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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 03/12/2017 à 22:52
» Dernière mise à jour le 08/12/2017 à 08:56

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 32 : Une journée de Magus.
 Cela faisait désormais trois jours qu’Asda était arrivée à Aifos. Grâce à son naturel bienveillant, elle avait rapidement su se faire accepter par tout le monde – mis à part Tza. Chaque jour, elle continuait diligemment ses patrouilles à la recherche des supposés ennemis du Vasilias ; et chaque soir, elle partageait des moments conviviaux avec les habitants du manoir.
Toutefois, quelque chose clochait. Une chose qui perturbait fortement Asda, qui ne pouvait s’empêcher de se penser responsable.

— Eily est toujours dans sa chambre ? demanda-t-elle.
— Toujours, répliqua neutralement Fario.

Les ailes d’Asda s’abaissèrent. C’était exact ; cela faisait deux jours qu’Eily refusait purement et simplement de sortir de sa chambre, sans que personne n’en sache réellement la raison. Asda était troublée. L’ ‘‘enfermement volontaire’’ d’Eily n’avait commencé que peu après son arrivée, et, au fond, Asda se disait qu’il y avait certainement un lien.

— J’ai peut-être dit une chose qu’il ne fallait pas ? Je lui ai parlé de son orphelinat, peut-être que cela lui fait remonter de trop douloureux souvenirs…
— Je ne pense pas. Elle semblait avoir réussi à surmonter cette épreuve. Non, je pense qu’il y a autre chose, une chose que nous ignorons encore.
— … mmh…
— Mais je pense qu’il faut donner le temps au temps. Eily finira bien par sortir à un moment ou un autre.

Fario avait du mal à se montrer rassurant, avec son expression constamment figé dans le neutre. Cependant, Asda décida de le croire pour l’instant, faute de mieux. Aucun d’entre eux ne savait réellement ce qui était arrivé à Eily, et chacun s’inquiétait. Seule preuve que la demoiselle cyan était encore vivante : chaque midi et soir, Ifios déposait son repas devant sa porte, et quelques heures après, l’assiette était vide. Au moins, elle ne mourrait pas de faim.
Cependant, comme l’avait dit Fario, il fallait laisser le temps au temps. Brusquer Eily n’était certainement pas une bonne idée, du moins, c’était ce que le Magus pensait.

Le reste de la soirée se passa étonnamment dans le calme. D’ordinaire, elle était extrêmement animée par les beuveries d’Evenis et de Sidon, mais depuis peu, le duo d’ivrognes s’était calmé – ce qui n’était pas pour déplaire à Ifios.
Une fois le repas conclut, Fario se réfugia dans sa chambre, non sans lancer un regard à celle d’Eily en passant. Il passa encore de longues heures à lire des documents confidentiels de la Tour d’Ivoire. Techniquement, Fario n’était pas autorisé à rapporter son travail chez lui, c’était même passible d’une lourde peine d’emprisonnement. Toutefois, malgré sa continuelle expression neutre, Fario avait toujours été un original. Sa devise était : « Les règles ? Qu’est-ce que c’est ? Ça se mange ? ».

Ses études actuellement portaient plus précisément sur les Pokémon de l’Ancien Monde. En tant que Magus, Fario s’était toujours senti proche d’eux. Et parmi tous les Pokémon, il y avait une espèce qui l’intéressait plus particulièrement : les Libégon.
Suite à ses nombreux travaux, Fario avait conclu que ses pouvoirs de Magus correspondaient à ceux du célèbre dragon du désert. Il pouvait contrôler l’élément terrestre, il pouvait léviter, il pouvait déployer une étrange aura draconique, et il disposait même de deux ‘‘antennes’’ vertes ! Tout correspondait. Toutefois, Fario n’avait bien évidemment jamais pu confirmer son hypothèse, étant donné qu’il n’existait plus de Libégon dans ce monde.

À force d’étude, Fario connaissait toutes les caractéristiques des Libégon sur le bout des doigts, et bien sûr, il se servait de ses connaissances pour améliorer ses pouvoirs. Il avait atteint un tel niveau qu’il pouvait, s’il le voulait, provoquer un puissant séisme capable de dévaster une ville. L’érudit aimait se penser comme étant l’un des plus puissants Magus au monde. Il n’avait cependant pas l’âme guerrière, il préférait bien plus user de ses pouvoirs pour s’amuser ; la destruction ne l’intéressait pas, et heureusement. S’il déchaînait toute sa force, il pourrait très facilement devenir le pire ennemi de tout Prasin’da…


 ***

 Le lendemain, Fario se dirigeait tout naturellement vers la Tour d’Ivoire, là où il était censé travailler. S’il devait être tout à fait honnête, il commençait très sérieusement à s’ennuyer, là-bas. Non seulement il avait lu tout ce qui l’y intéressait mais en plus, l’ambiance excessivement studieuse le désespérait. Avant, il la supportait, mais depuis qu’il avait commencé à côtoyer l’ambiance jovial du manoir, c’était de plus en plus difficile.
Une fois arrivé au pied de la Tour, la voix de l’érudit s’échappa d’elle-même :

— Et si je séchais ?

En tant que Magus, Fario était on ne pouvait plus surveillé. S’il était absent, sans justification, cela se remarquerait tout de suite. Toutefois, Fario n’en avait que faire des règles. De plus, avec un peu de chance, Omilio accepterait de le couvrir pour la journée.
Et ce fut avec ces idées en tête que Fario fit neutrement demi-tour.

Maintenant, il lui restait qu’à trouver quelque chose à faire. Mine de rien, ce n’était pas si simple. D’ordinaire, il passerait du temps avec sa femme, mais cette dernière était actuellement en voyage dans une autre région. Et inutile de retourner au manoir, il devait être vide à l’heure qu’il était – si l’on exceptait Eily.

« Dans ce cas, je n’ai plus qu’à voguer aux quatre vents. »

Ironiquement, l’érudit n’avait que peu de connaissance sur la vie citadine. Il passait le plus clair de son temps en intérieur, exclu du monde social. De plus, son statut de Magus lui conférait une protection et aide constante de la part du gouvernement. Il n’avait jamais eu à ni se bouger pour trouver un travail, ni à régler des documents administratifs, et encore moins à se fondre dans la plèbe afin de faire ses courses. Il n’avait qu’à demander, et Omilio faisait son possible pour lui fournir ce dont il voulait. L’idée étant de tout faire pour mettre Fario à l’abri du besoin tout en achetant son amitié, histoire d’éviter qu’il ne décide d’user de ses pouvoirs à mauvais escient.

— Oh.

Lorsque Fario pénétra dans une nouvelle rue, il s’arrêta, surpris. Ici, contrairement au reste du quartier commercial, la rue était parfaitement dégagée. Tous les passants avaient décidé de s’agglutiner sur les côtés, et pas un n’avait l’idée de rompre les rangs. Fario se frotta le menton, cherchant à comprendre l’origine de ce phénomène. Et l’explication ne prit pas longtemps à se faire voir. Petit à petit, marchant au centre de la rue, la forme ailée d’Asda apparut. Dans l’esprit de l’érudit, tout devint clair ; si les gens s’écartaient autant, c’était pour laisser passer la Foréa Impériale.

Sans réfléchir, Fario sauta sur l’occasion. Lui qui aimait sortir de l’ordinaire, il était servi. Il courut vers la Foréa Impériale, sous le regard choqué des passants. D’ailleurs, ces derniers manquèrent presque la crise cardiaque lorsque l’érudit à la chevelure verte osa un très neutre :

— Rebonjour Asda. Tu es en patrouille ?

La Foréa fixa un moment Fario, s’étonnant de sa présence ici. Toutefois, ne voulant paraître malpolie, elle répliqua diligemment :

— Rebonjour, Fario. Oui, je suis toujours à la recherche d’éventuels comploteurs.
— Et vous êtes seule ? Je pensais que vous patrouilleriez avec des gardes.

Asda soupira :

— C’était ce que je faisais au début mais… j’ai sous-estimé ma réputation. Lorsqu’ils étaient avec moi, les soldats dépensaient plus d’énergie à bien se faire voir plutôt qu’à travailler. J’ai donc préféré les envoyer patrouiller indépendamment à travers Aifos.
— C’est compréhensible. Sinon, excusez-moi de vous demander cela, mais m’autorisez-vous à vous accompagner ? J’ai beaucoup de temps libre, et je me demandais justement comment le dépenser. J’ai le sentiment suivre votre quotidien sera très amus… intéressant.

Asda leva un sourcil, perplexe :

— Je n’ai aucune raison de refuser, tant que vous ne me mettez pas de bâton dans les roues. Cependant, je crains de ne pas être à la hauteur de vos attentes. Une patrouille banale est très loin d’être intéressante.
— Ne vous en inquiétez pas, assura neutrement Fario.

Et ainsi, le duo Asda / Fario se forma, prêt à vivre d’incroyables aventures ! – ou presque. Fario ne se lassait jamais d’observer la réaction du petit peuple au passage d’Asda. C’était si exagéré que ça semblait irréel, on aurait dit des miséreux devant un divin messie. Mais ce qui l’amusait le plus, c’était sans doute Asda elle-même. Cette dernière faisait bonne figure, mais il était clair qu’elle n’était pas à l’aise devant tant d’adoration ; ces ailes fébriles en témoignaient. Le Magus aux cheveux verts décida d’engager la conversation sur ce sujet :

— Le peuple vous aime, assurément.
— Et j’en suis ravie, répliqua Asda.

Elle détourna cependant les yeux :

— … si seulement il pouvait être un peu plus modéré.
— Vous n’aimez pas être au centre des projecteurs ?
— Pas spécialement. Surtout lorsque je mène une mission. Je ne suis pas censée le dire, mais toute cette attention est un obstacle à mon travail.
— Vous avez de la chance qu’ils sont trop occupé à vous admirer pour épier notre discussion. S’ils vous entendaient, vos adorateurs ne s’en remettraient pas.
— Et c’est bien là le problème. J’aimerais qu’ils cessent leur manège, mais je ne peux pas le leur dire clairement. Ce serait bien trop cruel.

Fario hocha neutrement la tête :

— Donc, vous êtes partagée entre votre bienveillance et votre devoir.
— C’est une façon de résumer, mais c’est un peu plus complexe. Être bienveillante est aussi l’un de mes devoirs, en tant que représentante du Vasilias.

Fario n’ajouta rien, méditant sur ses dernières paroles. Asda continua sa patrouille, bien qu’elle passait bien plus de temps à sourire à ses admirateurs qu’à véritablement travailler. En la voyant faire, Fario comprit immédiatement pourquoi l’enquête de la Foréa Impériale était au point mort depuis plusieurs jours.

« Elle n’est pas très efficiente », conclut-il neutrement.

Pendant de longues minutes, la patrouille se poursuivit sans grand bouleversement. Le duo se baladait à travers les rues, à la recherche d’indices. Parfois, Asda allait questionner des passants, mais ces derniers étaient si extatiques à l’idée de parler directement à la Foréa Impériale qu’ils restaient sans voix. Fario se délectait discrètement de l’expression troublée d’Asda, lorsqu’elle tentait désespérément de discuter avec un de ses admirateurs.

« Une chose est certaine, elle fait des efforts », se moqua-t-il neutrement.

Toutefois, quelque chose brisa soudainement la monotonie de la patrouille. Non loin de là, Asda repéra un garçonnet qui pleurait à chaudes larmes. Ni une ni deux, elle se précipita ; elle était partie si vite qu’elle était déjà accroupit devant l’enfant lorsque Fario se rendit compte des évènements.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Asda au garçonnet.

Pour le meilleur ou pour le pire, le jeune enfant était bien trop triste pour se rendre compte de l’identité de son interlocutrice. Alors, sans imaginer une seconde qu’il parlait à la très – trop – célèbre Asda, il laissa s’échapper un cri larmoyant :

— Ouiiinn ! C-C’est mon chat ! Il s’est enfuiii !
— Ton chat… ? répéta Asda à voix basse.
— Ouiii ! Il est partiii ! Je ne le retrouve pluuus !
— Un animal perdu ? s’immisça Fario. C’est une affaire relativement courante, dans une ville aussi grande.

Asda resta un long moment devant l’enfant pleurant, troublée. Elle tentait désespérément de trouver des mots pour faire sécher ses larmes, mais rien ne sortait de sa bouche.

— Asda ? demanda neutrement Fario. Ne devrions-nous pas nous remettre en route ?
— … oui… mais…

Elle avait beau dire, Asda ne pouvait pas détacher ses yeux du l’implorant garçonnet. Voir un enfant aussi triste lui fendait le cœur. Comment pouvait-elle partir et l’abandonner ? Au fur et à mesure que la volonté d’Asda flanchait, l’enfant continuait inlassablement de hurler son attendrissant chagrin. Asda se mordit les lèvres, secoua la tête, battit vigoureusement des ailes, puis hocha la tête, déterminée. Elle se releva et se tourna vers Fario :

— Non, attendez un instant. Les animaux sont connus pour avoir un instinct sur-développé, à l’image des Ensar.
— Effectivement, déclara Fario. Il me semble avoir lu une étude allant dans ce sens.
— Vous voyez ? continua Asda. Voilà ce que j’en conclue. Le chat de cet enfant ne s’est pas enfui pas hasard. Il a certainement dû sentir quelque chose de louche et a décidé de partir à sa poursuite.
— Asda ? l’interrogea neutrement Fario.

Cette dernière poursuivit, sans prendre en compte l’interrogation de son interlocuteur :

— Or, en tant que Foréa, je me dois d’enquêter chaque chose suspecte. Et, comme ce chat est sans doute lui-même sur la trace d’un élément suspect, partir à la recherche de ce chat rentre parfaitement dans mes attributions impériales.
— Je distingue une légère exagération, répliqua Fario. Ce chat s’est plutôt naturellement perdu dans…
— Non, le coupa Asda. Il a flairé quelque chose de louche et a décidé de le poursuivre. Il est naturel que je parte à sa recherche.
— Pourtant…
— Il est naturel que je parte à sa recherche, répéta Asda.
— …

Intérieurement, Fario était très impressionné. La façon dont Asda persévérait dans sa pseudo-logique, tout en gardant une expression très professionnelle, était si sublime qu’elle en devenait grotesque.

— Je comprends, acquiesça neutrement Fario. On y peut rien alors, c’est votre travail.
— Tout à fait, je ne fais qu’exercer de mon mieux ma charge de Foréa.
— Et je n’en doute pas une seconde.

Satisfaite, Asda laissa ses ailes exprimer sa joie et elle se retourna vers l’enfant.

— Ne t’inquiète plus petit, je vais retrouver ton chat.

Entendant ses paroles, le garçonnet releva sa petite tête encore humide :

— … vraiment ? fit-il de sa toute petite voix.
— Je ne reviens jamais sur mes promesses. Dis-moi, à quoi ressemble-t-il ?
— C’est mon chat… il est tout noir… avec une tache blanche sur la tête…
— Noir avec une tache blanche sur la tête, répéta Asda. Compris, tu peux compter sur moi, on va le retrouver, je te le promets. Fario, dépêchons-nous de nous remettre en marche.

Le Magus aux cheveux verts acquiesça neutrement et prit la suite d’Asda, désormais étrangement déterminée. Fario devait avouer s’être trompé sur le compte de la Foréa Impériale. Au début, lorsqu’on lui parlait d’Asda, la fameuse première Foréa, bras droit du Vasilias en personne, il s’imaginait une personne abusivement austère, ayant un esprit très fermé. Cependant, depuis qu’il côtoyait la Foréa en personne, cette glaciale image s’était totalement brisée. Bien qu’elle faisait de son mieux pour paraître le plus professionnel possible, Asda n’hésitait pas à faire des entorses à ses devoirs impériaux si ses valeurs personnelles étaient en jeu.

À force de chercher l’animal, Asda avait complètement dévié de son secteur, se trouvant dorénavant dans une sombre ruelle. Fario, neutrement magnanime, se retint toutefois d’en dire mot. La Foréa Impérial était si concentrée à sa tâche qu’elle ne remarqua pas l’homme un peu perdu qui venait d’entrer dans la ruelle en courant ; le choc fut inévitable. Et brutal. Bien qu’elle avait une apparence relativement humaine, Asda restait une Foréa Impériale spécialisée dans la Roche et l’Acier, son corps était aussi – sinon plus – robuste que ses deux éléments. Se cogner à Asda revenait donc à s’écraser sur une massive muraille…

L’impact projeta le pauvre homme au sol. Ce dernier couvrit douloureusement son nez écarlate, qui s’était vainement – mais aussi courageusement – sacrifié pour amortir le choc. Lorsqu’Asda se rendit compte de ce qu’elle avait fait, son visage professionnel fondit instantanément. En une seconde, la panique l’envahit. Ses yeux s’écarquillèrent atrocement, tandis que ses pupilles se brouillèrent en spirales. D’abord sans voix, elle multiplia les onomatopées choquées, accompagnés de brusques gestes saccadés. Et, enfin, lorsque sa voix revint, son cri explosa :

— AAAH !! J-Je suis désolée ! J-Je ne l’ai pas fait exprès ! AAAH !! J-J’ai blessé un citoyen ! L’une des âmes de Prasin’da ! J’ai meurtri ma patrie ! Moi, une Foréa Impériale ! J-Je suis une disgrâce pour le Vasilias ! C-Comment puis-je me faire pardonner ?! … n-non, ce que j’ai fait est bien trop grave, je ne mérite aucune miséricorde ! Même la mort ne saurait laver mon péché mortel ! Il ne me reste plus qu’une solution… partir en exil dans une contrée lointaine et ne jamais revenir !

Voyant qu’Asda avait déployé ses ailes, prête à fuser dans sa contrée lointaine, Fario décida d’agir et l’attrapa fermement le bras :

— Du calme, déclara-t-il. Ce n’était qu’un accident. Et le Vasilias ne t’a-t-il pas confié une mission ? Si tu pars maintenant, tu trahiras sa confiance.
— … Oh ! J-Je n’y avais pas pensé… c-c’est vrai, je ne peux pas m’exiler, pas tout de suite en tout cas…

Pendant ce petit intermède, le pauvre homme au nez cassé eut le temps de se relever, et d’intégrer la situation.

— V-Vous êtes bien Asda, la Foréa Impériale ? s’immisça-t-il.
— Oui ! s’exclama cette dernière.
— J-Je ne risque pas la prison à vie pour vous avoir foncé dessus, hein ? geignit l’homme.
— N-Non ! Absolument pas ! T-Tout est de ma faute plutôt, j’aurais dû faire plus attention…
— Ce n’est pas de votre faute ! Je ne suis qu’un misérable individu comparé à votre grandeur !
— M-Mais non, vous n’avez rien à vous reprocher ! Je vous ai même blessé…

À l’arrière, Fario comprit que cette ‘‘conversation’’ pouvait durer jusqu’au lendemain s’il n’intervenait pas.

— Ce n’est que la faute au hasard, s’avança-t-il neutrement.
— …, cogita Asda.
— …oui…, souffla l’homme.

L’homme soupira ensuite longuement, une expression peinée inscrite sur son visage :

— Décidément, je n’ai pas de chance, d’abord ce fichu oiseau, et maintenant, j’embarrasse une Foréa…

La plainte ne fut pas perdue dans l’atmosphère. Dès qu’elle parvint aux oreilles d’Asda, cette dernière bondit presque : elle tenait là un moyen de se rattraper !

— Il vous arrive est arrivé quelque chose ? demanda-t-elle.
— … je n’ai pas envie de vous embêter avec ça…
— Au contraire, cela m’embêterait de ne pas le savoir. Allez-y, racontez-moi tout. Je suis là pour vous aider. N’hésitez pas. Je suis tout ouïe. Il n’y a aucun problème. Vous pouvez me faire confian…
— Je crois qu’il a comprit, la coupa Fario.

Le pauvre homme n’avait désormais plus le choix. Asda s’était montré si insistante qu’il avait l’impression de risquer la peine de mort s’il n’avouait pas tout dans la seconde. Alors, il baissa la tête :

— En fait… aujourd’hui devait être l’un des plus beaux de ma vie. J’avais prévu de demander la femme de ma vie en mariage. Et je voulais bien sûr le faire en bonne et due forme ! Comme vous le savez, le plus important dans une demande, c’est la bague. À force d’efforts, j’en ai finalement trouvé une à la hauteur de mon amour. Un véritable bijou, magnifique, en or massif, incrusté de diamants et de poussières d’étoiles ! – du moins, selon le vendeur.

L’homme soupira :

— Bien sûr, une telle merveille n’est pas gratuite. Pas moins de 19 999 Vasils, une affaire – du moins, selon le vendeur. J’ai dû travailler sans relâche, multipliant les boulots pendant des mois, et grignoter dans mes économies pour pouvoir me payer ce trésor… mais j’y suis arrivé. Pas plus tard que ce matin, je l’avais dans ma main… je me vois encore, l’observant, les larmes aux yeux, l’esprit uniquement possédé par l’image de mon amour…

Brusquement, l’homme serra les poings, fixant rageusement le ciel :

— Et c’est à ce moment-là que ce monstre est apparu ! Cette fichue pie sortie de nulle part ! Gnnh ! Et devinez ce qu’elle a fait ? Hé oui ! Elle m’a arraché ma bague des mains ! Cette petite vicieuse ! Je vous jure, si je la retrouve, je l’étripe et je nourris ses petits de ses entrailles !
— Et depuis vous êtes à sa recherche ? demanda Fario.
— … oui, se crispa le pauvre homme. Je sais que c’est inutile mais… cette bague… j’ai tellement sué pour l’avoir… elle est la concrétisation de ma volonté… et puis… 19 999 Vasils, merde ! En plus, ma chère et tendre est une fille de bonne famille, jamais ses parents ne m’accepteront si je ne lui donne pas une bague de son milieu…

Asda, elle, ne perdit pas une seconde :

— J’en fais mon affaire. Cette pie à forcément un nid dans la ville, si je le retrouve, tout sera réglé.
— V-Vraiment ?! bondit l’homme.
— Je ne reviens jamais sur mes promesses. Vous l’aurez avant ce soir.

Intrigué, Fario tapota l’épaule de la Foréa :

— Si je peux me permettre, vous avez déjà fait une promesse tout-à-l’heure. Et vous êtes toujours en patrouille.
— … oui… mais…

D’un coup, Asda se mordit les lèvres et secoua la tête, comme si elle était en proie à un dilemme intérieur. Fario reconnaissait très bien cet étrange comportement, c’était le même qu’elle avait manifesté avec le garçonnet. Ainsi, lorsque la Foréa Impériale reprit la parole, le Magus ne fut guère étonné d’entendre :

— Non, c’est dans mes attributions de Foréa Impériale. Je ne peux y échapper.
— Oh.
— Et j’ai de très bonnes raisons, poursuivit Asda.
— Je serais ravi de les connaître, répliqua neutrement Fario.

Asda se raffermit :

— Premièrement, le vol est interdit à Prasin’da. Les voleurs doivent être punis, même si ce sont des animaux. Dans la même logique, les victimes doivent être secourus. Cet homme a fait d’incroyables efforts pour réaliser ses rêves, je ne peux pas le laisser tomber ainsi.
— Je vois.
— Deuxièmement, cette bague est la clé pour l’union d’un couple. Qui dit couple dit enfants. Qui dit enfants dit renouvellement de la population. Et le renouvellement de la population est indispensable pour la santé d’un pays. Donc, par pure logique, en retrouvant cette bague, je contribue à la pérennité de Prasin’da.
— La logique est en effet implacable.
— Vous voyez ? Refuser mon aide serait un affront à tout Prasin’da. Je n’ai pas le choix.
— Bien évidemment.

Sur ce, Asda récupéra les coordonnées de la victime du vol et, après l’avoir adressé un hochement de tête confiant, elle reprit sa route. Fario la suivit, impressionné par la dévotion de la Foréa :

« C’est l’une des plus grandes figures de Prasin’da. Elle pourrait ignorer ou déléguer les tâches ingrates mais non, elle n’hésite pas à s’en occuper elle-même. »

Désormais à la recherche d’un chat et d’un oiseau, Asda redoublait d’efforts. Elle farfouillait maintenant au quartier résidentiel, là où le flux de citoyen était bien plus faible qu’au quartier commercial. L’idée était que des animaux fuyards iraient d’instinct s’installer dans un lieu moins fréquenté. Mais alors qu’elle était déjà débordée, un soupir dépité arriva à ses oreilles. Fidèle à elle-même, la Foréa Impériale s’empressa d’aller à la source du souffle. Elle y découvrit une jeune femme portant un couvre-chef vert, plongée dans ses pensés.

« Elle va encore l’aider ? » se demanda Fario tout en sachant très bien la réponse.

— Vous avez un problème ? lança Asda.
— … ?

La jeune femme releva la tête, surprise. Elle le fut encore plus lorsqu’elle identifia son interlocutrice. Pour éviter davantage de complication, Asda expliqua rapidement qu’elle voguait à travers Aifos dans le but d’aider les citoyens en détresse. Une légère déformation de la vérité que Fario ne releva pas.
Une fois rassurée, la jeune femme se mordit la joue :

— V-vous me demandez mon problème mais… je ne sais pas si je peux vous déranger avec ça…
— Ne soyez pas intimidée. En tant que citoyenne de Prasin’da, vos soucis sont les miens.
— Si vous insistez…

La jeune femme sourit maladroitement, se grattant la tête :

— Hé bien en fait, il se trouve que je suis apprentie apothicaire. J’ai récemment intégré l’atelier d’un maître, histoire d’acquérir de l’expérience pratique et théorique, des conneries du genre… bref, c’est intéressant tout ça, mais mon maître me fait bosser genre comme une dingue ! C’est pas croyable ! En plus, j’dois me lever à 6 heures tous les jours, genre même le samedi et le dimanche ! Et bien sûr, pas de vacances, ça serait trop beau… comment il veut que je tienne un rythme genre aussi infernal ?!

L’apprentie regarda Asda avec des yeux larmoyants, tentant d’émouvoir sa pitié.

— Et c’est pas fini ! Vous ne devinerez jamais ce qu’il vient de me demander ! « Va me cueillir des baies Lichii ! » qu’il a dit ! Genre je ressemble à une jardinière moi !
— Des baies Lichii, répéta neutrement Fario. Ce n’est pas difficile, il en pousse sur des arbres ici même, dans les parcs.
— Je sais, je sais ! éluda l’apprentie. Mais vous avez vu la TAILLE de ses arbres ? Si je grimpe là-dessus, je vais genre grave me salir ! Je ne vais quand même pas saloper ma robe, pas au prix où je l’ai payée !

L’apprentie soupira lourdement :

— … pff… et si j’en ramène pas, je vais encore me faire engueuler… enfin, heureusement, mon maître ne peut pas me virer parce qu’il a genre une dette envers mon père… mais bon… j’ai quand même pas envie de me faire engueuler…

Puis, la jeune paresseuse fixa Asda, ses ailes, plus particulièrement.

— … hé. Je me suis toujours demandé mais… vous, vous pouvez voler, non ?
— C’est exact, confirma la Foréa Impériale.
— Donc, pour vous, c’est rien d’aller cueillir un fruit en hauteur, hein ? Vous avez qu’à voler, et basta !
— … b-basta ? répéta une Asda perplexe.
— Allez quoi ! Vous avez bien dit vouloir m’aider, non, hein, genre ?

Asda ferma les yeux, marmonnant pour elle-même :

— … mmh… il faut aider la jeunesse à s’insérer en société… ils sont notre avenir…
— Clairement, cette fille ne fait aucun effort, statua neutrement Fario.
— Elle a sans doute des difficultés…, tenta de se justifier Asda. Si on la juge sur ses faiblesses au lieu de ses forces, on risque de paralyser sa progression professionnelle…
— Si tu veux mon avis, elle se paralyse déjà très bien toute seule.
— C’est… possible mais… gnn…

Troublés, les ailes d’Asda paniquèrent violemment pendant une bonne dizaine de seconde, avant de brutalement se figer, totalement déployés.

— En tant que Foréa Impériale, je me dois de l’aider, s’entêta Asda.
— …
— En tant que Foréa Impériale, je me dois de l’aider.
— J’avais compris avant même la première fois. Soit, je ne suis pas là pour vous entraver. Je n’ai pas mon mot à dire, inutile de chercher à me convaincre.

Le visage de l’apprentie apothicaire s’illumina :

— Alors s’est décidé ? Ouais ! Trop génial ! On peut trouver des baies Lichii dans le parc juste à côté, sur un grand arbre au milieu ! Il m’en faut au moins dix, je compte sur vous ! Et bon bah, je vous attends là alors, hein ! Et revenez vite, genre j’ai pas que ça à faire !

Sous cette gigantesque vague de reconnaissance, Asda et Fario se dirigèrent vers leur nouvel objectif. Le Magus aux cheveux verts commençait sérieusement à s’interroger sur la Foréa Impériale. Comment cette femme qui se sentait obligée de proposer son aide à n’importe qui pouvait-elle être encore en vie ? Le monde était bien trop cruel pour un tel niveau de pureté. Ceci dit, Asda était une Foréa Impériale ; elle devrait être capable de se sortir de n’importe quelles difficultés.

Une fois au parc, Asda et Fario se dirigèrent vers son centre. Un immense arbre s’y tenait fièrement, arborant de très jolis fruits rouges. Mais l’arbre n’était pas seul, à son pied, se trouvait un homme classieux, qui regardait l’arbre d’un air intéressé. Ce dernier se retourna vers Asda et Magus, à la fois surpris et amusé :

— Décidément, cet endroit est très animé !
— Encore un personnage d’arrière-plan ? Ça commence à en faire beaucoup, commenta neutrement Fario.

Asda ignora la remarque du Magus et s’intéressa plutôt à l’homme en blanc :

— Pourquoi dites-vous cela ? Il s’est passé quelque chose ici ?
— Quelque chose, c’est peu dire ! Voyez-vous, je suis actuellement sans emploi – ah, mais rassurez-vous, je vis très bien, ma femme est très riche. Bref, comme je n’ai rien à faire, je passe mes jounées à observer les alentours. Dites-vous que je suis la pire commère du quartier ! Mais je divague.

La ‘‘commère’’ pointa le feuillage de l’arbre du doigt :

— Donc, j’étais en train de filer de jeunes amants adultérins lorsque j’ai été témoin d’une scène pour le moins animé : un chat a soudain déboulé entre mes jambes, avant de grimper sur cet arbre ! Figurez-vous que le coquin suivait une pie ! Et ces deux chenapans m’ont fait perdre mes cibles, malheureusement… les deux lascars sont toujours là d’ailleurs, l’oiseau à son nid ici même et le chat semble quelque peu coincé.

Asda et Fario regardèrent à nouveau dans les feuillages, avant de finalement apercevoir la pie dans son nid, ainsi qu’un chat noir, tout tremblant, s’accrochant désespérément pour ne pas tomber.

— Hé, remarqua Asda. Cet oiseau… il n’a pas un truc brillant dans le bec ? On dirait une bague ! Et ce chat noir… il a une tache blanche sur la tête !
— Incroyable, déclara neutrement Fario. Tout ce que l’on recherche est au même endroit. C’est soit une magnifique coïncidence, soit une affreuse facilité scénaristique.
— Vous êtes mauvaise langue, répliqua la Foréa. Je suis certaine que cette ‘‘coïncidence’’, comme vous dites, n’est que la manifestation de la bonté du Vasilias.
— Si vous voulez. Et donc, que faisons-nous maintenant ?

Asda releva la tête, fixant à nouveaux ses différents objectifs. Il fallait trouver un moyen d’atteindre le nid de la pie, sans bien sûr oublier de cueillir une baie Lichii au passage. Mais le plus complexe restait le cas du chaton. Ce dernier semblait vraiment terrifié, si Asda s’envolait soudainement, le chaton risquerait de lâcher prise et de tomber sous la surprise.
La Foréa Impériale réfléchit intensément pendant de longues secondes avant de brusquement arriver à la conclusion la plus évidente – pou elle. D’un seul coup, elle ficha un puissant coup de pied dans l’arbre, sous le neutre regard de Fario.

Le résultat fut au-dessus de toute espérance. Le chaton chuta, bien évidemment, mais Asda était prête et le rattrapa facilement. Le nid de la pie s’écrasa également, entraînant avec lui une bague et un œuf – que Fario saisit de justesse avant qu’il ne s’éclate au sol. Dans la foulée, des dizaines de baies Lichii se décrochèrent de leur branche.

— Et voilà le travail ! Trois en un coup ! déclara victorieusement Asda alors que le chaton qu’elle tenait s’affairait désespérément à la griffer.

Fario resta quelques instants sans bouger, observant la multitude de baies écrasés à ses pieds.

— J’ai quelques points à soulever, déclara le Magus.
— Ah ? s’étonna Asda.
— Oui. Premièrement, vous venez de gaspiller énormément de baies. Ce sont des ressources certes gratuites et à la portée de tous, mais ce n’est pas une raison.
— … ah.
— Deuxièmement, vous avez failli détruire l’œuf de cette pauvre pie. Heureusement, j’ai de bon réflexe. La vie animale n’est pas anecdotique, il faut en prendre soin.
— …
— Et troisièmement, j’espère qu’aucun écologiste ne vous a vu.
— … ?

Fario pointa l’arbre du doigt. Le pauvre géant végétal n’avait en effet pas très bien supporter le coup de pied d’acier de la Foréa. Son tronc pourtant si épais était à présent à moitié brisé, menaçant dangereusement de s’effondrer.

— Vous avez certes rempli vos trois objectifs, mais aux prix de lourdes conséquences.

Cette fois, Asda était prise de court. Toute Foréa Impériale qu’elle était, elle ne pouvait pas détourner les yeux de ses actes ; sa fâcheuse habitude à agir sans penser aux conséquences avait encore frappé. Dans son dos, ses deux ailes s’abaissèrent, dépitées.

— Enfin, le mal est fait. Tâchez simplement de vous en souvenir et d’être plus prudente à l’avenir.
— … très bien, lâcha piteusement Asda.

Encore sous le choc, Asda ramassa la bague qui traînait au sol, et lança un regard désolé à l’arbre meurtri. Sans doute vaudrait-il mieux carrément l’abattre à présent, de peur qu’il ne tombe sur quelqu’un. Ce n’était pas la première fois que les conséquences de ses actes dépassaient ses prévisions, mais cette fois-ci, les retombés étaient amers. En tant que Foréa Impériale, Asda se sentit indigne d’elle-même. Remarquant son affliction, Fario secoua neutrement sa tête :

— Allez, ce n’était pas si grave, et vous ne pensiez pas à mal. Relevez la tête – et vos ailes –, vous avez une réputation à tenir. Que diraient vos concitoyens s’ils vous voyaient ainsi ?

À cet instant précis, Fario se sentit étrangement dans la peau d’un enfant réconfortant son enfant après l’avoir grondé. Une bien étrange sensation, qu’il jugeait d’ailleurs assez déplacée. Asda ne semblait cependant pas le relever, et même, hocha docilement la tête.

— Vous avez raison, déclara-t-elle. C’est juste que… je n’ai pas l’habitude d’être sur le terrain. J’ai pratiquement grandi au Palais de l’Ambre, avec le Vasilias. Pendant des années, mon seul contact avec le monde extérieur était le balcon du palais, où je donnais des discours. Alors, quand le Vasilias me donne des missions comme celle-ci, je veux tellement bien faire que je finis toujours par tout faire de travers. Je représente le Vasilias lui-même, je dois donc être parfaite. Ce n’est pas seulement mon image qui est en jeu, mais celle du Vasilias en personne. Il n’est pas que le Soleil de Prasin’da, mais aussi celui qui m’a sauvé et élevé.

Asda lâcha un faible ricanement :

— Haha…, vous vous êtes certainement demandé pourquoi j’aide autant de personne, n’est-ce pas ? La réponse est simple. De la même manière dont le Vasilias m’a tout donné, je veux tout donner aux autres. Je veux octroyer aux autres la même chance insolente dont j’ai bénéficié. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais j’ai été élevé par le Vasilias. Le Vasilias en personne ! Alors que je n’étais qu’une orpheline de sang non-noble ! C’est à la fois un immense honneur et… une horrible pression. Parfois je me demande, pourquoi moi, et pas un ou une autre ? Combien de centaines d’orphelins doivent s’acharner pour survivre chaque jour ? Pourquoi doivent-ils autant souffrir alors que moi, j’ai été sauvé ? … je n’aurais sans doute jamais la réponse.

Asda releva fièrement sa tête, le coin de ses yeux reluisait :

— Alors, tout ce qu’il me reste à faire, c’est de dédier ma vie au autre. C’est la réponse que j’ai donnée à mon destin. Est-ce que je me trompe ? Je ne le sais pas ; mais c’est ce que j’ai décidé. Alors oui, je suis encore maladroite, et inexpérimentée… mais je fais de mon mieux. Ce n’est pas encore suffisant – les évènements d’aujourd’hui le prouvent bien assez – mais je n’abandonnerai pas. Vous avez raison, Fario. Je ne dois pas me laisser abattre. Je dois poursuivre ma voie.

Et, d’un coup de bras, la Foréa Impériale sécha ses larmes naissantes. Son visage reprit instantanément son habituelle expression professionnelle.

— Bien, je crois que je n’ai que trop parlé. Venez, Fario. Nos missions ne sont pas encore terminées.

Le Magus hocha la tête et s’anima ensuite à ramasser les baies Lichii qui étaient encore intactes. Il venait d’en apprendre beaucoup aujourd’hui sur la Foréa – sans doute trop. Une chose était certaine : il n’avait pas perdu sa journée. Désormais, plus que jamais, Asda lui paraissait bien plus humaine. Elle n’était pas qu’une Foréa Impériale ; elle était une personne faisant de son mieux pour atteindre ses objectifs. Une personne qui parfois trébuchait et faisait des erreurs. Comme tout un chacun dans ce bas-monde.

Le duo s’apprêta à partir du parc, lorsque soudain, la troisième personne s’approcha, l’air un peu gêné :

— Euh… ehm… je crois que j’ai entendu des choses un peu confidentielles, moi !
— …

Asda se figea soudainement. Elle avait oublié qu’ils n’étaient pas seuls. Effectivement, il y avait également la ‘‘pire commère du quartier’’ comme il s’appelait lui-même. Comment avait-elle pu l’oublier ?

— Haha, s’amusa la commère. Je vois l’étonnement sur vos visages ! Mais c’est normal, une commère de mon rang sait effacer sa présence, c’est une compétence obligatoire pour épier les autres sans se faire prendre ! Ceci dit, je sais également lorsque certaines choses doivent rester secrètes. Et vous avez de la chance, votre discours m’a ému. Tout ça est bien trop gentil et chaleureux pour moi ! J’ai également une réputation à tenir, je ne colporte que des ragots bien croustillants !

Asda lança un regard à Fario, qui lui aussi ne savait comment réagir. La commère sourit narquoisement :

— Ceci dit, de ce côté-là… hé, vous deux, vous êtes en couple ?
— … pardon ? s’étonna Asda.
— Comment êtes-vous arrivez à une conclusion aussi stupide ? demanda neutrement Fario. Et pour information, je suis marié.

La commère se gratta la tête, grand sourire :

— Hé bien, j’ai plusieurs éléments ! Premièrement, vous vous baladez ensembles, et deuxièmement, le simple fait que vous soyez aussi familier avec qu’elle, alors qu’elle est une Foréa Impériale !
— Et c’est tout ? poursuivit Fario.
— C’est tout, mais c’est bien assez ! Vous savez, le truc avec les ragots, ce n’est pas de savoir s’ils sont vrais ou faux, ça, je m’en fiche. L’important c’est qu’ils soient un minimum crédibles ET SURTOUT sensationnels. Vous serez surpris de savoir comment il est simple de faire croire aux gens quelque chose de croustillants, même sans preuve. Donc là vous imaginez, si je faisais courir le bruit que LA Foréa Impériale est en couple ? Avec un homme marié en plus ?! Ça va faire sensation ! Allez quoi, vous pouvez bien me laisser ça, j’ai écouté votre long monologue sans broncher ! Et je n’ai rien eu de spécial à me mettre sous la dent aujourd’hui ! De toute façon, hé, ce n’est pas comme si j’avais besoin de votre autorisation ! Ne me cherchez pas, je suis déjà parti, héhé !

Et la ‘‘pire commère du quartier’’ prit la poudre d’escampette, sans même laisser le temps à Asda ou Fario de réagir. Le duo resta un long moment sans bouger, à s’interroger sur la nature exacte de ce qui venait de se dérouler.

— J’ai un mauvais présentement, lâcha finalement Fario.


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Deux jours plus tard, une étrange rumeur courrait les rues. Selon certains, la fameuse Asda, première Foréa Impériale, serait en couple avec un mystérieux homme à la chevelure verte, qui en plus était déjà marié. Une théorie qui a été ‘‘confirmée’’ par tous ceux les ayant vu ‘‘se balader ensemble’’ deux jours plus tôt. Pour une raison qu’elle seule connaissait, Asda prenait toutes occasions qu’elle pouvait afin d’expliquer à Omilio que ces rumeurs étaient fausses.
De son côté, Fario accueillait la chose aussi neutrement que d’habitude, laissant glisser tous les ragots sur la toile cirée de son indifférence. Du moins, c’était là son intention. Ce matin, alors qu’il s’apprêtait à se rendre à la Tour d’Ivoire…

— Hé Fario ! s’exclama Rhinolove. J’ai quelque chose pour toi !
— Pour moi ? répéta neutrement Fario.
— Yep ! C’est une lettre !
— Je ne savais pas que tu faisais le facteur.
— Héhé, l’occasion est exceptionnelle ! Allez, je te laisse ! Bonne lecture ! Et bonne chance !

Et la chauve-souris s’échappa aussitôt. Intrigué par les derniers mots de l’Ensar, Fario ouvrit rapidement l’enveloppe et parcourut la lettre. Puis, il arrêta de bouger, comme pétrifié. Si son visage restait aussi inexpressif que d’habitude, son cœur, lui, s’était affreusement glacé.

« À mon très cher mari,
              J’ai entendu dire que tu t’amusais bien à Aifos, durant mon absence. Hé bien, tu me surprends, je ne pensais pas que tu viserais aussi haut qu’une Foréa. Oh, je n’ai pas beaucoup de temps alors je vais être brève. Tu es mort. Mais ça tombe bien, j’avais justement envie de repeindre les murs de notre maison en rouge. Ça ne te dérange pas que j’utilise ton sang, n’est-ce pas ? J’ai si hâte de revenir, mon amour !
Avec l'expression distinguée de ma main dans ta gueule,

                                                                                                                    Ton épouse, Monia Harm »

Au bout de plusieurs minutes, Fario reprit enfin ses esprits. Il leva la tête au ciel, recherchant vainement un signe divin.

— Il ne me reste plus qu’une solution. Partir en exil dans une contrée lointaine et ne jamais revenir. Je devrais peut-être demander conseil à Asda.