Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak

30 ans plus tôt…



Dans l’Empire Pokemonis, il y avait une profonde fracture entre les humains d’Axendria, la capitale. On pouvait les placer dans trois catégories. Il y avait tout d’abord ceux qui se traînaient dans la boue de la ville basse, dans une vie de misère, sans aucun droit, réduits à mendier pour survivre, et qui mourraient chaque jour dans l’indifférence la plus totale. Ensuite, il y avait les esclaves - majoritaires - qui servaient un maître Pokemon. C’était la catégorie la plus hétérogène, dans le sens qu’elle dépendait grandement du maître Pokemon et de sa position dans la hiérarchie de l’Empire. Si le maître Pokemon vivait dans la ville basse, l’esclave qui le servait avait toute les chance de connaître une vie pas si éloignée des humains de la première catégorie. Au contraire, si le maître Pokemon habitait la ville haute voire carrément la Citadelle, l’esclave pouvait mener une vie sûre. Une vie de servitude naturellement, mais une vie sûre quand même.

Et enfin, il y avait la troisième catégorie, la moins nombreuse, et la plus enviée : celle des G-Man, humains au dessus des humains, qui bénéficiaient des largesses du Seigneur Protecteur Xanthos, vivant dans le luxe d’une vie sans privation, de richesses et de divertissements. Ils étaient élégants, les G-Man, dans leurs riches habits, leurs capes flottant derrière eux, leur épée à la ceinture. Certains d’entre eux étaient très puissants, grâce à un ADN de Pokemon avantageux ou à un entraînement poussé. Quelques uns, descendants de grandes lignées, étaient plus riches que les autres. Enfin, il y en avait qui étaient célèbres pour leur physique avenant et leur grande beauté.

Kashmel Irlesquo était tout cela à la fois. Jeune G-Man de trente ans, fils héritier du Grand Maître, reconnu comme le plus puissant des G-Man actuels de l’Ordre… et même le plus puissant tout court depuis des siècles, il accumulait richesse, célébrité, force et adoration. Promis de succéder à son père, Lord Gredon, comme dirigeant de l’Ordre et chef de la maison Irlesquo, Kashmel était ami avec quasiment tout le monde. Les hommes l’admiraient et s’empressaient de rechercher sa compagnie, et les femmes voyaient en lui le mari idéal, ce qui faisait de lui le célibataire le plus courtisé de toute la Citadelle. Bref, on pouvait dire sans exagérer que Kashmel Irlesquo était parfait.

Actuellement, il se tenait à genoux dans la grande salle des fêtes du manoir Irlesquo, aux cotés de son jeune frère Bradavan et de sa mère Lady Stelia, tandis que son père, Lord Gredon, saluait avec chaleur le Seigneur Protecteur Xanthos, invité d’honneur de ce bal. Il était rare que le Seigneur Protecteur ne s’invite dans les bals G-Man, mais il le faisait parfois, pour de grandes occasions. Mais à chaque fois bien sûr, c’était seulement pour une soirée organisée par la maison Irlesquo. Le Seigneur Xanthos avait toujours été proche de la maison dirigeante de l’Ordre, et de ses dirigeants successifs. Cela remonte sans doute à l’amitié qui l’avait uni avec l’illustre ancêtre supposé des Irlesquo, Sacha Ketchum, dit le Héros Arc-en-ciel. Comme tous les Irlesquo avant lui, Kashmel était honoré qu’un tel lien unisse le Seigneur Protecteur Xanthos à sa maison. Un jour prochain, ce serait à lui de serrer la main de Xanthos, comme son père venait de le faire.

Lord Gredon mena le Seigneur Protecteur devant sa femme et ses deux fils, sous les applaudissements de la foule G-Man. Kashmel se releva lentement, les yeux baissés. Il lui était difficile de soutenir le regard de ce masque noir à la verrière verte en forme de V. Cet homme était une légende vivante, après tout. Plus que cela ; il était de nature divine. Immortel et tout puissant, il était celui qui avait fondé l’Empire Pokemonis, il y a de ça six cent ans. Nul ne savait quel visage se dissimulait sous ce masque, à part sans doute le Seigneur Protecteur Daecheron, son ancien Pokemon, qui codirigeait l’Empire à ses côtés.

- Seigneur, laissez-moi vous présenter ma femme, Lady Stelia, dit Lord Gredon, ainsi que mes fils, Kashmel et Bradavan.

Xanthos s’inclina brièvement devant Stelia, puis s’adressa à Kashmel. Après tout, si Xanthos s’était déplacé pour l’occasion, c’était parce que ce bal était donné en l’honneur de Kashmel, qui fêtait aujourd’hui ses trente ans. Xanthos ne se déplaçait quasiment jamais pour les anniversaires, mais il avait fait une exception aujourd’hui, car la rumeur du célèbre Kashmel, le plus puissant G-Man de l’Ordre depuis le grand Sacha lui-même, était parvenue jusqu’à lui, et qu’il voulait dès à présent se rapprocher de celui qui allait diriger l’Ordre en son nom.

- Je vous avais déjà rencontré, il doit y avoir une dizaine d’années, fit la voix profonde et modulée du Seigneur Protecteur derrière son masque.

- Je m’en rappelle, Seigneur, répondit Kashmel. Vous m’aviez parlé cette fois là. Je n’ai jamais connu aussi vif honneur de ma vie.

- Votre père ne tarit pas d’éloges sur vous, et tout l’Ordre est unanime au sujet de votre puissance. Il est vrai qu’il n’y a eu aucun G-Man de Pokemon Légendaire depuis Sacha, il y a six cent ans.

Bien qu’intimidé par la présence royale de Xanthos, Kashmel se permit un petit sourire arrogant.

- Si vous me permettez, Seigneur, je dirai que la puissance d’un G-Man n’est pas seulement due à l’ADN qu’il possède. Je me suis entraîné longuement pour forger mes pouvoirs. Nombre des miens ne prennent pas cette peine.

Sans avoir pu s’en empêcher, Kashmel coula un discret regard vers son frère quand il dit cela. Non seulement Bradavan était le G-Man d’un Pokemon inutile et faible comme Insolourdo, mais en plus il ne faisait absolument rien pour s’entraîner. En cela, et sur de nombreux autres sujets, les deux frères étaient le jour et la nuit.

- Je vois, souffla Xanthos. Il serait intéressant de vous voir combattre un jour. Peut-être contre un Pokemon de valeur, comme un de la Trigarde. En attendant, je vous souhaite un joyeux anniversaire, Lord Kashmel. Je suis sûr que vous serez un Grand Maître digne de Sacha Ketchum.

Alors que Kashmel s’inclinait de reconnaissance, Xanthos passa devant lui, sa cape immaculée flottant derrière. Il ignora royalement Bradavan, qui masquait difficilement son ressentiment et sa jalousie envers son frère, et se retira de la salle, passant dans une haie d’honneur que les G-Man ont fait pour lui. Trois minutes d’apparition seulement, mais c’était déjà beaucoup pour lui. Il avait grandement honoré la maison Irlesquo, et surtout Kashmel, en venant spécialement pour lui.

Le départ du Seigneur Protecteur marqua le début des festivités. Les groupes de discussions se formèrent comme à l’accoutumé, les flagorneries, les rires hypocrites… bref, tout ce qui faisait un bal chez les G-Man. Kashmel était habitué de tout cela, et quand bien même ça le gavait manifestement, il s’efforça toujours de garder un sourire sincère en écoutant les vœux et les félicitations des invités. Cette soirée était la sienne… et pourtant, il serait celui qui aurait le moins de liberté ce soir. Mais bon, ça aussi, il était habitué, en tant qu’héritier du Grand Maître. Il devait faire honneur au nom des Irlesquo, et au poste auquel il prétendait.

Kashmel vit donc défiler devant lui une succession de Seigneurs et Dames G-Man, ainsi que leurs enfants. Tous l’adoraient pour sa droiture, sa bienveillance, sa force, et son allure princière. Toutes les jeunes demoiselles G-Man ne manquèrent pas de rougir quand elles eurent droit au baisemain de Kashmel. Il fallait dire qu’avec sa grande taille, son port altier, ses longs cheveux bruns et son beau visage, Kashmel Irlesquo était homme à plaire naturellement aux femmes. Bon nombre de Lord espéraient pouvoir marier leur fille à un si beau parti. Hélas pour elles, Kashmel avait déjà le cœur pris par une autre.

Quand ce fut au tour de la maison Therno de lui présenter ses hommages, Kashmel dut s’efforcer de conserver un visage impassible et de ne pas dévorer en permanence des yeux la fille de Lord Bafrild. Lady Sareim Therno était évidement un trésor pour les yeux de tout homme, mais ce n’était pas pour ça que Kashmel l’aimait. C’était son esprit qu’il aimait, sa gentillesse couplée à un sens de la répartie piquant, son rire qui était tel du cristal, son Aura rayonnante, la façon dont elle maniait la Lamétrice… bref, il aimait tout en Sareim. Et leur bref regard complice et aimant quand Kashmel lui baisa la main laissa entrevoir les souvenirs de tous ces moments passés à deux, seuls, quand ils n’étaient pas enchaînés par le protocole.

Mais Kashmel n’aurait pas à se cacher trop longtemps encore. Il comptait officialiser sa relation avec Sareim au plus tôt. Déjà pour mettre un terme aux tentatives très peu discrètes de drague dont il faisait les frais avec quasiment toutes les célibataires du Quartier G-Man, mais aussi surtout pour ne pas se faire griller la politesse par un autre qui aurait aussi des vues sur Sareim. Mais comme la jeune G-Man de Mushana l’avait déjà assuré de son amour, Kashmel ne la voyait pas vraiment aller trouver son bonheur ailleurs. Il lui faisait confiance, et elle aussi. Malgré toutes les possibilités qu’il avait eu, Kashmel ne s’était jamais trouvé dans les bras d’une autre. Il ne désirait que Sareim. Uniquement Sareim.

Quand enfin Kashmel eut salué l’ensemble des invités - soit la totalité des G-Man de la capitale - il s’autorisa un bref répit avant d’aller se joindre à ses amis habituels pour parler. Enfin, amis était un bien grand mot. Il s’agissait seulement des principaux héritiers des grandes maisons, qui comme lui seraient amenés à gérer les affaires G-Man dans le futur. Kashmel était loin de les apprécier tous - pas mal d’entre eux débordaient d‘arrogance et de positions ultraconservatrices - mais c’était de son devoir de s’entendre avec eux, pour le bien de l’Ordre. Il fit donc signe à Inuit, l’héritier de la maison Psuhyox, de commencer sans lui et qu’il allait le rejoindre bientôt. Mais d’abord, il se servit une grande coupe de champagne, puis s’assit lourdement sur une chaise libre en soupirant.

- Un peu de tenue, mon frère, lui reprocha Bradavan à ses cotés. L’assemblée n’a encore d’yeux que pour toi.

- Eh bien, elle n’a qu’à regarder ailleurs un moment, répliqua Kashmel. Ou dois-je aller me réfugier dans les toilettes pour avoir une minute de tranquillité ?

Kashmel aurait donné volontiers une partie de la célébrité et de l’adoration dont il faisait les frais à son petit frère, qui, lui, en manquait cruellement. Lord Bradavan Irlesquo n’était ni beau, ni bienveillant, ni puissant. La seule célébrité qui l’accablait était celle du nom du Pokemon dont il était le G-Man. Même leurs propres parents n’avaient d’yeux que pour Kashmel. Ce n’était pas sa faute, et il savait que Bradavan en souffrait, aussi essayait-il souvent d’être avec lui et de l’inviter quand il était avec d’autres G-Man. Mais Bradavan avait créé un mur entre eux, du fait de sa jalousie chronique, que Kashmel avait bien du mal à fissurer. Et lui aussi en souffrait, car malgré les nombreux défauts de Bradavan, Kashmel ne pouvait s’empêcher d’aimer son jeune frère.

- J’en suis même réduit à serrer la main de gosses qui ne me sortent que leur rêve est devenir comme moi… marmonna Kashmel pour lui-même.

Bien sûr, cela n’échappa pas à l’oreille attentive de Bradavan.

- Tu veux parler du jeune Lord Gilthis, le second fils de Lord Antenos ? C’est sa première apparition publique officielle en tant que G-Man. Ses pouvoirs se sont manifestés tout récemment.

Kashmel retrouva le garçonnet dans la foule, facilement reconnaissable à ses cheveux blancs immaculés. Pour son premier bal, il semblait fichtrement bien s’intégrer, parlant aux adultes avec tout le protocole en vigueur, et arborant un constant sourire sur son visage déjà charmeur.

- Il est bigrement jeune, ce môme, pour que ses pouvoirs se soient déjà manifestés, commenta Kashmel.

- Huit ans, précisa Bradavan. C’est effectivement impressionnant, d’autant qu’il serait le G-Man de Togekiss, un Pokemon pour ainsi dire très rare et puissant. Lord Antenos ne cesse d’ailleurs de le répéter à qui veut bien l’entendre.

Il y en avait un qui n’avait pas l’air ravi en revanche, songea Kashmel. Le frère ainé du jeune Gilthis, Lord Manguet, alors qu’il était l’héritier de la maison de son père, se retrouvait dès lors dans l’ombre de son cadet, qui attirait tant l’attention. Kashmel lu en lui la même expression que Bradavan arborait quand les G-Man venaient flatter son frère. Kashmel quitta le jeune Gilthis du regard pour se perdre un moment dans la contemplation de Lady Sareim, radieuse dans sa robe éthérée rose et violette, en train de discuter avec un groupe de filles de son âge.

- Lord Kashmel !

Il la désirait tellement, cette fille… D’ordinaire, les héritiers de la maison Irlesquo étaient toujours destinés à un mariage arrangé avec une maison voisine et puissante, comme les Psuhyox ou les Argoin. La maison de Sareim, les Therno, était d’assez faible importance, pas vraiment digne de se lier avec les Irlesquo. Mais Kashmel n’avait que faire de ces considérations débiles. Il voulait Sareim, point.

- Lord Kashmel ?

Et puis, en réalité, le propre sang de Kashmel n’était pas si pur et si noble qu’on voulait le faire croire. C’était le plus grand des secrets de la famille, que personne ne devait découvrir, et qui pourrait provoquer sa perte dans le cas contraire : Kashmel et Bradavan étaient des bâtards. Ils avaient du sang humain dans les veines. Leur mère, Lady Stelia, n’était pas leur vraie génitrice. Leur vraie mère était en fait une domestique du manoir, une esclave humaine, qui avait été forcée de compenser la stérilité de Lady Stelia pour donner à Lord Gredon Irlesquo des héritiers. Sareim l’ignorait, bien sûr. Kashmel et Bradavan aussi.

- Lord Kashmeeeeeeel, je vous parle !

Kashmel quitta Sareim des yeux et revint à la réalité, tandis qu’un adolescent à la tenue excentrique, qui portait un béret blanc sur la tête, tentait d’attirer son attention.

- Encore en train de songer au Seigneur Xanthos ? Demanda-il avec un sourire ironique. Ou bien, vous pensez plutôt à d’autres personnes qui ont des formes plus… agréables à regarder que notre illustre seigneur peut-être ?

Bradavan siffla de l’insolence du garçon, mais Kashmel retint un sourire. C’était ce qu’il aimait, en Stuon Jarminal : son non-conformisme affiché et ses frasques comiques. Si beaucoup parmi les G-Man trouvaient l’adolescent honteux et infréquentable, Kashmel lui trouvait le mérite d’être hautement rafraichissant dans cette société rigide et coincée.

- Yo, Stuon, dit Kashmel. Alors, quelle filles t’ont collé un râteau ce soir ?

- La soirée vient à peine de commencer ! Se défendit Stuon.

- Et donc ? Est-ce de nature à inquiéter le légendaire G-Man qui se fait jeter plus vite que son ombre ?

- Mieux vaut se faire jeter quelques fois et réussir d’autres fois plutôt que de devenir un vieux puceau de trente ans comme vous, rétorqua Stuon.

- C’est que ma virginité vaut de l’or. Peu de femmes seraient capable de se l’offrir.

Comme la conversation prenait une tournure trop indigne pour le délicat Bradavan, ce dernier préféra s’éloigner, non sans un dernier regard acéré à l’adresse du jeune G-Man de Queulorior. Stuon leva les yeux au ciel.

- Votre frère est toujours aussi coincé du cul. Y a de grandes chances qu’il reste puceau plus longtemps que vous…

- Et sinon, à part discuter de nos chastetés respectives, qu’est-ce qui t’amène ?

- Regardez un peu ça !

Il lui montra une espèce de petite sculpture difforme à laquelle Kashmel n’aurait pu donner aucun nom.

- C’est ma dernière œuvre ! Je l’ai sculptée moi-même !

- C’est la représentation d’un gros étron ?

- Vous êtes si ignare, Lord Kashmel… soupira Stuon. Vous ne connaissez vraiment rien à l’art. L’Ordre G-Man aura du souci à se faire avec vous à sa tête…

Le jeune homme repartit d’un air digne pour aller montrer son chef d’œuvre à des G-Man sachant apprécier le véritable art. Kashmel ricana. Les réparties verbales qu’il avait avec ce garçon l’apaisaient toujours. Il faudrait un peu plus de G-Man comme lui dans l’Ordre, et moins de nobliaux arrogants et pompeux. Stuon était méprisé pour son excentricité, mais aussi pour le Pokemon dont il était le G-Man, Queulorior, qui ne valait guère mieux que l’Insolourdo de Bradavan. Pourtant, Stuon avait décidé de faire fi de cette faiblesse supposée en s’entraînant avec application et en élaborant des stratégies qui lui étaient propres. Pour l’avoir vu se battre, Kashmel pouvait affirmer que le jeune Stuon, malgré son ADN de Queulorior, était bien plus doué que la grande majorité des G-Man avec des Pokemon plus puissants, qui se laissaient totalement aller.

Kashmel termina sa coupe. Il savait qu’il devrait se lever pour aller participer à toutes ces mondanités, et sans doute inviter quelques filles à danser. Mais les sous-entendus de Stuon lui revinrent en tête, et son regard se perdit à nouveau vers Sareim. Stuon suivait Kashmel assez souvent pour ne rien ignorer de sa relation cachée avec la fille Therno. Il aimait bien le charrier à ce sujet, jugeant qu’il n’avait pas assez de « couilles au cul », comme il disait, pour s’afficher au grand jour avec elle. Kashmel avait bien envie de contredire Stuon ce soir. Il avait trente ans, il venait d’avoir eu la reconnaissance du Seigneur Xanthos… quoi de mieux que cette soirée pour prendre ce qui lui manquait et qu’il désirait le plus ?

Les mondanités avec ses amis allaient devoir attendre, et au diable le scandale qu’il pourrait provoquer. Il se leva donc avec détermination, et marcha jusqu’au groupe de jeunes filles qui rougirent en le voyant arriver vers elles. Chacune d’entres elles devaient se demander qui serait l’heureuse élue que le beau sire Kashmel allait inviter. Sareim ne rougit pas, et sembla regarder Kashmel comme si elle le mettait au défi. L’héritier Irlesquo s’arrêta devant elle, s’inclina parfaitement et tendit la main.

- Lady Sareim, qu’il me soit permis de vous inviter à danser.

Les amies de Sareim, bien que déçues, se mirent à glousser et à l’attraper de tous côtés comme pour l’encourager. Mais Sareim n’avait nul besoin d’encouragement. Elle prit la main de Kashmel et se laissa guider sur la piste de danse. Kashmel tournoya avec elle bien une demi-heure, enchaînant six musiques. Et pendant tout ce temps, son frère Bradavan, en retrait dans l’ombre, tordit son visage en une furieuse expression d’envie dans laquelle se mêlait la haine.

Une heure plus tard, après que Kashmel et Sareim aient pu s’éclipser sans se faire repérer, les deux s’échangeaient de brûlants baisers, à l’abri des regards dans les vastes sous-sols du manoir. Kashmel devait avouer avoir toujours eu un peu peur de ces énormes caves qui descendaient jusqu’à des niveaux insoupçonnés, et que cette peur lui était restée à l’âge adulte. La raison en était qu’une fois, étant enfant, il était venu ici jouer avec Bradavan et s’était perdu, restant coincé des heures dans le noir avant qu’une domestique - sa vraie mère en l’occurrence - ne le trouve. Mais actuellement, dans les bras de Sareim, un fichu fantôme pouvait bien passer devant lui que Kashmel ne s’en soucierait même pas. Pour autant, il ne put ignorer au bout d’un moment le bruit insistant de crissement quand Sareim détacha ses lèvres des siennes.

- C’est… c’est quoi ce bruit ? S’inquiéta-t-elle.

- Juste un fouineur impoli, ricana Kashmel. Tu ne le sens pas dans l’Aura ?

Sareim s’ouvrit à son sixième sens, sourit, puis agita la main, invoquant ses pouvoirs psychiques. Aussitôt, un cri de protestation se fit entendre, et Stuon Jarminal, caché derrière un grand coffre en bois, se retrouva en train de léviter au dessus du sol.

- Ehhh ?! Lâ-lâ-lâchez-moi !

- Quel vilain garnement en train d’espionner les adultes, commenta Sareim. Il mériterait d’être entravé et enfermé dans l’une de vos caves quelques heures. Vous en pensez quoi, Lord Kashmel ?

- C’est une judicieuse proposition, ma dame, bien que quelques heures seulement me semble un peu trop clément. Quelques jours serait sans doute plus instructif…

- Oh allez, déconnez pas hein ? S’inquiéta Stuon. Je voulais juste être sûr que vous ne fassiez pas de choses… qui pourraient être considérées comme indignes de la part de deux nobles G-Man pas encore mariés. J’avais seulement à cœur votre réputation, pour sûr !

- Vu la tienne, je sais pas si t’es le mieux placé pour protéger celles des autres, fit remarquer Kashmel.

Sareim lâcha son emprise sur Stuon et le laissa retomber par terre. S’efforçant de retrouver une contenance, l’adolescent s’adossa contre un mur.

- Vous êtes tous les deux de gros inconscients, leur dit-il d’un air de professeur. Imaginez si c’était Lord Bradavan qui vous avait trouvé ?

- Je l’aurai hypnotisé pour lui effacer ce souvenir, lui ou quelqu’un d’autre, répondit Sareim. De toute façon, on ne va plus se cacher longtemps.

Kashmel acquiesça à cela. Il avait déjà prévu de commencer à en parler à son père. Il devrait faire des concessions pour lui faire accepter ça, mais ce n’était pas infaisable. Lord Gredon pensait certes à l’image de la maison, mais était avant tout un père aimant.

- C’est cela, tous mes vœux de bonheur et tout… fit Stuon. Au fait Lady Sareim, vous accepterez de me laisser utilise Gribouille sur votre attaque Hypnoooaaaaahhhhhhh !

Stuon finit sa phrase en un cri, quand il se sentit glisser par l’arrière, alors que la partie du mur sur laquelle il était appuyer venait de pivoter. Étonné, Kashmel s’approcha. Une porte venait de s’ouvrir, totalement invisible dans le mur de brique. Stuon s’était visiblement appuyé sur un interrupteur caché.

- Décidément, tu n’en rates pas une toi…

- Merde… Ça arrive souvent ce genre de trucs chez vous ?! S’exclama le jeune G-Man. C’est méga-dangereux !

- Les sous-sols du manoir Irlesquo datent d’il y a plusieurs siècles, expliqua Kashmel. Au fil des âges, mes ancêtres ont découvert plusieurs nouvelles pièces, et quelque unes étaient bien planquées, comme celle-ci. On va sans doute tomber sur le coffre personnel de mon arrière-arrière-grand-père, dans lequel il gardait des lettres de son amante, ou un truc du genre…

- Si on trouve un truc de valeur, j’en veux la moitié ! Déclara Stuon. C’est moi qui ai trouvé ce passage après tout.

Les trois G-Man, curieux, s’engagèrent dans un étroit couloir qui descendait plus bas. Kashmel, en tant que G-Man d’un Pokemon Légendaire Roche, pouvait ressentir toute l’ancienneté de ces murs. Ce passage n’était pas récent, c’était sûr. Comme ils s’enfonçaient de plus en plus au fil des minutes, et que la luminosité devenait quasi-inexistante, Stuon, vaguement inquiet, demanda :

- Euh… On devrait pas plutôt remonter et signaler ça au Grand Maître ?

- Alors, tu abandonnes déjà l’idée de trouver un trésor ?

Kashmel disait cela, mais lui-même ne se sentait pas à l’aise. Ces murs étroits et cette noirceur ne lui rappelaient que trop bien le passage où il s’était retrouvé perdu dans les caves, errant dans le noir pendant des heures, terrifié. Mais au bout d’un moment, le couloir cessa de descendre, et le sol devint plat, avec des dalles ouvragées qui ne ressemblaient plus en rien au décor de la cave. Il y avait même des torches qui brûlaient accrochées au mur.

- Depuis combien de temps elles brûlent, ces torches ? S’étonna Sareim.

- Ce n’est pas du feu normal, fit Kashmel. Sens-le dans l’Aura. Il est… comme lumineux. Il doit provenir de quelqu’un de très puissant. Quelqu’un, ou quelque chose…

- Du feu éternel ? S’étonna Stuon. On est tombé où au juste là ?

- Aucune idée, répondit Kashmel. On dirait un espèce de mausolée…

Il y avait une porte devant eux, tout aussi ouvragée que le sol. Par sécurité, les G-Man se servirent de l’Aura pour sonder ce qu’il y avait derrière. Ils furent étonnés d’y trouver un point lumineux, signe d’une présence vivante. Très faible, presque imperceptible, mais il y avait quelqu’un derrière.

- J’ouvre, signala Kashmel. On verra bien.

Il eut le souffle coupé en voyant l’intérieur. On aurait dit une cathédrale, avec des murs en or, gravés de nombreux symboles et d’images. Beaucoup d’entres elles représentaient un gigantesque oiseau aux plumage doré qui chevauchait un arc-en-ciel. Il y avait, au fond de la salle, une statue de l’oiseau en question, qui semblait faite de verre. Un truc bizarre se trouvait à l’intérieur, comme un minuscule oiseau enflammé qui tentait de s’en échapper. Et au centre de la pièce, sur un haut socle, se tenait une créature. Elle semblait endormie, et surtout, elle paraissait enfermée dans une espèce de mur immatériel bleu et vert.

- C-c-c’est quoi tout ce bazar ? Balbutia Kashmel.

- De l’art ! S’écria Stuon. De l’art partout !

- C’est le Pokemon Légendaire Ho-Oh non ? Fit Sareim en désignant les images sur les murs et la statue de verre. Ça doit être une pièce faite en l’honneur de Sacha Ketchum, le Héros Arc-en-ciel.

Kashmel n’ignorait rien de l’habitude qu’avaient les membres de sa famille à se prétendre des descendants directs du grand Sacha. Mais en réalité, ça n’avait jamais été prouvé. Et Kashmel s’en fichait un peu, pour tout dire. Mais trouver ce genre de pièce sous le manoir même des Irlesquo aurait tendance à renforcer cette théorie.

- Et ce Pokemon ? Fit Stuon en désignant la petite créature jaune. Il est mort ?

- Non, fit Kashmel. C’est lui que l’on a senti dans l’Aura. Il doit être dans une espèce de coma, ou de sommeil cryogénique. Le machin qui l’entoure, c’est clairement pas de la glace, mais je sens dans l’Aura que c’est fait pour le préserver.

Kashmel s’approcha avec prudence. Le Pokemon ne ressemblait à aucun qu’il connaissait. Semblable à un rongeur, il avait une opulente fourrure jaune sur le dos, et une queue plus longue que son corps.

- Pourquoi un Pokemon serait enfermé ici depuis tout ce temps ? S’étonna Sareim.

- Dîtes, ça craindrait pas un peu ça ? S’inquiéta Stuon. Si l’Empire apprend ça, il va penser que les G-Man, ou du moins nos ancêtres, ont kidnappé un des leurs pour l’emprisonner ici ! C’est peut-être même ce qui s’est passé…

- J’en doute, rétorqua Kashmel. Je vois pas pourquoi mes ancêtres iraient enlever un Pokemon, surtout pour le maintenir en vie ici. Et cette matière qui l’entoure… je sais pas ce que c’est, mais c’est clairement pas un truc que les G-Man pourraient créer. Ou du moins, pas seuls, car je sens une partie d’Aura à l’intérieur. On dirait qu’elle est mélangée à autre chose.

Kashmel s’approcha d’un pas vers le Pokemon, et comme sa la pièce réagissait à sa venue, la matière bleue et verte qui l’entourait s’illumina avant de se dissiper. Se demandant ce qu’il avait fait, Kashmel vit alors avec effarement le Pokemon ouvrir lentement les yeux, d’une intense couleur rouge. N’y tenant plus, Stuon tira sa Lamétrice de sa ceinture.

- Range ça, siffla Sareim.

- Mais il va peut-être nous attaquer !

Pourtant, le Pokemon n’avait pas l’air de vouloir se battre. Il semblait émerger d’un très long sommeil, et clignait des yeux d’un air perdu, regardant tout autour de lui.

- Euh… bonjour, messire Pokemon, tenta Kashmel. On vous a trouvé ici. Nous sommes sous le manoir des Irlesquo, à Axendria.

- Quel…

- Quel ?

- Q-q-quel… quelle… quelle année ? demanda difficilement le Pokemon d’une voix rauque et tremblante.

- Euh… nous sommes en l’an 528 du calendrier impérial…

Le Pokemon sembla faire un rapide calcul, puis dit :

- En… en… 2576 alors…

Les trois G-Man échangèrent un regard. Le Pokemon était en train de parler selon le calendrier datant d’avant l’Empire. Était-il si âgé que ça ?!

- Vous… vous… qui ?

- Je suis Lord Kashmel Irlesquo, fils du Grand Maître Gredon, se présenta Kashmel avec toute l’assurance G-Man. Et voici mes compatriotes, Lady Sareim Therno et Lord Stuon Jarminal. Peut-on savoir votre nom à vous, messire Pokemon ?

Le Pokemon cligna des yeux, comme s’il ne comprenait pas la question.

- Mon… nom ? Mon nom… c’est…

Il s’arrêta un moment, contempla son propre corps, puis secoua lentement la tête.

- Non. Je ne suis plus… lui. Je suis… autre chose. Appelez-moi… comme vous voulez.

Étonnés par cette demande, les trois G-Man n’en cherchèrent pas moins pendant des jours un nom pour leur nouveau mystérieux ami Pokemon. Ils ne parlèrent de lui à personne, et retournèrent de nombreuses fois le voir pour lui parler. Quand ils le firent sortir, ce fut avec grande prudence, pour que personne ne puisse le voir. Vu l’histoire qui leur avait raconté, il y avait de quoi conserver le secret. Ils le nommèrent Furaïjin, et le Pokemon accepta ce nouveau nom de bonne grâce.