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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 18/03/2018 à 19:43
» Dernière mise à jour le 19/03/2018 à 12:29

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 40 : Mise en œuvre.
 Eily plaqua fortement sa main contre son visage. Ils avaient à peine commencé, et elle n’en pouvait déjà plus. Derrière elle, Tza lui lança un regard compatissant. La demoiselle cyan soupira ; si elle avait su, elle aurait fait comme Ifios : prétendre un mal au crâne et refuser dès le départ.

— Pour la millième fois, grommela Eily, on ne peut pas jouer un 10 sur un Roi ! On ne peut jouer qu’une carte de valeur supérieur ou égale, c’est pourtant pas compliqué !
— Bah, 10 c’est supérieur au roi ! protesta Evenis. Regarde, sur la carte, ils sont 10, alors que le Roi, il est tout seul ! Donc le 10 est supérieur au Roi !
— Tout à fait ! La pouilleuse à raison ! s’exclama une grosse voix pédante.

Tôt ce matin, le groupe avait quitté Aifos en direction de Séoht, la capitale de Prasin’da. Le Festival du Renouveau commencerait demain à la première heure. Aifos n’était pas spécialement loin de la capitale, avec une bonne carriole et de bons chevaux, il serait possible de faire le voyage en moins d’une dizaine d’heures. Mais une dizaine d’heures, ça restait tout de même relativement long, surtout lorsqu’on était cloîtré dans une charrette. Alors, pour passer le temps, Gyl eut la bonne idée de ramener un jeu de cartes. Ce n’était d’ailleurs pas la seule chose qu’il ait ramené. En dépit de tout, Gyl était le majordome de Sanidoma. Ainsi, si Gyl devait aller à Séoht, Sanidoma également.

— Je ne sais même pas pourquoi je joue encore, grogna Eily.
— Humpf ! souffla Sanidoma. Vous n’êtes qu’une mauvaise joueuse !
— Oui misérable laideronne, ne sois pas mauvaise joueuse ! se moqua Gyl.
— Je ne suis pas mauvaise joueuse, c’est vous qui ne respectez pas les règles !
— Une réplique digne d’une mauvaise joueuse ! ricana Sanidoma.

La demoiselle cyan jeta noir au noble grassouillet :

— Qu’est-ce que vous faites là vous, d’ailleurs ? Vous n’avez pas votre carrosse personnel ?
— Je vous fais l’honneur de ma lumineuse présence ! s’exclama Sanidoma.
— Vous êtes si magnanime, monseigneur, appuya Gyl.
— … j’en ai marre…, souffrit Eily.

Non loin, Ifios marmonna d’une voix inaudible :

— … en attendant, son poids fait ralentir les chevaux…

Dans un coin de la carriole, Fario et Sidon observaient l’étrange partie de cartes :

— Je suis surpris, déclara neutrement Fario. Evenis s’entend assez bien avec Sanidoma. Je pensais plutôt qu’elle serait hostile à un noble aussi opulent et excessif que lui.
— Haha, j’étais assez craintif moi aussi ! avoua Sidon. Mais au fond, même s’ils ont l’air totalement opposés, on peut leur trouver des points communs. Tous deux sont des nobles s’étant égarés de leur chemin et qui essaient de le retrouver. Et Evenis le sait – sans doute – pertinemment.
— Votre princesse ne hait donc pas tous les nobles, elle sait faire la part des choses. Vraiment admirable.
— N’est-ce pas ? Elle sera une grande Varon, encore mieux que son père ! Tu peux me croire !
— J’y crois. Mais j’y croirais plus si elle réglait son léger problème d’alcoolisme.

En disant cela, Fario pointa du doigt une Evenis en pleine ‘‘ingurgitation’’ sauvage d’une chope de bière. Sidon ricana maladroitement et se gratta la tête :

— C’est pas faux !
— Mais il n’y a rien de mal à une petite rasade de temps en temps, tempéra neutrement Fario.
— C’est pas faux aussi ! D’ailleurs, on est pas près d’être arrivé, hein ? Pourquoi ne pas passer le temps dans quelques litres de bière nous aussi ?
— J’allais vous le proposer. Evenis croit être l’ivrogne du groupe, mais elle n’est qu’une naïve enfant. Que diriez-vous de lui montrer ce que des adultes savent faire, mon ami ?
— Avec plaisir camarade ! ricana Sidon.

Pas si loin de là, Tza était en pleine séance d’écriture. Généralement, elle préférait écrire lorsqu’elle était seule, mais impossible de dire quand est-ce qu’elle pourrait l’être à nouveau. Ni même si elle serait encore en vie après toute cette histoire. Et Tza ne supporterait pas l’idée de mourir en ayant encore des choses à écrire. Ce serait pire que l’enfer !
Ifios – qui s’ennuyait quelque peu – passa derrière l’épaule de la fillette. Cette dernière était bien trop plongée dans son office pour le remarquer. L’œil indiscret d’Ifios eut donc tout le loisir de lire le roman de Tza. Des nombreux adjectifs passionnés qu’il vit, Ifios devina qu’elle écrivait un joli roman d’amour. Ifios fut quelque peu étonné de retrouver ce genre si particulier dans la plume d’une fillette de 12 ans, mais après tout, pourquoi pas : ce n’était pas l’étrangeté qui manquait dans ce groupe si hétéroclite.
Malgré tout, Ifios écarquilla les yeux lorsqu’il remarqua que la romance en question mettait en scène un frère et une sœur, et, mieux encore, qu'un troisième personnage – étrangement nommé Ivioz – était apparu de nulle part et s’était soudain révélé comme étant un second frère de l’héroïne. Et actuellement, Tza écrivait avec ardeur l’affrontement des deux frères afin d’acquérir l’amour de la sœur ; un affrontement au corps à corps qui, mystérieusement, devenait de plus en plus dénudé, intime, voire érotique.
Au fil de la lecture, Ifios devenait de plus en plus écarlate et son envie de détourner les yeux ne devenait que de plus en plus forte. Cependant, à son grand dépit, Tza était si bonne écrivaine et savait si bien captiver ses lecteurs que le pauvre jeune homme ne put s’enfuir…

Devant, Omilio dirigeait les chevaux. Il était heureux de constater que la vie grouillait derrière lui. Il avait appréhendé une ambiance morne et morose. Ce ne serait que logique, en se dirigeant vers Séoht, la carriole se dirigeait en réalité ni plus ni moins que vers l’enfer. Mais le Foréa d’Aifos n’était pas dupe, au fond de chacun d’eux planait l’ombre de la mort ; ils tentaient juste de l’éloigner le plus possible, par la lumière de leur vie.


 ***

 Quelques heures plus tard, Séoht, la célèbre capitale de Prasin’da, fut enfin à portée. Eily avait été impressionnée par la hauteur des murailles d’Aifos, mais ce n’était rien par rapport à celles de Séoht. Le terme muraille était d’ailleurs bien trop faible pour désigner cette monstrueuse architecture. En les voyants, Eily ne pouvait penser qu’à un mot : infranchissable. On aurait dit qu’on aurait taillé cette ‘‘muraille’’ dans la plus imposante montagne qu’il soit, jusqu’à lui donner l’apparence d’un mur dantesque. Il y émanait une telle aura de puissance que la demoiselle cyan déglutit instinctivement.
Les nombreuses guettes, échauguettes et autres poste de surveillance parsemaient l’énorme rempart tel mille yeux perçant le corps de quiconque s’approchant de près ou de loin. De là-haut, les gardes de la capitale pouvaient voir venir le danger à des kilomètres à la ronde, et si le moindre scélérat osait montrer signes d’hostilité, ce n’était que pour cruellement se faire cueillir par des centaines d’archers toujours à l’affût.

Mais la muraille de Séoht n’était pas que puissance brute. Elle était aussi finesse et somptuosité. Le point d’orgue de cette beauté étant sans doute sa porte principale. Une immense, gargantuesque porte dorée brillant de mille feux ; elle semblait si irréelle qu’on jurerait qu’en la franchissant, on pénétrerait au paradis. Ou en enfer. Aux côtés de cette masse aveuglante, deux formes colossales : deux gracieuses et courageuses statues de chevaliers d’ambre. Ils étaient là, imperturbables, fixant chaque créature de leurs yeux sages, inflexibles et bienveillants.

Bien évidemment, à l’approche du festival, l’entrée de Séoht était complètement embouteillée. Un nombre incalculable de charrettes, carrioles et carrosses s’entre-coinçaient sur la large route pavée. La carriole d’Omilio ne faisait pas exception.

— … on va passer la nuit ici, lâcha une Eily très optimiste.
— Un peu de patience, s’amusa Omilio.
— En tant que Foréa Impérial tu n’as pas un truc pour sauter la foule ? s’immisça Evenis.
— Malheureusement, non. Quoique, je pourrais ‘‘déblayer’’ le chemin avec mes pouvoirs, mais ça ne serait pas correct.
— Maudits plébéiens ! jura Sanidoma. Comment ces mécréants osent-ils me ralentir ?!
— Allons, pardonnez-les monseigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font, glissa servilement Gyl.
— Mmmh… oui, tu as raison, je dois les pardonner. Après tout, je suis SANIDOMA LE MAGNANIME ! HAHAHA !

Eily leva les yeux au ciel.

— Pourquoi suis-je coincée avec ses fous ? geignit-elle.
— Bah, ce n’est que quelques heures à attendre ! relativisa Evenis. Tu veux pas faire une partie de cartes en attendant ?
— NON ! hurla la demoiselle cyan.

Eily serra les dents. Elle était désormais définitivement allergique à tout jeu de carte, allergie qui s’avérait d’autant plus violente si elle devait jouer avec Evenis, Sanidoma ou pire, les deux ensemble.

— Non ? répéta tristement la jeune princesse. Bon, d’accord, je vais aller voir Ifios alors. Je ne sais pas ce qu’il fait, mais il a l’air de bien s’amuser !

Curieuse, Eily jeta un coup d’œil vers le jeune homme. Un demi-rictus se figea sur son visage. Ifios était toujours derrière l’épaule de Tza, à lire les pages que cette dernière enchaînait comme une déchaînée. Un Ifios plus rouge qu’une tomate. Eily ne savait pas exactement ce qu’écrivait Tza, mais elle en avait bien une petite idée. La demoiselle ne savait que trop bien la brûlante ferveur que la fillette avait pour les passions interdites.

« Pauvre Ifios, je prierais pour le repos de ton innocence… » pensa Eily en joignant ses mains.

Et visiblement, Evenis allait accompagner Ifios dans la perte de son innocence. La jeune princesse était loin de douter ce qui l’attendait, lorsqu’elle jeta elle aussi un coup d’œil indiscret aux écritures de Tza. Au rythme où Evenis découvrait les évènements passionnés du roman, son visage passa par tant de couleurs différentes qu’un caméléon la jalouserait.
Ne voulant pas s’immiscer davantage dans cette histoire, Eily détourna le regard. Non loin, Gyl et Sanidoma faisaient un château de cartes, à côté, Sidon racontait à Fario ses anciens combats épiques, autour d’une chope de bière.

« Difficile de penser qu’on va affronter le Vasilias… », s’amusa mentalement Eily.

Seule, la demoiselle cyan sortit de l’intérieur de la carriole pour aller vers Omilio. Elle tiqua légèrement lorsqu’elle remarqua que le Foréa s’était affublé d’une longue perruque cyan.

— … encore avec ce truc ? grinça Eily.
— Je commence à m’y attacher, sourit Omilio. Mais c’est surtout que je ne veux pas être reconnu ; je n’ose imaginer le raffut que cela causerait.
— Mouais, la dernière chose dont on a besoin c’est bien d’une foule de fan en délire ! se moqua Eily.

Puis, un petit silence. Un silence que seul le brouhaha des autres charrettes perturbait. Le regard de la demoiselle cyan se perdit sur l’imposante muraille de Séoht. Ses yeux s’arrêtèrent sur chaque pierre fortifiée qui la composait. Elle déglutit.

— … stressée ? lâcha soudain Omilio.
— … un peu.
— Tiens, tu es honnête. Je pensais que tu allais jouer la forte.
— À quoi bon ? souffla Eily. Si je me mens à moi-même, je n’irais pas bien loin. Je suis stressée, oui, mais cela ne veut pas dire que je prends peur. D’ailleurs, ça serait plutôt inquiétant que je ne sois pas apeurée, non ?

Omilio pouffa.

— C’est vrai. Il faudrait être un psychopathe pour être totalement serein dans cette situation !
— Je suis rassurée de savoir que j’ai encore toute ma santé mentale ! ricana Eily.

Le Foréa d’Aifos sourit faiblement :

— … quoiqu’il se passera, l’avenir de Prasin’da en sera bouleversé.
— En espérant que ça soit pour le meilleur.
— C’est ce que j’espère. Ça va être difficile ; nous n’avions aucun effet de surprise sur le Vasilias. Lui, au contraire, n’est que mystère.
— Comme cette Miu, maugréa Eily.
— Exactement. Elle a également l’air de posséder des Pokémon de l’Ancien Monde.
— Ces espèces de ballons, hein ? Des ‘‘Smogogo’’ si je me souviens bien. J’ai eu peur au début, mais ils étaient vachement faibles.

Omilio hocha la tête :

— C’est vrai. Ils sont tombés inconscients en une seule attaque, rien à voir avec Rhinolove. Mais attention à ne pas les sous-estimer ; le poison qu’ils crachaient était réellement mortel.
— C’est dingue ça. Si elle l’avait réellement voulu, cette Miu aurait pu empoisonner et tuer toute la ville. Et tu dis que dans l’Ancien Monde, les Pokémon couraient les rues et les forêts ? Des Pokémon capables d’annihiler une ville aussi énorme en quelques secondes ? Tu m’étonnes que l’ancienne civilisation ait disparu !
— Si j’en crois le travail des érudits, les Pokémon étaient relativement dociles et bienfaisant à l’époque, expliqua Omilio. Ce sont les Hommes qui les ont rendus fous. Les Hommes ont toujours voulu tout contrôler, se prendre pour Dieu. En tout temps, à tout âge. Parfois, je me demande si notre bonne Terre ne serait pas plus paisible sans nous.

Eily haussa un sourcil :

— Oulah, tu ne prévois pas de détruire l’humanité, rassure-moi !
— Haha. Non, je ne suis pas aussi extrémiste ! Mais il faut se faire une raison, il y aura toujours des ‘‘Vasilias’’ quelques parts. Toujours. Tout ce que l’on peut faire, c’est de les arrêter ; en tout cas, il faut absolument les empêcher d’être aux pouvoirs.
— Et c’est pour ça qu’on est là.
— Tout à fait. Et j’espère que tu es prête ; nous sommes enfin arrivés.


 ***
 ***
 ***


 Le soleil commença à se coucher lorsque la carriole franchit la prodigieuse porte dorée de Séoht.
La ville entière était en agitation, en ébullition, en éruption. C’était la veille du Festival du Renouveau, chacun l’attendait avec une rageuse impatience. Ici et là, l’on pouvait voir de nombreuses petites mains s’affairer à décorer la gargantuesque capitale de multiples et diverses banderoles colorés. Chaque magasin se pavait également de leur plus bel attirail, ne voulant rater l’occasion commerciale.
Eily n’en revenait pas. Aifos n’était rien, strictement rien par rapport à Séoht. Les rues y étaient trois fois plus grande, et deux fois plus bondées. Un véritable océan humain. La demoiselle cyan avait beau s’être habituée à la vie citadine, elle ne pouvait s’empêcher de craindre cette houle démente ; si elle y plongeait, elle était quasiment certaine de ne plus pouvoir remonter.
Et elle n’était pas la seule dans ce cas-là, Ifios et Evenis partageaient volontiers son point de vue. Tza, quant à elle, regardait toute cette agitation avec dédain. Elle n’appréciait pas qu’une autre ville soit plus grande que la sienne ; une question d’égo. Plutôt que de glorifier la grandeur capitale, elle préférait y critiquer ses ‘‘stupidités excessives’’.
Mais au-delà de l’apparence, le sentiment amer perdurait. Cette capitale, qu’importe si l’on la qualifiait de grandiose ou d’excessive, elle serait bientôt le théâtre d’une terrible tragédie. Une tragédie écarlate.

La carriole d’Omilio s’arrêta devant une riche demeure ; l’une des nombreuses résidences secondaires de Sanidoma à travers Prasin’da. À l’origine, Omilio avait réservé des chambres dans une riche auberge, mais à bien y réfléchir, accepter l’inespérée hospitalité de Sanidoma était la meilleure chose à faire. Dans une auberge, les murs pouvaient avoir des oreilles. Une fois que tout le monde fut déposé, Omilio repartit vers le Palais de l’Ambre, le nid du Vasilias. C’était ironique, mais Omilio était bel et bien un Foréa. Pour le défilé du festival, il devait être proche du Vasilias. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’un assassin ne tente pas de lui ôter la vie durant la nuit. Mais de cela, Omilio en doutait. La Vasilias était bien trop confiant ; il attendrait plutôt que la rébellion ne commence pour montrer l’étendue de sa puissance. Omilio pouvait donc dormir sur ses deux oreilles.

— Humpf ! grogna Sanidoma. Je n’arrive pas à croire que je laisse des pouilleux souiller ma sainte demeure !
— Votre bonté vous honore, monseigneur, s’inclina son majordome.
— Grrbl… quoi qu’il en soit, cet horrible voyage m’a éreinté. Gyl, je te laisse le soin de t’occuper de nos ‘‘invités’’ !
— Cela sera fait selon vos désirs.

Et sur ce, Sanidoma le magnifique grogna une dernière fois avant de s’éclipser dans ses quartiers. Gyl s’empressa de guider le reste du groupe à l’étage, dans l’un des nombreux salons de la villa. Il ferma soigneusement la porte, de telle sorte d’éviter une visite surprise du maître des lieux.

— C’est bon ? Fini de jouer ? lâcha Eily.
— Effectivement, répliqua Gyl. Il est temps d’aborder le sujet qui fâche.

La demoiselle cyan hocha la tête et invoqua Caratroc. Ce dernier se plaça sur sa tête, comme il en avait l’habitude.

— C’est vrai qu’un peu d’infos ne serait pas de refus, soupira Ifios. La rébellion des nobles aura lieu demain, c’est cela ? Pourtant, nous sommes encore dans le flou. Qu’est-ce qu’on va devoir faire très exactement ?
— C’est simple, sourit Gyl. Deux étapes principales, s’introduire au Palais de l’Ambre, et vaincre le Vasilias. Pour nous introduire dans le palais, nous utiliserons un passage dissimulé dans les égouts ; je le connais, je vous guiderais. Et pour vaincre le Vasilias, hé bien, on avisera le moment venu.
— Un instant, s’avança Ifios. Il y a un passage secret qui passe des égouts au palais ? Alors, à quoi ça sert tout ça ? Pourquoi ne pas simplement l’emprunter et vaincre discrètement le Vasilias ?

Gyl hocha la tête :

— Parce que ce n’est pas aussi simple que ça, justement. Déjà, le passage en question mène au beau milieu de la salle des gardes du palais ; autrement dit, on ne peut pas l’emprunter selon notre bon vouloir, il nous faut une diversion. Aussi, la défaite du Vasilias doit être gravées dans l’histoire. N’oubliez pas qu’il est comme un dieu sur terre pour tout Prasin’da. S’il venait à disparaître du jour au lendemain, beaucoup se retrouveraient démunis et les risques de révolte civiles seraient énormes. D’une part à cause des citoyens perdus, et d’autre part à cause des nobles qui voudraient leur part du gâteau.
— Je vois, réfléchit Fario. En programmant lui-même une guerre civile qui était de toute façon inévitable, Omilio peut garder un certain contrôle sur la révolte et en limiter les conséquences.
— C’est l’idée, oui, approuva Gyl.
— C’est… assez tordu, grinça Ifios. Il provoque une catastrophe en prévision de ladite catastrophe…
— Haha, en effet, rit Gyl.

D’un coup, Evenis leva la main, comme pour demander la parole :

— Une question toute bête, s’avança la jeune princesse. Je veux bien croire toute cette histoire mais… pourquoi s’infiltrer dans le palais au fait ? Notre objectif final est bien de vaincre le Vasilias, non ? Et le Vasilias, demain, il sera dehors, en plein défilé, non ?

Gyl eut un léger sourire :

— Oh ? En es-tu vraiment certaine ?
— … oui ? … non ? hésita la jeune princesse.
— Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux réponses sont correctes, continua Gyl. Le Vasilias sera bien au défilé, tout comme il sera terré sous son palais.

Evenis pencha stupidement la tête, totalement perdue. Fario se frotta neutrement le menton :

— Notre cher Vasilias aurait donc le don d’ubiquité ? s’avança l’érudit.
— Haha, non, c’est bien plus simple que cela, s’amusa Gyl. Oh, effectivement, il serait peut-être temps de vous le dire. Reprenons depuis le début : personne ne sait à quoi ressemble véritablement le Vasilias, ni même ses plus proches collaborateurs.

Eily acquiesça :

— Oui, il me semble qu’Asda m’a dit la même chose. Alors qu’elle a été élevée par le Vasilias, n’a jamais vu son visage, ni même son corps.
— C’est cela. Étrange, n’est-ce pas ? Bien sûr, c’est pour garder un mystère pseudo-divin autour du personnage. Mais il y a une autre raison, bien plus concrète : le Vasilias n’est pas qu’un seul et unique individu. En réalité, ils sont plusieurs à se partager le rôle.

Un brusque silence suivit la révélation. Evenis fut la première à rompre l’étonnement :

— P-Plusieurs ? s’écria-t-elle. Genre, il y a plusieurs Vasilias ?!
— Encore une fois, oui et non, continua Gyl. Vous pouvez voir le Vasilias comme étant une entité fictionnelle, un costume divin qu’un groupe de dominant se partage. En résumé, il n’y a officiellement qu’un Vasilias, mais officieusement il s’agit d’un ensemble individu se partageant le rôle. Voilà donc pourquoi demain, lors du défilé, il est inutile de traquer le ‘‘Vasilias’’ qui sera sur le char. Il faudra aller à la source, au Palais de l’Ambre, là où tous les ‘‘Vasilias’’ se terrent.

Eily tiqua :

— Et ce n’est que maintenant que tu nous le dis ça ? Ce n’est pas une chose qu’on devrait savoir depuis le début ?
— … c’est vrai, c’est un peu tard pour de telles révélations, je l’admets. Cependant, comprends que le temps nous manquait. Le coup d’état des nobles était prévu depuis bien longtemps ; mais, pour être honnête, la création de votre petit groupe s’est faite dans l’urgence. Et c’est grâce à toi Eily.
— … moi ? plissa des yeux la demoiselle cyan.

Gyl acquiesça.

— Qu’importent nos capacités d’anticipation, il était impossible de prévoir que tu te ferais capturer par les Agrios. Eily, ma ‘‘sœur’’ mystère, toujours censée être entre les griffes du Vasilias. Moi-même je ne savais pas que tu étais en ‘‘liberté’’, loin du Palais de l’Ambre. Omilio a tout simplement sauté sur l’occasion. Ta nature fait de toi une arme redoutable et indispensable à la réussite du coup d’état, qui était jusqu’alors condamné à l’échec.

La majordome reprit son souffle, avant de reprendre :

— Omilio en est donc venu à créer une unité spéciale, pas spécialement comporté d’individus puissants, mais possédant tous un grand potentiel. Une unité qui sera le cœur de son plan ; ceux qui iront plonger au centre du palais et y déloger le Vasilias. Mais pour que cette unité soit efficace, il fallait que ses membres se connaissent, qu’ils vivent et passent du temps ensemble. Il fallait que des liens puissant se tissent entre-eux. Une fois cela fait, il fallait ensuite les motiver à combattre le Vasilias, et finalement leur révéler les détails sensibles… en somme, c’était une entreprise demandant beaucoup de temps, un temps que nous n’avions malheureusement pas…
— C’est vrai que vous n’aviez pas eu beaucoup de temps, mais vous vous êtes très bien débrouillés je trouve ! Après tout, vous êtes tous ici, là, maintenant ! Hihihi !

Une soudaine voix bien trop enjouée. Un petit rire agaçant. L’effroi saisi soudain chacun. Ce petit rire, ils ne l’avaient pas souvent entendu, mais ils le reconnaîtraient parmi mille.

— Oh ? Je vous ai surpris ? Désolée, c’était voulu ! Hihi !
— M…M-Miu ?! s’écria Eily.

Tout le monde se mit subitement sur ses gardes, dégainant ses armes. En une fraction de seconde, le niveau d’hostilité avait subitement atteint un niveau critique.

— Hé, du calme ! ricana la demoiselle améthyste. Je ne viens pas me battre ! Je viens juste vous rendre une petite visite de courtoisie, vous savez, avant que tout ne commence. Il faut toujours saluer ses compagnons de jeu avant le signal de départ, vous savez ? Ce sont les bonnes manières !
— … comment es-tu rentrée ? siffla Gyl.
— Tiens, le déchet me parle ? gloussa Miu. Et comme si tu ne savais pas comment j’ai fait !
— … mon hypothèse était donc exacte. Tu as une maîtrise parfaite de tous les éléments, y compris… le type Spectre.
— Hihi.

Miu gloussa de plus belle.

— Comme quoi, tu as la tête sur les épaules, pour un tas d’ordures ! Mais je ne suis pas là pour parler de moi. La dernière fois, je n’ai pas vraiment eu le temps de faire votre connaissance, le feu de l’action, tout ça ! Je suis venue réparer cette erreur.

Le pas léger, Miu se dirigea vers Eily ou, plus exactement, vers Caratroc.

— Tiens, bonjour toi ! Caratroc c’est ça ? Ou plutôt… Troctroc ?
— … ! T-Tu connais mon surnom ?
— Bien sûr ! rit la demoiselle améthyste. Mère sait beaucoup de chose sur vous, elle vous observe nuit et jour. J’en serais presque jalouse !

Miu voulut prendre Caratroc dans ses mains, mais Eily recula brusquement. Elle toisa durement le monstre à la chevelure améthyste.

— Hé, je n’allais pas le casser ! gloussa Miu. Le savais-tu ? Dans l’Ancien Monde, les Caratroc étaient déjà connus pour leur carapace à toute épreuve. Mais les Ensar d’aujourd’hui sont bien plus puissants que les Pokémon d’autrefois ! Autrement dit, ton petit Troctroc est quasiment invulnérable. Sa carapace pourrait même résister à une bombe atomique ! Enfin, si vous saviez ce qu’est qu’une bombe atomique.

La demoiselle améthyste sourit :

— Tu sais Eily, il y a une raison pour laquelle ton Ensar est un Caratroc. Les Foréa sont très liés à leur Ensar, ils en héritent les capacités basiques. Asda est aussi résistante que son Bastiodon par exemple. Tu comprends ce que ça veut signifie ? Dis, tu ne te souviendrais pas, par hasard, d’une fois où tu as miraculeusement survécu à quelque chose de mortel ?
— … !

D’un coup, Eily recula, soudaine prise d’un vif mal au crâne. Ce que disait Miu raisonnait en elle. Quelque chose de mortel. L’orphelinat. L’incendie. Sa fuite… il s’était passé quelque chose durant sa fuite, après la mort d’Athoo. Quelque chose qu’Eily avait inconsciemment oublié. La demoiselle cyan grinça les dents, incapable de saisir son souvenir.

— Pourquoi es-tu venue ? grogna subitement Sidon.

Miu fit mine de bouder :

— Vous êtes vraiment trop hostiles ! Il faut vous détendre ! Ce n’est pas parce que je peux tous vous tuer dans la seconde qu’il faut être aussi tendu !
— Tu n’as pas répondu à la question, insista l’homme balafré.
— Quoi, sur la raison de ma venue ? Mais je l’ai déjà dit ! C’est une petite visite de courtoisie ! Tu sais, les filles n’aiment pas quand on leur fait répéter !

La demoiselle améthyste secoua la tête :

— Zut, moi qui pensais que vous seriez contents de me voir ! C’est moi qui ai fait quelque chose de mal ? Allez, pour me faire pardonner je vais vous expliquer deux-trois trucs. Vous vous demandez sans doute pourquoi est-ce qu’on vous laisse préparer tranquillement votre plan, sans vraiment intervenir. C’est mystérieux, hein ? Hé bien à la base, sachez que Mère avait bien prévu de réduire les plans d’Omilio à néant ; après tout, Mère avait autre chose à faire que de distraire les caprices d’un insecte. Cependant, un élément imprévu à complètement changé la donne.

Miu pointa vivement Eily du doigt :

— Hé oui, je parle bien de toi, la tête bleue ! Ton arrivée a rendu les choses bien plus intéressantes, tellement que Mère a décidé de revoir ses plans et de laisser Omilio jouer au petit révolutionnaire. Mère voulait voir ton évolution, Eily. Et demain, Mère aura enfin les résultats de sa petite expérience. J’espère juste qu’elle ne sera pas trop déçue. Après tout, je ne veux pas me moquer mais… vous êtes sacrément faibles, tous. Omilio mis-à-part, vous seriez incapable de me tenir tête plus de deux secondes. Juste une bande de vermine, en gros. De mon avis, Mère aurait trouvé des jouets bien plus intéressants autre part…
— …

Evenis n’en pouvait déjà plus. L’audace de cette Miu la rendait folle. Pourquoi était-elle venue ? Une visite de courtoisie ? Non, rien de tout cela. Encore une fois, elle voulait démontrer sa toute puissance. Elle voulait montrer que pour elle, tout cela n’était qu’un jeu. Un jeu qu’elle maîtrisait à la perfection. Une assurance cyniquement sarcastique. Une moquerie de plus ; celle de trop. Sans réfléchir une seconde de plus, Evenis sortit son Plasma ; elle tira. Comme un signal de départ, Tza se faufila dans l’ombre, prête à assommer Miu de son énorme lame.
Cependant, aucune des deux ne toucha sa cible. Le rayon électrique s’annula subitement, quant à Tza, son épée resta figée à quelques millimètres de sa destination, comme bloqué par une gargantuesque force invisible.

— Hé les filles, vous êtes sacrément violente toutes les deux ! s’étonna faussement Miu. Je ne suis pas venue pour me battre, m’enfin ! Et puis…

Miu se retourna vers Tza, qui se démenait encore à faire bouger sa lame figée dans le vide.

— Toi, tu es Tza, si je ne me trompe pas. La petite-sœur d’Omilio. Mmh, oui, tu as aussi un certain potentiel, peut-être que dans plusieurs années, tu seras de taille. Mais le plus important, tu manques de conviction.

La demoiselle améthyste lui sourit :

— Je suis une ennemie mortelle, tu sais ? Si tu veux m’attaquer, il faut le faire avec l’intention de m’anéantir. Mais toi, tu as voulu frapper avec le plat de la lame, je me trompe ? Tu voulais quoi, juste m’assommer ? C’est loin d’être suffisant.

Tout en accentuant son sourire, Miu empoigna fermement l’arme de Tza ; le tendre de sa main rencontra la lame aiguisée. Son sang coula le long de l’acier.

— La prochaine fois, attaque-moi avec ça.

Puis, le plus calmement du monde, Miu se tourna vers Evenis. Un rictus sarcastique marqua son visage.

— Et toi, Evenis Azne Genna. Tu es vraiment aussi stupide que le dit Mère. Ton arme est une relique de l’Ancien Monde, une technologie que Mère a étudié sur le bout des doigts. Penses-tu réellement pouvoir m’atteindre avec ça ? Réfléchis deux secondes. Omilio n’a donné d’armes à personne ici. Ifios et Sidon ont encore leur cimeterre, le déchet à son boomerang, Tza à son épée… pourquoi, d’après toi ? Parce que les armes de l’Ancien Monde sont inutiles contre nous, nous savons parfaitement les contrer.

Miu ricana narquoisement :

— J’imagine qu’Omilio t’as donné ce truc pour que tu aies un peu plus confiance en toi. C’était quoi ton arme d’avant encore ? Un pauvre lance-pierre artisanal ? Pauvre petite, tu ne sers vraiment à rien. Je me demande vraiment pourquoi Omilio t’as intégré à sa petite équipe. Tu ne vaux pas plus qu’un déchet.
— … ! E-Espèce de… 

Les insultes à répétition étaient difficiles à digérer. Si Gyl ne retenait pas fermement Evenis, la jeune princesse aurait déjà sauté au cou de Miu.

— Ne tombe pas dans la rage, conseilla la majordome. Ça lui fait plaisir.
— Oh ? Tu crois que j’aime ça ? papillonna Miu des yeux. Hihi, peut-être, oui, effectivement ! C’est juste tellement marrant de jouer avec des insectes ! Ils se débattent, se débattent, se débattent, se débattent, encore encore encore et encore ! Et pourtant, il suffit d’une toute petite petite pression du pied et BAM ! Ils EXPLOSENT !

Tout au long de son discours, les yeux de Miu s’écarquillaient de plus en plus, jusqu’à en devenir grotesques. Son sourire, qu’elle s’efforçait d’ordinaire de garder ‘‘mignon’’, se déformait maintenant en un horrible rictus. Sa respiration, bruyante et saccadée, glaçait le sang. Puis, d’un coup, Miu leva la tête, surprise elle-même pas sa propre réaction. Elle se mit à essuyer ses yeux, comme si elle venait de se réveiller. Petit à petit, son visage reprit ses teintes habituelles.

— Hihi, gloussa-t-elle. Excusez-moi, je me suis un peu laissée emporter ! Je suis un peu idiote, hein ? Je suis venue en amie, et je me mets à vous insulter… désolée. Vous savez, je n’ai pas l’habitude de parler avec d’autres gens. J’ai passé toute ma vie avec Mère, sans avoir le droit de voir personne. Vous savez, je vous suis très reconnaissante en vrai ! C’est grâce à vous et à votre petite rébellion que j’ai eu le droit de sortir ! Hihi, je suis tellement excitée ! Avant, je ne pouvais voir le monde que par des écrans. C’était sympa mais bon, voilà quoi. Ça devenait vite ennuyant. Alors que maintenant, je peux tout voir de mes propres yeux ! Le ciel ! L’océan ! Les montagnes ! Les villes ! Tout est si grand ! Et encore une fois, c’est grâce à vous ! Franchement, merci ! Hihi… hihi… hi…

Lentement, la demoiselle améthyste baissa la tête :

— … mais tout ça, ça vous embête, hein ? Je vois bien que ça ne vous intéresse pas. Je ne pourrais jamais bien m’entendre avec vous, ni avec n’importe qui d’autre d’ailleurs. Je le sais depuis ma naissance ; c’est juste que j’espérais, enfin… bref, dans ce cas, je n’ai plus grand-chose à faire ici, hein ? Désolée d’avoir gâché l’ambiance. Au revoir, et à demain.

Avec un petit sourire, Miu recula doucement vers le mur du fond avant de simplement le traverser et disparaître, tel un fantôme. Son soudain départ laissa un silence de mort dans le salon. S’il y avait un point sur lequel Miu avait raison, c’était qu’elle avait vraiment ‘‘gâché’’ l’ambiance. Il fallut bien une bonne vingtaine de minutes pour que chacun ne reprenne ses esprits.

— … qu’est-ce qui vient de se passer ? lâcha finalement Caratroc.
— … aucune idée, souffla Ifios.
— Cette Miu est stupéfiante, déclara Fario. Elle a l’air de vivre dans un autre monde que le nôtre.
— Je ne te le fais pas dire, grommela Sidon. Un mystère sur pattes.

Ifios s’avança :

— Un instant, c’est tout ce que ça vous fait ?! grinça-t-il. C’est notre ennemie ! Et elle était là, parmi nous ! Sans que personne ne le voit arriver ! Vous pensez vraiment que je fais réussir à dormir maintenant, en sachant qu’elle peut venir m’assassiner dans mon sommeil ?!
— J’admets que cela doit être éprouvant, répliqua Gyl. Mais nous n’y pouvons rien. Toutefois, la situation n’a pas changé. Le Vasilias pouvait vous tuer n’importe quand, n’importe où. Que ce soit à Aifos ou à Séoht, qu’importe. Si vous êtes encore en vie, ce n’est que par son bon vouloir.
— … et on doit lui en être reconnaissant ? siffla Eily.

Gyl sourit doucement :

— Je n’ai jamais dit ça. J’énonce simplement des faits. Cependant, Miu ne va pas revenir. Elle a dit ‘‘à demain’’, vous l’aviez entendu, n’est-ce pas ? Cette fille, aussi dérangée soit-elle, ne ressemble pas à une menteuse. Tout ce qu’elle dit ou ce qu’elle fait est sincère.
— Tu lui accordes beaucoup de crédits, remarqua Eily.
— Oui, c’est vrai. Peut-être parce qu’au fond, je me reconnais en elle. Pauvre Miu, si me demande si elle sait qu’elle aussi…

La majordome s’arrêta là, le regard à la fois triste et nostalgique. Eily fut tentée de lui demander de poursuivre, cependant, ses yeux semblaient si mystérieusement tourmentés que la demoiselle cyan n’osa aller plus loin. Jamais Eily ne se serait cru aussi sentimentale.

— … dites, je suis si inutile que ça ? lâcha soudain Evenis. Mon Plasma… il n’a servi à rien contre Miu…
— Ne te bile pas trop, sourit Sidon en lui donnant une tape sur l’épaule. On se sent tous un peu impuissant face à ce monstre. Mais c’est pour ça qu’on est ensemble, hein ? Seul, on est faible, mais ensemble, on peut déplacer des montagnes !
— Tu parles d’un discours cliché, grinça Evenis.
— Haha, c’est pas faux ! ricana Sidon. Mais si tu veux une preuve concrète… mmh… tu te souviens des Smogogo ? Les espèces de ballons violets de la dernière fois. Si on a réussi à les éliminer en un coup c’était grâce à toi ! … et puis…

Sidon attendrit son visage :

— … la question n’est peut-être pas là. L’important, c’est de garder le cœur pur. Evenis, pour quelles raisons te bats-tu ? N’est-ce pas pour sauver ton peuple ? Tant que tu gardes cette idée en tête, tu n’es pas inutile. Même si tu ne possèdes peut-être pas la force brute, tu en as la conviction pure. Et c’est de cela dont on a besoin, c’est pour cela qu’Omilio t’as choisi. On se bat parce qu’il faut se battre. La lutte n’est pas le privilège des puissants, même les plus faibles en le droit de faire entendre sa voix. C’est notre détermination qui nous apportera la victoire.
— …

Evenis hocha la tête. Elle n’était pas totalement convaincue, mais l’assurance de Sidon la calma quelque peu. La jeune princesse était bien déterminée à déloger le Vasilias de son piédestal. Jamais elle ne pourrait pardonner à un tyran qui se laisser son peuple mourir de famine. Vu les absurdes richesses de la capitale, qu’il ne fasse pas croire qu’il n’avait pas les moyens d’aider une simple province. Ici, un seul individu avait à manger pour dix. Là-bas, dix miséreux s’entre-tuaient pour un seul morceau de pain. Il y avait clairement un problème quelque part.

« Non, Sidon à raison », cogita Evenis. « Je savais depuis le début que je n’étais pas de taille. Que j’ai un joujou de l’Ancien Monde ou non, ce n’était pas ça qui allait me donner la victoire. Je me bats parce que je dois me battre, c’est aussi simple que ça. Alors oui, le Vasilias est surpuissant et une personne sensée n’imaginerait même pas l’affronter. Mais moi je ne suis pas sensée, je suis stupide ! Alors, je peux le faire ! »

Evenis sourit franchement, bêtement. Ses idées étaient plus claires désormais. Demain, elle se battrait, non pas pour gagner, mais juste pour se battre, de toute son âme ; pour prouver au Vasilias que ceux qu’ils méprisaient en avaient dans le ventre !

— Affrontez le Vasilias, hein, souffla Ifios. Je ne m’en rends pas encore compte… j’ai l’impression de m’être fait entraîner dans quelque chose de bien trop gros pour moi…
— Le Vasilias est l’ennemi de mon frère, alors il est également le mien, se positionna Tza.
— J’aimerais pouvoir penser de même, souffla Ifios. D’après vos dires, le Vasilias serait pire qu’un démon, soit. Mais demain, c’est bien un coup d’état qui va avoir lieu, hein ? Je veux dire, sans parler du Vasilias, il y aura beaucoup de victimes parmi les citoyens… eux, des gens qui n’ont rien demandé.
— Et qui vivent dans l’oisiveté, marqua sarcastiquement Evenis. Tu dis qu’ils sont innocents ? Non, ils sont coupables par inaction. Ils ignorent sciemment qu’à quelques lieux d’eux, d’autres êtres humains meurent de faim !
— … et c’est suffisamment pour mériter de mourir ? expira Ifios.

Evenis se mordit les lèvres ; elle recula d’un pas.

— N-Non, bien sûr que non… c’est juste que… non, désolée, j’ai encore parlé trop vite…
— La culpabilité par l’inaction, répéta neutrement Fario. C’est un concept très intéressant. Peut-on être coupable de se plaire dans son confort, et d’en oublier la détresse des autres ? Beaucoup de romans de l’Ancien Monde traitaient le sujet ; aucun ne donne cependant de véritable réponse, si ce n’est que tout est question de point de vue.
— Est-ce vraiment le moment de philosopher ? soupira Eily.
— Ha ha, en effet, rit platement Fario. Pour en revenir au sujet, je pense qu’il est parfois nécessaire de faire quelques sacrifices, aussi tristes soient-ils. Ifios, je comprends ce que tu ressens. Tu es sans doute celui d’entre nous qui a le moins de raisons d’être là. Je pourrais te dire que notre cause est fondamentalement juste, mais ce ne serait que des paroles. En revanche, Omilio n’est pas un sans-cœur. Je crois comprendre qu’il a prévu de protéger les citoyens, histoire de limiter au maximum les malheureuses causalités.

Sidon hocha la tête :

— C’est prévu, ouais, assura l’homme balafré. Inam et Danqa resteront en arrière, avec leurs hommes respectifs. Ils se concentreront sur la sécurité des citoyens.
— Père et mère…, marmonna Ifios.

Le jeune homme se mordit les lèvres :

— … ils sont… vraiment ici ?
— Tu veux les voir ? s’amusa Sidon. C’est malheureusement impossible pour le moment. Inam est au Palais de l’Ambre, tout comme Omilio. Quant à Sidon, il se terre dans les profondeurs de la capitale, avec quelques Agrios.

Soudain, Sidon frappa dans ses mains :

— Oh, mais j’y pense ! Danqa m’a demandé de te transmettre un message !

Ifios leva la tête, subitement très intéressé. Sidon sourit espièglement. Et, d’un coup, il dégaina son cimeterre et l’abattit lourdement sur le jeune homme. Ifios, bien qu’extrêmement surpris, réagit au quart de tour et contra de justesse l’assaut de son propre cimeterre. Autour d’eux, c’était la stupéfaction générale.

— Hé, joli réflexe ! ricana Sidon.
— … qu’est-ce que…, grogna Ifios.

Tout en continuant son rire, l’homme balafré rengaina son arme.

— Et voilà pour le message !
— M’attaquer était le message ? plissa Ifios des yeux.
— Ouais. J’imagine que le petit papa voulait juste savoir si son fils ne négligeait pas son entraînement !
— … ça lui ressemble bien…, soupira le fameux fils.

Eily eut un petit rictus amusé. Effectivement, ça lui ressemblait bien. Lorsqu’elle l’avait revu il y a quelques jours, Danqa l’avait subitement attaquée, juste pour la tester. Le Boss des Agrios avait décidément une bien étrange méthode de communiquer.
Ifios rangea son arme, lui aussi amusé. Bien qu’il avait un charisme certain, son père n’avait jamais été très doué avec les mots, il préférait largement les actes. Des actes qui parfois pouvaient être assez brusques, mais qui avaient toujours du sens. Au fond, à travers cette ‘‘attaque’’, Danqa montrait qu’il s’inquiétait pour son fils. Et cela ne pouvait que toucher Ifios, qui n’avait plus vu son père depuis des lustres.

— Bien, tout le monde a dit ce qu’il avait à dire ? s’avança Gyl. Ifios a raison, demain, ce sera l’enfer. Notre travail sera de rendre cet enfer le plus éphémère possible. Une fois le Vasilias vaincu, tout s’arrêtera. Vous vous demandez certainement pourquoi, mais je vous assure cette vérité.
— Toujours aussi vague, hein, commenta Eily.
— Ce serait triste de dévoiler tous les mystères aussi tôt, non ? répliqua caustiquement Gyl. Mais aie un peu de patience, demain, la vérité tombera enfin.

Gyl baissa les yeux, murmurant ses derniers mots, inaudible :

— … reste à savoir si tu parviendras à la supporter…


***

 Telle la fatalité, la nuit finit bien par disparaître, laissant naître le lendemain. Séoht était en éruption. Le Festival du Renouveau avait commencé. Dehors, une foule de marchands en tout genre tenait une foule de stand en tout genre ; adultes, enfants et grand-parents fourmillaient les immenses rues, tous souriants et enjoués.

Caché, sur le toit d’un grand bâtiment, une figure narquoise fixait toute l’agitation. Yvain de Mercœur, le meneur de la rébellion côté noble. Il ne parvenait que très difficilement à contenir son excitation. Son heure de gloire était enfin arrivée. À ses côtés, son arme secrète. Un ‘‘sniper’’ comme l’avait appelé Omilio. Un joli petit joujou de l’ancien monde, capable de tuer à très longues distances, sans être vu. Une arme parfaite pour le lâche qu’il était. Le plan était simple ; il attendrait le défilé du Vasilias et, au bon moment, une simple pression sur la gâchette lui donnerait la victoire.
Une fois le Vasilias tombé, il faudrait s’occuper de Sfyri et Asda ; ainsi que leurs hommes. Tout était parfait. Dès qu’il tira, l’armé des nobles – habilement dissimulée dans la capitale – surgira et prendra d’assaut la capitale. Bien sûr, ce ne sera pas aisé, mais quoiqu’il pût se passer, le dénouement était clair. Certes, affronter deux Foréa pourrait sonner comme du suicide, mais Yvain pouvait compter sur l’aide d’Omilio et d’Inam. En sommes, la victoire était assurée.

— Hahaha ! Cette journée sera majestueuse ! Hahaha ! s’esclaffa le noble.

Dissimulée derrière lui, une jeune demoiselle à la chevelure améthyste le regardait, hautaine. Miu avait rarement vu un être aussi pathétique. Il était si confiant, alors qu’il n’était qu’un outil. Cependant, les plus pathétiques outils pouvaient également avoir leur utilité.

« Bonne chance, Yvain de Mercœur », rit-elle mentalement. « Tu as raison, cette journée sera majestueuse… »

Et, sur un silencieux ricanement, Miu disparut.


 ***

 Si les rues de Séoht étaient en pleine ébullition, il en était de même pour son sous-sol. Dans les égouts, Danqa aux griffes, le Boss des Agrios, avait réuni la totalité de ses hommes. Les Agrios, ces anciens bandits revenus sur le bon chemin, suivraient leur Boss jusqu’au bout. Ils n’étaient que des âmes perdues, ne connaissant que la violence. Danqa, lui, avait cru en eux. Il les avait entendus, il les avait protégés, il les aavait aidés, alors que tous les autres – y compris leur famille – les avaient abandonnés.

Danqa leur faisait face, aussi solide qu’une montagne. En dépit de tout ce qu’il pouvait penser, il se devait de garder la tête plus que haute. Il était le lien, le pilier indéfectible des Agrios. Cependant, au fond de lui, Danqa avait peur. Un sentiment qu’il ne ressentait qu’en de rarissimes occasions. Beaucoup, beaucoup trop de choses qui lui étaient chères étaient en jeu. Inam, sa tendre et chère ; Ifios, son précieux fils ; Sidon, son insupportable meilleur ami ; les Agrios ses fidèles protégés. Danqa le savait, il était fort possible que fois la nuit tombée, leurs vies pourraient n’être que souvenir. D’ailleurs, lui-même risquait de trépasser.

Ce qui l’effrayait le plus, c’était qu’il avait l’impression d’être déjà pris au piège, comme s’il n’était qu’une proie se jetant d’elle-même dans la gueule du loup. Ce n’était pas une nouveauté, le Vasilias était bien sûr au courant de la rébellion ; et il l’autorisait étrangement pour on ne savait quelle raison. Et surtout, Danqa se savait épié.
Elle était juste derrière lui, grossièrement cachée dans un creux du mur ; une demoiselle à la chevelure améthyste. Danqa avait reçu les rapports d’Omilio, il savait qu’il s’agissait de la fameuse Miu, une partisane surpuissante du Vasilias. Que pouvait-elle bien faire là ? Comptait-elle les éliminer avant que tout ne commence ? Aucune possibilité n’était à écarter.

De son côté, Miu devait s’avouer surprise. Elle ne pensait pas se faire repérer. Fidèle à ses préjugés, la demoiselle améthyste avait toujours pris Danqa pour une simple et bête montagne de muscles. Mais maintenant qu’elle le voyait de ses propres yeux, et non plus à travers des écrans, Miu était perplexe. Danqa n’était ni un Foréa, ni un Magus, c’était un fait. Cependant, la demoiselle améthyste pouvait sentir une espèce d’aura étrange entourer le Boss des Agrios, quelque chose qu’un simple humain ne pouvait posséder. Miu sourit espièglement.

« Vraiment, j’ai hâte… » s’enthousiasma-t-elle avant de s’en aller.


 ***

 Devant le Palais de l’Ambre, le char du défilé était prêt. Un majestueux char ambré, rayonnant de mille feux ; il était semblable à un soleil. Quiconque qui serait perché sur cette merveille aurait l’éclat d’un dieu ; l’idéal pour un défilé de propagande.

Aux portes de palais, Inam la Guerrière était droite et immobile, alignée avec les trois autres Foréa Impériale. Asda la Gardienne, Omilio le Politicien et Sfyri l’Artisan. Inam appréhendait particulièrement ce dernier. Sfyri était le plus vieux des Foréa. Un grand homme à la chevelure grisonnante qui gardait continuellement ses bras croisés sous une large et longue cape de velours rouge. Il ne fallait cependant pas se fier à cette apparence sage, Sfyri était un mystère vivant. Il était strictement impossible de savoir à quoi cet homme pensait. L’excentrique imprévisible par excellence.
Durant le coup d’état, Inam aurait l’ingrate tâche de neutraliser Sfyri, de tout faire pour qu’il n’annihile pas la rébellion des nobles en un tour de main. C’était qu’il en serait capable, le bougre. Beaucoup sous-estimaient Omilio et Sfyri à cause de leur titre Le Politicien et l’Artisan ; cela ne sonnait guère guerrier. Mais c’était une erreur ; leur potentiel destructeur était bel et bien réel. Les nobles avaient beau avoir des armes de l’Ancien Monde, ce n’était que des babioles pour un Foréa.

Soudain, un bruit sourd coupa Inam de ses pensées. Les lourdes portes du palais s’ouvrait, laissant passer un individu au corps entièrement voilé. Le Vasilias. Le dieu autoproclamé de Prasin’da. Personne, ni même ses plus proches collaborateurs, ne savait à quoi il ressemblait, comme si de simples mortels n’étaient pas dignes de voir son apparence. C’était simplement un moyen de renforcer la supercherie. Qui était réellement derrière ce voile ? Était-ce le même individu que l’an dernier ? Impossible de le savoir. C’était là des questions que personne parmi la foule ne se posait, tant leur foi était immense.

Malgré tout, aujourd’hui, chacun tiqua. Et pour cause, seul le Vasilias était attendu. Or, une figure féminine sautillait gaiement à sa suite, une figure dont la populace ignorait l’identité ; une demoiselle à l’étrange chevelure améthyste. Elle adressa un petit sourire à Omilio.

« J’espère que tu es prêt, mon bon Omilio ! » ricana-t-elle.


 ***

 Tentant vainement de se mouvoir au milieu de l’insoutenable foule, Eily étouffait. Le Festival du Renouveau était terriblement populaire ; et encore, c’était un ridicule euphémisme. C’était à peine si la demoiselle cyan pouvait respirer. Elle n’osait imaginer la situation de Tza, bien plus petite qu’elle, qui n’était même plus capable de voir le ciel. Heureusement, ils étaient proches de leur destination. Avant que le défilé ne commence, le groupe avait décidé d’attendre dans une ruelle sombre et peu fréquentée, à proximité d’une bouche d’égout. Ainsi, dès les premiers signes du coup d’état, ils pourront plonger au sous-sol et commencer l’infiltration du palais.
Finalement, au bout d’une dizaine de minutes à se faire bousculer par la populace, Eily parvient à entrer dans la fameuse ruelle ; elle respira un grand coup.

— Plus jamais ça…, grommela-t-elle.
— Je partage cet avis, grinça Ifios.
— Déjà fatigués ? s’amusa Gyl. Nous n’avons pourtant pas encore commencé.
— … grrr…

Soudain, une petite forme fulminant de rage émergea dans la ruelle. Ses yeux rouges luisaient d’une haine si mémorable qu’elle fit drastiquement chuter la température. N’importe qui la voyant pour la première fois jurerait voir un démon. Pour d’autre, c’était tout simplement une Tza passablement énervée.

— Et ce fut ainsi que Tza devint misanthrope, narra neutrement Fario.
— Haha ! ricana Sidon, ce n’est pas être très joyeux de se balader dans une marée humaine, surtout quand on est de taille mini !

La fillette leur lança un regard si noir qu’il effraierait le diable lui-même.

— Arrêtez de l’embêter, souffla Ifios. Vous croyez vraiment que c’est le moment ?
— On plaisante juste ! s’amusa Sidon. Et toi aussi, tu devrais te détendre, je sais que tu es déçu de ne pas pouvoir voir ta mère mais…
— Je ne suis pas déçu ! réagit vivement Ifios.
— Haha, si tu le dis. T’inquiète, tu la verras bien assez tôt.
— … puisque je dis que ce n’est pas ça le problème…, grommela le jeune homme.

Eily soupira :

— Vous ne pouvez pas être sérieux deux minutes ? Essayez au moins de paraître concentrés…
— Pour une fois, moi je le suis ! s’exclama Evenis. J’ai même bien fait attention à ne pas boire ce matin, pour être en pleine possession de mes moyens !
— … l’effort est louable, admit Eily.
— … parce que tu dois faire attention pour ne pas boire ? releva Ifios.

Gyl sourit légèrement. C’était une bonne chose que l’ambiance soit légère, du moins, pour l’instant. Dans quelques minutes, toute cette atmosphère ne serait que souvenir ; alors, toutes ces dernières secondes d’insouciance, il fallait pleinement les consommer. Ici, seul Gyl avait pleinement conscience de l’ampleur de la dangerosité du Vasilias. Lui, plus que tous, savait l’enfer dans lequel ils s’apprêtaient de plonger…


 ***

 Au cœur de la capitale, le véritable héros resplendissait. Il était certes au milieu de la foule, mais sa brillance naturelle le faisait un parmi les autres. Pourtant, il ne faisait rien pour acquérir cette gloire éclatante ; la gloire venait naturellement à lui, comme attirée par tant de magnificence. Telle était la malédiction de Sanidoma le magnifique. Du moins, dans sa tête.

En réalité, le noble grassouillet peinait à garder sa contenance. Il n’avait pas pour habitude de se mêler ainsi à la plèbe. D’ordinaire, il assistait au Festival du Renouveau en hauteur, dans des loges classieuses que seules les plus riches pouvaient se permettre. Mais au fond, Sanidoma n’aimait guère ces endroits ; les autres nobles passaient leur temps à se moquer de lui. Auparavant, Sanidoma supportait les railleries pour faire bonne figure, mais désormais, il n’avait plus spécialement envie de jouer le rôle. Et tant pis si pour cela, il devait se mouiller à l’aigre sueur de la foule exaltée.

Cependant, plus que tout, c’était l’absence de Gyl qui le peinait le plus. Cela faisait plusieurs années que son majordome était toujours là pour lui, à l’aider en dépit de tout. Lorsque Gyl n’était pas présent, Sanidoma se sentait démuni, tel un enfant sans la rassurante présence de ses parents. Mais Sanidoma savait qu’il devait prendre son indépendance. Il ne pouvait pas toujours compter sur son majordome. Ce serait difficile, mais il y arriverait. Après tout, n’était-il pas Sanidoma le magnifique ?

Soudain, la fanfare du défilé tira Sanidoma de ses pensées. Le char du Vasilias avait finit par arriver. Les quatre Foréa Impériaux étaient clairement visibles, chacun fidèle à sa réputation. Omilio et Asda, les plus populaires, saluaient la foule de larges signes de mains amicaux. Inam, elle, se contentant de fixer sévèrement la plèbe, telle la redoutable guerrière qu’elle était censée incarnée. Et à ses côtés, l’étrange Sfyri, qui regardait le ciel d’un air absent. Mais aujourd’hui, la palme de la bizarrerie ne revenait pas à Sfyri, mais bien à cette mystérieuse demoiselle améthyste sautillante aux côtés du Vasilias en personne. Sanidoma ne l’avait absolument jamais vue de sa vie, et il se demandait bien qui elle était…

Sanidoma fixa ensuite longuement la figure voilée au sommet du char ambré ; celui qui incarnait le Soleil de Prasin’da. Quoiqu’on puisse penser du Vasilias, son mystérieux charisme poussait au respect. L’être réputé omnipotent, omniscient et omniprésent. Sanidoma avait beaucoup de mal à accepter qu’une personne brille plus de lui, mais une chose était certaine : il tenait bien trop à sa vie pour le faire savoir. Il faudrait réellement être fou pour s’opposer directement à ce monstre divin.

Et, au moment même où Sanidoma pensa cela, une chose impensable se produit. Un étrange bruit sourd détonna. Et, à peine une fraction de seconde plus tard, un épais filet écarlate s’échappa de la tête du Vasilias ; il s’écroula. Le coup d’état venait de commencer.