Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Calendrier de l'Avent 2017 de Corpus09



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 06/12/2017 à 05:52
» Dernière mise à jour le 06/12/2017 à 05:52

» Mots-clés :   Fanfic collective   Song-fic

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Jour 6 : La balade de Saint Cresselia, par Flageolaid
Saint-Nicolas est un peu une version hipster du Père Noël. Bon, en réalité, il en est plutôt la version préliminaire, mais qu'importe ?
Loin du bonhomme rougeaud et bedonnant, Nico ressemble plutôt à Gandalf. Outre le fait qu'il s'attire la sympathie de créatures qui font la moitié de sa taille (les enfants, pour ceux qui ne suivraient pas), Saint-Nicolas possède la plupart des attributs du grand mage blanc de Tolkien : un âge avancé, une longue barbe, une robe blanche, une crosse et... une paire de Nike ! Par contre oubliez le grand cheval immaculé, Saint-Nicolas se déplace sur une mule. Tant pis pour la frime.
J'ignore ce qu'il en est pour le reste du pays, mais le 6 Décembre est un jour de fête dans l'est de la France. Le saint patron des écoliers se déplace dans les écoles maternelles où des spectacles sont organisés par chaque classe devant le saint personnage qui trône au fond de la salle de jeu (donc pour les Nike, c'est véridique : je les ai vues de mes propres yeux).
Et à la différence des chansons de Noël qui dégoulinent de niaiseries, celle de Saint-Nicolas raconte une histoire ancrée dans les réalités du petit peuple, une histoire avec un meurtre et un miracle, comme dans les vrais contes de fées. C'est pourquoi je ferai une exception sur la song-fic d'aujourd'hui pour faire profiter un peu du patrimoine culturel.

Désolé, pas de lien Youtube.



Cette histoire a été mise en chanson il y a presque deux siècles par un musicien de Charbourg. Tous les écoliers de Sinnoh l'apprennent dès leur plus jeune âge et la connaissent par cœur.

Il était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs


Pauvres et orphelins, Fadet, Follet et Helf subsistaient difficilement en mendiant sur les routes ou en réalisant de menus travaux.
En automne, ils fouillaient les champs moissonnés à la recherche des grains oubliés au sol, comme l'autorisait la coutume locale. Bien d'autres miséreux au dos cassé inspectaient la terre pour y trouver leur pitance. Il leur était pourtant bien difficile, en ce début de Décembre, de découvrir encore quelques germes non ramassés.
Les trois garnements, bien que chétifs, s'accrochaient à la vie avec vigueur. De leurs petites mains sales, ils grattaient la terre recouverte de givre durant des heures pour un maigre butin. Au moins ne souffraient-ils plus de la concurrence des Pokémon ; ceux qui n'avaient pas migré vers Hoenn commençaient à hiberner. Seuls quelques Crikzik hagards vagabondaient encore dans les champs.
Lorsque le soleil passa l'horizon, les enfants n'avaient même pas de quoi faire taire leurs estomacs pour la nuit. Alors qu'ils s'en allaient en quête d'un endroit sec où dormir, Fadet indiqua à ses comparses une lueur qui éclairait le champ voisin. Elle filtrait à travers les fenêtres crasseuses d'une bâtisse assez basse, masquée par l'obscurité.
D'un pas incertain, les trois gamins couverts de boue traversèrent le champ vide jusqu'à la demeure et frappèrent à l'épaisse porte de bois.

S'en vont au soir chez un boucher
« Boucher, voudrais-tu nous loger ? »


Car il s'agissait de la maison d'un personnage patibulaire aux manches tachées de sang que les trois enfants reconnurent comme un boucher. Il portait un tablier noir qui dégageait une forte odeur de carcasse, mais pour le reste on décelait chez lui les marques d'une certaine opulence. Il devait être riche, lui qui vendait de si belles pièces de viandes aux marchands de passage, il avait bien de quoi les accueillir pour une nuit, se dirent les enfants.
L'homme fronça ses épais sourcils qui se rejoignaient quasiment au-dessus de son gros nez reniflant. Sa face cramoisie et luisante contrastait avec le teint malade des trois pauvres gamins. Il les inspecta de la tête au pied d'un œil sévère, puis se radoucit brusquement.

 « Entrez, entrez, petits enfants,
Il y a de la place assurément, »


Il s'écarta de la porte et invita les trois enfants à pénétrer dans sa maison d'un geste ample du bras. Les marmots n'hésitèrent qu'un instant ; ils quittèrent le froid mordant des nuits de Décembre pour l'agréable chaleur de la demeure du boucher.
Le fumet d'un potage de baies Maron qui chauffait dans une marmite emplissait les lieux de son agréable parfum et promettait un repas copieux. Les garnements plaquèrent leurs bras osseux contre leurs ventres pour en masquer les grognements. Quelle chance pour eux d'être ainsi invités à la table du boucher !
Celui-ci claqua violemment la porte derrière eux. Les enfants sursautèrent de surprise, mais non de peur. Trop purs pour déceler la noirceur d'âme de leur hôte, ils ne comprirent que trop tard son funeste dessein.

Ils n'étaient pas sitôt entrés,
Que le boucher les a tués


Le sinistre personnage saisit son couteau et, d'un geste impitoyable, trancha la gorge de Fadet. L'innocente victime suffoqua un instant, le cou en sang, avant de s'effondrer bruyamment contre le sol. Follet voulut hurler, mais le boucher se rua sur lui, coinçant le visage de l'enfant apeuré dans le creux de son bras, pour étouffer sa voix. Le gamin tenta quand même de se débattre, mais ses petits coups faiblards n’inquiétèrent pas la masse imposante de son bourreau.
Bien que ralenti par ce fardeau, le boucher parvint quand même à rattraper Helf qui fuyait à travers la demeure sur ses jambes squelettiques. Arrivé à sa hauteur, l'adulte le bouscula de tout son poids vers l'entrée de la cave. Helf dégringola les marches de pierre en pleurant et se fendit le crâne contre la dernière.
Dans les bras du boucher, Follet rendit son dernier soupir, le cou rompu. L'homme déposa les trois corps sans vie sur son épaule pour les transporter vers l'établi où il travaillait la viande.

Les a coupés en petits morceaux,
Mis au saloir comme pourceaux


Ainsi, parmi les carcasses de Groret, de Tiboudet, de Grotichon et d'Ecremeuh, se trouvaient les restes de trois bambins que personne ne revit plus. Mais qui s'en inquiétait ? Ce n'était que des orphelins miséreux, comme il en existait tant partout ailleurs, vagabondant sur les routes à la recherche de quelque nourriture, et qui disparaissaient parfois, fauchés dans leur jeunesse.


Les années passèrent, sèches en été, froides en hiver, rudes le reste du temps. Le meurtre des trois enfants, impuni, ne troublaient guère le sommeil du boucher, dont les affaires florissaient. Il lui arrivait parfois de passer devant le saloir en se demandant quelle viande s'y trouvait, avant que le souvenir fugace de son crime odieux ne se ravive.
L'homme ne se doutait pas un instant que, depuis son île d'éther située dans le néant, Arceus avait tout vu ce soir-là. Malgré le passage du temps, le Pokémon Alpha n'oubliait pas ce sacrilège et, un jour, il décida d'envoyer un de ses bons amis rendre visite à l'assassin.

Saint Cresselia* au bout d'sept ans,
Saint Cresselia* vint dans ce champ


En ce temps-là, Saint Cresselia était connu comme un respectable personnage, capable de prodiges et de miracles. Il voyageait de contrées en contrées, aidant son prochain, qu'il soit riche ou pauvre, vieux ou jeune, humain ou Pokémon.
D'ailleurs, personne n'aurait su dire si cet illustre individu appartenait au genre ou humain ou non. Son apparence variait souvent, humain ou Pokémon, sans qu'on ne puisse pour autant le confondre avec un autre. On le reconnaissait à sa tiare dorée, formée de croissants de lune, à son manteau azuré et à l'apaisante aura violette qui l'entourait.
Par tradition, on parlait de ce saint comme d'un homme, mais, même sous forme humaine, il demeurait impossible de distinguer son genre. Rien dans ses traits, son allure ou sa voix ne permettait de trancher la question. Pour visiter le boucher, il prit l'apparence d'un noble vieillard appuyé sur son bâton et se fit pousser une longue barbe blanche qui scintillait.
Saint Cresselia traversa les champs en flottant au-dessus du sol, car personne n'avait jamais vu cet illustre individu poser le pied à terre. Deux Crikzik le regardèrent passer avec un respectueux silence, oubliant un instant le froid glacial du début de l'hiver.

Il s'en alla chez le boucher :
« Boucher, voudrais-tu me loger ? »


Saint Cresselia avait choisi les mêmes mots que les trois enfants, sept ans plus tôt, espérant raviver ce déplaisant souvenir au méchant homme taché de sang, qui se frottait les mains contre son tablier. Personne n'était venu demander le gîte au boucher depuis cette nuit-là. Mais si les mots du saint personnage le troublèrent, il ne le montra pas.
Au contraire, il fit une timide révérence, rendue grotesque par sa silhouette difforme et ses manières grossières. L'homme pensait à la renommée de son établissement quand on saurait que le grand Saint Cresselia avait dîné chez lui et apprécié les viandes servies à table. Il se racla la gorge afin d'en faire jaillir la voix la plus mielleuse qu'il put :

« Entrez, entrez, saint Cresselia*,
Il y a d'la place, il n'en manque pas »
Il n'était pas sitôt entré,
Qu'il a demandé à souper


Le boucher esquissa un sourire ravi, sans dévoiler sa dentition jaunâtre. Son illustre invité allait goûter ses meilleures pièces de viande et en faire l'éloge dans tout le pays. Ses affaires se portaient assez bien, mais le boucher espérait voir son magot croître davantage.
Il installa Saint Cresselia à sa table, lui offrant même son fauteuil. Il en allait de sa réputation. L'homme servit un bol de potage bien chaud à son convive, la même recette dont les effluves firent grogner l'estomac des trois enfants, sept ans plus tôt.
Il accompagna ce premier plat d'un vin de baie Prine de Johto pour mettre son invité en appétit. Et quand le saint demanda à ce qu'on lui serve de la viande, le boucher détailla tout son stock.

« Voulez-vous un morceau d'jambon ?
- Je n'en veux pas, il n'est pas bon.
-Voulez-vous un morceau de Tauros* ?
- Je n'en veux pas, il n'est pas beau ! »


L'attitude de Saint Cresselia ne plut guère à son hôte. De quel droit se permettait-il de venir chez lui et de critiquer ses produits ? Le boucher sentit la colère qui bouillonnait en lui à chaque refus de son respectable invité.
Quand finalement il ne put contenir son courroux, son poing s'écrasa avec violence sur la table, renversant vin et potage. Le boucher abandonna ses bonnes manières et sa voix doucereuse pour des beuglements vulgaires. Il hurla au visage du saint que si rien ne satisfaisait ses exigences, il n'avait qu'à quitter sa demeure.
Saint Cresselia ne répondit rien, mais plongea son regard pénétrant dans les yeux noirs du boucher jusqu'aux tréfonds de son âme. Alors, d'une voix calme, il fit trembler d'horreur son hôte grossier.

« Du p'tit salé je veux avoir
Qu'il y a sept ans qu'est dans l'saloir »
Quand le boucher entendit cela,
Hors de sa porte il s'enfuya


Le visage du tueur passa du rouge violacé au blanc cadavérique tandis qu'il fuyait sa demeure en courant. Emporté par son élan, il glissa plusieurs fois dans le champ recouvert de givre, sous les regards effrayés des Crikzik. Tandis qu'il se redressait sur ses lourdes jambes en soufflant bruyamment, Saint Cresselia passa la tête hors de la demeure et cria à son attention :

« Boucher, boucher, ne t'enfuis pas,
Repens-toi, Arceus* te pardonn'ra. »


Mais le vil bonhomme, pétri d'effroi, ne l'entendit pas. Il poursuivait sa fuite à en perdre haleine. À en perdre ses jambes également. Le boucher réalisa bientôt que ses pieds ne foulaient plus le sol. Il flottait dans les airs, amputé de ses membres inférieurs.
L'homme hurla de peur. Ce fut non un cri d'homme qui sortit de sa bouche, mais un souffle rauque d'outre-tombe. Horrifié, il se prit la tête entre ses mains noires et s'étonna de leur couleur. Il regarda longuement ses énormes paluches à trois doigts – lui qui n'en avait pourtant perdu qu'un seul au cours de son apprentissage du métier. Son corps, rendu grotesque par un mauvais sort, ressemblait à présent à un spectre sombre coiffé d'une longue mèche blanche qui rappelait la barbe brillante de Saint Cresselia.
Châtié pour son crime, le boucher avait été transformé en un Pokémon terrifiant, qui deviendrait bientôt le Père Fouettard, cet être maudit accompagnant Saint Cresselia qui punit les vilains enfants par de mauvais rêve. Plus tard encore, on l'appellerait Darkrai.

Dans la demeure du boucher, Saint Cresselia descendit à la cave où séchaient les restes des trois petits enfants. Pour réparer le crime odieux, il lui fallait à présent faire revenir les victimes à la vie. Toutefois, aussi sage fut-il, l'illustre vieillard ne pouvait les ramener sous leur forme originelle.

Saint Cresselia* posa trois doigts
Dessus le bord de ce saloir


Il s'entailla le bout des doigts d'où perlèrent trois gouttes de sang, pleines de son incroyable vitalité. Le sang se changea en trois magnifiques joyaux qui vinrent orner le front des trois enfants, renaissant sous la forme de Pokémon. Ils gardèrent néanmoins leurs traits infantiles, ainsi que leur pureté d'âme.
Petites créatures chétives et pâles, Fadet, Follet et Helf flottaient au-dessus du saloir, paisiblement endormis. Leurs joues se colorèrent légèrement tandis qu'ils s'éveillaient, sans souvenir de leur mort terrible, ni de leur résurrection.

Le premier dit : « J'ai bien dormi ! »
Le second dit : « Et moi aussi ! »
Et le troisième répondit :
« Je croyais être en paradis ! »


Sur ces mots, ils quittèrent la demeure du boucher en riant, s'envolant vers les cieux gris de Sinnoh, vagabondant comme dans leur vie passée. Saint Cresselia les salua d'un geste de la main puis reprit la route sous les traits d'une belle demoiselle ou d'un robuste Pokémon, personne ne le saura jamais.
Il s'en alla vers le nord, où l'attendaient d'autres victimes et d'autres miracles.



* Les mots "Cresselia", "Tauros" et "Arceus" remplacent respectivement "Nicolas", "veau" et "Dieu". Désolé, j'ai triché.


[D'après la complainte de Saint-Nicolas recueillie par Gérard de Nerval (1842) – vu sur le site Lexilogos]