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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 25/12/2017 à 20:16
» Dernière mise à jour le 25/12/2017 à 20:21

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 33 : Nouveau roman.

 La nuit était fraîche et agréable. Cependant, Tza peinait à s’endormir. La chambre était bien trop spacieuse, la fillette de 7 ans ne se sentait pas à sa place. Cela faisait maintenant deux mois qu’elle avait quitté Enna – son village natal – pour Aifos. Là-bas, ce n’était certainement pas le grand luxe, mais chacun se connaissait ; l’ambiance était à la convivialité. Alors qu’ici, dans cette grande ville, tout allait bien trop vite. Les gens grouillaient sans interruption, se bousculaient entre-eux, ne faisaient guère attention aux autres…

Tza soupira lourdement. Heureusement, son frère était là. Il était sa seule famille. Ses parents étaient morts bien trop tôt, c’est à peine si elle se souvenait de la chaleur de sa mère ou de l’assurance de son père. Omilio avait donc dû jouer les deux rôles à lui tout seul. Il l’avait nourrie, éduquée, protégée, élevée.
Toutefois, Tza n’avait jamais réellement remercié Omilio pour tout ce qu’il faisait. C’était dans sa nature. Tza avait beaucoup de mal à exprimer ses sentiments. Elle restait toujours dans son coin, à l’écart de tous. La seule réponse que l’on pouvait obtenir d’elle était un hochement de tête, ou un ‘‘mmh’’ les jours de miracles.

À force, les autres l’évitaient ; même s’ils continuaient de lui sourire, au fond, ils se sentaient mal à l’aise en la présence de la fillette. Mais Omilio, lui, n’avait aucun ressentiment envers elle. Tza avait beau se montrer froide et asocial, les yeux d’Omilio lui offraient toujours la même douceur. Une douceur qui ne pouvait pas être feinte.

— … ?

Soudain, alors qu’elle était encore plongée dans ses pensées, un courant d’air froid la fit tressaillir. Étrange, elle était pourtant persuadée d’avoir fermé la fenêtre. Dans le doute, elle jeta un coup d’œil discret sur le côté et…

« … elle est ouverte… » geignit-elle.

Tza voulut se lever pour remédier à la situation, mais, subitement, elle eut très peur. Une peur qui la paralysa. Son front se perla de sueurs. Et, lorsqu’elle aperçut une large silhouette se déplacer sur le mur, elle voulut hurler. Mais elle resta muette. Faute de mieux, elle ferma fortement les yeux, tentant de se persuader que tout n’était qu’un vilain cauchemar.

Puis, le son répugnant d’une lame, suivit d’un cri sourd. D’une curiosité morbide, Tza entrouvrit discrètement ses paupières. Et elle le vit. Son frère. Plus sombre que la nuit. Il tenait une dague dans sa main ; la lame dégoulinait d’un épais liquide.

— … juste à temps… si j’étais arrivé ne serait-ce qu’une seconde plus tard…

La voix d’Omilio étonna Tza. Lui qui était d’habitude si confiant, il sonnait maintenant si fébrile…

— … c’est le second assassin que ces enfoirés ont envoyé en un mois ! Ces lâches, ils préfèrent s’attaquer à Tza plutôt qu’à moi… gnn… non, il faut que je me calme. Pour l’instant, je dois me débarrasser du corps… et surtout, qu’elle ne remarque rien…

Omilio était si perturbé qu’il ne remarqua pas que Tza était justement déjà parfaitement éveillé. Toutefois, la fillette jouait le jeu. Elle avait le sentiment qu’elle devait jouer ‘‘l’endormie’’ jusqu’au bout. Ainsi, pendant de longues minutes, elle vit son frère enrouler un corps inerte dans un tapis, le jeter par la fenêtre, et soigneusement effacer toutes les preuves des événements.

En dépit de son jeune âge, Tza depuis longtemps comprit sa situation. Elle n’était pas dupe, elle savait que des personnes n’aimaient pas les Foréa, des personnes qui avaient peur de leurs pouvoirs et de leur influence. Des personnes de la haute-noblesse, qui n’appréciait guère que de simples villageois deviennent soudainement des étoiles publiques. Des personnes qui adoreraient voir l’ordre des Foréa disparaître.

En tant que sœur d’un Foréa, Tza devait s’attendre à être en perpétuelle danger de mort. À chaque coin de rue, un assassin pouvait l’attendre. Ce n’était pas nouveau. Elle avait déjà endurci son cœur, ne voulant se laisser terroriser.
Cependant, maintenant plus que jamais, Tza n’avait pas peur. Elle venait d’en avoir une preuve concrète, une preuve qui s’ajoutait à une longue liste. Omilio, son frère, son protecteur, serait toujours là. Il la sauvera toujours, quoi qu’il arrive, même si pour cela, il devrait absolument tout sacrifier.



 ***
 ***
 ***


 Doucement, Tza émergea de son sommeil, pâteuse. Elle se frotta lentement les yeux. Se levant à moitié de son lit, la fillette fixa le plafond, songeuse. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas rêvé de cette fameuse nuit d’il y a 6 ans. Maintenant qu’elle y repensait, elle avait réellement été témoin de quelque chose d’atroce, et qui avait fini par devenir fait divers. Avec le temps, rien ne s’était arrangé. Plus Omilio devenait influant, et plus ses ennemis étaient coriaces. Et comme il était très dangereux d’attaquer directement le Foréa, les lâches préféraient l’atteindre indirectement en s’en prenant à Tza.

— Enfin, je n’y peux rien…

Sur ces cruels mots fatalistes, Tza se leva définitivement et commença à se préparer. En recoiffant ses quelques mèches indisciplinées, la jeune fille eut une pensée pour Eily. Cela faisait désormais une semaine qu’elle restait enfermer dans sa chambre, sans autoriser quiconque à venir la voir. Tza eut une boule au ventre. Encore une fois, son impuissance la rendait amère. Fario disait qu’il fallait laisser le temps au temps ; certes, mais jusqu’à quand ?

Sa tête était encore lourde lorsque Tza sortit de sa chambre. Elle se dirigea naturellement vers le salon, où l’attendait son petit-déjeuner, comme d’habitude. Par chance, le manoir possédait en son sein une véritable fée du logis, en la personne d’Ifios. Non seulement ce dernier s’occupait de récurer les lieux presque chaque jour, mais en plus, chaque matin, il préparait le petit déjeuner pour tout le monde. Et c’était même mieux que cela, puisqu’Ifios retenait les heures auxquelles chacun se levait. Il était ainsi capable de préparer le petit-déjeuner de chacun au dernier moment, de telle sorte à ce que le repas soit encore chaud au moment de la dégustation. Une dévotion à en faire pâlir le plus compétent des majordomes.

— Oh Tza ! arriva Sidon. Tu te lèves toujours aussi tôt à ce que je vois !
— …

Aucune réponse. Sidon ricana doucement.

— Alalah, tu m’en veux encore ? C’est vrai que j’avais un peu abusé mais… héhé, c’était juste trop drôle ! Allons quoi ! Elle commence à être vieille cette affaire ! On ne peut pas juste en rire ?
— …

Toujours rien. Sidon se gratta la tête, amusé. Sans se formaliser plus longtemps de l’attitude de la fillette, il empoigna le sandwich que lui avait préparé Ifios et se dirigea vers la sortie. Parce que oui, Ifios personnalisait les petits-déjeuners de chacun. Puisque Sidon était très souvent occupé le matin et n’avait pas le temps de manger à table, Ifios faisait en sorte que son repas soit à emporter ; même chose pour celui d’Asda.
D’ailleurs, la fée du logis avait assisté à toute la scène entre Sidon et Tza. Interloqué, Ifios s’approcha de cette dernière :

— Salut Tza !
— Bonjour Ifios, merci pour le repas.
— De rien, c’est naturel. Mais sinon, je me suis toujours demandé, pourquoi est-ce que tu es aussi froide avec Sidon ? Je me souviens même que la première fois qu’on est arrivé ici, tu lui as carrément sauté dessus avec ton épée !
— …

Tza fronça les sourcils, s’assombrissant. Ifios cligna des yeux, à la fois surpris et intéressé. La fillette détourna les yeux.

— C’est… assez particulier. Je n’ai pas envie d’en parler.
— … oh. Je vois, je n’en demanderais pas plus, alors. Sinon, tu es prête pour l’entraînement ? Omilio nous a promit quelque chose d’exceptionnelle aujourd’hui !

Depuis quelques jours, Omilio avait décidé de reprendre l’entraînement de Tza en main. Elle restait avant tout l’apprentie d’Inam, même si cette dernière était absente, Tza devait rester en condition. Omilio avait également profité de l’occasion pour s’occuper d’Ifios. En tant que fils d’Inam et de Danqa, le jeune homme avait un potentiel guerrier inné, et Omilio trouvait cela dommage de ne pas l’exploiter.

— Je suis toujours prête, assura Tza. Qu’importe la difficulté, je me dois de la surmonter.
— Je crois que je serais toujours impressionné par ton assurance, avoua Ifios. Tu es plus jeune que moi, mais tu sembles déjà capable de déplacer des montagnes…

Tza se mordit légèrement la joue.

— Je n’ai pas eu le choix, lâcha-t-elle finalement. C’était une question de vie ou de mort.
— C’est… assez troublant d’entendre une fillette parler de vie ou de mort…, geignit Ifios.
— J’ai été forcé d’apprendre les réalités du monde bien tôt, souffla Tza. Je n’ai pas eu ta chance.
— Ma… chance ? s’étonna Ifios.

Tza hocha la tête :

— Inam t’a sauvé de ce monde en te permettant de vivre avec Danqa. Et contrairement à moi, le grand public ne sait pas que tu es son fils. Tu ne le sais peut-être pas, mais les familles des Foréa sont très exposées aux complots et tentatives d’assassinats. Dans tes montagnes, tu étais protégé de tout cela.
— … oui, c’est… ce que j’ai entendu dire. D-Désolé, j’imagine que le sujet doit être difficile pour toi…
— J’y suis habituée.

Et Tza continua nonchalamment son petit-déjeuner, laissant Ifios se pincer les lèvres en paix. Au bout de quelques secondes de silences, l’ancien bandit retourna à la cuisine où il finit docilement ses tâches matinales, en silence.


 ***


 Une heure plus tard Ifios se prépara à sortir, accompagné de Tza, vers la résidence principale d’Omilio. Avant de partir, l’homme de maison n’oublia pas de laisser un plateau repas derrière la porte d’Eily. Elle ne sortait peut-être pas, mais ce n’était pas une raison pour la laisser mourir de faim.

Les rues d’Aifos étaient bondées comme à leur habitude. Cette ville était une véritable fourmilière ; tant que le soleil trônait dans le ciel, il était impossible de s’y déplacer sans échapper à la masse populaire et à son brouhaha constant. Mais étrangement, aussi insupportables que puissent être ses désagréments, on s’y habituait rapidement.

En chemin, Tza et Ifios étaient silencieux. La fillette ne semblait pas être prompt à entamer la discussion, et le jeune homme ne savait pas comment briser la glace. Tza n’avait jamais été très loquace et ce genre d’ambiance était monnaie courante avec elle. Elle ne faisait des efforts de communication qu’avec Omilio ou Eily ; pour les autres, c’était le strict minimum. Alors, le bruyant chemin fut parcourut sans un bruit.

Après presque une heure de marche, le duo arriva enfin à destination. Le manoir se trouvant au quartier résidentiel, et la résidence au quartier des nobles – soit complètement à l’opposé – la distance entre les deux points n’étaient pas à prendre à la légère. Ce n’était cependant pas cela qui ferait peur à Ifios, lui qui avait l’habitude de gravir des petites montagnes chaque matin lorsqu’il vivait chez les Agrios.
Tza et Ifios se présentèrent ensuite aux gardes de la résidence qui les laissèrent entrer avec un grand sourire. Ifios se souvint avec amusement de sa première arrivé à Aifos, à l’époque, ces mêmes gardes l’avait toisé avec sévérité.

« Une agréable évolution ! », sourit-il mentalement.

À l’intérieur, Omilio les attendaient déjà. Ainsi qu’Asda. En l’apercevant, Tza fronça dangereusement ses sourcils. Ce n’était un secret pour personne. Même un nigaud tel qu’Ifios pouvait remarquer qu’Asda n’était pas exactement la même en compagnie d’Omilio, sans doute était-ce parce que ses ailes papillonnaient vivement en sa présence. Visiblement, si Asda avait un parfait contrôle sur l’expression de son visage, ce n’était pas tout à fait la même chose pour ses extensions plumées.

— Rebonjour, les salua Asda.
— Hé bien, vous êtes toujours aussi ponctuels vous deux, déclara Omilio. Tant mieux, puisque le programme que je vous réserve aujourd’hui est assez spécial.

Ifios pencha la tête :

— Vous nous l’aviez dit hier mais… qu’est-ce que vous entendez par spécial, exactement ?

Omilio sourit en coin, apparemment très amusé.

— Disons que j’ai décidé de placer la barre un peu plus haut, répliqua-t-il. Mais je vous dévoilerais les détails plus tard, tout vient à point à qui sait attendre. Pour l’instant, ne perdons pas plus de temps et rendons-nous à la salle d’entraînement. J’ai fait préparé des cibles pour vous échauffer.

Et le petit groupe se dirigea vers le sous-sol, là où se trouvait la fameuse salle. Une énorme pièce s’étalant sur plusieurs dizaines de mètres de long, de même, la salle disposait d’un plafond exceptionnellement haut, qui permettait ainsi une totale liberté de mouvement, comme si on était en extérieur.
Au centre de la pièce trônait une centaine de mannequins d’acier, très robustes. Cependant ces mannequins avaient des points faibles, de petites zones creuses et souples qui, si elles étaient toutes touchées en moins de dix secondes, démembraient purement et simplement le pantin. Bien sûr, ses zones étaient discrètes et différentes selon les mannequins. Il appartenait au combattant de repérer tous les points faibles et de les enchaîner rapidement. C’était donc un excellent exercice d’observation, de précision et de rapidité.

Ifios et Tza s’équipèrent ensuite de bâton en bois de taille idéale pour cibler les points faibles. Après tout, l’énorme lame de Tza serait capable d’écraser sans complexe les mannequins, ce qui réduisait quelque peu l’intérêt de l’exercice. Avec le bâton, le problème était réglé.

— On commence simplement, lança Omilio. Cinquante mannequins chacun, faites de votre mieux.
— Bonne chance, les encouragea Asda.

Ifios et Tza se mirent face à leur cible. Et, dès qu’Omilio lança le signal, le duo s’élança. Ifios fusa à une vitesse rivalisant avec celle de Tza, il s’en étonnait lui-même. À vrai dire, l’ancien bandit ne reconnaissait plus sa force. Il ne s’était pas spécialement entraîné après avoir quitté les montagnes Agrios et pourtant sa puissance semblait avoir presque doublé. Ses mouvements étaient bien plus fluides, vifs, et précis. Pendant qu’il courait, il avait l’impression que le monde allait au ralenti.
Il ne lui fallut que dix secondes pour analyser et ensuite désassembler son premier mannequin.

De loin, Omilio hocha la tête, satisfait.

« La théorie se confirme. Il lui a suffi d’être longuement en proximité avec des Foréa pour déverrouiller ses capacités latentes. Ifios a été en contact avec Inam, Asda, moi-même, et surtout Eily. De plus, il est le fruit de l’union entre Inam et Danqa. Oui, en exploitant au maximum son potentiel, Ifios pourrait être un guerrier hors-pair… »

— Ce garçon se débrouille, déclara Asda.
— En effet, sourit Omilio.
— Non seulement il tient le manoir avec brio, mais il est également capable combattre. C’est à se demander s’il y a quelque chose qu’il ne peut pas faire !
— Il a de qui tenir.
— Oh ? s’intéressa Asda. Ses parents sont célèbres ?
— On peut dire ça, lança évasivement Omilio.

Asda aurait voulu en savoir plus mais Omilio avait redirigé son attention sur l’entraînement de Tza et Ifios.
Si Ifios se débrouillait bien, Tza, elle, avait un peu plus de difficultés. La première raison était que les exercices de précisions et d’analyses n’étaient pas son fort. D’habitude, elle se contentait de laminer son adversaire avec son épée absurde ; il fallait dire qu’avec une arme pareille, ce n’était pas la peine de faire dans la dentelle. Désormais simplement munie d’un simple bâton, Tza n’était pas très à l’aise. Cependant, elle ne voulait pas faire honte à son frère, ainsi, elle faisait de son mieux.
Il y a avait toutefois une seconde raison au manque d’efficacité de la fillette. Une raison qui n’avait rien pourtant rien à voir avec ses compétences. En effet, non loin de là…

— La puissance brute de Tza reste très impressionnante, nota Asda.
— Tout le contraire de moi, s’amusa Omilio. Toutefois, si elle pouvait être un peu plus fine dans son style, elle évoluerait considérablement.
— Elle n’a que 13 ans, elle a encore tout son temps pour m’améliorer. Et puis, elle aussi a de qui tenir.

Asda détourna quelque peu ses ailes avant de poursuivre :

— Après tout, elle est la sœur d’un homme merveilleux.
— … je ne sais pas si je mérite autant d’honneurs.
— Ne joue pas les modestes. Je te connais depuis que tu es devenu Foréa.

Asda laissa un léger et doux sourire se peindre sur son visage.

— Tu as toujours été présent pour ceux étant dans le besoin. Dès que quelqu’un avait besoin d’aide, tu accourais ; mais dans l’ombre, comme si tu refusais la reconnaissance. Tu faisais même des efforts incroyables pour te faire passer pour un méchant.
— Allons, que me racontes-tu maintenant ?
— Inutile de me mentir. Juste après avoir reçu ton titre, tu as résidé quelques semaines au Palais de l’Ambre, avec Tza. Ah, tu avais sacré réputation à l’époque. Le ‘‘campagnard’’ comme on t’appelait, et pourtant, tu tenais tête aux plus grandes pointures du palais.

Asda secoua lentement sa tête.

— Tu ne t’en souviens probablement pas, mais j’avais perdu ma broche à l’époque. Elle ne valait pas grand-chose, mais j’y tenais beaucoup. Selon le Vasilias, elle aurait appartenu à ma mère. Bref, j’étais vraiment triste, je n’arrêtais pas de sangloter, désespérée… Sans doute avais-je dû t’inspirer pitié, puisqu’un jour, je t’ai vu chercher ma broche pour moi. Je t’ai vu interroger à tous le monde, fouiller les recoins les plus improbables du palais. Et tu l’as retrouvée. Sans me dire le moindre mot, tu l’as simplement déposé sous ma porte. J’étais resté sans voix, partager entre la joie et l’incompréhension. Je me posais deux questions : ‘‘Pourquoi m’a-t-il aidé ?’’ et ‘‘Pourquoi ne m’a-t-il rien dit’’ ? Si je n’avais pas assisté à ces scènes moi-même, je n’aurais jamais su la vérité derrière cette histoire…

La Foréa Impérial leva doucement les yeux vers Omilio :

— Ensuite, je suis devenue de plus en plus interrogatrice à ton sujet, et j’ai décidé de t’observer en cachette. Et j’ai fini par découvrir ta véritable nature. Tu ne peux pas t’empêcher d’aider les autres, c’est inscrit en toi. Chaque jour, tu sortais du palais et te rendais aux bidonvilles. Je me rappelle que tu te couvrais le corps de larges tissus noirs pour qu’on ne te reconnaisse pas. Je t’y ai vu donner vivres et argents aux mendiants. Je t’ai vu souffrir avec eux. Je t’ai vu les protéger contre des bandits. Et bien sûr, tu ne demandais jamais rien en retour. Une véritable abnégation. Tu aurais pourtant pu les ignorer. Ton séjour à la capitale n’était que très temporaire, Aifos t’attendait. Et même, tu n’avais pas besoin de les aider, tu vivais très bien au palais. Pourtant, tu ne peux tout simplement pas ignorer ceux qui souffrent. Aujourd’hui encore, ça se vérifie. Aifos est une ville exceptionnellement bien tenue, voire mieux que la capitale ; preuve évidente que celui étant à sa tête s’investit corps et âme.

Omilio inspira un grand coup, curieusement déstabilisé.

— … tu ne m’avais jamais dit que tu savais… pour les bidonvilles.
— Vu les efforts que tu faisais pour que tout reste secret, j’ai préféré garder le silence moi aussi. Cependant…

Asda serra les poings, le regard perdu entre l’hésitation et la détermination.

— … depuis que je suis arrivée, quelque chose me chiffonne chez toi. Dans ta manière de t’exprimer, de te comporter… j’ai l’impression que tu essaies d’être le plus distant possible. Comme si tu t’acharnais à rester dans ta solitude, sans personne à tes côtés. J-J’espère me tromper, mais cette attitude… c’est celle de quelqu’un qui se prépare à tout sacrifier.

Asda raffermit son regard.

— Alors, je veux te prouver que tu n’es pas seul, que quelqu’un peut partager tes secrets. Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais tu as des compagnons qui s’inquiètent pour toi… dont moi, bien sûr.
— … tes inquiétudes me touchent, mais ce n’est ni le lieu, ni le moment pour une telle discussion.
— Au contraire, il n’y a pas meilleur occasion. Ici, tu ne peux pas fuir.

Asda se mordit les lèvres.

— Pourquoi est-ce que tu refuses toujours de parler de toi ? Tu es toujours à analyser les autres, à chercher à les comprendre, à agir pour eux… mais tu te mets toujours de côté. Crois-tu réellement que personne ne s’en rendrait compte ? Et te voir te dénigrer autant, tu ne peux savoir à quel point ça me blesse…

La Foréa ailée avança d’un pas, puis d’un autre. Omilio esquissa un mouvement de recul. Les yeux d’Asda brillèrent légèrement.

— Omilio, je… je veux être celle qui t’enlèvera cette solitude. Je veux pouvoir te soulager de tes secrets. Omilio, je…
— AAAH !

Brusquement, un mannequin d’acier désarticulé fusa et s’écrasa brutalement sur Asda. Cette dernière n’en subit aucun dommage, mais l’évènement incongru l’avait quelque peu surprise. À quelques mètres de là, Tza la toisait, haletante. La fillette était trop loin – et trop tourmentée – pour entendre ce qui se disait entre Asda et son frère, mais lorsque Tza avait vu la Foréa ailée s’approcher subitement d’Omilio, légèrement rougissante, l’œil luisant…, son sang n’avait fait qu’un tour. Elle n’avait pas réfléchi et elle avait envoyé la première chose qui lui était tombée sous la main. De son côté, Ifios se mordait le coin gauche de ses lèvres et fuyait la scène du regard, tentant mieux que se peut de se désolidariser de Tza.

— Oh, vous avez déjà fini l’échauffement, poursuivit Omilio comme si de rien n’était. Parfait, on va pouvoir passer à la prochaine étape.

Asda recula fébrilement, bien trop gênée pour poursuivre la précédente discussion. Tout le courage qu’elle avait accumulé afin de confronter Omilio avait littéralement été fracassé par l’interruption de Tza. Et ce n’était pas le regard meurtrier de la fillette qui allait arranger les choses.

— Et pour la prochaine étape j’aurais besoin de ta coopération, Asda.
— … moi ? s’étonna la Foréa.

Encore un peu secouée, Asda pencha légèrement la tête, avant de subitement sursauter. Elle s’en souvenait à présent, ils en avaient déjà parlé ! C’était même la raison de sa présence ici…

« Il fait vraiment que je me ressaisisse, ça ne me ressemble pas… » geignit mentalement Asda.

La Foréa ailée inspira et expira plusieurs fois, sous l’œil interrogatif de son public, avant de reprendre son habituelle expression professionnelle.

— Tu veux parler de Bastiodon, n’est-ce pas ? Je reste néanmoins encore perplexe…
— Nous sommes là pour palier à toutes éventualités. J’ai conscience que cela n’est pas très conventionnel, cependant, je suis certain que nous obtiendront de bons résultats.

Ifios et Tza se regardèrent, de plus en plus curieux. Asda hocha finalement la tête et concentra son don de Foréa dans l’Ishys qu’elle portait à sa main droite, ce fameux gant permettant aux Foréa d’invoquer leur Ensar. Et, quelques secondes et éclats lumineux plus tard, un imposant mastodonte d’Acier et de Roche se tenait au milieu de la salle d’entraînement.

— C’est déjà le moment ? lâcha Bastiodon de sa grosse voix. J’espère que les enfants sont prêts, parce que je ne vais pas leur faire de cadeaux.
— Plaît-il ? s’inquiéta Ifios.
— C’est comme il vient de le dire, s’amusa Omilio. N’avais-je pas précisé que cet entraînement serait spécial ? Aujourd’hui, vous devrez vous battre contre Bastiodon.
— … haha.

Ifios ricana bêtement, cherchant désespérément la blague. Il n’en trouva pas. Ce qui était d’autant plus désespérant.

— Bien sûr, vous n’avez aucune chance de le vaincre, sourit Omilio. Mais je pense que vous avez les capacités pour nous surprendre. Vous devriez vous sentir honorés, ce n’est pas tous les jours que l’on peut s’entraîner sur un adversaire de cette taille.

Ifios contempla encore une fois la fameuse ‘‘taille’’ de son opposant. Une épaisse montagne de presque 2 mètre 50 de haut, sans parler de son bon mètre et demi d’épaisseur. Tza retrouva son immense épée et fit face à l’impressionnant adversaire.

— Je suis prête, se résolut-elle.
— … vraiment ? grinça Ifios.

L’ancien Agrios ferma les yeux et soupira. Non, il ne devait pas avoir peur. Après tout, son but premier restait d’égaler son père, le grand Danqa aux Griffes – et pourquoi pas sa mère, la célèbre et invaincue Inam. Eux, ils ne trembleraient pas une seconde devant une montagne vivante.

— Très bien, se concentra Ifios. Je… je vais le faire aussi.

Et le jeune homme retrouva son fidèle cimeterre.

« Même si je doute pouvoir percer sa carapace avec… », geignit-il mentalement.

— Parfait, acquiesça Omilio. Dans ce cas, plus rien ne nous retient. Commencez !

Tza fut la première à s’élancer. Encore enragée par l’audace d’Asda, la fillette était bien décidée à se venger sur son Ensar. Son énorme lame s’écrasa sans vergogne sur l’énorme tête plate de Bastiodon dans un éclat retentissant.

— Oui ? lâcha simplement l’Ensar. Tu veux quelque chose ?
— … !

D’un simple mouvement de tête, Bastiodon renvoya Tza d’où elle venait. Ifios réprima son envie de s’enfuir pour s’avancer à son tour. Il ne savait absolument pas quoi faire, mais il savait qu’il devait faire quelque chose. Le combat venait à peine de commencer et il comptait déjà sur la force du désespoir.

— Tss… perdu pour perdu !

Grinçant des dents, Ifios bondit vers sa cible. Bastiodon se prépara à l’accueillir d’un coup de crâne, cependant, Ifios planta sa lame dans une faille de la surface plane de la tête d’acier. Bien évidemment insuffisant pour blesser l’Ensar, cela permit cependant à Ifios de prendre un nouvel appui et de sauter à nouveau sur le dos de Bastiodon.
Toutefois, Ifios avait réagi par pur instinct, il n’avait jamais voulu se retrouver là, au sommet d’une montagne sur pattes. Il avait l’air bien penaud, là, tout en haut, à se demander ce qu’il fichait ici.

— Une acrobatie intéressante, déclara Bastiodon. Mais que comptes-tu faire contre ça ?

Soudain, la rangée de pic d’acier de l’Ensar se mit à briller intensément. Ifios déglutit, pris d’un mauvais pressentiment. Et à raison. D’un coup, des rayons irisés se mirent à fuser, le prenant pour cible. Prit de panique, Ifios revint sur la terre ferme, multipliant roulades et esquives catastrophiques. Heureusement, sa vive réaction lui permis d’échapper à la menace, mais si son corps était indemne, ce n’était pas le cas de son état mental.

— C-C’était quoi ça ?! s’écria-t-il.
— Luminocanon, répondit Bastiodon. Une capacité me permettant de concentrer l’énergie lumineuse et de la faire exploser. N’oublie pas que je suis un Ensar, je possède bien évidemment des techniques spéciales.
— …

Ifios retint un juron. L’Ensar parlait comme si c’était une chose naturelle, mais pour le commun des mortelles, tirer des rayons lasers n’était pas si banal ! C’était même une grande première pour Ifios, qui n’avait jamais réellement vu d’Ensar invoquer ses pouvoirs offensifs en combat.

« Les pauvres toiles de Caratroc ne sont rien en comparaison… », soupira-t-il.

— Mais tu as eu un bon réflexe, poursuivit Bastiodon. Même si j’ai réduit la puissance de mon attaque, si elle t’avait touché, tu serais certainement hors-combat. Pour au moins une bonne semaine.
— …

Profitant du fait qu’il soit concentré sur Ifios, Tza prépara sa vengeance. Elle n’en revenait toujours pas qu’un coup frontal de son épée n’ait eu aucun effet. Tza avait toujours compté sur sa phénoménale puissance brute avant tout, elle ne pouvait pas accepter que son principal atout devienne inefficace.

— AAAH !

Poussant un cri de rage, Tza fusa à nouveau et tambourina carrément la carapace de Bastiodon. Amplifiée par son esprit combatif, Tza parvenait à anticiper les tentatives de répulsion de l’Ensar, bougeant à chaque fois. Elle ne tenait pas en place, après avoir cogné à répétition le crâne de son adversaire, elle faisait de même sur son flanc gauche, l’arrière de son dos, puis le flanc droit, pour ensuite revenir au crâne. Cela aurait pu être impressionnant, mais comme aucun de ses assauts n’avait d’effet et que Bastiodon restait plus ou moins impassible, Tza ressemblait bien plus à une enfant piquant sa crise qu’autre chose.

— Euh, Tza ? souffla Bastiodon. La persévérance est une bonne chose, mais tout excès nuit. Mon armure est impénétrable, tu dois bien t’en être rendu compte maintenant, non ?

Mais ses mots ne parvinrent pas à Tza, qui continuait inlassablement de gaspiller son énergie. Fatalement, l’Ensar d’Acier renvoya son puissant Luminocanon, et Tza fut bien obligé de se replier.

— Il est invincible ! geignit Ifios.
— Bien évidemment, ne put s’empêcher de commenter Asda. Bastiodon est mon Ensar.
— … qu’est-ce que vous espérez que nous fassions contre ce monstre… ? Je ne vois aucun point faible… mmh ?

« … hé un instant. »

Ifios plissa les yeux.

« Des points faibles… serait-ce possible que ce soit la même chose que les mannequins de tout à l’heure ? La carapace de Bastiodon n’est pas tout à fait uniforme, si l’on regarde bien, il y a des creux par endroit… Et si l’échauffement avec les pantins était en réalité un entraînement pour vaincre Bastiodon ? Connaissant Omilio, cela ne serait pas étonnant ! »

Ifios redoubla sa concentration. Trouver les points faibles. Il n’avait que cet objectif en tête. Contre un ennemi tel que Bastiodon, il fallait limiter les gestes inutiles et allier efficacité, précision et vitesse. Par chance, c’était justement là ses points forts.

— … allez, on se calme, on respire et… c’est parti.

Tentant le plus possible de garder sa sérénité, Ifios se mit à courir autour de Bastiodon. Toujours en mouvement, il était prêt à esquiver la moindre attaque du mastodonte. Mais ce n’était pas tout. L’œil vif, il analysait profondément la carapace de la montagne sur pattes. Il descellait et détaillait chacune des failles qu’ils voyaient, mémorisant celles qui semblaient les plus profondes et donc, utiles.
Bastiodon regarda Ifios tourner comme une mouche autour de lui, perplexe.

— Que fais-tu, maintenant ? l’interrogea l’Ensar.

Sans prendre la peine de lui répondre, Ifios établit un plan mental à l’aide de toutes les données qu’il avait emmagasinées. Il hocha la tête. Il pouvait le faire. Vivement, Ifios se rapprocha dangereusement de Bastiodon. Il fit une roulade afin d’esquiver un coup de queue, et, dans la foulée, donne un coup d’estoc précis ; la pointe de son cimeterre s’infiltra profondément dans l’une des failles rocheuses. Bastiodon se surprit à ressentir une pointe de quelque chose se rapprochant de la douleur.
Mais Ifios ne s’arrêta pas là. Son schéma tactique en tête, il se déplaça à grande vitesse, enchaînant les points faibles de Bastiodon les uns après les autres. Si au début la douleur était largement supportable, les coups à répétitions se surplombaient les uns aux autres, gênant sérieusement le mastodonte d’Acier.

— Cela suffit.

Subitement, tout le corps de Bastiodon se mit à luire d’un violent éclat argenté et, dans l’instant qui suit, une puissante onde de chose repoussa brutalement Ifios, avant même que ce dernier ne puisse comprendre ce qui se passait.

— Fulmifer, expliqua Omilio en anticipant la question.

Le Foréa d’Aifos sourit.

— Intéressant. Fulmifer est une capacité qui renvoie les dommages subit ; autrement dit, si Bastiodon l’utilise, c’est que tu as réussis à le blesser.
— J’avoue ne pas m’être attendu à cela, confirma l’Ensar d’Acier. Ce garçon est plein de ressources, je vais devoir arrêter d’être passif.
— … je savais bien que c’était trop simple…, geignit Ifios.

D’un coup, l’aura combative de Bastiodon augmenta d’un cran. Tza et Ifios resserrent leur emprise sur leur arme. Depuis le début de l’affrontement, Bastiodon était resté quasi-immobile, bougeant juste sa grosse tête ou sa queue d’acier pour repousser ses adversaires. Maintenant, il passait à la vitesse supérieure.

L’Ensar se mit à courir, dans toute sa masse herculéenne. Toute la pièce tremblait au moindre de ses lourds pas, faisant croire à un tremblement de terre. Devant lui, Ifios et Tza déglutirent. Ils n’attendirent cependant pas une seconde pour déguerpir ; s’ils restaient là, ils avaient l’intuition qu’ils auraient un peu mal. Cependant, en dépit de son poids défiant l’entendement, Bastiodon avait une maîtrise parfaite de ses déplacements ; en effectuant d’assourdissants dérapages, il parvenait à changer de direction et donc de poursuivre ses cibles où qu’elles aillent.

— Wowowoh ! cria Ifios. Pause ! C’est un entraînement ou une mise à mort, là ?!
— Pourquoi les deux seraient incompatibles ? demanda innocemment Omilio.
— … !
— Il plaisante, soupira Asda. Bien évidemment, nous arrêterons le combat si cela devient trop dangereux.
— … parce que ça ne l’est pas assez là ? geignit Ifios.

À force de courir partout afin d’éviter le gargantuesque missile d’acier, Ifios sentait sa tension monter à des taux critiques. Trouver un moyen de stopper Bastiodon était à la limite de l’irréalisable ; quiconque s’approcherait trop de lui serait l’heureux gagnant d’un ticket aller simple pour l’au-delà.

— … allez Ifios, il faut que tu réfléchisses…, s’encouragea-t-il lui-même.

Tout d’abord, Ifios fit un rapide résumé de la situation. De un, Bastiodon les coursait mortellement. De deux, il n’y avait aucune possibilité de se cacher. De trois, fuir à tout-va n’était pas la solution, car ils s’épuiseraient fatalement plus vite que le mastodonte.

« … puisque fuir n’est pas la solution, peut-être faut-il le confronter ? »

Pas une confrontation directe bien sur, Ifios n’était pas suicidaire. Cependant, quelque chose de plus subtile pourrait fonctionner, restait à savoir quoi. Perdu dans ses réflexions, Ifios faillit trébucher. Il maudit une seconde sa maladresse avant de relever vivement la tête, subitement atteint d’une révélation.
Puisant dans ses dernières forces, il fonça vers Tza et lui expliqua discrètement et brièvement son plan. Cette dernière plissa les yeux, perplexe ; cependant, n’étant capable de proposer mieux, elle hocha positivement la tête.

Aussitôt, les deux compères changèrent de direction, et filèrent vers la zone où reposaient encore les restes des mannequins d’entraînement. De toutes la pièce, c’était le seul endroit où l’on pouvait trouver des obstacles. Bastiodon les suivit sans se poser plus de questions. Il ne savait pas ce que ces deux-là mijotaient, mais une chose était certaine : s’ils comptaient le ralentir avec les mannequins, c’était peine perdue.

Bastiodon écrasait sans vergogne chaque pantin, sans ne serait-ce que ressentir le moindre désagrément. Tout ce que cela produisait, c’était un beau capharnaüm métallique. Puis, brutalement, sa patte avant reçue un énorme choc. Bastiodon fut totalement prit de court. Sa course s’interrompit d’elle-même en catastrophe, le faisait pathétiquement trébuché et s’écraser au sol.

— C’était bien joué, commenta Omilio. Ils se sont servis des mannequins comme diversion, et pendant que Bastiodon s’amusait à piétiner les pantins, Tza était cachée dans son coin, attendant son heure. Même si elle ne possède pas la force de briser sa carapace, sa pleine puissance brute peut largement déstabiliser Bastiodon lorsqu’il est en mouvement. C’est une simple question de force agissant à l’opposé d’une autre.
— Ils sont encore loin de pouvoir le battre, poursuivit Asda. Cependant, leur capacité à garder leur sang froid et à réfléchir à différentes stratégies est impressionnante.

Bastiodon se releva, un peu sonné. Encore une fois, il s’était laissé surprendre. Ifios et Tza lui donnaient bien plus de fils à retordre que prévu.

— J’imagine que cela signifie que je peux passer à l’étape 3, déclara l’Ensar d’Acier.
— … l’étape 3 ? répéta faiblement Ifios.
— À l’étape 1, je restais immobile et je me défendais juste. À l’étape 2, je me suis mis en mouvement. Et maintenant, pour l’étape suivante…

Les yeux de Bastiodon s’illuminèrent d’un étrange éclat mystique. Soudain, d’aiguisés pics de roches se formèrent au-dessus de lui.

— J’utilise pleinement mes capacités spéciales !
— … !

Ifios et Tza se dispersèrent en vitesse. Les véritables Lames de Roc s’écrasèrent bruyamment et aléatoirement à travers toute la pièce. Ce coup ci, Ifios transpirait à très grosses gouttes.

— Ohé, ça devient insensé là !

Et le jeune homme était encore loin de la vérité. À partir de ce moment-là, ce fut tout simplement l’enfer. Non seulement Bastiodon avait repris sa course prédatrice, mais en plus il enchaînait impitoyablement ses Lames de Roc ou ses Luminocanon à tout-va. Entre intenses éclats lumineux, brutales manifestations terrestres, et capharnaüm assourdissant, le monde semblait lui-même n’être que chaos. C’était déjà un miracle que Tza et Ifios n’aient pas encore été touchés.

— C’est déjà limite de survivre, grinça Ifios. Là, je suis à court d’idée…

« Je crois que c’est le moment d’abandonner… »

Ifios n’aimait pas cette idée, mais un véritable guerrier devait savoir quand rendre les armes. Continuer un combat absurde par bête fierté pouvait se révélait bien plus dangereux que courageux. Tza aussi en était venue à la même conclusion. Il fallait cesser l’affrontement. Mais elle, elle ne l’acceptait pas. Sa fierté était bien trop grande, et perdre contre Bastiodon signifiait par ricochet perdre contre Asda. Et ça, elle ne pouvait pas le supporter.

Alors, elle renouvela son esprit guerrier et, arrêtant de fuir, elle se retourna vers Bastiodon, prête à faire face. La petite fillette tenait fermement sa lame, devant l’énorme mastodonte qui se rapprochait, de plus en plus. Et plus les secondes défilaient, et plus Tza se rendait compte de son erreur. Sa sacro-sainte force brute n’était pas capable de ne serait-ce qu’effleurer la carapace de ce monstre et ce n’était pas faute d’avoir essayé. Peu à peu, sa volonté d’acier se fissurait, et la peur s’infiltrait. Que faire maintenant ? Fuir ? C’était déjà trop tard, Bastiodon était déjà bien trop proche.

— TZA !

D’un coup, un doux choc éloigna vivement la fillette du danger. Tza écarquilla des yeux, surprise. Pendant les longues seconde où son corps se faisait repousser dans les airs, elle aperçut la silhouette d’Ifios prendre sa place, face à Bastiodon. Le jeune homme se tenait fièrement, une étrange détermination dans les yeux. Il tenait son cimeterre plus fort que jamais, fixant Bastiodon dans une rage guerrière. Du moins, c’était ce que Tza voyait, car dans les faits, Ifios n’était pas loin de la crise cardiaque :

« Ce que je viens de faire était STUPIDE ! » se plaignit-il mentalement.

En voyant Tza en situation critique, le corps d’Ifios avait réagit par instinct. Il avait de lui-même fuser jusqu’à la fillette, pour la mettre hors de danger. Et il avait réussi. C’était globalement une bonne chose. Mais désormais, c’était lui qui était en situation critique. Ce qui était globalement une mauvaise chose.

« I-Il arrive ! Q-Qu’est-ce que je fais ? J-Je pourrais refaire ce que j’ai fait au début, planter mon cimeterre dans une faille et… mais non, impossible, il va bien trop vite ! J-Je suis fichu ! Non ! J-Je ne peux pas mourir maintenant, je n’ai pas encore fini de nettoyer la cuisine !! »

Ifios contracta ses muscles, se préparant à l’impact imminent. Ne voulant voir ça, il préféra fermer fortement les yeux, à prier un quelconque dieu. Une seconde passa. Puis une autre. L’impact ne vint jamais. Interloqué, il rouvrit timidement un œil, avant de se rendre compte que Bastiodon avait tout simplement et purement disparu.

— Vous avez bien tenu, sonna la voix d’Omilio.
— Nous vous l’avions dit, continua Asda. Si la situation devenait trop dangereuse, nous mettrons fin au combat. D’ailleurs, Omilio était prêt à tout arrêter dès que Tza s’était retournée…
— … ne nous attardons pas sur les détails, soupira le concerné.
— … v-vous avez rappelé Bastiodon ? souffla difficilement Ifios.

Asda hocha la tête.

— A-Alors c’est ça la puissance d’un Ensar…, c-c’est… tout bonnement incroyable. Je ne m’étais jamais senti aussi faible… et encore, il ne se battait pas à pleine puissance, hein ?
— Loin de là, confirma Asda. Cela n’aurait pas été un entraînement s’il s’était donné à fond.
— J-Je me disais aussi… et même, ses stalagmites et ses Luminocanon à la fin… il faisait exprès de nous rater, je me trompe ?
— Oh, sourit Omilio. Tu as l’œil pour l’avoir remarquer. Et oui, effectivement, c’était juste pour vous faire un peu peur. Bastiodon est bien trop expérimenté pour manquer sa cible autant de fois.

Et Ifios se laissa tomber au sol, épuisé.

— Vraiment, ce monstre n’a rien, mais alors absolument rien, à voir avec Cara…
— Ahem, le coupa incisivement Omilio.
— … !

Encore sous pression, Ifios en avait presque oublié LE secret à ne pas dévoiler, surtout devant Asda. Il sentit à nouveau la sueur lui monter à la tête, alors qu’Omilio le fixait sévèrement. Ifios adressa un petit regard inquiet à Asda et, par chance, cette dernière ne semblait pas avoir saisi l’entourloupe.

— B-Bref, paniqua Ifios, c’était vraiment difficile !
— Mais vous avez su agir en conséquence quasi à chaque fois, l’encouragea Omilio. Je suis personnellement ravi du résultat. J’espère beaucoup pour la prochaine fois.
— L-La prochaine fois ? s’inquiéta Ifios. Parce qu’on va recommencer ?!
— Bien sûr, ce serait bête d’arrêter en si bon chemin. Qui sait, peut-être arriveriez-vous un jour à combattre Bastiodon d’égale à égale.
— … mais oui, bien sûr…

Omilio sourit amicalement devant l’air blasé d’Ifios. Amusé, le Foréa s’approcha alors nonchalamment du jeune homme et lui murmura à l’oreille :

— … tu sais, Danqa aux Griffes en serait largement capable…
— … !


 ***

 Une fois l’entraînement terminé, Tza et Ifios furent libres de vaquer à Aifos, pour s’aérer l’esprit et reprendre des forces. Et ils en avaient bien besoin, vu les émotions fortes de la matinée. Ifios préféra néanmoins se diriger directement au manoir ; il était tourmenté d’un mystérieux et puissant désir de nettoyer la cuisine…

Curieusement, Tza avait choisi de suivre Ifios. D’ordinaire, elle vagabondait on ne savait où dans le quartier commercial. Ifios ne se formalisa cependant pas de ce choix, se disant qu’elle devait avoir ses raisons. Et justement, Tza avait ses raisons. La fin du précédent affrontement la hantait. Ce moment où elle était sans défense face à Bastiodon, là où sa propre bêtise aurait dû lui signifier une défaite totale. Mais cette fin malheureuse ne fut pas arrivée. Quelqu’un avait surgit de nulle part, la protégeant infailliblement ; Ifios.

Jusqu’à maintenant il n’y avait qu’Omilio qui l’avait protégée. Jamais quelqu’un d’autre n’avait, un jour, prit cette place de défenseur. Et tout cela perturbait fortement la fillette. Marchant derrière Ifios, elle ne pouvait s’empêcher de zieuter à l’occasion sur son dos protecteur. Elle le voyait grand, chaleureux, rassurant. Des idées que, d’ordinaire, elle réservait à son frère…

Lorsque le duo arriva enfin au manoir, Ifios se dirigea naturellement vers la cuisine, prêt à définitivement calmer ses pulsions d’homme de ménage. Cependant, alors qu’il réfléchissait aux méthodes de récurage les plus efficaces, une mince voix l’interpella :

— … Ifios… ?

L’interpellé se retourna, surprit.

— Oui ?

Tza détourna deux fois du regard, jouant fébrilement avec ses pouces. Puis, enfin, elle continua :

— Ce matin… tu m’as demandé pourquoi je ne m’entendais pas avec Sidon…
— … oui, je m’en souviens, plissa Ifios des yeux.
— Hé bien, en fait…

Tza inspira grandement, et souffla longuement.

— … en fait, il se trouve que j’écris des romans.
— Des romans ? répéta Ifios. Maintenant que tu le dis, je te vois souvent scribouiller des choses, mais j’ignorais que tu écrivais carrément des livres. C’est assez impressionnant !
— J-J’ai préféré garder la chose secrète. Il n’y a que très peu de gens qui le savent, mon éditeur, Eily, Caratroc, et… Sidon.

Tza se mordit durement les lèvres, se rappelant de mauvais souvenirs.

— Sidon est un cas particulier, il l’a appris en rentrant sans frapper dans ma chambre, alors que j’étais en pleine écriture. Et… et il n’a pas pu s’empêcher de m’arracher mon manuscrit et de le lire à voix haute ! Ça le faisait rire ! Il est resté pendant des heures ensuite à fouiller ma chambre, à se moquer de chacun de mes travaux ! J’ai bien essayé le mettre dehors, mais il se protégeait avec mes propres romans… ! Grr… cette humiliation !! Jamais je ne pourrais le lui pardonner !

Ifios réprima un rire nerveux. C’était bien rare que la d’ordinaire calme Tza ne se mettre en colère ; quoique, à bien y réfléchir la fillette avait envoyé un mannequin d’acier sur Asda sur un simple coup de colère pas plus tard que ce matin.

— D-Donc voilà, se calma Tza. Tu sais tout.
— M-Merci… je suppose, hésita Ifios. Je comprends un peu mieux maintenant. Je n’y connais rien, mais se moquer de la passion d’autrui n’est effectivement que difficilement excusable…

Puis, Ifios tiqua, se souvenant d’un autre détail.

— Mais un instant, tu viens de dire que c’était un secret, non ? Pourquoi me le révéler ?
— … hé bien…

Tza rougit légèrement ; bien qu’un frais courant d’air soufflait dans le couloir, elle avait de plus en plus chaud. Elle leva les yeux vers Ifios. Son corps se rigidifia et son estomac se noua. Finalement, au comble de la tension, sa voix éclata :

— C-C’est un secret !

Et la fillette s’enfuit vivement à l’étage du manoir, où elle retrouva le réconfort de sa chambre. Ifios écarquilla des yeux, on ne pouvait plus perplexe.

— … elle me dit un secret… pour une raison secrète ?

Le jeune homme resta quelques moments à méditer sur la question, avant de finalement décider de retourner à ses préoccupations. Il aurait tout le temps de réfléchir à ça, alors que la cuisine, elle, n’attendait pas.
Et ainsi, Ifios partit récupérer son matériel de ménage, sans se douter une seule seconde qu’à partir de ce jour, il était devenu le héros d’un tout nouveau roman…