tendus devant lui, la tortue paniquée au creux de ses mains. L’homme qui venait de les rejoindre au pied du chêne, ses quelques touffes de longs cheveux gris plaquées au visage à cause du déluge, braquait un fusil sur eux.

— Le Prof Maboul ! s’horrifia Redwan.

À côté de lui, Adam affichait un sourire satisfait et l’adolescent se souvint de ce qu’il lui avait dit un peu plus tôt, juste avant qu’il ne prédît le déluge. Voilà donc que le Prof Maboul apparaissait dans le schéma narratif du jeune garçon, comme il l’avait prévu quelques heures plus tôt.

— T’es le sale garnement qui me sert de voisin, toi ! reconnut le Prof Maboul en crispant sa mâchoire édentée. Vous êtes là pour me piquer mes études en profitant de l’orage, c’est ça ?! Oust ! Déguerpissez avant que ma carabine à plomb ne me fasse justice !
— Oui, oui, c’est ça ! rétorqua Adam en l’ignorant et en se tournant vers Redwan.

Il lui prit la tortue des mains et tenta de s’éloigner du chêne mais le Prof Maboul redoubla de vigueur et l’empêcha de passer en lui collant son arme sur le front.

— T’as pas compris le message ? Dégage de ma propriété !
— Si vous me laissiez passer, ce serait plus simple pour moi !
— Adam ! s’horrifia Redwan. Ne le provoque pas, il est complètement cinglé !
— Cinglé ?! MOI, CINGLÉ ?!

Le tonnerre éclata juste au-dessus d’eux et Redwan se souvint alors qu’ils se trouvaient tous les trois sous un énorme arbre en plein orage violent.

— Il faut rentrer se protéger de l’orage ! urgea Redwan en levant les mains, afin de paraître inoffensif face à l’arme du Prof Maboul.
— Vous n’allez rentrer nulle part tant que vous ne m’avez pas rendu mes études que vous m’avez volées !
— Vous êtes complètement maboul ! lança Adam avant d’éclater de rire. Je crois que je viens de comprendre d’où vient votre surnom…

C’est alors que le drame se produisit. Un flash lumineux éclaira les alentours, les aveuglant tous en une fraction de seconde, et la foudre s’abattit sur le chêne. Redwan se lança sur le Prof Maboul pour éviter la décharge électrique naturelle et la carabine à plomb détonna. L’adolescent s’écrasa au sol sur le corps du Prof Maboul désorienté et une vague de boue les éclaboussa alors que le chêne craquait derrière eux, brûlé jusqu’aux racines par la foudre qui s’écrasa dessus une seconde fois. L’immense chêne se fendit en deux et la partie droite s’écrasa à quelques centimètres d’Adam qui était resté debout, impassible.

Couvert de boue, étendu de tout son long, Redwan releva la tête et lança un regard terrifié à Adam dont la voix résonnait encore dans sa tête, répétant inlassablement sa prémonition.

— Mais qui es-tu ?! s’écria Redwan, terrifié.
— Je suis celui qui va te sauver la vie.