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Templum fugit [One-Shot] de Shunko



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Informations

» Auteur : Shunko - Voir le profil
» Créé le 19/09/2017 à 03:59
» Dernière mise à jour le 20/11/2019 à 00:23

» Mots-clés :   Absence de combats   Mythologie   One-shot   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh

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Templum fugit
.....Le Mont Couronné est une gigantesque chaîne de montagnes, qui sépare verticalement Sinnoh en deux. Ses hauts pics escarpés sont un emblème de la région, et tout le monde en a déjà entendu parler au moins une fois, au gré d'une conversation ou dans un article de journal. Il a un charme certain, et ainsi chaque jour y viennent des randonneurs aguerris, des spéléologues courageux, des collectionneurs de Pokémon rares ou encore simplement des géologues y ayant trouvé leur terrain d'étude favori... Une atmosphère bien particulière l'enveloppe, un peu comme une aura, comme si les éminences minérales étaient des phares veillant sur les terres environnantes.
.....Personne n'aurait pu dire honnêtement avoir exploré le Mont Couronné. Il resterait toujours tant de sentiers à emprunter pour en atteindre les sommets, et tant de boyaux tortueux à affronter afin de parvenir en son cœur. C'est peut-être bien , précisément, la plus grande beauté du lieu : son infinité... Peu importe le nombre de cartes et leur précision, jamais on ne pourra représenter toute l'étendue de cette merveille naturelle. De nombreux endroits sont inaccessibles à l'homme, et même si certains Pokémon peuvent s'y faufiler, ils seraient de toute façon bien incapables de nous raconter quoi que ce soit de leur périple. Mais encore une fois, cela fait partie du mystère, et laisse place à l'imagination de tout un chacun.
.....À tout cela s'ajoute l'existence d'une activité sismique assez forte dans la zone. Ainsi il n'est pas rare que des tunnels s'effondrent, et que des passages soient totalement remodelés en l'espace de quelques secondes. Parfois, cela enclave une partie des galeries à tout jamais, ou du moins jusqu'à une prochaine secousse... Et parfois, au contraire, des accès s'ouvrent, révélant un peu plus du secret de l'intrigante chaîne de montagnes.
.....La faune est particulièrement foisonnante, et l'on dirait que la protection offerte par le solide couvert de pierre et le relief escarpé pousse les Pokémon à se reproduire comme des Lockpin. Les innombrables espèces, ainsi que les nombreux types de conifères poussant sur les sommets, forment ensemble une biosphère impressionnante. Souvent, dans le réseau de souterrains, on croise un Méditikka immobile, ou bien un Korillon tout grelottant de peur à notre approche. Des affrontements fréquents interviennent entre des Machoc et des Racaillou qui veulent jouer les durs. Parmi les gros rochers se terrent des Tarinor, mais si on les cherche un peu trop bruyamment, on court le risque de réveiller une nuée de Nosférapti effrayés, peu féroces et fuyants, filant sans faire face. Tôt le matin ou dans la nuit, on a une chance d'observer un Melofée mélancolique assis sur un rocher, contemplant une Pierre Lune. Dans les étendues d'eau peu agitées mijotent en majorité des Magicarpe, et dans les bassins boueux barbotent des Barloche et de beaux Barpau bien cachés. Attention, toutefois, à l'usage abusif de la Canne ! On risque à tout moment de déranger un Léviator, voire un Draco qui dort... Depuis les tréfonds de la terre on entend occasionnellement en écho les chorales cristallines d'Eoko ponctuées par les gongs des gangs d'Archéodong. À l'extérieur du Mont, parmi les bucoliques paysages verts de sapins, se cachent de blancs Blizzaroi qui brisent la brise de leurs bruissants branchages. À la tombée du soir, entre Ponchien et Lougaroc, on peut avoir le grand privilège d'apercevoir un fugace éclair noir et ivoire. Lorsque cela arrive, on sait qu'un grand tremblement de terre aura lieu très prochainement, et qu'un Absol attentif a eu la bonté de nous en prévenir... Et enfin, en passant sous les grands arbres, on entend le hululement fantastique des Noarfang fendre l'air.
.....Au plus profond des grottes, une espèce de Pokémon qui pourrait bien être la gardienne de grands secrets ancestraux a établi son repaire. Cette espèce n'a, à première vue, rien d'incroyable. Sa morphologie est certes particulière, mais en aucun cas elle ne choque ; son cri est classique, il correspond sans problème à l'idée que l'on s'en ferait. On ne sait cependant rien de ses habitudes, car elle vit la plupart du temps recluse dans des ruines, où personne ne devrait jamais plus mettre les pieds. Des ruines anciennes, scellées il y a bien longtemps par de violentes secousses, à n'en pas douter. Ou du moins, presque... En réalité, il existe une porte dérobée, chemin de traverse entre les roches, une conduite si étroite qu'un Étourmi ne saurait s'y frayer un chemin. Mais de toute façon, cette entrée, personne ne la connaît ni n'en soupçonne l'existence. À part ces énigmatiques Pokémon... Leur corps, qui paraît ouvragé par un artiste des temps anciens, est mince ; au moyen des fines crevasses, ils peuvent alors accéder au véritable centre de la montagne.
.....Un cœur de pierre, d'or, et de cristal.


.....Le jeune Pokémon rampe tant bien que mal dans le boyau étriqué. Les boules qui ornent le pourtour de son corps frottent aigûment contre les sinistres parois, en grinçant un peu, mais cela ne ressemble pour lui à rien de plus qu'une caresse sur sa peau brillante et lisse. Aucune éraflure n'apparaît d'ailleurs, qui viendrait briser la pureté de sa couleur bleue, plutôt foncée. Ses grands yeux pâles ne peuvent pas voir devant lui, puisqu'il est forcé de se tenir de profil. Leurs pupilles fendues ne parviennent qu'à observer le défilé continu d'un mur de rocaille et d'éboulis bruns, comme on regarderait se dérouler la pellicule cinématographique ternie d'un vieux film Sépiatop.
.....Ses yeux, d'ailleurs, sont vraiment particuliers. Typiquement, tous les Pokémon de son espèce ont en guise de prunelles deux protubérances métalliques, en tout point semblables à d'anciennes pièces japonaises en or, sauf qu'à la place du trou central est situé l'iris, noir comme l'onyx. Le métal précieux, connu pour sa brillance, donne un air étrange au visage tout entier : dans l'obscurité, la moindre lueur infime s'y reflète, de la même manière que dans les yeux d'un Chaglam. Et même en pleine lumière, l'éclat ocre et mordoré qui s'en échappe se réfléchit sur la surface parfaite de leur figure, formant des motifs chatoyants qui dansent au gré de leurs mouvements puis s'évanouissent ensuite dans l'air. Mais ses yeux à lui brillent d'une lueur différente. Oh, il ne se pense pas spécial pour autant ! Il s'agit assurément là d'un pur hasard de la nature, qui ne veut rien dire de plus qu'une légère différence de taille ou de coloration. Cependant, chaque personne ou Pokémon ayant déjà soutenu son regard a dû immanquablement ressentir cette particularité, même sans avoir jamais aperçu d'individu de la même espèce auparavant. C'est une affaire étrange, et donc complexe à décrire, mais la manière la plus simple de le faire serait de dire que ses yeux semblent être le miroir de l'âme des autres. Dès lors qu'il rentre dans notre champ de vision, on sent quelque chose de bizarre, de flou, comme si le monde s'arrêtait une fraction de seconde, retenait son souffle de temps. En le fixant assez attentivement, on ressent alors une certaine mélancolie, doublé pourtant d'un immense bien-être. La même sensation que l'on peut éprouver lorsqu'on effectue une plongée introspective au fond de nos souvenirs les plus agréables... Il n'a jamais compris ce qui causait cela, alors il se dit qu'il est peut-être juste un peu plus psychique que les autres. Cela n'explique pas tout, certes... Mais il vaut parfois mieux laisser certaines questions sans réponse.
.....Le tunnel va bientôt se terminer. Il le sait. Il le sent. Il a fait le chemin tant de fois par le passé qu'il connaît chaque recoin du boyau comme une Kangourex connaît sa poche. Encore un petit virage, et il y sera.
.....Le soir tombe. Le soleil a déjà bien entamé sa descente tandis que la lune prend son tour de garde. Partout les étoiles apparaissent, scintillantes, au chevet des galaxies. C'est l'été et les météores pleuvent, larmes solides du cosmos qui se désagrègent au contact de l'atmosphère. Peut-être certains d'entre-eux toucheront-ils le sol... Ils seraient alors rebaptisés " météorites " et gagneraient une place dans un musée. Une tardive volée d'Étourmi traverse les cieux rosis par le crépuscule, et leurs silhouettes finissent par disparaître en s'engouffrant dans un fin nuage duveteux, seule masse nébulée de tout l'empyrée. À vrai dire, le ciel est si clair et dégagé ce soir-là que c'en est presque effrayant, comme un trop grand calme qui annoncerait une tempête désastreuse. Mais il n'y a pas d'inquiétude à avoir : aucun Absol ne montre le bout de son museau. En revanche, si l'on fait l'effort de lever la tête, on peut sans peine apercevoir trois constellations dont les étoiles les plus brillantes forment un triangle au-dessus de l'horizon. La pointe supérieure est marquée par l'étoile α Vau, de la constellation du Vaututrice. À gauche se trouve α Lak, du Lakmécygne, tandis qu'à droite l'étoile α Gue, le plus grosse de la constellation du Gueriaigle, vient compléter la formation. Les derniers rayons de clarté s'endorment dans le lointain alors que le ciel se pare de sa plus belle robe de soirée, celle avec un fantastique dégradé fruité : le bas de dentelle est d'une profonde couleur Pitaye sanguine ; puis, en remontant un peu, la coloration s'estompe jusqu'à un jaune Tronci clair pour ensuite atteindre un bleu Oran au niveau de la taille, en passant d'abord par un vert Prine et un bleu Fraive clair. Enfin, le haut de la robe plonge progressivement dans l'obscurité la plus totale, mais est de-ci de-là tacheté d'infimes fragments d'étoiles, pareils à de minuscules Muciole. Le panorama est absolument splendide, et dans un instant ce moment magique sera brisé par le poids glacial de la nuit. Mais cela, notre étrange Pokémon n'en sait rien, et ne veut rien en savoir. Il continue d'avancer, à l'aveugle, dans les galeries tout aussi froides que l'air nocturne.
.....Une fois le virage passé, il effectue le dernier mètre de son périple et débouche dans la grotte centrale des ruines, juste en face du Temple. Et comme à chaque fois, la désastreuse beauté du lieu le paralyse plusieurs secondes durant.


.....« Professeur, nous avons enfin reçu le rapport d'Aurore ! Et je dois dire qu'il est assez… troublant. »
.....Louka vient d'entrer dans la pièce principale du laboratoire de recherche. De chaque côté de la salle se dresse une imposante machine complexe, un gros superordinateur et quelques armoires vitrées contenant des centaines d'échantillons précieusement récoltés lors d'expéditions à travers Sinnoh. Le sol est régulièrement pavé de carreaux gris, le mobilier est très sobre : au fond, quelques tiroirs accolés à deux bibliothèques remplies d'ouvrages scientifiques compliqués et une autre armoire. Devant cette petite librairie se tient une table de chêne massif. Plus à droite, un bureau en bouleau très clair renforcé de métal, un modèle plutôt moderne, est placé dans une sorte d'alcôve. Sur celui-ci est posé un ordinateur portable bleu foncé, et à son pied ont été jetés des livres en désordre, qui contrastent avec l'impression de propreté du reste des lieux. Enfin, tout au fond du bâtiment à droite, une seconde pièce, qui sert d'entrepôt, est parsemée de colis, encore emballés dans de gros cartons, et contenant probablement des écailles de Séviper, des plumes de Roucarnage, ou d'autres échantillons de Pokémon envoyés par les professeurs des autres régions. Deux chercheurs en blouse s'affairent comme des Fermite autour des machines d'analyse. Le Pr Sorbier quant à lui se tient droit, les mains dans le dos, au centre de la salle. Sa chemise gris clair, son blazer bleu sans manches, sa cravate rouge et son pantalon noir lui donnent un air simple mais soigné. Il semble tout juste sorti de ses pensées par l'irruption de son jeune assistant.
.....Le garçon tient dans sa main droite un dossier, composé d'une multitude de pages. Il est arrivé une heure auparavant chez lui par la poste Békipan, et constitue l'ensemble des observations effectuées par son amie et collègue, Aurore, au Mont Couronné. Elle y a été envoyée avec la mission de cataloguer les espèces de Pokémon, leurs habitudes, leur fréquence de passage en des lieux donnés de la gargantuesque montagne à différentes heures de la journée… Le travail lui a demandé deux mois d'études intenses, mais il vaut le coup, puisqu'il apporte des renseignements essentiels sur tout le fonctionnement de la zone et de sa faune.
.....« Ah, Louka ! Bonjour, salue le Pr Sorbier. Que veux-tu dire par troublant ?
.....— Bon, tout d'abord Aurore est parvenue à rassembler une quantité d'informations faramineuse ! Grâce à elle, nous devrions être capables de préciser toutes nos connaissances sur plusieurs espèces de Pokémon ! Son travail d'analyse est remarquable et je pense que personne n'aurait pu mieux faire. »
.....Un air satisfait se dessine sur son visage. Il a toujours su que son amie trouverait sa voie sur le terrain. Enfant, déjà, elle passait son temps à courir comme une folle après les Keunotor dans les hautes herbes près de Littorella. Certes, ses méthodes ont aujourd'hui bien évolué, mais il s'agit tout de même de suivre des Pokémon pour les observer. Lui préfère travailler à l'abri, dans un laboratoire. Il est bien plus passionné par la structure moléculaire d'une aile de Papilusion que par les recensements de colonies de Pingoléon, cependant il est heureux de se dire que si sa camarade en est là aujourd'hui, c'est un peu grâce à lui. Car c'est lui, du temps où il était en apprentissage au centre de recherches, qui l'a poussée à postuler auprès du professeur. Sorbier le coupe dans sa réflexion :
.....« Certes, mais nous étions déjà tous persuadés de la réussite de son entreprise, n'est-ce pas ? »
.....Il prononce ces derniers mots assez fort, comme pour demander l'approbation de ses collègues. Les deux scientifiques font oui de la tête, sans même détourner le regard de leurs expériences une seule seconde.
.....« Alors maintenant, dis-moi ce qui se passe, enjoint-il calmement.
.....— J'y viens ! Vous savez comme moi qu'il existe certaines espèces de Pokémon dont nous ne connaissons pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Parmi ces espèces, il en est une en particulier qui pourrait receler quelques… disons, mystères intéressants.
.....— Tu piques ma curiosité, Louka, répond le professeur en haussant un sourcil.
.....— Avez-vous déjà entendu les légendes qui circulent sur Archéomire ? » demande le jeune garçon. Il semble énigmatique, comme s'il voulait cacher les conclusions qu'il avait pu tirer du fameux rapport afin de voir si le vieil homme arriverait au même résultat. Ce dernier se prête patiemment au jeu.
.....« Je crois bien, elles sont assez célèbres dans la région. On raconte qu'ils sont de simples miroirs, abandonnés dans d'antiques tombeaux puis devenus vivants par l'effet d'on ne sait quel sortilège. Nos ancêtres pensaient qu'ils renfermaient une puissance incroyable, ils leur ont même construit quelques autels afin qu'ils rendent leurs cultures prospères ! Oh, ils ont bien sûr tous disparu aujourd'hui.
.....— Exactement ! acquiesce Louka, les yeux brillant d'excitation. Pourtant, personne n'est jamais parvenu à les étudier, c'est assez étrange, vous en conviendrez.
.....— Aurore a-t-elle réussi à en observer de près ? dit le vieillard, sceptique. Cela me paraît trop incroyable pour être vrai.
.....— Elle en a bien vu, mais pas assez longtemps pour en tirer quelque information que ce soit sur leur mode de vie. Chaque fois qu'elle a tenté de les approcher, ils se sont enfuis en vitesse vers l'intérieur de la montagne. Elle a bien essayé de les suivre, mais ils ont toujours fini par disparaître soudainement. Ce sont des Pokémon très agiles et rapides, en dépit de leur poids. D'ailleurs, vous en connaissez beaucoup, vous, des gens ayant pour compagnon un Archéomire ? »
.....C'est une question rhétorique, et il le sait. Ainsi ne répond-il pas. De toute façon, il ne voit qu'une personne qui possède un tel Pokémon : Charles, son ami le champion de Joliberges. Louka a raison, c'est très rare qu'on parvienne à le capturer… Il n'est pas anormal que des Pokémon fuient l'Homme, mais cela n'empêche habituellement pas de trouver leur repaire. Pourtant, il n'a jamais entendu parler une seule fois de la découverte d'un quelconque nid d'Archéomire… Serait-ce là ce qu'a dégoté sa chère élève ? Avant qu'il n'ait eu le temps de poser la question, le jeune homme a déjà repris son résumé.
.....« Dans son rapport, Aurore fait une remarque intéressante. Elle a croisé toutes sortes d'espèces durant ses pérégrinations, certaines plus fréquemment que d'autres. Elle a noté les emplacements de nombreuses tanières, recensé les naissances et estimé les populations. Je me répète, mais son travail est réellement remarquable.
.....— A-t-elle par hasard rencontré un nid d'Archéomire ? lance le professeur en profitant de la pause effectuée par le jeune garçon.
.....— Pas exactement…
.....— Pas exactement ? interroge-t-il avec étonnement.
.....— En fait, il s'agit même du seul Pokémon dont elle n'ait pas déniché l'abri. Pourtant, elle a même trouvé des œufs d'Absol ! Vous savez comme moi la discrétion de cette créature.
.....— En effet, c'est pour le moins étonnant... »
.....Le savant passe ses doigts sur son menton, puis triture sa moustache, avec une moue perplexe. Jamais il ne s'est penché sérieusement sur le cas d'Archéomire. c'est à ses yeux un Pokémon comme tant d'autres, sans réel attrait. On a étudié sa structure, son anatomie, sa composition. On en a tiré quelques conclusions : tout d'abord, les rayons X le traversent entièrement. Ensuite, il n'a aucun intérêt pratique, et contrairement à ce que pouvaient penser les gens du temps jadis, il ne semble receler aucun pouvoir particulier. Et pourtant, des mystères demeurent… Pourquoi n'a-t-on jamais pu observer leur comportement dans la nature ? Où se cachent-ils donc ? Il voit maintenant la question d'un tout autre œil. Ce Pokémon est décidément bien étrange ! Il fait signe à Louka de poursuivre son raisonnement.
.....« De la même façon, alors qu'on semble rencontrer à peu près les mêmes espèces dans l'ensemble du Mont Couronné, on ne trouve Archéomire qu'au rez-de-chaussée et au sous-sol, ainsi que, plus rarement, aux alentours des entrées, sur la Route 211. Regardez par vous-même ! »
.....Il lui tend une carte récente du Mont sur laquelle Aurore a patiemment recensé tous les lieux exacts où elle a vu des Archéomire ainsi que ceux où elle les a aperçus pour la dernière fois, avant qu'ils ne s'évanouissent dans la nature. Le résultat est singulièrement frappant : les Pokémon ont a chaque fois disparu au sous-sol de la montagne, et ce en un point bien précis. Existerait-il alors un passage qui mène à leur tanière ? Si ce n'était que cela, ce serait trop simple.
.....« C'est saisissant… laisse échapper le vieillard sans le vouloir.
.....— Quelles conclusions en tirez-vous ? demande Louka, visiblement une idée en tête.
.....— Tu penses qu'à cet emplacement se trouve un accès à leur nid ?
.....— Parfaitement. Je crois même savoir à quoi il ressemble… »
.....Le professeur Pokémon le regarde, les yeux ronds, ouvre la bouche, mais Louka ne le laisse pas entamer sa phrase :
.....« Notre chère amie a remarqué une fissure un peu étrange et quasi-invisible si l'on n'y prête pas une attention toute particulière. Il semblerait que des éboulements aient presque entièrement bouché d'anciens tunnels, et que cette crevasse soit le dernier accès restant. Cela correspond à toutes les observations, et peut permettre d'expliquer pourquoi on observe des Archéodong avec plus de facilité : il est impossible qu'il puissent se dissimuler en passant par le même boyau.
.....— Tu as raison, cela se tient… Mais si Archéomire est capable de s'y rendre, alors pourquoi ne pas envoyer un Pokémon de petite taille, affublé d'une caméra, pour enregistrer ce qui se trouve de l'autre côté ? propose alors Sorbier.
.....— Je crains que ça ne soit infaisable, affirme Louka en secouant la tête tristement. Elle dit y avoir déjà réfléchi, et le matériel photographique dont nous disposons ne passerait pas par la faille. S'il faut effectuer une commande sur mesure nous aurons besoin d'un budget conséquent, et nous ne pourrons l'obtenir pour un motif aussi anodin qu'observer des Archéomire... »
.....Le vieillard ne voit aucune autre possibilité. Il serait donc impossible d'y accéder… à moins que…
.....« Dis-moi, Louka… Est-ce qu'Aurore a pensé à l'éventualité de dégager ces éboulis ? Quelques Mackogneur accompagnés de Minotaupe auraient vite fait de creuser un couloir praticable pour les hommes.
.....— Non, du moins je ne crois pas qu'elle le précise…
.....— Bon, alors sois gentil, envoie-lui une lettre pour la remercier, et demande-lui par la même occasion de vérifier cette hypothèse ! » dit le chercheur.
.....Louka acquiesce, salue le professeur, et s'empresse d'aller accomplir sa mission. Les scientifiques, jusqu'à présent restés silencieux mais ayant écouté la conversation tout de même, se rapprochent alors de Sorbier.
.....« Monsieur, comptez-vous vraiment aller explorer les méandres du Mont Couronné pour de simples Archéomire ? enquit la femme brune à lunettes rouges.
.....— Eh bien, il semblerait que je me prenne au jeu ! répond le vieil homme avec un sourire espiègle, puis il éclate de rire. Cette histoire est bien trop étrange pour ne pas être passionnante ! Et même si elle ne l'était pas, la science vaut le coup que l'on s'intéresse à ses créations les plus insignifiantes. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, il est l'heure ! »
.....Et sur ces mots, il quitte le laboratoire d'un pas assuré et se dirige vers Bonaugure, comme tous les soirs, afin d'aller contempler un long moment le coucher du soleil sur le Lac Vérité.


.....La grotte est véritablement gigantesque : si on l'inondait, on pourrait y faire vivre sans problème un couple de Wailord. Rien ici n'est comme ailleurs. Le lieu ne semble pourtant pas hors du temps, mais au contraire plongé en plein cœur du monde. Comme des mauvaises herbes, des cristaux violacés, presque bleuâtres, poussent un peu partout. Il en sort des murs, du sol et même, par endroits, du plafond. Un phénomène minéral leur offre une précieuse luminescence en ce refuge des ombres, et ainsi leur pâle clarté, amplifiée par les eaux légères qui ruissellent des parois, emplit l'espace de ses iridescences. Le plancher est rocailleux, tout de granite et de gravillons ; il s'éclaire parfois brièvement lorsqu'un rai vient frapper sa surface quartzeuse. L'air même n'a pas son odeur habituelle. Il est âcre, comme le soufre d'un volcan, a la douceur de la brise marine sur la côte de Rivamar ; il laisse un parfum tenace, comme la boue dans les marais de Verchamps, et aussi entêtant que toutes les fragrances de miel des champs de Floraville. Cette senteur, comme une sentence, maintient le calme absolu des lieux, n'autorisant que le son régulier des grosses gouttes filtrant à travers la voûte. Quelques plantes courageuses parviennent à se frayer un chemin à travers l'écorce rigide des sols profonds, vivotant dans la faible clarté et dans l'humidité constante. Des herbes peu touffues éclatent, ternes et éparses, auprès des cristaux-lampes les plus imposants, puis se font de moins en moins nombreuses partout ailleurs. Leurs racines s'enfoncent lentement dans les roches, et c'est alors une lutte acharnée entre le minéral et le vivant – ou plutôt, un combat du vivant contre un minéral indifférent et pourtant résistant avec acharnement à son invasion. Celles qui en sortent victorieuses se voient attribuer en guise de trophée une ou deux tiges maigrelettes, parfois pourvues de feuilles, déjà à demi mortes à peine sorties du bourgeon. On pourrait bien se demander à quoi rime cette mascarade, et pourquoi ces bastions de verdure dans l'enfer des plantes ne rejoindraient pas plutôt leurs consœurs, à la surface... La nature est parfois étrangement bornée. Les mousses quant à elles, de toutes les nuances de vert, recouvriraient aisément des pans entiers de mur, abondamment nourries par l'eau qui s'en écoule, mais elles préfèrent se tapir dans les rares coins de pénombre.
.....La lumière spéciale, presque fantomatique, dévoile alors un bâtiment à l'abandon, autrement dissimulé dans l'ombre de la montagne : le Temple, enfermé dans son caveau il y a plus de deux mille ans à la suite d'un séisme majeur, se dresse, fier et quasi intact, au fond de la caverne. Son fronton, richement décoré de fresques mythologiques, taillé dans un marbre extrêmement pur et parfaitement immaculé, voit son poids colossal annulé par la présence de quatre colonnes massives du même matériau, striées verticalement sur toute leur longueur. Des traces de dorure subsistent encore, révélées par des reflets fugitifs. Au pied des grands piliers s'entassent des montons d'offrandes perdues. Parmi elles, de nombreuses pièces d'argent, quelques-unes d'or, des pierreries de toutes les couleurs et toutes les tailles, dont d'énormes sphères Pâle et Prisme, si rares et si jolies… Pourquoi les choses les plus agréables sont-elles toujours les moins abondantes ?
.....Deux lourds récipients de bronze en forme de bol, encore remplis de cendre, ont été disposés juste à l'entrée du monument, à laquelle on peut accéder par quelques marches abîmées. Il y a des millénaires, les gens venaient y brûler de l'Encens Veine pour invoquer la clémence des dieux, mais cela fait maintenant bien trop longtemps que tous l'ont oublié. Le reste du sanctuaire s'enfonce dans la paroi rocheuse ; ou plutôt c'est la paroi qui semble s'être avancée sur lui, comme une couverture qu'une mère ferait lentement glisser, sans un bruit, pour ne pas réveiller son enfant.
.....Le petit Archéomire contemple ce monde englouti qui l'entoure et semble l'avaler chaque fois qu'il en franchit le triste seuil. Il trouve à ces lieux une beauté indicible, presque mystique. C'est une légère bulle secrète et douce, cachée dans un coffre de pierre brute, comme le cerveau rêveur d'un Kranidos. Il est toujours pris de cette torpeur frissonnante à la vue du Temple, un éblouissement qui l'emplit de vibrations chaque fois nouvelles, chaque fois inconnues. Dans cette caverne, dit-on, passe un fil. Ce n'est pas un fil ordinaire. Il ne ressemble en rien à quelque câble ou ficelle que ce soit : c'est un lien invisible entre les mondes, et toutes les dimensions sont tissées dans ce même fil rouge, inévitablement reliées entre elles dans la grande tapisserie de l'univers. Quelle est celle qui vient après celle-ci ? Personne ne pourrait le dire. Est-ce le monde des morts ? Ou bien simplement ce même monde à quelques détails près ? Aucun élément ne permet d'apporter de réponse satisfaisante, et rien d'ailleurs ne prouve que ce fil existe bel et bien. Peut-être sont-ce juste des légendes... Et cependant c'est exactement ce que ressent Archéomire à chaque fois, comme si quelque chose au fond de lui voulait y croire. Il ne sait pas si tout le monde a cette impression, il n'a jamais osé demander aux autres et, à vrai dire, il préfère éviter de passer pour un fou.
.....Après quelques secondes, il ne ressent plus rien. C'est chaque fois la même chose. Certes, l'endroit est toujours magnifique, mais c'est comme si le fil avait disparu. Comme si, à son approche, une porte, ou non, un soupirail plutôt, s'ouvrait compendieusement sur ces autres horizons aux mille odeurs et aux millions de lumières, avant de se refermer jusqu'à la fois suivante.
.....Enfin revenu à lui, il s'avance en flottant vers cet édifice si mystérieux où vit une centaine d'Archéomire. Dans le grand temple, on trouve une salle au moins aussi vaste que la caverne extérieure. Son toit est un dôme, dont la voûte est partiellement recouverte de peintures, minutieusement écaillées par le grattoir des siècles, mais qui à l'origine devaient représenter les mythes fondateurs. Sur les flancs de la grande salle s'élèvent gravement des sculptures incarnant de gigantesques Pokémon de platine brut qui paraissent soutenir le toit de toute leur hauteur. Leurs yeux figés semblent porter de lourds fardeaux, mais aucun Archéomire n'a jamais pu en discuter avec eux. Au fond de cette pièce, une cloison de calcaire isole une deuxième chambre, plus petite, qui abrite en son centre un autel millénaire. Et sur ce piédestal trône une boule de nacre brillante, sur son socle d'argent. D'après les légendes, cet orbe serait le gardien du Temple. Ce serait lui qui le protège des séismes, l'empêchant de s'effondrer et de s'en retourner à la poussière. Les Archéomire se relaient alors pour le surveiller, comme s'il pouvait s'enfuir tout seul, en roulant, soudainement pris de pulsions et se croyant un lien de parenté avec un Sabelette.
.....Malheureusement, les mêmes légendes prophétisent également une catastrophe d'ampleur encore jamais vue. Ces contes définissent l'univers comme une tapisserie : les différentes parties sont différents mondes, parfois semblables, parfois pas, mais pourtant ils sont tous faits du même fil et reliés ensemble. C'est presque s'il pourraient se toucher… Lentement, les mondes s'éloignent les un des autres, comme si on tirait légèrement sur les bords de la tapisserie ; seulement à force de s'étendre le fil de l'univers se fragilise. Alors, il y a bien longtemps, des temples furent construits à travers ces mondes, sur l'ordre des dieux, afin de les ancrer entre eux et ainsi d'empêcher la rupture du fil. Un de ces temple était le Temple de Sinnoh. En le cœur de ce sanctuaire, les homme placèrent une énorme perle imprégnée d'énergie divine, qui leur avait été confiée par Palkia, la divinité de l'Espace, ainsi qu'un gigantesque diamant bleu confié à eux par Dialga, maître du Temps. Leurs énergies combinées devaient servir à lier cette dimension à sa sœur la plus proche, un monde dont personne ne savait rien. Des moines y veillaient, jour et nuit, protégeant le refuge sacré, et vouaient un culte aux dieux protecteurs de la région. Or, un jour, un jeune homme pauvre qui était moine dans ce temple ne put s'empêcher de dérober le diamant, espérant revendre la pierre pour une grosse somme d'argent. Mais à peine eut-il le temps de s'enfuir de quelques dizaines de mètres qu'un bruit assourdissant, surnaturel, surgit des entrailles de la terre en bouillonnant. Les secousses furent terribles, et toute une partie de la montagne s'effondra. La région entière trembla, et certains lieux éloignés en gardent encore aujourd'hui les traces... Le voleur fut englouti dans les tréfonds du monde avec son larcin, comme tous les autres hommes qui tentèrent de fuir la catastrophe : seul le Temple resta intact, bien qu'inhumé, grâce à la puissance de la perle. Le diamant, lui, était perdu dans les profondeurs...
.....Incomplet, le cœur du Temple ne peut pas suffire à maintenir indéfiniment l'attache entre les deux mondes. Tôt ou tard, celle-ci s'affaiblira, et le fil menacera de se briser pour de bon. L'équilibre de l'univers atteint, tout commencera à se détraquer, et un séisme encore bien plus important viendra alors mettre fin à l'attente en cassant de toute sa violence le mince lien restant.
.....Cette catastrophe peut être évitée. Seulement, pour cela il faut retrouver le fameux diamant… La terre finit toujours par recracher ce qu'elle avale, mais combien de temps cela prend-il ? Personne ne sait où est la pierre, si elle est encore intacte. Les Archéomire la recherchent depuis toujours, sans relâche. Ils veillent, en silence, au maintien de la vie. Ils sont trop faibles, alors ils doivent bien sûr rester la plupart du temps au Temple. Une fois qu'ils ont évolué, c'est différent. Archéodong est un Pokémon plus puissant, il n'a pas de problème à rester dehors. Après la transformation, ils ne peuvent de toute façon plus entrer par les galeries, alors ils cherchent autant qu'ils le peuvent dans les souterrains pour retrouver le diamant perdu. Lorsqu'ils pondent un œuf, ils le surveillent jusqu'à son éclosion et le mènent ensuite directement auprès du Temple. Les Archéomire ne sortent que pour se nourrir, et par la même occasion s'informer de l'avancée des fouilles… Mais ils doivent faire attention à ne pas rencontrer d'hommes. Leur avidité est sans pareille, les récits mythiques le montrent bien ! La richesse est tout ce qui leur importe, quitte à détruire tous les autres. Ils ont oublié l'existence du Temple avec le temps… Sa disparition a fait passer la prophétie pour des affabulations, et elle a donc fini par s'évanouir de tous les esprits. S'ils parvenaient à accéder au Temple, ils ne se préoccuperaient pas du destin de l'univers. Ils ne sauraient que le piller, emportant probablement la précieuse perle avec eux et condamnant alors tout le monde. Leur secret ne peut pas être découvert… Si un Archéomire vient à être suivi, il faut qu'il fuie le plus vite possible pour semer ses poursuivants. Et si l'un d'entre-eux se fait capturer, il ne doit plus jamais tenter de revenir auprès des siens. Le destin de l'univers en dépend.


.....« Tu y crois, toi, à ces histoires d'Archéodong qui ouvrent des portails vers d'autres dimensions pour faire pleuvoir sur les cultures ?
.....— Priiin ! répond le Prinplouf d'un air niais.
.....— D'après moi, ça ressemble en tout point à une Danse-Pluie classique... »
.....Devant eux, un Archéodong s'agite la cloche en criant, et alors le ciel s'assombrit au-dessus d'eux, annonçant une ondée aussi rafraîchissante qu'un pot de sorbet à la Fraive, combattant un peu la chaleur écrasante de l'été.
.....Ces histoires de dimensions la tracassent. Elle aimerait tant percer le secret qui semble caché en ces Pokémon ! Pourquoi de telles légendes sur des Pokémon aussi banals ? Pourquoi les Archéomire se cachent-ils dans la pénombre des profondeurs du Mont Couronné alors qu'ils en sortent sans problème après avoir évolué ? Ils pourraient avoir besoin de se nourrir à l'extérieur et devoir rentrer à l'abri immédiatement après à cause de leur faiblesse… Mais cela ne tient pas vraiment la route. Et puis, elle a un pressentiment, comme s'il y avait autre chose derrière, de bien plus incongru… En fait, en tant que scientifique, suivre ses intuitions constitue la base de toute découverte ! Celui qui avait expliqué le mécanisme de l'évolution des Pokémon, Dardarwin, était un brillant chercheur, et il avait cependant tenu tête à tous les autres « spécialistes » qui jugeaient ses théories ridicules. Au final, il s'est avéré qu'il avait bien raison.
.....Tout en réfléchissant, elle contemple les gouttes qui tombent vers elle. La pluie l'a toujours apaisée. C'est comme une purge, une catharsis : le ciel tout entier pleure, et alors elle n'a plus besoin de s'inquiéter de rien, car toutes ses tristesses et tous ses malheurs s'en vont avec le mauvais temps. En levant les yeux vers le ciel, il lui semble apercevoir, à travers les nuages, une lumière rosée… Tiens, est-ce que ?… Non, une seconde après la lumière a disparu, et la pluie ne tarde pas à s'arrêter. Peut-être, finalement, qu'il s'agit seulement d'un phénomène optique. Les anciens ont cru voir un portail là où le soleil ne faisait que rebondir sur la moelleuse couche de cumulonimbus formée par l'attaque d'un Archéomire. C'est l'explication la plus probable.
.....La plus probable ? Et alors ? Elle n'a pas envie d'y croire. Elle préfère garder une part de mystère. Après tout, si Archéodong n'ouvre pas de portail inter-dimensionnel, alors pourquoi Archéomire garderait-il un quelconque secret ? Elle sent que les deux sont liés. Ce qui se passe, elle n'en a aucune idée ; et pourtant, il y a indéniablement quelque chose qui ne colle pas.
.....Par réflexe, elle porte sa main à son cou. Le pendentif que lui a offert son père s'y trouve toujours. Elle a très peur de le perdre… Elle voit son père si rarement qu'elle aime penser qu'il est avec elle, au plus près de son cœur. Ils ont toujours été proches, mais depuis qu'il a déménagé à Alola elle ne peut plus passer de temps avec lui puisqu'elle doit se concentrer sur son travail, ici, à Sinnoh… La jeune fille espère tout de même pouvoir lui rendre visite d'ici la fin de l'année, cela fait déjà six mois qu'il est parti et le temps commence à sembler long.
.....La Route 211 s 'arrête brusquement sur un haut mur, percé simplement d'une entrée austère. La grotte semble petite vue de l'extérieur, mais elle sait bien qu'il s'agit en fait d'un labyrinthe inextricable de conduits plus ou moins accidentés. Aurore entre sans réfléchir. Elle connaît maintenant de nombreuses portions de la montagne, à force de l'explorer pour son travail de recherche. Ainsi n'a-t-elle pas besoin de carte pour atteindre son objectif : la mystérieuse fissure où disparaissent les Archéomire.
.....Rien n'a bougé depuis la dernière fois, si ce n'est que le silence semble encore plus marqué. Aurore examine la zone minutieusement, inspectant les éboulis qui constituent le semblant de paroi devant elle. Les gravats sont parfois volumineux, mais un Mackogneur a assurément une force suffisante pour les dégager. Il se pourrait que le professeur ait eu raison, en déblayant le chemin, l'accès à la mystérieuse tanière des Archéomire serait probablement révélé au grand jour ! Alors qu'elle se réjouit à cette perspective, son œil capte un détail qui la gêne, bien qu'elle ne sache pas l'identifier immédiatement. Elle scrute patiemment l'endroit qui a accroché son regard, près du plafond, en fronçant les sourcils comme pour mieux se concentrer. Et puis, après quelques secondes, elle la voit enfin : une craquelure importante qui parcourt le couvert de roche. Elle commence un peu avant la paroi et continue de séparer le plafond en deux, s'enfonçant par-delà la limite de l'agrégat de pierres. Le déblayage n'est même pas envisageable… Elle n'est pas géologue, certes, mais il semble évident que ce qui permet à la grotte de résister, ce sont ces mêmes gros rochers qui bloquent la route. Un léger pincement vient titiller son cœur un instant. Ses projets de grande découverte se retrouvent en un instant brisés et jetés aux ordures.
.....Soudain retentit un bruit suraigu sur sa gauche. Aurore pivote donc et, après un instant de pause, éclate d'un rire tonitruant – sa marque de fabrique – en tombant à genoux. Son fidèle Prinplouf, curieux comme une Fouinette, a voulu explorer la fameuse crevasse pour laquelle la demoiselle est venue. Évidemment, cet imbécile s'y est coincé l'aile, et il gigote maintenant dans tous les sens en piaillant pour tenter de l'en sortir… Mais la situation est si cocasse qu'elle ne peut rien faire pour l'aider. De toute façon, en tirant encore un peu, il se débloque sans problème de sa dérisoire prison naturelle.
.....Une fois qu'elle a reprit ses esprits, Aurore se lève, essuie ses dernières larmes en soupirant, et commence à quitter les lieux.
.....« Allez, Prinplouf, viens. De toute façon, il n'y a rien d'autre que nous puissions faire ici.
.....— Priiin ! » répond l'oiseau.
.....Rire un bon coup lui a fait beaucoup de bien. La déception est toujours présente mais il lui semble qu'elle parvient un peu mieux à relativiser.
.....En sortant de la caverne, la jeune femme attrape machinalement le diamant aux reflets bleuâtres opalescents qui pend à son cou tandis que, dans le lointain, un Archéodong sonne pour que gronde une averse.


.....Une averse… Très original. La violence des gouttes s'est tout à coup amplifiée. De toute façon, ici, le temps est toujours pluvieux ; si ce n'est l'averse, c'est donc l'orage.
.....La silhouette encapuchonnée d'ombre, qui ressemble beaucoup à un moine, flotte à quelques centimètres du sol de terre humide. La fumée de sa bure sans manches frôle les quelques espèces d'herbes folles qui poussent et parsèment le sol de teintes rouille et ocre. La chose avance sous le toit de métal gris foncé, presque noir, à l'abri de l'eau qui tombe du ciel avec force. Aucun pilier ni aucun câble ne retient le toit, qui lévite simplement à plusieurs mètres de hauteur. La physique qui permet cela est bien trop compliquée à expliquer, tout comme d'ailleurs le fait qu'il pleuve en continu. Mais sur ces terres, pas de cycle de l'eau, et pas non plus de gravité au sens où on l'entend. Seulement les lois singulières qui régissent cette dimension.
.....Pas de murs ici, pas de maisons. Pour quoi faire ? Personne ne dort, personne ne mange et personne ne s'amuse. Ici, on vit et on disparaît sans trop en savoir les raisons, et sans chercher à les connaître. Ce qui compte, c'est de retenir tout ce qui se passe. C'est comme cela que perdure le monde, et que l'on ne se perd pas.
.....La créature sibylline s'approche de l'Horaothèque. La protection du bloc qui vole au-dessus d'elle s'arrête assez soudainement, l'obligeant à traverser une petite zone exposée aux caprices du ciel. Les perles liquides et diaphanes poursuivent leur cours, aucun contact ne peut se faire avec l'évanescence de son corps. Comme à travers de la fumée, des remouds apparaissent, des creux se forment à la surface de la silhouette mais tout revient automatiquement à sa position initiale une fois que la goutte est passée.
.....L'Horaothèque, c'est à dire l'endroit où l'on range ce que l'esprit voit, consiste en un simple trou dans le sol, un puits ovale, large de plusieurs mètres et plus profond que toutes les mers d'Hoenn. Elle est coiffée d'une structure métallique arrondie qui lévite. D'autres constructions du même type surplombent la plaine, se rejoignent dans les airs pour définir des chemins abrités. Celles-ci sont bien plus allongées qu'elles ne sont larges, en pointe sur le dessus afin d'évacuer la pluie par les côtés. Ainsi, vue du ciel, la terre ressemble à un tas d'aiguilles abandonnées. Ces « chemins » qui sont tracés ne sont pas vraiment utiles. Les bêtes enfumées qui parcourent ces terres n'en ont pas besoin puisque la pluie ne leur fait rien. Mais ces voies sont là depuis très longtemps, avant même que ces créatures n'existent.
.....Au fond du puits, on aperçoit depuis la surface un amas de points dorés minuscules qui scintillent, comme de petites étoiles tombées dans un panier et incapable de s'envoler à nouveau pour en sortir. Chaque lumière est en fait une sphère parfaite, qui n'a pas de matière tactile. Elles sont toutes composées de Mémoire, une substance éthérée qui transcrit les souvenirs – ou, plus précisément, les souvenirs des Fuligo, ces créatures obscures vêtues d'ombres. Chacune de ces balles contient donc les réminiscences d'un événement qui s'est déroulé dans le passé, et tous les événements importants dont ont été témoins les Fuligo depuis leur apparition sont strictement consignés et entreposés dans cette réserve remplie de milliards de milliards de fragments d'Histoire. Ce sont des scènes dont il faut se rappeler et qui, pourtant, ont en quelque sorte été jetées aux oubliettes.
.....La Fuligo s'approche du trou. Elle s'incline légèrement en avant et sa silhouette s'illumine brièvement d'une faible lueur mordorée, la couleur de la Mémoire. Si elle avait eu des yeux, ils se seraient à coup sûr fermés délicatement, comme au début d'une séance de méditation. Alors, du fond du puits s'élève une douce rumeur, une symphonie de voix sans mots, sans paroles et sans langue… Les voix muettes de la Mémoire. Tous les éclats, toutes les particules de vie remontent en écho de leur piège. Les restes des vies des Fuligo du passé font surface à nouveau pour tenter de murmurer leurs secrets. Aucun son ne se fait vraiment entendre, et pourtant c'est comme si la Mémoire chantait. C'est un sentiment inexplicable mais grisant.
.....Une balle brillante semble alors devenir plus grande que les autres. Tout doucement elle s'approche, remontant de ses profondeurs dans le ronronnement étouffé des voix inintelligibles. La Fuligo l'attend patiemment – son corps figé semble à cet instant presque palpable –, penchée au-dessus du précipice. Finalement, la sphère parvient à son niveau et c'est soudain comme si la créature ouvrait ses yeux pour sortir d'une transe profonde. Son être se met à briller tout d'un coup ; et sa couleur se confond avec celle de la boule ; et elle l'absorbe, sans en laisser aucune trace.
.....Dans son esprit, le souvenir qu'elle vient d'avaler s'inscrit. Il lui semble qu'elle l'a déjà vécu en personne. Ce souvenir n'est pas anodin, il s'agit même d'un moment primordial dans l'Histoire de son monde. La Fuligo visionne alors l'événement dont il est question, et s'approprie les perceptions d'une autre ayant vécu bien longtemps avant elle ; peut-être l'une de ses ancêtres ?
.....Le souvenir débute sur une lumière blanche comme un reflet d'argent. Celle-ci s'estompe assez vite et au centre se tient alors la divinité créatrice de leur dimension. La Fuligo la reconnaît, bien sûr, à son aura. Les Fuligo n'ont aucun de nos sens : ni la vue, ni l'ouïe, ni le toucher… mais elles ressentent toutes les auras. Or, le halo émis par cette entité est bien trop éclatant pour ne pas être celui d'un dieu. Même la pluie battante ne parvient à l’entacher, le liquide se volatilise à son contact. Un calme immense se fait immédiatement et les éclairs s'arrêtent de fouetter la terre.
.....L'idole ne parle pas. Qui, dans cette réalité, pourrait de toute façon l'imaginer, eux qui ne connaissent pas le son ? Non, à la place elle déforme son aura et toutes les Fuligo qui se sont réunies autour d'elle perçoivent ces vibrations, comme une évidence, et les reçoivent en leur âme, comme un présent. Elle en ressentent le message, énigmatique, tant par sa forme que dans sa façon particulière de résonner en elles.
.....« Nous sommes un monde parmi tant d'autres dans la grande trame de l'univers. Les dimensions sont dépendantes les unes des autres, mais elles s'éloignent – et ainsi s'approche la fin de tout. Je peux amarrer notre réalité à une autre, car en ce lieu existe un lien particulier ; mais après cela, je changerai, et ne serai jamais capable de vous revenir, ni d'agir, sous ma forme première. Alors il vous faudra prendre soin de mon héritage. Si je dépéris, vous devrez en trouver la cause. Si vous ne pouvez la déceler chez vous, ils vous faudra envoyer des Aes de l'autre côté en utilisant mon énergie, pour comprendre le problème et le régler. En aucun cas les mondes ne doivent se séparer. Surveillez l'ancrage. Protégez vos vies. Il faut se souvenir... »
.....Et l'aura de la divinité semble se rabougrir, de plus en plus vite. Puis, sa taille se fixe, et d'innombrables ramures en éclosent vers le haut, de plus en plus fines, tandis que la partie inférieure reste épaisse, telle une colonne ionique. À la place de l'aura de leur créateur se trouve maintenant celle d'un arbuste...
.....Le voilà, le point d'ancrage, celui qu'on appellera l'Arbre. Malgré sa taille, il en émane déjà la puissance colossale du monde, puisée par le végétal dans les sous-sols de la planète. Toutes les Fuligo peuvent sentir ses racines s'enfoncer dans le sol ferreux, capturant et exhalant l'essence-même de leur dimension à mesure qu'il grandit, faisant office d'antenne entre les réalités. Ce dont elles n'ont pas conscience, en revanche, ce sont les deux gemmes, une perle et un diamant qui, telles des fausses-jumelles, sont en train d'être placées dans un temple de l'autre côté, participant à ce rapprochement indispensable. L'Arbre dépasse maintenant toutes les constructions des alentours, il surplombe la plaine. Alors qu'elle en contemple la majesté, l'aura blanche éblouit son être et le souvenir s'arrête brusquement.
.....La Fuligo revient à son présent avec quelques difficultés. Il lui faut reprendre le contrôle de ses mouvements, de son aura. Elle oriente sa perception vers sa droite, et dans le lointain elle parvient à apersentir l'Arbre, mais son halo est considérablement réduit… Elle ne peut capter qu'une vague forme de tronc. Dans un autre temps, qu'elle n'a pas connu, on ressentait également ses branches, ses feuilles et ses fruits, resplendissants de fraîcheur. C'est, du moins, ce que montrent les vieilles mémoires de l'Horaothèque. Aujourd'hui, les feuilles sont tombées, les branches sont mortes, et l'Arbre semble lutter pour ne pas que son tronc subisse le même sort. Il y a dans l'air comme un sentiment de fin des temps.
.....Maintenant qu'elle a visionné son souvenir, elle se doit de le remettre à sa place. Son aura se module, et dans l'air se forme une sphère de Mémoire que son esprit évacue. La balle, semblable à toutes les autres, plonge vers l'abîme de l'Horaothèque et la Fuligo l'accompagne en pensée dans sa chute. Quand elle touche ses consœurs, rebondissant mollement comme sur un lit de coton, la silhouette qui se tient au bord du gouffre le ressent et s'incline à nouveau. Encore une fois elle s'éclaire d'or, et sélectionne silencieusement une autre réminiscence qu'elle souhaite visionner.
.....Mais pourquoi vient-elle ici, vivre dans la brume d'une autre un passé depuis longtemps révolu ? Quelles sont ses vraies motivations les plus profondes ? Elle-même ne semble pas bien le savoir. Même si vous lui posiez la question et qu'elle vous entendait, même si elle vous comprenait, en admettant qu'elle veuille bien vous répondre, elle vous dirait de toute façon si simplement :
.....« Il faut se souvenir… »


.....« Bienvenue à la maison, Safre ! »
.....C'est Turquin qui a parlé, un Archéomire dont la couleur tire sur le gris. Ce n'est pas à proprement dire un ami de Safre, mais il est gentil avec tout le monde alors Safre le salue en retour.
.....Aujourd'hui il n'a pas trop envie de discuter ; il passe vite son chemin. Il ne s'arrête même pas pour grincer un peu en se racontant des blagues idiotes avec ses amis d'enfance. Pourtant il les voit bien, lévitant quelque dix mètres plus loin autour de leur rocher de rendez-vous habituel. Il les reconnaît à la couleur… Chaque Archéomire a une teinte légèrement différente de celle des autres, à cause de simples variations génétiques ; mais cela est bien pratique, autrement il serait impossible de les différencier. D'ailleurs, la plupart des hommes en sont incapables. Ils ne font pas attention à ce genre de détails futiles.
.....Barbeau ressemble beaucoup à Turquin, il a lui aussi une couleur qui tend vers le gris, mais qui reste toutefois un peu plus claire. Maya est vraiment très pâle. Il est probable qu'elle soit atteinte d'un défaut de pigmentation – en tout cas on n'a jamais vu d'autre Archéomire dont la coloration soit aussi peu prononcée. Persan quant à lui est d'un bleu bien plus éclatant. On pourrait même y déceler un peu de violet, selon la lumière. Les trois amis semblent beaucoup s'amuser, mais lui est un peu triste… Il n'a pas envie de les rejoindre.
.....La contemplation du Temple semble n'avoir laissé, cette fois, que de la mélancolie en lui. Il se sent un peu vidé. Il a l'impression que rien ne vaut vraiment la peine tout à coup. À quoi bon chercher un diamant qui a disparu dans les entrailles du monde, il y a de cela des siècles ? Il a probablement fondu, ou bien il s'est brisé sous la pression des roches ; en tout cas, il ne remontera pas. Le Temple finira par s'écrouler et avec lui tout ce qui l'entoure, à l'échelle de l'univers. Safre espère simplement que cela surviendra après sa mort.
.....Il se surprend lui-même à avoir ce genre de pensée funèbre, lui qui est d'ordinaire si gentil et optimiste. En y réfléchissant un peu, il se dit qu'il doit y avoir une raison à son humeur exécrable. Il s'est senti mal après être entré dans la grotte et avoir regardé le Temple pendant quelques instants… Et si c'était ça l'explication ? Le jeune Archéomire hume l'air. Malgré son absence de nez, il peut sentir les odeurs grâce à des capteurs très fins dissimulés dans les billes métalliques qui entourent son corps. Et à cet instant, l'odeur n'est pas la même que d'habitude… La pointe de soufre est devenue plus acide ; la brise marine, elle, laisse un goût salé désagréable ; de l'odeur entêtante que laisse la boue et de la douceur des parfums de miel, il ne reste qu'une impression de gluant, de viscosité . « Tout cela n'est pas normal », pense-t-il.
.....Maintenant qu'il en a pris conscience, tout un tas d'autres éléments s'imposent à son esprit. Les cristaux semblent s'être ternis. Leur feu manque de splendeur, il est plus sombre, comme si l'on avait tiré des rideaux un peu opaques devant eux. Ainsi, le sol n'émet plus de fugaces percées argentées, pas plus que les dorures du fronton de marbre ne s'illuminent. Plus rien ne rayonne.
.....Safre entre dans le Temple. La même impression l'étreint, s'empare de lui pour ne plus le lâcher… Sur les bords de la salle, les statues ont perdu le peu de vie qui scintillait au fond de leur regard froid. L'atmosphère est glaciale. Même les fresques du plafond n'ont plus d'épique que le nom.
.....Perdu dans ses réflexions morbides, il ne se rend pas compte qu'il est arrivé au fond de la grande salle. Devant lui se tient la discrète porte qui mène à la pièce la plus importante. Il jette un œil à l'intérieur : le gardien n'est pas là. Par contre, au centre se tient l'autel, et sur l'autel, la perle est toujours posée sur son socle.
.....Mais elle ne brille plus avec la même force... Safre avait raison, il se passe quelque chose. Le précieux joyau paraît clignoter. À certains moments sa brillance s'évanouit une fraction de seconde, puis elle revient immédiatement, si bien qu'on dirait une ampoule défectueuse qui trouve difficile de s'allumer.
.....La perle l'attire irrésistiblement, elle le fascine à vrai dire. Il est entré dans la salle et s'est approché de quelques mètres sans même le vouloir consciemment. Que signifie ce manque de vigueur ? Serait-elle en train de perdre son énergie ? Ce n'est pas possible…
.....Safre se tient maintenant tout près, la sphère rosée se reflète dans l'or de son regard et ses yeux se réfléchissent sur la surface parfaite de l'orbe. La matière flotte en ce lieu, et il ne sent plus son corps de la même façon. C'est comme s'il n'était qu'un fantôme. Ses pensées s'imprègnent de cette énergie reposante, il ne fait plus attention à rien d'autre. Alors, c'est comme si ses émotions se mettaient à tourbillonner au-dessus d'eux.
.....Lui et la perle.
.....La perle et lui.
.....Il est la perle, et il n'y a que ça qui compte.
.....Soudain, un grand bruit le sort de sa transe, le fait retomber sur terre et un silencieux fracas s'opère dans sa tête. Il ne sait plus où il est. Ni dans quel endroit, ni dans quelle époque. Puis, il parvient à déchiffrer les cris grinçants qui proviennent de l'entrée, à les transformer en mots pour leur donner du sens. Il distingue une silhouette violacée et terne, dans laquelle il reconnaît Majorelle, le gardien du cœur qui lui hurle dessus :
.....« Safre, mais qu'est-ce que tu as fait ?! Pourquoi la perle est-elle aussi sombre ? Je sais que tu l'as touchée ! »
.....Il est en furie.
.....Safre ne parvient pas à répondre correctement. Lorsqu'il jette un regard à la perle, il s'aperçoit alors que le clignotement s'est aggravé, et que la sphère s'est encore éteinte un peu plus. Sous le choc, il balbutie.
.....« Rien, j'ai juste… Enfin, je regardais, je n'ai pas…
.....— Ne me mens pas ! Tu as déréglé le cœur du Temple ! »
.....Les Archéomire affluent autour de l'entrée, attirés par les crissements que pousse Majorelle. Tous entendent clairement les accusations qu'il profère. Et tous poussent des petits cris d'horreur alors qu'ils voient l'état de leur relique protectrice.
.....« À présent nous sommes tous perdus, tous… Qu'est-ce qu'on va faire ? Qu'est-ce qu'on va faire… répète le gardien, abasourdi et dépité.
.....— Il faut fuir ! hurle un Archéomire au milieu de la foule.
.....— Sûrement pas ! s'indigne un autre. Il faut rester dans le Temple jusqu'au bout, c'est là qu'on a le plus de chances de s'en sortir si quelque chose survient. »
.....Un troisième prend la parole. Il s'agit de Cérule, le doyen du groupe, un bel Archéomire bleu-vert. C'est toujours lui qui prend les décisions. Dès qu'il commence à parler, tous se taisent.
.....« Smalt a raison. Il nous faut rester au Temple jusqu'au bout, comme nous l'ont enseigné nos ancêtres. Nous ne savons même pas ce que signifie ce soudain changement de lumière de la perle. Safre dit qu'il ne l'a pas touchée, est-ce bien vrai ?
.....— C'est la pure vérité, répond Safre qui a enfin repris ses esprits. Je suis venu la voir et... »
.....Il hésite à raconter ce qu'il a ressenti. Comme toujours, il ne veut pas passer pour un fou, alors il se tait à ce sujet. Finalement, il se décide à dire :
.....« … elle était déjà comme ceci quand je suis arrivé. Je n'ai touché à rien.
.....— Alors, il est probable que cela soit un mauvais présage… Nous n'avons jamais trouvé le diamant censé compléter le cœur, je suppose qu'il est donc normal que la prophétie finisse par se réaliser. Mes amis, restons solidaires en ces derniers instants. Ne paniquons pas, je vous en prie. Il adviendra ce qui doit se passer. »
.....Personne n'ose protester. Bien sûr, tout le monde est triste, mais Cérule a raison. La panique ne changera rien. Il vaut mieux se rassembler, pouvoir se dire au revoir une dernière fois…
.....Safre se tient toujours à côté de la perle. Sa lumière ne se ravive pas. Le petit Archéomire ne sait que faire. Alors il regarde le précieux objet, et il ressent au fond de lui comme une faible secousse qui ébranle son âme.


.....Le Pr Sorbier et son assistant, Louka, ont rejoint Aurore au Mont Couronné la veille. Comme il était tard, ils ont décidé d'attendre le lendemain pour s'assurer de l'impossibilité de creuser jusqu'à la cachette des Archéomire, malheureuse conclusion que leur avait annoncée la jeune femme dans sa lettre, quelques jours plus tôt.
.....Ce jour-ci, donc, ils se lèvent de bonne heure pour qu'Aurore leur fasse visiter un peu les lieux. Ils traversent des galeries à n'en plus finir, mais jamais ils ne s'ennuient, car il y a tellement d'observations à faire, de Pokémon à voir ; et l'assistante du professeur est si passionnante lorsqu'elle se met à disserter sur les comportements de ses créatures favorites !
.....Lorsqu'ils arrivent enfin devant la fissure, les deux hommes, comme elle, constatent en effet la délicatesse de la situation. La craquelure qui parcourt la roche est annonciatrice de bien des problèmes. Ils préfèrent à l'unanimité s'en tenir à une observation succincte des Archéomire, au détour des souterrains, que risquer un effondrement.
.....À la surface, il fait déjà quasiment nuit. Le soir tombe avec lourdeur, la chaleur est encore écrasante même à une heure aussi tardive. On distingue à peine les première étoiles, les nuages luisent, fantomatiques, sous le signe de la lune. Le satellite d'ailleurs semble gigantesque. Son orbite doit être proche à cette époque de l'année. On dirait un énorme œil de calcaire dans la nuit, comme une tâche de lait au milieu d'une immense tâche d'encre. Sa douce surface poudreuse rappelle l'attaque Vent Argenté : la poussière qui la recouvre pourrait être composée d'écailles d'aile de Papilusion. En tout cas c'est avec la même ardeur qu'elle reflète les derniers rayons du soleil mourant sous l'horizon.
.....Les trois chercheurs discutent dans la brise paisible et tiède.
.....« Bon, merci pour tout Aurore ! entame le Pr Sorbier. Ce fut une journée riche d'enseignements. Ton travail a été incroyable pendant ces deux mois, je t'en félicite.
.....— Oui, vraiment ! ajoute Louka avec emphase. Je savais que t'étais faite pour ça ! »
.....Il passe le bras derrière son dos, attrape son épaule opposée d'une main et lui frotte fort la tête avec son autre poing fermé. Elle le pousse, et tous deux rient, sous le regard bienveillant du professeur.
.....« Désolé de vous interrompre, dit-il avec un grand sourire, mais j'ai quelque chose à vous annoncer. »
.....Tous deux s'arrêtent immédiatement et écoutent avec intérêt. Une nouvelle importante ? Que pourrait-ce bien être ? Le vieillard reprend :
.....« Comme vous pouvez le voir, c'est la fin de l'été. Le temps s'adoucit, l'automne va bientôt arriver. Vous m'avez énormément aidé tous les deux, alors j'ai eu envie de vous faire une surprise. »
.....Les jeunes écarquillent les yeux, ils attendent la suite. Sorbier se tourne vers son assistante.
.....« Aurore.
.....— Oui ?… répond-elle un peu anxieuse.
.....— J'ai prévenu ton père, vous partez en Dracolosse pour Alola d'ici une semaine. »
.....Il y a un moment de flottement. Aurore répète quelques mots, confuse : mon père ? Alola ? une semaine ?… Louka sourit simplement, et regarde la réaction de son amie.
.....Soudain, Aurore explose en larmes de joie et elle saute au cou du vieil homme.
.....« Merci professeur, merci beaucoup ! »
.....Elle n'arrive pas à y croire, ce qui fait beaucoup rire le professeur. Louka le remercie également, lui fait une accolade affectueuse, et le vieillard de lui serrer longuement la main, de lui dire que c'est bien naturel, et que son travail d'observation des ailes de Papilusion était purement et simplement fantastique.
.....L'ambiance est excellente et dans cette atmosphère chaleureuse personne ne ressent le froid qui s'immisce sans bruit. C'est une soirée de fin d'été comme les autres…
.....Ils rentrent vers le campement dressé sur la Route 211. Il n'est plus très tôt et ils doivent encore se lever aux aurores. Tous s'apprêtent à descendre la dernière pente qui les sépare de leur destination quand Louka s'écrie soudain :
.....« Aurore, professeur ! Regardez ! »
.....Il pointe du doigt un endroit, un peu plus loin sur la montagne, qui semblent être couvert de blanc mais qui, si l'on fait attention, se révèle parsemé de notes de noir… Tous se tournent vers la direction qu'il indique.
.....« Mais qu'est-ce que... »
.....Sorbier ne finit pas sa phrase, car tous viennent de comprendre ce qui se passe.
.....Sur la montagne, ce soir-là, il y a un groupe composé d'au moins une vingtaine d'Absol. On n'a jamais vu pareille chose dans la région !
.....« Ce sont des Absol, je ne rêve pas ?… demande Aurore, incrédule.
.....— Eh bien… Oui, je crois que oui, répond alors le vieillard.
.....— Mais qu'est-ce que ça peut vouloir di... »
.....Tout d'un coup, le sol tremble d'une force incroyable. Les trois compères, déséquilibrés, chutent et dévalent le talus jusqu'en bas, sans pouvoir s'arrêter. Sur la montagne, il ne reste plus aucune trace des Pokémon Désastre.


.....C'est un désastre. Tout le monde hurle, des blocs de roche se détachent de la voûte et viennent s'effondrer avec fracas sur le sol de la grotte. Des cristaux-lampes explosent en mille éclats de verre qui parsèment le plancher et sont broyés sous les autres corps de pierre qui chutent à leur tour. Les Archéomire se sont réunis dans le Temple, par instinct de survie, espérant ainsi s'offrir un abri contre le tremblement de terre. Il y a toujours eu des séismes, mais habituellement la perle protégeait la caverne dans son ensemble. Cette fois-ci, il semblerait qu'il n'y ait que le sanctuaire de marbre qui fût intact…
.....Des secousses de cette ampleur… ça n'est jamais arrivé, de mémoire d'Archéomire. Les statues tremblent, et chacun craint de se faire écraser ; alors au milieu des crissements, tout le monde se serre et s'entasse au centre de la pièce.
.....Safre a retrouvé ses amis. Ils sont tous sains et saufs, à part Barbeau qui s'est un peu cabossé en se prenant une chute de gros gravillons. Rien de grave, heureusement. Personne ne parle. Dans la panique, on veille à la survie du groupe. Tout le monde attend la fin du monde.
.....Seul Majorelle manque à l'appel. Il est resté auprès de la perle, fidèle à son poste jusqu'au bout… Quelques tout jeunes pleurent en silence des larmes de mercure.
.....Dans l'attente interminable, chaque Archéomire ne souhaite qu'une chose : que tout s'arrête au plus vite. Puisque de toute façon c'est inévitable, alors autant abréger cette période horrible durant laquelle on oscille, en équilibre incertain sur un poteau, entre la vie et la mort. Et pourtant, personne ne sort, pris d'un coup de folie, se jeter sous un bloc de pierre qui tombe du plafond. La terre gronde depuis au moins deux minutes maintenant. Enfin, que quelque chose se produise ! Une explosion, une lumière blanche… Mais non. Rien de tout cela. Le séisme se calme soudain.
.....À vrai dire, c'est si soudain que personne n'y croit. Alors on reste à sa place, attendant le début d'une nouvelle vague de secousses…
.....Elle ne vient jamais.
.....Il faut une bonne dizaine de minutes avant que quelqu'un n'ose bouger. C'est Cérule qui fait le premier mouvement. Il s'approche de l'entrée, qui par chance n'a pas été obstruée, et soudain il pousse un crissement de surprise et se précipite dehors, parmi les éboulis.
.....« Qu'est-ce qui se passe ? » murmurent certains. Un mouvement de foule se crée vers la sortie. Dès qu'un Archéomire voit l'extérieur, il grince à son tour et fonce hors du Temple. Au fond, Safre ne comprend rien à ce qui se passe, pas plus d'ailleurs que Maya ou Persan – Barbeau, de toute façon encore un peu sonné par son accident, n'a pas la tête à ces choses-là.
.....Enfin, un Archéomire a le bon sens, lorsqu'il parvient près de la porte, de hurler :
.....« Le mur s'est écroulé ! »
.....La foule, encore un peu effrayée jusque-là de ce qu'elle pouvait trouver au dehors, s'en trouve alors exaltée ; on avance encore plus vite, et rapidement tout le monde est là où se tenait auparavant le mur d'éboulis datant du premier grand séisme.
.....Un grand vide a pris sa place. Dans le sol, une large faille sépare maintenant le Temple du reste du monde. De l'autre côté, il y a une salle, reliée au reste des galeries. C'est catastrophique… Les hommes ne peuvent pas manquer cet endroit. Ils vont forcément voir le Temple et ses trésors. Ils ont les moyens de traverser le gouffre, c'est certain.
.....Plus un Archéomire ne pense au désastre qui vient de se produire, ni à l'éventuelle imminence de la fin des temps… Quelque chose de bien plus grave encore vient d'anéantir les espoirs de survie. D'ici quelques jours, ou peut-être tout au plus quelques semaines, des hommes descendront dans les galeries pour cartographier les changements dus au séisme. Ils viendront alors piller les richesses de cette grotte nouvellement ouverte, et dès qu'ils emporteront la perle, les secousses reprendront, défaisant dans leur danse toute la tapisserie de l'univers.


.....Les sphères qu'elle a sélectionnées représentent des souvenirs plus récents que celui visionné juste avant. La Fuligo absorbe les deux perles de Mémoire, les réminiscences s'inscrivent dans son esprit et elle revit immédiatement la première scène.
.....Elle flotte sous un toit de fer, pas très loin de l'Arbre. À ses côtés se déplace en lévitant une petite créature bleutée sans visage. Celle-ci est faite d'un métal s'apparentant à du bronze oxydé. Sur le pourtour de son corps est encastrée une demi-douzaine de boules du même matériau. Sur sa face avant, une septième boule est placée, en plein milieu. Sa face arrière, quant à elle, ne présente aucun élément particulier, elle est d'une lisseur stupéfiante. Cette petite créature, c'est un Aes, un compagnon de Fuligo. Chaque Fuligo, quand elle atteint un certain âge, se voit attribuer un Aes auquel elle se lie en lui donnant vie ; il l'accompagne ensuite au quotidien dans ses activités. À la manière des Fuligo, les Aes ressentent les halos émis par toutes les choses.
.....La pluie battante, comme à son habitude, frappe le sol et le métal sans qu'on entende un bruit. La Fuligo perçoit seulement les auras des gouttes qui foncent vers la terre, puis l'infiltrent consciencieusement.
.....Soudain, il semble que quelque chose change. Il y a comme une profonde vibration, très basse, qui emplit l'espace. En réalité, les auras qu'elle capte sont à peine déformées. Elles tremblotent, légèrement certes, mais le phénomène s'amplifie assez vite, bien trop vite... Bientôt, elle ne reconnaît plus rien.
.....Totalement désorientée par la perte de son unique sens, elle s'arrête et se recroqueville du mieux qu'elle le peut dans les airs, formant une boule de fumée obscure. Elle reste dans cette position pendant de longs instants. Combien de temps exactement, elle ne saurait le dire – mais cela lui suffit largement... La vibration s'arrête très progressivement. La Fuligo redresse son corps fuligineux puis tente d'évaluer la situation. Plus loin, une structure métallique s'est effondrée sur le sol. Pour l'instant c'est tout ce qu'elle apersent de changé.
.....Elle ne cherche pas à comprendre ce qui vient de se passer. Son sens du devoir lui dicte de se rendre à l'Horaothèque pour y déposer ce qu'elle a vécu à l'instant. Alors elle fait demi-tour, et se retrouve face à l'Arbre qui relie leur monde à un autre. Cet arbre si grand, si touffu, au feuillage toujours fourni et débordant de fruits... il n'en reste presque plus rien. Au sol, elle capte les auras mourantes de ses milliards de feuilles. Elles sont toutes tombées. Ses branches sont en train de dépérir, et elle n'émettent bientôt plus rien. Seul le tronc reste intact.
.....La Fuligo est sous le choc. « Que va-t-on faire ? » pense-t-elle. « Comment peut-on survivre sans l'Arbre ? » Son Aes ne lui répond pas. Il se pose également la question. D'autres créatures qui se trouvaient dans les alentours convergent vers l'Arbre. Alors, ils font de même et s'avancent dans le rideau aqueux pour s'en approcher aussi.
.....Il semble que la divinité qui sommeillait en son sein ait été réveillée par les événements récents. L'énergie exhalée par le tronc est puissante. Les créatures autour meuvent leurs auras respectives pour tenter de communiquer avec elle. C'est un véritable brouhaha sensoriel, les ondes se répercutent partout et on ne peut plus rien capter tant tout est parasité. Cela ne sert à rien, comment se faire comprendre dans ces conditions ? Alors la Fuligo hurle. Son aura vibre et émet un cri, presque une supplique, qui somme toutes les créatures de s'arrêter.
.....Le message se répand et semble calmer tout le monde. Elle n'avait jamais modulé d'aussi fortes pensées…
.....On l'attend. Elle se décide à poser la question à l'Arbre :
.....« Que faut-il qu'on fasse ? »
.....Pendant longtemps, rien ne bouge. Leur créateur paraît les ignorer. Pourtant personne ne tente de poser la question à nouveau. Il ne peut pas ne pas l'avoir reçue.
.....Effectivement, la réponse finit par tomber, comme une sentence, et ses paroles sont toujours aussi énigmatiques :
.....«Il faut vous souvenir… commence le dieu. Rappelez-vous mes paroles. Je suis en train de mourir. Une catastrophe a eu lieu dans l'autre monde, et ce que nous venons de recevoir en sont les répercussions à travers l'univers. D'ici, vous ne pouvez rien faire. Vous, Fuligo immatérielles, ne pourriez survivre là-bas. Il vous faut utiliser un peu de l'énergie qui me reste pour envoyer des Aes de l'autre côté. Ils sont notre seule chance. Prenez ces branches, elles leur permettront de changer de dimension. »
.....Alors, sur le tronc poussent quelques rameaux pourvus de jeunes feuilles. Il en éclot une dizaine, tous identiques. Des Fuligo se précipitent pour les cueillir, les détachant précautionneusement du tronc grâce à leur aura.
.....La divinité-arbre prononce seulement quelques paroles de plus, puis se tait à jamais :
.....« Il faut vous souvenir... »
.....La Fuligo du passé n'a plus rien à faire ici. Bientôt, il faudra organiser une grande réunion pour planifier la suite des événements. Pour l'instant, elle peut vaquer à ses occupations.
.....Mais avant, elle se dirige vers l'Horaothèque pour y déposer ce fragment de Mémoire.

.....C'est la fin du premier souvenir. Avant de devoir revenir à elle, la Fuligo du présent se plonge directement dans le deuxième.
.....Celui-ci commence sous un toit gigantesque. Autour d'elle se dressent des centaines de Fuligo en ellipses concentriques qui assistent à l'événement. Elle se trouve presque au centre, et elle a en tout cas une position parfaite pour tout sentir. Au cœur de la foule sont disposés plusieurs meubles : sur une sorte de table ont été posées les dernières branches de l'Arbre ; un peu plus loin flotte à l'horizontale une épaisse plaque de métal noir qui servira de moule. La forme précise d'un Aes y a été creusée. À son côté, une autre plaque, parallèle au sol également et presque identique, à ceci près qu'une sphère un peu plus profonde a été forée en son milieu. Quelques Fuligo s'agitent parmi ces masses métalliques en lévitation.
.....Deux d'entre-elles se font face. Elles concentrent leurs auras respectives sur une boule de matière flasque, à mi-chemin entre liquide et énergie. Toutes deux semblent tenter d'en maintenir l'équilibre, comme si elle risquait de se répandre à tout moment, mettant brutalement fin au rituel.
.....Après une ultime inspection, tout semble prêt. Alors une troisième Fuligo s'approche du duo et recueille avec la délicatesse d'un souffle de vent un extrait de la substance. Une dernière créature d'ombre commence à s'affairer. Les deux parties du moule se redressent, lentement mais sûrement, et la Fuligo luit sous l'effort, son aura prenant une teinte rosée, voire même un peu bleutée. Celle qui transporte l'étrange magma informe s'avance, animée de mille précautions. Si elle se trompe, ne serait-ce que de manière infime... il faudra tout recommencer. Elle connaît sa tâche, depuis le temps qu'elle l'exerce ; sa trajectoire est parfaitement maîtrisée et elle s'arrête près du moule, la boule flottant toujours devant elle.
.....La Fuligo du passé sonde les alentours. Il y a vraiment énormément de monde. Quand a-t-elle vu autant de ses consœurs réunies pour une simple cérémonie de création d'Aes ? Il s'agit habituellement d'un événement sans grande importance pour la communauté, et seules sont présentes pour y assister les Fuligo en âge de recevoir leur compagnon. Mais cette fois-ci la chose prend une tournure particulière : aucun des Aes ne sera lié à une Fuligo, et le don de la vie leur sera offert par les dernières branches de l'Arbre. Son attention est à nouveau attirée par ce qui se passe au centre de l'assemblée.
.....Les pièces du moule sont en train de se rapprocher l'une de l'autre. Les deux Fuligo atteignent un niveau de concentration si important que toutes les autres en sont presque paralysées, comme captivées par la délicate opération qui se déroule sous leurs auras. Lorsque le moule se referme sur l'étrange liquide, aucune goutte ne sort ni ne manque. Tout a été parfaitement dosé.
.....Pendant quelques instants rien ne bouge, les Fuligo restent immobiles et attendent le moment fatidique.
.....La pluie continue de tomber. Le sol devrait être inondé à force de recevoir en continu les larmes des averses, mais il semble toujours capable d'absorber plus d'eau. D'ailleurs, est-ce bien de l'eau ? Cela y ressemble, mais dans cette dimension tant de choses, inhabituelles ailleurs, se produisent tout le temps. Il pourrait aussi bien pleuvoir de l'or liquide, ou une sorte de fumée. Les Fuligo ne se demandent pas de quoi est faite leur planète, elles se contentent de la contempler, de l'observer et de l'enregistrer dans leurs mémoires. Le temps nécessaire à de telles pérégrination de l'esprit, elles en disposent, bien sûr. Elles n'ont pas de besoins élémentaires tels que se nourrir, dormir… Et pourtant, cela ne les intéresse pas. Contrairement aux hommes, les Fuligo ne sont pas poussées par un esprit de découverte scientifique. Cela pourrait sembler étrange, mais ce sont seulement des créatures très différentes, et il est normal que leurs objectifs divergent.
.....Dans l'espèce d'amphithéâtre, la cérémonie bat son plein. C'est le moment le plus important. Le démoulage se fait en douceur : la Fuligo qui avait apporté la substance récupère le corps bleu, encore sans vie, tandis que l'autre sépare les lourdes plaques noires pour le libérer. Le métal dont il est composé n'a pas encore totalement refroidi, mais ce n'est pas une erreur. Maintenant, il faut agir vite… Le corps du futur Aes est transporté jusqu'à la table où trônent les branches de l'Arbre, toujours imprégnées d'une énergie indicible. D'un côté, la Fuligo maintien le métal presque solide dans les airs ; de l'autre, elle se saisit d'un rameau grâce à son aura puis le place délicatement sur la face qui n'est pas pourvue d'une balle en son centre, c'est-à-dire là où se situera le dos de l'Aes.
.....Alors, il se produit un phénomène auquel aucune créature n'a encore jamais assisté. Le halo émis par l'ensemble se met à scintiller, puis à gonfler, comme si la vie contenue dans la branche était en train d'en sortir. Des protubérances se forment fugitivement à sa surface, puis disparaissent : on dirait un sac dans lequel on aurait enfermé un quelconque animal qui, pris de panique, se débattrait avec force... Puis tout d'un coup l'aura diminue et prend la forme d'un disque, au pourtour serti de six boules, plus une septième sur la face avant. Le corps s'est enfin durci. Dans son dos est gravé un motif, semblable à un rameau d'olivier, mais avec des feuilles plus larges. La branche a disparu, et l'Aes devient vivant !
.....Presque instantanément, il se passe autre chose d'étrange. L'aura de la créature de bronze se met à changer de couleur : elle passe d'un bleu foncé à un violet, et poursuit sa transformation jusqu'à prendre une teinte rosée, semblable à celle d'un ciel crépusculaire qui ferait son deuil du soleil. Puis, l'Aes disparaît.
.....Un frémissement invisible et pourtant chargé de sens parcourt l'assemblée. Est-il produit par l'étonnement des Fuligo ou bien est-ce simplement une vibration créée par l'Aes en passant de l'autre côté ? Personne ne se pose la question. Tout s'est déroulé à merveille, et il semblerait que le transfert eût réussi.
.....C'est la fin du souvenir. Le même processus a dû être répété quelques fois de plus, afin d'utiliser toutes les branches. Si la Fuligo du passé n'a pas trouvé intéressant d'archiver la suite de la cérémonie, c'est donc que tout s'est passé sans encombre.
.....Retour vers le présent. Il est difficile à chaque fois de réadapter son corps et son esprit au monde actuel. Se laisser porter par un souvenir est si agréable ; flotter sur la rivière de la Mémoire, ne plus penser, simplement revivre des événements importants de l'Histoire, c'est tellement plus envoûtant que devoir se mouvoir et réfléchir par soi-même… La Fuligo a toujours du mal à revenir dans sa réalité.
.....Elle expulse à contrecœur les réminiscences de son esprit, et renvoie les balles au fond de l'Horaothèque. Mais alors qu'elle s'apprête à partir, le premier souvenir se répète. Elle ressent une profonde vibration, qui s'amplifie, et qui brouille de plus en plus sa perception. La pauvre Fuligo se voit obligée de se recroqueviller dans les airs en attendant que le séisme passe. C'est une sensation très désagréable, et deux fois en si peu de temps, c'est encore pire ! Heureusement, après quelques instants de panique, tout se calme et revient à la normale.
.....Que s'est-il passé ? La Fuligo sonde les alentours à la recherche d'une réponse, et elle apersent soudain quelque chose qui la bouleverse : l'aura de l'Arbre s'est réduite de moitié. Malheureusement, il n'y a qu'une explication. La fin est proche.


.....Dans le Temple englouti, un Aes apparaît, entouré d'un voile rose qui s'évanouit aussitôt. Il se trouve dans une petite pièce, près d'un autel coiffé d'une grosse sphère fuchsia. Naturellement, il lévite à quelque cinquante centimètres du sol. Cet Aes n'est pas comme les autres… La branche de l'Arbre qui lui a été offerte lui a donné vie, et par la même occasion une indépendance précieuse. Il n'est lié à aucune Fuligo, ce qui veut dire qu'il est libre… ou presque. Au fond de lui, une petite voix lui murmure : cherche… cherche…
.....Mais que faut-il chercher ? La petite voix continue : il faut chercher la cause de la catastrophe qui est survenue. C'est comme un instinct : il ne sait pas d'où cela vient mais il sent qu'il doit le faire !
.....Ce monde est très différent de celui des Fuligo. Il ne servirait à rien de capter les auras. C'est en cela surtout que l'Aes se démarque de ses congénères. En même temps qu'il venait à la vie, il gagnait des attributs nécessaires à ses sens : grâce aux boules de métal qui l'entourent, il perçoit les odeurs, la sphère centrale de son visage capte les vibrations sonores tandis que son enveloppe de bronze ressent le toucher ; enfin, des yeux d'or sont apparus sur sa face avant, qui lui confèrent la vue. Il n'est plus tout à fait un Aes, mais il n'est pas encore autre chose. Il stagne dans une zone indéfinie, sans bien savoir ce qu'il est. Sa conscience s'éveille, mais avant qu'il n'ait eu le temps de se poser d'autres questions existentielles, un deuxième portail s'ouvre et un plus-tout-à-fait-Aes en sort, en tout point semblable à lui, à part peut-être la couleur, qui semble un peu plus terne.
.....Dans leur tête, deux langages sont déjà instinctivement ancrés. Le premier leur est propre : il consiste en un série de crissements et grincements, formant des combinaisons complexes qui portent un sens pour eux. Le second – mais ils ne le savent pas encore – est celui qu'utilisent les humains, et que comprennent également tous les Pokémon. Il leur est impossible de le parler, mais c'est seulement parce qu'ils ne possèdent pas un appareil vocal adapté. La divinité de l'autre côté avait décidément plus d'un tour dans sa poche… Ses branches, qui animent les Aes, les ont en plus affublés de capacités communes, adaptées à leur nouveau monde ; ainsi, ils n'ont aucun problème à communiquer entre eux, et peuvent se concentrer sur leur problème primaire. Tous deux ressentent le même instinct leur dictant de rechercher la cause d'un drame dont ils ne savent rien… Ils s'apprêtent alors à sortir du bâtiment pour explorer les alentours, espérant rencontrer une solution à ce mystère, lorsqu'une troisième créature les rejoint. Cela leur offre un parfait prétexte pour rester plus longtemps sous l'atmosphère protectrice de la salle – il faut avouer qu'ils ne savent pas ce qu'ils vont trouver dehors, et c'est assez effrayant. Ils décident d'un commun accord d'attendre, pour voir si d'autres semblables vont apparaître.
.....Effectivement, il en vient un autre, puis encore un, et ainsi de suite jusqu'au dixième. Après, ils ont beau s'attarder autant qu'ils le veulent, plus personne ne vient. Ils finissent alors par s'avancer vers la sortie. À plusieurs, on est plus vaillant…
.....Le groupe débouche tout d'abord dans la pièce principale du Temple, et chacun se perd dans la contemplation des fresques épiques représentant les divinités de la région, des gigantesques statues… À ce moment-là, le séisme est encore récent, et tout est quasiment intact. Ces scènes dépictées au-dessus de leurs têtes les intriguent : ils n'en comprennent pas le message, mais aimeraient en savoir plus sur le sujet…
.....L'instinct finit tout de même par reprendre le dessus, et il leur faut repartir. Les miroirs vivants flottent vers la porte, et tombent nez-à-nez avec… un humain.
.....L'homme crie. Les Aes crissent et ont un mouvement de recul. L'homme tombe en arrière et atterrit sur les fesses. C'est la panique pendant un court instant, puis personne n'ose bouger. On s'observe, on se jauge… on se juge, même. Puis la curiosité prend le dessus : une créature de bronze s'approche un peu du moine. Ce dernier, encore sous le choc de cette apparition subite, s'exclame :
.....« Non, stop ! »
.....La créature s'arrête, étonnée d'avoir compris son message. Le moine poursuit :
.....« Qu'est-ce que vous êtes ? Des dieux ? »
.....Pas de réponse.
.....« Ne me faites pas de mal... s'il vous plaît... »
.....Pas de réponse. L'homme soudain semble prendre conscience de quelque chose, son visage s'éclaire et il écarquille les yeux en ouvrant un peu la bouche.
.....« Ce n'est pas moi qui ai causé le séisme, je le jure ! »
.....Cette fois, le miroir animé émet un grincement suraigu. Dans sa langue, cela veut dire « De quoi tu parles ? » Mais l'homme ne comprend bien sûr pas sa langue. Pourtant, il poursuit son explication : il dit connaître les légendes, qu'il récite tout de suite avec une éloquence zélée, comme pour prouver qu'il est un bon moine, et qu'il n'est pas responsable de ce qui s'est passé. Dans sa lancée, il raconte également comment un jeune moine a dérobé la deuxième partie du cœur du Temple, et le séisme qui s'en est suivi, les engloutissant tous deux – lui et son trésor – dans les profondeurs…
.....Les créatures bleues y voient désormais un peu plus clair. On ne peut pas dire que le mystère soit totalement résolu – il resterait encore à trouver le fameux diamant. Mais au moins, ils ne sont plus dans un flou total. Alors comme ça, le Temple est un point d'ancrage avec un autre monde… intéressant. Des chemins commencent à se tracer. Toutes les légendes auxquelles les Archéomire se référeront plus tard pour les guider dans leur quête impossible, ce discours en est l'origine. L'homme poursuit :
.....« Je suis resté enfermé ici quand la grotte s'est effondrée… dit-il. J'étais le gardien du Temple, je suis le seul rescapé. Tous les autres moines ont été avalés par la terre, ou bien broyés sous les rochers. Le seul moyen de sortir est une crevasse, là-bas. »
.....Il pointe le mur du doigt. Effectivement, une fente étroite semble permettre de traverser.
.....« Mais moi, je suis trop grand », conclut-il dépité. Il a l'air à bout de forces… Depuis le violent tremblement de terre, quelques jours plus tôt, il n'a rien mangé. Heureusement, de l'eau parvient à s'infiltrer et lui fournit une source indispensable à la survie, mais les éventuelles plantes qui auraient pu lui servir de repas ont disparu lorsque les pierres qui les accueillaient se sont détachées de la paroi. Le vieux moine a passé son temps à essayer de sortir, déplaçant inutilement des cailloux, et ses forces l'ont presque entièrement quitté. À ce moment-là, il n'est déjà plus tout à fait conscient de ce qui lui arrive, et l'arrivée de ces étranges créatures lui fait se demander s'il ne devient pas complètement fou… En fait la seule chose qui le maintienne encore en vie, c'est sa foi immense en ses dieux : Dialga et Palkia, protecteurs du sanctuaire et de l'équilibre de l'univers… Il a toujours été un bon fidèle, il a fait des offrandes… d'ailleurs, consacrer sa vie au Temple, n'était-ce pas assez en soi ? Il ne peut pas, il ne veut pas envisager que ses idoles l'aient l'abandonné. C'est pour cela qu'il résiste, traînant son corps dans les plus sombres recoins de la faiblesse. Il attend la délivrance. Que quelqu'un vienne le chercher !
.....Le vieillard ne bouge plus. Recroquevillé au pied des marches, il sanglote presque en silence. Les miroirs sont tous tournés vers lui, comme pour lui renvoyer son reflet décharné ; mais il ne les voit pas. Il a la tête dans ses mains, et il ne s'occupe plus d'eux. Alors le groupe de presque-Aes reprend sa route. Eux peuvent passer par la crevasse que l'homme leur a désignée un peu plus tôt.
.....Grâce à ce tunnel fortuit, ils accèdent à d'autres galeries, elles-mêmes reliées à des chambres. Ils commencent leur exploration du Mont Couronné, découvrant un monde nouveau de sensations, d'émotions. Arrivés devant un gisement de fer, ils comprennent le sens du mot « faim ». Ils se goinfrent, soucieux de ne jamais rencontrer à nouveau pareille occasion dans une montagne où de telles ressources abondent pourtant. Dans les étages supérieurs, ils assistent en cachette aux danses secrètes des Léviator, en pleine saison des amours. La grâce incroyable de Pokémon aussi imposants, les gerbes d'eau qui flamboient sous les lumières de leurs Danse Draco, tout ceci fait naître en eux l'amour et la fascination de la beauté. Peut-être est-ce grâce à cela que plus tard ils essayeront de se reproduire ? Car contrairement aux Aes originaux, ils n'ont pas de Fuligo pour leur créer une succession... Il faut pourtant bien qu'ils perdurent s'ils veulent accomplir leur quête.
.....Quand, à l'extérieur de la montagne pour la première fois, ils découvrent la pluie, un sentiment de mélancolie s'empare de leur âme, comme si, au fond de leurs gènes, la petite voix leur disait : « Tiens, cela me rappelle quelque chose... »
.....Enfin, ces créatures font la connaissance d'un sentiment qu'elles auraient préféré ne jamais rencontrer : la peur. Elles croisent un humain qui, tout excité de rencontrer un nouveau Pokémon, engage le combat. Bien évidemment, la bataille est inégale… De si petits êtres inconscients de leurs pouvoirs ne font pas le poids face à un Dracaufeu bien entraîné. Ils ne peuvent que fuir, semant avec peine le dresseur dans les boyaux tortueux.
.....De retour dans la grotte, ils trouvent le vieux moine sans vie, dans la même position que lorsqu'ils l'ont quitté. Ses larmes auront emporté dans leur chute ses ultimes forces… On l'enterre sous quelques rochers, à l'écart, pour ne pas avoir à le contempler, puis on vaque à ses explorations, sans faire de prière – après tout, on le connaissait si peut !
.....Que la grotte du Temple est confortable, avec la protection qu'elle offre ! Ici, pas besoin de fuir. Ah, quel soulagement ! Les futurs Archéomire ont décidé où ils allaient s'installer. Ils commencent à nettoyer la caverne, déplaçant des petits rochers, grignotant les autres au fur et à mesure. Le Temple est vraiment l'endroit idéal. Ainsi, ils pourront surveiller la perle, toujours intacte sur son piédestal. Le moine peut dormir tranquille : la relève est assurée.

.....Au fil des siècles, les Aes se reproduisirent. Leur population augmenta. Ils s'organisèrent en société, avec chacun son rôle, chacun sa tâche. Aux débuts, bien sûr, ce fut difficile… Les explorations du Mont Couronné étaient souvent brusquement interrompues par des dresseurs, ou même des Pokémon sauvages belliqueux. Les Aes n'ont jamais eu une nature violente, alors ils fuyaient.
.....Avec le temps ils se sont mis à changer. Dès les premières générations nées dans ce monde, les légendes ont été transmises par les aînés. Les recherches du diamant, cependant, n'avançaient pas, faute de temps. Trop faibles, les Aes ne pouvaient pas se permettre de s'éloigner vraiment du Temple. Mais un jour, soudain, un Aes a changé de forme. Personne ne pouvait se l'expliquer… Au lieu de ressembler à un miroir, il avait maintenant pris une forme bien plus complexe, comme une grande cloche. De son corps d'avant, il avait seulement gardé la couleur. Ce fut la première évolution. Était-elle due à l'influence du Temple, ou simplement à une adaptation, après de nombreuses décennies, de l'espèce à son milieu ? On ne le saura probablement jamais.
.....Les évolutions se firent de plus en plus courantes, et résultaient toujours en une grosse bestiole, coincée désormais à l'intérieur de la grotte. Cela n'était pas franchement utile, et puis assez encombrant… Jusqu'à ce que quelqu'un eût l'idée saugrenue d'anticiper le phénomène. Un Aes plus malin que la moyenne récolta le témoignage de plusieurs de ses congénères évolués, et il détermina des « symptômes de l'évolution ». Au début, personne ne prit ses recherches au sérieux, mais lorsqu'il fut atteint de tous ces signes, il se précipita à l'extérieur de la caverne sans crier gare. Les autres, qui le suivirent, se trouvèrent à la sortie nez-à-nez avec un Aes évolué, plus puissant et tout à fait capable de survivre sans la protection du Temple. Ce fut le début du règne des Archéodong sur le Mont Couronné, une période qui marqua durablement l'avancée des travaux de recherche du diamant égaré.
.....À peu près à la même période, quelque chose se passa, qui acheva la transition des Aes. À l'extérieur, de plus en plus de personnes se mirent à explorer les galeries, espérant observer ces nouvelles créatures. Les Aes évolués transmirent alors les noms qui leur avaient été donnés par les hommes, et qu'ils avaient entendus au gré des boyaux sombres, à la communauté demeurée prés du Temple : Archéomire et Archéodong… Quels noms étranges ! Au début on hésita. Tous détestaient les humains, alors pourquoi accepter cette désignation qu'ils avaient choisie ? Mais peu à peu, les nouvelles générations adoptèrent ces mots, et l'ancien nom d'Aes s'effaça des mémoires. Un jour qu'un jeune Archéomire demandait l'origine de leur espèce, on lui répondit tout simplement : « Mais enfin, les Archéomire ont toujours vécu ici ! » Personne n'aurait pu imaginer l'Histoire autrement.
.....Les légendes quant à elles continuèrent de perdurer. Si aujourd'hui les Archéomire recherchent toujours leur trésor perdu, c'est qu'une part d'instinct doit rester, gravée dans leurs gènes les plus primitifs. Serait-il possible qu'il existe au plus profond de leur être un lien discret, indétectable presque, les rattachant inlassablement à leur monde d'origine ? Un lien qui permettrait, par exemple, à Archéodong d'ouvrir un portail sur un ciel toujours pluvieux, dans une autre dimension ? Peut-être bien que oui. La marque en forme de branche qui subsiste aujourd'hui dans leur dos à tous n'en est-elle pas une preuve en soi ? Probablement. Mais ne creusons pas trop… Il vaut parfois mieux laisser certaines questions sans réponse.


.....Le jour se lève. Trois chercheurs prennent leur petit déjeuner, près de la pente du Mont Couronné. Après la catastrophe de la veille au soir, personne n'a vraiment bien dormi. Le séisme a fait s'écrouler les tentes, et l'heure tardive leur a seulement permis de récupérer leurs sacs de couchage afin de dormir à la belle étoile. À l'endroit où le camp est établi, le danger était très faible même en cas de deuxième vague de secousses : pas d'arbres susceptibles de leur tomber dessus, pas trace non plus d'une quelconque falaise, de laquelle auraient pu se détacher des éboulis rocheux. Plutôt que d'évacuer la zone dans la nuit, ils ont donc préféré rester sur place et attendre les directives, au petit matin.
.....Un Békipan s'approche, descend lentement de ses hauteurs aériennes. Il dépose une lettre, pousse un petit cri, alors Aurore le caresse et lui ébouriffe un peu les plumes. Content, le Pokémon crie une fois de plus, et s'envole vers d'autres cieux.
.....Le courrier leur annonce que, d'après les dernières données du centre de sismologie de Charbourg, les répliques du séisme ne devraient pas avoir lieu avant au minimum deux jours. Cela leur laisse donc le temps, s'ils le souhaitent, d'évaluer une première fois l'étendue des dégâts.
.....Une fois leur chocolat chaud absorbé – tous trois sont sains d'esprit, et personne n'oserait boire de cet infâme goudron marronnasse que l'on nomme « café » –, les compères emportent leurs sacs à dos et partent à la découverte du nouveau Mont Couronné. Les tunnels les plus proches de l'entrée restent à peu près inchangés, mais en s'enfonçant il leur devient de plus en plus pénible de trouver leur chemin. Certains tunnels sont effondrés, ce qui les force à effectuer d'improbables détours, à grands renforts de cartes et de culs-de-sac. Aurore est habituée à la moiteur des souterrains, et l'expédition ne lui pose pas grand problème. En revanche, Louka, et surtout le Pr Sorbier, commencent sérieusement à fatiguer… Le soutien moral de leur amie aide mais ils auraient bien besoin d'une pause.
.....Après de longues pérégrinations dans les tunnels encombrés, ils sont donc soulagés de déboucher dans une chambre plus large. Enfin ! Ils vont pouvoir s'asseoir un moment… mais non. Aurore s'exclame tout de suite :
.....« Eh regardez ! C'est la grotte où disparaissaient les Archéomire ! »
.....Effectivement, ce caillou là-bas dans l'angle, ils l'ont déjà vu : il n'y a aucun doute ! Les garçons se moquent gentiment.
.....« Ha, ha, ha. Très marrant, ah si ! Vraiment ! »
.....Oooh, mais qu'elle est susceptible… Ça va, ils ne font que la taquiner. De toute façon ce qui compte maintenant c'est de trouver un siège ! Un simple rocher devrait faire l'affaire.
.....« Je prends celui-là, au fond ! s'exclame Louka en se précipitant vers le roc qu'il montre impoliment du doigt.
.....— Ben vas-y, on ne va pas te le voler... »
.....Il semblerait que la jeune fille ait été piquée au vif par les plaisanteries de ses acolytes. Tant pis, elle s'en remettra – et puis, entre nous, elle est sûre d'avoir raison ! Elle connaît les lieux, à force. Ce serait plus drôle de les y voir, eux. Même après deux ans dans les souterrains, ils se perdraient au premier croisement…
.....Louka arrive devant son objectif. Le moment de la délivrance est proche. Il pose son sac à sa droite. Il se retourne, entame un mouvement de descente mais soudain, se fige. Son visage prend une toute autre expression : du soulagement, il passe lentement à la béatitude, puis assez soudainement il se met à rougir, et balbutie :
.....« Euuuh… Aurore ?
.....— Mh… marmonne-t-elle, encore un peu froissée.
.....— Je retire ce que j'ai dit.
.....— Hein ?
.....— Je retire ce que j'ai dit, répète-t-il, plus fort. Je crois bien que c'est la même grotte. »
.....Son amie et le professeur Pokémon s'approchent, sans vraiment comprendre ce qu'il raconte. La salle a une forme assez particulière, un peu courbe, comme une baie Nanab, mais encore plus prononcé. Depuis l'entrée, qui se situe à l'une des extrémités de la courbure, on ne peut pas apercevoir l'autre bout, à cause d'un mur arrondi qui bloque la vue. Aurore et Sorbier s'avancent donc pour contourner cet obstacle et regarder ce que Louka fixe avec autant d'insistance. Ils en restent sans voix.
.....Devant eux, le mur qui bloquait le chemin auparavant a disparu. À la place, un large fossé laisse désormais tout le loisir d'observer la pièce qui se trouvait de l'autre côté. Et cette pièce est vraiment gigantesque.
.....Par-delà la faille, il y a un petit groupe d'Archéomire qui, attirés par les voix humaines, se tiennent dans les airs, face à eux, et les toisent.
.....Les deux camps restent à leur place, osant à peine respirer. Que faut-il faire ? D'un côté, les humains sont curieux. Ils aimeraient traverser, c'est certain, pour aller examiner les Pokémon qu'ils ont tant cherchés. De l'autre, les Archéomire sont tout bonnement terrifiés. Pas particulièrement parce qu'ils ont peur des humains, non… mais plutôt parce qu'ils savent ce que cela signifie. S'ils passent, tout est fini. Les efforts, les recherches, tout ce pour quoi ils ont lutté – ainsi que le travail de leurs ancêtres, depuis des milliers d'années, au moins ! – sera réduit à néant en l'espace de quelques minutes. Les Pokémon échangent quelques paroles, puis s'accordent : il faut prévenir les autres. Bloquer le chemin aussi longtemps que possible.
.....Les trois scientifiques n'ont aucune idée de ce qui se passe. Pour eux, les Pokémon sont simplement effrayés par leur présence. Ils discutent quelques instant mais assez vite il est décidé qu'il faut tenter une approche en douceur. Sorbier attrape la première Pokéball à sa ceinture et en fait sortir son fidèle Étouraptor. L'ouverture percée par le séisme devrait être assez large pour lui permettre de transporter un à un les membres du groupe, le long des quelque cinq mètres de vide. Il faudra être prudents.
.....Le premier passage se déroule sans encombre. C'est Aurore qui l'effectue. La deuxième traversée également, bien que Louka ait une peur bleue des hauteurs. En revanche, quand vient le tour du professeur, Étouraptor est déjà un peu épuisé à force de manœuvrer dans un espace aussi réduit, en devant faire attention à ne pas toucher les parois. Au milieu de son trajet, une faiblesse lui fait brusquement perdre quelques centimètres d'altitude. Tout le monde retient son souffle… C'est bon, le vieillard est sain et sauf. Le vaillant Pokémon est rappelé dans sa Pokéball, et Sorbier la place, ainsi que les quatre autres qui pendent à sa ceinture, dans son sac à dos, pour ne pas s'encombrer. Au dernier moment il se ravise, et par précaution, il garde tout de même son Simiabraz à portée de main. Les Archéomire ont toujours été d'un pacifisme exemplaire, mais qui pourrait prédire leur comportement si des hommes s'approchaient de leur nid ?
.....Un premier sentiment s'impose à l'esprit des trois humains quand ils prennent le temps de sonder les alentours : une certaine tristesse, à la vue du sol jonché de débris… La grotte devait être vraiment belle auparavant, mais maintenant elle ne brille plus que par son chaos inédit. Ensuite, leur regard s'arrête sur la structure blanche qui se dresse au fond. Le Temple est encore debout. Cette fois-ci, c'est l'émerveillement qui les envahit. Le marbre immaculé, les piliers robustes, tout semble tellement contraster avec le monde qui l'entoure. C'est une incarnation de l'ordre et de la vie dans un lieu où les ombres sont maîtresses.
.....Ils s'avancent d'un pas assuré, cependant ils sont vite forcés de ralentir la cadence. Autour d'eux, des Archéomire s'approchent. Ils n'ont pas un air menaçant – en fait leur visage ne peut pas vraiment exprimer d'émotion –, simplement les trois humains ne savent pas quelle va être leur réaction. Méfiants, ils préfèrent donc rester sur leurs gardes.
.....Alors qu'ils atteignent le bas des marches du Temple, les chercheurs se retrouvent en revanche complètement bloqués. Dans l'entrée, tout un groupe d'Archéomire s'entasse pour barrer la route : il ne reste pas un centimètre qui ne soit occupé par un Pokémon.
.....« On dirait bien qu'ils ne veulent pas qu'on entre… » lance le Pr Sorbier, non sans une certaine audace.
.....Comme pour répondre à cette provocation, les Pokémon semblent se serrer encore plus les uns contre les autres, montrant bien qu'il est impossible d'aller plus loin.
.....Parmi ces Archéomire, il y a Safre, petit être bleu qui flotte tranquillement. Fondu parmi ses semblables, il ne sort pas du lot. Et pourtant…
.....Pourtant Aurore le fixe. Quand elle a passé les yeux sur la horde de Pokémon, il lui a sauté aux yeux. Elle ne pourrait pas vraiment l'expliquer, mais… c'est comme s'il y avait quelque chose en lui qui rayonnait. Plus elle le fixe, et plus elle le ressent fort. Dans sa tête, les pensées se bousculent ; ou, non, les souvenirs plutôt ! Oui, c'est cela… elle revit brièvement des scènes de son enfance, mais aussi des passages plus récents de sa vie. Et soudain une image envahit son esprit. Son père.
.....Il lui manque, certes, mais son évocation n'est étrangement pas douloureuse. Au contraire, elle se sent bercée par ce visage qu'elle aime tant et qu'elle voudrait revoir. Bientôt, elle partira pour Alola. Alors, ce sera bien…
.....Sa main, sans qu'elle s'en aperçoive, a glissé dans son col, et en est ressortie, tenant fermement le collier de son père.
.....Elle est alors tirée de ses pensées par son ami d'enfance :
.....« Aurore ? C'est normal, ça ?
.....— Hein ? »
.....Elle baisse la tête et voit une étrange aura qui entoure sa main. Un petit cri de surprise lui échappe. Elle ouvre ses doigts, et alors le diamant qu'elle porte autour du cou libère la puissance de sa clarté. Des reflets bleutés apparaissent partout dans la grotte, dansant sur les murs. Leurs ondulations laissent à penser que la caverne est remplie d'eau, et cela donne un peu le tournis à la jeune femme.
.....« Mais qu'est-ce qui se passe ?... »
.....Les Archéomire, eux, ne réagissent pas de la même façon. Est-ce que… ? Non ! C'est impossible ! À moins que… Non, non. Personne ne parvient à argumenter correctement, sous le choc. Comme toujours, Cérule prend la parole.
.....« Vous pensez réellement que ce joyau ridicule est le diamant que nous cherchons depuis si longtemps ? Allons, mes amis…
.....— Excuse-moi de ne pas partager ton avis Cérule, commence alors Majorelle, mais comment expliques-tu qu'il se mette soudainement à briller ? »
.....Le doyen, pris au dépourvu, tente d'improviser une réponse, mais il n'est pas très convaincant.
.....« Euh… peut-être que la perle a cet effet sur toutes les pierres précieuses ! Sait-on jamais…
.....— Impossible, rétorque soudainement Turquin, sorti de nulle-part. Autrement, les pierreries qui étaient posées à l'entrée du Temple avant la catastrophe auraient subi le même phénomène !
.....— Turquin a raison ! C'est bien le diamant ! »
.....Face à cette symphonie de crissements, les humains sont quelque peu déconcertés.
.....« C'est étrange… entame le professeur. On dirait presque qu'ils utilisent un langage complexe. Vous entendez cette diversité dans les sons ? C'est fascinant... »
.....Pendant ce temps le débat se poursuit chez les Archéomire.
.....« Mais, cette taille… C'est grotesque ! Les légendes parlent d'un diamant gigantesque. Je veux bien que les récits exagèrent toujours la réalité, mais enfin tout de même, par rapport à la perle...
.....— Ou alors, il y a peut-être une autre explication... »
.....Majorelle tente de gagner l'attention de l'audience en laissant sa phrase planer, en suspens. Cela a son petit effet. Il reprend après un instant.
.....« Je pense qu'il n'est pas impossible que le diamant, éloigné du Temple et donc de l'influence du fil de l'univers, ait perdu de sa puissance. Ou du moins s'il a gardé son énergie, il se peut qu'il ait simplement rétréci, comme une baie que l'on détache de son arbre et qui se ratatine. »
.....Si certains sont charmés par l'idée, d'autres encore reste sceptiques. Personne n'a d'autre proposition, mais on y travaille…
.....Safre pendant tout ce temps n'a rien dit. Il ne faisait qu'écouter les débats stériles de ses amis. À quoi bon réfléchir dans un moment pareil ? Ont-ils donc tous oublié la prophétie ? Un premier séisme est déjà survenu. À tout moment, un autre, plus meurtrier encore, peut se produire. Le temps n'est pas à la réflexion, il est à l'action.
.....Sur un coup de tête, le jeune Archéomire lance une attaque Feinte en direction de la jeune demoiselle. Avant qu'elle n'ait pu réagir, il a sauté vers elle, habilement arraché son collier grâce à la boule sur son visage, et commence à partir vers l'intérieur du Temple.
.....Quand elle comprend ce qui vient juste de se passer, Aurore sent la colère qui l'envahit. Comment ?! Il OSE lui voler son collier ? Mais pour qui se prend-il, ce sale petit…
.....Face à cette furie qui approche, les Archéomire qui bloquaient l'entrée n'osent plus bouger. La jeune fille les pousse de toutes ses forces et passe, presque sans résistance, la barrière métallique. Elle ne lève même pas les yeux pour contempler l'intérieur du bâtiment. À cet instant précis, elle n'a qu'une seule idée en tête : récupérer son pendentif.
.....En quelques secondes à peine elle parvient à la porte de la seconde pièce. Safre lui tourne le dos, il dépose le diamant sur l'autel, auprès de la perle. Furibonde, elle hurle :
.....« TOI ! Qu'est-ce que tu crois faire ?! »
.....Le jeune Archéomire se retourne. Il est prêt à faire face. Il n'a pas le choix de toute façon. C'est soit ça, soit la fin assurée. Dans ses yeux dorés s'allume l'étincelle d'une rage de vaincre. Il ne peut pas envisager l'échec. Alors qu'Aurore s'approche, résolument prête à se battre à mains nues contre un miroir de bronze, un grondement se fait entendre.
.....« Qu'est-ce que... »
.....Le bruit est surréel. La terre tremble, elle trémule. On dirait presque : elle tangue. Le grognement du sol paraît divin dans cette atmosphère. Les sismologues se seraient trompés ? Safre regarde l'autel. Pourquoi ce séisme ? Le diamant n'était-il pas le bon, au final ? Pourtant, sur la table, le collier d'Aurore est méconnaissable. La pierre a effectivement grossi, comme l'avait prédit Majorelle : son volume a même décuplé, au moins ! Mais alors que se passe-t-il ?
.....« Et si j'avais agi trop tard ? » se dit Safre. C'est la seule possibilité. C'est tellement triste… On est passé à un cheveu de la survie.
.....Pendant qu'il se désespère, les vibrations s'intensifient. Au fond de la pièce, un grand craquement se fait entendre. Pour la première fois depuis son existence, les murs du Temple ne vont pas résister à un tremblement de terre… Les fissurent qui y apparaissent n'augurent en tout cas rien de bon…
.....Un son encore plus fort résonne dans la caverne. Cette fois, c'est clair : les parois du Temple s'effritent. Il faut fuir !
.....Aurore a déjà quitté la pièce sans demander son reste. Il fonce également vers l'extérieur, en prenant garde à ne pas se faire écraser par les immenses statues de Pokémon qui chutent autour de lui. Dehors c'est la panique. Chacun tente de se frayer un chemin entre les morceaux de voûte qui se désagrègent, espérant atteindre la faille. Le danger est partout. À plusieurs reprises, des Archéomire manquent de se faire ensevelir. Safre avance aussi vite qu'il le peut, et dans son dos il entend la grotte qui s'écroule, recouvrant par la même occasion son passé.
.....À l'approche du gouffre, Sorbier, Louka et Aurore se rendent cependant compte d'un problème majeur : contrairement aux Archéomire, ils ne peuvent pas léviter. Et surtout, on manque de temps. Il est trop tard pour sortir Étouraptor, et de toute façon il ne pourrait pas les transporter tous trois à la fois… Tout espoir d'en réchapper semble perdu d'avance. Ils se retournent pour voir leur fin approcher. Le Temple est déjà englouti.
.....Alors qu'aucun espoir ne subsiste en eux, Safre et quelques autres retardataires arrivent à leur niveau. Safre comprend la situation. Il faut agir vite ! Il crisse pour attirer l'attention des Archéomire les plus proches, puis il leur donne rapidement ses instructions.
.....Les Pokémon s'approchent des humain et, sans leur demander leur avis, les soulèvent tant bien que mal dans les airs afin de leur permettre de traverser. Arrivés de l'autre côté, pas de temps à perdre en remerciements : il faut sortir à l'air libre. Les galeries ne sont pas sûres.
.....Les secousses les font trébucher sur les cailloux, ils doivent souvent se relever pour reprendre leur course effrénée ; heureusement, l'instinct de survie aidant, en quelques minutes tous sont à l'extérieur, même Sorbier qui traîne un peu – il n'a plus l'âge pour tout ça ! C'est presque terminé, mais pour être hors de danger il leur faut encore s'éloigner de tout ce qui pourrait potentiellement les blesser.
.....« Allons au camp ! hurle Louka. Là-bas on sera en sécurité ! »
.....Les Archéomire ont aussi entendu cet avertissement, et ils suivent les hommes.
.....Sur place, il ne reste plus qu'à attendre. Personne ne sait ce qui va se passer. Pour l'instant, pas de fin du monde… Mais les secousses ont duré au moins dix minutes. Rien de bon n'est à présager. En y pensant, le séisme paraît un peu moins violent vu de la surface. Ici, pas de plafond pour nous écraser. Seulement le ciel, qui lui ne tremble pas.

.....C'est terminé.
.....Tout le monde se regarde, incrédule. Mais c'est bel et bien terminé ! Une fois de plus on a survécu ! On ne peut s'empêcher de pleurer tant l'émotion a été forte ; les embrassades sont également de la partie.
.....Au-dessus de cette scène, dans la douceur encore fraîche du matin, le soleil étire ses rayons. Doucement l'air s'échauffe et les Pokémon se remettent de leur frayeur. Sur les quelques pins encore debout, des Tylton piaillent. Quelques sons de Korillon résonnent derrière les buissons. On ne penserait pas qu'une catastrophe vient d'avoir lieu, bouleversant pour longtemps toute la région de Sinnoh.


.....« Après cet épisode quelque peu fâcheux, les Archéomire sont retournés habiter dans les galeries du Mont Couronné. Des groupes semblent s'être formés, avec chaque fois un Archéodong à leur tête. Ces Pokémon sont encore méconnus, mais je suis certaine que nous aurons à présent de nombreuses occasions de les étudier... Et peut-être un jour découvrirons-nous enfin le secret de leurs pouvoirs. »
.....Avec ces derniers mots, Aurore termine la rédaction de son rapport d'étude. Tout juste à temps ! L'après-midi-même, elle prend un Dracolosse avec Louka pour aller voir son père, à Alola ! Comme le dit le professeur Sorbier, ils ont bien mérité un peu de vacances.
.....Quelques heures plus tard, quand elle arrive au Dracodrome, son ami l'attend déjà.
.....« Tu es prête ? lui demande-t-il, comme si la réponse n'était pas évidente.
.....— Bien sûr, crétin ! »
.....Elle lui donne une tape sur la tête et ils rigolent.
.....L'embarquement se déroule tout aussi bien que le vol, et ils atterrissent à Alola sans avoir eu le temps de s'ennuyer. Son père les attend sur le tarmac. Une effusion de bisous a lieu dès qu'Aurore pose un pied à terre. Presque immédiatement il remarque :
.....« Mais, ma puce… Où est ton collier ? Tu ne l'as pas perdu au moins ?
.....— C'est… une longue histoire, mais je te raconterai ça plus tard ! D'ailleurs, je peux te poser une question ?
.....— Bien sûr ! dit-il.
.....— Où est-ce que tu l'as trouvé, ce collier ?
.....— Je ne t'ai jamais raconté ? fait-il avec des yeux ronds. C'est tout bête, en fait. Je travaillais comme géologue au Mont Couronné quand tu étais encore toute petite, je ne sais pas si tu t'en rappelles.
.....— Je m'en souviens très bien, répond-elle d'un sourire mélancolique.
.....— Bon, eh bien un jour, pendant que j'effectue mes mesures, je me penche, et je vois un cristal qui brille. Je le ramasse en me disant que ça te plaira peut-être. Par la suite, comme je le trouvais vraiment beau, j'ai décidé d'en faire un collier, pour que tu l'aies toujours sur toi. Voilà, c'est tout ! »

.....La fin de journée est ensoleillée dans la région tropicale. Les vagues bercent la vie, qui suit leur lent rythme. Les palmiers étendent leurs ombres. Sur le sable, quelques Crabagarre se disputent les baies qui forment un tas au pied d'un arbre. Tout va pour le mieux.
.....Quelque part ailleurs, le temps n'est pas au beau fixe, bien au contraire. Autour de l'Arbre, ce sont des êtres encapuchonnés de noir qui se rassemblent, afin d'en contempler l'aura qui se régénère lentement. Le tronc, d'abord, regagne toute sa vigueur d'antan. Les branches, puis les feuilles, repoussent, et enfin de gros fruits viennent alourdir la frondaison. D'ici peu, de nouveaux souvenirs verront le jour pour raconter cet événement en détails.
.....Dans un autre lieu encore, la fin de l'été approche. Ce soir, le crépuscule est particulièrement éclatant. Sur la berge d'un lac, un vieillard moustachu est assis, et il contemple en silence la lente descente du soleil derrière l'horizon en caressant d'une main affectueuse le grand Étouraptor qui se trouve à sa droite. Un peu plus loin, sur une montagne qui fourmille plus que jamais de vie, un être discret se tient, fier, face au vent. Un bruit retentit, et il disparaît dans un éclair noir et blanc ; mais ce n'était qu'un hululement. Tandis que partout la vie triomphe, sous le sol sont enfermées, intactes, deux jumelles. L'une brille d'un éclat rosé, tandis que l'autre s'illumine de bleu. Ensemble, elles maintiennent l'équilibre. Personne n'ira les chercher dans leur cachette ensevelie. Les mondes s'endorment, tranquilles, et dans le lointain, un Archéodong sonne pour que gronde une averse.