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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 18/02/2018 à 09:46
» Dernière mise à jour le 19/02/2018 à 05:46

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 39 : Mise en bouche.
 Evenis fixait, on ne pouvait plus concentrée, la cible devant elle. Dix mètres les séparaient. Une distance risible, pour quiconque ayant un minimum de précision. Et la jeune princesse avait une totale confiance en ses capacités de tirs. Cependant, son doigt ne voulait appuyer sur la gâchette. Sa main moite tremblait terriblement. Son front perlait d’une grave hésitation. Petit à petit, la pression escaladait son pauvre corps, et finalement, à bout, elle hurla :

— Pourquoi est-ce que ma cible est un tonneau de bière ?! C’est inhumain !
— Mais il est vide ce tonneau ! contra Sidon.
— Ça ne fait rien ! C’est marqué ‘‘bière’’ en rouge dessus ! C’est sacré ! Je ne peux pas tirer dessus !
— Fait un effort ! s’exclama Eily.
— … gnn… c’est si cruel… ! pleura presque Evenis.

La jeune princesse ferma exagérément les yeux, et, toute tremblante, elle osa enfin presser la gâchette. Un furieux éclair déflagra instantanément, dans une magnifique trajectoire zébré ; le tonneau fut manqué, mais derrière lui, le mur fut bien noirci.

— Pas mal, commenta Omilio. Mais je pense que tu viserais mieux les yeux ouverts.
— … c’était trop dur, geignit Evenis.
— Bah, l’essentiel c’est qu’elle peut utiliser ce truc, non ? tempéra Sidon.
— Certes, soupira Eily. Mais ce serait encore plus essentiel qu’elle sache viser avec. Je n’ai pas envie qu’elle me grille par inadvertance !
— … hihihi…, ricana Evenis.

La jeune princesse se gratta maladroitement la tête, consciente qu’elle n’était pas encore très au point. Il y a trois jours, Evenis avait exprimé par un marquant discours sa volonté de vaincre le Vasilias. Or, entre vouloir et pouvoir, il y avait parfois un gouffre. Un gouffre qu’il était difficile de franchir, surtout lorsque sa seule arme était un vieux lance-pierre artisanale. Et hors de question de faire une réinterprétation de David et Goliath ; si Evenis voulait faire tomber le Vasilias, elle devait être correctement armée.

Ce fut pourquoi, cette nuit, elle se trouvait chez Omilio – ou plus exactement, dans la salle d’entraînement de sa résidence. Le Foréa n’avait pas pris longtemps pour lui conseiller une arme à distance ; après tout, Evenis avait bel et bien une précision hors-pair avec son lance-pierre. Et quitte à prendre une arme, autant en prendre une puissante.

— Quand même, se méfiait Eily, je ne suis pas certaine qu’il faille lui confier une relique de l’Ancien Monde…
— Elle n’a pas tort ! réagit Evenis elle-même. Je suis maladroite que je risque causer pas mal de catastrophes !
— Et tu n’es pas censée t’en vanter ! s’écria Eily.
— Toute chose se travaille, répondit pragmatiquement Omilio.
— Au fait, comment s’appelle cette merveille ? intervint Sidon.
— Si j’en crois les documents qu’on a retrouvé de l’Ancien Monde, c’est officiellement un ‘‘pistolet à rayon néo-plasmique’’.

Evenis lâcha une grotesque grimace :

— Néo-quoi ? cracha-t-elle. C’est trop compliqué ! Et trop moche !
— Certes, s’amusa Omilio. Mais toujours selon ses mêmes documents, les soldats de l’époque le surnommait bêtement ‘‘Plasma’’. Simple et efficace.

Le Foréa d’Aifos s’approcha d’Evenis, et lui prit son arme. Il l’analysa calmement sous tous ses angles. Un sobre et glacial pistolet à la teinte argentée, deux éclairs or et ébène y était ciselés de part et d’autres du canon. L’épaisse crosse était malgré tout facile à prendre en main, et, d’une ergonomie remarquable, tout en ayant la main sur la gâchette, il était possible d’actionner les diverses fonctionnalités du Plasma.

— Alors, commençons par le début, expliqua Omilio. Le Plasma à trois niveaux de puissance que l’on peut régler à l’aide de cette roulette. Le niveau faible, pour paralyser l’adversaire ; normal, pour l’assommer ; et fort, pour infliger de sévères blessures. Il est aussi possible d’élargir le rayon d’action et de toucher plusieurs cibles, mais faire ceci au détriment de la puissance brute. Ensuite…

Evenis pencha la tête, déjà perdue. Elle cligna si stupidement les yeux qu’Omilio comprit qu’il était inutile d’aller plus loin.

— … tu n’as qu’à appuyer sur tous les boutons et voir ce que ça fait, soupira-t-il.
— Ah, là je comprends mieux !

Et la jeune princesse saisit à nouveau le Plasma et s’en équipa. S’ensuivit une demi-heure de terreur. Evenis avait complètement prit Omilio au mot. Sans la moindre contrariété, elle déchaîna son Plasma dans toute la salle d’entraînement, faisant ainsi s’anima l’impitoyable puissance de la foudre. Il ne fallut que quelques minutes pour que murs et plafonds ne finissent noir de suie.

— … est-ce vraiment raisonnable de donner une arme pareille à cette fille ? grinça Eily.

Omilio resta silencieux, lui-même incertain de la réponse.

— Bah, qu’est-ce qui peut mal se passer ? ricana Sidon.
— Je ne sais pas moi, qu’elle nous vise et grille sans faire exprès ? fit sarcastiquement la demoiselle cyan.
— Voyons, je ne ferrais jamais ça ! assura Evenis. Je suis une as du lance-pierre, je vois pas pourquoi ça n’en serait pas autant avec ce truc ! Regarde, je peux même déjà faire des tirs super précis !

Comme pour prouver ses dires, Evenis appuya sur la gâchette, et, aussitôt, un puissant rayon crépita vers la demoiselle cyan. Ou plutôt, il passa très exactement à un millimètre de sa joue. Eily resta pétrifiée, incapable de produire le moindre mouvement.

— … euh oups ! Je voulais le régler sur faible ! sourit maladroitement Evenis. Enfin tu vois, je ne t’ai pas touché, malgré ma bêtise ! C’est impressionnant, hein ? Je suis géniale, hein ?
— … e-e-es…

Petit à petit, la demoiselle cyan parvenant à retrouver ses sens, et, finalement :

— Espèce de chiure d’idiote ! J’aurais pu crever !
— Mais non, puisque je ne t’ai pas visé ! Et puis, j’avais voulu le régler sur faible !
— C’était TRÈS loin d’être faible !
— Bah, ça arrive à tout le monde de faire des erreurs, hihi !

Sidon tenta de tempérer :

— Voyons le bon côté des choses, au moins, nous savons qu’Evenis a vraiment une précision hors-pair !
— … et de sa stupidité hors-pair, on en parle ? maugréa Eily.

Omilio s’avança :

— Une chose cependant, le Plasma n’est pas illimité ; il se recharge avec des munitions spéciales : des joyaux électriques. Ce sont des concentrées d’énergie Électrique ; à l’époque les anciens usaient de leur Ensar Électrique pour en produire mais maintenant, c’est un peu plus compliqué. Mais rassure-toi, nous avons retrouvé suffisamment de joyaux pour ne pas risquer la pénurie tout de suite.
— En gros je peux m’amuser encore avec ? résuma Evenis des étoiles dans les yeux.
— Tu peux t’entraîner encore, oui. Il est important que tu maîtrises l’arme avant le combat fatidique.
— Génial !

Eily plissa les yeux :

— Dire qu’au moment où elle avait fait son discours contre le Vasilias, je l’ai trouvé mature…
— La princesse de Genna reste naturelle en toute circonstance, répliqua Sidon. Elle n’est pas du genre à se perdre en manières.
— Ah ça, effectivement elle n’a aucune manière…


 ***

 La lune était déjà bien haute lorsqu’Eily, Evenis, Sidon et Omilio quittèrent la salle d’entraînement. Evenis souriait comme une gamine qui venait de quitter une fête foraine. Un bonheur qu’était loin de partager Eily, qui remerciait le ciel d’être encore en vie. Sidon, lui, était plutôt satisfait. Evenis s’était certes quelque peu égarée dans son entraînement, mais lorsqu’elle serait contre le Vasilias, l’homme balafré était certain qu’Evenis dévoilerait son véritable potentiel.

— … ?

Soudain, Omilio s’arrêta. Il jeta un coup d’œil aux gardes postés devant sa résidence. Quelque chose n’allait pas. Il fit signe aux restes du groupe d’attendre et se dirigea vers la source de son inquiétude :

— Rien à signaler ? lança-t-il.

Les gardes se regardèrent, perplexes. Finalement, l’un d’entre eux se détacha et s’avança fièrement vers le Foréa Impérial :

— Monseigneur, s’inclina-t-il conformément. La nuit est aussi calme qu’à l’accoutumée ; cependant les gardes de l’entrée nord sont étrangement en retard. Ils devraient être de retour depuis un bon moment déjà.

Omilio hocha la tête :

— C’est bien ce que je pensais. Normalement, à cet heure-ci, vous échangez vos postes. Il y a-t-il une raison à ce retard ?
— J’ai bien peur n’en avoir aucun idée.
— … très bien. Vous pouvez retournez à votre poste.

Après avoir fait une deuxième référence, le garde s’éloigna. Sidon ricana :

— Peut-être qu’ils se sont arrêtés pour boire un coup ?
— Non, éluda Omilio. La ponctualité est l’une des valeurs phares de mes hommes, jamais ils n’oseraient faire de détour pour risquer de me contrarier. Ils savent à quel point la rigueur est importante. Du moins, lorsque je suis présent.

« Effectivement, quand tu n’es pas là, se sont de vraies passoires ! » gloussa mentalement Eily en se rappelant le jour où elle avait infiltré la résidence en compagnie de Gyl.

— … l’approche du festival me rend peut-être parano, mais il faut que je tire cette histoire au clair, continua Omilio.
— Dans ce cas, on t’accompagne, sourit fortement Sidon. On est dans tous dans la même merde après tout !
— … merci.

« … tss, j’ai envie de retrouver mon lit moi… », maugréa Eily.

Mais la demoiselle cyan sentait qu’il serait inconvenant de leur faire faux bonds, alors, elle accepta de les suivre.
Ce n’était pas la première fois qu’Eily voguait dans les rues nocturnes d’Aifos, mais à chaque fois, voir ses immenses rues dénuées de foules l’impressionnait. Comment, en entendant ce doux silence nocturne, pouvait-on imaginer l’assourdissante cacophonie diurne ?
Omilio, lui, n’avait pas l’esprit à ses détails. L’appréhension hantait ses pensées ; un mauvais pressentiment qu’il n’arrivait à effacer.


 ***
 ***
 ***


 Evenis resta inerte ; ce qu’elle voyait heurtait impitoyablement sa rétine, d’horribles souvenirs perçaient son iris jusqu’à son cerveau. Un sentiment que partageait amèrement Eily. Elle aussi était envahie d’affreuses réminiscences. Sidon avait un regard grave ; son habituel sourire avait fondu au néant. Omilio mordit ses lèvres jusqu’au sang, d’instables crépitements psychiques émanaient de ses mains.

Ils étaient enfin arrivés à la porte nord d’Aifos ; frontière séparant la ville du reste du monde. Devant eux, vingt soldats. Au sol. Décapités. Démembrés. Baignant dans une mare de sang. Un massacre abominable.

— Tiens ? Le grand manitou se montre enfin ? Je savais qu’à force de jouer avec le menu fretin, tu finirais par arriver !

Semblant sortir de cette marée de cadavres, une forme féminine s’approcha lentement, arborant un grand sourire innocent. Elle fixa Omilio de ses deux grands yeux ingénus. Sa petite robe blanche à froufrou était peinturée de sang. Elle pencha angéliquement sa courte chevelure améthyste :

— Je t’ai attendu longtemps, tu sais ! Heureusement que j’avais de quoi m’amuser !

Sur ces mots, la demoiselle améthyste donna un léger coup de pied à une tête gisant au sol ; elle roula jusqu’à Omilio.

— Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ? siffla le Foréa.
— Ah oui, les présentations ! C’est vrai ça, je sais qui vous êtes, mais vous ne savez pas qui je suis, c’est injuste !

Poliment, la figure féminine recula gracieusement sa jambe gauche derrière la droite, et dans le même geste, s’inclina docilement en étendant légèrement le bas de sa robe :

— Je me nomme Miu. C’est mignon, n’est-ce pas ? Quant à ce que je veux, c’est tout bête : je viens vous rencontrer ! Mère parle très souvent de vous ces derniers temps, et, avant le grand final, elle m’a autorisé à discuter avec vous.

La dénommée Miu gloussa naïvement :

— Oh, mais je parle de Mère, mais ça ne doit rien vous dire. Pourtant, vous la connaissez ! Vous l’appelez juste différemment. C’est comment déjà ? Mmh… ah, voilà : Vasilias !
— … !

Que ce soit Omilio, Eily, Evenis ou Sidon, chacun recula d’un pas. Le Vasilias passait à l’action. En soi, ce n’était pas une surprise, chacun savait qu’à un moment où un autre, le faux-dieu sortirait de sa torpeur. Mais maintenant, l’heure était à la réalisation. Le Vasilias ne comptait pas se laisser faire, quitte à user des moyens les plus horribles.
Les gardes d’Aifos. Ils faisaient simplement leur travail, protégeant la ville des scélérats. Cette fille est arrivée. Et elle les avait tués. Cruellement. Juste parce qu’il était là. Pour attirer Omilio. Sans la moindre culpabilité.
Mais derrière cette horreur se cachait une autre vérité. Les gardes d’Aifos n’étaient pas des débutants. Ils avaient été choisis par Omilio lui-même, leurs compétences étaient plus qu’avérées. Alors, pourquoi est-ce que cette fille était indemne ? Pourquoi n’avait-elle pas la moindre blessure ? Chacun connaissait la réponse, mais personne ne voulait l’admettre : elle les avait tout simplement anéantis, sans le moindre effort.

— Ah ? Vous êtes bien silencieux vous tous ! Je pensais que vous étiez une bande de joyeux lurons ! Ah ! Je sais ! Je suis tellement mignonne que ça vous laisse sans voix, c’est ça ? Hihi !

Miu se mit soudain à tourner sur elle-même, telle une élégante danseuse. Devant elle, l’effroi faisait place à la haine. La demoiselle améthyste avait beau tout faire pour paraître ‘‘mignonne’’, il émanait d’elle une aura si meurtrière qu’elle ne trompait personne. Elle semblait être capable de tuer aussi aisément que de respirer. Omilio avança d’un pas, sombre :

— Vous avez osez-vous en prendre à mes citoyens. Que vous soyez liée au Vasilias ou non n’y fait rien. Veuillez accepter votre châtiment.
— Wouah ! Tu parles bien, toi, comme on pourrait s’y attendre d’un Foréa ! Mais tu as l’air bien violent, dis donc. Les filles n’aiment pas les hommes violents, tu sais ?

Soudain, deux prodigieuses lames de vents descendirent du ciel, droit vers Miu, tel un jugement divin. Elles étaient si vives qu’elles provoquèrent une terrible bourrasque sur leur passage. La catastrophe venteuse ne dura qu’une seconde ; il ne restait comme preuve de leur existence que deux immenses entailles au sol. Miu se tenait juste à côté, l’air faussement étonné.

— Oh ! s’exclama-t-elle. C’était dangereux ça !
— … je l’ai manquée ? siffla une voix venue du ciel.

Tout aussi sombre que son partenaire, une certaine chauve-souris vola jusqu’au niveau du groupe. Eily n’avait jamais vu Rhinolove aussi sérieux, lui qui prenait d’habitude tout à la légère.

— … elle est dangereuse, lança Omilio. Une personne normale n’aurait jamais pu esquiver cette attaque… une Magus peut-être ? Non, c’est autre chose…
— Tu veux savoir mes petits secrets ? Je serais bien tentée de te le dire mais une fille est bien plus intéressante si elle garde une part de mystère, non ?

Miu pencha la tête, angélique :

— Mais on est un peu trop proche de la ville ici. Mère ne serait pas très contente si je fais trop de bruits. Dites, dites, ça vous diriait si on poursuit notre petit jeu un peu plus loin ?
— …

Omilio se mordit les lèvres. Il détestait l’admettre, mais cette proposition était alléchante. Aux portes de la ville, il lui était impossible de déchaîner ses pouvoirs. S’il pouvait s’éloigner, il serait gagnant. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait anguille sous roche. S’il acceptait de suivre Miu, ce serait assurément pour plonger dans un piège. Cependant, il ne pouvait pas non plus faire demi-tour et ignorer la demoiselle améthyste, qui savait ce que ce monstre serait capable de faire ?

— Très bien, répondit calmement Omilio.

Le Foréa se retourna vers Eily, Sidon et Evenis.

— Vous, retournez au manoir, je vais régler cette histoire avec Rhinolove.
— Pardon ? siffla Eily.
— … un sous-fifre du Vasilias, grinça Evenis en sortant son nouveau Plasma.
— Nous n’allons pas te laisser seul, grogna Sidon.

Omilio sourit faiblement.

— … je vois. Non, je devrais être ravi, vous êtes prêts à vous battre. Mais vous n’êtes pas suffisamment forts, du moins, en un nombre aussi réduit. Si vous ne voulez pas me ralentir, allez chercher les autres. Et dépêchez-vous.

La mine du Foréa s’assombrit :

— … j’aurais peut-être besoin de vous… de vous tous.
— C’est bon, vous avez fini ? bailla Miu. Je m’ennuie ici ! En plus tout ce sang par terre, ça sent vraiment pas bon ! Je m’en fiche que tu viennes seul ou accompagné, je veux juste m’amuser avec un Foréa !
— … tu veux jouer, hein ? cracha Omilio. Très bien, je suis d’accord. Amusons-nous. Ne viens pas te plaindre après coup.
— À la bonne heure ! gloussa Miu.


 ***

 La situation était irréaliste. Omilio lui-même se demandait si tout cela n’était pas un rêve. Il marchait simplement. Rhinolove volait à ses côtés, derrière la demoiselle améthyste. Cette dernière, au contraire, était aux anges. Elle sautillait innocemment à travers les herbes, chantonnant à l’occasion. Difficile de penser que cette même fille avait cruellement assassiné une vingtaine de soldats il y a peu. Pourtant, on ne pouvait pas s’y tromper ; du sang frais coulait encore de sa robe, souillant la verdure à chacun de ses pas.
Omilio et Rhinolove fixaient gravement la demoiselle améthyste. Le duo n’avait cessé de guetter l’occasion pour prendre Miu à revers, sans succès. Le monstre sanguinaire ne laissait aucune brèche dans sa garde, même lorsqu’il chantonnait innocemment.

— Ah, ici c’est parfait ! déclara soudainement Miu.

Omilio jeta un rapide coup d’œil en arrière ; ils étaient suffisamment loin d’Aifos. Ici, il n’aurait pas à se retenir.

— Mais avant de commencer à jouer, je tiens te présenté mes amis ! Eux aussi ils veulent s’amuser… enfin, je crois ! Ils ne sont pas très causants en vrai !

Toute souriante, la demoiselle améthyste frappa deux fois dans ses mains. Aussitôt, deux autres figures atterrirent à ses côtés, comme si elles avaient bondi jusque-là. Impossible cependant de dire s’il s’agissait de filles ou de garçons ; les deux individus étant entièrement voilés. Celui de gauche arborait un voile noir ténèbres tandis que celui de droite un voile blanc albâtre. Ils se tenaient tous deux droits, comme des statues inébranlables.
Omilio ne chercha pas à comprendre et se prépara au combat. Dans ses mains, il concentra son énergie psychique ; l’amas de particules psy se matérialisèrent et se condensèrent peu à peu, prenant ainsi la forme de deux dagues noires ébènes, semblables à des ailes de chauve-souris. Les deux fines lames se mirent à flotter mystiquement devant le Foréa, prêtes à déchirer la chair.

— Tu veux déjà jouer ? s’étonna Miu. Mais je ne t’ai pas encore présentées mes amies ! Voici donc… euh… ahem… hihi ! En vrai ils n’ont pas de noms, du moins, pas que je sache ! C’est triste, hein ? Allez, tant qu’à faire, autant les appeler Noir et Blanc, non ? Ça fait un peu raciste mais c’est mieux que rien !

La demoiselle améthyste gloussa coquettement.

— Mais même s’ils ne sont pas très causants, ils sont très importants pour Mère ! Elle dit qu’ils sont les prototypes de la nouvelle génération de dresseurs Pokémon, un truc du genre !

« Dresseur de Pokémon ? » tiqua mentalement Omilio.

C’était là une expression complètement inusitée, surtout depuis la disparition des Pokémon. Aujourd’hui, le peuple vénérait ses créatures magiques sous le nom d’Ensar. Le terme Pokémon avait lui-même fini par disparaître des mémoires. Cela ne faisait que confirmer les doutes d’Omilio. Cette Miu n’était pas une simple sbire. Elle savait tout ce que le commun ignorait. Raison de plus pour lui faire cracher le morceau.

— Allez-y ! pointa soudain Miu du doigt. Noir ! Blanc ! Montrez ce que vous saviez faire les voilés !

Omilio et Rhinolove redoublèrent de prudence. De leur côté, les deux êtres voilés brandir trois étranges petites sphères chacune. Des sphères bicolores, blanches et rouges. Omilio écarquilla ses yeux. Ses objets, il ne pouvait pas se tromper. Il n’en avait jamais vu autre part que dans les livres. Des Pokéballs, ses mystérieux artefacts capables de capturer des Ensar – ou plutôt Pokémon. Cependant, quel était l’intérêt d’en avoir ? Contrairement à auparavant, les Pokémon ne couraient plus routes et forêts.

« … à moins que… », réalisa Omilio.

Le Foréa n’eut pas le temps d’aller au bout de ses pensées. D’un coup, six rayons écarlates illuminèrent brièvement la nuit sélénite ; six créatures bicéphales mauves apparurent, flottantes à mi-hauteur. On aurait dit deux uniques têtes patibulaires, attachées l’une à l’autre ; l’une était nettement plus grande que l’autre cependant. Mais le pire, c’était sans doute l’épais et immonde gaz qui s’échappait des furoncles de ses créatures. Omilio et Rhinolove étaient même obligés de se recouvrir d’une fine couche de particules psychiques pour supporter cette horreur.

— Voici des Smogogo ! s’exclama Miu. Vous en avez jamais vu, hein ? Il paraît que c’était des Pokémon assez courants à l’époque, pourtant !
— … d’autres Ensar ? s’étonna Rhinolove.
— Bingo ! sourit la demoiselle améthyste. Mais ne te fatigue pas à tenter de parler avec eux, contrairement à toi, ils sont incapables de communiquer. Après, c’est normal, les Pokémon ne devraient pas être capable de parler. Si on devait choisir, ce serait plutôt toi le monstre, hihi !

La chauve-souris tiqua. Se faire appeler ‘‘monstre’’ par cette demoiselle améthyste n’avait rien d’agréable. Mais il ne devait pas se laisser déstabiliser par ses provocations. C’était tout ce qu’elle voulait.
Miu bondit en avant :

— Je vous ai fait attendre, hein ? Mais on ne peut pas encore jouer, il manque quelque chose… comme ça !

Miu claqua des doigts. Aussitôt, les Smogogo se mirent à s’agiter, voire à gonfler, petit à petit. Et, d’un coup, ils se dégonflèrent, crachant dans le ciel une terrible et épaisse masse gazeuse ; elle était si mortifère que l’herbe au sol s’assécha et mourut instantanément.

— Un beau Gaz Toxik, tu ne trouves pas ? s’émerveilla Miu. Personnellement, je le verrais bien un peu plus rose, mais cette petite couleur violette n’est pas si mal : ça ressemble un peu à mes cheveux ! Oh, mais il n’est pas que beau. Si j’étais toi, j’agirais vite, mon petit Omilio. Si j’en crois le vent, ce petit nuage se dirige tout droit vers Aifos. Ce serait terrible si ça arriverait ! Tu imagines le nombre de morts ? Non, vraiment, je préfère ne même pas y penser !
— … !

Omilio réagit au quart de tour ; ses prunelles fulminèrent et, en un instant, il immobilisa l’immense nuage toxique avec ses pouvoirs psychiques. En le voyant faire, cela semblait aussi simple que de respirer, mais la réalité était tout autre. Il était très difficile de prendre ‘‘possession’’ des objets ; c’était avant tout de l’auto-sujétion, il fallait persuader son corps que l’objet en question était une partie de soi-même afin de pouvoir le bouger comme si c’était l’un de ses membres. Mais ça, c’était pour les objets matériels. Contrôler du gaz, soit une quasi-infinité de minuscules particules chimiques volatiles, relevait de l’impossible. Heureusement, les pouvoirs Psy d’Omilio dépassaient l’entendement ; toutefois, cela ne signifiait pas qu’il le faisait sans peine.

Maintenant, le problème suivant : que faire de ce nuage ? L’envoyer au loin, pour qui continue sa route meurtrière ? Et si, sur son passage, il annihilait un village innocent ? Omilio ne pouvait prendre se risque, sa conscience l’en interdisait. Il fallait trouver une solution pour anéantir ce nuage mortifère, comme s’il n’avait jamais existé.

— Je t’ai fait attendre, hein ? pencha Miu de la tête. Mais sois content, on va enfin pouvoir s’amuser !

Et, d’un coup, Miu disparut – ou plutôt, elle se déplaça si vite qu’elle sembla disparaître. Elle réapparut juste en face d’Omilio ; qui l’accueillit vivement avec ses deux dagues. Un éclatant tintement métallique. Miu contra les dagues avec ses propres lames ; pourtant, elle ne portait ni dague ou épée. C’était ses propres bras, qui avait mystérieusement pris la composition de l’acier.

— J’ai toujours rêvé de jouer avec un Foréa ! sourit Miu à pleines dents.
— Attention à ne pas te brûler les ailes, siffla Omilio.

À partir de ce moment, Omilio fut heureux d’être loin d’Aifos. Miu l’attaquait sans relâche, sans répit. Elle ne possédait ‘‘que’’ ses bras aiguisés et c’était déjà largement suffisant. Elle semblait trancher l’air ; dès qu’elle donnait un coup, elle produisait une bouleversante onde de choc. Lorsque ses lames touchaient le sol, c’était pour le fissurer sans effort ; le tout dans une cacophonie dantesque.
Bien évidemment, Omilio n’était pas en reste. Il déchaînait lui aussi ses pouvoirs, et lui, il n’avait pas que ses dagues flottantes. D’impressionnante vagues psychiques tournoyaient autour de ses lames dansantes ; souvent, des lances psychiques surgissaient brusquement du sol juste sous les pieds de la demoiselle améthyste. Malgré tout, Omilio ne comptait pas uniquement sur ses pouvoirs mystiques ; sa parfaite maîtrise des arts martiaux, couplé à son corps svelte, le rendait à la fois redoutable et insaisissable au corps à corps. Et en plus de tout cela, Omilio se battait en un tandem parfait avec Rhinolove. En hauteur, la chauve-souris ne lésinait pas sur ses Lames d’Air dévastatrices et ses météores de Choc Psy. C’était le chaos ; il ne se passait pas une seconde sans qu’une explosion balayait la plaine anciennement verte.

Mais ce chaos était loin d’être suffisant. Que ce soit tempête, lance ou météore psychique, Miu esquivait tout. Tel un serpent, elle se glissait entre chaque assaut, aussi effroyable soit-il, et contre-attaquait avec le sourire. Jamais elle ne fut ne serait-ce qu’égratignée ; même la poussière semblait éviter de salir sa petite robe blanche souillée de sang.

Omilio avait un très mauvais pressentiment. Il savait que cette fille serait forte, voire surpuissante. Mais jamais il n’avait imaginé qu’elle le serait autant. Le pire, c’était les Smogogo contrôlés par les individus voilés ; ces abominations toxiques continuaient inlassablement de cracher leur poison, amplifiant le nuage mortifère de seconde en seconde. Et plus le nuage était dense, et plus Omilio peinait à le maintenir immobile.

— Hahaha ! s’amusa follement Miu. Ça fait longtemps que je n’avais pas bougé comme ça ! Les Foréa sont vraiment incroyables !

Tout en continuant à se battre ardemment, Omilio analysa calmement la situation. Cela ne servait à rien de continuer à faire étalage de sa puissance, force était de constater que cela ne faisait que distraire la demoiselle améthyste. D’ailleurs, il était fort probable que cette même demoiselle ne soit pas totalement sérieuse, et si elle ne devenait, Omilio craignait les conséquences qu’un tel combat pourraient provoquer.

« Il faut d’abord s’occuper des Smogogo, ils m’empêchent de pleinement me battre… cependant… »

Comprenant les intentions d’Omilio, Rhinolove lança l’une de ses Lames d’Air vers les créatures toxiques, et, sans surprise, la surpuissante onde de choc aérienne se heurta à un mur invisible. Omilio et Rhinolove l’avaient pressenti ; leur maîtrise de l’énergie mystique leur permettait de voir bien plus que le domaine du visible. Et ils le voyaient très clairement ; les deux individus voilés et les Smogogo étaient protégés par un puissant champ de force. En forçant un peu, Omilio pourrait le briser, mais cela reviendrait à se mettre à la merci de Miu ; contre elle, la moindre inattention serait fatale.

— Une sacrée protection que vous avez installés autour des Smogogo ! s’écria Omilio.
— Ces créatures sont un peu fragiles, avoua Miu. Si je les laissais à ta merci, les pauvres, ils ne feraient pas long feu !
— S’ils sont si fragiles, pourquoi ne pas les rappeler dans leur Pokéball ? Vous prenez un risque en les laissant à l’air libre !
— Ah ? C’est pour qu’ils maintiennent le nuage ! Tu en poses de ses questions !
— Donc, sans les Smogogo, le nuage de poison disparaîtra ?
— … hihi, j’en ai trop dit, c’est ça ? gloussa doucement Miu.

Omilio inspira fortement, et redoubla sa voix :

— Vous avez entendu, n’est-ce pas ?! Allez-y !
— Et comment qu’on a entendu !
— Vu comment t’as gueulé aussi…
— Miuu ?! s’étonna la demoiselle améthyste.

Aussitôt, ceux qui étaient pour l’instant restés dans l’ombre surgirent enfin. Eily, Tza, Ifios, Evenis, Sidon, Fario, et même Gyl. Chacun se mirent à bondir et à attaquer la barrière mystique autour des Smogogo. Evenis déchaînait son nouveau Plasma ; Sidon et Ifios écrasaient leur cimeterre ; Tza martelait la barrière de son énorme lame ; Eily avait encastré sa main dans l’un des trous de la carapace de Caratroc, transformant son bras en véritable masse, et accompagnait Tza dans son tambourinage ; Gyl, quant à lui, concentrait une étrange énergie dans ses mains et se contentait d’apposer ses doigts sur la barrière – étrangement, ce fut lui qui endommagea le plus la barrière, comme s’il touchait précisément les points faibles du mur invisible. Fario, en retrait, accumulait son énergie draconique et la partageait avec le reste du groupe, renforçant ainsi drastiquement leurs sens ; cela leur permettant non seulement de frapper plus fort, mais également de ne pas succomber au poison ambiant.

— Hé ! C’est pas du jeu, ça ! C’est moi votre adversaire ! s’exclama Miu.

Prise de court, la demoiselle améthyste voulut stopper les nouveaux venus, mais c’était sans compter Omilio et Rhinolove. Le duo Foréa/Ensar redoubla d’efforts, leurs attaques dévastatrices ne lui laissaient aucun répit. À peine Miu évitait une Lame d’Air destructrice que deux fulgurantes dagues flottantes menaçaient de lui trancher le cou ; en même temps que quatre lances psychiques surgissaient du sol, deux météores de Choc Psy fusaient du ciel ; dès que la demoiselle améthyste échappait à une mort certaine, Omilio fondait sur elle et multipliait de dantesques enchaînements martiaux.

De l’autre côté, le reste du groupe continuait inlassablement de martyriser la barrière mystique. Cela faisait longtemps qu’ils attendaient leur heure, tapis dans l’ombre de la nuit. Ils auraient pu intervenir bien plus tôt, mais ce serait gâcher l’élément de surprise. Omilio l’avait dit, ils manquaient encore de force ; alors, ils devaient user intelligemment le peu qu’ils possédaient. Tout miser sur un seul et unique assaut à pleine puissance au moment le plus opportun.

Petit à petit, des fissures irisées apparurent sur le mur invisible ; Miu tiqua. Elle s’amusait tellement avec Omilio qu’elle n’avait pas prévu un tel retournement de situation. En réalité, elle avait remarqué depuis le début qu’Eily et les autres se cachaient dans les environs, mais la demoiselle améthyste pensait qu’ils attendaient de la combattre elle, et non pas la barrière des Smogogo. Dans sa tête, le ‘‘jeu’’ était un combat entre elle contre tous ; par conséquent, s’attaquer aux Smogogo était de ‘‘l’anti-jeu’’.

— Et je n’aime pas les tricheurs ! s’écria-t-elle.

D’un coup, une phénoménale vague d’énergie déferla de son corps ; elle était suffisamment puissante pour envoyer bouler Omilio, Rhinolove et ses sept autres adversaires sur plusieurs mètres. Irritée, Miu profita du moment et bondit vers le mur ; ses bras d’acier réclamaient le sang des ‘‘tricheurs’’. Mais dans sa rage, la demoiselle améthyste ne remarqua pas qu’Omilio avait déjà reprit pleinement possession de ses moyens. Une dague fusa, droit vers le crâne de la demoiselle améthyste.

— Mi… ! grinça-t-elle.

Toujours en plein bond, Miu n’avait ni l’appui, ni le temps nécessaire pour esquiver l’assaut. Elle tenta une pirouette aérienne désespérée – et salvatrice. Elle évita le pire de peu, mais le sang coula. Une affreuse entaille défigura sa joue. Déstabilisée, Miu s’écrasa au sol. Lorsqu’elle se releva, elle caressa son visage meurtri, abasourdie.

— …tu… tu m’as blessé ?… c’est… c’est mon sang ? marmonna-t-elle.

Miu resta immobile, complètement ahurie, à contempler l’hémoglobine recouvrant sa main. Elle ne réagit même pas lorsque le groupe reprit son assaut contre la barrière protégeant les Smogogo. Jamais dans ses fantasmes les plus fous Miu n’aurait imaginé subir un coup direct, et encore moins perdre son sang. Elle était censée être supérieure à tous ; en termes de puissance brute, en termes de réflexes, en termes d’agilité, en termes de stratégies, bref, sur tout les points. Et pourtant, elle avait été blessée. Un large sourire naquit petit à petit sur ses lèvres. Et, d’un coup, elle éclata de rire. Un rire dément, délirant, tonitruant. Sa folie était telle que son corps était secoué d’intenses spasmes incontrôlés.

— HAHAHA ! Les Foréa sont vraiment… INCROYABLES ! s’égosilla-t-elle.

Soudain, un éclatant bruit de verre tonna. La barrière mystique fondit en une pluie de particules irisées. Les Smogogo étaient enfin accessibles. Quant à Miu, elle était bien trop perdue dans son rire grotesque pour réagir.

— À moi de jouer ! s’écria Evenis en brandissant son Plasma. On va voir si j’ai bien compris à quoi servent tous ces boutons !

Eily grinça les dents, peu confiante. Mais la jeune princesse était bien déterminée à prendre l’initiative. Vivement, elle régla son Plasma sur la puissance maximale avec le rayon d’action maximum. Et elle appuya sur la gâchette. Aussitôt, un immense et large faisceau électrique déflagra. Aucun des six Smogogo ne furent épargnés. Le courant les traversaient de part en part, les grillant complètement. Lorsque tout fut fini, les six créatures toxiques s’écrasèrent pathétiquement au sol, inertes ; peu à peu, le nuage toxique qu’ils alimentaient commença à se dilater, perdre en contenance, jusqu’à totalement disparaître dans le néant.

— … ah ? réagit enfin Miu. Les Smogogo sont… K-O ? C’est… de la triche mais… hihi… je me suis bien amusée alors je vous pardonne… hihihi…

Toujours en proie à des spasmes – moins violents qu’auparavant cependant – la demoiselle améthyste s’approcha des deux individus voilés. Ces deux derniers étaient restés complètement statiques depuis le début de l’affrontement. Il n’avait fait qu’appeler les Smogogo, et les rappeler une fois K-O. C’était à se demander s’ils étaient vraiment vivants.

— Bon, puisque le jeu a été avorté, il est temps pour moi de partir, annonça Miu.
— Parce que tu crois qu’on va te laisser faire ? s’avança Omilio.
— … parce que tu penses pouvoir m’arrêter ?

Subitement, onde de choc déferla de son frêle corps. Une onde de choc deux fois plus violente que la première.

— Mère avait raison, les Foréa sont très intéressants. Vous n’étiez que de la vermine, mais grâce vos pouvoirs, vous êtes à mi-chemin d’atteindre de la Véritable Humanité. Hé, je parle des Foréa mais…

Doucement, Miu tourna son regard vers Eily.

— Désolée, Eily. Je m’amusais tellement avec ce Foréa que j’ai complètement oublié de te saluer ! Mère parle beaucoup de toi, tu sais ? Elle est fière de tes progrès. Même si honnêtement, je ne vois pas pourquoi. Tu es encore bien trop faible. J’aurais bien aimé m’amuser aussi avec toi, mais j’ai peur de te casser ; Mère m’a toujours dit de prendre soin de mes jouets. J’espère qu’on pourra s’amuser ensemble bientôt ! Peut-être au Festival du Renouveau…

Et, avec un petit sourire, la demoiselle améthyste lança un clin d’œil à Gyl :

— Tiens, tu es là toi aussi, le déchet ? Je pensais pourtant qu’on avait déjà sorti les poubelles ! gloussa-t-elle.

Sur ses dernières paroles, un épais brouillard noirâtre explosa brusquement. Lorsqu’il se dissipa, Miu et les deux individus voilés avaient disparu. Il ne perdurait de leur présence que les vestiges du précédent combats, et quels vestiges ! La plaine auparavant verdoyante était totalement dévastée, de l’herbe chatoyante, il n’y restait que moult cratères encore crépitants. Il suffisait d’un coup d’œil pour deviner l’effroyable violence qui s’était déchaînée en ce lieu.

— … bon, souffla subitement Ifios. Et maintenant ? Une explication ? Et c’était quoi ces ballons violets puants ?!

Fario, Tza et Gyl acquiescèrent. Ils n’avaient pas eu la chance d’être présent dès le début ; s’ils étaient là, c’était uniquement grâce à l’insistance d’Eily, Sidon, et Evenis. Les nouveaux venus finirent par avoir une explication sommaire des évènements, mais personne n’en avait de véritablement précise. Cette Miu était arrivée comme ça, sans prévenir, et avait assassiné les gardes d’Aifos, avant de menacer la ville entière.

« Mais ses menaces étaient-elles réelles ? » réfléchit Omilio.

Certainement pas. Le Foréa en était persuadé. Si cette Miu voulait réellement détruire Aifos, elle aurait très bien pu le faire n’importe quand. Elle n’avait aucun intérêt de l’attirer, et encore moins de se battre.

« Elle voulait juste nous tester… et nous montrer le gouffre qui nous sépare ? »

Omilio avait une pleine confiance en ses capacités. Après tout, il était un Foréa et Rhinolove était également un atout de taille. Cependant, cette fille, cette Miu, elle était tout bonnement démentielle. Jamais il n’avait affronté un adversaire aussi redoutable. Il avait déchaîné ses pouvoirs, multiplié les assauts en tout genre, déployer toute sa polyvalence, et pourtant, il ne l’avait touché qu’une seule fois. Et encore, c’était uniquement parce qu’elle s’était laissé dévorée par sa colère.

— Vous ne savez vraiment rien sur ce monstre ? grinça Eily. Elle avait bien l’air de nous connaître, et toi aussi Gyl…
— … je n’ai jamais vu cette fille, souffla ce dernier.

Le majordome se mordit les lèvres :

— … cependant…

Gyl se terra dans son mutisme, ne sachant s’il devait poursuivre ou non. Eily, ainsi que les autres, furent quelque peu irrités de n’entendre que les préludes d’une révélation. Surtout après tout ce qu’ils venaient de vivre. S’il y avait des explications à entendre, ils devaient les entendre ; ce n’était pas le moment de faire des messes basses. Finalement, ce fut Evenis qui craqua en première. Elle tira un petit rayon avec son Plasma, juste au-dessus du crâne du majordome.

« … elle aime un peu trop ce truc ! » ne put s’empêcher de penser Eily.

— Si t’as quelque chose à dire, dis-le ! s’écria la jeune princesse.

Gyl soupira.

— Très bien. Ce sera bientôt le moment, de toute façon. Comme je l’ai dit, je n’ai jamais vu cette fille, mais ce dont elle a parlé, je ne le connais que trop bien. Le projet VH, la Véritable Humanité. C’est un projet qui date d’avant même le déclin de l’ancienne civilisation. La pire erreur de l’humanité. L’objectif était simple : faire de l’Homme l’égale des Dieux. Un naïf fantasme qui devenait de plus en plus accessible, au fil où la technologie de l’Ancien Monde progressait. Bien sûr, ce projet a été un échec. Vous connaissez l’histoire, cette même technologie, dont les Anciens étaient si fiers, a fini par causer leur perte.

Le majordome, reprit un instant son souffle, et continua :

— Mais le Vasilias compte bien reprendre ce projet. Il ne veut qu’une chose, créer la perfection. Par exemple, les Foréa ne sont que des cobayes pour lui. Ce sont des humains ‘‘standards’’ triée sur le volet et améliorés par un Ishys. Toujours dans le but de pousser jusqu’aux limites des capacités humaines, et atteindre ce qu’il appelle la ‘‘Véritable Humanité’’.

Gyl ricana amèrement :

— … je suis moi-même un sujet de ce projet ; mais un sujet raté. Et cette Miu… tout laisse à croire qu’elle est un sujet ‘‘réussi’’, une ‘‘véritable humaine’’.
— Et moi ? s’avança craintivement Eily. Je… je suis également un sujet, n’est-ce pas ?
— Tout juste. Comme Miu, tu es un sujet ‘‘réussi’’. Mais par je ne sais quel miracle, tu as pu sortir des griffes du Vasilias et vivre dans un orphelinat. Là où Miu a dû passer son enfance à perfectionner ses pouvoirs, toi, tu es encore novice. Si tu veux mon avis, c’est sans doute pour le mieux. Si tu avais grandi avec le Vasilias, tu serais devenue aussi cinglée que cette Miu.
— … je préfère ne même pas y penser…
— N’est-ce pas.

Evenis se massa le crâne, elle commençait sérieusement à surchauffer.

— J’crois que j’ai pas tout compris…
— Moi non plus, avoua Ifios.
— Mmh, acquiesça Tza.
— J’admets que c’est assez compliqué, intervint Gyl. Mais ne vous inquiétez pas, je le répéterais autant de fois qu’il le faudra.

Omilio frappa dans ses mains.

— Bien, cela fait déjà bien trop d’évènements pour cette nuit. Retournons à Aifos.
— … et s’il elle revient ? lança Ifios.
— Je ne pense pas. Elle semble vouloir qu’on se ‘‘retrouve’’ au Festival du Renouveau. Haha, finalement, le Vasilias a bien préparé le terrain.
— Et vous allez poursuivre votre plan malgré-tout ? demanda neutrement Fario.
— Bien entendu. Je savais que le Vasilias était au courant de mes projets. Il nous attend depuis longtemps. Il nous pense incapable de le gêner. Nous allons lui faire regretter son pécher d’orgueil !
— Oh ? ricana Eily. Tu répètes mes phrases maintenant ?
— C’était si bien dit, sourit le Foréa.

Ifios, Tza et Evenis se regardèrent, peu confiants. Ils avaient vu Miu combattre Omilio, ils avaient vu l’étendu de cette folle puissance. Et si cette demoiselle améthyste n’était pas un cas unique ? Et si le Vasilias était entouré de plusieurs ‘‘Miu’’ ? Si même Omilio n’était pas capable de la vaincre, comment eux en seraient capables ?
Toutefois, ces interrogations devaient être mises en suspens. Ils ne pouvaient pas se permettre de prendre peur, plus maintenant. Le mécanisme était déjà en place. Le Festival du Renouveau approchait à grand pas. Bientôt, ils se jetteront dans la gueule du loup.