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Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak



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Informations

» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 14/03/2018 à 08:53
» Dernière mise à jour le 14/03/2018 à 08:53

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Aventure   Présence de Pokémon inventés   Science fiction

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Chapitre 27 : Le lendemain
Six



Je rêvais. Même si le rêve en question était incompréhensible, je savais que j’étais actuellement endormie. Pourtant, c’était comme si j’assistais au rêve d’un autre. Les images, les lieux et les personnages autour de moi m’étaient étrangers. Ils défilaient à la chaîne, sans que je puisse réellement en saisir le sens. J’avais l’impression de tout regarder depuis le bas, comme si j’avais soudainement rétrécis. J’entendais des voix, souvent indistinctes. Une me parvint plus clairement :

- Je suis Lord Kashmel Irlesquo, fils du Grand Maître Gredon. Et voici mes compatriotes, Lady Sareim Therno et Lord Stuon Jarminal. Peut-on savoir votre nom à vous, messire Pokemon ?

Kashmel était en train de se présenter à moi ? Pourtant, je ne reconnaissais pas sa voix. Les images se succédèrent, comme un film en avance rapide. La même voix dit :

- Furaïjin. Qu’est-ce que tu en penses ? La fureur et le tonnerre. C’est un nom qui te convient à merveille, non ?

D’autres scènes, d’autres lieux, cette fois comme si on rembobinait le film.

- Quelques soient les âges qui nous séparent, je serai toujours avec toi, d’une façon ou d’une autre. Crois en la lumière sacrée d’Ho-Oh.

Dans mon rêve, je dormais, pendant des années, des siècles. Je me transformais.

- Le Phénix. Mon dernier legs aux G-Man. Il ramènera l’Aura à zéro.

J’étais sur l’épaule de quelqu’un. Un homme. Il portait une cape, un habit flamboyant doré, et semblait mener une armée sur un champ de bataille. J’avais le visage près de ses cheveux noirs de jais ébouriffés.

- Ils t’ont arraché à moi. Je ne leur pardonnerai jamais… Jamais !

J’étais en train de lancer une attaque électrique sur quelqu’un. Je sentais quelque chose traverser mon corps et le déchirer. Puis le film fut rembobiné encore plus, de plus en plus vite. Les images se succédaient sans que je puisse plus rien discerner, si ce n’est la même voix indistincte, qui semblait rajeunir.

- Pikachu, rentre dans ta Pokeball. Je sais que tu ne veux pas y aller, mais si tu es là-dedans, je pourrai plus facilement te protéger !

Des dizaines d’oiseaux qui chargeaient. Le bruit du tonnerre. Un arc-en-ciel… et les images s’arrêtèrent de défiler. Je pouvais voir très distinctement l’arc-en-ciel, et une lueur dorée qui passait devant. C’était un oiseau. Un magnifique oiseau, très grand, rouge et doré, qui laissait des étoiles derrière lui à chaque battement de ses ailes. Sa vision me réchauffa le cœur, son cri résonna en moi et me procura une félicité jamais éprouvée. Je voulais continuer à le regarder à jamais…

Et d’un coup, je me réveillai. J’avais mon bras au dessus du corps, comme si, dans mon sommeil, j’avais tenté d’attraper quelque chose en haut. Je mis quelques secondes à me rappeler qui j’étais et où j’étais. J’étais Six, la G-Man illégale qui travaillait secrètement pour Kashmel Irlesquo en espionnant l’Ordre et en tentant d’entrer en contact avec le groupe Lance. J’étais dans mon lit, dans le manoir de Stuon. Hier soir, j’étais rentrée du bal des Psuhyox. J’avais affronté Lady Tilveta. Je l’avais tuée pour protéger Rohban Irlesquo, le fils du Grand Maître. J’avais parlé à Lady Meika, sa sœur aînée, qui s’est révélée être la chef du groupe Lance.

Une fois rentrée, j’avais raconté tout cela à Kashmel, qui de son côté avait affronté Scalpuraï et avait récolté plus d’une cicatrice supplémentaire. Après m’avoir écouté avec attention, Kashmel m’avait demandé d’aller dormir, que mon combat et les événements de la nuit m’avaient épuisé, et qu’on rediscuterai de tout ça demain. Il avait lui-même l’air secoué, et pas seulement à cause de son combat contre le Trigarde Impérial. Comme s’il avait reçu une blessure intérieure.

Oui, voilà où j’en étais. Il y aurait sûrement à faire et à dire aujourd’hui. Sans doute que le plan de Kashmel, quel qu’il soit, allait s’accélérer avec la mort de l’héritière des Psuhyox et la révélation de Meika comme chef du groupe séditieux G-Man. Je n’avais pas trop eu le temps de m’en émouvoir hier soir, avec tout ce qui s’était passé, mais maintenant, je trouvais cela totalement fou. Comment la fille héritière Irlesquo, si arrogante, si supérieure, qui avait grandi dans un cocon doré, pouvait-elle être une révolutionnaire ? Ah, et il y avait aussi mes propres interrogations sur Lord Gilthis, qui semblait être un candidat crédible pour l’identité de mon géniteur G-Man.

Bref, beaucoup de choses en perspective. Je me levais de mon lit, et constatai que j’avais toujours mon costume de G-Man. Je n’avais même pas pris la peine de me changer pour aller dormir hier soir. Ni de me laver, d’ailleurs. Que m’avait dit Stuon à ce propos ? Un G-Man propre est un G-Man qui se lave au moins deux fois par jour. Retardant à contrecœur mon entrevue avec Kashmel, je pris un quart d’heure pour me doucher. J’en profitai pour examiner mon corps et les blessures que j’avais reçues de Tilveta. Quand je descendis au salon, Kashmel était tel que je l’avais laissé hier soir, attablé avec son fidèle Furaïjin à ses côtés, en train de lire une multitude de rapports.

- Bonjour, fis-je en m’asseyant.

- Hummm…

C’était la façon habituelle de Kashmel pour dire bonjour. Il poussa devant moi une assiette pour le petit-déjeuner. Tout était froid depuis longtemps. Faut dire que je m’étais levée tard. Je réchauffai les tartines et les œufs avec une flammèche sortie de ma main.

- Stuon n’est pas là ? Demandai-je.

- Il est au manoir Irlesquo, répondit Kashmel sans lever les yeux de son papier.

- Euh… pourquoi ?

- Bradavan a convoqué tous les chefs de famille pour une annonce, il y a une heure.

- Ça concerne Tilveta ? Quelqu’un est tombé sur son cadavre ?

- Non. Elle est toujours introuvable, mais sa famille n’a pas encore donné l’alerte. Sans doute que Lord Psuhyox pense qu’elle a quitté le bal hier soir en compagnie d’un jeune G-Man pour aller passer la nuit chez lui. Un comportement indigne pour une G-Man comme Tilveta Psuhyox, et c’est pour cela que les Psuhyox sont restés discrets pour le moment. Non, l’annonce du Grand Maître concerne autre chose. Sa femme, Lady Sareim, est morte hier soir, pendant qu’il était au bal.

J’en restai un moment interdite. Je savais que Sareim avait été le grand amour de Kashmel autrefois, pourtant le G-Man de Terrakium m’avait annoncé cela d’un ton dépourvu de toute émotion. Ce devait être sans doute pour ça qu’il avait été tant abattu hier soir… Mais si c’était le cas, comment avait-il été au courant si tôt ?

- Je suis… désolée, dis-je enfin.

Je l’étais pour lui, mais aussi pour Rohban. Il venait de perdre sa cousine, et maintenant sa mère… pour ne rester qu’avec son père indifférent et sa sœur qui le haïssait. Kashmel haussa les épaules.

- C’est comme ça.

- Alors, elle était vraiment malade ?

- Il semblerait oui, mais apparemment, elle se serait suicidée avec sa Lamétrice, expliqua Furaïjin. Elle en avait sans doute assez de cette vie enfermée et dépendante. Pour l’avoir connue quelques temps par le passé, ce n’est guère étonnant. C’était une jeune femme si vive, si joyeuse…

Kashmel lança un regard de reproche à son partenaire, qui arrêta de parler, mais ne baissa pas les yeux pour autant. Je sentis comme une tension entre ces deux-là ce matin.

- Revenons à nos Wattouat, fit le G-Man. La mort de Sareim ne change rien, si ce n’est qu’elle affaiblit encore un peu plus Bradavan. Si sa fille Meika est vraiment la chef de Lance, alors le Grand Maître est plus isolé que jamais.

- Euh, oui, à propos… commençai-je avec hésitation. Je ne vous l’ai pas dit hier soir, mais je suis désolé de ce que j’ai fait à ce moment là. J’ai combattu et tué Tilveta pour sauver Rohban, alors que je savais qu’elle était membre de Lance. J’ai agis sur un coup de tête, mais… enfin… je n’ai pas d’excuse.

- Peu importe, décréta Kashmel. C’était imprudent, mais on est arrivé au résultat souhaité si Meika a vraiment décidé de ne pas te tenir rigueur d’avoir tué l’une des siennes. La prochaine étape est donc de rentrer en contact avec elle, le tout sous le nez de l’Ordre. Comme on a révélé nos cartes et elle les siennes, ce sera facile.

Il me tendit une enveloppe fermée avec un sceau de cire.

- J’ai écris une lettre à son intention. J’aimerais que tu la lui remettes lors d’un prochain bal. Si je ne me trompe pas, ce sera au manoir Argoin, dans quatre jours.

- Qu’est-ce qu’il y a d'écrit ?

- Je ne fais que me présenter - bien qu’elle doive me connaître de nom et de réputation - et je lui propose de s’allier pour faire tomber l’Ordre de son père. Si elle accepte, tu devras la considérer comme une alliée et lui faire part de tout ce que tu sais.

Ça ne me plaisait pas trop, et j’en fis part à mon maître.

- Je n’aime pas Lady Meika. Elle semble n’avoir aucune considération pour la vie humaine, pas même pour ses alliés. Et j’imagine qu’en tant que chef de l’organisation, c’est elle qui doit être responsable des attentats contre les Pokemon innocents auxquels se sont adonnés les membres de Lance jusqu’ici.

- Nous verrons cela lors de nos négociations. Je ne compte pas porter Lance au pouvoir, mais je ne pourrai rien faire sans eux. Tu as le droit de ne pas l’aimer, mais essaie de ne pas la provoquer. Il faut à tous prix qu’elle soit des nôtres.

- Compris, répondis-je. Comment vous l’expliquez, au juste, que la fille du Grand Maître, celle dont on dit qu’elle est encore plus conservatrice et arrogante que lui, soit la meneuse d’un groupe qui veut tout remettre à plat ?

- Je ne connais pas cette fille, répondit Kashmel. Mais j’imagine qu’elle doit plus tenir de sa mère, et que Sareim n’y est pas pour rien dans ce qu’elle peut bien penser.

- Ça ne vous dérange pas, de vous allier avec elle ? Je pensais que vous détestiez votre frère et tout ce qui a trait à lui.

- On est pas responsable de l’identité de nos parents, fit Kashmel avec philosophie. C’est une Irlesquo, comme moi. Je n’ai pas le droit de la juger en fonction de son nom. Si elle est vraiment sincère dans sa démarche, qu’elle veut remettre l’Ordre sur le droit chemin et combattre l’Empire par la même occasion, alors oui, je n’aurai aucun problème à travailler avec elle. C’est la fille de Bradavan, certes, mais c’est aussi celle de Sareim.

- Comme Rohban, ajoutai-je.

Comme Kashmel ne dit rien, j’insistai :

- Lady Meika ne m’a pas caché ses intentions de se débarrasser de lui. Pourtant, je suis certain qu’il n’est pas favorable à son père. Ne pourrait-on pas le faire venir avec nous, lui aussi ?

- Ce n’est pas à nous d’en décider, Six. On a d’autres choses à faire que de se mêler des histoires de famille des Irlesquo. Si elle le déteste jusqu’à vouloir sa mort, c’est qu’elle doit avoir une raison.

- Mais lui aussi, c’est l’enfant de Sareim ! Protestai-je. C’est un idiot pompeux et impuissant, mais il n’est pas méchant. Il pense aux humains, à l’égalité, et à toutes ses choses auxquelles Lance devrait aussi penser alors qu’il n’en a pour l’instant rien montré !

Kashmel me dévisagea sous ses sourcils broussailleux.

- Te serais-tu entichée de ce nobliau, jeune fille ? Me demanda-t-il d’une voix inquisitrice.

- Bien sûr que non.

- Alors la discussion est close. Je le répète : ce ne sont pas nos affaires. Notre boulot, c’est de faire tomber l’Ordre G-Man et déstabiliser l’Empire, au nom des Paxen.

J’en restai là, mais je n’étais pas satisfaite. Kashmel s’en fichait sans doute de Rohban, mais je ferai en sorte de convaincre Meika elle-même, quand nos deux groupes seront plus proches.

- Que dirai-tu de t’entraîner dehors, jeune Six ? Me proposa Furaïjin. Tu t’es bien débrouillée face à une G-Man expérimentée.

J’acquiesçai avec enthousiasme. Jamais encore Furaïjin ne s’était proposé de m’entraîner. Entendre sa voix me fit repenser à mon rêve.

- Au fait, j’ai fait un rêve bizarre tout à l’heure. Tu étais dedans, Furaïjin.

- J’étais à mon avantage, j’espère ? Sourit le Pokemon.

- C’était très bizarre. J’ai pas compris grand-chose. Il me semble que Kashmel te parlait et te donnait ton nom. Puis tu étais avec quelqu’un d’autre, qui parlait de Ho-Oh et d’un Phénix…

Kashmel leva les yeux de sa lecture et échangea un regard avec Furaïjin. C’était un regard stupéfait, presque horrifié, comme si les deux partenaires venaient de se rendre compte de quelque chose connu d’eux seuls ; quelque chose d’affreux.

- Euh… Ça veut dire quelque chose ? Demandai-je, étonné de leur réaction.

Quand Kashmel me regarda, c’est moi qui fut surprise cette fois. Je lus clairement dans ses yeux une colère froide, et presque… du dégoût. À mon encontre. Mais ça ne dura qu’une demi-seconde, à tel point que je doutai d’avoir bien vu. Kashmel revint à sa lecture comme si le sujet était sans importance.

- Va savoir… maugréa-t-il de son air habituel. Les rêves sont souvent mystérieux et incompréhensibles, bien qu’on puisse y trouver des messages cachés pour ceux qui savent les lire…

Il sembla hésiter, puis me tendit la main.

- La lettre pour Meika. Je vais la réécrire. J’ai oublié… quelque chose.

Il déchira la première lettre et en recommença une, qu’il scella de la même manière. Était-ce pour ne pas que je l’ouvre et que je la lise ?

- Concernant Lord Gilthis… repris-je en me souvenant de ce sujet. Il m’a laissé entendre qu’il connaissait ma mère. Pensez-vous… que ça puisse être lui, mon père ?

- Je n’en sais rien, jeune fille. Mais j’en doute. Il ne te l’aurait pas dit de la sorte, en prenant le risque d’être dénoncé comme ayant engendré un bâtard. Gilthis a toujours été un G-Man assez bizarre, qui aime bien embrouiller son petit monde.

- Bon… J’aimerai quand même savoir qui c’est, avant que toute cette histoire soit terminée.

Kashmel se leva, me tourna le dos, et me dit :

- Peut-être serait-ce mieux que tu ne le découvres pas. La vérité blesse plus souvent qu’elle ne soulage…


***

Rohban




Ces dernières heures, j’avais l’impression d’être embourbé dans un marais qui ne cessait de plus en plus de vouloir m’ensevelir et me noyer. Un malheur ne s’abat jamais seul, c’est bien connu. Depuis hier soir, mon univers bien ordonné était en train de partir en morceaux. Et c’est là, plus que jamais, que je prenais conscience de ma vulnérabilité, du fait que malgré ma naissance avantageuse et ma place dans la société, je n’étais rien.

J’avais réchappé à une tentative d’assassinat de ma propre cousine, une fille que je considérais comme une amie proche, et je l’avais vue se faire tuer sous mes yeux par une autre fille que je n’avais cessé de charrier jusque là, persuadé qu’elle était une cambroussarde ignorante. Même si elle m’avait sauvé, après le spectacle qu’elle m’avait donné, je ne pouvais m’empêcher d’avoir peur d’elle, à présent. Je n’avais rien compris. Pourquoi Tilveta faisait partie de Lance, pourquoi le groupe rebelle voulait ma mort, pourquoi Six m’avait sauvé et qui était-elle vraiment. Ces questions sans réponse, et le choc qui avait perduré, m’avaient emprisonné l’esprit jusqu’à ce que je rentre chez moi à la fin du bal. Et là, nouvelle surprise, nouvelle horreur : c’était pour y retrouver le corps sans vie de ma mère dans sa chambre.

Selon père, elle s’était suicidée avec sa propre Lamétrice. Une explication bien commode, et somme toute assez logique, étant donné les preuves. Mais moi, je refusais d’y croire. Mère était certes malade, mais n’avait jamais cessé de se raccrocher à la vie. Ses yeux et son sourire à chaque fois que je venais la voir ne mentaient pas. Elle ne m’aurait pas sciemment abandonné. Elle n’aurait pas pu. Et puis, de toute façon, mère aurait probablement été incapable de se lever de son lit pour aller prendre sa Lamétrice et se transpercer avec ! Ni père ni Meika ne semblaient prendre en compte cela. Sans doute qu’ils l’ignoraient, et qu’ils s’en fichaient. Ils s’étaient tous deux bien peu souciés de mère, et sa mort devait être un embarras de moins.

Mais pour moi, c’était intolérable. Mère était la seule ici qui ne s’était jamais souciée de moi, qui m’ai montré de l’affection, de l’amour. Sans elle, j’étais seule. Je perdais Tilveta - que je n’avais apparemment jamais vraiment connue - pour ensuite perdre ma mère. Et tout cela avec une épée de Damoclès au dessus de ma tête ; car peut-être bien que Lance, qui avait voulu ma mort, allait retenter autre chose contre moi. Et bien sûr, il était impensable que je parle de cela à père ou Meika. Ils penseraient que je fabule… et même si par miracle ils me croyaient, probablement qu’ils laisseraient les terroristes de Lance m’assassiner avec joie.

Père était en train d’annoncer la mort de sa femme à l’assemblée des chefs de famille G-Man, dans le grand salon. J’aurai dû être là avec lui, mais en ce moment, je ne voulais rien d’autre qu’être auprès de mère. On n’avait pas encore bougé le corps. Et je ne voulais pas qu’on le fasse. Si ça avait été possible, j’aurai verrouillé la porte de la chambre, et passé toute l’éternité ici, avec elle, à ne penser à rien. Car la réalité était trop dure, trop cruelle…

- Qu’est-ce que je dois faire, maintenant, mère ? Demandai-je avec apitoiement en tenant sa main froide. Où dois-je aller ? Vers qui je dois me tourner ? Je ne sais plus. Je ne sais plus rien ! Je… je déteste être un Irlesquo ! Je déteste être un G-Man !

- Pauvre petit frère… Tu ne dois t’en prendre qu’à toi. Si seulement tes pouvoirs ne s’étaient pas manifestés quelques temps seulement avant le jour de tes quinze ans, j’aurai été ravie de ne pas t’infliger cette triste vie de G-Man… en te prenant la tienne.

Lentement, je tournai la tête vers ma sœur Meika, qui se tenait sur le pas de la porte de la chambre, son visage arrogant et hautain n’ayant en rien changé malgré la perte de notre mère. Sa vision ne fit rien pour arranger mon état. Car si je savais depuis longtemps que Meika ne m’aimait pas, aujourd’hui, j’avais la certitude qu’elle voulait carrément ma mort. Je m’étais repassé dans la tête tout ce que Tilveta avait dit avant d’essayer de me tuer. Et je ne pouvais pas me tromper : elle avait bien prononcé le nom de ma sœur, en disant que c’était elle qui avait ordonné mon meurtre.

Il n’y avait donc qu’une seule conclusion à cela, même si elle était insensée : ma sœur faisait elle aussi partie de Lance, et y avait sûrement une place élevée. ça paraissait dément bien sûr, car Meika a toujours soutenu la politique de père, et était même plus traditionnaliste que lui. Du moins en apparence. Peut-être se jouait-elle de lui depuis longtemps. Quoi de mieux qu’un membre très haut placé de l’Ordre pour diriger efficacement un groupe rebelle ? Elle bénéficiait de nombreuses informations, et surtout, elle était insoupçonnable.

J’aurai pu la forcer à se dévoiler, en lui disant ce que je savais. Ou j’aurai pu aller la dénoncer à père. Mais j’avais trop peur. Ces deux options me paraissaient conduire vers un allé simple pour le Royaume des Esprits. Meika pourrait me tuer en sachant que j’étais au courant, et de toute manière, père aurait fait passer sa parole avant la mienne. Lance était sans doute bien plus développé que je ne l’avais imaginé. Pour ma survie, je devais continuer à jouer l’ignorant pour le moment. Tilveta n’avait jamais essayé de m’assassiner. Elle avait simplement disparu, et j’ignorai où elle était. Si c’était bien Meika qui lui avait donné l’ordre de me tuer, elle en conclurait que Tilveta avait pris la fuite pour ne pas exécuter cet ordre. Ça allait occuper son attention sur elle, et elle ne songerait pas à réessayer de m’assassiner. Du moins, je l’espérais…

- Grande sœur… Pourquoi me dis-tu ça ? Demandai-je d’un ton presque suppliant. Pourquoi me détestes-tu autant ? Qu’est-ce que j’ai bien pu te faire ?! Je n’ai jamais… Je n’ai jamais cessé de t’admirer, depuis tout petit ! Tu es si puissante, comparée à moi. Je n’ai jamais cherché à te faire de l’ombre. Je n’ai jamais, pas une seule fois, essayé de faire valoir mes droits d’héritier contre toi, même si la tradition veut que ce soit les mâles qui soient prioritaires pour la succession. Je te suivrai, et te serai loyal, quelque soit la direction que tu veux faire prendre à l’Ordre. Alors… alors…

Je sentis des larmes qui coulaient sur mes joues. J’étais en train de craquer, et sur le point de la supplier de ne pas me tuer, même si ça revenait à dire que je savais pour elle et pour Lance. Je me retins à temps. Meika s’approcha en silence de moi, se baissa pour m’attraper le menton, et me dit d’un air glacial :

- Je crois que tu ne comprends pas très bien, mon pauvre petit frère. En fait, c’est très simple : je m’en fiche de toi. Je me fiche de ton admiration, et je me fiche de ta loyauté. Tu ne me seras utile à rien. Tu ne seras, comme tu l’as toujours été, qu’une source d’embarras. Ton existence même me gêne. Et ce qui me gêne, je le fais disparaître. Qu’on soit du même sang n’y change rien. Ça n’a aucune sorte d’importance.

Accablé, je secouai la tête.

- Comment… Comment tu peux dire ça devant le corps de maman ?!

- Je le peux, car cette femme était dans la même situation que toi : une gêne. Si elle s’est vraiment suicidée, je ne peux que louer sa présence d’esprit d’avoir mis fin à sa misérable existence. Père aussi sera bientôt fini. Il se croit encore important et tout puissant, mais il se voile d’illusions. La maison Irlesquo sera à moi, et à moi seule, tout comme l’Ordre G-Man entier. Tu ne pourras pas ma suivre dans la voie que je vais emprunter. Tu n’es qu’un vestige du passé, comme nos imbéciles de parents. Tu suivras la même voie qu’eux. Ton nom sera perdu à jamais dans les tréfonds du néant, comme l’être inutile que tu es.

Avec un dernier sourire glaçant, elle quitta la chambre. Je ne m’étais visiblement pas trompé. Elle me l’avait carrément avoué à demi-mot : elle comptait trahir père et amener l’Ordre dans une direction différente. Elle était donc l’une des révolutionnaires de Lance, peut-être même sa dirigeante. Savoir cela il y a quelques jour m’aurait sans doute fait la supplier que je rejoigne son groupe pour échapper à la destruction programmée de l’Ordre. Car avec Meika Irlesquo dans ses rangs, je donnais le groupe Lance gagnant contre l’Ordre, et de loin. Mais aujourd’hui, j’en avais la certitude : si Lance était aussi pourri en dépit des idées qu’ils disaient défendre, c’était bien du fait de ma sœur. Choisir entre mon père et elle, c’était choisir entre la peste et le choléras.

Elle ne m’épargnerait pas. J’étais condamné si je restais ici. De toute façon, il ne restait plus rien pour moi dans cette maison. Une sombre détermination m’envahit. C’était une chose assez rare pour quelqu’un d’aussi fainéant et emprunt de vacuité que moi. Si je voulais survivre, je devais fuir. C’était pas plus compliqué que cela. Fuir le Quartier G-Man, fuir la Citadelle, fuir tous ces gens pourris jusqu’à la moelle. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Je ne savais pas. Mais je savais une chose avec certitude. C’était peut-être la seule que j’avais. Je ne voulais pas mourir. Je ne voulais pas laisser ma sœur gagner sur ce sujet. J’allais vivre, que ça lui plaise ou non ! C’était ma vie après tout, celle que mère m’avait donné. Elle ne me la prendrait pas !