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Calendrier de l'Avent 2017 de Corpus09



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Informations

» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 07/12/2017 à 22:40
» Dernière mise à jour le 07/12/2017 à 22:41

» Mots-clés :   Fanfic collective   Song-fic

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Jour 7 : Cherchant un peu d'air, par LunElf
(À lire en boucle de préférence, histoire que ça tienne la longueur)


L'endroit est sombre. C'est comme une grande grotte de toile tendue. Les étoiles au plafond ne brillent pas ; elles se contentent de rester collées là-haut, sans vie, blanc sale, elles font des taches livides dans une parodie de ciel noir.

La seule lumière filtre de là, devant ; le rideau est resté légèrement écarté, un rai de lumière vive vient se jeter contre la toile du fond et celle du haut. Des ombres s'y promènent parfois. Souples et fluides, elles pourraient animer le décor froid et mort mais elles n'y parviennent pas, et ce n'est pas leur but : leur acte se joue de l'autre côté, sur scène. Les lueurs reflétées appuient des contours vagues fondus dans la pénombre.

Il y a là des ballons, des cerceaux, des cordes, tremplins et objets mal identifiables, j'ai appris leurs noms mais je les reconnais pas. Ils font des masses énormes, agglomérés, comme des statues menaçantes pleines de couleurs assombries. Rien ne bouge à première vue. Mais çà et là, des barreaux métalliques se parent d'éclats ternis, et derrière, on voit des boules de fourrure clairsemées qui se lèvent et s'abaissent. C'est presque imperceptible.

Ils somnolent, c'est le truc pour ne pas trop penser à ce qui les attend. C'est toi qui me l'avais dit, au tout début, quand je suis arrivée ; tu avais aussi dit que j'avais du mal parce que j'étais trop jeune. Il paraît que ça vient avec l'expérience, et qu'au bout d'un moment on s'endort presque sans crainte.

Par ici, oui, tout est calme, mais dehors... dehors on hurle et rit, on applaudit très fort, on siffle même parfois, ça traverse le rideau comme la lumière, étouffé ; ça se répercute un peu partout et ça crée une grande toile de sons entremêlés. De fils sombres qui s'étiolent et disparaissent...

Ça s'étiole et disparaît souvent, puis ça revient, puis ça recommence. Quand c'est plus fort, les cris, et que ça dure plus longtemps, ça annonce qu'ils vont venir chercher une cage, et en ramener une autre, dont l'occupant s'endormira aussitôt derrière ses barreaux froids. Ça aussi, tu me l'as dit, pas sûre sinon que j'aurais remarqué. Il va falloir que tu reviennes bientôt, ça risque d'être à nous...

J'ai trop froid, la lumière chauffe rien. Mon eau est claire et glaciale. Elle bouge pas, ça doit être très joli vu de loin, ce grand bocal plein de glace liquide ; mais en attendant, c'est surtout de la glace, oui, et il ne fait pas bon y rester enfermé. Au fond, je dois avoir l'air piégée sous du verglas, même mes deux pattes-nageoires remuent pas d'un poil. J'ai fait quelques tours du bassin pour tenter de me réchauffer, puis j'avais plus le courage et me suis arrêtée, j'ai scruté prudemment le monde sombre au-dehors. Alors, puisque même le bruit de ma nage avait déserté le silence, je me suis sentie très seule.

Je scrute toujours, il s'est pas passé grand-chose depuis. Hé, où est-tu ?

Le rideau s'ouvre ; dehors, tout a laissé place au noir, les ombres sur la toile ont avalé le rayon qui dansait là. J'espère que c'est pas à nous, faudrait d'abord que tu sois revenue. Sinon, euh... ça va être compliqué, hein, je préfère pas trop l'imaginer, alors me fais pas trop attendre. En plus ils l’ont dit, tu te souviens, c’est un spectacle spécial ce soir, il est plus important ou je sais plus quoi. Pour une fête d’humains ou je sais plus quoi.

On fait les transactions, on ramène un Congénère tremblant dans une cage vide, de nouveaux objets aux teintes ombrées sont empilés à des endroits définis. Ces hommes sont habitués, ils veillent au bon enchaînement des numéros. Tout est bien réglé.

Ils s'approchent de moi, à deux ou trois. Hé, c'est à nous, reviens vite ! Vite ! C'est à nous, ça va commencer ! Un des hommes avance ses grosses pattes molles vers moi, ses "mains" ; elles se crispent un peu en fendant la surface de l'eau. L'homme peste. C'est vrai qu'il fait très très froid, ici. Les doigts roses boudinés s'approchent de moi et je me tasse de peur. Il veut m'attraper, comme toi, hé, toi aussi ils ont fait comme ça, ils t'ont prise, comme ça, avec leurs mains sales et puantes. Je veux pas...

Le bassin est petit, je peux pas nager, je peux pas m'enfuir. Il passe les doigts sous mes pattes-nageoires, il serre, il soulève d'un coup et sans délicatesse. J'avais fermé les yeux. Les deux autres s'y mettent, ils parlent avec précipitation, ils me retournent dans tous les sens, ils se dépêchent. Je peux pas bouger. Ils me collent sur le corps des choses fines et amples, rigidifiées comme des statues de papier. C'est comme les secondes peaux colorées que portent les humains toujours sur eux. Un fil élastique passe sous ma gorge, quelque chose d'autre entoure mes pattes-nageoires et le haut de mon corps. C'est long, je veux vomir.

Ils me reposent, ils me lâchent presque, à nouveau dans la cuve d'eau. Il se remet d'un coup à faire très froid. Je comprends pas ?

Et tout de suite ils se placent autour de la cuve, et ils la font avancer en la poussant. Elle est montée sur de petites roulettes. Ce qu'ils m'ont enfilé me colle à la peau, je déteste ça. Le fil sous ma gorge m'étrangle. Hé, c'est à nous, reviens...

Pousse, pousse, on passe le rideau, tout est noir. Je connais mon numéro, mais t'es pas là, et ça me fait peur. Peut-être que tu seras dans une autre cuve à côté, pas trop loin de moi...? On s'arrête. On ne voit rien, les cris et applaudissement ont diminué.

Le bassin est circulaire, avec au milieu le fond qui remonte vers le haut pour faire une plate-forme à l'air libre. Je commence à faire des tours de cette remontée, comme si tu pouvais te cacher de l'autre côté. Mon cœur va exploser si tu reviens pas.

Si tu te caches, tu te caches bien : t’arrives à tourner exactement à la même vitesse que moi pour reste dissimulée par le piédestal du centre du bocal. J'accélère, t’accélères aussi, même vitesse toujours. Je me hâte encore, les bouts de tissus qu'on m'a collés au corps entravent ma nage et me font patauger. Je m'essouffle, plus vite, plus vite, puis une idée subite me vient à l'esprit et je me tourne d'un coup. J'attends que tu me rentres dedans brutalement, le cœur battant, mais rien ne vient, personne. Le tissu sur mon corps est gorgé d'eau et lourd. L'eau limpide est pleine de noir.

Silence. Je suis seule.

Hé, ça va commencer, viens ! Des pas résonnent en insistant sur un sol dur, une voix criarde s'élève. Je commence à bien la connaître, et je la déteste. C'est un homme qui gueule avec des intonations montantes et descendantes comme des vagues de tempête. On le voit pas, dans le noir, mais j'en suis certaine, j'ai l'habitude, il fait les cent pas en rond avec force gesticulades. Un jour, je pense qu'il aura tellement tourné en rond qu'il s'enfoncera dans le sol en forant, comme ça. J'espère.

Lumière ! Elle explose d'un coup comme ça, je m'y ferai jamais... je papillonne des paupières, mal aux yeux, et je vérifie si cet éclat soudain ne t'a pas fait apparaître. Ici, il y a des gens qui font apparaître des choses, dans des numéros, alors c'est possible. Mais t'es toujours pas là. Je suis censée faire... tu viens pas, je sais pas.

La vitre devant moi qui contient toute notre eau, elle me renvoie mon reflet dans la figure : une créature bleue avec deux pattes-nageoires et un museau au bout rose. On m'a affublée d'un habit rouge et blanc en coton, et un couvre-chef de la même couleur avec un pompon blanc en haut et des étoiles dessus. C'est lourd, moche, c'est plein d'eau et j'ai froid.

Derrière la vitre, il y a le Monstre qui s'étale en demi-cercle, très haut et large. Cette chose bouge de partout et émet des sons strident par chaque pore mouvante de son long corps courbé. Il est fait de petits points de couleur qui trépignent et s'agitent sans harmonie, et crient. Les sons me parviennent toujours étouffés et mous. Je crois que le Monstre rit.

L'homme aux intonations qui montent et descendent s'approche de moi en se taisant un peu. Il me regarde avec des yeux brillants d'une excitation mauvaise, de sourires de menace ; il a de petits yeux rapprochés et pervers, même sa voix n'est rien, à côté de ça. Il scrute. Je m'aplatis. C'est comme ça que ça marche, on peut que s'aplatir devant des yeux comme ça. On est écrasé. Mes pattes-nageoires sont raides et lourdes.

Il se remet à hurler d'un coup, il interpelle à grande voix le Monstre qui rugit de plus belle, tout en me regardant, il me fait un signe et ses yeux lancent des éclairs. Je déteste les éclairs, ils m'en ont envoyé quand ils m'ont capturé, pour m'assommer, ça faisait très mal. Le signe qu'il me fait, il veut dire que je dois faire des tours autour du bassin, c'est ce que je fais, et j'espère que cette fois t’y seras, de l'autre côté de ce fichu bocal.

Je nage en imaginant te pourchasser, c'est la seule idée qui me fera effectuer sans toi ce stupide numéro. Hé, j'ai besoin de te voir, que s'est-il passé ?

Tourne et tourne. Il faisait froid ce matin, moins que maintenant évidemment, parce que là, je crois que j'ai jamais eu aussi froid de ma vie. Chez moi l'eau était toujours chaude, avant qu'ils arrivent avec leurs grands filets. Les grands filets comme celui qu'ils ont sorti ce matin, comme ils t'ont sortie de notre bocal.

Là, des vrombissements ont explosé, des boîtes blanches roulantes se déplaçaient, elles partaient à toute allure sur les bandes de pierre grise et les grondements se sont perdus au loin. Étiolés, disparus. Je nage et tourne et tourne, ils reviennent derrière moi, je te pourchasse plus, je fuis les filets, les grands filets... tu chantes à présent, mais loin, loin, je nage encore plus pour te rattraper, filer du filet, ton souvenir me hante...

J'ai peur, j'ai froid, je veux te voir ; mais j'ai surtout froid et je hurle des bulles d'air étouffées qui s'effacent dans mon bocal de glace. Cette eau gèle devant moi, je peux pas avancer, je gèle avec elle comme une statue piégée. Les bulles s'envolent devant mes yeux figés, j'ai plus d'air. La panique me submerge, ses frissons me dévorent de l'intérieur, et à l'extérieur, je tremble tellement de froid que ça fait bouger la surface de l'eau. Je suis fatiguée, mes yeux se ferment tout seuls, je sais plus rien.

Tu aurais dû rester, parce que là c’est n’importe quoi… le monstre gesticule et crie plus fort, l’humain aux yeux mauvais me fixe, mais mes yeux à moi voient trouble, et je sais pas comment est son expression. Ça s’imagine sans mal, j’ai pas fait ce qui était prévu, mais je suis toute seule, c’est normal… je me souviens vraiment pas de ce que j’étais censée faire, pas du tout. Toute seule condamnée à chanter pour eux…

Chanter ? Je me relève vaguement sur une patte-nageoire. Je me souviens, un peu, je dois chanter, c’est pour ça que je suis là, toujours pareil depuis ma capture dans le grand filet. Toi aussi, c’est ce que tu faisais, bien mieux que moi d’ailleurs, tu avais bien plus d’entraînement. Tu étais bien plus âgée… es, tu es ! Pas était ! Je pense n’importe quoi je m’embrouille !

Oui, je dois monter là-dessus, la bosse qui sort de l’eau au milieu du bassin, et je dois chanter. Je sais plus quoi, mais on verra quand je serai montée.

Un coup d’œil vers le monsieur à la voix horrible, pour lui faire comprendre que je vais le faire, son numéro, et facilement en plus, même toute seule. C’est juste une mauvaise soirée à passer, la prochaine fois tu seras là, et il fera sans doute moins froid. Y’avait jamais de froid chez moi, alors même ici ça peut pas durer, je pense.

L’homme gesticule dans tous les sens, il s’est tourné au moment pile où je l’ai regardé. Il repasse le rideau a pas de course. Là, je suis définitivement seule, quoique c’est vraiment pas grave du tout qu’il soit reparti, lui. Je sais pas où t’es, mais regarde-moi, je vais faire le numéro sans toi !

J’essaie d’oublier les rugissements du monstre qui hue, je regarde en l’air avec plus de détermination. Mes pattes-nageoires sont pleines de froid, les tissus rouge et blanc qu’on m’a collés au corps emprisonnent l’eau gelée et m’alourdissent. Cette masse transparente et calme me pèse sur les épaules. La surface est loin, mais pas tant ; et je l’ai déjà fait, quand tu étais là.

J’amorce un tour de bassin pour me donner de l’élan. J’ai du mal. Mon corps est trop lourd, je le traîne sur des membres qui refusent de bouger. J’avance lentement, ça n’améliore rien, je tremble de partout, je m’en étais à peine aperçue.

Un bout de temps à cette allure et je décide d’escalader. Moins élégant qu’un saut, mais je peux pas sauter, on fera avec. Fallait pas m’envelopper dans ces gros tissus, c’était idiot. C’est peut-être joli pour eux, mais c’est idiot. Une pensée remonte à la surface, ils en ont parlé, de ces tissus… c’était pour le spectacle de ce soir, l’occasion spéciale…

La surface du piédestal est transparente comme le reste, Froide et dure comme de la glace, en pente douce, et lisse… je l’avais jamais vraiment remarqué avant, je grimpais d’un bond là-haut. Là mes pattes-nageoires glissent et dérapent, je retombe à l’eau. Je me projette contre la paroi, je retombe à l’eau, je gratte, griffe, renifle, rien. Si, en grattant, je peux peut-être monter, centimètre par centimètre, je vais essayer.

Je monte, je monte, regarde-moi ! Je vais y arriver, seule ! D’un coup, la lumière s’éteint, le Monstre crie plus fort. Je l’avais oublié, celui-là, la surprise me fait lâcher prise, et plouf. Dans le noir et le froid. Encore plus froid, brr… chez moi il faisait chaud. Je vois plus rien. Je ferme les yeux, c’est pareil. Je suis collée contre le fond du bocal et la glace m’envahit, elle accroche ma peau bleue à la masse transparente. Peux plus bouger. Je fais des bulles.

D’un coup des mains plongent dans l’eau en jurant, les éclaboussures attaquent mes oreilles ; les doigts me saisissent, me soulèvent, elles me posent brutalement sur le piédestal que je voulais atteindre. La voix désagréable me siffle des mots que je comprends pas, menaçants et épineux. Ce monsieur me fait peur. Je l’entends s’écarter, les lumières s’allument.

Des voix s’élèvent. C’est le chœur, je me souviens, tu l’appelais comme ça. Tu l’appelles, tu l’appelles comme ça ! Je me relève très lentement sur une patte-nageoire, mon corps est un bloc de givre qui fait mal.

Tout autour du bassin, en ronde, il y a les Congénères. Ils sont beaucoup, ils chantent tous en même temps, c’est très joli. Je suis censée chanter aussi, je sais, mais je les regarde. Il y a Hélionceau, Kokiyas, Kirlia et les deux frères Léopardus, je connais pas les autres. En tous cas, je remarque, ils sont tous habillés, comme moi, avec des tenues rouges et blanches et les mêmes bonnets à pompon ! Y’en a même un qui a des cornes, avec des grelots dessus.

Je dois chanter aussi. Hé, reviens, je peux pas faire ça toute seule maintenant, tu l’avais dit en plus, qu’il me fallait un peu plus d’expérience. En plus je sais plus comment on fait, reviens.

Je l’entends pas, d’habitude, le chant du chœur, puisque je chante en même temps et toi aussi, surtout que je t’écoute plutôt toi. C’est un tout petit peu faux par moments, mais ça s’entend pas trop. Le Monstre l’entend sûrement pas, surtout qu’il est loin. Il se tait et il écoute, c’est reposant.

La mélodie est douce et montante, je reconnais cet air-là, on l’a répété hier, je crois… Mais à plusieurs comme ça, c’est pas pareil à entendre, j’aime bien. Bah bien sûr, tu chante mieux, mais t’es pas là…

Les voix montent, montent, elles s’intensifient puis elles s’arrêtent d’un coup. C’est juste là que je me souviens que je suis censée continuer. Je sais plus comment, je sais plus ce qu’il faut chanter ; j’ai l’habitude de me calquer sur toi.

Les Congénères se retournent vers moi, avec des yeux pleins d’incompréhension hargneuse. Ils sont toute une dizaine à me dévisager comme ça. J’ai froid. Je suis mal, la tête qui tourne. C’est pas ma faute, mais ils me regardent en jugeant mon silence, c’est pas ma faute, juste que t’es pas revenue à temps, et puis c’est pas grave, ça marchera la prochaine fois… je veux m’aplatir sur mon piédestal qui montre que je suis plus douée que les autres alors que je fais n’importe quoi, je veux plus avoir ces regards-là sur moi.

Oui, je dois me cacher, je veux pas continuer à faire n’importe quoi comme ça. J’essaie d’éviter les Congénères en regardant autour de moi. Ça peut marcher, par derrière le bocal y’a personne, et le bord est pas trop loin.

L’homme qui gesticule revient à la charge, et cette fois, il est vraiment tout rouge de colère, même s’il essaie de la cacher. Il essaie de remettre de l’ordre sans en avoir l’air, il essaie de pas montrer au Monstre que le numéro est raté et complètement raté. Il me lance au passage un regard très très noir, qui me fait frissonner encore plus que le froid, et il se retourne vers les autres pour leur cracher des ordres chuchotés avec rage. Le chœur enchaîne sur la chanson suivante, maladroitement, à ce moment-là ils feraient presque autant n’importe quoi que moi, ça pourrait me rassurer, mais je dois me concentrer sur mon saut.

Ils ont tous le dos tourné, maintenant, à essayer de s’accorder, c’est le bon moment. Je saute ! Atterris à nouveau dans l’eau, vraiment gelée cette eau, mais pas le moment d’y faire attention ; mes pattes-nageoires restent figées une seconde, puis j’arrive à les agiter avec une gerbe d’éclaboussures ; mon museau rond se cogne contre la paroi lisse ; lève une patte puis l’autre, les passe au-dessus, hisse, hisse ; je me retrouve posé sur ce bord, pantelant, pousse en avant avec la tête pour que mon corps passe l’obstacle. Gagné ; je dégringole le long du bocal, à l’extérieur, j’avais même pas pensé à ça.

La chute fait mal, je tombe en plein sur une patte-nageoire, l’onde de douleur explose dans tout mon corps, mon épaule je
coule sur le sol ça
fait des hoquets de douleur
J’essaie de me traîner sur l’autre patte il faut s’enfuir de là, un centimètre deux centimètre j’ai mal…
Otarlette !

C’et toi qui m’appelles ? Oui, je reconnais ta voix, juste là, qui chante ! Un tout petit peu plus loin, peut-être juste au-dessus de moi. Otarlette !

Je lève les yeux, t’es pas là. Non, ce sont deux gueules béantes aux crocs acérés. Une patte griffue se pose sur mon dos et me plaque au sol, je peux plus respirer, des pointes me rentrent dans le corps, le sang perle ; les deux Léopardus m’immobilisent. Laissez-moi partir, vous êtes mieux sans moi ! Pourquoi ils sont comme ça, ils ont toujours été sympathiques, un peu timides, mais gentils. Surtout avec toi. C’est maintenant que t’es plus là ? C’est pour ça ?

J’ai les yeux contre le sol, je vois plus rien. La grosse main revient m’attraper, je passe devant le visage écarlate du Gesticuleur, et son haleine chaude et mauvaise ; il me prend par la patte-nageoire blessée, je hurle ; il serre. Il me balance dans mon bocal avec une colère contenue.

Le froid explose à nouveau. Mon costume rouge et blanc se gorge d’eau encore une fois, m’entraîne encore une fois vers le fond du bocal. Je coule, mes poumons se vident ; les cris s’atténuent, mes paupières se ferment, j’ai mal à l’épaule, noir.

C’est la débandade dehors, et c’est ma faute, mais en fait je m’en fous un peu. J’ai trop froid, alors je serai mieux à dormir. Les roulettes tournent, on ramène ma cuve derrière le rideau. Les hurlements du Monstre s’étiolent et disparaissent. Quelqu’un me parle, très en colère, je l’écoute pas vraiment. Un peu. « Monstre sans valeur » ? Les pas s’en vont.

Oui, je m’en fous un peu. J’ai fait rater le numéro, je suis devenue inutile. Alors ils vont me faire rentrer dans leurs grands filets, dans leurs grandes boîtes roulantes et vrombissantes, et je te retrouverai sans doute, Rosabyss la chanteuse expérimentée.

En attendant, je suis seule dans le noir et je meurs de froid, et j’ai plus d’air. Étiolé, disparu.



[D'après Circus Monster, cover française par Poucet]