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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 25/06/2017 à 18:23
» Dernière mise à jour le 05/07/2017 à 05:33

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 7 : Ne rien abandonner.
 Ifios s’en arrachait les cheveux. Il avait beau chercher à droite ou à gauche, demander au plus sobre des bandits, ce fichu manteau restait introuvable. Pire, selon la rumeur, les Agrios avaient décidé de se débarrasser du vêtement ; comme il appartenait à la Morte, il devait forcément être maléfique.

— Bande d’imbéciles superstitieux…, grommela Ifios.

Malheureusement, le garçon ne pouvait pas se permettre d’attendre plus longtemps. Il devait partir et mettre son plan à exécution. Plus le temps passait, et plus le risque que Danqa ne découvre la disparition de la carte des passages secrets était élevé. À partir de moment où Ifios s’était introduit dans l’antre du Boss, un compte à rebours s’était enclenché ; à chaque seconde, l’adolescent pouvait tout perdre.
De plus, dès demain, il devrait donner sa réponse à Danqa, sur sa décision de rester ou non ; Ifios devait à tout prix exécuter son plan avant.

Ifios se fit à l’idée qu’il ne pourrait pas tenir sa promesse. Ce soir, il lancera son plan d’évasion. Eily lui pardonnera certainement. L’adolescent savait que ce manteau revêtait une importance capitale pour la demoiselle cyan, mais là, il était question de vie ou de mort. Ifios espérait juste qu’elle ne soit pas trop en colère… bien qu’il avait bien dû mal à imaginer cette boule de douceur ressentir la moindre aigreur.


 ***

— … je vois, on y peut rien, alors.

Ifios sentit tous ses muscles se détendre devant le sourire d’Eily. Elle réagissait très bien à la nouvelle ; aucune trace de colère ou frustration n’était présent sur son innocent visage. Ifios ne s’était pas trompé : cette fille était bien trop pure pour ressentir le moindre sentiment négatif !

— Encore désolé, geignit Ifios, mais le temps presse. Je passerais à l’assaut ce soir, tard dans la nuit. J’ai étudié les rondes des gardes, je pourrais les prendre par surprise.

La demoiselle cyan acquiesça docilement.

— Eily, je compte sur toi pour préparer les autres esclaves. Il faut qu’ils soient tous en condition au moment où j’arriverai. Vitesse et précision seront nos maîtres mots.
— Je ferais de mon mieux. Ifios, merci de te donner tant de mal pour nous…
— C-C’est naturel ! J-Je te l’ai déjà dit ! rougit l’adolescent.
— Quoi qu’il en soit, fait attention à toi, Ifios. Cela me peinerait beaucoup qu’il t’arrive malheur.
— … j-je… euh… n-ne…

Ifios n’eut pas le temps de bredouiller qu’Eily fut rappelée à ses tristes occupations. Revenu à la réalité, Ifios serra le poing, impatient.

« Courage, Eily, il ne te reste plus qu’une journée à supporter ! »

Et il quitta le camp des esclaves, passant le reste de la journée à finir ses propres préparatifs.


 ***

 La demoiselle cyan toussa douloureusement ; elle tenta d’étouffer son malaise en resserrant ses dents le plus possible. Elle devait absolument maintenir son image de Morte inquiétante et inébranlable, surtout maintenant que tout allait bientôt se terminer. Puisant dans ses dernières forces, l’esclave saisit fortement sa pioche et cogna avec désespoir le mur de la mine.

Ceci dit, Eily ne pensait pas qu’Ifios succomberait aussi vite. Selon ses calculs, elle aurait dû le faire mariner encore un jour ou deux avant de lui demander de l’aider. Que le fils de Danqa lui-même prenne l’initiative d’un plan d’évasion la surprenait ; Eily avait même pensé à un moment à un piège. Mais cette hypothèse fut rapidement écartée.

« Je peux lire en ce type comme dans un livre ouvert… et ce livre ne contient sûrement pas le mensonge. »

Même si elle appréciait Ifios comme compagnie humaine, Eily ne pouvait s’empêcher un rictus moqueur lorsqu’elle pensait à lui. Un garçon naïf, ignorant, facilement manipulable… au fond, ce n’était pas si étonnant qu’il ait pensé durant toutes ses années que l’esclavage n’était pas si horrible.

« Ce Ifios pourrait croire que l’océan est sucré si on le lui disait… »

Pour Eily, un individu aussi faible était une cible facile, mais aussi terriblement inintéressante. Et son côté à vouloir jouer les chevaliers servants, l’horripilait.

« Il doit certainement me voir comme une fille fragile à protéger… »

Dans un certain sens, Ifios ressemblait à Nester. Mais contrairement au fils de Danqa, le fils de l’orphelinat avait une véritable force de caractère. Eily ne l’avait jamais vu bredouiller devant les difficultés ; même s’il était fondamentalement faible. Au contraire même, Nester se relevait toujours, il cherchait sans cesse à s’améliorer, il n’abandonnait jamais. Eily l’admirait pour cela – bien que ça ne l’empêchait pas de lui jouer de sales tours. Quant à Ifios ?

« Pas fichu de retrouver mon manteau… »

Ah ça, il faisait le beau parleur le fils de Danqa. Mais au final, où étaient les résultats ? Tous ses ‘‘Ce sera une partie de plaisir’’ ou ‘‘Tu peux compter sur moi !’’… du vent, oui. Il voulait simplement se donner un genre devant la demoiselle en détresse. Lorsqu’Ifios lui avait annoncé son échec, Eily avait bien eu envie de lui dire tout ce qu’elle pensait de lui. Elle l’avait prévenu pourtant, ce manteau était extrêmement important pour elle ; Eily en voulait à Ifios de lui avoir donné des faux espoirs. S’il n’était pas certain de pouvoir récupérer le manteau, il aurait simplement dû le dire, sans mentir. Elle l’aurait beaucoup mieux pris.

Ifios se vantait également d’avoir récupéré une carte indiquant les passages secrets. Mais n’était-ce pas un jeu d’enfant pour lui, le fils du Boss ? D’après ce qu’il lui avait raconté, il avait usé de son statut d’héritier pour forcer le passage. Qu’aurait-il fait s’il n’était qu’un simple bandit sans aucune influence ? Sans doute rien ; il aurait abandonné, comme pour le manteau.

« Ce Ifios est typiquement le genre à jouer uniquement avec ses cartes, sans chercher à s’en procurer de nouvelles. »

La demoiselle cyan n’était même pas entièrement convaincue par l’efficacité de ce fameux plan d’évasion nocturne. Une chose était certaine, elle ne pouvait pas compter uniquement sur lui. Elle allait devoir y mettre de sien, avec l’aide de Caratroc. Eily avait bien l’intention de libérer son Ensar ce soir ; quitte à tout donner, ce n’était pas le moment de garder un secret.

Pendant des heures et des heures, Eily se mit mentalement en condition. Elle allait devoir se battre. Fatalement, les souvenirs de l’orphelinat remontaient amèrement. Elle n’oublierait jamais la sensation d’impuissance qu’elle avait éprouvée. Ne rien pouvoir faire, rester passive, pendant que tout ce qui lui était cher périssait. Eily aurait préféré mourir ce jour-là ; elle n’avait absolument aucune idée de la raison de sa survie, une volonté divine, peut-être ? Un dieu bien cruel, dans ce cas.

Mais au bout d’un mois, Eily s’était faite une raison. Puisqu’elle était en vie, elle allait en profiter. Elle allait surmonter son impuissance, elle allait devenir forte. Elle fera tout pour découvrir la vérité sur ces mystérieux hommes en tenue verdâtre armés d’étranges outils de morts. Et pour cela, elle devait avant tout s’enfuir d’ici… sans pour autant oublier qui elle avait été.


 ***

 Inexorablement, le soleil entama sa descente jusqu’à disparaître à l’horizon, et tel un effet de balance, la lune le remplaça progressivement. L’obscurité devint maître des montagnes, quelques lanternes luttaient vaillamment contre le despote, mais leur force était bien trop insuffisante.

Une fois les gardes temporairement hors du souterrain, Eily se leva. Il devait remplir sa part du marché. Lorsqu’Ifios arriverait, il faudrait que tous les esclaves soient prêts à partir. Ils devaient être une cinquantaine en tous. Eily n’était pas dupe, si elle se mettait à proclamer, comme ça, que quelqu’un allait les libérer, personne ne la croirait. D’autant plus qu’Eily subissait les conséquences de sa réputation ; qui ferait confiance en la ‘‘Morte’’ ?
Toutefois, la demoiselle cyan savait s’adapter. Elle possédait un moyen pour passer de démon à ange ; elle y avait réfléchi bien avant sa rencontre avec Ifios.

Eily se plaça bien au centre de la cellule, à la vue de tous. Les autres esclaves la regardèrent, interloqués et apeurés. D’habitude, la malfamée Morte restait dans son coin, à marmonner dans le vide. Pourquoi diable changeait-elle de comportement maintenant ?

La demoiselle cyan expira doucement et brandit sa main droite. Elle l’avait emmitouflée dans un tissu qu’elle avait arraché à sa couverture de fortune, de sorte que sa main semble gantée. L’illusion était loin d’être parfaite, mais dans l’état où ils étaient, les esclaves n’allaient pas s’attarder sur des détails.

Petit à petit, une aura mystique sembla envelopper la main d’Eily, et un rayon irisé frappa le sol près de ses pieds, avant de prendre la forme d’une étrange tortue bien rondelette. Des petits cris commencèrent à s’élever, mais Eily les fit taire d’un mouvement de bras.

— Je vous dois la vérité, proclama-t-elle. Je ne suis pas une esclave ordinaire, ni même une humaine ordinaire. Ce que vous voyez là, est un Ensar. Mon Ensar, Caratroc.
— Enchanté, salua ce dernier à la stupeur générale.

Eily présenta sa main ‘‘gantée’’ de façon à ce que tout le monde la voit, avant de poursuivre.

— Le Vasilias en personne m’a donné ce Ishys, pour vous sauver.

La mention du dieu-vivant fit vivement réagir les esclaves, certain se mirent même à prier et à embrasser le sol. C’était dire si le culte du Vasilias était fort à Prasin’da. Même si la plupart des esclaves avaient fini par ne plus croire en la providence, le fait de voir une soi-disant proche de Vasilias suffisait à faire germer les plus folles pousses d’espoir.

— Du calme, exigea Eily, il ne faut pas que les bandits nous entendent. Je sais que pour beaucoup d’entre vous, je suis une ‘‘Morte’’, et je n’ai rien fait pour casser cette image. Mais comprenez que j’avais besoin d’une couverture pendant mon ‘‘séjour’’ ici. Je suis désolée d’intervenir aussi tard, mais il me fallait récolter des informations avant d’agir. Il serait folie d’attaquer de front et de risquer la vie de tous, j’espère que vous comprendrez.

Les esclaves buvaient ses paroles sans se poser de question, et hochèrent vivement la tête. Pour eux, la demoiselle cyan était désormais une envoyée divine. Il n’y avait aucun doute à avoir, elle possédait un Ensar et un Ishys ; c’était forcément une Foréa, une demi-déesse, qui avait forcément des raisons célestes qu’eux, pauvres mortels, ne pourraient jamais prétendre comprendre.

Eily savoura la nouvelle puissance qu’elle venait acquérir. Cette foule de regards dociles et soumis qui la suppliait la revigorait. Si elle ne se retenait pas, elle éclaterait de rire.

« C’est donc ça l’influence d’un Foréa ? constata mentalement Eily. C’est effarant… nyahahaha… »

— Eily… ! la rappela discrètement à l’ordre Caratroc.

Prise sur le fait, la demoiselle cyan se calma. Elle était cependant rassurée que tout se passe aussi bien. Il n’y avait que quatre Foréa travaillant pour le Vasilias, des personnalités public et très célèbres. Et elle, Eily, était tout à fait inconnue. N’importe qui aurait compris que quelque chose clochait.

« Mais peut-être sont-ils trop désespérés pour mettre en doute un espoir inespéré ? »

C’était la seule explication qu’elle pouvait trouver, ce qui l’arrangeait bien par ailleurs. En l’état actuel des choses, les autres esclaves devaient simplement obéir sans poser de question ; ce qu’ils avaient toujours fait en somme. Des divergences – même fondées – ne feraient que ralentir et mettre en danger les autres.

— Certains d’entre vous connaissent certainement Ifios, le fils de Danqa aux Griffes. J’ai altéré son libre-arbitre grâce à mes pouvoirs, suffisamment pour qu’il trahisse les siens. Il m’a appris l’existence de nombreux passages secrets, que nous allons utiliser pour nous enfuir. Ne vous inquiétez pas, je contrôle parfaitement Ifios, il ne nous trahira pas.

C’était un demi-mensonge. Eily avait choisi de taire le fait qu’Ifios était celui à l’origine du plan. Si la demoiselle cyan avait désormais toute la confiance des esclaves grâce à son subterfuge, ce n’était pas le cas du fils de Danqa. Comment pourraient-ils confier leur vie au fils de leur ennemi ? Toutefois, si Eily proclamait que ce même fils était entièrement sous son emprise, que c’était elle et elle seule qui tirait les ficelles et qu’Ifios n’était qu’un pion, tout était bien plus simple à assimiler.

— Ifios devrait bientôt arriver, il ouvrira les grilles et vous emmènera plus bas, où un passage vers votre liberté vous attend. Il faudra faire le moins de bruit possible, si les Agrios arrivent en masse, je ne pourrais garantir la sécurité de chacun. Vous avez compris ? Répondez en hochant la tête.

Tous obéirent. Encore une fois, la sensation d’être le maître absolu grisa Eily. Aucun des esclaves n’avait prononcé le moindre son, ils avaient tous hoché la tête, comme elle avait ordonné.

« Je me demande si je pourrais en profiter… je suis certaine que si j’ordonne quelque chose, ils le feront sur-le-champ… voyons voir… »

— Eilyyy…, grinça Caratroc.

L’Ensar devinait bien ce qui se passait dans le crâne de sa partenaire. Il lança un discret regard noir à Eily, qu’elle ne parte pas en vrille. La demoiselle cyan remarqua qu’elle commençait à perdre les pédales et toussota légèrement.

— En attendant, essayez de ne pas paraître suspects. La perspective de pouvoir sortir doit vous exalter, mais comprenez que le succès de l’opération dépend beaucoup de la surprise. Restez tout de même en alerte, lorsqu’Ifios surgira, il faudra agir immédiatement.

Eily vérifia que tout le monde avait bien assimilé ses dires, avant de faire mire d’avoir oublié quelque chose :

— Oh, chose importante. Contrairement aux quatre Foréa Impériaux qui dans l’existence est public, la mienne est secrète. Cela explique qu’aucun de vous n’a entendu parler de moi auparavant, mais je vous assure que mon titre de Foréa est authentique. Toutefois, je vous prierais de bien vouloir garder mon identité secrète une fois que vous seriez à l’air libre.

Une dernière fable, pour solidifier l’illusion. Eily préférait ne laisser aucune brèche dans sa toile de mensonges. C’était là le secret des charlatans, toujours avec une explication à tout, et de préférence, une explication invérifiable. La demoiselle cyan n’éprouvait aucun scrupule à tisser autant de mensonges, mieux même, elle adorait ça.

« C’est juste trop amusant, nyahaha… »

Caratroc leva les yeux au ciel. Même dans une telle situation, Eily demerait intenable. Dans un sens, il était rassuré qu’Eily restait elle-même après tout ce qu’elle avait vécu. Mais l’Ensar avait néanmoins un mauvais présentement. Il connaissait Eily comme personne, et il ne pouvait pas s’empêcher d’apercevoir une étrange lueur dans les yeux de sa partenaire… comme si elle préparait un très, très mauvais coup.


 ***

 Ifios ne cessait de caresser la garde de son cimeterre. Il priait pour ne pas avoir à l’utiliser, mais il ne se faisait pas d’illusion. C’était absolument impossible de ne pas croiser quelques gardes en chemin – surtout qu’il devait leur voler les clefs des cellules. Et ces-dits gardes il faudrait s’en débarrasser ; par ‘‘débarrasser’’, Ifios entendait plutôt ‘‘mettre hors d’état de nuire’’ ; il n’était pas encore prêt à prendre la vie, et espérait ne jamais l’être.

L’adolescent se faufilait entre les tentes et rochers, profitant de l’obscurité. Il atteint rapidement l’entrée du premier passage secret, qui devait le mener droit aux cellules des esclaves. Cette première étape était la plus facile, ce n’était qu’une fois de l’autre côté que les choses commenceront à se gâter.

« Alors, si je me souviens bien… ah, ici. »

Sur le mur de roche, Ifios tourna à 180° une pierre en forme d’étoile. Aussitôt, dans un léger crissement rocheux, le passage s’ouvrit ; Ifios soupira de soulagement. Même s’il avait déjà testé ce passage la veille, il ne pouvait s’empêcher d’avoir un petit doute. Et si le tunnel ne s’était pas ouvert ? Il aurait eu l’air bien malin.
Une fois ses tourments futiles rassurées, Ifios s’inquiéta pour quelque chose de plus concret :

« J’espère que le crissement n’a réveillé personne… ce serait bête que l’alarme sonne aussi tôt. »

Préférant ne plus penser à ça, l’adolescent alluma sa lanterne et s’engouffra dans le sombre passage. Les murs rocheux étaient aussi étroits que la dernière fois, mais il parvenait tout de même à avancer à un rythme régulier. Au fur et à mesure qu’il avançait, Ifios prit conscience de ce qu’il était réellement en train de faire.

Il trahissait les Agrios. Une groupe de bandits sans pitié, dirigée par le colossal Danqa aux Griffes, un prédateur pouvait déchiqueter ses proies sans efforts. À partir de maintenant, tous les Agrios étaient ses ennemis. Cette réalisation fit brusquement monter sa pression sanguine. Il dut s’arrêter un moment, le temps de reprendre son calme ; il n’y arriva pas. Ses bras et jambes chancelaient toujours. Le moindre bruit, que ce soit une goutte d’eau tombant du plafond ou le choc d’un caillou sur sa botte, le faisait sursauter.

« Bordel, Ifios, tu assures pas là… »

Il n’y pouvait rien, même l’image d’Eily ne parvenait à l’apaiser. Son esprit était hanté par son père, Danqa. Ce géant aux quatre cimeterres meurtriers. Subir le courroux d’un tel monstre ne pouvait avoir qu’une résultante : une mort longue et cruelle.

Il était encore tourmenté par ses sombres craintes lorsqu’il arriva au bout du tunnel. Il hésita un moment à faire demi-tour. Après tout, il n’était pas obligé d’aider les esclaves. Il pouvait très bien prendre tout seul l’un des nombreux tunnels menant hors des montagnes Agrios. Il pourrait disparaître dans la nature, sans prendre de risque.

« Mais à quoi est-ce que je pense ?! »

Ifios secoua vivement la tête. Non, il ne pouvait pas faire ça. Il s’était engagé. Il avait ses valeurs. Il avait Eily. Il ne pouvait pas tout balayer d’un revers de main, au nom de son égoïste petite sécurité. Ravalant sa salive, raffermissant sa poigne sur son cimeterre, Ifios tourna à 180° une pierre étoilée incrustée au mur.


 ***

— Hé, vous n’auriez pas entendu quelque chose ?
— Qu’est-ce que tu racontes encore idiot ? ricana un bandit.
— … j’ai l’impression d’avoir entendu un bruit… caverneux ?
— C’est tout ce que t’as trouvé pour faire diversion ? Dépêche-toi de jouer, lâche !
— … grrr…

Dans la salle des gardes, les Agrios étaient en pleine partie de poker. Les jeux d’argent étaient un grand classique pour passer le temps la nuit. Techniquement, ils devaient se relayer pour surveiller les esclaves, mais ce n’était pas comme si ces derniers pouvaient s’enfuir, enfermés dans leur cellule d’acier !

À moitié camouflée derrière un mur, un certain adolescent se mordait frénétiquement les lèvres, victime d’une mini-crise cardiaque.

« C’est pas passé loin ! »

Ifios essuya ses mains moites sur sa tunique. Il repéra discrètement sa cible, des clefs posées sur la table.

« Impossible de les voler l’air de rien… »

Ce qu’il redoutait arriva fatalement. Il devait se battre. Il y avait quatre gardes ; quatre cibles à faire tomber. Ifios était plutôt confiant en ses capacités, malgré son jeune âge, il avait une maîtrise du cimeterre supérieure à la moyenne des Agrios. Cependant, il avait une chose de capitale en moins : l’expérience réelle.

« N’empêche, déjà un imprévu… »

À la base, Ifios avait étudié les tours de gardes justement pour affronter un maximum de deux adversaires. Il n’avait jamais pensé que les bandits puissent ignorer leur devoir et jouer aux cartes à la place !

« Bon, assez perdu de temps. »

Pendant qu’il était là, à planquer comme un idiot derrière son mur, Eily et les esclaves l’attendaient. Il était leur seul espoir, il ne devait pas traîner plus longtemps.
Ifios affûta sa volonté, avala sa salive et commença un décompte dans sa tête :

« 3… »

Cette fois-ci, c’était sérieux. Il allait retourner sa lame contre les Agrios.

« 2… »

L’erreur n’était plus permise. Il était un traître, et chez les Agrios, les traîtres étaient éliminés.

« 1… »

Ifios avait beau être le fils de Danqa, ce dernier ne le protégerait pas. Au contraire même, s’il se faisait capturer, ce serait certainement lui qui lui trancherait le cou.

« Maintenant ! »

Ifios surgit vivement de sa cachette. Il cogna brutalement le crâne d’un bandit – encore assis – avec la garde de son cimeterre. Il enchaîna rapidement en fracassant une bouteille qui traînait sur la table sur la tête d’un autre. Les deux Agrios tombèrent au sol sans avoir eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait.

— … !

Mais les deux restants, eux, avait eu largement le temps d’assimiler l’information. Ils bondirent de leur chaise, empoignant leur propre cimeterre.

— P’tit Boss ?! s’étonna un bandit.
— Qu’est-ce que tu nous fais, là ?!

Ifios resta silencieux, analysant la situation du mieux qu’il le pouvait. Il haussa sa lame, et fusa vers ses deux adversaires, toujours un peu confus. Mais les Agrios avaient de bons réflexes. À deux, ils parvinrent à contenir la rage du fils de Danqa, avec néanmoins des difficultés.

— Tss, tu veux jouer, hein…

Leur surprise s’envolant petit à petit, la vigueur des bandits se fit de plus en plus féroce. Toutefois, leurs gestes restaient hésitants, ils n’étaient clairement pas à l’aise à l’idée d’affronter le fils de leur Boss. Ifios profita allègrement de leur indécision, ainsi que de sa petite taille, pour éviter leurs assauts avec une grande facilité.

Ifios réalisa cependant que sa force brute était juste suffisante pour dévier les coups mais pas pour prendre le dessus. Le jeune guerrier changea donc de stratégie. Il planta prestement sa lame sur le sol et s’en servir pour prendre un solide appui afin d’élever son corps. Il fit brutalement tournoyer ses pieds, qui étaient arrivé à la hauteur du crâne de ses adversaires grâce à sa manœuvre.
Les deux bandits furent frappés simultanément ; ils reculèrent, surpris. L’un des gardes lâcha son cimeterre ; Ifios le récupéra dans la foulée. Doublement armé, Ifios n’eut aucun mal à assommer le bandit désarmé. Le second fut également rapidement dépassé, surtout lorsqu’Ifios effectua une parfaite balayette qui le projeta au sol. Deux coups de garde d’acier sur le crâne, et le bandit fut éjecté au pays des rêves.

Seul devant les quatre corps inconscients, Ifios avait envie de hurler tant il était tendu. Ses jambes refusant de bouger, il fut forcé de se donner lui-même un coup au crâne pour reprendre conscience.

— Allez, ce n’est pas fini ! grinça-t-il.

La peur reprenant légèrement le dessus, Ifios se dépêcha de récupérer la clef des cellules et fonça vers les profondeurs des souterrains, là où se trouvait les esclaves.


 ***

 Eily fut la première à remarquer le changement dans l’atmosphère. Elle caressa la tête de Caratroc. Le moment était arrivé. La demoiselle était rassurée de voir qu’Ifios avait tenu parole, mais rien n’était encore joué.

— Il arrive, déclara-t-elle discrètement aux autres esclaves.

Caratroc remplit sa carapace de toile gluante ; il se tenait prêt à faire feu aux moindres problèmes. Il savait qu’Eily comptait énormément sur lui, il ne pouvait pas se permettre de la décevoir.

Une minute plus tard, la silhouette d’Ifios se dessina. Sans s’arrêter, il se précipita vers les cellules et les ouvrit nerveusement. Il était si pressé qu’il ne remarqua pas l’étrange tortue sur la tête d’Eily.

— S-Suivez-moi ! s’écria-t-il alors qu’il était lui-même en sueur.

Les esclaves ne se firent pas prier. Ils se levèrent comme un seul homme et s’engouffrèrent avec Ifios jusqu’au niveau le plus profond de la grotte. Eily restait à l’arrière, s’assurant qu’aucun bandit n’arrivait. Mais elle avait une raison plus personnelle de s’être placée ici.

La cinquantaine d’esclaves avançait avec difficulté, mais avançait tout de même. Ils étaient parfaitement conscients que c’était leur unique chance. Qu’importe que certains étaient blessés ou épuisés, ils surmontaient leurs souffrances dans un ultime élan de liberté.

— C’est là !

Soudain, Ifios s’anima. Il manipula le mur rocheux et aussitôt, un passage s’ouvrit. Les esclaves s’y engloutirent, comme prit d’une brusque folie.

— D-Doucement, tenta Ifios. C’est un vrai complexe à l’intérieur, il ne faut pas vous perdre !

Mais les esclaves avaient autres choses à faire que d’écouter une faible voix. Leur esprit imaginait déjà l’air frais du dehors.
Eily resta immobile, observant les prisonniers se comporter comme un troupeau d’animaux affolés. Maintenant qu’ils étaient dans le tunnel, ils finiraient bien par trouver la sortie.

« Quant à moi… »

Discrètement, Eily fit demi-tour, résolue. Elle aurait espéré pouvoir remonter sans se faire repérer, mais c’était sans compter Ifios, qui avait toujours un œil sur elle.

— … Eily ?

La demoiselle cyan soupira, mais se retourna tout de même.

— J’ai encore une chose à faire, déclara-t-elle.
— J-Je ne comprends pas… tu es libre ! Pourquoi tu veux revenir là-haut ?!
— Mon manteau.
— … pardon ?
— Je veux récupérer mon manteau.

Ifios écarquilla les yeux, comme s’il venait d’entendre la plus grande bêtise de sa vie.

— Tu ne peux pas comprendre, Ifios, répliqua froidement Eily. Ce manteau est le seul lien qui me relie à ce que je suis réellement. Et plus encore, il est l’unique souvenir de ma vie à l’orphelinat. Nester, Athoo, mamie Losyn, et même la surveillante… j’ai l’impression qu’ils m’attendent, à travers les fibres de ce seul souvenir, que l’avoir à nouveau me procurerait encore leur présence… Tu me penses sûrement folle, mais c’est ainsi. Ce manteau est une partie de moi, de mon passé. Je ne peux l’abandonner, se serait m’abandonner moi-même.

Ifios en resta estomaqué. Jamais il n’avait vu la demoiselle cyan aussi sérieuse… et aussi froide. Ce fut à ce moment qu’il le remarqua, cette étrange créature sur le crâne d’Eily. La foule de question se bousculant dans sa tête l’envoûta et l’entrava :

« Mais c’est quoi ce bordel ?! »

Pendant qu’il hésitait, Eily et son étrange créature continuèrent son ascension, sans s’arrêter une seconde. La demoiselle cyan savait qu’elle se jetait dans la gueule du loup. Peut-être que ce serait son dernier acte avant sa mort. Mais ce manteau grenadine était la dernière chose qui la rattachait à sa vie d’avant.

La demoiselle cyan fonça. Elle croisa rapidement la route d’autres bandits, qui avaient été alertés par l’agitation souterraine. Eily avait cependant l’effet de surprise pour elle ; avec Caratroc, elle n’eut aucun mal à ligoter chacun de ses assaillants dans d’épaisses toiles gluantes.

À chacun de ses pas, à chaque fois qu’elle mettait un Agrios à terre, sa détermination s’enflammait exponentiellement.

— Je récupérais le fragment de mon passé, coûte que coûte !