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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 16/08/2017 à 18:30
» Dernière mise à jour le 14/09/2017 à 12:23

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 21 : Danses nocturnes.
 Trois jours plus tard, tout était enfin en place. Rhinolove avait signalé à Eily qu’il avait fait exactement ce qui était prévu. La demoiselle cyan avait accueilli la nouvelle avec un grand sourire. Maintenant, il était temps d’en finir avec cette histoire de Magus nocturne.

Eily se tenait, seule, à l’endroit où le ‘‘spectre’’ avait l’habitude d’apparaître. Elle l’attendait, déterminée. Elle n’eut pas à patienter longtemps. Pile à l’heure où elle l’avait prévu, une silhouette drapée de noire émergea de l’ombre. Eily avança à son tour :

— … bonsoir, Fario.
— …

Le ‘‘fantôme’’ s’immobilisa.

— Alors comme ça, tu es un Magus draconique, impressionnant, continua Eily. Tu dois vraiment être fort.
— …
— Mais vois-tu, tes escapades nocturnes font peur aux citadins les plus sensibles. Malheureusement pour toi, j’ai une amie qui déteste voir sa ville plongée dans l’inquiétude. J’imagine que tu vois de qui je parle.
— …

L’individu de noir se retourna. Son visage était toujours camouflé par son drap noir.

— Je crois qu’il est temps d’arrêter cette comédie, monsieur l’âme solitaire ?
— …
— Tout ça parce que ta femme est partie pour quelques jours.
— …

Eily fixa son ‘‘interlocuteur’’, affublée d’un petit sourire narquois.

— …
— …

Seul le vent glacial se faisait entendre entre les deux regards silencieux. Chacun le savait, ce n’était que le prélude. Personne ne voulait se laisser faire. L’affrontement était inévitable.

— … haha.

Enfin, un petit rire monotone brisa l’atmosphère. Un rire qu’Eily reconnaissait bien. Soudain, le ‘‘spectre’’ enleva dramatiquement son drap dans un large geste, dévoilant ainsi un certain individu cornu, sublimé par une longue chevelure verte.

— Je savais que tu avais deviné. Tu as bien fait tes devoirs.
— C’était un jeu d’enfant.
— Haha.

Fario hocha la tête :

— Tu l’as sans doute déjà deviné, mais je crois qu’il est temps pour moi de t’expliquer pourquoi je fais tout ça.
— Tu es d’humeur loquace ? s’amusa Eily.
— Haha. Disons que je respecte la tradition. Le méchant de l’histoire s’explique toujours avant de combattre, non ? Apparemment, c’était motif récurrent dans les fictions de l’ancien monde. Bien que je ne sois pas vraiment un méchant. Mais pour ne pas casser l’ambiance, on va faire comme si, d’accord ?

Eily pouffa. Malgré son ton monotone, Fario avait un sens de l’humour certain. Et pour rajouter encore plus de ‘‘dramatisme’’ à la scène, l’érudit lentement tourna sur le côté et leva la tête vers la pleine lune.

— C’est vrai, commença-t-il. L’absence de Monia me peine beaucoup. Elle est l’une des uniques personnes qui me comprennent réellement. Sans elle, je me sens vide. Sans elle, je n’ai plus ce frisson qui submerge ma vie de couleurs. Alors, je suis à la recherche d’un substitut à ce frisson. Voilà pourquoi je suis ici, déguisé en fantôme. J’avais dans l’espoir qu’à un moment, quelqu’un d’amusant vienne me défier, moi, le fantôme d’Aifos. Visiblement, mes espoirs n’ont pas été vains.

Eily sourit ; elle s’était attendue à une raison similaire.

— Alors comme ça, tu veux un défi ?
— Tout à fait. Mais attention, penses-tu être à la hauteur ? Pour me redonner le frisson, tu dois en avoir les capacités. Tu l’as dit toi-même, je suis un Magus de type Dragon. Crois-tu réellement pouvoir me pousser dans mes derniers retranchements ?
— … parce que toi, tu penses réellement pouvoir me défaire ? rit Eily.
— … haha. Hahahahahaha.

Bien que le ton fut totalement plat, Eily imagina que Fario voulut lancer un rire maléfique.

— Dans ce cas, essaie de m’attraper, déclara l’érudit.

Comme la dernière fois, Fario fit un bond magistral et s’envola vers le ciel.

« Il veut voir si je peux lui couper la fuite. Alors, il va être servi ! » sourit Eily.

Fario s’apprêtait à atteindre les nuages ; ce fut alors que, brusquement, une petite forme humanoïde fusa et lui donna un grand coup au horizontal, le propulsant au sol. Le voyant s’écraser devant elle, Eily secoua la tête :

— Je t’ai dit que je n’étais pas venue seule ?
— … je m’en doutais. Après tout, la dernière fois aussi, tu étais accompagnée.

Satisfaite, Eily lança un clin d’œil à Tza, qui restait en planque sur les toits des maisons. Elle était à l’affût. Si Fario tentait une quelconque fuite aérienne, elle l’abattrait sans merci.

— Mais si la voie des airs m’est interdite, il me reste la terrestre !

Et, d’une vitesse surprenant, Fario commença à courir à travers les ruelles. Eily pouffa légèrement, avant de prendre de se diriger vers une autre ruelle, à l’opposée de celle que venait d’emprunter Fario.

Quelques rues plus loin, Fario continuait sa course, sans s’arrêter. Accéléré par ses pouvoirs, personne de normal ne pouvait le rattraper. Il était un Magus, un être aux capacités bien supérieures aux autres humains. Toutefois…

— Nyah.

Le visage d’Eily apparut soudainement dans l’ombre, un sourire sardonique aux lèvres. S’il n’avait pas cette particularité d’être toujours impassible, Fario aurait lâché un puissant cri de stupeur.

« Comment peut-elle être devant moi ? », peina à comprendre l’érudit.

Sans se laisser abattre, Fario fit demi-tour, accélérant encore. Il avait sous-estimé Eily. Mais s’il allait à sa vitesse maximum, il ne craignait rien.

— Bouh.

Du moins, c’était ce qu’il croyait. Encore une fois, au détour d’une ruelle, Eily émergea subitement devant lui. Elle s’amusait tellement à voir sa proie prise au dépourvu qu’une aura maléfique rayonnait dans ses yeux.

— …

Fario fit de son mieux pour l’ignorer et fit encore demi-tour. Mais il ne faisait que perdre son énergie. À chaque fois, Eily surgissait brusquement dans l’ombre, sardonique. Il avait beau aller le plus vite possible, il n’y avait rien à faire. La demoiselle cyan semblait être partout.

— Tu ne devines toujours pas ?

Alors qu’il courait encore, la voix d’Eily résonna dans la nuit. Surpris, Fario s’arrêta, sur ses gardes.

— Mon cher, pour un érudit, tu n’es pas très futé.

Lentement, Eily apparut, toutes dents dehors :

— J’ai passé des jours à mémoriser chacune de ses ruelles. J’en connais tous les raccourcis. Tu aurais beau aller plus vite, j’y serais toujours avant toi.
— … un instant, lâcha Fario. Même si ce que tu dis est vrai, tu ne peux pas savoir où est-ce que je vais. Si tu ne connais pas ma destination, tu ne peux pas y être avant moi.
— C’est bien ce que je disais, ricana Eily. Tu n’es pas très futé.

La demoiselle cyan secoua la tête :

— Tu ne remarques pas que… tu prends exactement les mêmes chemins depuis tout à l’heure ?
— … comment…

Soudain, Eily s’approcha d’un mur et… passa sa main à travers, le déchirant.

— Avec mes camarades, j’ai installé ces trompes-l’œil un peu partout. Tu pensais naturellement que c’étaient des murs, alors, tu les évitais sans cesse. Et de ce fait, tu bifurquais à chaque fois dans un chemin totalement prévisible. Je n’avais qu’à me poster à des lieux clés et t’attendre. Malin, n’est-ce pas ?
— … haha. Je me suis trompée, rit platement Fario. Tu es bien mieux que moi dans le rôle de la méchante, Eily. Le coup du méchant qui explique son coup avant d’avoir gagné est un grand classique.

Sans réfléchir plus que cela, Fario fonça à travers le mur factice. Comme prévu, il le déchira complètement, mais ce ne fut que pour se retrouver emmêlé dans une quantité impressionnante de toiles.

— Et le coup du héros qui tombe bêtement dans le piège du méchant ? pouffa Eily.
— … également un grand classique, répondit Fario.

L’érudit ferma les yeux un instant, avant de les ouvrir ; bien que ce soit léger, ces derniers brillaient légèrement.

— Comme le coup du héros qui réussit à remonter la pente à chaque moment critique.

Subitement, Fario leva ses mains, dont les doigts se muaient progressivement en longues griffes. Et, d’un combo acéré bien placé, l’érudit déchira le piège gluant et s’en dégagea.

« C’est rare que quelqu’un parvienne à s’échapper de mes toiles… », avoua mentalement Eily.

Mais même s’il était parvenu à se relever, beaucoup de toiles restaient collées à ses vêtements et surtout, à ses chaussures, qui adhéraient désormais au sol. S’il accélérait imprudemment, c’était la chute assurée.

— … tu es vraiment maligne, souffla Fario.
— Et encore, tu n’as rien vu.

Eily frappa brusquement dans ses mains. Aussitôt, Ifios surgit, armé d’une épée en bois.

— Et je te rappelle que je fais surtout ça pour Tza ! ne put s’empêcher de crier l’adolescent.

Eily secoua la tête. Ses relations avec le jeune homme n’étaient pas encore au beau fixe, mais qu’importe, tant qu’il mettait la main à l’ouvrage. La demoiselle cyan aurait tout l’occasion de faire la paix ensuite.

Ifios se lança dans un combat d’escrime avec Fario. Un combat inégal, puisque l’un des combattants ne possédait pas de lame, en plus de ne pouvoir se déplacer normalement. De loin, Eily observait le spectacle, impériale.

Fario faisait de son mieux pour esquiver les coups de l’adolescent, mais ce dernier avait justement son point fort dans l’agilité. Il multipliait les roulades et les sauts pour prendre son adversaire au dépourvu. Et, finalement, après avoir lâché son arme pour feinter l’érudit, Ifios bondit sur le mur, prit appui, et, fulgurant, fusa vers Fario ; l’érudit se prit un coup poing en plein ventre.

— … pas mal, lança Fario après s’être relevé.

Soudain, un puissant coup de vent souffla de nulle part, envoyant Ifios bouler plusieurs mètres plus loin. Dans la foulée, Fario s’entoura de flammes draconiques, qui s’empressèrent de dévorer les restes de toiles l’handicapant.

— Mais n’oubliez pas que je suis un Magus.

Libéré, Fario s’enfuit à nouveau. Avant de le poursuivre, Eily s’approcha d’Ifios :

— … ça va ? demanda-t-elle doucement.
— … mouais, j’ai connu pire, répondit un Ifios méfiant.
— Tu peux te reposer maintenant, continua la demoiselle cyan. Et merci pour ton aide.

Ifios n’eut pas le temps d’être surpris par ces remerciements qu’Eily disparut dans l’ombre.

« … décidément, je ne sais plus quoi penser avec elle… », grinça l’adolescent.


 ***

 Marchant à pas lent, Eily arriva enfin à l’un des nombreux parcs naturelles d’Aifos. La demoiselle cyan savait que Fario s’était dirigé ici, car quoi de mieux qu’un endroit dégagé pour éviter des pièges ? Tant qu’il restait dans le cœur de la ville, l’érudit était cerné mais ici, il pouvait mieux anticiper.

— Tu m’as donné du fil à retordre, déclara Fario.
— C’est parce que tu me sous-estimais.
— Il est vrai que mes pouvoirs de Magus me rendent parfois un peu hautain. Mais maintenant, j’ai gagné. Tza se déplace de toit en toit pour m’arrêter, n’est-ce pas ? Mais ici, loin des habitations, j’ai le champ libre. Si je le veux, je peux m’envoler immédiatement.
— Mais tu ne le ferras pas.

Sournoise, Eily leva les yeux vers Fario.

— Parce que j’ai attisé sa curiosité. Tes fuites, c’était uniquement pour me tester, pour voir si je pouvais te divertir. Mais j’ai passé l’épreuve avec brio, n’est-ce pas ?
— …
— …
— … haha. Hahahahahaha.

« Encore son rire maléfique raté ! », s’amusa Eily.

— Oui, tu es vraiment quelqu’un de très intéressant, déclara Fario. J’avais eu cette impression dès que je t’ai vu à la Tour d’Ivoire, mais maintenant, j’en ai la confirmation. Bien. Très bien, même. Je vais te donner une chance. J’ai joué ton jeu jusqu’à présent, mais toi, es-tu prête à jouer au mien ?
— Reste à voir s’il est intéressant, sourit Eily.
— Il l’est, ne t’inquiètes donc pas.

Fario se concentra un moment ; à ses pieds, l’air se mit à tourbillonner. D’un coup, un fin trait de terre fonça droit vers Eily, bien trop rapidement pour qu’elle ne puisse l’éviter.

— … !

On pourrait penser que de la simple terre soit inoffensive, mais c’était loin d’être le cas. Pile à l’endroit où elle avait été touchée, Eily ressentit une douleur terrible, la forçant à plier le genou.

— J’espère que tu n’as pas eu trop mal, s’enquit Fario.
— … j-j’ai juste été surprise, pouffa Eily.
— Tant mieux, si ce n’est que ça. Il serait dommage d’arrêter après être arrivée aussi loin.

Fario leva alors ses bras au ciel et crispa ses doigts, dans un semblant de pose de grand méchant. Mais comme d’habitude, son visage impassible ruinait le tableau.

— Ce trait de terre que je viens de t’envoyer, il était douloureux, n’est-ce pas ? Et ce n’est que le début. Si tu tiens vraiment à me vaincre, je ne vais pas me gêner à t’en lancer d’autres.
— … évidemment, souffla Eily.
— Mais je suis un méchant honnête. Je sais qu’avec tes simples capacités, tu ne pourras jamais tous les éviter. Alors…

Fario pointa subitement Eily du doigt, et lui envoya un rayon violet en plein cœur. La demoiselle cyan ferma les yeux, s’attendant à la douleur, mais elle ne vint pas. À la place, elle sentit une surprenante énergie monter en elle ; même sa vision du monde en était changé, tout paraissait si… détaillé.

— Je viens de te donner une accélération, précisa Fario. Elle ne durera pas longtemps mais avec elle…

Un nouveau trait de terre fusa vers Eily. Cette fois ci, Eily le vit venir et l’esquiva avec une grande marge.

— … tu peux éviter mes attaques. Tu as déjà compris le principe de mon petit jeu, n’est-ce pas ? Je vais t’envoyer des traits de terre et des rayons d’accélération en pagaille, ce que tu devras faire, c’est d’éviter les attaques et absorber les rayons. Bien entendu, tout en essayant de m’atteindre.
— Intéressant…, s’amusa Eily.
— Alors, si tu es d’accord ; comme on le dirait dans l’Ancien Monde… It’s showtime.

Eily rit de plus belle, impatiente. Et Fario, compatissant, ne la fit pas attendre. D’un claquement de doigt, il lança des dizaines et des dizaines d’attaques mêlées aux indispensables accélérations.

Eily ne s’attendait certainement pas à en recevoir autant d’un coup, mais ça ne faisait que monter son intérêt. Avec l’accélération, plus ses capacités d’observation naturelle, elle pouvait voir clairement chacun des menaces. Cela allait être un jeu d’enfant. Du moins, c’était ce qu’Eily croyait.

La demoiselle cyan pouvait certes distinguer très précisément quelques traits de terre… mais il y en avait bien trop. A force de se concentrer sur quelques-uns, elle ne voyait pas les trente autres qui lui fonçaient dessus. Complètement prise au dépourvu, Eily se contorsionna dans tous les sens, tentant désespérément d’éviter les si douloureuses attaques ; par miracle elle ne se fit pas toucher, mais elle était maintenant totalement déséquilibrée.

Fario aurait pu lancer une deuxième salve pour conclure rapidement l’affrontement, mais à la place, il secoua la tête :

— Toi aussi, tu peux être prévisible, Eily.
— … gnn…
— Je l’ai senti à la Tour d’Ivoire, et je le ressens encore en ce moment. Tu es bien trop peu sûre de toi. Tu as besoin de tout voir, de tout comprendre, avant d’agir. Comme tu as des facultés d’analyse très supérieures à la moyenne, cela ne te préoccupe dans la vie de tous les jours mais ici, où tu dois recueillir des dizaines et des dizaines de données simultanément, tu atteins vite tes limites. Si tu veux jouer à mon jeu, tu vas devoir laisser tes hésitations et réflexion de côtés, et… écouter aveuglément ton instinct.

Et enfin, la deuxième salve de projectiles fut lancée.

« … écouter mon instinct ? … ne pas réfléchir ? »

Eily trouvait cela absurde. Elle avait toujours fonctionné comme cela, et tout se passait toujours très bien. Alors, pourquoi changer ? Mais elle n’eut pas le temps de prolonger ses pensées, les traits de terre se rapprochaient dangereusement.

— … !!

Agissant bien trop tard, de nombreuses attaques plongèrent sur la pauvre demoiselle ; la douleur était si intense qu’elle ne put même pas crier.

— Tu es vraiment bornée.

Cette fois-ci, Fario tira un seul et unique rayon d’accélération, pour remettre son adversaire sur pied.

— Tu vois bien que tu n’arrives à rien dans ton mode actuel de pensée. Fais-moi confiance, jeune fille. Tu veux me vaincre, n’est-ce pas ? Alors cesse de te compliquer la vie et entre dans mon jeu ; un jeu où seul l’instinct compte !
— … je…

Eily n’eut pas le temps de répondre ; la troisième salve arriva. La demoiselle cyan déglutie. Fario avait raison sur un point : si elle continuait comme ça, elle finirait rapidement au tapis.

« … puisque je n’ai plus d’option… !! »

Eily fit subitement le vide dans son esprit, alors que les assauts de terre s’approchaient dangereusement. Elle se sentait un peu idiote, mais elle mit tous ces efforts dans les dernières paroles de Fario.

« … mon instinct… écouter… mon instinct… »

Musique d’ambiance

Et soudain, ce fut comme l’illumination. Eily ne saurait l’expliquer comment, mais elle pouvait ‘‘ressentir’’ les attaques autour d’elle, bien plus précisément qu’avant. Cette fois-ci, elle ne bougea que très peu, faisant juste quelques pas que le côté ; non absolument aucun trait de terre ne la toucha, mais elle absorba également toutes les accélérations.

— Je savais que tu comprendrais vite, déclara Fario.

Pour la quatrième salve, l’érudit tripla le nombre d’attaque. Ce fut un véritable déluge de flèches de terre qui s’apprêtait à s’abattre sur la demoiselle cyan. Mais cette dernière n’avait plus peur. Étrangement, elle se sentait même sereine.
Alors, élégamment, elle bougea son corps entre chacune des flèches, tout en faisant même des acrobaties pour atteindre les rayons violets. La manœuvre était si fluide qu’on aurait juré la voir exécuter une danse endiablée.

— Voilà, c’est ça, lança Fario. C’est exactement ça.

Ne pouvant l’afficher sur son visage, Fario exprima sa joie par une amplification de ses attaques. Au fur et à mesure que le temps passait, la cadence augmentait terriblement. Mais Eily, absorbant de plus en plus d’accélérations, parvenait à suivre à la perfection.

Elle avait compris la mécanique de ce jeu. Il fallait tout simplement allier ses capacités d’observation avec son instinct. Dès que Fario lançait une tempête d’attaques, Eily analysait le tout d’un simple coup d’œil, et ensuite, elle laissait son corps lui dicter lui-même la marche à suivre :

« … un pas à gauche, sauter à droite, une roulade sur le côté gauche, bondir vivement… »

Tous les mouvements qu’elle devait faire pour éviter les traits de terre lui apparaissait en une micro-seconde, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Prise au jeu, elle se permettait même de rajouter des mouvements tout aussi superflus qu’indispensable, comme de magnifiques déhanchés ou des balancements de tête exagérés.

« … c’est… mystérieusement… amusant ! » s’enthousiasma la demoiselle.

Bien évidemment, elle n’en oubliant pas son objectif principal : défaire Fario. Dès qu’elle s’approchait suffisamment de lui, elle déchaînait des coups de pieds – tout en restant dans l’élégance et la fluidité. Fario, amusé, suivait le mouvement. Il esquivait avec grâce chacun des assauts de la demoiselle, en esquissant de merveilleux pas de danse.

— J’ignorais que vous saviez danser, lança Eily.
— Ah, je ne vous l’avais pas dit ? C’est ma femme qui me l’a appris. Puisque je ne peux exprimer mes sentiments par avec mon visage, elle m’a dit que je n’avais qu’à le faire avec mon corps.
— Ce n’est pas idiot, rit la demoiselle cyan. On en apprend tous les jours ! Pour vous dire la vérité, je ne savais même pas que je pouvais bouger autant !
— Je suis certain que tu peux faire encore mieux. Et si on passait à la vitesse supérieure ?
— J’allais presque te le demander !

D’un coup, Fario bondit en arrière et, usant de ses pouvoirs, déplaça de la terre dans le ciel, jusqu’à former plusieurs plateformes, qui se mirent à flotter grâce à de l’énergie draconique. Fario bondit sur l’une d’entre-t-elle, invitant Eily à le rejoindre. Cette dernière ne posa pas de question et bondit à son tour. Elle s’amusait bien trop pour refuser une pareille proposition !

Et le ballet d’esquives et d’attaques reprit, aérien, cette fois-ci. Comme les plateformes étaient restreintes, Eily devait souvent sauter d’une à l’autre – tout en profitant pour exécuter moult pirouettes. Avec l’accélération, elle se sentait si légère et agile que tout lui semblait possible. Un triple salto arrière avec réception sur un pied et la tête en arrière, tout en esquivant des myriades de projectiles ? Aucun problème !

— Voyons si tu es vraiment si douée, lança Fario.

Vivement, l’érudit sauta sur la plateforme la plus haute, une fois arrivée, il leva la main au ciel dans une pose absolument fabuleuse. Subitement, une boule de terre se forma au bout de son doigt ; une boule qui envoyait en permanence des centaines de flèches terreuses. Mais ces dernières, fourbes, au lieu de décrire des lignes droites, préféraient les trajectoires courbées, bien plus difficiles à éviter.

Puisant dans son instinct, Eily décrypta avec une absurde facilité le chemin à parcourir. Toutefois, la vitesse des attaques avait désormais quadruplé. Avant même qu’elle ne put faire un geste, un trait de terre s’écrasa dans son dos, emplissant son corps de douleur.

Mais au lieu de crier, Eily sourit. C’était plaisant. Très plaisant. Elle souffrait, mais elle s’amusait tellement que rien ne pouvait perturber sa détermination. Elle avait atteint cette folie euphorique, ou elle pourrait presque perdre un bras sans qu’elle ne s’arrête de sourire !

Eily poussa dans ses dernières limites, bondissant élégamment de plateforme en plateforme, en riant. La demoiselle cyan continuait à multiplier les acrobaties, dansant imprudemment dans le ciel nocturne, telle une fée furieuse. Et tant pis si elle se prenait quelques attaques ! La douleur n’était rien face à la joie qu’elle ressentait !

Bientôt, la plus haute plateforme fut enfin à portée. Eily s’élança, déterminée, et atterrit juste en face de son adversaire. Elle lui sourit à pleines dents. Sous l’éclat de la pleine lune, les deux adversaires se fixèrent encore pendant une dizaine de secondes, avant de reprendre violemment leur affrontement.

Les deux combattants se partageaient la même plateforme ; une petite plateforme. Chacun se tenait à l’extrémité de cette dernière, sautant, attaquant, esquivant, dansant. Eily était bien trop proche pour que Fario n’attaque ou ne tente de s’envoler, tout ce qu’il pouvait faire, c’était d’éviter les coups de pieds dévastateurs d’Eily.

Mais s’il ne pouvait pas attaquer, il ne pouvait également plus envoyer d’accélération. Eily le sentait, au fur et à mesure, son pouvoir s’amenuisait. Elle s’en servit comme excuse pour forcer encore plus sa cadence.

Pour n’importe qui à l’extérieur, les mouvements des deux adversaires étaient si fluides et vifs qu’il était impossible de les distinguer précisément. Lorsque l’on regardait le ciel, l’on ne pouvait voir que deux formes floutées danser sous l’éclat de la lune.

— Nyaaah !

Concentrant ses efforts, Eily prit un appui magistral sur la plateforme et bondit haut, très haut dans le ciel. Son accélération touchait à son terme, c’était son ultime attaque. Elle devait en finir ; maintenant ! Arrivée au point culminant de son saut, côtoyant les nuages, la demoiselle cyan se mit à tournoyer, vite, de plus en plus vite, formant une véritable vrille humaine.

Plus bas, Fario se tenait prêt. Cette attaque serait de loin la plus difficile à esquiver, elle pourrait même signer sa défaite. En dépit sa folle rotation, Eily pouvait encore maîtriser sa trajectoire et voir ce qui se passait plus bas. Si son adversaire tentait quoi que ce soit, elle le verrait et ajusterait son attaque en conséquence.

— … le voilà…, souffla Fario.

L’érudit resta une seconde sans bouger ; Eily s’approchait de plus en plus.

— … le frisson !


 ***


 Meurtrie et adossée à un arbre, Eily ne put s’empêcher de ricaner :

— … je souffre…
— C’était un bel affrontement, acquiesça Fario. Mais tu n’es pas encore de taille contre moi.
— J’ai vraiment pensé pouvoir te toucher à la fin…
— Haha. C’était effectivement remarquable. Remarquable, mais insuffisant.

Eily pouffa.

— Mais bizarrement, je ne suis pas du tout frustrée. C’était… comment dire… wouah ! Je ne m’étais jamais autant amusée de ma vie ! En fait, j’ai toujours cru que je ne pouvais me sentir bien que en élaborant des plans, en calculant minutieusement chacune de mes actions… mais finalement, j’étais dans l’erreur. Parfois, ne plus réfléchir et se laisser complètement aller n’est pas si mal.

Fario hocha la tête.

— Alors tu as tout compris, jeune fille. J’ai bien vu que tu étais quelque peu froide au cours de nos précédentes discussions. Comme si tu gardais naturellement un distance entre ton interlocuteur, comme si tu ne voulais jamais t’impliquer. Une sorte de protection inconsciente, peut-être ?
— … nyah.
— Mais j’espère qu’après notre petit jeu d’aujourd’hui, tu vas réussir à t’ouvrir à d’autres horizons. C’est bien de réfléchir, mais si un trop plein de prudence supprime le frisson, quel est l’intérêt ?

Eily rit à pleines dents.

— Un érudit qui conseille de ne pas réfléchir… vraiment, toi aussi, tu es très intéressant !
— Merci du compliment. Et pour ne pas en paraître ingrat, je vais t’en faire un également :

Fario pointa un doigt vers la demoiselle :

— Tu es exceptionnelle.
— …

Eily resta un moment sans rien dire, avant d’éclater de rire à nouveau.

— Oui, dit comme ça, ça fait bizarre, avoua l’érudit. Mais je suis sérieux. Tu sais, mes rayons d’accélérations ne permettent pas à un corps de dépasser ses limites, mais juste de les atteindre momentanément. Ce qui signifie, en somme, que pour bouger aussi fluidement que toi tout à l’heure… il faut déjà, de base, un corps hors-norme. En fait, ce que tu as accompli était tout bonnement inhumain. Dis-moi, es-tu une Magus toi aussi ? Cela ne m’étonnerait guère.

Eily dirigea son regard vers la lune, amusée. Une Magus ? Non mieux que cela, elle était une Foréa. Mais bien sûr, elle ne pouvait pas l’avouer à Fario.

— Je suis juste moi-même, répondit-elle évasivement.
— Hahaha, ne put s’empêcher Fario de rire neutralement.
— Quoi qu’il en soit, reprit Eily, j’ai gagné notre petit jeu.
— … oh ? s’intéressa l’érudit. Pourtant il me semble que…
— FARIO HARM !!

Soudain, une voix féminine et particulièrement virulente brisa l’atmosphère nocturne. Eily sourit narquoisement :

— Tu pensais vraiment que j’allais t’affronter sans avoir un joker en main ?
— … !

Fario déglutit. Même si son visage restait impassible, d’énormes et nombreuses gouttes de sueurs y perlaient affreusement. Et pour cause…

— J’y crois pas, mais quel imbécile ! Je te laisse à peine quelques jours et tu fous déjà le bordel ! C’est incroyable !

Furieuse, une grande femme à la chevelure noire comme la nuit s’avança, écrasant impitoyablement le sol à chacun de ses pas.

— M-Monia ? J-Je pensais que tu ne revenais pas avant deux jours !

Eily tiqua, intéressée. C’était la première fois qu’elle sentait une pointe de panique dans la voix d’ordinaire neutre de Fario.

— C’était ce qui était prévu oui ! s’énerva Monia. Mais figure-toi que l’Ensar d’Omilio à débouler de nulle part à la capitale, me disant que mon cher mari faisait terrorisait les habitants d’Aifos, le soir, en se faisant passer pour un fantôme ! Franchement ! Un fantôme ! Qu’est-ce que tu ne vas pas inventer !
— C-Ce… c-comment dire…, bafouilla l’érudit. J-Je m’ennuyais sans toi… i-il me fallait trouver une distraction…

Monia plissa des yeux, méfiante, et dirigea son regard vers Eily, qui lui rendit un grand sourire.

— … et par ‘‘distraction’’, tu veux parler de ‘‘jeune adolescente’’ ? C’est comme ça que tu me remplaces ? siffla dangereusement l’épouse.
— … ! N-Non, ce n’est pas ce que tu crois !

Intérieurement, Eily était hilare. Voir l’impassible Fario se décomposer sur place était sans prix. Mais toute bonne chose devenait vite lassant à la longue ; alors, Eily préféra laisser de côté la scène de ménage pour rejoindre Tza, Ifios, et Rhinolove, non-loin.

— Mission accomplie ! sourit la demoiselle.
— …
— …

Tza et Ifios ne surent quoi répondre. Plus tôt, Ils avaient assisté à l’affrontement peu banal entre Fario et Eily, et ils étaient encore sous le choc. L’image de Fario et Eily, combattant et dansant à la fois dans le ciel nocturne, hantait encore leurs pensées.

— Tu avais raison ! s’exclama exagérément Rhinolove. C’était une excellente idée de ramener Monia plus tôt que prévu !

Toute excitée, la chauve-souris enregistrait impudemment les houleuses remontrances de Monia sur son pauvre époux. Il n’en perdait pas une miette. Eily n’avait aucune idée de ce qu’il comptait faire avec un enregistrement pareil, mais au fond, elle préféra ne pas le savoir…


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 Le lendemain, au manoir…

— Eilyyyy !

Un intense cri réveilla impitoyablement la demoiselle cyan, qui ne demandait qu’à faire la grasse matinée après son combat de la veille. Mais Tza était bien décidée à ne pas lui laisser ce plaisir. Sans même attendre une réponse, la fillette à l’épée déboula dans la chambre d’Eily, affolée.

— … keskispasse ? peina à articuler la demoiselle cyan.
— C-C’est horrible ! J-Je viens de faire un tour en ville et… beaucoup de gens sont tombés dans tes pièges !
— …
— L-Les faux murs… les toiles cachées… on a complètement oublié de les enlever !
— …

Subitement, Eily se retourna dans son lit, bien décidée à fuir les problèmes dans le pays des songes.

— Ne te rendors pas ! cria Tza en ramenant de force Eily face à elle.
— …
— Et ce n’est pas tout ! continua la fillette. Hier soir, plein de gens ont vu votre combat entre Fario et toi ! Maintenant, ils y a des rumeurs concernant des ‘‘fantômes furieux dansant sous la lune’’ qui circulent ! Certains disent même que c’est un message des cieux annonçant le prélude de l’apocalypse !
— …
— E-Eily ! s’affola Tza de plus belle. D-Dis quelque chose !

La dénommée Eily se mordit les lèvres. Il y avait un peu beaucoup de conséquences imprévues dans tout ça. La demoiselle cyan réfléchit longtemps mais au bout de très longues secondes, elle parvient enfin à trouver les mots à mettre sur tout ce chaos.

Doucement, Eily assagit son expression. Elle se leva de son lit, sereine, avant de se mettre à hauteur de la pauvre petite Tza. Elle la regarda un moment dans les yeux, lui sortit son plus beau sourire avant de sortir un magnifique :

— … oups ?

Et elle retourna se coucher.