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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 23/08/2017 à 14:17
» Dernière mise à jour le 14/09/2017 à 12:41

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 23 : Les mains noircies d’espoir.

 Omilio observait le reste de la maisonnée, tel un roi, l’œil satisfait. Tout s’était déroulée selon ses plans, mais ça, ce n’était guère étonnant. Il savait qu’Eily allait faire ses preuves, petit à petit. Il avait besoin qu’elle s’épanouisse, qu’elle s’ouvre aux autres, aiguise ses dons. Elle était la perle rare qu’il n’attendait plus, celle qui donnait une chance de réussite à son objectif insensé.

— Mais avant d’aller plus loin…

Le Foréa se tourna vers Evenis, qui dormait paisiblement sur un fauteuil. Le seul souffle de sa respiration embaumait tout le salon de la douce odeur de l’alcool.

— Tu sais bien choisir tes amis, Eily, sourit Omilio.
— Je me passerais de commentaires…, grinça cette dernière.
— Toutefois, c’est une bonne chose de l’avoir ramenée ici. Il aurait été inconvenant de laisser cette demoiselle dans la rue. Le manoir est grand, elle pourra bien trouver une chambre.

Ifios plissa des yeux :

— D’ailleurs une telle bonté m’étonne de toi. Avoue, tu espères qu’elle te soit redevable pour la faire chanter ensuite, je me trompe ?
— Hé ! protesta Eily. Il m’arrive de faire des choses non-intéressées… parfois !
— Laisse-moi en douter, souffla l’adolescent.

La demoiselle cyan se contenta de lui lancer un regard courroucé. D’un autre côté, elle ne pouvait pas spécialement lui donner tort, pas après tout ce qu’elle avait fait.

« … mais j’essaie de changer… », geignit-elle mentalement.

— Allons, temporisa Omilio, inutile de se montrer si méfiant. Quoi qu’il en soit…

Omilio se tourna vers Eily. Il hocha la tête.

— J’ai besoin de te parler, en privé.
— … moi ? s’étonna la demoiselle cyan.

La Foréa laissa un léger gloussement s’échapper.

— Pourquoi cette réaction ? demanda-t-il. Si je me souviens bien, le jour de ton arrivée ici, tu désirais ardemment des réponses, n’est-ce pas ? Je pense que le moment est venu, jeune Eily. Je vais t’expliquer précisément le pourquoi de ta présence en ces lieux.
— … !


 ***

 Omilio guida Eily dans l’une des nombreuses pièces vides du manoir. Par précaution, il demanda à Rhinolove d’isoler l’endroit avec ces pouvoirs psychiques, histoire d’éviter les oreilles indiscrètes. Ce surplus de prudence surprit Eily, qui ne put s’empêcher de déglutir sous la pression. Caratroc était posé sur son crâne, comme il en avait auparavant l’habitude ; sa présence était bien la seule chose qui la rassurait.

Une fois qu’il fut certain que personne ne pouvait les espionner, Omilio s’assit élégamment sur une chaise en bois et demanda à son invitée d’en faire autant.

— Détends-toi, lui conseilla Omilio. Le stress ne fait pas bon ménage avec la réflexion, ce n’est pas à toi que je vais apprendre cela.
— …

C’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Toutefois, Eily fit l’effort de se concentrer sur la présence de Caratroc, tout en régulant sa respiration du mieux qu’elle le pouvait.

— C’est mieux, approuva Omilio. Tu vas avoir besoin de toutes tes facultés pour ce qui va suivre, alors tâche de rester concentrée.

Eily hocha la tête.

— Je devrais peut-être commencer par le début. Dis-moi, Eily, as tu une idée d’où est-ce que j’étais durant ces longs jours ?
— Pas la moindre, avoua la demoiselle cyan. Sans doute des occupations classiques de Foréa, non ?
— Haha, c’est à un tiers vrai. Des occupations, oui, de Foréa, non, et classiques… encore moins.

Subitement, Omilio fixa froidement Eily dans les yeux. Son visage était devenu dur et sévère ; une expression si acérée qu’elle en fit légèrement tressaillir Eily. Et enfin, sa bouche s’ouvrit lentement, et le Foréa Impériale articula doucement ces quelques mots :

— J’ai tué.

Quelques mots qui refroidirent immédiatement le cœur de la demoiselle cyan. Caratroc lui aussi en était choqué.

— J’ai passé des jours et des nuits à traquer mes proies, à me fondre dans l’ombre, à attendre patiemment le bon moment, avant d’arracher la vie de mes propres mains.

En ce moment précis, Omilio avait totalement abandonné sa façade aimable ; ses prunelles brillaient d’une triste cruauté.

— Sans doute te demandes-tu pourquoi ai-je fait cela. Rassure-toi, ce n’était pas par plaisir, loin de là. C’est juste que dans ce monde, certains veulent une chose par-dessus tout. Il faut croire que c’est ancré dans nos âmes ; quels que soient les âges, notre désir pour cette chose reste inchangé. Notre insatiable désir pour le pouvoir absolu.

Omilio hocha la tête :

— À Prasin’da, c’est le Vasilias qui le détient. Un être soi-disant omnipotent, considéré comme un dieu. Dieu. N’est-ce pas présomptueux ? Il faut avoir un bel égo pour se définir comme tel. Plusieurs personne veulent la tête du Vasilias ici, pour plusieurs raisons.

Eily se tenait fermement, frileuse. À chacune des paroles du Foréa Impérial, la température chutait. Même Rhinolove, qui voletait à ses côtés, arborait une mine sombre.

— Il fait peur. Il est bien trop puissant. Il pourrait nous balayer d’un revers de main s’il le désirait. Cette simple idée terrorise les aisés, ceux qui croulent sous l’or ; et si un jour, ils perdaient tout ? Les nobles sont ainsi faits, ils n’ont que leur richesse comme source d’existence. Sans elle, ils ne sont rien. Alors, ils sont prêts à tout pour la protéger.

Omilio secoua la tête :

— Bien sûr, ce n’est pas une généralité. Il existe des nobles qui vivent modestement, dans la paix, sans jamais abuser de leur autorité. Il y en a bien plus qu’on ne peut le croire. C’est juste que contrairement aux autres, les plus sages font beaucoup moins de bruit, passant inaperçu à côté de la masse corrompue. Ceci dit, certains de ces nobles ‘‘honorables’’ sont catastrophés par la vision égoïste de leurs confrères, et s’allient entre eux dans un objectif de justice.

La Foréa Impérial fit une petite pause dans son discours, avant de reprendre :

— Maintenant, résumons le tout d’une façon binaire. D’un côté, nous avons les ‘‘méchants’’ nobles, ceux qui abusent de leur autorité, et de l’autre, les ‘‘gentils’’ nobles, qui veulent simplement que la paix règne. Deux clans aristocratiques qui s’opposent continuellement, et se régulent eux-mêmes. Impossible qu’un des camps ne fasse un mouvement sans que l’autre fasse quelque chose pour le contrer. C’est le parfait statu-quo.

Eily fronça les sourcils, incertaine des tenants et aboutissants de ce discours. Omilio se plaisait à donner des informations au compte gouttes, dans le désordre ; c’était à elle de refaire le puzzle dans sa tête.

— Mais les ‘‘méchants’’ nobles ont un rêve. Ils veulent renverser le Foréa, prendre sa place. Ils veulent gouverner Prasin’da. Ils ne veulent plus de cette épée de Damoclès. Ils veulent être les seuls à pouvoir décider de leur destin. Peut-on véritablement les blâmer ? Ce n’est qu’un acte d’auto défense. Toutefois, ces ‘‘méchants’’ sont furieusement surveillé par les ‘‘gentils’’. Au moindre signe ouvert de trahison, les ‘‘méchants’’ risquent de tout perdre. Et c’est là que j’interviens.

Le Foréa Impériale renforça son glacial regard.

— Les ‘‘gentils’’ les plus influents… ceux qui empêchant toutes actions des ‘‘méchants’’… je les ai tués. Un à un.
— Ny… ! s’étouffa subitement Eily.
— Tout ça dans un seul but : briser le statu-quo. Je n’avais rien de personnel contre ces ‘‘gentils’’ nobles, mais ils devaient mourir. C’était une étape inéluctable de mon plan. Puisque mon but… est de tuer le Vasilias.
— Tuer le…

Eily cligna des yeux, affolée. Ce que Omilio lui révélait aussi simplement, avec un ton aussi effroyable qu’hivernal, lui inspirait une terreur folle. Pour la population locale, le Vasilias était un dieu. Un être à la puissance et à l’intelligence infinie, le père et le soleil de tous. Eily, elle, n’avait jamais vraiment vénéré le Vasilias à ce point, mais elle savait qu’il ne fallait pas parler de lui à la légère.

— Ironiquement, je ne saurais expliquer mes raisons, lâcha Omilio. C’est juste que j’ai le sentiment que tant qu’il sera au-dessus de nous… il nous sera impossible d’avancer. J’ai passé beaucoup de temps à la Tour d’Ivoire, à étudier la science de l’Ancien Monde. Ils avaient vraiment des technologies ahurissantes ; des machines pouvant tout faire, des méthodes pouvant tripler le rendement des récoltes, des systèmes avancés d’irrigation pouvant faire voyager l’eau sur les terres les plus arides… sans parler de leur médecine à toutes épreuves.

Omilio baissa lugubrement les yeux.

— Eily, imagines-tu le nombre de personnes qui meurent encore de faim et de soif à Prasin’da ? Pour ma part, je m’efforce de donner tout ce que je peux à ma ville. J’ai voulu qu’Aifos soit un modèle de paix et de douceur, et je suis heureux d’y être arrivé. Mais mon influence s’arrête à cette ville. Elle est peut-être grande, mais elle n’est rien face à l’immensité de Prasin’da. Hors de mes murs protecteurs, la famine, la soif et l’insécurité règne. Je ne vais pas te l’apprendre. Tu as tristement connu l’instabilité de notre monde.

Eily hocha amèrement la tête. Quoiqu’elle fasse, l’horrible vision de l’orphelinat en flammes ne la quitterait jamais.

— Avec la technologie de l’Ancien Monde… nous pourrions apporter tant de bonheur à notre belle région. Nous pourrions effacer le besoin. Nous pourrions sauver toutes les âmes désœuvrées. Et pourtant, le Vasilias nous le refuse. Il est catégorique. Toute personne tentant de réhabiliter les anciennes technologies encourt la peine de mort. Et ce n’est pas une menace en l’air. Eily, tu n’as idée du nombre de cadavres qui trônent aux pieds du Vasilias.

Omilio serra le poing, irrité :

— Et pour quelle raison ? Parce que c’est justement la technologie qui a causé la perte de l’Ancien Monde ? Et alors ? Est-ce que cela justifie que nos villages meurent de famine ?! Que nos familles meurent de maladie ?! Non, je le refuse. Nous n’allons pas commettre la même erreur que les Anciens. Le Vasilias ne peut pas nous maintenir dans un cocon statique. Nous avons le droit de déployer nos ailes. Et s’il le refuse, il rejoindra tous ceux qu’il a lui-même assassinés.

Eily détourna les yeux. En un sens, elle comprenait le sentiment d’Omilio. Le Foréa souffrait de voir son peuple souffrir. Et le pire, c’était qu’il avait la solution à cette souffrance ; mais qu’un certain dieu-autoproclamé lui refusait cette délivrance.

— … et le rapport avec moi ? souffla finalement une Eily mal à l’aise. Vous n’avez fait que parler de vos propres objectifs, sans jamais me mentionner.

Omilio acquiesça.

— C’est juste, je vais y venir. Mon plan à l’origine était de semer la zizanie chez les nobles, pour les conduire à une rébellion contre le Vasilias, et profiter du chaos pour agir. Globalement, j’ai maintenu ce plan. Toutefois, c’était un plan fou. Les chances de succès ? Infimes. Une fois dans au Palais de l’Ambre, il me faudra affronter les gardes d’élite, mais surtout Asda et le Vasilias. Ce sera un concours de force brute où je serais terriblement désavantagé. Cependant, j’étais prêt à prendre le risque. Même si je devais aller à ma mort, même si les chances étaient à la limite de l’inexistence, je devais me battre pour mes idéaux. Mais alors que j’avais résolu mon esprit, tu es arrivée…

Omilio sourit légèrement.

— Une Foréa naturelle. Je n’arrive pas encore à y croire. Inam m’a raconté qu’en à peine quelques jours d’entraînement, tu as pu développer une défense presque similaire à Asda. Celle qui est réputée indestructible. C’est faramineux, et je pèse mes mots. Qui sait jusqu’où tu pourras aller, avec un peu plus de temps ? Peut-être même que tu surpasseras Inam, moi-même… ou encore le Vasilias. Tu comprends à présent, Eily, pourquoi tu es aussi importante à mes yeux ? Tu es l’espoir que je n’attendais plus.

Eily frissonna. Omilio la fixait intensément, le regard brillant. Un regard étrangement chaleureux. Un regard qui perçait jusqu’à son âme.

— Mais bien sûr, je ne t’oblige en rien. Tu es libre de refuser de m’accompagner dans cette folie. J’ai beau m’affubler d’un noble but, reste que je n’agis que par égoïsme. Je veux combattre la souffrance des défavorisés uniquement parce qu’elle me dérange. Au fond, je n’agis que pour mes propres intérêts. Que ferais-je, si par miracle, un jour, la tête du Vasilias vacille à mes pieds ? Je n’en ai encore aucune idée. Je veux juste… pouvoir évoluer. Mais tant que le Vasilias sera en vie, il ne me l’autorisera pas. Il ne l’autorisera à personne. Comme s’il voulait garder ce monde dans un état primitif pour mieux le contrôler.

Omilio relâcha enfin son regard, au grand soulagement d’Eily.

— Ceci dit, toi aussi, tu as quelque chose à gagner, dans cette histoire.
— … ?
— Tu tiens connaître tes origines, n’est-ce pas ? Hé bien, sache que le Vasilias, dans son extrême prudence, tiens des registres extrêmement précis sur absolument tous les habitants de Prasin’da. Il est bien sûr impossible de les consulter sans son autorisation, mais si on le renverse, il ne sera plus là pour te bloquer la route, n’est-ce pas ?
— … mes… origines…, réfléchit Eily.
— Pourquoi as-tu fini à l’orphelinat ? Qui sont tes parents ? Sont-ils morts ? Encore en vie ? Si oui, pourquoi t-ont-ils abandonnée ? Ces questions te hantent, n’est-ce pas ? S’il y a un endroit qui pourra t’apaiser, c’est bien le Palais de l’Ambre, la demeure du Vasilias.
— …
— Encore une fois, c’est ton choix de me suivre, ou pas. Ce que je te demande est extrêmement risqué. Il y a même de forts risques à ce que tu meures. Les réponses à quelques questions méritent-elles de tuer et de risquer de se faire tuer ? Pour celle-ci, tu vas devoir y répondre seule.

Sans attendre la fameuse réponse, Omilio se leva.

— Rassure-toi, je ne te mets pas le couteau sur la gorge. Tu as largement le temps de réfléchir. Oh, et évidemment, je vous remercierais de ne pas ébruiter notre petite conversation. Ce sera notre petit secret entre nous.

Le Foréa impérial conclut son long discours par un petit clin d’œil amusé, comme s’il voulait supprimer d’un coup toute la tension accumulée. Omilio se dirigea lentement vers la sortie, en faisant signe à Rhinolove de le suivre. Toutefois, juste avant de saisir la poignée de la porte, le Foréa Impériale tourna la tête :

— … d’ailleurs, sourit-il. J’ignorais que tu m’aimais au point d’avoir une poupée de moi…
— Ny… !

Toute rouge, Eily serra son manteau encore plus fort. Comment avait-il su ? Elle avait pourtant fait très attention à bien cacher cette fichue poupée !

« Ce type voit vraiment tout… », grogna-t-elle mentalement.

— Haha, ce genre de réaction me prouve que Rhinolove a fait du bon travail.
— Bien évidemment, voleta la chauve-souris, je n’ai pas chômé !
— Nyah ?

Alors qu’il s’apprêtait à partir, Omilio se retourna complètement, avançant à nouveau vers la demoiselle cyan.

— Tu me ressembles, Eily. Quand je t’ai vu arrivée à Aifos, j’étais sous le choc. Dans tes yeux, j’ai vu mon propre reflet. J’ai vu celui que j’avais été, durant ma jeunesse. Le petit Omilio distant, toujours faux, portant sans cesse un masque. Ah, en soi, je n’ai pas tellement changé. Mais c’est justement pour cela ; je ne veux pas que tu suives mes pas.

Omilio soupira, avant de lancer un regard mélancolique au plafond.

— Regarde-moi. Je suis prêt à tuer des innocents pour la réussite d’un plan. Je parle de la mort comme si c’était une chose banale. Une simple conséquence sans importance. Ne penses-tu pas que c’est… horrible ? Personnellement, j’ai jeté mes sentiments il y a fort longtemps. A force d’analyser les autres de loin, j’ai fini par tous les considérer comme des pièces manœuvrables à merci. C’est ainsi que je vois les choses ; je suis le seul Roi et le reste n’est que Pion.

Le Foréa secoua sa tête.

— Enfin, tout n’est pas perdu. Il y a encore une personne qui éveille des soupçons de sentiment en moi. Tza, ma petite sœur. Je ferais absolument tout pour elle. Elle est tout ce qui reste de mon âme. La seule personne qui me rappelle encore qu’autrefois, j’avais un cœur.
— … je ne comprends pas, se risqua Eily. Vous dites n’avoir plus de sentiments mais… votre discours de tout à l’heure, sur le partage de la technologie de l’Ancien Monde, pour le bonheur du peuple…

Omilio ricana doucement.

— Ne t’ai-je pas déjà répondu ? C’est purement égoïste. Le passage sur la souffrance des autres n’était là que pour t’amadouer. En soi, cela reste juste. Avec la technologie, famine, maladie et autres fléaux seront grandement endigués. Mais au fond, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je te l’ai dit, je veux évoluer. Ce monde surprotégé par le Vasilias m’étouffe, m’oppresse. Mon égo ne supporte tout simplement pas qu’une main me tire vers le bas, rien de plus. Je ne suis pas un héros, Eily. Je laisse ça à Inam. Moi, je ne suis juste qu’un sale type qui s’habille en héros.

Un doux sourire se dessina sur ses lèvres :

— Mais toi, Eily, tu es encore pure… enfin… un peu, haha. Ce que je veux dire par là, c’est que tu n’es pas autant noircie que moi. Tu peux encore faire machine arrière et préserver tes sentiments. S’il y a un souhait que j’ai te concernant, c’est que tu ne finisses pas par devenir comme moi. … allez, tu dois en avoir assez de m’entendre parler. Je vais te laisser cogiter en paix maintenant.
— À plus tard ! s’anima Rhinolove.

Et Omilio sortit enfin de la pièce, laissant une Eily perplexe derrière lui. Les nombreuses révélations que venait de lui faire le Foréa avaient été comme des coups de massue.

« Il était sérieux, mortellement sérieux… », réfléchit la demoiselle cyan.

— Il veut renverser le Vasilias…, souffla-t-elle à voix haute.
— … Eily, lança Caratroc. Si tu veux mon avis, il vaudrait mieux rester loin de ce genre d’embrouille.
— …
— Je sais que la perspective d’en savoir plus sur toi t’intéresse, mais tu comprends aussi que cette affaire nous dépasse complètement. Tu l’as vu, il est prêt à tout. Même à tuer des innocents. Il a une détermination que nous n’avons heureusement pas.
— … tu as sans doute raison, marmonna Eily.

La demoiselle cyan laissa son corps tomber au sol ; elle fixa le plafond d’un air absent.

— Je me demande ce à quoi il pense. Est-il vraiment aussi dénué de sentiments qu’il le prétend ? Où fait-il semblant pour se protéger lui-même ? … si, comme il le dit, nous nous ressemblons tous les deux, la réponse est évidente…
— En tout cas, persista Caratroc, il a clairement parlé de lancer une guerre civile en ce servant des nobles. Une véritable guerre, Eily. Le summum de l’absurdité de la violence. T-Tu ne veux pas revivre ce que tu as vécu à l’orphelinat, pas vrai ? Les flammes, le sang, les morts…… c’est justement ce qu’appelle Omilio. Il ne peut rien arriver de bon dans ce genre d’histoire.
— … c’est probablement vrai…


 ***

 À l’heure du dîner, en dépit de l’écrasante discussion qu’elle avait eu avec Omilio, Eily n’eut pas le temps de se plonger dans la morosité. Une certaine personne animait vigoureusement la maisonnée, à un tel point que tous les regards ne pouvaient être que braqués sur elle.

Evenis s’était réveillée et comme il était déjà très tard, Omilio lui proposa de dormir au manoir. La jeune noble avait été très surprise et méfiante au début – c’était qu’elle ne s’attentait absolument pas à se retrouver nez à nez avec un Foréa après une cuite ! Cependant, lorsqu’Ifios apporta à manger pour tous, l’estomac d’Evenis consentit à accepter l’offre à la place de sa propriétaire.

— Comme on pourrait s’attendre du manoir d’un Foréa ! Que des mets de qualités ! Quelle honte pour le peuple qui meurt de faim !

… disait-elle tout en dévorant littéralement la table, tout en n’hésitant pas à piocher plus ou moins discrètement dans l’assiette des autres.

— Ce ne sont que des produits basiques venant du marché, nota Tza.
— Groumph ? s’étonna Evenis la bouche encore pleine.
— Oui, nota Eily, c’est le petit maigre aux cheveux gris qui s’occupe de la cuisine. C’est sa seule qualité !
— … dis donc, grogna Ifios.

Evenis tourna son visage barbouillé de graisse vers Ifios.

— C’est vrai que c’est un petit maigre ! acquiesça-t-elle.
— … DIS DONC ! s’écrièrent Ifios et Inam dans un parfait synchrone.
— Elle est marrante cette petite, nota Sidon.
— Tiens, commenta sarcastiquement Eily. Tu es là toi ?
— Hé oui petite, maintenant qu’Omilio est rentré, je peux enfin respirer !
— … ?

Entendant son nom, le Foréa impériale se retourna vers eux.

— Sidon était chargé de votre protection, intervint-il. Je lui avais demandé de rester dans l’ombre un certain temps, pour mieux vous surveiller. Et aussi pour ne pas te brusquer, Eily, puisque je sais que tu as un passé quelque peu tortueux avec lui.

Omilio lui lança un petit clin d’œil ; Eily plissa des yeux :

« … mais d’un autre côté, il a raison. Sidon ne me paraît plus si effrayant. L’épisode chez les Agrios me semble bien loin désormais… le temps à effacer une grande partie de mon animosité… »

Subitement, une puissante exclamation brisa les pensées de la demoiselle cyan :

— Bon ! tonna Evenis. C’est vrai la nourriture est pas trop mal ici, mais il manque l’essentiel ! Cela me désole franchement de le constater !

Devant les regards interrogateurs de l’assemblée, Evenis poussa un petit ricanement, avant de brusquement bondir, le poing levé :

— L’ALCOOL ! A-L-C-O-O-L !

« … pourquoi elle l’a épelé ? » s’étonna à moitié Eily, « … non, plus important. Elle n’en a pas bu des litres cette après-midi ?! »

— Un instant jeune fille ! s’offusqua Inam. C’est une maison respectable ici et…
— Comme j’attendais ce moment ! bondit brusquement Sidon.

Autant dire que le grand homme balafré devint immédiatement le centre de toute l’attention.

— Pendant tout ce temps, j’ai dû resté sur le qui-vive en permanence, sans jamais avoir le droit de me laisser aller ! Mais maintenant qu’il est de retour… au diable tout ça ! Restez ici, je reviens dans la seconde !

Et effectivement, une seconde plus tard…

— Voici !

Sidon abattit sur la table deux tonneaux de bière, ainsi que des chopes typiques. Et à en juger par les étoiles dans les yeux d’Evenis, ça avait l’air d’être de l’excellente qualité. La jeune noble dirigea gravement son regard vers Sidon.

— Toi, quel est ton nom.
— Sidon, ma chère.

Evenis hocha solennellement la tête, sourit légèrement, avant de finalement…

— Hé bien qu’est-ce qu’on attend ! Éclatons-nous le bide palsambleu !!
— Avec plaisir !

… joyeusement enchaîner les bières avec Sidon, avec une grossièreté à en faire pâlir le prince des rustres.

— … elle a vraiment le droit de boire ? signifia Inam. Elle a l’air bien jeune…
— Haha, gloussa Omilio. Je me souviens avoir essayé d’interdire la boisson au moins de 18 ans un jour mais… rien n’y faisait, les adolescents trouvaient toujours le moyen de s’en procurer. Alors, hé, puisque je n’y pouvais rien, je me suis dit : pourquoi ne pas la rendre légale ? Et puis, quelques litres d’alcool ne peuvent pas faire de mal !
— … irresponsable…, grogna Inam.
— …mh, acquiesça silencieusement Tza.

« … il est étonnamment laxiste… », plissa Eily des yeux.

De son côté, Ifios fixa évasivement un tonneau. L’adolescent avait une histoire compliquée avec l’alcool. C’était bien simple, il ne pouvait pas en supporter une goutte. Rien que l’odeur lui faisait tourner la tête. Pourtant, les bandits Agrios le lui avait répété mille fois : les vrais hommes boivent de l’alcool.

Ifios déglutit. Il voulait tenter sa chance à nouveau. Cette fois-ci, il ne laisserait plus quelques gouttes de liquide le défaire ! Fébrilement, il tendit la main vers une chope, avec l’idée de la remplir à ras-bord.

— Ifios, non !

Mais c’était sans compter sur Inam qui s’interposa de justesse.

— … ! se rétracta l’adolescent.
— T-Tu ne voulais pas boire toi aussi, hein ? s’inquiéta sa mère.
— … euh… hé bien…

Inam soupira.

— J-Je ne sais pas ce que tu veux te prouver en faisant ça, mais… ce n’est pas la bonne solution. Tu ne supportes pas l’alcool, n’est-ce pas ? Ce n’est pas grave. Chacun a le droit d’avoir des faiblesses. Il faut juste avoir la force de les accepter ; c’est ainsi que l’on avance.
— … Inam…

Ifios se mordit les lèvres. Ces simples paroles, ils les avaient attendu tellement longtemps. Pendant qu’il était chez les Agrios, il ne pouvait pas se passer un jour sans qu’un adulte ne se moque de son incapacité à boire. Jamais personne ne lui avait sincèrement dit qu’il y avait rien de honteux à cela.

— Qu’entends-je ? Qu’ouïs-je ? s’immisça soudainement Evenis. Écoute-moi bien le petit maigrichon ! Si tu ne supportes pas l’alcool, alors cela signifie qu’il est ton ennemi ! Et ton ennemi… il faut le combaaaatre !! MOUAHAHAHA !

D’un coup, Evenis enfourna brutalement une chope de bière dans la gorge du pauvre adolescent, sous l’œil effaré de sa mère.

— IFIOS ! s’écria-t-elle.
— T’inquiètes ma vieille, il y en a pour toi aussi !

Et dans la même foulée, la jeune noble gava la pauvre Inam à son tour. Le résultat fut sans appel : mère et fils tombèrent instantanément dans les pommes, les yeux vides.

— Inam n’a jamais pu tenir l’alcool, avoua Omilio. C’est sans doute de là que vient la réticence d’Ifios pour la boisson.
— Oooh, fit exagérément Eily.
— Dis Eily, cette Evenis…, s’enquit Tza, tu es certaine que c’est une noble ?

Tza pointa négligemment une certaine demoiselle bien habillée qui, pourtant, riait à gorge déployée, une chope de bière à la main, tout en lâchant d’élégants rots à l’occasion.

— C’est ce qu’elle m’a dit, lâcha Eily.
— C’est bien une noble, assura Omilio. Evenis Azne Genna, fille d’Onir Azne Genna, Varon de la province de Genna. Tu devrais le savoir, Tza, ne t’avais-je pas demandé d’étudier toutes les familles nobles de Prasin’da ?
— …

Tza détourna lentement la tête, prise sur le fait.

— Il est vrai que la famille Azne Genna n’est pas très influente, elle est même méprisée par les autres nobles, compléta Omilio. Pour être honnête, ils ont un style de vie beaucoup plus proche des paysans que des véritables aristocrates. Mais c’est également ce qui fait leur force. Il ne faut pas pour autant les négliger.
— … oui, hocha Tza de la tête.
— Evenis m’a également dit que leur province était en difficulté. Leurs terres arides n’encouragent pas les récoltes, et à force d’importer pour nourrir tout le monde, la trésorerie… si seulement il y avait un moyen de leur fournir de l’eau, beaucoup de leur problème disparaîtront…

Après avoir fini sa phrase, Eily jeta un coup d’œil intéressé à Omilio. Tout ce qu’elle venait de dire faisait écho au précédant discours du Foréa Impériale. Ce dernier sourit :

— Qui sait ? Mais il faut savoir qu’un problème n’est pas toujours négatif. J’ai visité Genna il y a longtemps, et s’il y a une chose qui la caractérise, c’est son entraide et sa convivialité. Les conditions sont dures là-bas, mais chacun travail main dans la main. Ils n’ont pas le choix, s’ils veulent survivre. Penses-tu qu’ils auraient développé cet esprit de solidarité s’ils vivaient dans un lieu où personne n’a besoin de personne ?

Pour le coup, Eily fut totalement prise de court. Elle n’avait pas imaginé une seconde que le Foréa se mettent soudain à relativiser la chose.

— Peut-être, tenta tout de même la demoiselle cyan. Mais esprit de solidarité ou pas, ils sont dans le rouge. Si rien ne bouge, les créanciers prendront leurs terres et tout sera fini.
— Tu sous-estimes la détermination humaine. Le peuple de Genna se battra jusqu’au bout, tu peux en être certaine. Regarde Evenis, n’a-t-elle pas quitté son foyer pour trouver une solution ? Comme elle, beaucoup d’autres jeunes se démènent actuellement pour faire bouger les choses. Rien n’est figé dans le marbre.
— … s’ils sont tous comme Evenis, à passer leur journée à boire, permets-moi de m’inquiéter…
— Haha, il est vrai que notre jeune amie n’est pas très efficiente dans ses choix, pour l’instant. Toutefois, ne juge pas les gens trop vite. Ce sont souvent ceux dont on attend le moins qui nous apportent le plus.

Eily fit la moue, redirigeant son regard vers une Evenis dont la conscience s’était déjà perdu dans le doux paradis des ivrognes.

« … je me demande ce qu’elle va bien pouvoir nous apporter… », songea une Eily incertaine.


 ***
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 Autre lieu, autres mœurs. Dans le quartier des nobles, le grand, le magnifique, et le merveilleux Sanidoma fulminait avec grâce et retenue.

— C’est un affront ! Que dis-je ? Un sacrilège ! Que l’on ose m’insulter de la sorte… impardonnable ! Gyl ! Convoque immédiatement tous mes gardes ! Qu’ils fouillent toutes les maisons de cette satanée ville !

Aux côtés du sublime Sanidoma, un jeune homme en tunique blanche s’inclina légèrement.

— Votre seigneurie, je comprends votre colère, mais je doute que le Foréa local n’approuve de telles méthodes.
— Au diable ces opportunistes de Foréa ! pesta gracieusement le noble. Ne comprends-tu pas, Gyl, que ces imbéciles ne valent pas une centième de ma personne ? Moi, je possède nombre de titres ! Je suis la fine descendance d’une riche et influente famille au patrimoine phénoménal ! Et lui ? Qu’a-t-il, à part une bestiole qui lui tourne autour ?!
— Rien, votre seigneurie.
— Parfaitement !

Sanidoma réussit toutefois à apaiser légèrement sa colère, laissant ainsi à un minimum de conscience le champ libre pour traverser son cerveau.

— Mais réfléchissez, Gyl. Si je me mets le Foréa à dos, ce barbare risque de m’attaquer. Il me coûte de le dire, mais ces imbéciles sont absurdement forts, c’est bien là leur seule compétence ! Non, je ne peux pas envoyer mes gardes dans de tels conditions ! Ah ! Heureusement que j’y ai pensé à temps, sinon, j’aurais été bien dans l’embarras !
— Vous êtes si clairvoyant, votre seigneurie.
— Il le faut bien, mon cher Gyl. On ne bâtit pas une tel dynastie sans un intellect hors du commun, hahaha !

Satisfait de lui-même, le génial Sanidoma alla s’asseoir légèrement sur son riche trône fait sur-mesure. Son ventre légèrement enveloppé dépassait timidement, mais cela n’enlevait rien à la grâce naturelle d’un si bel homme.

— Mais si vous me permettez, votre seigneurie. Si vous envoyez simplement vos gardes patrouiller en ville, même le Foréa ne pourra rien dire.
— Merveilleux ! s’illumina Sanidoma. Gyl ! Je viens d’avoir une idée merveilleuse ! Je vais simplement envoyer mes gardes patrouiller ! C’est mon droit le plus strict après ce qu’il vient de m’arriver, ce satané opportuniste ne pourra rien dire !
— Vous êtes décidément bien trop fin pour quiconque, votre seigneurie.
— Haha ! Il le faut bien, mon cher Gyl, il le faut bien !

Toutefois, le brillant Sanidoma fronça les sourcils, pensif.

— C’est bien beau tout ça, mais je n’ai aucune idée de qui m’a volé ma bourse. Cela peut être n’importe qui ! Je peux envoyer mes gardes mais… quel signalement pourrais-je bien leur donner ?!
— Je suis certaine que vous finirez par trouver, votre seigneurie.
— Bien évidemment ! s’offusqua Sanidoma. Pour qui me prends-tu ?! Juste une seconde, je sens que l’impeccable sang du pur lignage qui me constitue ne va pas tarder à démêler ce chaos…… AH !

Subitement, Sanidoma bondit, victorieux.

— Je vais leur demander d’arrêter toutes les personnes louches qu’ils croiseront ! HAHA ! Mon voleur se trouvera forcément dans le lot !
— Votre seigneurie…
— Assez d’éloges ! le coupa Sanidoma. Prépare plutôt nos affaires, Gyl. Je ne veux pas rester une seconde de plus dans un endroit où le crime est roi ! Nous rentrons au château !
— … mais si nous partons, vos gardes…
— Gyl ! Ne discute pas !
— … très bien, votre seigneurie.

Pendant que son serviteur s’effaçait, Sanidoma lâcha un grand et magnifique sourire. Grâce à sa merveilleuse idée, ce n’était plus qu’une question de temps avant que le voleur ne soit attrapé. Cette infâme crapule qui avait osé lui dérober ses 900 Vasils.
Comparée à l’immensité de sa fortune, 900 Vasils n’étaient rien. Mais Sanidoma avait des principes, et en premier se trouvait celui de châtier ceux lui causant du tort. Le voleur ne lui avait pas seulement dérobé de l’argent, mais également une part de sa fierté.
Toutefois, le grandiose Sanidoma savait se montrer magnanime. C’est pour cela qu’il voulait à tout prix attraper le sacripant, et le fouetter pour qu’il comprenne jusqu’à dans sa chair que le vol n’est pas une chose que font les honnêtes gens. Au fond, tout ceci n’était qu’à but éducatif.

— Je suis décidément trop bon ! rit magnifiquement Sanidoma en tapant délicieusement son ventre.