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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 16/07/2017 à 17:26
» Dernière mise à jour le 12/09/2017 à 13:36

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 13 : Traîtres.
 Tza et Sidon se fixaient durement, droit dans les yeux. Aucun des deux n’esquissait le moindre geste. Eily restait en retrait, apeurée : Caratroc n’était pas avec elle. D’ailleurs, la demoiselle cyan s’inquiétait beaucoup pour son Ensar, qui était resté au manoir. Lui était-il arrivé malheur ? Cette simple hypothèse la rendait malade.

— Baisse ta lame, Tza, ordonna subitement Sidon.
— …

La fillette ne se laissa pas intimider. Au contraire, elle avança d’un pas, fléchissant légèrement les jambes, comme si elle s’apprêtait à bondir. Et si fut exactement ce qu’elle fit. Elle bondit tel un félin meurtrier ; Sidon s’écarta au dernier moment. Tza essaya de dévier sa course de justesse, mais l’intérieur d’une maison n’était pas spécialement adéquat pour un combat ; sa lame se planta fermement dans le mur, stoppant net ses mouvements.

— Voilà ce qui arrive quand on se bat en intérieur, soupira Sidon.
— Allez, allez, du calme les enfants, on pose ses jouets et on discute comme des gens civilisés…

Lentement, une deuxième forme avança, frappant fortement dans ses mains pour attirer l’attention. Eily, qui était au bord de la folie panique, ajouta un océan d’incompréhension à sa détresse. Celui – ou plutôt celle – qui s’avançait, n’était ni plus ni moins qu’une célèbre grande femme à la chevelure dorée, reconnaissable entre mille.

— … I-Inam ?! s’écria la demoiselle cyan.


 ***

 Eily réfléchissait à toute vitesse, cherchant à comprendre ce qu’il se passait. Peu après l’arrivée d’Inam, le petit groupe s’était réuni au second étage, dans le salon. La demoiselle cyan était on ne pouvait plus mal à l’aise ; elle était toute recroquevillée dans un fauteuil, faisant face aux imposants Inam et Sidon. Heureusement, la demoiselle cyan avait retrouvé un minimum de ses couleurs lorsqu’elle aperçut Caratroc, qui faisait lui aussi partie de cette étrange assemblée. Toutefois, contrairement à sa partenaire, l’Ensar n’avait pas spécialement l’air inquiet.

— J’imagine que tu veux des explications, commença Inam en direction d’Eily.

La demoiselle cyan hocha la tête. En temps normal, elle aurait déjà deviné ce qui se tramait toute seule, mais ses émotions entravaient ses capacités cognitives. Inam attarda son regard vers la demoiselle cyan, avant d’enfin révéler l’évidente vérité :

— Sidon travaille avec moi, c’est un espion jouant double jeu avec les Agrios.
— …

Soudain, comme un déclic, tout devint clair dans l’esprit d’Eily. Pourquoi est-ce que tout le monde savait son passé ? Parce que Sidon espionnait chacune de ses discussions avec Ifios. Et comme ce même Sidon jouait double jeu, l’homme balafré racontait tout à Danqa et Inam.

— Je l’ai déjà expliqué à ton Ensar, il pourra te le confirmer.

Eily jeta un coup d’œil à Caratroc, qui hocha la tête.

— Et pour Ifios ? demanda-t-elle néanmoins. Pourquoi il est dans cet état ?

Chacun tourna la tête vers le fameux adolescent évanoui, qui avait été confortablement installé sur un canapé. Un rictus amusé se dessina sur le visage de Sidon.

— C’est un évènement totalement fortuit, s’amusa ce dernier. Lorsque je suis descendu au sous-sol pour le rencontrer, notre bon Ifios a pris peur. Il a tenté de fuir, mais il a bêtement glissé et s’est durement cogné la tête contre le mur…
— … j’ai honte, souffla Inam.

Si Eily avait ressenti la moindre compassion pour Ifios, ce bon sentiment avait désormais laissé sa place à une pitié blasée.

« C’est qu’il m’a fait peur cet idiot… », grinça-t-elle.

La demoiselle cyan soupira, calmant ses nerfs. Visiblement, il n’y avait rien à craindre dans cette situation. Et même si Sidon se montrait violent, Inam serait capable de l’arrêter. D’ailleurs, quand elle y pensait, Eily n’avait jamais véritablement vu Sidon faire preuve de cruauté. C’était même tout l’inverse, il calmait les ardeurs des Agrios les plus téméraires.

— Juste une chose, s’avança Eily.

La demoiselle cyan se tourna vers Tza, interrogatrice.

— Tu es au courant ?
— Oui, répondit la fillette.
— Alors, pourquoi tu as attaqué Sidon comme si c’était un ennemi mortel ?
— Histoire personnelle. Je ne l’aime pas, déclara-t-elle sèchement.

Sidon pouffa légèrement.

— Haha, une plaisanterie qui est mal passée, elle m’en veut encore ! s’amusa-t-il.
— … grrr…, grogna férocement Tza.

L’image froide et impassible qu’Eily avait de Sidon s’effaçait de plus en plus.

« … sans doute qu’il cachait sa véritable personnalité aux bandits… le Sidon devant moi est donc le ‘‘vrai’’. Contrairement à sa version Agrios, il a l’air d’un bon vivant… »

Inam toussota, comme une institutrice demandant à ses élèves indisciplinés de se calmer.

— Nous ne sommes pas là pour parler de ça, reprit Inam. Toutefois, j’aimerais attendre le réveil d’Ifios avant d’aller plus loin ; il est l’un des plus concernés dans cette affaire.

Eily acquiesça. Elle avait très envie d’entendre le fin mot de l’histoire, mais ce n’était que par pure curiosité. Ce n’était pas comme si elle avait des liens forts avec les Agrios, elle voulait plutôt tout faire pour les oublier. À l’inverse, Ifios était le fils de Danqa. Il serait certainement très intéressé d’apprendre que le second de son père était un traître…


 ***

 En attendant que la Belle au bois dormant – Ifios – ne se réveille, Inam demanda à Eily de le rejoindre à l’extérieur. La demoiselle cyan ne se fit pas prier ; de un, elle ne voulait pas se mettre la Foréa à dos, et de deux, s’éloigner de Sidon lui faisait le plus grand bien.
Une fois dehors, Inam se dirigea vers une nouvelle roulotte – celle qu’elle avait elle-même empruntée avec Sidon pour venir à Aifos –, et en extirpa un vêtement légèrement grenadine. Eily, le reconnaissant, sentit son sang ne faire qu’un tour.

— Mon manteau !

Sans réfléchir plus longtemps, la demoiselle cyan fonça le récupérer, l’arrachant presque des bras d’Inam. Eily sera fortement l’habit dans ses bras ; elle sentait l’émotion lui monter au visage. Elle respira un grand coup à travers le tissu fibreux ; dans sa tête, l’odeur familière du vêtement se transforma en moult souvenirs. Subitement, juste en tenant son manteau, elle pouvait les revoir. Nester, Athoo, mamie Losyn, et même la surveillante…
N’y pouvant plus, Eily s’écoula au sol ; ses genoux tremblotants ne pouvaient plus la soutenir. Son manteau contre le visage, elle laissa une fois de plus ses larmes se déverser en un torrent de détresse.

Inam serra les dents, peu habituée à ce genre de situation. Comment apaiser une personne triste ? Ça, elle aurait bien aimé le savoir. Inam hésitait entre ; premièrement, ne rien faire. Après tour, ce n’était pas son problème. Toutefois, elle ne pouvait s’empêcher de sentir son cœur se serrer devant tant de tristesse.
Deuxièmement, prendre Eily dans ses bras. Un geste d’affection on ne pouvait plus gênant, dont Inam n’en était définitivement pas capable. Trancher des méchants en pagaille, ça, elle savait faire. Enlacer une gamine en pleurs, c’était plus compliqué. Hé puis, ne serait-il pas mal vu de prendre dans ses bras une fille qu’elle connaissait à peine ?
Troisièmement, assommer Eily. Ce n’était que logique, une personne évanouie ne pouvait plus pleurer. Cependant, Inam avait la légère impression qu’elle commençait sérieusement à avoir des idées de plus en plus inadéquates, et qu’il serait temps qu’elle se ressaisisse.

Heureusement, pendant que la Foréa Impériale se perdait dans ses pensées, Eily avait elle-même réussi à surmonter son chagrin. En effet, Caratroc – qui les avaient suivis – s’était occupé de réconforter la demoiselle cyan.

— …hem, grinça une Inam encore dans l’embarras. Voilà, j’ai récupéré ton manteau, comme tu le voulais. Il est… important pour toi, n’est-ce pas ?

Eily hocha la tête, sachant très bien qu’Inam savait toute l’histoire, étant donné que Sidon avait espionné toutes ses conversations au camp des Agrios.

— Un souvenir de mes parents, répondit néanmoins Eily par pure politesse.

Une pure politesse motivée par un certain instinct de survie. Inam avait beau tout faire pour paraître aimable, elle dégageait instinctivement une terrible aura guerrière. C’est simple, tous ceux se trouvant à côté d’elle ne pouvait s’empêcher de frissonner d’angoisse, même si elle leur sortait son sourire le plus innocent.

— Tes parents…, répéta Inam avec un air étrangement songeur. Et tu ne te souviens vraiment pas d’eux ?
— Eily n’en a aucun souvenir, intervint fermement Caratroc. Et si possible, j’aimerais que nous n’abordions pas le sujet, du moins, pas maintenant. Eily est encore fragile, vous ne voudriez pas qu’elle pleure à nouveau, n’est-ce pas ?

Eily lança un regard courroucé à son Ensar, voulant lui signaler qu’il n’avait pas à la couver autant. Toutefois, la demoiselle cyan était également heureuse de l’intervention de son partenaire ; il avait raison, Eily n’avait absolument pas envie de parler de son hypothétique famille.

— Je comprends, acquiesça Inam. Dans ce cas, remontons, normalement, Ifios devrait déjà s’être réveillé. Danqa n’a tout de même pas élevé une loque…


 ***

 Comme l’avait prédit Inam, Ifios avait repris conscience. Bien qu’il avait failli s’évanouir de nouveau lorsqu’il avait aperçu l’imposante silhouette de Sidon le fixer d’un coin sombre du salon. Heureusement pour lui, Tza eut la gentillesse d’expliquer l’essentiel à l’ex-bandit, évitant ainsi de justesse une crise de panique.

— Bien, commença Inam. Il est enfin temps d’éclaircir la situation. Ifios, je te demanderais d’être très attentif, car tu es le principal concerné. Que je ne te prenne pas à prendre la chose à la légère, jeune homme !
— … ! O-Oui ! s’exclama militairement Ifios.

Inam plissa les yeux, étonnée par cette réaction. Elle ne comprenait pas pourquoi Ifios semblait avoir eu peur, elle lui avait pourtant juste donné un gentil conseil de prévention. Mais la Foréa Impériale décida de mettre cela de côté ; elle avait des choses bien plus importantes à régler.

De son côté, Eily se tenait tranquillement sur un fauteuil, son manteau sur les épaules, et Caratroc sur les genoux. Elle avait bien la ferme intention de tout mémoriser, et en intervenant le moins possible. C’était l’un des rôles qu’elle aimait le plus, rester dans l’ombre et espionner les conversations intimes des autres. C’était pour cela qu’elle en voulait quelque peu à Sidon d’avoir fait de même avec elle… Eily était censée être la manipulatrice, et non pas la victime !

— Anil, prononça distinctement Inam. Ce nom doit certainement te rappeler des choses.
— Anil le sanguinaire, frissonna Ifios. O-Oui, c’est le précédent Boss, celui que vous avez… tué.
— C’est exact. Mais j’aimerais éclaircir un point, même s’il est courant chez les Agrios de dire que je l’ai tué, ce n’est pas tout à fait exact, et tu le sais. Je l’ai simplement grièvement blessé il y a 16 ans. Toutefois, il est vrai qu’il serait encore en vie aujourd’hui sans ça…

Ifios acquiesça. Cela s’était passé peu avant sa naissance. Anil avait affronté Inam, et cette dernière l’avait écrasé, en plus de lui avoir coupé un bras. Le précédent Boss des Agrios avait ensuite tenté de se soigner du mieux qu’il le put, mais les dommages étaient trop graves. Le seul moyen qu’il avait trouvé pour survivre était de rester alité au camp, quitte à abandonner ses activités de bandit. Quatorze ans plus tard, la vieillesse s’immisça pernicieusement et aggrava son état déjà précaire, provoquant inexorablement sa mort.

— Anil était un être abject, siffla Inam. Il aimait la violence plus que tout. Je me souviens encore de ce jour où je l’avais rencontré pour la première fois. Il venait de tuer un couple de civils, et léchait goulûment son cimeterre dégoulinant de sang, une expression de pur plaisir étincelant dans ses yeux…

Ifios grimaça, oui, cela correspondait parfaitement à Anil. Même en étant alité, sa cruauté n’avait aucune limite ; Danqa en personne – lorsqu’il était encore son second – baissait docilement les yeux devant lui.

— Anil a crée les Agrios selon son image. Un gang de bandit sans foi ni loi. Toutefois, les petites frappes sont loin d’être aussi cruelles que lui. Ce ne sont que des âmes perdues croyant que la violence peut redonner un sens à leur morne vie.

Eily leva un sourcil, intéressée.

« C’est ce que Danqa m’avait dit… », se souvint-elle.

— En tant que Foréa Impériale, il est de mon devoir d’arrêter ceux qui troublent la paix de Prasin’da. Cependant, j’ai un problème. Je suis idéaliste. Je n’ai pas envie de tuer des âmes perdues, je veux encore croire que si on leur donne une chance, ils pourront retrouver le droit chemin. Et je me suis rapidement rendu compte que je n’étais pas la seule idéaliste suffisamment folle pour croire qu’un bandit peut redevenir un honnête citoyen.

Un léger voile nostalgique teinta doucement son visage.

— Tout a commencé il y a 16 ans, lorsqu’Anil m’a tendu une embuscade dans un village où je me reposais. Il voulait se faire un nom en m’éliminant ; sa barbarie avait pris le pas sur sa raison. Il n’avait bien évidemment aucune chance contre moi et Tranchodon. Toutefois, il a réussi à s’enfuir de justesse, sacrifiant une bonne partie de ses hommes dans l’opération…

Inam soupira, le souvenir du sang lui remontant au nez.

— Mais alors que je pensais l’attaque terminée, deux hommes sont revenus vers moi. Sidon, et Danqa.
— … mon père ? s’étonna Ifios.
— Exactement. Et ils n’étaient pas revenus pour se battre, loin de là. Ils étaient venus implorer mon aide.
— Je confirme, souffla Sidon. J’avais quand même extrêmement peur qu’elle nous tue sans nous écouter à l’époque…
— … je ne suis pas une barbare…, grommela Inam.

Inam toussota, décidant d’ignorer la remarque de Sidon.

— Danqa et Sidon étaient parfaitement conscients de l’état des Agrios. Eux aussi, étaient des âmes perdues, mais avec le temps et l’expérience, ils avaient réussi à ouvrir les yeux.
— … ça fait bizarre d’entendre parler de soi comme ça…, pouffa Sidon.
— Bref, c’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à travailler ensemble. Bien que c’était un partenariat assez compliqué. Ni Danqa, ni Sidon ne voulait me donner l’emplacement exact du camp Agrios, par peur de me voir débarquer avec une armée et tuer tout le monde.
— Une peur légitime, tu en conviendras, soupira Sidon. La confiance ne régnait pas à l’époque.
— Alors, reprit Inam, nous avions convenu à un compromis.

La Foréa Impérial reprit un moment son souffle.

— Danqa était le second d’Anil, par conséquent, c’était lui qui le reprendrait le trône à la mort de ce dernier. Le plan était tout simplement d’attendre le décès d’Anil, et lorsque Danqa prendrait sa place, il ferait tout pour remettre les Agrios sur le droit chemin. Enfin, je dis « attendre », en réalité, je comptais plutôt que mes deux nouveaux alliés pour l’assassiner mais…
— Hé ! protesta Sidon. On a vraiment essayé, mais ce type voyait à travers tout, c’est incroyable !
— Pendant quatorze ans, un homme gravement blessé, avec un bras en moins, pouvant à peine marcher… tout de même…, objecta la Foréa.
— Ce type n’était pas humain, grinça l’homme balafré. Et puis, n’oublie pas qu’il fallait également rester discret. Si l’un de nous s’était fait prendre, Danqa aurait perdu le respect des Agrios et n’aurait jamais pu devenir Boss !
— J’imagine que c’est vrai, souffla Inam.

Ifios écoutait silencieusement, bien qu’il avait bien dû mal à y croire. Non seulement Sidon, mais son père également, était un traître ? Tout ce dont l’adolescent croyait au sujet de son paternel se remettait en cause.

— Toutefois, je ne comptais pas rester les bras croisés, reprit Inam. Pendant toutes ses années, Danqa et Sidon me transmettaient les lieux d’attaques des Agrios, afin de pouvoir d’empêcher aux possibles leurs exactions. D’ailleurs, à force de contrecarrer leur plan en boucle, nous avons fini par porter un sacré coup au moral des bandits.

Ifios acquiesça. Plus les années passaient, et moins les Agrios avaient confiance en eux. Certains partaient même sans jamais revenir, et ceux qui restaient, pour la plupart, se perdaient dans la boisson et déchaînaient leur violence sur les prisonniers.

— Toutefois, nous avions un problème majeur, déclara Inam. Même une fois Anil mort, sa cruelle influence restait toujours trop forte. Ifios, sais-tu que ton père a voulu abolir la pratique de l’esclavage ? Mais il s’était opposé à une farouche résistance.
— Père a voulu… en finir avec l’esclavage ? s’étonna Ifios.
— Les Agrios ne sont plus que des coquilles vides, statua Sidon. La violence était tout ce que leur restait. Si on leur en enlevait leur seule échappatoire, ils devenaient fous. C’est triste à dire, mais c’est ainsi. De plus, Danqa ne pouvait pas se mettre les Agrios à dos. Il avait besoin de leur soutient pour rester Boss.
— C’est comme il le dit, confirma Inam.

Inam soupira lourdement.

— Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais accouru le plus tôt possible pour arrêter cette maudite pratique, mais…
— … nous craignions trop de sanglantes représailles, grinça Sidon. Les Agrios sont des hors-la-loi. Même si nous avions de plus en plus confiance en toi, nous ne pouvions tout simplement pas guider une Foréa Impériale dans notre repère. Et je me dévouais corps et âme pour empêcher du mieux que possible les maltraitances sur les prisonniers…
— Une bien maigre compensation, grommela Inam.

Eily était parfaitement d’accord. Il était vrai que Sidon refrénait les ardeurs des Agrios dans une certaine mesure, mais cela ne voulait pas dire que les esclaves vivaient en paix…

— Quoi qu’il en soit, nous sommes longtemps restés dans un statu quo. Danqa tentait toujours de calmer les Agrios – sans succès –, et moi, je parasitais toujours leur projet. Jusqu’au jour où Danqa s’était retrouvé dos au mur. À cause de toi, Ifios.
— … moi ?
— Rappelle-toi, tu es son fils. Tu allais devenir un Agrios, rejoindre ses âmes perdues. Danqa ne pouvait pas le supporter. Alors, il a enfin décidé de m’appeler, pour mettre un terme aux activités des bandits.
— Alors l’attaque au camp…, commença Ifios.
— … était préméditée depuis longtemps, finit Inam. Mais Danqa avant de passer à l’action, Danqa voulait te faire passer un test. Il voulait que tu ouvres les yeux sur les activités des bandits, et de voir ce que tu en déciderais.

Sidon ricana légèrement.

— D’ailleurs, le Boss a été très satisfait de toi mon garçon ! Tu es allé jusqu’à voler le plan des passages secret, c’était assez osé !
— Nous avions donc décidé de coordonner notre attaque au soir ou tu voudrais t’enfuir. C’était facile à deviner, Danqa t’avait laissé quatre jours pour réfléchir, alors, il était évident que tu agirais le troisième au soir.
— … !

Ifios se rendait maintenant compte qu’il avait été totalement manipulé. Tout ce qu’il avait vécu au camp des Agrios ses derniers jours n’étant en fait qu’un test. Il avait été observé et jugé de loin par son père, sans même qu’il ne s’en rende compte. Eily se retint de rire, se disant que décidément, ce naïf était la parfaite marionnette.

— Et c’est maintenant que tout va se jouer, reprit Inam. Grâce à mon intervention, les Agrios n’ont plus d’esclaves. Danqa veut s’en servir pour en faire un nouveau départ, refonder complètement les principes des Agrios et les remettre dans le droit chemin. C’est peut-être utopique, mais c’est ceux en quoi nous croyons. Régler la violence par la violence n’est pas la solution. Pour définitivement éliminer la menace Agrios, il faut qu’eux-même cesse leur brutalité.

Eily plissa les yeux, incertaine de savoir s’il fallait rire ou en pleurer. Les Agrios étaient des monstres, point :

« Genre il suffit qu’ils se repentissent pour qu’on oublie leurs nombreux crimes ? C’est aussi simple que ça ? Et c’est des gens aussi simplet qui s’occupent de la justice dans ce pays ? »

— J’aimerais finir sur un dernier point, se résolut Inam. En réalité, il y a une autre chose qui m’empêchait d’éradiquer moi-même les Agrios : les nobles.
— … quel rapport ? ne put s’empêcher de demander Eily.

Sidon fit signe à Inam, demandant l’autorisation de parler.

— Dis-moi petite, commença l’homme balafré. Comment définis-tu quelqu’un de ‘‘bien’’ ?
— … nyah ?

Eily resta sans voix. Elle ne s’attendait pas à cette question, et en réfléchissant bien, elle n’avait absolument aucune idée de la réponse.

— … quelqu’un qui ne fait pas de mauvaises choses ? tenta-t-elle à tout hasard.
— Encore faut-il définir le concept de mauvaises choses, s’amusa Sidon. La réponse est aussi simple qu’évidente, quelqu’un de bien est quelqu’un que tout le monde voit comme quelqu’un de bien.
— …
— Voyons les choses de façon binaire, veux-tu ? D’un côté, il y a les Agrios, les ‘‘méchants’’. Forcément, de l’autre, il y a ceux qui combattent les méchants, et donc, les ‘‘gentils’’. En extrapolant, on peut deviner que s’il n’y avait pas de méchants, il ne pourrait pas avoir de gentils.

Eily hocha la tête, commençant à comprendre.

— … ceux qui combattent les Agrios sont bien vus par la société, et sont donc des gens ‘‘bien’’.
— Tout à fait. Les Agrios font peur à tout Prasin’da, compléta Sidon. Il est facile pour les nobles de jouer sur ces peurs afin d’asseoir leur dominance. Mais pour que le petit jeu puisse continuer de fonctionner, il ne faut surtout pas que les Agrios disparaissent.

Inam se frotta le front, prise d’un léger mal de tête :

— Les Foréa ont beau être les bras armés du Vasilias, nous ne pouvons nous permettre de désobéir aux nobles les plus puissants. Nous avons pour devoir de maintenir l’équilibre de Prasin’da, or, l’économie de toute la région dépend entièrement des familles influentes. Ce sont ses mêmes familles qui ont paralysé la traque des Agrios, et ce qui explique pourquoi un gang de bandit ait pu rester impuni aussi longtemps.

Au fond, cela n’étonnait guère Eily ; les puissants étaient prêts à tout pour devenir plus puissants. Ce n’était que l’ordre des choses. Elle aussi, si elle s’était trouvée à leur place, aurait fait de même.

« On ne devient pas influent en étant innocent, mais en jouant l’innocent… », ricana-t-elle mentalement.

Inam hocha la tête.

— Voilà, vous savez à peu près tout sur la situation, acheva-t-elle.
— J’ai… j’ai encore du mal à y croire…, bafouilla Ifios. J-Je crois… que j’ai besoin de réfléchir…

Lentement, et complètement soufflé, le jeune adolescent se leva et se dirigea au troisième étage, avant de s’enfermer dans l’une des nombreuses chambres du manoir. Inam le regarda faire, silencieuse.

— … et moi ? lança soudain Eily.
— Toi ? s’étonna la Foréa Impériale.
— Oui, vous n’avez rien à me dire, à moi ? Sur mon pouvoir, mon Ensar…
— Omilio t’as demandé de te reposer pour l’instant, non ? C’est le mieux que tu puisses faire.
— … c’est bien trop louche, siffla la demoiselle cyan. Pourquoi me laisser autant de liberté ? Omilio m’a pourtant bien affirmé que j’étais une menace contre le pouvoir en place. Il suffit que je révèle mon existence au public pour causer une crise monstre…

Inam secoua la tête.

— Mais tu ne le feras pas, n’est-ce pas ?
— … tss.
— Eily, soit patiente. Tu auras ton rôle à jouer.
— Voilà qui ne me rassure pas…

Eily soupira :

« Me voilà maintenant affublée d’un mystérieux rôle, génial… »

Sidon fortement frappa dans ses mains, attirant l’attention.

— C’est qu’il commence à se faire tard, dis donc ! Toute cette parlotte m’a bien fatigué.
— C’est juste, souligna Inam. Allons nous coucher, au pire, nous pourrons toujours finir la conversation demain.
— … un instant, les interrompit Eily. V-Vous comptez dormir… ici ?
— C’est exact, acquiesça la Foréa Impériale. Omilio nous a autorisé à utiliser son manoir pour quelques jours.
— Q-Quelques jours ?!

Eily lorgna du côté de Sidon, qui lui répondit par un petit signe de main. L’idée même de dormir dans la même maison qu’un Agrios la faisait frissonner. Il avait beau dire qu’il n’était pas une brute comme les autres bandits, Eily était très, mais alors très très loin de lui faire confiance.

— Ne me regarde pas comme ça, s’amusa Sidon. Je ne vais pas venir t’agresser cette nuit dans ta chambre ! Ceci dit, il m’arrive parfois d’être somnambule, alors je ne peux rien promettre…
— Nyah !
— Sidon, grinça Inam. Arrête d’embêter la petite.
— Haha, désolé, désolé. C’est ma manière à moi de détendre l’atmosphère…

Pour le coup, Eily aurait bien aimé ‘‘détendre’’ Sidon d’un bon gros coup sur le crâne. Une chose était sûre, avant de s’endormir, la demoiselle cyan se promit d’user de tous les meubles qu’elle pourrait trouver pour barricader sa chambre.

Peu après, Tza et Sidon sortirent du salon, prenant leur marque avec ce qui allait être leur demeure pour un certain temps. Une fois qu’elle fut seule avec Inam, Eily se décida à l’interpeller :

— Vous lui avez vraiment tout dit ?
— … pardon ? se retourna la Foréa.
— À Ifios. Vous avez oublié de lui mentionner un petit détail, n’est-ce pas ?
— … je ne vois pas de quoi tu parles.

Eily plongea longuement son regard dans les yeux saphirs de son interlocutrice, faisant fi de l’aura intimidante qu’elle dégageait.

— Peut-être que je me trompe ? se demanda faussement Eily. Enfin, j’imagine que ce ne sont pas mes affaires.

Et la demoiselle cyan s’en alla, avec Caratroc, dans sa chambre. Inam resta plantée dans le salon, soudainement inquiète :

— … j-je suis déjà découverte ?