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Sous les glouglous de la mer de Nicéphore



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» Auteur : Nicéphore - Voir le profil
» Créé le 24/10/2017 à 20:56
» Dernière mise à jour le 29/10/2017 à 14:23

» Mots-clés :   Absence de combats   Action   Alola   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 2- Stagner
Sa binôme et guide partie re-commander au bar, Ilario avait tout le loisir d’observer davantage l’endroit, et ceux qui s’y trouvaient. En face de l’entrée (que l’infirmière avait terminé d’éponger pendant la discussion), le centre se divisait en trois zones : au centre le comptoir de soin, à droite une sorte de boutique intégrée dont les vendeurs étaient absents, et à gauche ce fameux bar, certainement l’aspect le plus sympathique d’Alola qu’il avait pu voir jusque-là. Mais la lumière et le silence rendaient l’endroit morose, le gérant était passif derrière son comptoir.

C’était un Alolien typique, la peau tannée, les cheveux poivre et sel, un nez effacé, de petits yeux bleus et un sourire affable, et désintéressé.
Au-dessus de lui s’étalaient des étagères pleines de bocaux et de produits colorés, des colliers de fleurs et de coquillages, et une machine à café ancienne. De celles qui le font trop noir, le café ; une petite boîte à sucre était posée dessus. On optimisait l’espace. Tous les détails du Centre semblaient concentrés dans ces cinq petits mètres carrés de sol et de mur ; le reste en paraissait d’autant plus vide et sombre.

Là-devant, quelques tables et chaises en bois avaient rayé le parquet, de traînées claires entremêlées. Leurs chaises, celles de la réunion, étaient restées dans ce coin-là. Un peu désœuvré, il rejoignit celle au pied de laquelle ronflait Rozbouton (enfin ronflant comme un souffle d’air) dont il s’était écarté de quelques pas ; posa le Pokémon sur le siège et tira celui-ci jusque dans un coin. Il serait mieux là que planté au centre de la pièce. Un regard vers son partenaire Pokémon le dissuada de le déplacer de la chaise où il semblait trouver son confort ; il l’y laissa donc pour s’adosser au mur.

S’ils s’étaient vite relevés pour écourter au maximum la séance de briefing, les Aloliens étaient retombés dans l’espèce de torpeur lourde et froide où il les avait trouvés à son arrivée.

Il concentra son attention sur ceux qui n’avaient ni pris la parole, ni été concernés directement dans la discussion. La fillette en violet qu’il avait repérée auparavant avait comme lui tiré une chaise contre un mur, et s’y tenait un peu affaissée, le regard dans le vide. C’était un beau regard, dans un beau visage d’ailleurs, mais elle n’avait pas plus de douze ou treize ans et c’était terrible de voir de si jeunes traits habités par une telle expression. Ilario prenait de plus en plus conscience de l’enfer que l’on relatait aux journaux. Comment se rendre compte sans y être plongé ? Les récits ne semblaient pas suffire, il fallait voir pour croire.

Figée dans un marbre glacial, la jeune fille paraissait être dans ces situations où l’on souhaite se lever mais qu’il nous manque une étincelle de volonté pour s’y décider. Un peu désolé, il détourna les yeux.

Assise pas si loin de lui, à l’une des vieilles tables de l’espace cafétéria, sa binôme (Alexia lui semblait-il ?) était replongée dans un état semblable. La tête appuyée sur la paume, elle fixait le liquide noir de sa tasse fumante en le remuant d’un brin de paille terni. Ses grands yeux en amande se fermaient à moitié, ses lèvres dures serrées sur des songes pêchés au fond du café chaud. Elle au moins semblait réfléchir, comparée aux yeux de la fillette violette qui n’étaient que des fenêtres ouvertes sur un ciel gris et vide.

Elle pourrait paraître sympathique, là, à ce moment. Mais la façon dont elle l’avait fixé lorsqu’Euphorbe les avait présentés, ça ne lui plaisait pas beaucoup. Les murmures qui couraient quant au rapport des Aloliens à la notion d’aide extérieure étaient fondés : ils n’étaient pas vraiment les bienvenus ici.

Euphorbe, justement, devait être l’un des seuls à ne pas vouloir se laisser submerger par le pessimisme. Les mains sur les hanches, il promenait son regard sur les personnes présentes comme sur des troupes à motiver. Toute cette attitude sonnait faux, comme le dialogue qu’ils venaient d’avoir, presque répété à l’avance. Ilario ne savait trop qu’en penser. Ce comportement artificiel ne lui disait rien de sympathique, mais il y avait quelque chose d’admirable dans cette volonté de ne pas se laisser abattre. Cette façade souriante qui recouvrait cernes et mauvais rasage donnait une idée jolie mais surfaite. Comme cet enthousiasme trop forcé au moment de l’accueillir, et cette familiarité trop spontanée.

Ilario ne savait pas bien dire quelle attitude il préférait de celle du professeur ou des autres indigènes.

Rozbouton roulait doucement d’un côté à l’autre de son corps rond, en marmottant un flot de petits cris à peine audibles. Son Ranger s’accroupit à sa hauteur pour caresser les feuilles lisses du dos du Pokémon. Leur vert brillant était une belle tache de couleur dans la grisaille de ce lieu sans âme.

Raphaëlle et Danh, son équipier, quittaient les lieux après un bref échange ; Ilario souhaitait bien du courage à sa collègue Ranger. Elle lui avait paru sympathique, plus qu’il n’avait pu s’y attendre de la part d’une telle professionnelle. Au contraire, c’était comme si cette arrivée commune dans ce monde détruit d’Alola avait forgé leur entente.

Danh, comme les autres, lui inspirait moins confiance. Lui avait plutôt l’air de celui qui pensait que tout était foutu, et le montrait bien. Ses paupières fatiguées retombaient sur des yeux vides de cette conviction, il paraissait relâcher tous les muscles de son visage pour mieux le faire paraître. Chercher le moindre réconfort dans ces traits affaissés était comme s’agripper à un mur de savon.

Cela avait de quoi rendre soucieux : un homme ainsi désespéré pouvait si facilement faire rater une opération, par manque de volonté. Il imaginait que Raphaëlle s’était déjà fait la réflexion. Son travail, ainsi accompagnée, ne serait pas de tout repos. Ils sortirent sous le regard blasé de la ménagère, un flot d’eau crasseuse accompagnant l’ouverture de la porte pour s’arrêter au sas de serpillères. L’infirmière dégaina lentement ses seaux et éponges, et s’attela à la tâche pour, sans doute, la millième fois de la journée.

Ilario eut une pensée compatissante pour elle, seule à sa besogne, sans Rozbouton à repousser du pied, ce qui était bien triste. Peut-être avait-elle, elle, la compagnie de son reflet, si l’eau envahissante du Centre était plus compétente que les vagues de la mer.

« Les glouglous de la mer », cela lui rappela Victoria, Vicky, avec un petit sourire.

Le couple mal assorti discutait du côté du magasin, Gladio assis sans respect sur le comptoir déserté. Ils parlaient à voix basse, inintelligible. Le ton était calme.

Le jeune homme intercepta son regard, ajouta un mot à l’intention de son interlocutrice, et lui fit le signe de venir vers eux. Resté accroupi à caresser son Pokémon, il se releva dans quelques craquements de chevilles et rejoignit le duo d’Æther. Contrairement à ce que ceux-ci avaient conclu avec Euphorbe, Ilario ne les avait pas vu discuter de leur problème de Fondation non-évacuée. Arrivant à leur hauteur, il les salua d’un signe de tête sans bien savoir pourquoi, et se plaça de façon à garder dans sa ligne de mire la chaise où somnolait Rozbouton.

« Ignacio, Alfonso, Ilmano… ? chercha Vicky à voix haute.

- Ilario » sourit l’intéressé.

Cette petite femme le mettait en confiance. Elle était le portrait-type de celle qui soutient avec des paroles en guimauve, son col roulé donnait envie de se jeter dans ses bras. Si l’attitude d’Euphorbe était artificielle, la sienne semblait juste simple et normale, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Comme une grosse étoile brillante au-dessus des catastrophes. Soit elle était complètement insouciante, soit excellente comédienne, soit insensible, et adorable.
Gladio l’était très certainement moins, adorable.

« Vous m’avez entendu, à propos de la Fondation » commença-t-il en plantant son regard dans celui du nouveau venu.
Vert clair et froids, ses yeux, comme de l’herbe gelée qui envoyait des dards de glace. Ilario se rappela à ce moment qu’il était le fils d’une criminelle. Il acquiesça, un peu déstabilisé par le vouvoiement soudain.

« Et vous en pensez quoi ? »

Surpris par la question directe, il s’accorda quelques secondes de réflexion.

« Je ne connais pas assez bien la situation pour saisir tous les enjeux, mais personne n’a à être négligé comme tu… vous l’avez dit tout à l’heure. Mais s’il n’y a plus d’équipes d’intervention disponibles, bah… »

Le Président d’Æther hocha la tête.
« C’est ça. Mais des équipes d’intervention disponibles, il y en a eu, en cinq jours que ça dure. C’est exactement ce que j’expliquais tout à l’heure : on se trouve des prétextes.

- On n’en sait rien, mon chou, intervint Vicky. Pas grand-chose en tout cas. C’est vrai que ça peut sonner de cette manière, mais ne pensons pas tout de suite que tout le monde est contre nous. »

Gladio lui jeta quelque chose à voix basse et féroce, inaudible. Elle soupira légèrement.

« Il est vrai, Victoria, que cela pouvait être mal interprété, jusqu’à maintenant. Tu as entendu le professeur ? Il n’a rien fait pour démentir. On a vu juste, je te dis.

- Vous (Ilario parvint tout juste à temps à embrayer sur le vouvoiement) n’en avez pas re-discuté avec le lui, le professeur ? C’est ce que vous aviez dit.

- Je sais ce que j’avais dit, lâcha Gladio avec une œillade sombre en direction d’Euphorbe. C’est pas la peine. Il est borné. Vous l’avez vu ? Il se cache. Il porte ce masque en permanence. Il ne fait pas croire, en temps normal, ce comportement est naturel. Là, il se voile la face et il pense qu’on peut encore s’en sortir sans pertes supplémentaires. Enfin, pire que ça, il fait semblant de le penser, et c’est encore pire, vous avez pu voir. Mais discuter avec lui ne changera rien pour la Fondation. Il a déjà promis des renforts deux fois, on y sera encore le mois prochain. Et il n’y aura plus personne là-bas, à ce moment-là (il tourna furtivement le regard vers Vicky), les glouglous de la mer les auront tous bouffés. »

Il prit une pause avant de demander :
« Vous vous doutez de pourquoi je vous dis ça ? »

Ilario s’en doutait, oui, mais il n’avait pas entièrement la tête à ça. Dans le coin de son champ de vision, Rozbouton dodelinait de plus en plus sur sa chaise, et le Ranger craignait qu’il n’en tombe.

« Hmm, oui.

- Vous pouvez vous lier aux Pokémon, hein, s’excita Vicky dont les joues s’empourprèrent. Vous êtes la personne toute désignée pour vous rendre là-bas, et surtout calmer les Pokémon de la Fondation. Et comme rien d’urgent ne vous cloue à Alola, vous êtes libre d’y aller, c’est merveilleux !

- Je suppose, oui… »

Ses doutes du bateau remontèrent comme des bulles d’eau gazeuse, et avec encore une fois l’impression qu’on en attendait trop de lui.

« Vous supposez ? lança Gladio. Ne nous faites pas le coup du « peut-être » pour un « non », hein.

- Non » acquiesça-t-il (ce qui faisait un drôle d’effet).

Il prit le ton de la plaisanterie qu’il affectionnait, auto-défense face à ces deux paires d’yeux plus ou moins pleines d’espoir.

« C’est-à-dire que, je ferai de mon mieux, bien sûr, mais il ne faut pas non plus nous prendre pour des surhommes, nous autres Rangers. Haha.

- Mais non, le rassura Gladio (sans trace de chaleur toutefois). Ne pas nous confondre avec Euphorbe qui s’imagine que quatre Rangers seulement sauveront Alola. On est de ceux qui estiment qu’on a besoin d’aide, informa-t-il. On raconte que c’est la région mondiale de l’indépendantisme par ici. Mais dans des conditions pareilles, j’appelle ça être borné. Euphorbe a tenté de concilier les deux opinions, et voilà ce que ça donne. Un peu d’aide mais pas trop. Bref. »

Rozbouton se balançait vraiment de plus en plus fort.

« Mais nous voyons très bien ce dont vous êtes capable, et comme l’a dit Victoria, ces capacités vous qualifient pour cette tâche.

- Je vois, fit un Ilario soulagé.

- C’est conclu, alors ? demanda Vicky avec enthousiasme.

- Avec plaisir » accepta le Ranger sans être bien sûr de bien faire.

Le sourire de la petite dame s’élargit, ses yeux brillants.

« Il peut vous être utile de connaître la présence d’un certain Pokémon là-bas, à la Fondation, ajouta Gladio. Un Abra connaissant la capacité Téléport. Mais il est né là-bas, et n’a jamais visité le monde. Vous devriez avoir une petite idée de comment vous y prendre, pour cette opération, maintenant. Ah, vous avez quartier libre, évidemment, ajouta-t-il, mais faites au plus vite. »

Il essayait de le cacher, mais la reconnaissance transparaissait dans sa voix.

« Bien sûr. (Une pensée lui traversa l’esprit) Et ma binôme ? »

Dans le même temps, il jeta un regard vers l’endroit où elle buvait toujours son café, et aurait juré qu’elle les observait avant de tourner vivement la tête.

« Il vaudrait mieux qu’elle vous accompagne. Elle connaît bien la région, et c’est une excellente dresseuse. À condition de la convaincre, bien sûr… (Gladio aussi glissa un regard vers Alyxia : elle était replongée dans sa tasse de café) …je la connais assez mal, mais je sais qu’elle a un immense sens des responsabilités. Et Akala est son île, imaginez-la avoir vu de ses yeux ses terres dévorées par les vagues. Il y a eu des morts, ici, ajouta-t-il en baissant le ton.

- Je comprends. »

La phrase d’usage ; on comprenait en vivant, pas autrement. Gladio acquiesça. Rozbouton tomba de la chaise.

« Je lui en parlerai, reprit Ilario. J’essaierai de la convaincre. Et j’irai là-bas au plus vite, comptez sur moi. Hmm… »

Il jeta un regard vers sa boule de feuilles, qui s’était réveillée en sursaut et se vengeait sur le siège en le poussant contre le mur.

« Euh, excusez-moi, mon Pokémon fait le con avec la chaise. »

Vicky acquiesça avec compréhension, Gladio sourit pour la première fois de la journée. C’était un peu moqueur et presque imperceptible, mais quand même. Ilario eut un sourire aussi, d’excuse, et fila vers la plante verte en colère.

« Elle ne t’a rien fait, cette chaise, mon pote, lui souffla-t-il en prenant la bestiole dans ses bras s’asseyant avec elle sur le meuble attaqué. On va aller sur une île artificielle pour essayer de sauver des gens, d’accord ? Mais avant, on doit convaincre la dame là-bas de nous accompagner. Pas celle-là, l’autre, celle qui est à la table. Tu m’accompagnes, ou tu restes ici ?

- Bouton. »

Quand il n’en avait pas après une chaise, ce Rozbouton était quelqu’un de très calme, très posé. Toujours le ton juste. Il devait prendre très au sérieux son rôle de partenaire, Ilario en avait toujours été convaincu.

Sa binôme le regardait du coin de l’œil. Elle l’avait vu s’entretenir avec Gladio, peut-être même entendu, et attendait sans doute qu’il vienne à sa rencontre. Il se leva, posa Rozbouton sur le sol et lui ordonna de le suivre.

Il prit place en face d’Alyxia, qui le regardait sans rien dire. Ses yeux étaient si foncés que la pupille s’y perdait, ou peut-être était-ce juste à cause de la lumière des lieux.

« M’en doutais, que ces deux-là allaient demander qu’on leur vienne en aide, fit-elle au bout d’un moment où Ilario cherchait ses mots. Faut dire que c’est légitime, on la leur accorde pas, leur aide, depuis le temps qu’ils la demandent. Mais y’a autre chose à faire aussi, tu vois, et ils ont l’air d’avoir du mal à comprendre ça.

- Oui » acquiesça-t-il au hasard, notant le tutoiement.

Alyxia replongea ses yeux dans son café aussi noir ; il devait être froid, à présent.

« Je m’en fous si tu décides d’y aller, en fait. Ne t’en déplaise, c’est pas une seule personne qui va arranger les choses à Alola, qu’elle sache entourer le Pokémon ou non. Je pense que tu ne sais pas réparer une forêt, ni ressusciter des âmes (elle secoua la tête).

- Tu as entendu ce qu’on a dit.

- Oui.

- Mais pas tout. Si je t’en parle (il pensa que c’était elle qui avait abordé le sujet), c’est qu’ils m’ont recommandé d’y aller avec toi. »

Il n’osait pas regarder dans la direction des deux membres de la Fondation, mais était certain qu’ils l’observaient du coin de l’œil.

« Mais ça, c’est hors de question. C’est mon île, Akala, je l’abandonnerais quand on aurait le plus besoin de moi ?

- C’est pour sauver des vies, insista-t-il.

- Il y en a bien assez ici, des vies à sauver.

- Mais je pensais qu’Akala était plutôt calme depuis un certain temps ? Ou je me suis trompé ?

- Et alors, lâcha-t-elle d’une voix rauque. Tu n’en sais rien. Tu ne connais que des photos à la télé et des graphiques sur le papier. (Elle avala une gorgée de café pour se donner une contenance ; froid) Je suis mieux ici à secourir ceux qui sont sous ma propre responsabilité.

- Tu sais réparer une forêt ? »

Il comprit avec cette question qu’il allait trop loin.

« Oui, gronda-t-elle. Quel que soit le temps que ça prenne.

- Bien, acquiesça-t-il en essayant d’amoindrir la tension. Je le respecte. »

Alyxia finit sa tasse en une gorgée et la reposa sur le bois lisse avec une violence maîtrisée. Rozbouton essayait de s’élever sur les genoux de son dresseur afin de voir ce qu’il y avait sur la table. La femme à la peau foncée se leva.

« C’est non, déclara-t-elle avec le ton du point final. On rentre chez moi, on a assez traîné comme ça. »

Elle gagna la porte d’un pas haut et droit ; il la suivit un peu désarçonné, la boule de feuilles toujours dans les bras. Ils laissèrent derrière eux des coups d’œil furtifs et les soupirs de l’infirmière à l’éponge ; dehors, il ne pleuvait presque plus.


≈≈≈
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C’était une mission, en somme. Ça rattraperait bien vite la déception d’Ilario en apprenant qu’Akala n’avait pas besoin d’aides immédiates. Il avait répondu avec retenue qu’il se chargerait vite du problème de la Fondation, mais à vrai dire, cela le démangeait, de s’y rendre dans l’instant. Il était contraint de suivre Alyxia jusqu’à sa demeure, pour savoir où celle-ci se trouvait, mais échafaudait déjà ses plans pour partir juste après.

La Doyenne marchait devant lui, il se contentait de suivre le mouvement en serrant toujours Rozbouton contre lui. La petite bestiole végétale aurait eu encore plus de mal qu’eux deux à évoluer dans ce décor de fin du monde.

De toutes les zones touchées par les tempêtes récentes, c’était certainement cette forêt du sud d’Akala qui avait pris le plus cher : deux cyclones séparés d’à peine une semaine de répit, et pas de violence moindre. S’il n’y avait aucune présence humaine dans ces bois, ses habitants feuillus, eux, avaient souffert plus que raison.

Par endroits les frondaisons étaient amochées, mais encore sur pied ; les gouttes d’eau recueillies de l’averse s’éclataient sur le sol en glissant le long de leurs berceaux de feuilles. Cela créait un vacarme permanent de forêt tropicale, mais de forêt tropicale décimée. On n’entendait pas un chant d’oiseau là-dedans. Les Pokémon s’étaient terrés dans leurs nids, ou n’avaient pas survécu.

Ces zones relativement épargnées se parsemaient de trous de désolation : troncs déchirés, racines en l’air, éclats de bois tranchants, amas de branches cassées. Des bouts d’arbres avaient été projetés un peu partout ailleurs. La progression était laborieuse, s’accompagnait de boue, d’eau, et d’odeurs de sève morte et de terre détrempée. Le monde ici n’avait plus de sens défini, comme un jeu de quilles de titans. De quilles brisées.

Ilario avait renoncé depuis un certain temps à sauver ses chaussures des marais d’eau boueuse. Il venait de s’apercevoir que sa hâte de quitter Almia avait été telle qu’il n’avait rien emporté de plus que ce qu’il avait sur lui, comme si la mission ne devait pas s’éterniser.

Il ne comptait plus leur temps de progression lorsque les arbres cédèrent place à un ciel libre et gris ; ici, une petite dépression herbeuse inondée d’une nappe marronnâtre cohabitait avec la mer. Un petit escalier clair remontait hors de l’eau jusqu’à une sorte de portail traditionnel : un cadre de bois rouge surmonté d’un toit de paille, donnant sur une ville aux maisons du même style. Là, le sol pavé de motifs géométriques s’élevait assez haut au-dessus des vagues pour épargner la cité aux entrées d’eau salée. Mais la mer était tout de même bien trop proche aux yeux d’Ilario. On imaginait si facilement une grosse vague emporter ces maisons délicates et jolies dans sa mâchoire vorace.

Alyxia lui adressa enfin la parole, sans se retourner, mais la voix un peu déchargée de la colère qui l’avait envahie tout à l’heure. Pas une fois sa guide s’était assurée qu’il la suivait toujours. Cela lui semblait égal, et ce n’était pas très rassurant.

« On est à Konikoni, là où j’habite. Encore épargnée. »

Des bouts de bois et d’ardoise s’étalaient pourtant au sol, sans doute à cause des rafales qui secouaient les toitures. Il n’y avait pas âme qui vive dans la rue principale, juste parfois des lumières aux fenêtres, mais ternes et pâles. Le temps donnait l’impression que le soir arrivait, mais il ne devait pas être plus de seize heures.

« C’est là, indiqua Alyxia en bifurquant vers une maison semblable aux autres.

- OK, acquiesça Ilario. Je retiens le lieu, je pars à la Fondation Æther. »

L’Alolienne se retourna pour la première fois depuis leur départ du Centre, surprise.

« Maintenant ?

- Les gens là-bas y sont depuis cinq jours, appuya-t-il. Le plus vite sera le mieux.

- La nuit sera tombée assez tôt. »

Ces inquiétudes soudaines détonaient un peu par rapport à l’indifférence qu’elle avait montrée jusque-là, il s’en étonna.

« Je me débrouillerai, affirma-t-il. J’ai déjà été en mission de nuit.

- Dans un cyclone ? Même de jour, même à distance, c’est terrifiant, je vous assure. »

Son masque de marbre se fissurait, sa voix laissait paraître les horreurs dont elle avait dû être témoin.

« Ça ira. Ça ne peut pas attendre demain, de toute façon. »

Alyxia haussa les épaules, un peu de son assurance retrouvée.

« Très bien. »

Un silence trop long s’ensuivit.

« Hmm, c’est dans quel direction, l’île d’Æther ?

- Le Paradis Æther, c’est son nom. (Elle tendit le bras vers un point précis qu’elle semblait apercevoir à des kilomètres de distance) Par là. Va te falloir un Pokémon oiseau, hein.

- Euh, oui. J’avais l’intention d’en capturer un.

- Attends. »

Elle fit volte-face et poussa la porte de sa maison.

Ilario était assez perplexe. Il avait l’impression qu’elle l’aidait pour compenser son refus de se joindre à l’opération, mais aucun sentiment ne paraissait sur son visage de pierre. Oui, parce que de toute évidence, elle lui ramenait un Pokémon de type Vol. Il l’attendit en cherchant, de-ci, de-là, du coin de l’œil, un signe de vie humaine.
Rien. Toute la ville était cachée, dans ces habitations fragiles qu’un coup de vent pourrait briser.

La Doyenne de l’île ressortit assez vite, une Pokéball à la main. Elle la lui tendit.

« C’est une Archéduc. Tu as intérêt à en prendre soin, ce n’est pas un Pokémon courant.

- Merci beaucoup » fit-il en saisissant l’objet bicolore.

Alyxia hocha simplement la tête et s’en retourna chez elle. Ilario fixa la porte rouge quelques instants, puis posa Rozbouton sur les pavés pour mieux observer la sphère de capture qu’il tenait.

Une Pokéball. Bien sûr qu’il en avait entendu parler, mais n’en avait jamais vu ailleurs qu’aux retransmissions de compétitions Pokémon à la télévision. Il fit tourner l’objet dans sa paume, en songeant avec bonne humeur qu’il allait être le seul Ranger au monde à s’être servi d’une telle chose. Tournant son regard vers le ciel bouché, il pressa le bouton central.