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Sous les glouglous de la mer de Nicéphore



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» Auteur : Nicéphore - Voir le profil
» Créé le 28/10/2017 à 21:52
» Dernière mise à jour le 29/10/2017 à 15:50

» Mots-clés :   Absence de combats   Action   Alola   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 5- Nager
Ilario avait passé ces sept-huit derniers mois, sauf rares exceptions, à faire la grasse matinée jusqu’à environ midi. Son réveil à six heures et demie ce matin-là lui avait fait prendre conscience de ce train-train consternant devenu naturel, et de sa désastreuse résistance à la fatigue. Et ça l’avait mis d’assez mauvaise humeur, d'autant plus que la machine à café du centre était en panne, et cela, c’était terrible.

Il ruminait ces sombres pensées porté par les ailes de l’Archéduchesse en direction de l’île d’Akala. Le Pokémon avait passé la nuit aux bons soins de l’infirmière de Malié, et semblait avoir retrouvé toutes ses forces. À côté d’elle battaient les larges ailes de l’Étouraptor le plus célèbre d’Almia, transportant une Top Ranger stoïque ; la distance entre eux ne facilitait pas la conversation, mais chacun, de toute façon, se débattait bien assez avec ses propres pensées noires.

Le temps était toujours au gris mais les nuages semblaient moins denses, avec parfois une trouée d’où coulaient faiblement les rayons d’un soleil que l’on espérait plus. La mer était calme, le vent tiède, mais encore trop violent. Quelques oiseaux étaient de sortie, rassurés par le temps pas encore menaçant, et batifolaient dans les airs en silhouettes grises sur gris. Certaines de ces silhouettes lui étaient complètement inconnues, et il regrettait de ne pas pouvoir profiter de son séjour à Alola pour en découvrir les espèces exclusives.

Ilario tâchait surtout de ne pas songer à ce qui l’attendait. Parce qu’il craignait surtout de ne rien découvrir, de s’être trompé à cause de ses idées brouillées et de passer pour un idiot aux yeux de sa compagne Ranger. Quoique suite à son appel épuisé de la veille, il n’espérait pas grand-chose à propos de l’estime qu’elle pouvait lui porter.

Il ne se reposait que sur la certitude d’avoir été certain d’avoir vu cette bonde de baignoire où se noyait la foudre. Il était juste sûr d’en avoir été sûr. Mais pas sûr de l’avoir vraiment vu, les images dans sa tête s’estompaient comme un rêve. Peut-être n’avait-ce été que ça, un rêve. Très réaliste, très effrayant et très humide. Il sentait presque, encore, la lumière de la foudre collée sous ses paupières.

Akala était déjà en vue, après une petite heure de vol. Ses côtes vues du ciel n’avaient pas grand-chose à envier à celles de Ula-Ula : même couche de débris flottants, mêmes vagues marronâtres de boue. L’eau y léchait de l’herbe plutôt que les habituelles plages blanches.

La masse verte clairsemée de la forêt brisée semblait surnaturelle. On aurait dit qu’une immense créature s’était amusée à déranger les arbres comme un enfant s’amuse à déranger sa chambre. Ilario se demanda où en était Alyxia, si elle reconstruisait sa forêt dévastée, si elle y arriverait. Il l’espérait pour elle, ce n’était pas plus beau à voir du ciel que de la terre.

La ville d’Alyxia (il avait déjà oublié son nom, peinant avec les consonances typiques des accents Aloliens) alignait ses maisons au bord de la zone de débris végétaux.

« Et ensuite ? hurla Raphaëlle pour couvrir la distance.

- Là, on oblique vers la Fondation ! cria-t-il en réponse. « Ça » sera sur le chemin ! Archéduc, ajouta-t-il à l’intention de son oiseau, vole vers le paradis Æther. »

Le hibou le gratifia d’un regard critique par-dessus les plumes blanches de son ventre. Pourquoi passer par Akala pour se rendre sur l’île artificielle, si ce n’était pas pour y atterrir ? N’importe quoi.

Ils changèrent donc de cap pour repiquer sur l’horizon. Ilario ordonna à l’Archéduchesse de perdre un peu d’altitude ; sa camarade Ranger suivit le mouvement. Il craignait de manquer un indice, un signe que ce trou d’eau n’avait pas été qu’un rêve.

Rozbouton piaillait sans discontinuer dans son dos, il espérait que Raphaëlle ne l’entendait pas. La boule de feuilles avait tout l’air de tenir un discours politique en langage végétal, avec une conviction surprenante pour une si petite bête. Cela avait de quoi étonner. Il se demandait ce que le Pokémon pouvait raconter, le moment semblait mal choisi.

Au bout de dix minutes depuis Akala, Ilario s’ennuyait assez, des vagues et encore des vagues. Le vent soufflait dans ses oreilles, il commençait à avoir l’habitude mais craignait de ne pas pouvoir entendre sa camarade l’appeler pour une raison ou une autre. Avec ce bruit de fond et cette distance…

« Tu as une idée de ce qui cause les catastrophes ? demanda-t-il en haussant la voix pour se faire entendre.

Raphaëlle tourna la tête, surprise par son intervention.

« À Alola ?

- Oui !

- J’ai étudié les théories sur le réseau, mais c’est surtout celle d’un Pokémon légendaire qui paraît la plus probable ! cria-t-elle.

- Moi aussi ! acquiesça-t-il sur le même ton. Mais ça ne colle pas trop avec les légendes d’Alola ! Ils ont un félin du soleil en métal, et une bestiole volante de la lune psychique !

- Le deuxième pourrait convenir ! La lune dicte les marées !

- Et les tempêtes, c’est en battant des ailes ?»

Elle secoua la tête pour éviter au maximum de se déchirer les cordes vocales. Le langage des signes était parfois plus efficace.
Ils reprirent leur souffle chacun de leur côté.

« Y’a d’autres Pokémon comme ça qui pourraient convenir ! continua-t-il. Y’a un autre oiseau-dragon bleu des tempêtes, à Johto je crois !

- Lugia ! confirma Raphaëlle.

- Oui ! Celui qui fait des tempêtes de quarante jours ! Ça fait quarante jours ? Que ça a commencé ?

- Je ne sais pas ! cria-t-elle.

- Y’a un génie sur un nuage aussi ! Deux ou trois, même, et ils font de l’orage !

- Oui, à Unys !

- C’est loin quand même !

- Oui ! »

Reprise de souffle. Rozbouton s’était tu, comme reconnaissant la présence de puissances supérieures qui criaient plus fort que lui.

« Ça fait vingt-huit jours ! reprit Ilario. Si ça se trouve, dans douze jours ça s’arrête !

- On verra ! Il y a Kyogre, à Hoenn, aussi ! hurla la Top Ranger.

- Ah, c’est quoi, ça ?

- Un gros poisson qui fait des bulles dans l’eau !

- Ah, comme Rozbouton !

- Ah bon !

- Mais ses bulles à lui font moins de morts !

- Oui, c’est normal !

- Oui ! »

Reprise de souffle.

« C’est peut-être une alliance de tous ces Pokémon ! cria-t-il.

- Comme les Magicarpe dans la théorie ! appuya-t-elle.

- Exactement ! La révolte des Magicarpe !

- Gros Magicarpe !

- Oui ! »

Silence (relatif, le vent soufflant fort).

« C’est très stupide, ces théories, quand même !

- Oui ! »

Des vagues immuables se succédaient toujours sous leurs pieds suspendus. Le temps n’était pas très explicite, semblait parfois vouloir s’éclaircir, parfois s’assombrir. Le vent, lui, forcit, cueillant sur la crête des flots des éclats d’écume sale, pour les leur jeter à la figure.

« On pourrait s’écarter un peu ! proposa Raphaëlle en criant. On trouvera ta bonde de baignoire plus facilement !

- OK ! »

Ils se séparèrent, la distance leur permettant tout juste d’apercevoir la silhouette de l’autre pour garder la bonne direction. La communication se faisait impossible, mais cela tombait bien, Ilario avait mal à la gorge d’avoir parlé trop fort, et l’impression d’avoir ingéré des rafales qui lui ressortaient par les oreilles. Désagréable.

Quand on y pensait, tous ces voyages aériens auraient été nettement plus agréables avec un peu de soleil. Pourvu que tout soit vraiment fini dans douze jours… il se prit à rêver d’un ciel bleu et d’une mer bleue, avec des voiles et des nuages blancs, comme les cartes postales d’Alola que les gens mettaient sur leurs réfrigérateurs. Il se força à inspecter les vagues : ils ne devaient plus être loin. Rien à première vue.

Non. Si. Il demanda à l’Archéduchesse de reprendre de la hauteur.

En faisant attention, la mer était striée de motifs différents. De belles lames bien bâties côtoyaient des zones floues, troublées, où l’eau était contradictoire et l’écume embrouillée. Il s’approcha à nouveau.

En fait, il y avait de petites vaguelettes affaiblies qui tentaient de lutter contre des remous maladroits voguant dans l’autre sens. Depuis le ciel, cela faisait des veines de teintes nuancées, plus claires dans les remous et foncées dans les vagues.

Des courants sous-marins, qui empêchaient la formation des crêtes à la surface, parce qu’elles allaient dans le sens contraire, comme des langues d’eaux inversées.

Ces courants-là venaient de là où ils allaient. Il dégaina son Capstick, bataillant avec ses doigts engourdis de froid pour le détacher de sa ceinture.

« Vocogramme, vocogramme… » imita-t-il en initiant l’appel.

Raphaëlle décrocha, il l’entendit aux crissements des rafales qui s’engouffraient dans son micro.

« Rejoins-moi, je vois un truc.

- Ah, fit-elle. Ça tombe bien, moi aussi je vois un truc. Courants sous-marins ?

- Oui. »

Il était un peu énervé qu’elle s’en soit rendue compte. Ç’aurait été une parfaite occasion de redorer son blason, qu’elle n’ait rien remarqué alors que lui si. Dommage.

« Suis-les, alors, enfin remonte-les, et logiquement on devrait se retrouver plus loin.

- J’allais le proposer.

- Parfait. »

Les bruits de vent s’estompèrent, il rangea son Capstick. Cette fois-ci, indéniablement, le ciel s’assombrissait.


≈≈≈
≈≈≈≈≈


Vingt minutes.

Belles circonstances pour découvrir la fonction montre du Top Capstick. En continuant leur vol sur une cinquantaine de mètres après l'échange grésillant, les deux Rangers s'étaient retrouvés au niveau de la bonde de baignoire ; mais ce n'était pas une bonde de baignoire, juste le point d'où partaient tous ces sillons de courants sous-marins.

C'était ce mystère naturel qui l'occupait tant bien que mal depuis ces vingt minutes, et il ne trouvait toujours aucune explication plausible au phénomène. Une marée au milieu de la mer, qui montait et descendait ? Ces fameux Magicarpe révolutionnaires qui s'appliquaient à agiter leurs petites nageoires pour successivement aspirer l'eau puis créer des courants ? On versait dans l'absurde, de toute façon, dès le début de cette histoire de bonde.

Il y avait vingt minutes donc, ils avaient décidé de se risquer à étudier la chose d'un point de vue rapproché : c'est-à-dire, plonger sous l'eau. Chaque Ranger disposait d'un appareillage des plus simples pour pouvoir respirer en milieu aquatique, le Mini-respireau : ce petit tube se plaçait sur la bouche à la manière d'une flûte traversière, et filtrait, tout simplement, l'oxygène contenue dans l'eau. Avec des lunettes de plongée, l'équipement était parfait.

Mais le souci se posait de laisser leurs partenaires. Si l'Archéduchesse pouvait toujours rentrer dans sa Pokéball (et encore, ces objets prenaient-ils l'eau...?), Rozbouton et Étouraptor n'avaient ni appareils respiratoires adaptés, ni possibilité de repli.

Alors Raphaëlle avait pris les choses en main et plongé sous l'eau glacée en lui ordonnant de rester là et de garder les Pokémon, elle allait essayer de trouver quelque chose qui puisse les aider.

Il tournait donc en rond depuis vingt minutes. Dans l'attente, sans l'adrénaline d'aller au plus vite pour échapper à une tempête, il se rendait compte que les serres de son oiseau lui labouraient les épaules et qu'un Rozbouton en vol était un Rozbouton bavard.

Il craignait de plus en plus de ne jamais voir sa camarade refaire surface. Emportée par les courants, démembrée sur les récifs, engloutie par un Wailord... il préférait donc penser à la révolte des Magicarpe.

Il pesait le pour et le contre du fait de plonger à son tour, lorsque les remous s'intensifièrent à quelques mètres de l'endroit qu'il survolait. Une immense masse bleue et lisse émergeait calmement des flots obscurs. Là-dessus, une silhouette humaine repoussa ses lunettes de plongée sur son front, lui fit signe et entreprit d'essorer ses cheveux imbibés d'eau salée. Mi-émerveillé, mi-abasourdi, il descendit se poser sur cette nouvelle surface plane. Il y avait donc bien eu un Wailord dans l'histoire.

« Je me suis toujours demandé combien de temps mettait le disque de capture à faire le tour d'un de ces monstres » rigola-t-il en atterrissant.

Raphaëlle sourit.

« Trente-quatre secondes.

- Ah bien !

- Il n'a au moins pas été difficile à trouver. C'est surpeuplé, là-dessous, tu n'as pas idée. »

Il jeta un bref regard envieux aux flots insondables.

« Oh mais ne t'en fais pas, tu vas avoir l'occasion de visiter, sourit-elle en interprétant son œillade. Je nous ai trouvé deux Pokémon aquatiques pour aller plus vite qu'à la nage, un Luminéon et un Lanturn. »

Les deux poissons tournaient autour du Wailord plate-forme, comme s'ils se pourchassaient l'un et l'autre.

« Je prends le Luminéon, décida-t-il.

- Comme tu veux. Cette bestiole-là (elle tapota du pied le dos caoutchouteux de l'énorme créature) peut garder Étouraptor et ton Rozbouton, et l'Archéduc, dans sa... bouche ?

- Gueule ? Je sais pas comment on dit. »

Elle haussa les épaules.

« Pour les préserver d'une tempête en tout cas.

- Oui. »

Ils s'approchèrent du bord du Pokémon. Dit comme ça, cela faisait étrange.

Cinq minutes plus tard, Ilario s'était délesté de son léger fardeau vert entre les mâchoires de la baleine. Inquiet, il considérait les pavés blancs qui s'ouvraient au-dessus de lui : le Wailord pouvait si facilement refermer la gueule sans y prendre garde, et broyer qui serait passé au mauvais moment. Le Pokémon s'était pourtant montré coopératif (bien qu'ils aient dû s'y prendre à deux et crier fort pour se faire comprendre) mais il n'était pas rassuré. L'œil écarquillé, de la taille d'une assiette, suggérait une sorte de trou noir de stupidité. En effet, vu la gigantesque cavité qu'offrait le corps de la bête, difficile d'imaginer où caser des neurones.

Le « sol » était rosâtre et flasque, parsemé de bouts d'algues et d'autres machins non identifiables qu'il ne souhaitait pas identifier. Il se rassura de ne pas devoir y rester plus longtemps, et eut une pensée émue à l'intention de son partenaire. Lui n'était pas dans le même cas, et le suivait en trottinant alors qu'il regagnait le bord de la mâchoire du monstre. Les yeux de la boule de feuille étaient tout tristes et larmoyants. Il lui offrit une dernière caresse rassurante mais peu assurée, et quitta l'atmosphère d'haleine fétide en y laissant macérer son propre Pokémon.

Raphaëlle n'avait pas laissé passer d'émotions sur son visage en quittant Étouraptor, il essayait de faire de même. Mais c'était difficile.

Raphaëlle, justement, était déjà prête, accrochée à son Lanturn et la moitié du corps dans l'eau. Il plongea à son tour. Le froid lui coupa la respiration. Net. Pire que ce qu'il imaginait. Merde. On clamait que l'eau d'Alola était tiède. Foutu pays. Le froid lui piquait les joues, creusait ses yeux, l'amputait de ses membres ; il les sentit à peine en donnant quelques coups de talon pour remonter à la surface.

« Wow », fit-il.

Le Luminéon s'approchait de lui, docile. Il n'osa pas saisir ses frêles nageoires qui dansaient comme des voiles ; il posa donc directement les mains sur son corps rond et lisse. C'était comme un Rozbouton, mais en bleu, avec des ailes de la mer. Mais il ne paraissait pas très fort, peut-être la nage se révélerait-elle une meilleure solution.

Quelques mètres plus loin, Raphaëlle s'époumonait en direction de Wailord. Sacrée voix. Sur ses ordres, l'immense Pokémon referma lentement sa gueule ; Ilario regarda, la mort dans l'âme, ces dents toutes blanches sceller ces entrailles roses. Au moins Rozbouton serait-il en sécurité, certainement plus que lui.

« On avance avec prudence, recommanda sa coéquipière en se retournant vers lui. Il ne s'agit pas de tomber dans les courants et de ne plus en ressortir. »

Il se contenta de hocher la tête, passa ses lunettes de plongée, installa le dispositif de respiration du bout de ses doigts engourdis puis disparut sous la surface du globe. Une fois encore ce froid terrible, il s'efforça de ne pas y penser.

La lumière filtrait assez bien, là-dedans, et on y voyait suffisamment. Mais pas grand-chose de la « population » dont Raphaëlle avait parlé. Sans doute plus bas. Ils descendirent.

Le Luminéon n'était pas si délicat que son apparence pouvait le laisser croire : il nageait avec acharnement, fouettant l'eau de ses belles nageoires. Ses mouvements frénétiques et efficaces contrastaient parfaitement avec ses ailes de papillon. Le Lanturn de la Top Ranger n'était pas en reste et semblait se glisser parmi les remous pour se propulser au maximum.

Son corps se mouvait avec aisance, ses écailles reflétant les lueurs de là-haut. Et sa propre lueur : sa lanterne frontale émettait de son mieux une lumière pâle dans les tons orangés. Cette particularité leur serait bien utile dans les profondeurs, s'ils devaient s'y rendre. Il se demandait si Raphaëlle l'avait choisi pour cela ou si elle avait tout simplement capturé les deux premiers poissons qu'elle avait remarqués.

D'ailleurs, les noms de ces deux poissons évoquaient la lumière. Il n'avait jamais compris ça avec Luminéon, qui ne luminait pourtant pas ?

L'environnement se faisait à chaque battement un peu plus sombre. Il avait oublié comment l'eau de la mer pouvait être troublée aussi. Même avec les lunettes, il avait l'impression d'avoir les yeux brouillés et ternes. Des silhouettes de Pokémon marins se profilaient de temps à autre, étrangement lentes et calmes.

Tout était lent et calme en milieu sous-marin : de la respiration aux mouvements des masses d'eau, à la cacophonie sourde et détendue qui remplissait les oreilles. Il se demandait d'où venait ce bruit, sous l'eau, auquel on ne faisait jamais attention. Il y avait toujours ces bruissements de silence répercutés par les abysses, qui chantaient une mélodie étirée à l'infini. C'était ce qui créait cette ambiance surnaturelle, sans doute.

Surpeuplé, oui. On y était.

Presque d'un coup la lumière faiblissait ; partout des contours flous se dissolvaient dans l'ombre. Immobiles comme la pierre, fixes comme des statues, des regards inquiétants rivés vers l'invisible ; des ailerons aiguisés agressant l'inconnu, en silence. Les sons de sous la mer s'étaient atténués pour laisser place à cette scène inactive. On oscillait seulement dans des bouts de courant, on attendait.

C'étaient des Pokémon divers qui étaient réunis là, des grands côtoyant des petits, prédateurs et proies, comme des soldats en faction, unis dans une même attention. Ilario reconnut un Wailmer, un Rosabyss, un Léviator et des Magicarpe, les fameux Magicarpe. Mais ils ne semblaient pas très réveillés, pas plus que les autres. Des Lovdisc et d'autres petits poissons qu'il ne connaissait pas fusaient entre ces silhouettes suspendues comme des nuages de confettis ou de paillettes bleues et blanches. On les sentait comme des enfants qui ne comprennent pas la gravité de la situation.

Quelle situation ? Tous ces Pokémon rapprochés fixaient une même direction. La bonde de baignoire, songea Ilario. Raphaëlle lui fit signe de la suivre, elle menait son Lanturn dans le sens des regards. Maudissant le fait qu'elle avait encore une fois réagi plus vite que lui, il lui emboîta la nage pour se faufiler entre les soldats marins.

Tout cela avait clairement quelque chose de pesant. Comme des pierres suspendues à un fil incertain, peut-être qu'elles tomberaient ou peut-être pas. Ça ressemblait à ça. Toutes ces masses flottant au-dessus d'eux, même au-dessous d'eux, partout autour. Un Wailord, là, un autre. Ils avançaient au sein même d'une forteresse de briques solides collées entre elles par l'unité d'un accord silencieux.

Pesant et menaçant. Inquiétant, déstabilisant, tranquillisant, surnaturel. Soudain ils en émergèrent, d'un coup, comme ils y étaient entrés. Là, plus rien que de l'eau calme et froide. Il faisait sombre, mais Lanturn n'était pas la seule source lumineuse : il y en avait une, en face, un peu bleutée, et certainement pas naturelle. Plus rien n'était étonnant, à présent, alors ils se dirigèrent vers la lueur. C'était par là que tous les Pokémon regardaient.

Ilario sentait presque le froid gagner son cerveau pour le paralyser, et utilisait cela comme excuse pour ne pas réfléchir. Pourtant son corps s'habituait peu à peu à la température, ses jambes avaient trouvé leur rythme de croisière, en accord avec les mouvements vifs de sa monture poisson. Bouger le réchauffait tant bien que mal, mais il ne s'imaginait pas rester très longtemps encore sous la mer d'Alola.

Les contours de la lumière se dessinaient ; il cligna des yeux plusieurs fois pour tenter de se convaincre d'un peu de naturel dans ce qui apparaissait.

C'était une sorte de couloir en tube, s'élargissant vers les profondeurs. Il était tissé de mailles aux couleurs artificielles, des bleus, blancs et violets qu'ils avaient vus de loin. Mieux encore, une nappe de lumière pâle s'y propageait en permanence, de haut en bas. Des filaments s'en échappaient comme des fuites d'électricité.

Cela ne ressemblait à rien de connu, à part à certaines images de reportages relativement récents sur la région d'Alola. En plissant les yeux, l'eau en dessous de ce tuyau de lumière était encore plus trouble que celle qui les entourait, comme poussée à grande vitesse. Un bourdonnement sourd revint se propager dans leurs oreilles, plus violent, et plus menaçant.

« On a trouvé nos courants sous-marins, tiens. »