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Distort City de Feather17



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Informations

» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 10/04/2018 à 13:11
» Dernière mise à jour le 10/11/2021 à 14:00

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo

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002. I - 2 : Red et Redwan
JOUEUR : RED
BADGES : 0
POKÉDEX : 0
TEMPS : 0:07

Lorsque je me suis rendu au laboratoire du Professeur Chen, ce soir-là, je ne m’attendais pas à le recroiser. Lui qui passait son temps à se pavaner dans tout Bourg-Palette, lui qui ne pouvait aligner plus de deux mots sans parler de ses soi-disant talents en élevage de Pokémon, lui qui était né avec une cuillère en argent dans la bouche, qui avait tout hérité de sa célèbre famille et qui prétendait être un individu exceptionnel. Bref, tu auras sans doute compris de qui je voulais parler, car je sais que toi non plus tu ne l’aimes pas. En plus, son nom est tellement ridicule : Blue !

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ? me cracha-t-il au visage, comme si j’étais un vulgaire grain de poussière dans ce laboratoire parfaitement propre.

J’ai préféré ne pas lui répondre et me rendre directement près du bureau du Professeur Chen afin d’y attendre sa venue. Une longue table avait été dressée au milieu de la pièce. Sur celle-ci trônaient fièrement trois magnifiques sphères rouges et blanches étincelantes : trois Pokéball. Je savais exactement ce que tout cela signifiait, et si l’autre abruti n’avait pas été présent dans la même salle que moi, j’en aurais probablement sauté de joie.

— Pépé m’a raconté comment tu avais failli te faire dévorer par un petit Pikachu sauvage, me nargua Blue en se passant la main dans sa tignasse de cheveux parfaitement ébouriffée.

Comme je ne lui répondais toujours pas, il a poursuivi sur sa lancée :

— Il parait que tu voulais prouver à tout le monde que tu étais un dresseur hors pair ?

Il éclata de rire, un de ces faux rires qui t’auraient donné envie de l’électriser sur le champ.

— Tout ce que tu as réussi à prouver, c’est que tu n’es qu’un bon à rien ! Se promener dans les hautes herbes sans Pokémon pour se défendre… Allez, retourne à tes livres et laisse les gens talentueux écrire l’histoire.

Il s’approcha de la longue table en bois et me donna un coup d’épaule pour que je lui laisse la place. Un jour où l’autre, il ne perdrait rien pour attendre !

C’est à cet instant précis que le Professeur Chen fit enfin son entrée dans son laboratoire.

— Pépé ! J’en ai marre d’attendre !
— Blue ? Euh… Ah, c’est vrai ! Je t’ai dit de venir…

Le Professeur Chen semblait perdu dans ses pensées, comme si quelque chose le tracassait. Maintenant que je connais toute l’histoire, la raison pour laquelle ses traits s’étaient durcis ce soir-là me paraît évidente.

— Tiens, Red : voici trois Pokémon.

Le Professeur Chen me montra les trois Pokéball qui attendaient patiemment sur la longue table en bois. Blue en perdit son sourire narquois : se faire ignorer de la sorte de la part de son propre grand-père ne devait pas être agréable, mais au fond, cela m’égaya.

— Choisis-en un, ajouta le Professeur Chen.
— Ben ! Pépé ! Mon pépé ! Et moi ? intervint Blue.
— Patience, Blue. Tu en auras un aussi.
— Mais… mais…

Jubilant de joie, je m’approchai de la table en le bousculant à mon tour à l’aide de mon épaule. Blue marmonna une insulte dans sa barbe et nous fîmes tous semblant de ne pas l’avoir entendu. Le choix fut de courte durée car, en réalité, je m’y étais préparé depuis des mois. Ce fut sans hésiter que je brandis la Pokéball du centre de la table.

— Bon ! reprit le Professeur Chen en fouillant dans un de ses tiroirs. Red, j’ai une faveur à te demander. Tout à l’heure, tu m’as convaincu de te laisser partir en voyage. Or, tes connaissances en Pokémon me semblent très sommaires. Aussi, j’aimerais te confier l’invention dont je suis le plus fier : le Pokédex.

Le Professeur Chen me tendit l’appareil électronique que je n’ai pas besoin de te présenter, tant il est devenu célèbre aujourd’hui, avec toutes les versions différentes qui existent. Le Professeur Chen m’expliqua l’utilité de cette encyclopédie qui me permettrait de rechercher n’importe quelle information sur un Pokémon à partir du moment où je le rencontrerais. Ma mission était simple : remplir son encyclopédie en récoltant les informations des cent cinquante Pokémon différents qui peuplent Kanto. Un jeu d’enfant !

Mais je ne l’écoutais pas : mes pensées étaient ailleurs. Dans quelques instants, ma quête des Pokémon allait commencer et j’allais enfin pouvoir prouver à tout Kanto que j’étais le digne fils de mon père. De son côté, Blue perdit patience.

— C’est bon, je peux choisir le mien à présent ?

Son grand-père lui fit un signe de la tête approbateur. Blue se dirigea vers la table, scruta la Pokéball que j’avais choisie et fit son propre choix en se procurant celle tout à droite. Autant te dire que je n’étais absolument pas surpris de son choix, étant donné que son Pokémon avait le type avantageux face au mien. Quel genre d’individu choisissait son Pokémon en fonction des autres ?

— Red, tu ne perds rien pour attendre, car je te défie !

Une Pokéball tournoie dans les airs, un flash de lumière, et une petite tortue bleue fait son apparition dans le laboratoire. Avide d’en découdre, je m’exécute à mon tour. C’est une salamandre orange qui se matérialise. Comme si nos deux Pokémon fraîchement obtenus connaissaient tout de notre haine mutuelle, ils se sont jetés l’un sur l’autre, la rage au ventre, les crocs salivant de violence.

— Oh non, pas ce soir !

Le Professeur Chen avait posé sa main sur l’épaule de son petit-fils et me fit un signe de tête afin de m’annoncer que je pouvais disposer. Son regard était trop opprimant pour ne pas répondre à son ordre : nous avons rappelés nos Pokémon à nous. Avec le temps, je me rends compte de notre insouciance de l’époque : comment avions-nous pu croire que nous étions capables de maîtriser deux monstres que nous n’avions encore jamais côtoyés ?

Sans attendre mon reste, je quittai fièrement le laboratoire en me pavanant à mon tour.

Tout ce que je vais te raconter à présent, je ne l’ai pas directement vécu. Aussi, je te demande de me pardonner si certains détails de l’histoire s’entremêlent dans le fil de ma pensée. Quoi qu’il en soit, maintenant que je suis au fait de tous les évènements qui se sont produits depuis mon départ de Bourg-Palette, je peux te les narrer sans aucun problème.

Ainsi, lorsque je quittai le laboratoire du Professeur Chen, une violente dispute éclata entre le scientifique et son petit-fils. Ce dernier fulminait de colère pour être passé après « l’inconnu du village » alors que le premier tentait de le résonner.

— Red est doté d’un grand potentiel, cela se remarque par sa détermination. Oui, il est capable d’aller aussi loin que son père, peut-être même de le surpasser. Le fait que tu ne le comprennes pas est une preuve que tu as un long chemin à parcourir avant de devenir un grand savant tel que moi.

Bon, j’avoue, j’ai peut-être extrapolé les propos du Professeur Chen pour accabler encore plus ce dresseur insupportable qu’est Blue. Mais d’après ce que je sais, c’est à peu près ce que le Professeur Chen lui a dit sur moi — en toute modestie.

— Cela ne veut pas dire que tu n’as pas, toi aussi, un potentiel inné.

Le Professeur Chen lui tendit à son tour un deuxième Pokédex.

— Quand même ! J’ai bien cru que tu ne me laisserais jamais partir à l’aventure.
— En réalité, j’ai une tout autre mission pour toi. J’aimerais que tu ailles observer les Rattata de la Route 1.

Blue resta coi. Une fois l’information digérée, sa colère n’en fut que plus tumultueuse.

— Tu n’as toujours pas confiance en moi ! s’exclama-t-il, comprenant enfin le comportement de son grand-père. Tu refuses que je parte en voyage parce que tu n’as toujours pas confiance en mes capacités !
— Non, tu ne comprends pas… Partir sur les routes de Kanto, c’est trop dangereux. Je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce soit.
— C’est une blague ?! Tout le monde part en voyage initiatique ! Toi-même, tu l’as fait à ton époque !
— Aujourd’hui, c’est différent. Crois-moi, il vaut mieux que tu laisses Red s’occuper de cette histoire…
— Je vais te prouver que je vaux mille fois plus que cet incapable de Red ! Je vais te prouver que je ne suis pas un bon à rien ! La prochaine fois que tu me verras, j’aurai complété cette encyclopédie !

Et Blue avait laissé son grand-père seul dans son laboratoire.

Lorsque la porte claqua violemment, plongeant son bureau dans les ténèbres, le Professeur Chen se laissa tomber sur sa chaise de bureau et soupira de tristesse en relisant une énième fois l’e-mail qu’il avait reçu la veille.

Avis à tous les dresseurs de Pokémon, le Conseil des 4 est prêt à punir tout concurrent. Présentez vos meilleurs Pokémon et découvrez votre niveau en tant que dresseur !

Ligue Pokémon, Plateau Indigo

PS : Prof. Chen, votre visite est attendue…


Je suis persuadé qu’à cet instant précis, le Professeur Chen savait qu’il venait de faire une erreur. Oh ! je lui en ai voulu très longtemps. Mais avec le recul, quel autre choix aurait-il pu faire ? Ces gens avaient décidé qu’il en serait ainsi, et ce vieux bougre n’avait aucun pouvoir à l’époque pour aller contre leurs sombres desseins. Il n’avait qu’à accepter le rôle de pantin qu’on lui avait désigné.

— Très convaincant ce petit discours protecteur.

Le Professeur Chen sursauta et fit volte-face. Un homme se matérialisa dans la pénombre du laboratoire en réajustant sa blouse noire. Sa barbe mal rasée et ses courts cheveux bruns dénotaient dans son costume d’un noir de jais.

— Je dois vous avouer qu’en voyant Red partir, j’ai eu un peu peur que vous ne fassiez pas ce que l’on vous avait demandé. Cependant, je m’incline face à de tels exploits en matière de manipulation. Lui faire croire que vous refusez qu’il parte pour qu’il en ressente l’envie de lui-même, cela tient du prodige ! Je vous félicite !
— Comment osez-vous m’obliger à faire cela à mon propre petit-fils ? osa courageusement le Professeur Chen en tentant de masquer les trémolos de panique dans sa voix.
— Oh, mais nous n’avons rien fait du tout. D’après les caméras de surveillance que vous avez installées dans votre laboratoire, et que j’ai eu du mal à pirater je dois le reconnaître, c’est vous qui les avez envoyés sur les routes de Kanto. Et puis, arrêtez votre discours hypocrite : vous tenez bien plus à vos recherches qu’à votre famille, Samuel, pas besoin de prétendre l’inverse. D’ailleurs, en parlant de cela, vous recevrez l’argent en main propre dans les jours à venir. Le montant sera largement suffisant pour permettre à votre laboratoire de tenir debout encore quelques mois. Enfin, comme on n’est jamais trop prudent…

L’homme s’était rapproché de la longue table sur laquelle ne trainait plus qu’une seule Pokéball.

— Non ! supplia le Professeur Chen. Je vous en prie, c’est le seul Pokémon qu’il me reste. Vous m’avez tout pris, alors je vous en prie, pas lui !
— Il vous reste vos précieuses études.

L’homme lui tourna le dos et quitta le laboratoire silencieusement, emportant avec lui le dernier Pokémon du Professeur Chen.

Cependant, toi et moi savons que cette dernière information n’est pas véridique. Le Professeur Chen n’était pas complètement démuni de Pokémon. N’est-ce pas, Pikachu ?

***
Assoupi sur son banc d’école, le flot de paroles incompréhensibles de la vieille enseignante le berçant lentement vers un sommeil profond, Redwan repensa à sa rencontre du matin.

— On se connait ?

Redwan avait longuement dévisagé le visage de l’enfant qui lui avait dérobé ses affaires, la veille. Le garçon ne ressemblait à personne de son entourage : la peau très pâle, quasi translucide, les cheveux couleur paille, un sourire malicieux et un regard électrique qui semblait traverser tout ce qu’il touchait. Non, Redwan ne l’avait jamais vu. D’ailleurs, il n’avait pas pensé l’avoir déjà croisé à Distort City. Alors pourquoi lui avait-il semblé si familier ?

— À vrai dire, c’est une question très intéressante que tu me poses là, lui avait répondu l’enfant.

Depuis quand les enfants étaient-ils doués d’une prose si riche ?

— Est-ce qu’on se connait ? Je ne le pense pas. Mais cela ne m’étonne pas que tu aies l’impression qu’on se connaisse.

Redwan avait écarquillé les yeux, perplexe. Rien de ce que cet enfant lui racontait ne trouvait sens à ses oreilles.

— Je m’appelle Adam. Tu dois être Redwan ?
— Comment tu connais mon nom, d’abord ?
— C’est simple : je me suis introduit chez toi cette nuit.
— Donc tu avoues ! C’est bien toi qui nous as cambriolés !
— Je ne voulais pas te faire de mal, je voulais juste te réveiller.
— Ah ben, ça a marché ! En effet, tu m’as bien réveillé ! Et, sinon, je peux te poser une petite question indiscrète : je peux savoir quel genre de gosse dégénéré s’amuse à s’introduire chez les gens par effraction « juste pour les réveiller » ?!
— Ah oui, non, désolé, on s’est mal compris. C’est amusant, le langage. Un mot peut avoir plusieurs significations. Il faudrait que je m’en souvienne pour la prochaine fois.

Redwan l’avait alors dévisagé du regard. Mais à qui pouvait donc bien être cet enfant saugrenu.

— Ce que je voulais dire, c’est que je désirais te réveiller dans ta vie, en général. Dis autrement, je voulais attirer ton attention sur ta véritable identité.
— Bon, dis-moi où tu habites. Je vais te ramener à tes parents et avoir une bonne conversation avec eux.
— Je n’ai pas de parents. Enfin, ça me paraitrait complètement illogique que j’en aie.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— Écoute, je vais aller droit au but : le monde dans lequel nous vivons n’existe pas. Distort City n’existe pas, et toi, tu ne t’appelles pas Redwan.

Si Redwan n’avait pas été choqué par l’absurdité de ses propos, il en aurait éclaté de rire.

— Tu t’appelles Red, tu vis à Kanto et tu es un excellent dresseur de Pokémon, peut-être même le meilleur.
— Dresseur de quoi ? Tu es sûr que tu te sens bien ? Tu es schizophrène

Pour la première fois, c’était Adam qui avait perdu patience. Il lui fourra sa console de jeu sous les yeux et lui montra la cartouche rouge qui y était logée. L’étiquette de la cartouche représentait un dragon ailé crachant du feu, semblable à une des trois statues érigées dans la cour de l’Académie, et les mots « Pokémon Version Red » surplombaient l’ensemble.

— Red, c’est toi. Tu es le protagoniste de ce jeu. Ce qui est plutôt amusant, c’est que le monde ne soit devenu qu’un simple jeu dans cette réalité. Mais je t’assure que c’est cette réalité qui n’existe pas.
— La plaisanterie a assez duré ! Tu vas me rendre mes affaires et filer fissa !

Redwan avait alors récupéré la casquette sur les cheveux dorés de l’enfant, enfourché son vélo et quitté les lieux sans plus attendre.

— Tu oublies ta console et ton jeu ! avait crié Adam.

Mais Redwan l’avait ignoré et disparaissait déjà à un carrefour.

— À moins que ce ne soit pas le sien, ce qui serait hautement intéressant.


Le claquement de la porte l’extirpa brusquement de sa transe et Redwan constata qu’il était à présent seul dans la salle de classe. La leçon d’art poétique s’était terminée et il ne s’était rendu compte de rien. Maugréant sur le système éducationnel de Distort City qui ne s’occupait pas de ses jeunes en perdition, Redwan fourra ses affaires dans son sac à dos. Avant de quitter le local, son regard fut attiré par ce qui apparaissait derrière la vitre : les trois statues géantes érigées en l’honneur des monstres mythologiques qui avaient sauvé Distort City en offrant la fécondité à ses habitants. Le dragon ailé lui faisait face, dans une position semblable à celle qu’il avait vue ce matin sur l’étiquette du jeu vidéo.

Tout cela n’était qu’une coïncidence, ou pire : un mensonge créé de toute pièce par un enfant déstabilisé mentalement. Son ventre gargouilla et lui rappela qu’il était l’heure de se rafraîchir les idées.

Dans la cour de récréation, il préféra s’isoler sous un saule et dîner au calme. Mais plusieurs voix s’élevèrent depuis le petit lac de l’Académie, ce qui le mit de mauvaise humeur. En tendant le cou, il comprit que Cyano, l’intello pitoyable et sans amis, se faisait à nouveau persécuter par les brutes de l’Académie. Cette fois-ci, il ne courrait pas à son secours : la dernière fois, il avait dû subir les insultes de ces brutes pendant plus de deux semaines pour avoir simplement pris la défense de l’adolescent timide. Après tout, s’il n’arrivait pas à s’ouvrir aux autres, ce n’était pas son problème.

— Quel bon à rien… soupira Redwan en s’allongeant sur l’herbe sèche.
— Tu ne crois pas si bien dire.

Redwan sursauta et se redressa. À côté de lui, assis en position indienne, Adam lui adressait un sourire chaleureux.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?! Comment tu as pu entrer à l’Académie ?
— De la même façon que cette console est apparue mystérieusement dans ta chambre.
— Tu ne vas pas recommencer !

Redwan se leva d’un bond, ramassa ses affaires, et se dirigea vers le bâtiment principal.

— On va où ? demanda l’enfant en le suivant de près.
— À l’accueil, appeler tes parents pour qu’ils viennent te rechercher. Tu ne devrais pas être à l’école toi ?
— Probablement. À vrai dire, je ne suis pas très coutumier aux méthodes d’apprentissage de cet endroit.
— T’es quoi au juste ? Un étranger qui débarque à Distort City et qui cherche à se faire des amis chez les gens plus âgés ?
— Possiblement. Ça ferait de moi un personnage peu recherché et sans grand intérêt, mais après tout, c’est le but de cette histoire.
— De quoi tu parles ? T’es encore dans ton délire d’univers parallèle ?
— Univers parallèle ? Je n’ai jamais employé ces termes-là. Mais ça me plait ! Ça a plus de punch que le terme « autre réalité ». Et les gens comprendraient plus facilement la chose. C’est vrai, univers parallèle, ça veut dire qu’on peut trouver des similitudes entre l’histoire fictive que nous vivons ici à Distort City et la réalité que nous vivions à Kanto.
— T’es complètement à l’ouest.
— Mais non, justement ! Regarde : si on trace des parallèles entre Distort City et Kanto, il y a « Redwan » d’un côté et « Red » de l’autre, « Cyano » d’un côté et « Blue » de l’autre. À chaque fois, des prénoms basés sur une couleur identique. Et vos personnages sont en adéquations avec qui vous étiez avant.
— Mais oui, bien sûr. Et toi, dans ton univers parallèle, tu t’appelles Ève ?

Adam examina la chose et secoua la tête.

— Non, impossible. Adam signifie « celui par qui tout commence », or d’après la religion inventée dans cette fiction, Ève est née de la côte d’Adam. Mais là, tu compliques tout.
— En effet, c’est moi qui complique tout…
— C’est pourtant si simple à comprendre ! Regarde Cyano !

Adam pointa du doigt l’adolescent harcelé de l’autre côté de la cour de récréation. Redwan s’arrêta sur la première marche du bâtiment principal et s’obligea à obéir à l’enfant, sentant que ce serait la seule manière de s’en débarrasser au plus vite.

— Cyano est en réalité Blue, ton plus grand rival, annonça l’enfant en lui montrant l’écran allumé de sa console.

Le jeu affichait un personnage pixellisé qui avait vaguement des traits communs avec Cyano, autant que des pixels puissent être identiques à des individus réels. Une indication du jeu proposait que le joueur introduise un prénom pour nommer le personnage. Adam sélectionna le prénom « Blue » pré-écrit par le codage du jeu vidéo.

— Blue te prend toujours pour un bon à rien, et passe sa vie à se pavaner car il est plutôt bon en dressage de Pokémon. Eh bien, ici, c’est le strict opposé ! C’est lui qui est un bon à rien et qui subit les moqueries des autres.

Au loin, une des brutes poussa Cyano au sol et s’esclaffa. La sonnerie retentit alors, annonçant la reprise des cours.

— Sérieusement, rentre chez toi, petit, et amuse-toi tout seul.

Assis sur la banquette rouge du Café du Coin, Redwan sirotait nonchalamment son capuccino comme il en avait l’habitude à chaque fin des classes. La fin de la journée s’était déroulée sans autre incident, et il avait enfin pu se débarrasser de l’enfant perturbé. Cette après-midi-là, la télévision du Café transmettait des informations spéciales qui avaient interrompu la programmation ennuyeuse des jeux télévisés. La journaliste parlait sur un ton grave devant des images de la prison de Distort City. On interviewait une officier de police que Redwan identifia immédiatement : il s’agissait de l’agent Jen qui avait sécurisé sa maison la veille. D’après son visage crispé, les nouvelles qu’elle annonçait n’étaient pas des plus réjouissantes. Une photo d’un malfrat condamné fut alors montrée aux téléspectateurs, et un homme à la barbe mal rasée et aux cheveux marrons mi-longs les dévisagea du regard. D’après les informations, le procès du criminel n’avait pas été en faveur des attentes de la police et de l’opinion publique.

— Il s’appelle Tom Tereack.

Redwan sursauta pour la troisième fois dans la journée. Adam l’avait retrouvé et s’était glissé sur la banquette en face de lui en toute discrétion. Le vieux barman lui apporta un verre de lait qu’il engloutit d’une traite à la paille.

— Que c’est bon, ça !

Redwan le dévisagea du regard, incapable de mettre un mot sur son émotion : était-ce de la surprise, de la colère ou simplement de la lassitude ?

— Tom Tereack a été arrêté il y a longtemps pour un crime lié au trafic illégal d’animaux, organisé par la mafia de Distort City, expliqua calmement Adam.

De toutes les questions qui lui vinrent en tête — comment Adam l’avait retrouvé ? pourquoi le poursuivait-il ? quand allait-il le laisser tranquille ? —, Redwan posa la question qui lui semblait la moins appropriée après mure réflexion.

— Comment un enfant de huit ans peut être au courant de ce genre choses ?
— Primo, je pense qu’on m’a donné dix ans. Deusio, parce que je ne suis pas n’importe qui. Je sais tout, je suis un peu comme un dieu. C’est la raison pour laquelle tu dois me croire quand je te dis que tu t’appelles Red et que…
— Lâche-moi la grappe ! s’emporta Redwan en tapant son verre contre la table.
— …que tu connais ce malfrat !
— Tout le monde le connait ! Il y a eu ce scandale impliquant le maire il y a quelque temps. Tout le monde connait cette histoire, alors arrête de me souler avec ton délire !
— Oui, mais toi tu le connais particulièrement bien, car c’est lui qui t’a infligé cette cicatrice à la main droite.
— De quoi tu parles ?

Redwan jeta un coup d’œil à sa main droite par réflexe et fut étonné de constater une longue cicatrice reliant toutes ses phalanges à leur base. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait plus pensé à cette cicatrice. D’après ses souvenirs vaporeux, l’histoire réunissait une porte, des enfants, et une main logée dans l’entrebâillement alors qu’on la refermait brusquement.

— Tes souvenirs sont vagues parce qu’ils t’ont été retirés de ta mémoire et modifiés, poursuivit Adam, persuadé de raconter la vérité.
— Ça suffit ! Si tu insistes avec ton histoire délirante et que tu continues à me harceler, j’appelle l’agent Jen et je fais coffrer tes parents pour le vol que tu as commis chez moi et pour leur inconscience de laisser leur enfant trainer seul en ville !

Sur ces mots, Redwan jeta quelques pièces sur le comptoir du café et quitta les lieux d’un pas entraîné.

— Je peux te prouver que ce que je dis est vrai ! insista Adam qui le poursuivit dans la rue.
— Ma parole, mais tu es un tyran !
— C’est justement parce que je ne le suis pas que je tiens absolument à te réveiller.
— Va te faire f…
— Écoute-moi !

Adam le dépassa en vitesse et l’obligea à s’arrêter. Ses yeux bleus avaient adopté une expression de toute-puissance alors qu’il maintenait Redwan immobile en le tenant par le bras.

— Ce soir, quand l’orage se déclarera, je te conseille de jeter un coup d’œil au vieux chêne du jardin de ton voisin. On dit que la foudre ne passe jamais deux fois au même endroit, mais il se peut que la nature face une exception ce soir. Il faut absolument prévenir le Prof Maboul.

Adam lui fit un clin d’œil et prit enfin congé. Ébahi par autant de propos incohérents, Redwan soupira.

— Ça m’étonnerait qu’il pleuve ce soir, il a fait beau toute la journée ! cria-t-il à l’attention d’Adam qui disparaissait dans les ruelles de Distort City.

C’est alors qu’un coup de tonnerre éclata dans le ciel. Une goutte d’eau, puis deux, puis une trombe d’eau s’abattit sur lui et Redwan courut se réfugier.