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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 09/07/2017 à 17:11
» Dernière mise à jour le 11/07/2017 à 08:41

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 11 : La ville de la sagesse.
 En se réveillant ce matin, Eily était d’une humeur particulièrement joyeuse. Elle imagina qu’elle avait peut-être fait un excellent rêve, mais malheureusement, elle ne s’en rappelait pas.
La demoiselle cyan s’étonna néanmoins de se trouver dans une chambre aussi délabrée, avant de ce souvenir de tous les évènements de la veille.

Elle lança un regard à Caratroc, qui roupillait encore paisiblement sur le lit. C’était un rare spectacle. Quand elle était à l’orphelinat, Eily le rappelait toujours avant de dormir, et même chose dans le camp des Agrios. À vrai dire, Eily ignorait que son Ensar pouvait dormir. La demoiselle resta quelques minutes observer le corps de Caratroc s’élever et s’abaisser au rythme de sa respiration, attendrie.

Elle décida de ne pas déranger son Ensar, il serait criminel de détruire un si beau sommeil. Toutefois, elle ne pouvait pas sortir de la chambre et le laisser seul ; l’existence de Caratroc devait rester secrète. Certes, de plus en plus de gens étaient désormais au parfum, mais ce n’était pas une raison pour le crier sur tous les toits.
Alors, par solidarité, Eily décida de rester avec Caratroc, attendant joyeusement son réveil.


 ***

 Au rez-de-chaussée, Tza et Ifios avaient été interceptés par l’aubergiste. Ce dernier avait voulu faire plaisir à ses invitées d’exception en leur offrant le plus beau petit-déjeuner disponible de son établissement.
Ifios fixait, perplexe, les vagues et sombres choses flottantes dans ce qui semblait être une soupe aux légumes bien trop cuite. Il se demanda un moment si l’aubergiste était sérieux, mais à en voir son sourire radieux, il l’était, malheureusement.

— Vous aimez ? rajouta le gérant en faisant une petite courbette. Ce sont là les meilleurs produits que l’on peut trouver dans notre beau village ! J’espère que cela plaira à votre palais délicat !

Pendant qu’Ifios se disait qu’ils étaient vraiment tombés dans un coin paumé, Tza faisait beaucoup moins la fine bouche. Elle mangeait à rythme constant, bien qu’une once dégoût se baladait discrètement sur son visage.

— Votre hospitalité nous ravit, finit-elle par déclarer à l’aubergiste.
— C’est tout naturel ! s’empressa de sourire ce dernier avant de retourner à ses occupations.

Ifios plissa les yeux, se demandant comment Tza pouvait ingurgiter une chose pareille. La fillette croisa son regard interloqué, s’essuya la bouche, et répondit simplement :

— Nous sommes ici grâce sous le nom des Foréa, et plus particulièrement d’Inam. Nous ne pouvons nous permettre de froisser les locaux, surtout s’ils font de leur mieux. Tu vois les morceaux sombres dans la soupe ? C’est de la viande. Pour un petit village comme celui-ci, c’est un mets rare. Quelle image cela donnera des Foréa, si des gens agissant sous leurs noms se comportent comme des princes égoïstes et irrespectueux ? Les Foréa et le Vasilias sont l’essence de l’équilibre de Prasin’da, il ne faut pas le prendre à la légère.

Ifios fut estomaqué devant cette tirade illuminée de maturité. Il n’imaginait pas une fillette lui faire la leçon un jour. L’adolescent se retint tout de même de rappeler à Tza qu’elle avait cassé la porte de l’auberge la veille : niveau respect des autres, on avait vu mieux.
Décidant qu’il ne pouvait pas perdre la face, Ifios s’efforça d’ingurgiter sa soupe le plus vite possible. Lorsqu’il eut enfin fini, il poussa un soupir si douloureux qu’il jurerait sentir son âme s’échapper par son souffle.

Sans se soucier de l’état de son compagnon de route, Tza leva la tête vers l’étage, soucieuse.

— Eily n’est toujours pas descendue, statua-t-elle.

« … elle dort encore ? » s’interrogea mentalement l’apprentie d’Inam.

Tza pencha la tête, réfléchissant. Elle espérait que cette absence ne soit pas la raison d’une fuite pendant la nuit. Techniquement, elle était censée surveiller ses deux compagnons de route, elle aurait bien l’air maligne devant Inam si l’un des deux se faisait la malle ! Tza n’avait pourtant pas décerner la moindre trace de rébellion, ni chez Eily, ni chez Ifios : chacun d’eux la suivait sans chercher à prendre la poudre d’escampette.

« Peut-être que je m’inquiète pour rien… »

Tza hocha la tête.

« Eily ne peut pas être une mauvaise personne, elle a dit aimer mon roman ! »

Ayant mis de l’ordre dans ses pensées, la fillette à l’épée se retourna vers Ifios.

— Va chercher Eily, lui ordonna-t-elle.
— … moi ? s’étonna l’adolescent.
— Il faut se remettre en route le plus vite, je vais préparer le cheval. Rejoins-moi une fois qu’elle sera avec toi.

Tza se leva de la table et se dirigea vers l’extérieur, laissant Ifios seul à sa nouvelle mission. L’adolescent la regarda partir, anxieux. Il appréhendait quelque peu une confrontation directe avec Eily. Bien sûr, il aimerait se rapprocher d’elle, mais il ne savait pas comment s’y prendre.

« Je lui ai même vomi dessus… », soupira-t-il mentalement.

Ifios n’était pas un expert en relations sociales, mais il savait que régurgiter le contenu de son estomac sur la robe d’une autre personne n’était pas le moyen le plus efficace pour forger une relation durable avec ladite personne. Ifios frissonnait mais se leva quand même ; il ne pouvait de toute façon pas se défiler. Il monta les marches grinçantes de l’auberge, en faisant très attention à ne pas poser le pied sur les surfaces les plus moisies.

« C’est vraiment un taudis ici ! »

Ifios arriva miraculeusement indemne au second étage, là où se trouvaient les ‘‘meilleures’’ chambres de l’établissement. L’adolescent inspira un grand coup et toqua à la porte de la demoiselle cyan.

— Eily ? Tu es là ? C’est Ifios ! demanda-t-il.
— … entre, répondit enfin une voix féminine.

Ifios s’exécuta, toujours tendu. La porte crissa, et l’adolescent entra. Eily se trouvait à l’autre bout de la chambre, elle tenait sa malheureuse robe blanche à la main ; visiblement, elle venait de la laver, sans pour autant avoir réussi à la sauver. Ifios se pinça les lèvres, coupable. Eily soupira, comprenant le soudain malaise de l’adolescent.

— C’est bon, ce n’est rien. J’ai porté cette robe pendant un mois chez les Agrios. Entre les travaux à la mine et les conditions déplorables des prisonniers, elle était fichue depuis bien longtemps. Tu as juste as juste achevé un cadavre.
— … désolé.
— Tss, puisque je te dis que ce n’est pas la peine… bref, pourquoi tu es là ? C’est Tza qui t’as demandé de venir me voir ?

« Puisque ça m’étonnerait que tu viennes toi-même te confronter à moi après les évènements de la veille… », rajouta Eily pour elle-même.

— Euh oui, c’est la fillette. Elle veut que qu’on se remette en route au plus vite…
— Voilà qui est bien embêtant.

Eily lança un vif regard à Caratroc, toujours paisiblement endormi. Elle n’avait décidément pas le cœur à le réveiller, même si elle devrait rester ici pendant des heures encore.

— Tu ne peux pas demander à Tza d’attendre encore un peu ?
— Peu de chance à ce qu’elle m’écoute, soupira Ifios avant de se reprendre. Mais quel est le problème ? Tu ne peux pas rappeler ton Ensar dans ta main, même s’il est endormi ?
— Je ne veux pas le déranger, statua Eily. Et puis, je sais que Troctroc préfère largement être à l’extérieur.

Caratroc lui en avait parlé, un jour. Lorsqu’il n’était pas invoqué, il errait, léthargique, dans une sorte de dimension étrange. Une dimension où les concepts d’espace et de temps étaient plus que chamboulés. Caratroc ne haïssait pas spécialement ce mystérieux lieu, mais il était certain qu’il préférait mille fois le monde réel.

N’ayant plus rien à dire, Ifios resta planté comme un piquet. Après tout ce qu’il avait fait subir à Eily, il avait peur de mettre de l’huile sur le feu, une conduite excessivement prudente qui se traduisait par un silence extrêmement pesant.

Eily devait commencer à en avoir l’habitude avec lui, mais la gêne restait palpable. Quoi de pire qu’un type qui vous regardait, immobile, les bras ballants, avec des yeux de merlan frit ? La demoiselle avait de plus en plus envie de prendre cette source d’embarras vivante par la peau du cou, et de l’envoyer bouler suffisamment fort par la fenêtre pour qu’il ricoche de toit en toit jusqu’à l’horizon. Eily fut sinistrement enjouée par ce beau scénario.
Toutefois, la demoiselle cyan se souvint d’un petit détail. Elle fureta à droite et à gauche, embêtée, avant de finalement prendre la parole :

— Au fait Ifios, expira-t-elle. Concernant ce que je t’ai dit dans les montagnes Agrios…
— … ?
— … voilà, Troctroc a dit que je devais m’excuser, alors je m’excuse, grommela la demoiselle.
— Tu… t’excuses ? Mais pourquoi ?

Eily leva les yeux les yeux au ciel, blasée.

« Oh, tiens c’est vrai ça, pourquoi ? »

— Tu poses sérieusement la question ? s’énerva brutalement la demoiselle cyan. Je te rappelle que je me suis complètement servie de toi là-bas ! Je t’ai manipulé de A à Z, j’ai cruellement joué avec tes sentiments ! Sans oublier que j’avais bien l’intention de te laisser pourrir dans ces montagnes, alors que tu avais sauvé ma vie en risquant la tienne !

Maintenant qu’elle s’entendait parler, l’idée qu’elle avait été une sacrée garce traversa la tête d’Eily. Mais la demoiselle la chassa bien vite, se disant que ce n’était que son imagination.
Ifios avait reculé suite aux cris d’Eily, interloqué.

— Mais… n’est-ce pas… normal ? lâcha l’adolescent.
— … nyah ?

Cette fois-ci, ce fut au tour d’Eily de faire des yeux de merlan frit. Jamais elle ne se serait attendu à cette réponse.

— Je veux dire, comment pourrais-je te juger ? continua Ifios. Je ne peux même pas imaginer l’horreur que tu as vécue dans les mines de mon père. Ni la tristesse qui devait t’envahir, toi qui as absolument tout perdu du jour au lendemain, sans pouvoir pleurer. Ce sont des circonstances bien trop impitoyables pour faire preuve de quelconque pitié. Au fond, ce que tu as fait… n’importe qui l’aurait fait, non ? Tu voulais retrouver ta liberté injustement arrachée, quel qu’en soit le prix ; n’est-ce pas la chose la plus naturelle au monde ?

Eily se mordit les lèvres. Il n’y avait décidément rien à en tirer de ce Ifios. Si seulement il s’était mis en colère, s’il avait exprimé un quelconque dégoût, ou s’il avait simplement fait par de sa tristesse…

« … pourquoi faut-il qu’il soit si compréhensif ?! », pesta-t-elle mentalement.

Le propre d’Eily était d’analyser les réactions de ses interlocuteurs pour en tirer les faiblesses et jouer autour. Mais si lesdites réactions n’étaient que concentrés de bienveillance, sans arrière-pensée, Eily se retrouvait démunie. Et c’était une sensation qu’elle n’appréciait guère.

— Pense ce que tu veux, siffla la demoiselle cyan.
— Tiens ? Tu es à court d’idées ? s’amusa une voix bien familière.

Eily se retourna vivement, se retrouvant nez à nez à Caratroc. L’Ensar la fixait, un étrange sourire teintant son visage.

— Troctroc ! T-Tu es réveillé ? Depuis quand ?
— Depuis quelques minutes. Je dormais bien, mais tes cris de tout à l’heure n’étaient pas très discrets. En tout cas, je suis ravi que tu te sois enfin excusée.

Caratroc tourna ensuite sa tête vers Ifios.

— Ne t’inquiètes pas pour elle, jeune homme. Si Eily ronchonne, c’est qu’elle n’a plus de bêtises à dire.
— Troctroc…, grogna la demoiselle cyan.
— Tu vois ? s’amusa l’Ensar. Quoi qu’il en soit, je suggère de laisser ce qui s’est passé au chez les Agrios dans leur montagne. Il ne sert à rien de garder rancune, le futur vous tend les bras. Il vaut plutôt mieux prendre la route le cœur léger que chargé, n’est-ce pas ?

Eily et Ifios fixèrent Caratroc, qui avait inopinément clôturé la précédente discussion par son intervention surprise.

— B-Bon, se ressaisit néanmoins Ifios. Il fait partir maintenant, Tza nous attend !

Eily hocha la tête, avec toutefois encore une pointe d’amertume. Elle rappela ensuite Caratroc, histoire que personne dans le village ne le remarque, avant de suivre Ifios vers l’extérieur. Les voyant faire, le gérant de l’auberge leur fit de grands gestes de bras, multipliant de mielleuses formules de politesse à peine exagérées. Le duo d’adolescents pressa le pas, embarrassé par l’attitude un peu trop exubérante de l’aubergiste.

— Enfin vous êtes là, j’allais vous chercher.

À l’extérieur, Tza les attendait de pieds fermes. Elle avait ramené la roulotte avec elle, prête à partir. Eily et Ifios s’excusèrent brièvement avant de monter. La fillette semblait extrêmement impatiente, et aucun d’entre eux ne voulait détériorer encore plus son humeur.

Dès que tout le monde fut en place, Tza reprit ses bonnes vieilles habitudes et lança la caravane à pleine vitesse.

— C’est vraiment la peine d’aller aussi vite ? soupira Ifios.
— Si on va à vitesse normale, on arrivera dans l’après-midi. Je veux rentrer à midi au plus tard.
— Si on ne fait pas d’accident entre-temps, grommela Eily.

Bien sûr, les inquiétudes de ses passagers étaient le cadet des soucis de Tza. Elle avait quitté Aifos depuis bien trop longtemps à son goût, et la nostalgie la gagnait de plus en plus. Elle n’avait qu’une chose en tête, revenir chez elle le plus vite possible.

Or, après une longue route sans encombre, un imprévu vint brusquement contrecarrer ses plans. Au fur et à mesure que le groupe se rapprochait d’Aifos, les routes devenaient de plus en plus fréquentées. Ce n’était que logique, Aifos était la seconde plus grande ville, après la capitale. Tza fut obligé de reprendre un rythme normal, de ralentir par moment, et pire : s’arrêter. Un embouteillage de convois encombrait la route, obligeant quiconque à attendre une bonne minute avant d’avancer de quelques centimètres. Son exaspération pesait lourdement sur la roulotte, surtout qu’elle ne comptait pas rager en silence.

— Hé les grands-pères ! hurla-t-elle. Vous compter avancer un jour ?! Il y en a qui sont pressés !
— Tu te calmes ? grogna un autre charretier. Tu vois pas que c’est bouché devant ?
— Ce serait moins bouché si vous saviez conduire les vieux !
— Ferme-la gamine ! Qu’est-ce tu fous ici d’ailleurs ? Retourne chez ta mère !
— Voyons, voyons, s’immisça doucement un autre homme. Nous sommes tous embêtés par la situation, pourquoi ne pas se soutenir les uns les autres, plutôt que d’envenimer les choses ? Qu’en pensez-vous ? Vive la paix et l’amour !

Tza et son précédent interlocuteur se tournèrent vivement vers ce soudain apôtre de la paix, qui se trouvait justement être le propriétaire d’une énorme charrette entravant quasiment la route à elle seule. Ils restèrent une longue seconde à fixer son mystérieux sourire avenant, avant de finalement…

— C’est à cause de vous qu’on est bloqué ! brailla Tza.
— Tu sais où tu peux te les carrer, ta paix et ton amour ?! hurla le charretier.

À l’intérieur, Eily, Ifios et Caratroc se faisaient tout petits, ne voulant absolument pas être mêlés à ses sombres histoires de routiers.

— J-Je ne pensais pas que cette fillette pouvait s’énerver autant, geignit Ifios.
— Ne pas juger un livre à sa couverture…, philosopha Caratroc.
— … pourquoi tu me regardes en disant ça ? tiqua Eily.

Tza avait de plus en plus envie de sortir de la route et de couper par les plaines. Mais elle mobilisait toute sa volonté pour ne pas le faire. Il ne fallait pas qu’elle se fasse excessivement remarquer dans un périmètre aussi proche d’Aifos, elle avait une réputation à tenir.
Alors, elle prenait son mal en patience, insultant joyeusement les autres charretiers quand un besoin de relâcher la pression se faisait sentir. Une attitude que beaucoup pourraient juger violente, mais qui était en réalité très saine ; n’importe qui ayant été un jour bloqué dans des embouteillages monstres pourrait comprendre ce besoin lancinant de rager un peu sur autrui, ce besoin de désengorger sa colère naissante, pour ne pas succomber à la folie.

La roulotte avançait, indubitablement. Lentement, mais assurément. Après des dizaines de très longues minutes, les murs d’Aifos furent enfin visibles. Comme toutes les grandes villes de Prasin’da, Aifos possédait d’immenses rempart l’enclavant. Toutefois, la ville de la sagesse était si énorme que ces mêmes remparts étaient exceptionnelles, rivalisant même avec ceux de la capitale.

Eily fut ébahie. Elle avait beau tourner la tête, ces remparts ne disparaissaient pas à l’horizon. Elle qui n’avait connu que le petit village de Stavros, elle découvrait enfin ce qu’était une véritable ville impériale, dans toute sa splendeur excessive.
Les murs gargantuesques entourant Aifos étaient le symbole de sa puissance. Un message écrasant, rappelant à tous ceux qui les voyaient qu’ils pénétraient dans un lieu sacré, et qu’il serait folie de vouloir s’y attaquer.

« Alors, c’est ça, le monde extérieur… »

Eily eut une pensée pour Athoo et Nester. Ils auraient tout donné pour admirer le même paysage ; découvrir le monde était l’un de leur vœu le plus cher. Un vœu qui leur avait été cruellement refusé. Eily serra les poings, contenant sa haine naissante. Il y avait un moment pour tout ; la vengeance attendra. Pour l’instant, la demoiselle cyan se promit de vivre pleinement cette nouvelle aventure, pour la mémoire de ses amis tombés injustement.

La roulotte de Tza arriva enfin au niveau des gargantuesques portes d’Aifos. Un édifice spectaculaire, mêlant force pure et merveille technique ; ces dernières, à l’image des remparts, semblaient imprenables, quelle que soit la puissance de feu. Eily pouvait distinguer deux immenses sceaux circulaires décorant ces portes : deux magnifiques fleurs argentées aux pétales parfaitement symétriques. La demoiselle reconnaissant sans peine le symbole du quatrième Foréa Impérial : le Lotus d’Argent.

Une fois les portes passées, les passagers purent enfin constater la véritable essence d’Aifos. Jamais, que ce soit Eily, Caratroc, ou Ifios, n’avait vu autant de monde réuni en un seul endroit, en dehors de la route centrale réservée en moyen de transport, il était impossible de voir le moindre centimètre de sol tant la ville était bondée. Eily se demandait bien ce que pouvait faire autant de monde au même endroit.

Le voyage à travers la ville continua, ambiancé par les incessants cris de vendeurs, et embaumé par le brouhaha des foules. La demoiselle cyan se sentait terriblement mal à l’aise, n’arrivait pas à y trouver ses repères. Pourrait-elle s’habituer un jour à ce lieu grouillant de vie ? Elle en doutait fortement. Elle préférait mille fois le calme de l’orphelinat, où la nature était reine.

La campagnarde était perdue devant tant de visages inconnus, elle ne savait plus où donner de la tête. Par instinct, Eily tentait toujours d’analyser chaque personne qu’elle croisait, mais là, il y en avait tellement que son cerveau frisait la surchauffe.

« La civilisation est effrayante… », geignit-elle mentalement.

Heureusement, plus la roulotte avançait, et plus les rues s’éclaircissait. Visiblement, Tza emmenait le petit groupe dans un secteur riche, où la basse populace était absente. Toutefois, il restait encore pas mal de monde.

— Nous y sommes, annonça Tza. La demeure du Foréa.

La caravane fut stoppée un moment devant une arche sévèrement gardée. Cependant, une fois que les soldats aperçurent Tza, leurs visages se déridèrent et ils laissèrent le convoi poursuivre sa route.

« Elle n’a rien dit, et encore moins montré d’autorisation ; cette Tza doit forcément être très connue dans le coin… », présuma Eily.

Un peu plus loin, Tza arrêta définitivement la roulotte et attacha le cheval. Eily et Ifios en sortirent à sa suite ; la demoiselle cyan avait tout de même rappelé Caratroc par pure précaution. La fillette à l’épée conduit les deux adolescents à l’intérieur de la demeure.

Eily ne put s’empêcher de ressentir une pointe de déception. Avec toute la grandeur dont elle venait d’être témoin, elle s’attendait à ce que le repère d’un Foréa soit à la limite de l’indécence. Pourtant, il n’en était rien de tel. C’était une simple maison en bois quelque peu raffinée, plus grande que la moyenne. Aucune trace de tableau de maître, tapisseries royale, lustre de diamant, et autres extravagances du genre. Dans un sens, cette maison n’était pas si différente de l’orphelinat de Stavros.

— Oh, tu es déjà de retour Tza ? Et avec nos invités en plus, parfait.

Une voix élégante envahit soudainement la résidence. Eily leva la tête, et aperçu la source. Un bel homme se tenait en haut d’un escalier boisé ; il dégageait une atmosphère incroyablement apaisante. Même Eily devait se l’avouer, c’était le genre de type à qui l’on accorderait sa confiance au premier coup d’œil, sans chercher à réfléchir.

L’homme descendit lentement les marches, sans se départir de son sourire affable. Sa chevelure bleue marine s’élevait s’abaissait légèrement au rythme de ses pas. Son chic manteau, qu’il laissait élégamment entrouvert, était assorti à sa chevelure, donnant ainsi une touche d’harmonie à son corps svelte… Ses yeux rieurs se baladaient entre Tza, Eily, et Ifios. Jamais quelqu’un n’avait paru à la fois aussi inoffensif et redoutable à la fois.
Arrivé en bas de l’escalier, l’homme se tourna vers Eily et Ifios, avant de poliment se courber :

— Enchanté, jeunes gens. Comme vous l’aviez peut-être deviné, je me nomme Omilio, quatrième Foréa Impérial. Je vous remercie de vous êtes occupé de ma sœur pendant le trajet.
— …, soupira Tza.
— … ! réagit vivement Ifios.
— Nyah ?

Eily faillit tomber à la renverse :

« S-Sa sœur ? Il ne veut quand même pas parler de… Tza ? Tza est… la sœur d’Omilio ?!  … mais… une minute…»

Soudain, une scène très particulière revint en mémoire de la demoiselle cyan. Le fameux soir où elle s’était échappée des montagnes Agrios, Eily avait découverte Tza en pleine écriture d’un roman. Un roman assez particulier, parlant d’un amour impossible entre un frère et une sœur…
Eily se retourna subitement vers Tza, qui détourna immédiatement son regard, comprenant qu’Eily avait compris.

— Eily, et Ifios, c’est cela ? continua Omilio.
— O-Oui, bafouilla l’ex-Agrios.

Eily hocha juste la tête.

— C’est un honneur de faire enfin votre connaissance, rajouta le Foréa. Mais j’imagine que vous êtes hantés de questions ; si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre, je me ferais un plaisir d’éclairer vos lanternes.

Et tout aussi élégamment, Omilio invita le petit groupe à l’accompagner en haut de l’escalier. Eily sentait une certaine tension s’accumuler au fil de ses pas. Elle attendait beaucoup de cette future conversation, ses futurs choix y dépendaient.


 ***

 Eily et Ifios étaient sagement assis en face d’Omilio et de Tza – qui, elle, était légèrement un retrait. L’office du Foréa, à l’image du reste de la demeure respirait la simplicité et le raffinement. Un lieu calme et charmant, où les sentiments négatifs semblaient inexistants.

— Avant de commencer, pointa Omilio. Pourquoi ne pas appeler votre ami, mademoiselle ?

La demoiselle cyan comprit rapidement les paroles du Foréa. Elle hocha la tête, et invoqua lentement Caratroc. Une fois dans le monde réel, la tortue rondelette fureta à droite et à gauche, cherchant à comprendre où est-ce qu’il était.

— Enchanté, Ensar, le salua poliment le Foréa.
— … bonjour ? hésita Caratroc.
— Troctroc, lui souffla doucement Eily, c’est Omilio, le Foréa Impérial.
— … ah.

La tortue leva la tête vers le visage paisiblement souriant de l’homme lui faisant face ; lui aussi fut immédiatement frappé par cette implacable aura de paix qui fulminait du célèbre individu.

— Bien, commença Omilio. Maintenant que nous sommes tous réunis, il est temps de vous dévoiler certaines choses.

Eily et Ifios se concentrèrent de plus belle, tout ouïe. Omilio se tourna premièrement vers l’adolescent.

— Toi, Ifios, tu es libre.
— … pardon ? s’étonna-t-il.
— C’est cela. Tu es libre de faire ce qu’il te plaît. Notre mission était simplement de te sortir des montagnes Agrios, le reste ne nous concerne pas.
— J-Je ne comprends pas, avoua Ifios. Pourquoi… pourquoi moi ? Personne ne me connaît à l’extérieur non ? Pourquoi avoir lancé une mission pour… sauver le fils du Boss des Agrios ?!

Omilio lui servit son plus aimable sourire.

— Ça, ce n’est malheureusement pas à moi de te le dire. Mais rassure-toi, un jour, tu auras la réponse. Lorsque tout le monde sera prêt.
— Mais…
— Bien sûr, je ne compte pas te relâcher dans la nature sans rien. Je vais t’héberger un moment, le temps que tu trouves ce que tu veux faire. Tu peux également refuser mon aide et partir vers d’autres villes également ; encore une fois, tu es libre.
— Cela signifie-t-il que moi, je ne le suis pas ?

Eily leva les yeux vers Omilio, rebelle. Le Foréa pouffa indistinctement.

— Toi, ma chère Eily, c’est différent. Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu es une Foréa bien particulière. Tu ne tiens pas tes pouvoirs du Vasilias, et tu peux invoquer un Ensar sans Ishys. Tu es une véritable énigme pour nous, mais également un danger pour Prasin’da. Que se passerait-il si ta particularité se révélait au public ? Ou que tu deviennes une ennemie ? Nous, représentants du pouvoir, ne pouvions laisser de tels scénarios se dérouler.
— Que comptez-vous faire, alors ? Me garder en cage ?

Omilio secoua doucement la tête.

— C’est… inexact, lâcha-t-il finalement. Nous allons te garder sous surveillance. Je possède un autre manoir à Aifos, tu pourras l’utiliser à ta guise. Nous ne voulons pas te garder prisonnière, Eily, mais sache que tant que nous ne serions pas certains à propos de toi, nous ne pouvons te laisser librement dans la nature.
— …
— Toutefois, tu peux toujours vaguer à travers Aifos. Tu verras, c’est une grande ville, tu ne t’y ennuieras pas. Je peux également t’autoriser à faire de courts voyages, en compagnie d’une escorte.

Le visage d’Eily s’assombrit. Elle n’aimait pas ce que ce Foréa lui racontait. En résumé, elle n’était qu’une bête de foire à garder continuellement sous surveillance. Elle n’était pas venue pour ça.

— Et si je vous désobéis ? lança-t-elle à tout hasard.
— Dans ce cas…

Omilio soupira, désolé.

— J’espère que ce cas n’arrivera pas mais, si tu nous résistes nous serons obligés d’employer des moyens plus drastiques. Mais tu es une fille intelligente, n’est-ce pas ? Tu sais où se trouve ton intérêt.
— … oui, effectivement.

Eily hocha la tête, résolue.

— Mais si vous poser vos conditions, j’aimerais également poser les miennes.
— Oh ? s’intéressa Omilio.
— Premièrement, je veux en savoir plus sur moi, et sur les Foréa. Je veux apprendre à mieux maîtriser mes pouvoirs, si j’en ai. Deuxièmement, vous saviez certainement que je viens d’un orphelinat, et que ce même orphelinat a été brûlé. Je veux découvrir ce qui s’y est réellement passé.

Omilio sourit.

— Tu veux donc Pouvoir et Vérité, s’amusa-t-il. Une combinaison intéressante ; et je devine que Vengeance complète la trilogie ?
— …
— Hé bien soit. À vrai dire, je comptais tester tes pouvoirs depuis le début. Tu es le premier cas de Foréa naturelle, j’ai hâte de savoir de quoi tu es véritablement capable. Concernant ton orphelinat, tu n’es pas sans savoir que nous autres, Foréa Impériaux, sommes les bras armés de la justice. Il est évident que nous faisons déjà notre possible pour découvrir les raisons de cette atroce attaque.
— Je veux être informé en détail de chaque avancée, exigea Eily.
— Bien évidemment, accorda Omilio.

Le Foréa Impérial fixa Eily quelques secondes. Il sentait encore une certaine méfiance dans ses yeux, mais il en était guère surpris.

— Encore une chose, s’avança Omilio. J’ai encore une chose à te demander, Eily.
— … ?
— Que dirais-tu de… profiter de la vie ?
— J-J’ai peur de ne pas saisir…
— Tu l’as dit toi-même, tu as vécu des choses épouvantables. Le massacre de l’orphelinat, l’esclavage chez les Agrios… mais tout cela est fini désormais. Tu es à Aifos, la ville de la sagesse, l’une des plus grandes agglomérations de tout Prasin’da, réputée pour sa qualité de vie. Ici, la paix règne. Je ne te demande pas d’oublier tout ton passé, mais pourquoi ne pas profiter du moment présent ?

Omilio gentiment hocha la tête, se voulant rassurant.

— Tu es encore perturbée, ta vue est brouillée. Je vois dans tes yeux que l’horreur domine sur la vie. Il ne faut jamais laisser ses sentiments négatifs prendre le dessus, ce n’est que les prémices de la déchéance.

Eily se mordit les lèvres. Ce type… venait de la cerner, aussi rapidement ? La demoiselle cyan eut un rictus amer, peu habituée à être aussi lisible.

— Je vais te laisser quelques jours de repos, dans mon manoir, le temps que tu puisses digérer ses évènements tragiques. Lorsque ton esprit sera enfin calmé, nous pourrions enfin commencer à travailler ensemble. S’il y a une chose que j’ai apprise avec les années, c’est qu’il ne faut jamais brusquer les choses.

Eily acquiesça à contrecœur. Elle le savait ; cet Omilio avait parfaitement raison. Ces derniers temps, elle ne pensait qu’à la vengeance ; son cœur s’était trop assombri, elle n’était même plus capable d’être elle-même.

— … j’ai besoin d’un moment, déclara la demoiselle cyan.
— Prends ton temps, sourit Omilio.

Eily se leva et fit signe à Caratroc de la suivre. Le duo sortit de l’office du Foréa, et se plaça dans un coin du mur.

— Qu’est-ce que tu en penses ? souffla Eily à son Ensar.
— Mmh…

Caratroc se plongea dans ses pensées, pesant le pour et le contre.

— Je ne sais pas si on peut avoir confiance en ce Foréa, répondit-il enfin. Mais son offre est intéressante. Nous n’avons nulle part où aller, et aucune ressource. Lui, il nous offre un lieu où vivre temporairement. Toutefois, il faudra bien évidemment rester méfiants.
— Je pense la même chose, avoua Eily. Il l’a dit lui-même, il veut nous surveiller. Déterminer si nous sommes une trop grande menace, ou pas. On ne pourra pas savoir comment la situation va évoluer.
— En tout cas, nous sommes obligés d’accepter ce qu’il propose, pointa Caratroc. Selon ses propres dire, si nous nous montrons pas coopératifs, il emploiera des moyens ‘‘drastiques’’…

Un rire aigre s’échappa d’Eily. Effectivement, vu comme ça, la fenêtre de choix était bien mince. La mort ou l’obéissance ; le piège était subtil.
Ayant pris leur décision, Eily et Caratroc retournèrent à l’office d’Omilio.

— Très bien, annonça Eily, j’accepte d’être mise sous surveillance. Mais j’attendrais également que chacune de mes demandes soit satisfaite. Je ne veux pas être un simple objet de curiosité ; c’est du donnant-donnant.

Omilio acquiesça aimablement.

— Bien sûr, cela va de soi. Nous ne voulons pas te réifier, Eily, mystérieuse Foréa ou pas. Au contraire, nous voulons avant tout que tu puisses vivre pleinement, à l’abri du besoin. Car qui sait, peut-être que ce sera toi, un jour, qui nous nous sauvera tous…

Le Foréa Impérial conclut l’entretien sur ces paroles énigmatiques, avant de demander à Tza d’accompagner le duo d’adolescents vers son manoir secondaire.
Ifios était encore plus perdu qu’avant ; finalement, ce Omilio ne lui avait donné aucune réponse. Il avait réussi à détourner la discussion sur ses propres exigences, occultant celle des autres.
Eily partageait cet avis. Elle comprenait qu’il fallait faire très attention face à ce Foréa. Ses yeux rieurs et son sourire affable n’étaient que d’immondes pièges pour endormir la vigilance. En quelque sorte, Omilio ressemblait à la demoiselle cyan ; mais cette dernière distinguait amèrement que le Foréa était bien plus doué qu’elle dans ce domaine.
Toutefois, Eily ne comptait pas rester éternellement passive. Pour l’instant, elle laisserait Omilio faire ce qu’il veut, mais dès qu’elle percevra l’occasion, elle forcerait ce beau parleur à lui révéler tout ce qu’il cachait.

« Foréa ou pas, tu ne perds rien pour attendre… », ricana lugubrement la demoiselle cyan.