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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 12/07/2017 à 16:13
» Dernière mise à jour le 12/09/2017 à 13:33

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 12 : La sœur à l’épée.
 Eily retint sa respiration du mieux qu’elle le put ; malgré tous ses efforts, son nez commença dangereusement à piquer. Elle avait également du mal à garder les yeux ouverts tant l’atmosphère était hostile. Caratroc, lui, avait carrément décidé de se barricader dans sa coquille, bouchant les trous de sa carapace avec des toiles gluantes ; le message était clair : il ne voulait rien avoir à faire avec ça.
Quant à Ifios, il restait immobile, bouche-bée, faisant de lui une cible facile pour l’énorme quantité de poussières hantant le lieu.

— Le manoir secondaire de mon frère, présenta Tza.
— … c’est une blague ? geignit Eily.

Il était impossible de voir à plus d’un mètre tant des nuages grisâtres régnaient sur l’endroit. Eily avait peur jusqu’à d’ouvrir la bouche, de peur d’ingurgiter par mégarde une tonne de poussières.

— Nous n’avons plus utilisé ce manoir depuis quelque temps, précisa Tza. C’est normal qu’il soit un peu sale.
— ‘‘Un peu’’ ?! siffla Eily. Et même, ce n’est pas humain toute cette saleté ! Personne n’a jamais fait le ménage ici ?!
— …mmh…

Tza pencha légèrement la tête, réfléchissant.

— Pas depuis 20 ans, je crois, déclara la fillette. En fait, c’est juste la deuxième fois que je viens ici.
— 20 ans… ? se blasa la demoiselle cyan. Tu ne viens pas de dire que ça faisait juste ‘‘quelque temps’’ que ce manoir était inhabité ?
— 20 ans c’est quelque temps, statua Tza.
— …
— … et en plus ça rime…, rajouta-t-elle inutilement.

Eily fixa, perplexe, la petite bouille de la fillette, dont la bouche remuait comme si elle se retenait de rire.

« Elle se fiche de moi ? », grinça mentalement la demoiselle cyan.

— C’est… c’est inadmissible !

Soudain, Ifios éleva la voix. La flamme de la détermination brûlait dans son regard ; les deux filles le regardèrent, se demandant quelle mouche venait de le piquer.

— Une maison ne peut pas être aussi sale ! s’écria-t-il. Père m’a toujours enseigné que le respect de soi passe par la propreté de son chez-soi ! Un corps ne peut être sain s’il demeure dans un lieu malsain ! Tza, ramène-moi tout de suite de quoi faire le ménage ! Balais, chiffons, seaux d’eau, plumeaux, et tout le tralala !

La fulgurante fougue du jeune homme ne laissait aucune place aux contestations. La vision d’une telle porcherie l’avait tellement remonté qu’une aura d’extrême résolution semblait fulminer de son corps. Devant tant de détermination, Tza ne put que s’incliner et obéir.

Une dizaine de minutes plus tard, le kit du parfait petit nettoyeur fut rassemblé. Ifios, toujours mu par une écrasante volonté, se retroussa les manches.

— Au travail à présent ! tonna-t-il.
— Tu vas vraiment faire le ménage dans ce dépotoir ? s’étonna Eily.
— Et comment ! Ce n’est pas quelques montagnes de poussières qui vont m’arrêter ! J’ai vu bien pire dans les montagnes Agrios. Vu que je vivais dans une grotte, il suffisait d’un soir de tempête pour que je retrouve tout sens dessus dessous…
— … je ne savais pas que les bandits faisaient le ménage.
— À vrai dire, avec mon père, j’étais le seul qui le faisait.

Eily se frotta le menton, songeuse, imaginant une montagne de muscles telle que Danqa vêtu d’un mignon petit tablier et armée d’un joli petit plumeau.

« Non, l’image ne colle pas… », statua-t-elle mentalement.

— Quoi qu’il en soit, reprit Ifios, j’ai une confiance totale en mes capacités ! Sans vouloir me vanter, je suis une parfaite fée du logis !
— … oooh.
— … euh…

Ifios se posa un moment, réalisant ce qu’il venait de dire.

— M-Mais qu’on soit bien d’accord, qu’un homme sache faire le ménage n’entache en rien sa virilité, ok ?! C-Ce n’est pas du tout une activité exclusivité féminine ! Les hommes peuvent aussi le faire, et c’est tout à fait normal ! Non au sexisme et aux idées reçues ! Oui à l’égalité !
— Je n’ai encore rien dit, éluda Eily.
— …gnn…

Ifios secoua la tête, comme pour effacer sa gêne naissante ; cela ne fut pas très efficace.

— Bref ! s’emporta-t-il. Le ménage ne va pas se faire tout seul ! Allez, hophophop ! On s’y met !


 ***

 Eily devait se l’avouer, Ifios n’avait pas menti. Il maniait avec le chiffon avec une dextérité plus qu’évidente. Un slogan publicitaire se dessinait peu à peu dans la tête de la demoiselle cyan : ‘‘Ifios, impitoyable avec les graisses, poussières, et toiles d’araignée ! Là où Ifios passe, la saleté trépasse !’’
Un slogan un peu cliché mais qui avait le mérite d’être clair et efficace.

Peu à peu, les nuages de poussières disparaissaient, laissant transparaître ce à quoi ressemblait vraiment le manoir.

« Finalement, ce Omilio ne s’est peut-être pas moqué de nous… », réfléchit Eily.

Ce manoir était grand, bien plus que la demeure impériale du Foréa ; elle s’étalait en tout sur trois étages. Justement, au dernier étage, Plusieurs chambres étaient visibles, Eily devina que ce lieu avait été construit pour contenir une famille nombreuse. En tout, il devait bien y avoir une dizaine de chambre à coucher, toutes plus spacieuses les une que les autres.
La cuisine, au rez-de-chaussée, n’était également pas en reste ; à l’image du reste du manoir, elle était d’une taille plus qu’acceptable, en plus d’être équipée d’outils en tout genre. Eily reconnut quelques bidules qu’elle avait déjà vu à l’orphelinat, bien qu’elle ne savait absolument pas ce à quoi ces choses pouvaient bien servir.

« De toute façon, ce n’est pas comme si c’est moi qui allais cuisiner ! », sourit-elle.

Le deuxième étage n’était ni plus ni moins qu’un immense salon. Eily siffla, impressionnée. Avoir une pièce aussi inutilement grande était un bien beau signe de richesse. Les meubles et canapés étaient encore imbibés de poussières, mais Ifios faisait de son mieux pour les sauver.

— Euh… Eily ?

Et d’ailleurs, ce même Ifios arrêta soudain tout geste, et se retourna vers la demoiselle cyan.

— Oui ? sourit-elle innocemment.
— Je me demandais depuis tout à l’heure…
— Oui ? répéta Eily de sa jolie voix fluette.
— Pourquoi tu ne fais rien ?! Même Tza m’aide !

Effectivement, Eily pouvait voir, au loin, une certaine fillette passer le balai du mieux qu’elle le pouvait. Enfin, vu qu’elle maniait le balai comme une épée, la demoiselle cyan n’était pas très certaine quant à l’efficacité de la manœuvre.

— Pourquoi je ferais quelque chose ? Tu te débrouilles très bien tout seul, je ne ferais que te ralentir. L’efficacité avant tout, c’est ma devise !

« En vrai j’ai juste la flemme, mais bon… »

— … gnnn…, grommela Ifios. Je ne peux pas te forcer, mais tu pourrais au moins me faciliter la tâche… tiens, le seau est presque vide, tu peux aller le remplir s’il te plaît ? Il y a un puits dehors, ça m’évitera de faire l’aller-retour.
— Pas de problème, acquiesça Eily.

Ifios retourna aussitôt à son ménage, pendant que Eily fixait le fameux seau. Elle soupira, la paresse ayant définitivement fait de son corps sa possession. Mais la demoiselle cyan était toujours pleine de ressources. Une fois qu’Ifios fut trop loin pour l’entendre, Eily mit son plan à exécution.

— Tza ! appela-t-elle. Tu peux venir un instant ?

La fillette, toujours déterminée à mener des missions à bien, accourut.

— Un problème ? demanda Tza.
— Non non, secoua doucement Eily de la tête. Je me demandais, ton roman…

Aussitôt, le visage de la fillette s’empourpra.

— … il concerne ton frère et toi, n’est-ce pas ?
— J-je ne vois pas de quoi tu parles ! réagit vivement Tza.
— Mais si, mais si, tu n’as pas à te retenir ! Tu sais, je trouve personnellement ce genre de passion fantastique ! Un amour interdit, c’est si romantique !
— … v-vraiment ?
— Absolument ! Et ne t’inquiètes pas, je vais garder ton secret pour toi. Et même mieux ! Tu sais quoi, je vais tout faire pour t’aider ! Puisque je vais sans doute rester là un bon moment, pourquoi ne pas en profiter ? Je pourrais être ton Cupidon !
— J-Je ne sais pas trop…
— Tu sais, avoir une alliée en plus ne pourra pas te faire de mal ! Entre filles, il faut bien se soutenir, non ?
— … mmh…

Perdue dans ses pensées, Tza fronça tant ses yeux que cela en devint comique. Voyant qu’elle touchait au but, Eily posa une douce main sur le crâne de la fillette, et la caressa légèrement.

— C’est vrai qu’on se connaît à peine, mais on a déjà vécu pas mal de choses ensemble, n’est-ce pas ? souffla aimablement Eily. Pourquoi ne deviendrons-nous pas amies ?
— … a-amies…

Le mot fit mouche. Eily ne pouvait pas le deviner, mais le concept d’amitié était une chose que Tza n’avait fait que caresser en rêve. En tant que sœur d’un Foréa, elle avait toujours été dans une bulle inaccessible aux autres enfants de son âge ; et de plus, sa petite particularité à porter en permanence une énorme lame dans son dos n’aidait pas les autres à s’approcher d’elle.
L’idée même que quelqu’un lui propose d’être son amie fit naître des fines larmes au coin de ses yeux.

— … o-oui… p-pourquoi pas…, s’embrouilla la petite.

Eily cligna des yeux, surprise par la réaction un peu trop émotive de la fillette. Elle ne se serait jamais attendue à voir des larmes couler !

— Ahem, toussota la demoiselle cyan. Oui, rien ne nous empêche d’être amies ! Et… euh… je dois remplir le seau d’eau pour Ifios, je reviens !

Eily s’éclipsa en vitesse, le seau en main. Au début, elle voulait juste baratiner la fillette pour qu’elle fasse le sale boulot à sa place ; toutefois, les grands yeux humides de Tza, couplés à sa petite voix cassée par l’émotion, l’avait fait douter. Pendant un instant, Eily s’était dit que ce serait peut-être horrible de manipuler une gamine aussi innocente.

« … faut croire que je me ramollis… », pesta-t-elle en accélérant sa cadence.


 ***

 Deux heures plus tard, le manoir fut entièrement nettoyé, à un tel point que personne ne pourrait imaginer l’état dans lequel il se trouvait auparavant. Constatant la propreté des lieux, Caratroc avait d’ailleurs enfin accepté de sortir de sa coquille. Ifios se tenait au milieu de salon, les bras croisés, l’œil satisfait.

— Le respect de soi passe par la propreté de son chez-soi, déclara-t-il solennellement.
— Ceci dit, ce n’est pas ton chez-toi, pointa Tza.
— C’est vrai, accentua Caratroc. Tu n’es là que très temporairement.
— … vous ne pouvez pas me laisser savourer mon travail, s’il vous plaît ?! geignit le pauvre adolescent.

Tentant d’ignorer les deux filles, Ifios alla s’asseoir dans un canapé. Il laissa son dos reposé sur les coussins moelleux ; il pouvait sentir la fatigue quitter son corps. Mais alors qu’il ne voulait plus être dérangé pendant un bon moment, Tza leva la main.

— … un problème ? souffla Ifios.
— En fait, il reste encore une pièce.
— … une pièce ? s’étonna-t-il. Pourtant je croyais avoir fait le tour…
— Au sous-sol.

Tza demanda aux deux adolescents de la suivre. Elle les emmena au rez-de-chaussée, face à un mur en bois… qu’elle fit simplement glisser sur le côté. Eily, Caratroc et Ifios réalisèrent d’un coup que c’était en réalité une porte coulissante sacrément bien cachée, qui menait à un escalier secret.

— Je ne m’en serais jamais douté…, fit un Ifios impressionné.

Les marches et le mur de pierre dénotait froidement avec l’ambiance boisée du manoir, à un tel point qu’on jurerait être dans un différent endroit.

« Un sous-sol glacial… ce n’est tout de même pas… une prison ? », s’inquiéta Eily.

Après son expérience chez les Agrios, la demoiselle cyan n’avait pas spécialement envie de revoir une cellule aussi tôt. Ou de revoir une cellule tout court d’ailleurs. Heureusement, ce n’était pas sordide donjon qui attendait les adolescents, mais un énorme espace, rempli par un trou tout aussi énorme.

— Selon mon frère, c’était une sorte de source chaude. Vous voyez les petites canalisations là-bas ? Il y a un mécanisme qui permet de dévier une source non-loin et de renouveler l’eau en permanence. Mais il est désactivé depuis longtemps. Une fois qu’Ifios aura fini de nettoyer l’endroit, on pourra lui demander de le remettre en route.
— Une source chaude…, s’émerveilla Eily.
— Et pourquoi dois-je m’occuper seul du nettoyage ? grinça Ifios.
— Chacun ses compétences, répliqua Tza.
— Vous pourriez au moins faire un effort…, soupira le jeune homme de ménage.


 ***

 Comme prévu, Ifios resta au sous-sol, s’acharnant à astiquer toutes les pierres qui passaient sous son impitoyable regard. Il en avait pour un certain temps, la roche étant plus perfide que le bois. Il avait beau passer des coups de chiffons, la surface de pierres semblait toujours aussi crasseuse qu’auparavant. Mais le super homme de ménage ne s’avouait pas vaincu. Il luttait, corps et âme, avec la ferme intention de triompher. Ses gestes étaient mus d’une détermination sans faille, tandis que son aura combative brûlait comme jamais.

— LE RESPECT DE SOI PASSE PAR LA PROPRETÉ DE SON CHEZ-SOI !! hurlait-il comme un chant guerrier.

Plus haut, au second étage, les deux filles et Caratroc se prélassaient, ignorants de toute l’agitation souterraine.

— J’y pense, annonça Tza. Mon frère voulait que je te fasse faire un tour d’Aifos.

Eily repensa brièvement à cette masse informe de gens qui recouvrait les rues. Elle n’avait pas spécialement envie d’y retourner. Toutefois, si elle devait véritablement vivre ici pendant un certain temps, il était essentiel qu’elle sache un minimum sur cette ville.

— Maintenant ? demanda néanmoins Eily.
— Le plus tôt sera le mieux. À moins que tu ne sois trop fatiguée pour sortir ?

Vu qu’elle n’avait fait que se reposer ces dernières heures, laissant à Ifios le soin de faire tout le travail, la demoiselle cyan était bien évidemment en pleine forme.

— Non, ça va, lâcha Eily. J’imagine que tu as raison, le plus tôt sera le mieux.
— Ne t’inquiètes pas, ce sera un tour rapide.
— Et pour Ifios ? s’immisça Caratroc.

L’intervention de la tortue rondelette interrompit brièvement l’enthousiasme de la fillette ; mais elle se ressaisit vite.

— Il est occupé pour l’instant. Mais tu peux lui tenir compagnie, si tu veux.
— … pardon ? s’étonna l’Ensar.
— Tu ne peux pas venir avec nous, statua Tza. Il faut garder ton existence secrète. Donc, soit Eily te rappelle, soit tu restes ici.
— … il ne peut vraiment pas venir ? s’inquiéta Eily. À vrai dire, je préférerais…
— Non, trancha la fillette. Mon frère est catégorique, on ne doit prendre aucun risque.
— … très bien, souffla un Caratroc déçu. Je vais rester ici alors…
— Troctroc…, geignit Eily.

Mais la demoiselle cyan savait que c’était pour le mieux. Ils venaient à peine d’arriver à Aifos, il serait malvenu de déclencher une crise par mégarde.
S’étant mises d’accord, les deux filles se dirigèrent vers la sortie. Si le pas de Tza était confiant, celui d’Eily était hésitant ; elle jeta un dernier coup d’œil vers son Ensar avant de définitivement disparaître à l’extérieur.

Et Eily n’était pas eu bout de ses peines. Elle avait naïvement pensé que Tza lui ferait faire le tour de la ville en roulotte, mais lorsque la gamine dépassa le transport sans se retourner, Eily comprit qu’elle allait devoir user de ses jambes.

— Cette roulotte n’est pas à moi, mais à Inam, expliqua Tza. Je ne peux pas l’utiliser pour mes affaires personnelles. Et il est bien plus efficace de ressentir la ville en y étant complètement plongé, au lieu de la voir du haut d’une caravane.

Manque de chance, Eily aimait justement voir les choses de haut. Toutefois, elle devra s’y faire. Tza ignora la petite détresse de son invitée, et l’entraîna dans les profondeurs de la rue. Heureusement, pour l’instant, il n’y avait pas suffisamment de gens pour réveiller l’agoraphobie latente de la demoiselle cyan.

— Aifos est composé de quatre quartiers, commença Tza. Nous sommes actuellement dans le quartier résidentiel. C’est là que se concentre la plupart des habitations, ainsi que les parcs naturels. C’est le lieu idéal pour se relaxer.

Tza montra du doigt, un endroit où de nombreux arbres pointaient vers le ciel. Eily s’étonna de voir de la verdure dans une ville aussi grande ; elle adorerait pouvoir se prélasser tranquillement sur l’herbe, un peu comme elle le faisait chaque après-midi à l’orphelinat. Ce serait une sorte de réminiscence du passé.

Mais Tza ne lui en laissa pas l’occasion, elle emmena Eily tout droit, s’approchant du centre de la ville. Peu à peu, les peurs de la demoiselle cyan se concrétisèrent. Le nombre de passants augmenta exponentiellement, rendant la circulation de plus en plus difficile. Par chance, chacun faisait très attention à ne pas trop s’approcher de Tza. L’énorme épée dans son dos y était peut-être pour quelque chose.

— Nous sommes actuellement dans la zone entourant le centre, le quartier commercial. Elle est gigantesque et on peut y trouver un peu de tout, pour peu qu’on prenne la peine de chercher. Ce quartier est lui-même divisé en plusieurs secteurs spécialisés où se regroupent plusieurs professionnels exerçant la même activité. Il y a le secteur des aubergistes, des agriculteurs, des pêcheurs, des artisans, des libraires, des médecins, etc.

Eily essayait de suivre, mais elle avait rapidement le tournis. Sa seule référence était Stavros, un coin paumé où seuls l’auberge et le marché hebdomadaire du dimanche constituaient l’activité. Un village où l’on pouvait également faire le tour en quelques minutes…

Tza guida la demoiselle cyan à travers le quartier, lui montrant les meilleures boutiques – sélectionnées par Omilio lui-même. Eily faisait de son mieux pour tout retenir, surtout que plusieurs choses lui faisaient de l’œil. De sublimes effluves parfumées s’échappaient, tentatrices, de nombreuses auberges. Eily avait une folle envie de goûter tout ce qui lui passait sous le nez.
Mais ce n’était pas tout, au secteur des artisans, de magnifiques créations absurdement raffinées ne demandaient qu’à être achetées. Eily n’était pas spécialement quelqu’un s’attachant au matériel, mais elle devait avouer que tous les objets parsemés par-delà les vitrines avait été conçu sous la main de grands maîtres.

Eily en oubliait presque la foule, obnubilée par les découvertes incessantes que la grande ville lui offrait sur un plateau d’argent. Bientôt, le brouhaha de la foule cessa d’être envahissant, pour ne devenir que simple et léger bruit de fond.
Puis, au détour d’un chemin, Eily s’arrêta brusquement, retenant Tza par l’épaule. Elle resta un long moment sans bouger, un étrange sourire aux lèvres.

— Eily ? l’interrogea Tza.
— … dis.

La demoiselle cyan pointa une certaine vitrine. Les deux filles étaient à présent dans le secteur des libraires. Interloquée, Tza suivit la direction que désignait Eily, avant de se figer subitement, comme si elle était devenue de glace.

— Tu ne m’avais pas dit que…
— N-Non ! s’écria la fillette. C-Ce ce n’est pas ça ! T-Tu te trompes !
— … je me le demande…

Vive comme l’éclair, Eily fonça dans la librairie, avant même que Tza ne pût la retenir. La demoiselle cyan empoigna d’un coup le roman ayant attiré son œil avant de le parcourir rapidement.

— J’en étais sûre ! Je savais que j’avais reconnu ce titre !
— R-Repose ça !

Tza, qui avait accouru elle aussi, fixa Eily de ses yeux embués de larmes. Sauf que cette fois-ci, la demoiselle cyan fut loin de se faire attendrir. Eily s’approcha de la fillette, espiègle, avant de lui caresser vigoureusement la tête.

— Petite maligne ! Alors comme ça tu vends ton roman ? Celui où tu cries ton amour pour ton frère ?
— C-Chut ! paniqua Tza. P-Personne ne doit savoir que j’en suis l’auteure ! … je signe sous un nom de plume…

Eily retourna le roman, et effectivement, la personne revendiquant l’œuvre ne se faisait pas appeler Tza mais…

— Azt ? se blasa Eily.
— …
— Tu n’étais pas très inspirée quand tu as écrit ce nom, je me trompe ?
— … e-en fait, j’espérais secrètement qu’un jour, m-mon frère tombe dessus par hasard et… et qu’il fasse le lien… mais…
— … nyah ?

Tza releva la tête vers Eily ; sa petite bouille semblait prête à déverser toutes les larmes de son petit corps. Touchée par la révélation de la fillette, Eily reposa le roman sur l’étagère, et caressa une nouvelle fois la tête de Tza.

— Allez, du calme, fit-elle d’une voix douce. Tu verras, tout va bien se passer, inutile de pleurer. Je suis là maintenant. J’ai dit que je t’aiderais, non ?

Eily parlait avait une gentillesse et une sincérité qui l’étonna elle-même. Elle ne se serait jamais cru capable d’aller réconforter quelqu’un d’autre, instinctivement, sans aucune arrière-pensée. La demoiselle cyan ne connaissait pas Tza depuis très longtemps, mais cette étrange fillette semblait réussir l’exploit d’éveiller un soupçon d’humanité chez elle. Eily ne parvenait pas à mettre des mots dessus, mais voir la petite bouille triste de Tza lui faisait comme une boule en plein ventre.

« Peut-être que je suis malade…, réfléchit Eily, j’ai passé un mois entier dans des conditions déplorables après tout… »

Finalement, les deux filles sortirent de la librairie, et s’installèrent à une table à l’extérieur d’une auberge. Eily avait en effet fait par de son envie de casser la croûte – contrairement à Ifios et à Tza, elle n’avait pas eu droit à un ‘‘somptueux’’ petit déjeuner ce matin.
Tza paya immédiatement deux sublimes et gargantuesques entrecôtes de porcs rôties, encore ruisselantes de sauce, accompagnées de pommes de terre si dorées qu’elles étaient semblables à des pépites. Eily bavait tellement qu’on jurerait voir son visage fondre.

— L-La cuisine de la ville…, s’extasia-t-elle.

Tza sourit fièrement, heureuse de voire sa nouvelle amie si enjouée. Les deux demoiselles attaquèrent implacablement leur assiette, sans aucun respect pour l’étiquette. Il fallait préciser que leur comportement était loin d’être atypique, même les habitués de l’auberge ne faisait pas de manière avec leur plat tant ce dernier était exquis. Ce n’était pas un établissement recommandé par Omilio pour rien.

Une fois repue, Eily se laissa tomber sur sa chaise, caressant son ventre qui devait avoir bien doublé de volume. Elle n’avait jamais été aussi rassasiée de toute sa vie.

« Et si j’avais les charis de mamie Losyn, se serait le paradis… », souffla-t-elle mentalement.

Mais Eily chassa vite cette pensée. Comme à son habitude, dès qu’elle pensait à l’orphelinat, son cœur bouillonnait ; elle ne voulait pas gâcher sa visite d’Aifos. Pour se changer les idées, la demoiselle cyan leva les yeux au ciel. Ce fut à ce moment-là qu’elle la remarqua enfin, cette énorme tour visible de n’importe où à Aifos, qui perçait fièrement les nuages.

— Tza ? l’appela-t-elle. Ce grand bâtiment là…

Eily pointa l’édifice du doigt. Tza regarda dans la direction indiquée, avant de hocher la tête :

— C’est la Tour d’Ivoire, l’un des symboles d’Aifos. Elle se situe tout au centre, dans le quartier de la sagesse. Tu connais le surnom d’Aifos, non ? La ville de la sagesse. On doit ce surnom à la Tour d’Ivoire. C’est là que se rassemble les plus grands professeurs et érudits de Prasin’da, ainsi que les plus grandes bibliothèques.
— Nyaah…

« Maintenant que j’y pense, il me semble avoir déjà entendu cette histoire en cours… peut-être que j’aurais dû plus y porter attention, au lieu de dormir… », réalisa Eily.

— Le quartier de la sagesse pourrait t’intéresser si tu veux en savoir plus sur les Foréa.
— … nyah !

« … mais elle n’a pas tort en plus ! », bondit mentalement Eily.

— Malheureusement, il faut une autorisation spéciale pour y entrer. Mon frère t’en donnera peut-être une si tu le lui demandes.
— … nyaah…

« … évidemment, ça ne pouvait pas être aussi simple. Et comme ce type veut que je me repose avant tout, il ne risque pas de m’aider avant quelques jours… », soupira pensivement Eily.

Tza pencha la tête, cherchant à deviner le sens de ces « nyah » intempestifs. En réponse, Eily lui sourit simplement :

— Sinon Tza, j’imagine que tu sais tout de moi. Ma mésaventure à l’orphelinat, mon emprisonnement chez les Agrios, et tout, n’est-ce pas ?
— Oui, effectivement. Mais je ne peux pas encore te dire pourquoi je le sais, mon frère veut laisser les personnes concernées s’expliquer elles-mêmes.
— Je… vois. Il aime faire dans le mystère ton frère.

Tza hocha la tête, bien trop consciente des travers du célèbre Foréa Impérial.

— Mais c’est injuste, tu ne penses pas ? détourna Eily. Tu sais tout de moi, et moi, je ne sais rien de toi. Et je dois avouer que tu m’intéresses quelque peu. Comment quelqu’un de ton âge peut-il déjà être l’apprenti d’Inam ?
— … mmh…

Comme d’habitude lorsqu’elle réfléchissait, Tza ferma comiquement les yeux et lâcha un bien audible marmonnement. Eily s’amusa de voir la fillette ainsi plongée dans ses pensées.

— Je ne sais pas vraiment, avoua Tza. J’ai toujours été très doué avec l’épée. Certains disent que c’est de famille. Même avant d’être Foréa, mon frère était déjà très fort.
— Une force héréditaire ?
— Il y a aussi une autre croyance. Il paraît que si on côtoie suffisamment longtemps un Foréa, on absorbe une infime partie de sa puissance.

« Tiens, c’est la première fois que j’entends ça… », s’étonna discrètement Eily.

— Mais il n’y a aucune preuve, ce ne sont que des rumeurs, continua Tza. Je ne sais pas exactement d’où je tiens ma force, mais je sais que je la possède. La suite n’est que logique. Inam est amie avec notre famille. Elle a tout de suite vu mon potentiel guerrier, et m’a proposé de devenir son apprentie. J’ai accepté.
— Tu as donc eu talent et opportunité, résuma Eily. Mais pourquoi être l’apprentie d’Inam ? Et pourquoi pas… de ton frère ? C’est aussi un Foréa, non ?
— Même s’il en a les capacités, mon frère n’est pas un guerrier. Il préfère l’art de la politique. Et puis… je… je ne pense pas que je supporterais d’être trop proche de lui en permanence…

Eily pencha la tête, interrogatrice :

« Je ne comprends pas, si elle l’aime, elle devrait justement vouloir être toujours avec lui, non ? »

Le visage de Tza était devenue écarlate. Après sa réplique, la petite avait baissé la tête, toute gênée, se murant dans un silence à toute épreuve. Eily comprit qu’elle ne pourrait plus rien en tirer, alors elle changea de sujet.
Elle interrogea Tza sur sa vie en général. La fillette était hésitante au début, mais accepta de lui raconter des bribes de sa vie. Globalement, Tza avait eu une enfance très solitaire. Non seulement elle était la sœur d’un Foréa, mais elle possédait aussi une maturité qui l’éloignait des autres de son âge. Elle n’avait jamais réussi à se faire d’amis, ni même à avoir de simples camarades.
Toutefois, là où tout le monde l’évitait, son frère avait toujours été là pour elle, la soutenant indéfectiblement dans les moments les plus difficiles. Jamais il ne lui avait tourné le dos, il n’avait d’ailleurs pas hésité plusieurs fois à mettre pause ses activités de Foréa pour s’occuper d’elle. Et pour cela, elle lui en serait éternellement reconnaissante.

Plus Tza parlait d’Omilio, et plus Eily comprenait la passion que la sœur portait pour son frère. Elle en faisait un portrait si élogieux que quiconque l’entendrait prendrait Omilio pour un saint. Eily n’allait cependant pas totalement se faire influencer, ce Foréa Impérial lui avait fait une trop mauvaise première impression pour se laisser amadouer par quelques louanges prononcées par sa sœur.

Une fois que les deux filles eurent suffisamment digéré pour pouvoir marcher à nouveau, elles se remirent en route, presque main dans la main. Tza n’avait plus grand-chose à montrer à Eily, le seul quartier qu’il lui restait était celui de nobles, un endroit qui n’avait rien de spécial, sinon de contenir… des nobles. C’était également là où se situait la demeure d’Omilio. Tza aurait bien aimé rendre visite à son frère, mais vu que le quartier des nobles étaient loin et que le soleil commençait à se coucher, elle dut abandonner l’idée à contrecœur.

Les deux nouvelles amies décidèrent de revenir au manoir. Sur le chemin du retour, elles continuèrent à papoter, de tout et de rien. Eily raconta quelques anecdotes de sa vie à l’orphelinat, tandis que Tza détailla ses expériences en tant qu’apprentie d’Inam. De petites discussions innocentes, qui finirent de rapprocher les deux filles.

Eily se mit à penser que, peut-être, devenir véritablement amie avec Tza ne serait pas si désagréable. Lors du grand nettoyage, elle avait sorti cette excuse de l’amitié uniquement pour tenter d’amadouer la fillette, mais après cette après-midi en sa compagnie, la demoiselle cyan réalisait que Tza ne méritait que l’on joue avec ses sentiments. Mieux encore, que c’était une personne sensible et attachante.

« … je ne suis plus chez les Agrios, cogita Eily, je n’ai plus à me méfier de tout le monde. Peut-être qu’il serait temps de baisser ma garde… »

Petit à petit, le manoir se dessinait à l’horizon. Eily soupira de soulagement. Cette petite balade avait été bien agréable pour son moral, mais catastrophique pour ses pieds. Elle ne rêvait plus que de se vautrer sur un matelas et ne plus bouger jusqu’au lendemain. Mais le destin n’était pas tout à fait d’accord.

Une fois qu’elles furent enfin arrivées au portail du manoir, un cri déchirant brisa l’atmosphère sereine. Eily et Tza se lancèrent un vif regard, avant de foncer à l’intérieur.

— L-Les filles…

Ifios était à l’entrée. Au sol. Ventre contre terre. Il essaya de se relever, mais il s’écroula en plein effort, s’évanouissant. Eily resta interdite, tandis que Tza saisie sa lame, prête à s’en servir.
Soudain, d’écrasants bruits de pas tonnèrent à un rythme constant. Au fond du couloir, une forme imposante se dégagea progressivement de l’obscurité, telle une créature démoniaque se libérant de sa prison de ténèbres.

L’expression d’Eily se tétanisait au fur et à mesure que le monstre s’avançait. Elle le connaissait. Elle ne pourrait pas l’oublier, même si elle le voulait. Tza aussi, le connaissait. Son regard se fit de plus en plus perçant, brûlant de férocité.

— Sidon, siffla-t-elle.

En face de la fillette, un homme balafré sourit, amusé.