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GREAT WARS T.1 : All men dream, but not equally de Eliii



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Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 03/01/2018 à 14:24
» Dernière mise à jour le 04/01/2018 à 18:51

» Mots-clés :   Action   Alola   Guerre   Mythologie   Présence d'armes

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29- Vents contraires
« La guerre ne détermine pas qui a raison ; seulement qui il reste. »
— Bertrand Russell (1872 - 1970) —


* * *


Il fait foutrement chaud.

Voilà la première pensée qui lui parvient clairement, avant même qu'elle n'ouvre les yeux. Elle se retient de le faire, en réalité. Avec l'étrange impression que si elle le fait, elle le regrettera immédiatement après. Comme pas mal de choses dans sa vie, finalement.

Oui, c'est vrai qu'il fait terriblement chaud. Et en plus, ça sent mauvais. Le brûlé, peut-être. Quelqu'un a dû balancer une cigarette dans un buisson... Hé ? Non, on dirait que ça vient d'elle. Enfin, de tout près...

Ses muscles douloureux lui hurlent de ne plus bouger dès lors qu'elle remue une jambe. Elle serre les dents, et ouvre instinctivement les yeux. Ils s'écarquillent d'eux-mêmes, moins d'une seconde plus tard.

Elle regrette, ah ça oui. Tandis que les prunelles vertes sont fixées devant elle, sur quelque chose de blanchâtre, tout lui revient en mémoire. On dirait un flash, les images défilent à une vitesse folle dans son esprit. Comme quand c'est arrivé.

Et tout est de sa faute, en plus !

Ils ont pris leur avion, tous les deux, pour se rendre utiles. Se rendre utiles ! Pour le coup, ils n'auraient pas pu se tromper davantage. Il ne reste plus grand chose de l'appareil volant, maintenant. Des morceaux de carlingue calcinés, des fragments de sièges éventrés, quelques pièces de la mitrailleuse...

Elle n'y voit pas bien clair là-dedans. Un vrai fouillis d'éléments mécaniques. Et comme de juste, aucune trace de son partenaire...

Grimaçante, elle tente une nouvelle fois de se relever, les yeux fermés et les dents serrées. Il vaut mieux se concentrer, plutôt que de se laisser distraire par les émotions qui viennent la frapper à la vue de ce stupide paysage de cauchemar. Elle sent des hautes herbes lui chatouiller les cuisses, mais en fait abstraction lorsque surgit la douleur.

Ce n'est pas insurmontable, puisqu'il n'y a pas de blessure — son uniforme est d'ailleurs presque immaculé, ce qu'elle ne comprend pas. En fait, ça ressemble plus à un engourdissement tenace. Ça n'aurait pas été différent, si elle était restée assise pendant des heures dans la même position. D'ailleurs, c'est le cas... Il fait déjà jour, après tout.

Tant bien que mal, la jeune femme s'extirpe des débris de l'avion, et s'éloigne un peu pour saisir la situation dans son ensemble.

La carcasse du Blizzi, auparavant fier avion provoquant la crainte chez l'ennemi, ne ressemble qu'à un tas fumant. Un nuage stagne juste au-dessus, ne pouvant s'échapper par le haut ; les feuillages des arbres forment comme un plafond dense cachant en grande partie le ciel.

Les divers morceaux résultant du crash sont entassés pêle-mêle. Stella Waller se rappelle un instant du grenier poussiéreux et mal rangé de chez ses grands-parents, puis secoue la tête. Rien à voir avec une maison de vieillards. Ce bric-à-brac pue la mort.

Précautionneusement, elle essaie de se mettre debout, à l'aide d'un bout métallique qui a plus ou moins l'aspect d'un bâton. Ses mollets sont comme en feu, mais elle y parvient finalement. Une légère plainte s'échappe de sa bouche ; malgré elle, sûrement.

« Putain, Clyde... Si t'es mort, je te jure que je vais te— Hé ! »

Elle a vu quelque chose bouger dans les fourrés, à quelques mètres à peine des ruines de l'appareil. Songeant que ce doit être son acolyte, elle se met à courir, ou tout du moins marcher aussi vite que le lui permet son état. Un sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu'elle se penche pour apercevoir une forme n'ayant rien d'humain.

Reconnaissant le pokémon de son ami, elle soupire. Elle le dévisage — sans vraiment savoir s'il en a un, de visage. Il n'a l'air ni accablé ni furieux... Il doit encore sentir la force vitale de son dresseur dans le coin. Bon signe.

« Ok, mon vieux, tu restes avec moi, hm ? »

Elle se retourne dans l'intention évidente d'inspecter la carcasse de l'avion, puis s'interrompt, frappée par quelque chose.

« Attends, pourquoi t'es pas dans ta pokéball ? »

La bête ne bronche pas ; reste immobile, à la voir déblatérer quelque chose, probablement sans écouter un traître mot.

« Bon, tu sais quoi ? Tant pis, je verrai ça avec lui... J'espère que mon blizzi est pas parti explorer les alentours... »

Une rapide vérification lui permet de constater que sa propre sphère bicolore est toujours dans sa poche. Ça l'étonne un peu, vu la violence de l'accident, qu'elle y soit restée. Et qu'elle-même soit indemne, d'ailleurs...

Du coin de l'œil, elle observe le cryptéro. Est-ce qu'il aurait joué un rôle là-dedans ? Après tout, un pokémon psy peut très bien protéger son dresseur avec un « mur lumière » ou une capacité de ce genre-là. D'ailleurs, Clyde a certainement dû la lui enseigner...

Elle hoche la tête pour elle-même, et tapote gentiment la tête de la créature. Elle n'a jamais trop porté ce drôle d'oiseau dans son cœur, mais en l'état actuel des choses, il lui faut bien faire preuve de reconnaissance.

« J'ai l'impression que je te dois une fière chandelle, vieux... Allez, viens, on va récupérer ton bon à rien de dresseur. »

Le pokémon pousse un cri d'approbation. En tout cas, elle l'identifie comme tel. N'est pas encore arrivé le jour où elle pourra comprendre ces borborygmes... Nerveuse, l'aviatrice jette un coup d'œil circulaire aux lieux. Des buissons, des arbres, quelques pokémons sauvages sûrement intrigués par l'odeur de brûlé et la chose écrasée dans leur habitat naturel. C'est drôle que la nature n'en ait pas beaucoup souffert, par ailleurs. Les créatures habitant les lieux protègent bien leur domaine...

La brune s'appuie sur son ersatz de canne, avec un léger pincement au cœur. Si elle peut ignorer un tant soit peu la douleur physique, il en va autrement de son inquiétude. Mettre en sourdine ses émotions n'a jamais réellement été son point fort. En fait, c'est plutôt celui de son camarade...

Elle déglutit, mal à l'aise. Si elle en croit les réactions du cryptéro, il doit être encore vivant ; les pokémons psy ressentent bien ces choses-là, habituellement. Mais « encore vivant » ne veut certainement pas dire « indemne ». Il n'aura sûrement pas eu sa chance. A moins que si, et qu'il ait été faire du repérage aux alentours ?

« M'étonnerait », marmonne-t-elle à mi-voix.

Et puis merde ! Elle secoue la tête pour chasser ces inepties de sa tête. Ça ne lui servira à rien si elle doit chercher son partenaire dans cette purée de pois. Ce maudit nuage de fumée noirâtre est plus imposant qu'elle l'aurait cru, et s'il n'était plus là, elle pourra—

Elle sourit, ayant trouvé une idée. Peut-être que ça ne marcherait pas, mais autant essayer.

« Tu peux pas disperser cette saloperie de fumée, dis ? T'es un type vol, tu devrais bien arriver à quelque chose ? »

La bestiole penche la tête sur le côté, en agitant curieusement ses ailes. La militaire soupire, vaincue.

« Ok, ok, plan B... Je cherche, et toi tu... restes planté là. »

Manifestement, ce compromis ne déplaît pas au pokémon. Si elle en avait la force, peut-être Stella lui aurait-elle crié dessus à grand renfort de gestes vifs. Mais là, c'est trop lui demander. Et puis, après ce qu'il a fait pour elle, il a bien le droit de reprendre des forces...

Après un dernier coup d'œil intrigué dans sa direction, elle tourne les talons et s'enfonce dans le nuage de fumée. Comme elle s'y attendait, ça lui pique les yeux et elle ne voit pas grand chose, hormis des formes indistinctes. Elle croit reconnaître un morceau d'aile, et une roue, mais pas plus.

Au bout de quelques minutes là-dedans, elle ne sent même plus le désagréable picotement, et parvient à maintenir ses paupières ouvertes assez longtemps pour espérer entamer une recherche décente.

A l'aide de sa canne improvisée, elle tâte ce qu'elle peut trouver, dans l'espoir peut-être idiot de tomber sur quelque chose de plus mou que des bouts de métal. Mais il n'y a rien qui ressemble à de la chair, là-dedans. Puis avec l'odeur persistante de matière calcinée, discerner celle du sang ou de quelque chose d'autre est peine perdue.

Il n'y a plus que le dernier recours, auquel elle n'a pas tellement envie de se résoudre ; appeler son acolyte.

D'une part parce qu'il y a peut-être des autochtones dans le coin, sait-on jamais, et d'autre part car elle trouve ça un peu ridicule, de hurler le nom de quelqu'un qui est peut-être en train de mourir. Et si c'est le cas, Clyde ne lui répondra sûrement pas...

Prise d'une quinte de toux, elle s'éloigne à regret de la carcasse de l'avion. La voilà à nouveau en tête à tête avec le pokémon antique, dans cette parodie de clairière. Une curieuse tension règne, ici. Le silence est oppressant, et l'immobilité de la chose volante ne rassure pas la jeune femme.

Jusqu'à ce que l'oiseau se mette à bouger. D'un seul coup, comme ça, sans crier gare. Ça le surprend tellement qu'elle manque d'en lâcher son bâton pour s'écrouler au sol. Ses réflexes la sauvent juste à temps d'une chute pitoyable.

Elle garde les prunelles rivées sur la bestiole, qui s'éloigne en direction des broussailles.

« Mais qu'est-ce que tu fiches, là ? grommelle-t-elle, agacée. Merci de m'aider, abruti ! »

Stella pourrait pester encore longtemps, mais à quoi bon ? Autant suivre ce truc ambulant, peut-être qu'il tient une piste. En y réfléchissant, il avait l'air étonnamment plongé dans ses pensées, un peu plus tôt. Peut-être bien qu'il utilisait ses pouvoirs surnaturels pour localiser précisément son dresseur.

Même si ça l'embêterait d'avoir farfouillé dans les décombres pour rien, elle est bien obligée de s'avouer rassurée. D'un pas qu'elle espère serein, elle rattrape rapidement l'étrange créature de son ami.

Il ne leur faut crapahuter que quelques minutes dans les hautes herbes parsemées de ronces et d'arbustes à baies pour trouver un spectacle peu réjouissant. Affalé contre un gros rocher, à moitié dissimulé par des plantes baignant dans la boue, le corps inerte de Clyde Jonson, le visage en sang.

« Merde ! »

Vivement, sa camarade abandonne toute retenue et se précipite vers lui pour l'examiner, sans toucher son visage bien amoché. Le liquide rouge en recouvre la plupart, mais c'est surtout le côté droit qui semble le plus atteint. De toute évidence, l'œil n'est plus en très bon état... Elle déglutit, passablement intimidée par ce spectacle.

Heureusement, le pauvre homme respire encore. L'une de ses jambes est certainement douloureuse, car tendue mollement, tandis que l'autre est pliée. Aucune blessure apparente au niveau de la poitrine ou des organes vitaux ; Stella soupire, quelque peu soulagée.

Juste à côté, le pokémon ne manifeste rien du tout, mais est très certainement dans le même état.

« Bon, on va se démerder pour aller en lieu sûr, hein ? Je crois savoir où on est, le village d'Ohana doit pas être à plus de deux kilomètres, et y a un dispensaire là-bas... Tu peux surveiller les environs pendant que je le porte ? »

Cryptéro hoche vaguement la tête pour signifier son accord. Satifsaite, l'aviatrice marmonne un « bon » à peine audible, et se penche vers son partenaire, espérant qu'il est encore inconscient. Elle s'efforce de le toucher le moins possible, et met un certain temps avant de pouvoir le caler contre son épaule à la manière d'un gros sac à patates.

« Maigrichon mais il pèse son poids, l'enfoiré ! »


* * *

« C'était ridicule !
— Allons bon...
— Reconnaissez-le, au moins ; l'idée était mauvaise. C'est même la plus mauvaise que vous auriez pu avoir.
— S'il vous plaît... »

Le général Jackson passe une main sur son visage, lassé de ces remontrances. Qu'on lui fasse des reproches alors que c'est normalement son rôle, ça lui déplaît assez. Qui plus est de la part de ce vieux marin irascible. A croire qu'il tient à s'attirer des ennuis, ce type-là.

C'est ce qu'il fait à chaque fois. Et c'est certainement ce qu'il fait de mieux, à la réflexion.

Le chef d'état-major se cale un peu plus dans son siège, et ferme un instant les yeux, comme si la lumière du jour lui causait quelque douleur. Avec tout l'alcool qu'il a ingurgité ces derniers jours, c'est vrai que sa concentration en pâtit beaucoup.

Mais il est l'homme fort de cette armée, et en tant que tel, il n'a pas le droit de déléguer ses tâches comme bon lui semble. L'accès de faiblesse de l'autre fois, pendant la bataille de Poni, c'était déjà trop... Et maintenant, ce loup de mer de pacotille se met à le contester plus fermement. Comme si on avait besoin de ça !

Le grand homme ouvre les yeux de nouveau, et regarde son interlocuteur. Avec son visage blanc taillé à la serpe, ses cheveux grisonnants et ses prunelles d'acier, il serait presque intimidant. Pas pour le général, qui l'a connu à cette maudite époque de l'école militaire. Il faisait moins peur à vingt ans...

Néanmoins, rien à faire ; aujourd'hui, il n'est pas d'humeur à s'énerver. Et pourtant, il ne porte pas le marin dans son cœur. On pourrait même dire qu'il le déteste, même si c'est un peu excessif. Ça correspond certainement au sentiment d'Eaton envers son supérieur, en revanche. Mépris, à tout le moins.

« Vous faire intervenir n'aurait servi à rien. Au contraire, on aurait essuyé encore plus de pertes, sans parler des dégâts sur la ville ! Déjà que le port ne ressemble plus à grand chose...
— Hé, à qui la faute ? C'est vous qui décidez de pratiquement tout. Vous avez relâché les défenses du port pour les concentrer sur le quartier de l'hôtel, sous prétexte que des richards y sont parce qu'on peut pas les rapatrier. Tout ça à cause d'un ministère arrogant qui refuse de mettre plus de moyens dans ce conflit. Mais vous savez quoi ? C'est justement en faisant durer ces conneries que ça va empirer ! »

Jackson ne réplique tout d'abord pas, soufflé par la virulence de son vis-à-vis ; une vraie tempête en pleine mer. Bien sûr, il connaît la détermination du marin quand il s'agit de ses convictions, mais le grisonnant n'apprécie pas beaucoup les effusions, habituellement. Cas de force majeur, songe avec amertume le moustachu.

De l'autre côté du bureau, le capitaine a de nouveau ce calme olympien gravé sur sa physionomie. Une jambe nonchalamment posée au-dessus de l'autre, la veste de son uniforme au col entrouvert et ses cheveux plaqués en arrière lui donnent davantage l'air d'un directeur de croisière que d'un vrai militaire. L'un de ses sourcils est haussé, et le général sait ce que ça signifie.

Une curiosité mêlée à une certaine condescendance. De toute évidence, le presque sexagénaire a abattu ses cartes et semble intrigué par la potentielle réaction de l'occupant du bureau.

Lequel, désireux de ne pas envenimer la situation, se focalise plutôt sur le jeune rouquin, debout près de la porte. L'officier de liaison Wilfred Harper a au moins le mérite de savoir se taire. Il se serait davantage attendu à ce que son supérieur l'ait... « dressé ».

Conscient qu'il lui faut répliquer, il en revient au plus âgé, qui ne bouge pas un cil. Cette immobilité a quelque chose de déconcertant, mais hors de question de se laisser impressionner. De quoi aurait-il l'air ?

« Écoutez, capitaine, si vous avez quelque chose à contester, adressez-vous à l'amirale Emerson.
— C'est vous qui avez donné les ordres, cette nuit, rétorque Eaton.
— Laissez-moi terminer... Ces ordres ont été mûrement réfléchis — autant que faire se peut dans une situation pareille, j'entends. Vous n'êtes pas d'accord, soit, mais ça ne me regarde pas. Et puis vous avez bien obéi, non ?
— J'ai fait ce que j'ai estimé être un acte de loyauté. Mais être loyal ne veut pas dire cautionner, mon général. Si vous me demandiez... m'ordonniez d'abattre un pokémon de sang-froid en me convaincant que c'est dans l'intérêt de la nation, je le ferais par loyauté, mais ne le cautionnerais pas. »

Jackson ouvre la bouche, étonné par l'exemple assez surprenant donné par son interlocuteur. Néanmoins, son propos se tient. C'est qu'il a raison, le bougre. Mais tant que tout ça n'interfère pas avec le respect des ordres, peut-être que ça n'a aucune importance. Une opinion personnelle n'a rien à faire là, et le capitaine s'y est tenu, finalement.

« Bah, vous avez raison, lâche le marin. Ça sert à rien de venir vous embêter avec ça puisque vous n'écoutez que d'une oreille ; et puis vous avez perdu votre répondant... Moi qui trouvais quelque chose d'amusant à ces joutes verbales !
— Ne vous montrez pas arrogant, capitaine. N'oubliez pas d'aller chercher au plus vite l'équipe du général Macarthur à Ula-Ula.
— Bien sûr. »

Le grand type en noir se lève, récupère sa casquette sur le porte-manteau à côté du mur, et salue le chef d'état-major. Il s'apprête à sortir, suivi par son acolyte, lorsque le brun l'interrompt :

« Vous tueriez vraiment ce pokémon ? »

Eaton hausse un sourcil, laissant apparaître un instant un air étonné sur son visage blafard. Puis il sourit.

« A vous de voir. »


* * *

Au port de Malié, les conversations vont bon train. La ville, dont l'architecture tend à rappeler celle d'une grande cité de Johto, paraît comme hors du temps ; hors de cette fichue guerre. Le soleil radieux se réverbère dans l'eau, et une odeur épicée flotte dans l'air.

Le parc est sans doute très animé aussi, songe Winnie Snow en jetant un œil vers l'ouest. Constamment protégé par un groupe de militaires compétents, c'est l'un des seuls lieux vraiment sûrs de l'archipel, où les touristes bloqués sur l'île peuvent passer un peu de temps.

La quadragénaire trouve ça un peu stupide, qu'on refuse de renvoyer ces gens chez eux. Après tout, ça ferait un poids en moins sur le dos de l'état-major, chargé de veiller à leur protection. Mais il est vrai que le ministère se montre plutôt radin en terme de moyens offerts à l'armée...

Comme si ce conflit n'était qu'une minuscule épine dans le pied d'Unys ! Il serait temps que ces maudits bureaucrates mettent les yeux en face des trous, pour une fois. La femme soupire, lasse, et rejoint son groupe sur le quai le plus proche. C'est probablement le même bateau qui les ramènera, le Wailord, ou quelque chose comme ça.

Elle retient un frisson ; encore une terrible épreuve à traverser. A côté d'un trajet en bateau, fuir les ruines du désert Haina lui a semblé être une promenade de santé. Ce qu'elle s'efforce de garder pour elle en abordant le lieutenant Weigall. La blonde sait combien ç'a été difficile pour lui.

Assis sur une caisse imposante, le jeune officier garde le regard rivé vers l'horizon. Encore perdu dans ses pensées, sûrement. Ça lui arrive plus souvent depuis la mort du médecin.

« Vous ne devriez pas vous laisser abattre comme ça. »

Surpris, il retient un sursaut et se tourne vers elle. Le colonel ne s'étonne pas de ses yeux cernés ou de son air maussade. C'est bien légitime, dans un sens. C'est encore un jeunot, il apprend ce qu'est la mort... Elle s'y est faite depuis longtemps.

« Facile à dire pour vous, mon colonel — sauf votre respect.
— Bien sûr. C'est tragique, ce qui s'est passé, mais... Mais vous savez que si on doit de nouveau faire équipe, il faudra bien amener un docteur avec nous. Et vous devrez l'accepter, Weigall.
— Ça va de soi, oui. L'accepter comme médecin ; pas comme un nouveau Marlowe. Ce sera pas le même homme... »

Il soupire ; de fatigue, de lassitude, d'agacement, elle ne parvient pas à le déterminer. Dans un sens, il lui rappelle un peu son fils lorsqu'il a quelque chose sur la conscience. Mais à quoi bon comparer un érudit militaire à un garçon qui n'aspire qu'à devenir artiste ?

Soucieuse, elle s'assoit sur une caisse voisine. Elle est rarement prise d'élans sympathiques comme ça, mais c'est un peu son devoir de veiller à la stabilité de son équipe. Ça ne dérangera sans doute pas le général ; encore trop occupé à enchaîner les cigarettes, sûrement.

« Si vous me jugez inapte à poursuivre — ou si le général Jackson m'affecte ailleurs, puisqu'il n'aura plus besoin d'un guide du désert —, n'hésitez pas à me le dire, ajoute-t-il, toujours sans la regarder dans les yeux. C'est toujours mieux de savoir.
— Ce que j'en dis, c'est que vous allez vous en remettre très vite, lieutenant. »

Le concerné hausse les sourcils, étonné. C'est aussi le cas de la femme, qui ne se croyait pas capable de déstabiliser un type si calme et impassible.

« Je dois avouer me retrouver un peu en vous, explique-t-elle. Il y a longtemps, durant une mission particulièrement dangereuse, j'ai perdu mon coéquipier. Les circonstances étaient différentes, mais j'ai échoué à le sauver, tout comme vous avec le docteur Marlowe.
— Et après ça, vous vous êtes accusée de sa mort comme je suis en train de le faire, souffle le blondinet en suivant du regard sa fouinar qui court partout.
— Il y a de ça... Mais on finit par comprendre qu'on n'y est pour rien, que c'était un coup du sort. Et vous savez comme le sort est cruel. »

Il ne produit pas mieux qu'un hochement de tête, assez étonné par la douceur et la sympathie de sa supérieure à son égard. On ne dirait plus la même femme froide et ambitieuse qu'au début de leur « excursion ». A croire qu'elle est plus touchée qu'elle ne veut l'admettre par la triste fin du médecin.

« Merci, mon colonel.
— Je ne fais que mon devoir », réplique-t-elle avec un léger sourire en coin.

Après un bref salut, elle tourne les talons, sûrement dans l'intention d'aller voir le général. Elle n'a fait que quelques pas quand elle entend le jeune homme l'interpeller :

« Ne vous inquiétez pas ; la traversée ne devrait pas durer très longtemps ! »

Snow, interloquée, se maudit d'avoir été si gentille avec lui ; et elle se félicite en même temps de ne pas lui faire face, pour dissimuler son embarras. Décidément, drôle d'énergumène !