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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 19/02/2017 à 09:17
» Dernière mise à jour le 19/02/2017 à 09:17

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 28 - Révélations
Il est des vérités que l’on aurait préféré ne jamais connaître. Ce qui est ironique, c’est que c’est souvent le cas des vérités qu’on a passé toute une vie à chercher.


~*~


Contrastant parfaitement avec l’air sec et suffocant de l’usine, les sous-sols de cette dernière étaient froids, lugubres, et empestaient l’humidité. Guidés par le rai blafard d’une lampe torche, Jessie et James descendaient les marches d’un interminable escalier, censé – d’après leurs souvenirs et les plans du complexe – les guider jusqu’au transformateur.

Le temps pressait, ils en avaient conscience. Néanmoins, ils avançaient avec une lenteur calculée, malgré l’adrénaline qui courait dans leurs muscles. Il aurait été bête de faire planter l’opération à cause d’une jambe cassée ou d’un tout autre accident dû à une trop grande précipitation.

- Maudits soient ces Sépiatroces ! pestait Jessie, qui grelottait dans ses vêtements détrempés de sueur. Comment ont-ils osé voler des plans qui appartenaient à la Team Rocket ? C’est se moquer ouvertement de nous !
- Ce que je me demande, c’est comment ce type avec le masque a pu se les procurer, lui, fit James. Après l’arrestation de Fantôme, les plans ont été saisis par la justice. Un mois plus tard, l’affaire figurait parmi les affaires non classées, et plus personne n’a entendu parler de ces plans. Je trouve ça louche.
- Tu as raison. Et le fait que ce gusse ait fait un jour partie de la Team Rocket le rend d’autant plus suspect.
- Sans compter qu’il était le disciple de Fantôme, souligna l’homme aux cheveux bleus. Il aurait très bien pu voler ces plans afin de perpétuer la mémoire de son maître…
- Si c’est le cas, il a été bien imprudent de les confier à ces Sépiatroces. J’ignore ce qu’ils comptent faire avec, mais ça ne sent pas bon du tout pour nous !

James acquiesça. Parce qu’ils étaient des Pokémon, personne ne songerait à se méfier des Sépiatroces ; qu’est-ce qu’un Pokémon ferait de plans de construction d’une Pokéball, après tout ? Sauf que ces Sépiatroces n’étaient pas n’importe quels Pokémon. Leur manière d’agir et de penser était presque…humaine. Ce qui les rendait d’autant plus terrifiants, et dangereux.

Plongé dans ses pensées, James faillit manquer la dernière marche de l’escalier de métal. Le soubresaut qu’il eut, en revanche, déstabilisa Jessie qui lui tomba droit dessus. Les deux complices s’étalèrent de tout leur long dans la poussière et les toiles de Mimigal, qui étaient légion dans cette pièce que presque personne ne venait visiter.
James se releva péniblement, et balaya les environs de sa lampe torche. Devant eux, une immense boîte se dressait de toute sa hauteur, rendue presque blanche par la couche importante de poussière qui la couvrait. Deux portes se dessinaient sur sa face avant, toutes deux marquées d’un même symbole : une tête de mort sur deux éclairs en croix. En dessous, en lettres capitales noires, on pouvait lire les mots : POSTE DE TRANSFORMATION HAUTE TENSION. DANGER DE MORT.

- On l’a trouvé ! s’écria James.
- Parfait ! Dépêche-toi de me saboter cette chose, qu’on sorte d’ici au plus vite ! le pressa Jessie en époussetant ses vêtements.

James s'exécuta. La lampe coincée sous le bras, il enfila ses gants en caoutchouc spéciaux, qu’il avait repris à Lem après qu’ils étaient sortis de leur cage, et s’approcha du transformateur. Tout à coup, il sentit quelque chose de gluant s’accrocher à son bras, et le tirer en arrière.

- Hééé ??

James recula, pour conserver son équilibre, quand la même chose gluante s’agrippa à ses bottes, puis à son autre bras. De son côté, Jessie avait affaire au même problème ; une sorte de toile recouvrait ses jambes et ses poignets !
L'homme aux cheveux bleus tâtonna pour retrouver sa lampe torche, tombée au sol. Une fois celle-ci en main, il la braqua sur Jessie, et remonta les fils blancs jusqu’à leur origine. Il ne put retenir un cri de terreur lorsque le cercle de lumière dévoila un essaim entier de Migalos et Mimigal.

- D’où est-ce qu’ils sortent ? s’égosilla Jessie en se débattant. Laissez-moi tranquille !

Les Pokémon Insecte ne l’écoutaient pas. Agitant leurs mandibules avec fureur, ils s’approchèrent dangereusement des bandits dards pointés vers eux.

« Et merde ! Si seulement on avait nos Pokémon avec nous… »

Soudain, comme en réponse à sa prière silencieuse, une racine sortie de terre empoigna le Migalos qui retenait James, brisant les fils de soie collante. D’autres racines se joignirent à la première, et les Pokémon Insecte furent à leur tour piégés. Libérés de leurs liens, Jessie et James s’interrogeaient sur l’origine de cette aide inattendue, lorsqu’une voix bien connue leur lança :

- Besoin d’aide, les copains ?

Les deux bandits faillirent hurler de joie. Miaouss les avaient retrouvés ! À ses côtés, Banshitrouye et Sépiatop s’occupaient de neutraliser les Mimigal et Migalos à grand renfort de Vampigraine et Rafale Psy. Qulbutoké aussi était de la partie : il repoussait les ripostes des Pokémon Insecte grâce à son Voile Miroir. Face à une telle résistance, les assaillants s’enfuirent. Une fois le danger définitivement écarté, Pokémon et dresseurs tombèrent dans les bras les uns des autres.

- Vous en avez mis, du temps ! râla Jessie, dont le sourire trahissait son soulagement.
- Comment tu as fait pour nous retrouver, mon vieux ? demanda James à son partenaire félin.
- Je vous expliquerai plus tard. Pour le moment, il faut se dépêcher de couper le jus de cette usine ! La situation va se corser rapidement, là-haut !

Malgré la tournure inquiétante de cette dernière phrase, Jessie et James choisirent de reporter leurs questions pour plus tard. Ils avaient déjà perdu bien assez de temps. L’homme aux cheveux bleus s’accroupit, força la porte du transformateur et, plaçant ses lunettes de protection, se mit au travail.


~*~

Serena avait la gorge en feu. Sépiatroce multipliait les attaques, se souciant peu de détruire tout ce qui se trouvait autour de lui. Machines tranchées et les robots réduits en poussière jonchaient le sol, dégageant une épaisse fumée noire qui faisait suffoquer la jeune fille et ses Pokémon.
Ravalant une énième quinte de toux, Serena contempla d’un air désolé les machines éventrées par les attaques des Pokémon en plein affrontement. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable d’avoir endommagé autant de matériel… même si elle savait pertinemment qu’ils n’avaient pas vraiment eu le choix.

- Pandess ! Piègle !

Serena reconnut la voix de son Pandespiègle. Inquiète, elle l’appela à travers la fumée. Le panda apparut finalement dans son champ de vision, le pelage maculé de suie. Haletant, il tira légèrement sur la feuille qu’il mastiquait sans cesse, attendant un ordre de Serena.

Cette dernière fit tourner son cerveau à plein régime. « On est trois à l’affronter, et pourtant, il est toujours debout. Je savais qu’il serait coriace, mais là… À ce rythme, on ne va pas tenir bien longtemps ! »

En reculant pour tenter de se soustraire au nuage de cendres, la jeune fille trébucha sur une aspérité, et tomba à la renverse. Retenant un cri lorsque la douleur remonta le long de sa colonne vertébrale, elle constata qu’elle avait buté sur un tapis roulant dégondé, qui gisait tel un serpent mort sur le sol, le support censé le soutenir crachant des étincelles. Effrayée par l’éventualité d’une explosion à cet endroit, Serena crapahuta un peu plus loin, les poumons à vif.
Pandespiègle la suivit, jusqu’à ce que tous deux tombent nez à nez avec Roussil. La renarde rousse tenait son bâton enflammé à la patte, tout en effectuant de petits tours sur elle-même. Elle était sur le qui-vive, à l’affut de la prochaine attaque de leur adversaire.

Tout à coup, une ombre surgit de la fumée, dissipant quelques volutes dans son sillage, avant de s’écraser au sol. Le cœur de Serena se serra de terreur lorsqu’elle reconnut le pauvre Sonistrelle, couvert de poussière et de sang. La chauve-souris pépia furieusement, et se releva, une lueur farouche dans le regard. L’espace d’un instant, la jeune fille crut reconnaître Sacha à travers le petit Pokémon Ondes.

Sacha… Où pouvait-il être en ce moment ? Serena avait beau se persuader qu’il allait probablement bien, elle ne pouvait se défaire de ce pressentiment qui l’avait saisie dès leur arrivée à l’Usine de Pokéballs, et qui n’avait fait que croître depuis…

Ses pensées furent interrompues par le croassement de Sépiatroce. Le Pokémon pieuvre lévitait juste au-dessus de leurs têtes, le tentacule vers l’arrière, prêt à frapper. Serena ne perdit pas une seconde :

- Pandespiègle, Vibrobscur !

L’attaque manqua sa cible, mais eut le mérite de faire reculer leur opposant. Serena réfléchissait à son prochain coup, quand soudain, un claquement sec retentit. La seconde d’après, toute la pièce fut plongée dans le noir. Le bruit des machines cessa subitement ; seul le crépitement de quelques robots isolés perturba le silence qui venait de s’abattre tel un coup de massue.

« Qu’est-ce qui se passe ?! » Affolée de ne plus rien voir, Serena s’accroupit, les mains posées sur le sol comme si elle craignait qu’il n’ait disparu, lui aussi. Pandespiègle et Roussil se collèrent à elle, tendus. D’un murmure, elle leur intima de ne pas faire de bruit. Quelle que fut la cause de cette panne de courant, il ne fallait surtout pas paniquer. S’ils se faisaient repérer par le Sépiatroce, tout serait fichu. Mieux valait profiter de cette obscurité qui handicapait les deux camps.

« Sauf qu’on ne va pas rester éternellement sans rien faire non plus. Qu’est-ce qu’on peut faire… ? »

- Ni ! Nini !

Serena fut interrompue dans ses réflexions par les babillements ténus de Sonistrelle. Si elle ne pouvait le voir, le Pokémon Dragon avait les oreilles dressées au maximum, et les yeux fermés, concentré comme jamais. Puis il les ouvrit – bien que cela ne serve pas à grand-chose – et poussa la tête de Serena dans une direction bien précise.

Bien sûr ! Serena comprit où Sonistrelle voulait en venir. Grâce à ses ultrasons, il pouvait repérer sans mal le Sépiatroce, même dans le noir le plus complet ! La jeune fille le remercia d’une caresse sur la tête, avant d’attirer l’attention de ses Pokémon.

- Suivez les indications de Sonistrelle, chuchota-t-elle. Il sait où se trouve Sépiatroce. Quand vous l’aurez localisé, lancez Puissance Cachée et Vibrobscur.

Les deux compères hochèrent la tête, avant de se rappeler que leur dresseuse ne pouvait les voir, et s’approchèrent discrètement de Sonistrelle.

Sépiatroce, pendant ce temps, tournait comme un Némélios en cage, les lumières de son ventre comme seul moyen d’éclairage. Pourquoi est-ce que tout s’était subitement éteint ? L’orage aurait-il provoqué une panne de courant ? Possible, mais bien trop suspect quand on savait que ces nuisibles d’humains couraient en liberté quelque part dans l’usine.

Tout à ses interrogations, Sépiatroce en oublia de se concentrer sur le combat. Le combo d’attaques le percuta de plein fouet sans qu’il en s’y attende. Il tomba lourdement sur un bras mécanique hors d’usage. Avec un croassement rageur, le Sépiatroce balafré tenta de se redresser, en vain. Une flamme s’alluma devant lui, manquant d’aveugler son unique œil. La fille et ses trois Pokémon lui faisaient face, prêts à donner le coup final.

- Cette fois, on va l’avoir…, murmura Serena, plus tendue que jamais. Lancez-

Soudain, un sifflement aigu fit trembler l’air, agressant les tympans de tous ceux qui se trouvaient dans la salle. Semblable au bruit que font les avions en passant près du sol, le son s’amplifiait à chaque seconde, jusqu’à envahir tout l’espace. Les Pokémon levèrent simultanément la tête vers le plafond.

Puis soudain, celui-ci explosa.


~*~

Pendant de longues minutes, tout ne fut que chaos. Le souffle de l’explosion balaya la fumée, mais également tout ce qui se trouvait dans la salle. Morceaux de plâtre et carcasses métalliques furent projetés dans toutes les directions, comme s’ils ne pesaient pas plus lourd qu’un fétu de paille.
Puis enfin, succédant au vacarme et à la confusion, le silence revint, tel un voile se posant sur un lit de mort.

Sonistrelle secoua la tête pour se débarrasser de la poussière ayant envahi ses larges oreilles, avant d’éternuer bruyamment. Il se couvrit aussitôt la gueule, honteux. Mais Serena et les autres n’étaient pas en reste, et toussèrent à leur tour sous l’effet des particules fines. Rapidement – et discrètement – Sonistrelle vérifia leur état à l’aide de ses ultrasons. Heureusement, personne ne semblait blessé. Une chance… !
Le petit Pokémon leva les yeux, et aperçut une sorte paroi bleue transparente masquer le ciel. Serena regarda dans la même direction que lui, éberluée.

- Qu’est-ce qui… ?

Elle trouva sa réponse avant même de poser la question : entre elle et les trois autres Pokémon, Évoli se tenait toute recroquevillée, les yeux fermés sous l’effort. Lorsque la renarde rouvrit les paupières, la barrière bleutée s’évapora dans les airs, laissant retomber la poussière qu’elle avait maintenue en suspension.

- Évoli… ? (La concernée s’assit, posant de grands yeux inquiets sur le groupe.) Tu…nous as sauvés ?
- Évo…

Le Pokémon Évolutif paraissait ne plus savoir où se mettre. Sonistrelle décida d’inspecter les alentours, et prit de l’altitude.

Ce qu’il vit lui arracha un petit cri de stupeur. Tout avait été dévasté. Tout, hormis le petit cercle englobant Serena et ses Pokémon. Autour, ne restaient que des ruines. Des pans entiers de murs s’étaient effondrés, se mêlant aux tôles et plaques de béton armé. Les bras mécaniques encore debout avant la catastrophe gisaient à présent sur le sol, inertes, aux côtés des balles noires qu’ils tentaient de fabriquer. Quant au toit, il avait tout bonnement disparu, remplacé par un trou béant laissant apparaître le ciel aux couleurs de cendre, traversé de temps à autre par de brefs flashs lumineux.
Ce spectacle de désolation laissa les cinq rescapés sans voix. Puis, tous les regards convergèrent vers Évoli, qui tourna aussitôt la tête en tous sens, nerveuse.

- Oh ça oui… (Serena grimaça un sourire et prit sa protégée dans ses bras.) Tu nous as vraiment sauvé la mise ! Merci, Évoli, merci mille fois !

Conscients que sans l’intervention de la petite renarde et de son attaque Abri, ils ne s’en seraient probablement pas tirés vivants, les autres Pokémon de Serena partirent en une effusion de compliments et de remerciements. Embarrassée par toute cette attention portée sur elle, Évoli plaqua ses oreilles contre son crâne, aussi rouge qu’une baie Tamato. Attendrie, Serena la réconforta par de petites caresses.

Sonistrelle remercia lui aussi sa camarade par de petits pépiements chaleureux. Néanmoins, une question le taraudait : quelle était cette chose qui s’était écrasée sur eux ? Une météorite ? Une seule chose était certaine : l’impact avait été d’une rare violence…

Prenant subitement conscience de l’absence du Sépiatroce, Sonistrelle quadrilla la zone, toujours avec ses ultrasons. S’il ne repéra pas le Pokémon pieuvre, il fut surpris de découvrir la présence de deux autres Pokémon. Un cri de soulagement s’échappa de son gosier lorsqu’il reconnut l’un d’entre eux, qui tentait déjà de s’extirper des décombres.

- Ni ! Ni-nii ? (Herma-libré ! Herma-libré, c’est toi ?)
- Brru… ? (Qué ? Pequeño… ?)

Tout heureux de voir son grand frère spirituel en vie, Sonistrelle se jeta à son cou, arrachant à l’oiseau une plainte douloureuse. Sonistrelle s’écarta aussitôt, confus de ne pas avoir remarqué les multiples blessures du Pokémon Combat.

- Niii ? Sonistrelle ? (Est-ce que ça va ? T’as mal ?)
- Bruta… (Cé n’est rien…) Bru ? Bruta-libré ? (Ma où est-ce qué yé souis ? Y’étais encore sour lé toit il y a oune minoute…)
- So-so-ni ! (Tout s’effondré ! Ça faisait plein de bruit, c’était horrible !)

Brutalibré ouvrit des yeux ronds devant le récit de son jeune camarade. Effondré ? Cela lui revint : l’affrontement entre Flambusard et Roucarnage… Serait-il tombé en même temps que le toit partait en miettes ? Mais alors dans ce cas…

- Brutalibré, c’est toi ? (Serena et ses Pokémon enjambèrent les décombres et se dirigèrent vers eux.) Qu’est-ce que tu fais ici ? Mais… Tu es blessé !

De fait, l’oiseau n’était pas dans le meilleur des états. Des hématomes violacés constellaient son corps, et il avait même un œil au beurre noir. Sans compter quelques écorchures et plaies, certainement dues à sa chute depuis le toit, puisque qu’elles saignaient tout juste.

- Comment tu te sens ? lui demanda la jeune fille. Tu peux te relever ? (Brutalibré opina du chef, avant de se redresser, aidé par Pandespiègle et Roussil.) Dis-nous, qu’est-ce qui s’est passé ?

Avant que le Pokémon Combat puisse formuler une réponse à ses collègues, le cri d’un autre Pokémon résonna tout près d’eux. Estomaquée, Serena eut toutes les peines du monde à reconnaître l’espèce à laquelle il appartenait.

Boitillant sur ses deux pattes arrière, le monstre avait l’apparence d’un Akwakwak, bien qu’il fût légèrement différent de l’image que présentait le Pokédex. Des nageoires supplémentaires ornaient ses bras et son dos, et la perle de son front semblait s’être divisée en une couronne couleur grenat.
Le palmipède avança lentement vers eux, un filet de sang s’échappant du haut de son crâne. Ses yeux rouges comme le liquide hématique qui coulait dedans luisaient d’un éclat de folie pure, si bien que tous s’attendaient à ce qu’il se jette sur eux pour les dévorer.

Mais au lieu de cela, ses yeux se révulsèrent, et il s’écroula au sol. Un halo noir violacé l’enveloppa ; l’instant d’après, il avait recouvré l’apparence normale d’un Akwakwak standard. Quelques secondes passèrent, durant lesquelles personne n’esquissa le moindre mouvement. Finalement, tous conclurent que le Pokémon Eau s’était évanoui.

- C’est bizarre…, marmonna Serena. D’où sortait-il, cet…

Elle s’interrompit brusquement. Si Brutalibré était là, sachant que le toit s’était effondré, cela voulait dire que lui et cet Akwakwak étaient dessus au moment de l’incident. Et s’ils combattaient sur le toit… Cela ne pouvait signifier qu’une chose.

- Sacha ! Il était sur le toit quand… ?

Serena ne put finir sa phrase à temps. Un croassement dans son dos la fit pivoter sur elle-même. Le Sépiatroce était revenu à la charge.

« Mais il n’est toujours pas vaincu, lui ?! »

Et ce n’était pas le pire. De son attaque Psyko, le Pokémon Révolution maintenait en suspension un objet sphérique, noir comme l’encre. Ou plutôt, comme les ténèbres.

Sonistrelle eut à peine le temps de comprendre de quoi il s’agissait que la Pokéball Obscur fondit droit sur lui.

Tout se passa très vite. Et pourtant, tout parut très lent à Sonistrelle. Comme une succession d’images figées. La Pokéball noire, qui grossissait à vue d’œil. L’ombre de Brutalibré, qui s’interposait entre lui et la capsule. Brutalibré qui lui ordonnait de fuir. Le corps de Brutalibré qui devenait noir, avant de se faire aspirer par la balle. La balle qui tombait au sol, et qui s’agitait, parcourue d’étincelles violacées. La balle qui s’immobilisait.

A mesure que toutes ces images furent décryptées par le cerveau de Sonistrelle, un cri naquit au plus profond de ses entrailles, grandit dans sa poitrine et parvint jusqu’à sa bouche, d’où il s’échappa en un hurlement strident.


~*~

Je repris brusquement conscience. Aussitôt, le manque d’air m’écrasa les poumons. Me démenant comme un beau diable, je poussai de toutes mes forces sur le mur – ou quoi que ce fût en réalité – qui m’aplatissait à moitié. Une vive douleur me transperça l’épaule gauche ; néanmoins je serrai les dents et continuai à forcer. Enfin, le bloc se mit à bouger, avant de s’écraser au sol dans un nuage de poussière. Je toussai violemment, avec l’impression de cracher mes poumons. Lorsque je retirai ma main, je vis que du sang imprégnait ma mitaine.

Pantelant, je m’essuyai vaguement la bouche, et regardai autour de moi. Le décor qui s’offrit à mes yeux était digne d’un film catastrophe. Tout était sens dessus dessous. Des volutes de poussière soulevées par le vent enveloppaient les ruines de qui avait été autrefois des machines d’assemblage de Pokéballs. Les installations avaient été tellement endommagées qu’il était à présent difficile de reconnaître le lieu d’origine.

Il me fallut un moment pour remettre de l’ordre dans mes idées. Comment m’étais-je retrouvé ici ? Je me souvenais du froid, de Brutalibré violenté par Akwakwak, Flambusard pris dans la tornade…

Flambusard ! À peine sa pensée traversa-t-elle mon esprit qu’un gémissement parvint à mes oreilles. Je trouvai mon Pokémon étendu plus loin, à demi enseveli sous les décombres, aux côtés de Roucarnage. Les deux oiseaux ne bougeaient plus. Mais ils étaient toujours vivants : je percevais toujours leur aura. Malade d’inquiétude, je m’agenouillai auprès de Flambusard. Le pauvre avait de multiples blessures ; je pouvais presque ressentir sa fatigue extrême, qui l’empêchait de bouger ne serait-ce qu’une plume. Je caressai doucement son plumage encore chaud des braises qui mouraient à l’intérieur.

- Tu t’es bien battu. Merci pour tout, Flambusard.

Sur ces mots, je rappelai l’oiseau dans sa Pokéball. Malgré la douleur que cela provoquait, je serrai le poing. Le même scénario allait-il donc se reproduire ? Mes Pokémon ne pourraient-ils pas sortir de ce combat autrement que blessés à mort ? Les mots de l’Homme Masqué me revinrent en mémoire :

« Tes Pokémon ont beau avoir progressé, ils ne pourront jamais rivaliser avec les miens. »

C’était vrai, c’était affreusement vrai. Mes Pokémon n’avaient pas le niveau pour battre ceux de l’Homme Masqué. Et je le savais, pourtant ; n’était-ce pas d’ailleurs là le plus grave ?

Je secouai la tête. Non. J’avais promis d’arrêter de douter. Si je laissais le doute s’insinuer à nouveau dans mon esprit, c’en serait fini de moi, et de mes Pokémon. Mais tout de même, comment ne pas avoir le cœur serré en voyant ses Pokémon souffrir à mort pour tenter d’arracher un semblant de victoire ?

- Rrrou…

Je sursautai. Devant moi, Roucarnage fut enveloppé d’une intense lueur irisée. Puis, il reprit son apparence normale. La Méga-Évolution ne faisait plus effet, ce qui signifiait qu’il était vaincu. Aussi incroyable que cela puisse paraître, j’avais finalement réussi à vaincre un des Pokémon de l’Homme Masqué. Mais à quel prix ? Flambusard n’était pas dans un meilleur état que son adversaire. Cette victoire ne m’apportait aucune joie, bien au contraire. Elle ne faisait que renforcer mon désir d’arrêter ce combat, qui avait à mes yeux plus l’apparence d’une barbarie sans nom.

Pris d’une inspiration soudaine, je me redressai, et avançai lentement vers Roucarnage. Je concentrai ma perception des auras sur lui. L’énergie négative qui émanait de son corps me donna aussitôt la nausée. Là où les Pokémon du Village Pokémon, ou même les miens, avaient pour la plupart une aura empreinte de douceur, de vitalité et de joie de vivre, l’aura de Roucarnage n’était qu’un concentré de noirceur. Et par-dessus tout, elle était froide. Glaciale, même. Rien à voir avec les auras chaleureuses des autres êtres vivants. C’était comme si… plus aucune vie n’habitait son corps. Ou du moins, plus aucun désir de vivre. Ce Pokémon n’était rien de plus qu’une coquille vide, un esprit mort dans un corps en vie.

Prudemment, je tendis la main vers l’oiseau, jusqu’à frôler son cou. Aussitôt, il ouvrit un œil large comme mon poing, dont l’iris noir se pointa vers moi.

- Du calme… ! Je ne veux pas te faire de mal.

De toute manière, Roucarnage n’avait plus aucune force. Même s’il voulait se défendre, il fut incapable d’esquisser le moindre geste. Je crus repérer une vague de douleur émaner de son aile droite ; elle était probablement cassée.

- Shh… Tout va bien. Tu vois ? Je te veux aucun mal, murmurai-je le plus doucement possible.

Si le volatile parut se relâcher légèrement, son regard était toujours animé d’une lueur de défiance. Cette vue me brisa le cœur. Comment pouvait-on faire subir cela à un Pokémon ? Et je ne pensais pas qu’à la Pokéball Obscur : même sans cela, l’Homme Masqué tenait ses Pokémon en respect par la peur. Ne l’avait-il pas dit lui-même ? « Les Pokémon ne deviennent plus forts que quand on les pousse à leurs extrêmes limites. » Quelle horrible façon de penser. C’était tout bonnement…inhumain.

Comme s’il lisait dans mes pensées, le Pokémon Vol se détendit davantage. Dans ses yeux dansait toujours cette flamme haineuse, mais je pouvais désormais percevoir autre chose. Quelque chose comme… de la curiosité, si j’osais dire.

- Dis-moi, Roucarnage… Est-ce que ton maître a toujours été comme ça ? Brutal, méchant…et égoïste à ce point ? Tu n’as pas toujours vécu dans une Pokéball Obscur, pas vrai ? Il y a bien dû y avoir des jours dans ta vie où tu as été heureux… Heureux, même aux côtés de ton maître.

Roucarnage n’émit pas le moindre son. Il cligna à peine des paupières. En revanche, son œil commença à trembler. Des reflets irisés apparurent sur le globe oculaire, comme s’il s’humidifiait. Délicatement, pour ne pas lui faire mal, je caressai le fin plumage au creux du cou du Pokémon Vol. Je me souvenais que mon Roucarnage – quand il n’était encore qu’un Roucoups – adorait que je le caresse à cet endroit. Visiblement, cette particularité était commune à tous les membres de son espèce, puisque même le Pokémon de l’Homme Masqué ne put contenir un roucoulement.

- Je suis tellement désolé pour toi, tu sais. (J’arrêtai de le caresser pour plonger mon regard dans le sien.) Pour toi et pour tous les autres Pokémon de l’Homme Masqué. Je sais pas s’il a toujours été comme ça mais, quoiqu’il en soit, l’enfer qu’il vous fait vivre est injustifiable. Personne ne mérite d’être considéré comme un dresseur s’il fait subir de pareils tourments à ses Pokémon. Personne.

Cette fois-ci, Roucarnage gémit. Mais de manière volontaire, me semblait-il. Stupéfait, je perçus un changement dans son aura. L’énergie maléfique parut se résorber légèrement ; ou plutôt, « s’endormir » en quelque sorte. Alors je ressentis une vive émotion émaner de l’oiseau : la tristesse. Ce fut tellement brutal que j’eus l’impression de recevoir un coup en plein thorax. Des larmes, dont j’ignorais l’origine, coulèrent d’elles-mêmes sur mes joues.

- Qu… Qu’est-ce qui te rend si triste ? Dis-moi…

Mais le Pokémon ne m’écoutait plus. Son œil s’était refermé ; son pouls ralentit sous mes doigts. Il s’était évanoui sous l’effet de la fatigue. Encore retourné par cette expérience pour le moins improbable, je m’écartai de Roucarnage, et essuyai mes joues trempées. Pour une raison quelconque, je me sentis vide, tout d’un coup.

Puis soudain, un fracas non loin me ramena à la réalité. Je vis Sonistrelle traverser littéralement le mur d’en face, projeté droit dans ma direction. Réactif, je le rattrapai, avant d’être renversé sur le derrière par la puissance du choc.

- S-Sonistrelle ? Qu’est-ce que tu fais là ?

J’étais partagé entre le soulagement d’avoir retrouvé le jeune Pokémon et l’inquiétude de le voir si mal en point. Des blessures recouvraient tout son corps ; à croire qu’il venait de livrer bataille. Mais contre qui ?

Étrangement, Sonistrelle ne parut pas remarquer ma présence, bien qu’il fût dans mes bras. Agitant furieusement les ailes, il tenta de s’en échapper en poussant des gémissements plaintifs. La peur et la peine irradiaient de son aura à un tel point que je ressentis moi-même un certain affolement. Que s’était-il donc passé ?

- Sacha !

Je me tournai en direction du mur qu’avait traversé Sonistrelle. Serena et ses trois Pokémon émergèrent du trou béant qui y apparaissait, et accoururent vers moi. Surprise ou soulagement, je n’aurais su dire laquelle des deux émotions l’emporta sur l’instant. Mais quelle qu’elle fut, elle fut bien vite remplacée par de l’angoisse quand je lus la terreur sur le visage de mon amie.

- Serena, qu’est-ce qui s’est passé ? Qui vous a attaqués ?
- C-c’est…

Avant qu’elle n’ait pu me répondre, Sonistrelle parvint à s’extirper de mes bras, et cria en direction de la pièce voisine – dont tous venaient si j’avais bien suivi.
Mon cœur manqua un battement lorsque je reconnus la silhouette qui s’avançait vers nous. D’une démarche lente, presque menaçante, Brutalibré nous fit face, poings serrés. Mais ce n’étaient pas tant les hématomes, ni les cernes sous ses yeux – dont l’un était au beurre noir – ni les plaies qui tailladaient son corps qui rendaient la scène plus effrayante. Mais ses iris : les yeux jaunes de Brutalibré étaient illuminés d’un éclat rouge sang, qui nous transperçait presque d’un seul regard. Mon sang se glaça lorsque je perçus les ondes maléfiques qui émanaient de son aura.

- Non… Pas toi, Brutalibré…

Les yeux, l’aura de Brutalibré… tout me rappelait les Pokémon Obscurs de l’Homme Masqué. Il émanait de son corps cette même négativité, cette même noirceur.

La même qui avait envahi Pikachu.

- Ni ! Niii !!

Sonistrelle pépiait désespérément à l’intention de Brutalibré. Mais celui-ci réagit à peine. Lentement, il fit glisser son regard sur chacun d’entre nous, à la manière d’un prédateur choisissant sa proie.

- Brutalibré… ? tentai-je. Brutalibré, c’est moi, tu me reconnais ?

Inutile. Ma présence n’affectait pas plus l’oiseau de combat que celle de Sonistrelle. Ce dernier secoua la tête d’un geste rageur, et se précipita sur Brutalibré. Le Pokémon Combat riposta aussitôt en fauchant son ami d’un Poing-Karaté. Sonistrelle voltigea dans les airs, avant que je ne le rattrape à nouveau. Cette fois, il ne se débattit pas. En revanche, il pleurait ; voir Brutalibré dans cet état devait le bouleverser, j’en étais conscient.

Soudain, Brutalibré hurla en se tenant la tête. On aurait dit qu’il souffrait d’un mal de crâne intense. Puis, sans crier gare, il se jeta sur nous. Aussitôt, je lui présentai mon dos, et encaissai le Poing-Karaté qui nous était destiné. Je sentis mon corps culbuter dans les airs ; mais si je m’attendais à m’aplatir comme une crêpe sur le sol, il n’en fut rien. Ce sur quoi j’atterris était mou, gluant et légèrement humide. Sonistrelle et moi nous extirpâmes de cette étrange matière en inspirant comme après une apnée.

- T’as fait vite, dis-donc, lançai-je à notre sauveur inespéré.
- Croâ !

Croâporal se campa devant nous, défiant Brutalibré du regard. Ce dernier ne parut pas le reconnaître. Il continuait de se griffer la tête, frappant tout ce qui se trouvait autour de lui. Lorsque son regard dément se posa de nouveau sur Croâporal, il sauta et lança Pied Voltige. Le batracien réagit et bloqua le coup avec Aéropique. Les deux opposants se repoussèrent l’un l’autre.

- Croâporal, arrête ! Ne blesse pas Brutalibré, il n’est pas dans son état normal…

Une idée me vint alors : et si j’essayais de rentrer Brutalibré dans sa Pokéball ? Je fis taire mes appréhensions quant à l’origine de l’énergie maléfique de l’oiseau, et pointai le bouton de la balle droit sur lui.

- Attends ! voulut m’avertir Serena. Ça ne…
- Brutalibré, REVIENS !

Le laser rouge traversa l’air. Et happa Brutalibré. A la plus grande surprise de tous, moi y compris, Brutalibré avait regagné sa Pokéball.

« Mais… ? Comment ? »

Tout à coup, la balle remua au creux de ma paume. Elle s’agita de plus en plus fort, à tel point que j’eus du mal à la garder en main. Puis soudain, la Pokéball s’ouvrit d’elle-même, et Brutalibré reparut devant nous. Hurlant comme un forcené, il se précipita sur moi. J’eus tout juste le temps de voir Croâporal s’interposer entre nous deux avant de recevoir l’amphibien en plein abdomen. Ma tête heurta brusquement le sol, et je vis trente-six Funécire.

- Comment… ? marmonnai-je, pas tout à fait remis du choc. S’il a pu rentrer, c’est que c’est pas une Pokéball Obscur qui… mais comment ?
- Croâ…

Secouant la tête pour reprendre ses esprits, Croâporal intercepta de justesse le nouvel assaut de Brutalibré. Au diable mes recommandations, compris-je : si on ne ripostait pas, Brutalibré allait nous réduire en charpie. Mais même s’il combattait avec férocité, son état physique ne lui permettrait pas de résister aux coups portés.

- Comment c’est arrivé ? demandai-je à Serena, tout en surveillant le combat du coin de l’œil. Pourquoi Brutalibré se comporte-t-il comme un Pokémon Obscur ?
- C’est à cause de ce Sépiatroce. (La voix de Serena était partagée entre peine et colère.) Les Sépiatroces ont pris le contrôle de l’usine, et y fabriquent des Pokéballs Obscurs.
- Quoi ?!
- On était en train de le combattre, quand tout s’est effondré… Et puis il a lancé une de ces Pokéballs… Brutalibré s’est interposé pour protéger Sonistrelle, ajouta-t-elle en coulant un regard vers le Pokémon Dragon.

Je me mordis la lèvre. C’était tout Brutalibré, ça. Il n’hésiterait pas à sacrifier sa propre vie pour protéger celui qu’il considérait presque comme un petit frère. Néanmoins, un détail me perturbait dans cette histoire : les Sépiatroces fabriquaient des Pokéballs Obscur ? Je savais qu’ils étaient dangereux, mais là, ça dépassait l’entendement !

- Qu’est-ce que… tu as dit… ?

Serena et moi sursautâmes. À qui appartenait cette voix caverneuse ? Pris d’un étrange pressentiment, je fis volte-face. Derrière nous, un pan de mur effondré remua légèrement, avant de se fracasser sur le sol. La silhouette robuste d’un homme émergea des décombres.

J’en restai sans voix. Cet homme… c’était l’Homme Masqué ! Même s’il était difficile de le reconnaître, à présent. Son uniforme de cuir, pourtant épais en apparence, était cisaillé par endroits, laissant affleurer des blessures superficielles, mais sanguinolentes. Quant à son masque, il était à moitié brisé : la crinière noire qui l’ornait avait disparu, et seule la partie droite tenait encore sur son visage. La joue gauche ainsi mise à découvert laissait apparaître une barbe noire mal rasée, traversée d’une cicatrice courte, mais large.

- Alors c’est pour ça… C’est pour ça que tu tenais tant à venir ici ? Tu avais prévu de me trahir dès le début, n’est-ce pas ?!

C’était tellement bizarre d’entendre la vraie voix de l’Homme Masqué, sans qu’elle soit déformée par son masque. Cela lui ôtait son côté surnaturel.

L’Homme Masqué – ou désormais à moitié masqué – porta soudain les mains à sa ceinture, et lança quatre Pokéballs en l’air. Quatre silhouettes noires se matérialisèrent dans la pièce : Arcanin, Alakazam, Florizarre, et Raichu. Le reste de son équipe.

- Voilà pourquoi je dis toujours qu’il ne faut jamais se fier à quiconque en ce monde…

Je frissonnai. Même s’il ne regardait personne, j’aurais juré que sa remarque m’était destinée.

- J’avoue que, parce que tu n’es qu’un Pokémon, je t’ai sous-estimé…, continua-t-il de psalmodier. Mais je ne réitérai pas cette erreur. J’ignore comment tu as fait, mais tu vas regretter de m’avoir volé ces plans !

Ses paroles furent comme un signal de passage à l’acte. Les quatre Pokémon Obscurs rugirent d’un seul et même cri. Puis deux d’entre eux furent entourés d’un halo : l’un lumineux, l’autre sombre comme la nuit.

Deux flashs plus tard, Raichu et Alakazam revêtirent leur nouvelle forme. C’était la première fois que je voyais un Méga-Alakazam : les jambes croisées, il lévitait à présent au-dessus du sol. Une barbe blanche avait poussé sur son visage, et ses cuillères étaient désormais au nombre de cinq.

En revanche, je me souvenais parfaitement de Méga-Raichu. Sa longue crinière noire ; ses griffes acérées ; sa double queue. Lorsque ses yeux injectés de sang croisèrent les miens, je crus que j’allais me liquéfier sur place. Ma blessure au bras palpita douloureusement, comme si un deuxième cœur battait en dessous.

- Sacha ? (La voix de Serena me parut tellement lointaine...) Sacha, calme-toi…
- Allez, vous autres ! Retrouvez-moi cette vermine de Sépiatroce, et exterminez-la !!

Ses Pokémon rugirent de nouveau, faisant trembler même le sol. Leurs cris emplirent ma tête. Un flot d’images, que je croyais avoir enfoui au plus profond de ma mémoire, refit surface. Mon premier combat face à l’Homme Masqué. L’attaque de l’Arcanin. La fuite. Tout me revenait avec une précision terrifiante. La peur se referma sur moi tel un étau, et me broya entièrement. J’ouvris la bouche, mais aucun son n’en sortit. Tout devint blanc, puis noir. Je ne voyais plus rien ; je n’arrivais plus à penser, ni à respirer. Le sol tournait à une vitesse folle sous mes pieds…

- Sacha, calme-toi !

J’ouvris brusquement les yeux. Le monde avait retrouvé ses couleurs. Plus de bruit, plus de cris, juste le silence. Toujours en hyperventilation, j’écartai prudemment mes bras de ma tête. Je ne m’étais même pas rendu compte que je m’étais recroquevillé sur le sol. À côté de moi, Croâporal et Sonistrelle poussèrent des gémissements inquiets. Enfin, je vis Serena, qui me tenait par les épaules, me forçant à la regarder dans les yeux. Non loin, ses trois Pokémon me considéraient avec un mélange de peur et d’incrédulité.

- Calme-toi…, répéta Serena d’une voix douce. C’est fini, tout va bien.

Encore sonné, je la laissai me prendre les mains, et regardai autour de nous. L’Homme Masqué et ses Pokémon avaient disparu. De même que Brutalibré. Je n’avais aucune idée de ce qu’il s’était passé durant les quelques secondes où j’avais paniqué. À moins que ces secondes ne fussent des heures… ? Je n’en savais rien. Tout se chamboulait dans ma tête.

- Ils sont partis, dit Serena en réponse à ma question silencieuse. Je crois que l’Homme Masqué et ses Pokémon se sont dirigés vers l’extérieur. Quant à Brutalibré… Je ne sais pas, je n’ai pas vu où il est allé. Tu étais…

Elle ne termina pas sa phrase, visiblement à court de mots. Si je réussis à ralentir ma respiration, mon pouls, lui, refusa de décélérer.

- Sacha, tu m’entends ? Est-ce que…tu te sens bien ?

Serena avait posé la question presque timidement ; elle devait savoir combien elle était vaine. Sans répondre, je me levai brusquement. Trop brusquement, peut-être, car je chancelai. Mon dos rencontra une surface dure, un peu râpeuse. J’avais la tête qui tournait, et un affreux goût de bile dans la bouche. Je n’allais sans doute pas tarder à rendre le contenu de mon estomac.

- Doucement, ne force pas trop… (Serena voulut me soutenir, mais je m’esquivai. Je ne voulais pas qu’elle touche mon bras bandé, qui me brûlait encore.) Arrête de te rebiffer ! Je m’inquiète pour toi, je te signale…
- Laisse, c’est rien, dis-je sèchement. Y’en a qui souffrent bien plus que moi, ici.

Mes yeux se posèrent sur Roucarnage, toujours étendu parmi les gravats. L’Homme Masqué ne lui avait pas accordé la moindre attention. L’avait-il seulement remarqué ?
Serena suivit mon regard, et ouvrit la bouche en une expression horrifiée. Ses yeux céruléens se voilèrent. Hormis le grondement lointain de l’orage au-dessus de nos têtes, aucun son ne vint perturber cette étrange torpeur ayant envahi l’atmosphère.

- Bon… on devrait peut-être essayer de retrouver Lem et Clem, finit par proposer Serena. Lem n’était pas ici quand le toit s’est effondré. Si ça se trouve, ils sont encore quelque part dans l’usine ? Ou même dehors ?

Légèrement surpris, je lui fus extrêmement reconnaissant de ne pas me demander le sempiternel « Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? ». Sans doute avait-elle compris que je n’avais plus la réponse à cette question depuis belle lurette. L’avenir était encore si incertain ; et la mort si proche.

- … À quoi tu penses ? demanda Serena en voyant que je ne réagissais pas.
- À Brutalibré. Tu es certaine de l’avoir vu entrer dans la Pokéball Obscur ?

Sonistrelle gémit pitoyablement. Ses grands yeux jaunes se mouillèrent de larmes salées. Croâporal, compatissant, lui tapota gentiment le dos. Serena confirma d’un signe de tête.

- D’ailleurs, dit-elle, je ne m’attendais pas à ce qu’il rentre dans ta Pokéball. Mais comme les Pokéballs Obscur peuvent capturer les Pokémon appartenant déjà à un dresseur, j’imagine que leur fonctionnement ne dépend pas de l’appartenance.
- Possible. Mais ça change rien au fait que Brutalibré et Pikachu ont été changés en bêtes sauvages.

Serena ne trouva rien à répondre. De mon côté, je me laissai glisser au sol, afin de me mettre à hauteur de Sonistrelle. Sa bouille de monstre tordue par le chagrin reflétait parfaitement ma propre tristesse. Je le caressai doucement derrière les oreilles.

- Je sais pas quoi faire, avouai-je tout haut. Si seulement il y avait un moyen de ramener Brutalibré – et Pikachu – à la normale… Si seulement on pouvait… (Je reportai mon regard sur Roucarnage.) …guérir les Pokémon Obscurs.
- Il y a un moyen.

Je sursautai. Cette voix… !

Nous pivotâmes tous sur nous-mêmes. Il était là, son éternel survêtement militaire sur lui, les cheveux poivre et sel en bataille. Escorté de son Guerriaigle, il soutenait à grand-peine un Galopa en piteux état.

- G-Genzo ?
- Galopa ! s’écria Serena en voyant le Pokémon Feu. Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Je t’avais dit de rester caché !
- Jeune fille, je te prends à témoin : ce satané canasson refuse toujours d’écouter ce qu’on lui dit ! fit mine de plaisanter Genzo.

Je ne savais plus quoi penser. Qu’est-ce que Genzo faisait ici ? Comment était-il arrivé si vite ? Et comment Galopa s’était-il blessé à ce point ? Et… Rah, ça faisait bien trop d’interrogations d’un coup pour ma pauvre tête !

- Ça aura mis le temps, mais j’ai fini par arriver ici, lança le vieil homme. Mon pauvre vieux Guerriaigle, tu es épuisé, pas vrai ? Tu as bien mérité ton repos.

Il rappela son Pokémon dans sa Pokéball, tandis que Serena m’expliquait la raison des blessures de Galopa. Je fus sidéré d’apprendre qu’il avait réellement sauté du vaisseau en plein vol. Ce Pokémon ne manquait décidément pas de courage, pensai-je avec un amusement teinté de respect.

- Et avec ça, tu as quand même tenu à me conduire jusqu’ici ?! s’exclama Genzo, dont on ne pouvait déterminer s’il était plus furieux ou inquiet pour son Pokémon. C’est presque un miracle que tu tiennes encore debout, stupide tête de mule !

Galopa renâcla brièvement, avant de clopiner vers moi. Il s’affala de tout son long avant même d’arriver jusqu’à ma hauteur.

- Hé ! Ménage-toi, OK ? lui intimai-je gentiment. Tu es blessé…

Le cheval de feu ne voulut rien entendre, et allongea le cou jusqu’à frôler mon bras. Le bras bandé. Je reculai vivement, comme si j’avais été brûlé. Puis, ne voulant pas offenser le Pokémon Feu, je fis courir mes doigts sur son museau, et contemplai ses yeux empreints de sagesse.

- Quel chantier…, soupira Genzo en promenant son regard sur les environs. Et tout cela juste pour capturer tes Pokémon ?
- Non, c’est plus que ça, répondis-je après un bref silence. L’Homme Masqué semble m’en vouloir personnellement. Il… il a dit que j’ai tué quelqu’un. Quelqu’un qui lui était cher, apparemment.

Genzo et Serena me regardèrent comme si je venais de me changer en Pokémon sous leurs yeux.

- Mais… C’est complètement faux ! me défendis-je aussitôt. J’ai jamais rien fait de tel !
- Bien sûr que non ! s’offusqua Serena. Comment ose-t-il proférer de telles accusations… ?

Les yeux bruns de Genzo me transpercèrent, à tel point que je me sentis tout de suite très mal à l’aise. Il ne pensait pas réellement que j’avais tué quelqu’un, si ?

- Je comprends, maintenant, dit-il. Tout s’explique, je me souviens de qui tu es. Je savais que j’avais déjà entendu ton nom quelque part.
- Hein ?
- Ce « quelqu’un » que cet Homme Masqué t’accuse d’avoir tué… Ce ne serait pas un homme du nom de Fantôme, par hasard ?

Ce fut à mon tour d’ouvrir des yeux ronds comme des billes.

- C-Comment vous savez ça ?
- Peu importe, éluda Genzo. Ce n’est pas le plus important pour l’instant…
- Bien sûr que si, c’est important ! s’emporta Serena. Qu’avez-vous donc de si dérangeant à cacher ?

Nullement offensé, le vieil homme se contenta de regarder mon amie d’un air tranquille.

- Tu te méfies de moi, jeune fille ?
- Je veux juste être sûre que vous voulez vraiment aider Sacha. Avec tout ce qui lui arrive, il n’a vraiment pas besoin que quelqu’un comme vous, en qui il semble avoir confiance, le trahisse au dernier moment.

L’accusation était un peu poussée ; cela dit, je ne pouvais pas complètement contredire Serena sur ce point. Genzo avait toujours été secret avec moi. Mais ses intentions, s’il tenait tant que ça à les dissimuler, étaient-elles si mauvaises que ça ? Une part de moi se refusait à le croire ; l’autre persistait à se méfier.

- Elle a raison, Genzo, tempérai-je. Quand vous m’avez proposé de m’entraîner avec vous, vous aviez dit être prêt à m’aider. Si c’est toujours le cas, alors dites-moi tout ce que vous savez. À commencer par les Pokéballs Obscur : d’après vous, il y aurait un moyen de guérir Pikachu et Brutalibré ?
- Il y en a un, en effet. (Il ferma les yeux et hocha lentement la tête, comme s’il prenait une décision en son for intérieur.) Je suppose que vous avez raison, les jeunes. L’heure n’est plus aux secrets. Alors je vais vous raconter ce que je sais. Mais tâchons tout d’abord de retrouver vos amis ; je vous raconterai en chemin.

Un élan d’angoisse me serra le cœur. Pourquoi étais-je soudain si nerveux ? Après tout, tous les mensonges allaient enfin être dissipés. La vérité allait enfin éclater au grand jour. Mais pour une raison que j’ignorais, cela m’effrayait. J’avais soudain peur de connaître les détails de l’histoire.

Brusquement, Genzo se retourna, et lança un objet dans ma direction. Réactif, je l’attrapai au vol. Stupéfait, je reconnus ma casquette. Un peu sale, les bords légèrement déchirés par endroits, mais toujours en bon état.

- Au fait, je te rends ça. Ça t’appartient, je crois.

Sans plus de commentaires, Genzo nous fit signe de le suivre. Incapable de prononcer le moindre mot, je garai mon couvre-chef en main, et lui emboîtai le pas, suivi de Serena et des Pokémon.


~*~

L’usine était plongée dans le noir. Plus aucune machine ne fonctionnait ; on aurait dit que le temps s’était figé. Brièvement, Serena nous mit au parfum : une panne de courant subite serait à l’origine de cette étrange inactivité. Sans trop nous attarder là-dessus, nous continuâmes d’avancer, guidés par la flamme de Roussil. Aucun de nous ne savait se repérer au milieu de toute cette machinerie ; alors nous allions au hasard, cherchant désespérément une porte de sortie ou n’importe quoi d’autre du même genre. Malgré l’arrêt des machines, la chaleur persistait, insupportable. Ma veste était déjà trempée de sueur.

J’hésitais à déployer mon aura. Pour être honnête, j’avais peur de ressentir celle de l’Homme Masqué, ou de ses Pokémon. Je ne me sentais pas apte à encaisser leur déferlante de haine une seconde fois. Pas dans l’immédiat.
Frissonnant au souvenir de ma récente crise de panique, j’essayai de me focaliser sur le récit de Genzo :

- C’est une longue histoire. Il fut un temps où j’enseignais à la Team Rocket Academy, là où sont recrutés les futurs agents de l’organisation du même nom. Ton « Homme Masqué », celui qui t’a pourchassé, faisait également partie de la Team Rocket, autrefois. Il était même l’un de mes élèves.

Je faillis en oublier de courir. Je ne sais pas à quoi je m’attendais exactement, mais certainement pas à ça.

- Je n’avais pas prévu de te le cacher éternellement, dit Genzo, pressentant ma question évidente. Je savais qu’un jour, il faudrait tout t’avouer, mais… le moment ne semblait jamais adéquat.

À la fois essoufflé par ma course et abasourdi par cette révélation, je préférai ne pas répliquer. Tout de même, cela paraissait tellement… absurde, inimaginable. Pendant tout ce temps, j’avais été logé, nourri, entraîné par un ex-membre de la Team Rocket. Et l’ancien professeur de l’Homme Masqué, par-dessus le marché ! Si Genzo n’avait pas été aussi sérieux, j’aurais volontiers cru à une mauvaise blague.

Mille et une questions se bousculaient dans ma tête, mais je ne sus par laquelle commencer. Tandis que mon cerveau digérait toutes ces informations, mon corps se laissait machinalement guider par les silhouettes de Genzo et Serena, montant et descendant les passerelles métalliques sans compter les marches. Croâporal nous suivait à distance, bondissant avec légèreté par-dessus les équipements industriels. Il était talonné par les Pokémon de Serena au sol, et Sonistrelle dans les airs. Galopa, lui, avait regagné sa Pokéball. Dans son état, il n’aurait jamais été capable de nous suivre, même avec la meilleure volonté du monde.

- Quant aux Pokéballs Obscurs, reprit Genzo lorsque nous passâmes à côté d’une machine d’assemblage figée en pleine action, elles sont également le fruit d’expériences de la Team Rocket. Un projet vieux d’au moins vingt ans, si ma mémoire est bonne, et abandonné il y a de cela quelques années.
- Bien sûr… c’est pour ça que vous en savez autant sur ces Pokéballs, comprit Serena.

Genzo acquiesça, sans ralentir.

- Au départ, la Pokéball Obscur a été conçue dans le but de libérer le plein potentiel des Pokémon, expliqua-t-il. Comme vous avez pu le constater par vous-mêmes, l’objectif atteint est un peu éloigné de ce que à quoi les scientifiques de l’époque essayaient d’aboutir…
- « Le Pokémon attrapé avec une Pokéball Obscur devient maléfique, et sa puissance se voit montée au maximum. », récitai-je. C’était les mots de l’Homme Masqué.
- Il a à la fois tort et raison. La puissance des Pokémon est effectivement poussée au maximum, mais le terme « maléfique » est mal adapté.
- Pourtant… Quand je perçois l’aura des Pokémon Obscurs, je sens comme un genre d’énergie négative…

Serena me regarda avec une expression étrange. Il faudrait peut-être que je la mette au courant de mes capacités… particulières, un jour.

- L’énergie néfaste que tu perçois est un concentré d’émotions négatives, telles que la peur d’être tué, ou la rage de survivre, m’expliqua Genzo. Mais son origine n’a rien à voir avec une quelconque magie ou quoi que ce soit.

Il s’arrêta un instant, nous invitant à nous approcher d’un genre de cylindre géant, où s’entassaient des centaines et des centaines de sphères grisâtres, destinées à devenir des Pokéballs. De nombreux lasers, tous éteints, étaient braqués sur elles.

- Le procédé est tout ce qu’il y a de plus scientifique, poursuivit Genzo. Pour faire court, les Pokéballs Obscurs possèdent un système interne capable, une fois le Pokémon attrapé, de lui greffer une puce électronique cérébrale. Cette puce diffuse par la suite des impulsions électriques visant une zone bien précise du cerveau. Une zone qui, si on la stimule, peut accroître l’agressivité du Pokémon.

J’ouvris des yeux horrifiés, incapable d’imaginer ce qu’un tel procédé devait faire subir au Pokémon attrapé. Les yeux rivés sur les carcasses de Pokéballs, Genzo continua :

- En augmentant artificiellement l’agressivité d’un Pokémon, on lui fait retrouver son instinct primaire, purement bestial. En conséquence, ses capacités physiques sont décuplées, et sa puissance exacerbée au plus haut niveau. Mais cela ne se fait pas sans contrepartie : en effet, des impulsions électriques diffusées en continu peuvent, sur le long terme, endommager le système nerveux du Pokémon. Et souvent de manière irréversible. Même ceux dont on a retiré la puce par chirurgie ont gardé des séquelles très importantes. La plupart n’ont même pas survécu à leur opération.

Un silence de mort suivit ces révélations. Pendant un temps qui parut infini, plus personne ne parla. Les regards de notre petit groupe allaient de Genzo aux Pokéballs, des Pokéballs à Genzo. Un flot décousu d’images défila devant mes yeux : l’air triste de Roucarnage, la haine de Méga-Raichu, les yeux devenus vitreux de Pikachu et Brutalibré.

- C’est horrible, souffla Serena. Comment une telle chose peut-elle exister ?
- Il n’y a pas de temps à perdre ! m’exclamai-je. Il faut qu’on retrouve Pikachu et Brutalibré au plus vite ! Et…
- Doucement, petit, calme-toi, me coupa Genzo. Commençons par le commencement, c’est-à-dire retrouver tes amis. On s’occupera du reste en temps et en heure, n’aie crainte. Après tout, j’ai tout autant envie que vous d’éradiquer ces horreurs…

Sur ces mots, il reprit son chemin. Avant d’emboîter le pas à Serena pour le suivre, je me tournai vers Sonistrelle :

- Pars devant, et essaie de repérer Lem ou Burutalibré de ton côté, lui intimai-je. Surtout pas d’imprudence : tu ne dois pas te faire remarquer par nos ennemis. Dès que tu trouves quelque chose, tu reviens illico vers moi, c’est compris ?

Sonistrelle hocha plusieurs fois la tête, le regard déterminé. Je savais l’opération risquée pour mon jeune ami ; mais j’avais confiance en lui. Une fois Sonistrelle envolé, je courus pour rattraper Serena et Genzo. Ce dernier poursuivait son récit :

- …total échec. Face à ce fiasco, la direction de la Team Rocket a préféré délaisser les recherches, et le projet a été abandonné. Néanmoins, une personne a continué de se servir des Pokéballs Obscurs, et ce sans la moindre permission. Cette personne faisait partie de nos rangs, et se faisait nommer « Fantôme au Masque d’Acier ».
- Fantôme ? répéta Serena. Celui dont vous avez parlé tout à l’heure ?
- Celui que l’Homme Masqué m’accuse d’avoir… tué ? enchéris-je après les avoir rejoints.
- Lui-même. Gauthier était… il admirait énormément cet homme.
- Gauthier ?

Mon cœur cognait entre mes côtes à me faire mal. Encore une révélation inattendue. Et à chaque nouveau secret dévoilé, mon malaise augmentait. Comme si je tournais les pages d’un livre interdit.

- Vous parlez de l’Homme Masqué ? Il s’appelle Gauthier ?
- Oui, en effet, répondit évasivement Genzo, l’air perdu dans ses souvenirs. Et bien que j’aie essayé de l’en empêcher, il traînait toujours avec Fantôme. Une mauvaise fréquentation qui l’aura mis sur la mauvaise pente…
- Sacha, on connaît une personne qui s’appelle Gauthier ?

Je me tournai vers Serena, surpris.

- Pourquoi ça ?
- Je ne sais pas… Quand j’ai retrouvé Lem, Clem et la Team Rocket, tous affirmaient savoir l’identité de l’Homme Masqué. Et tous semblaient… choqués, voire effrayés. Alors je me suis dit que ce serait quelqu’un qu’on aurait déjà vu.

Perplexe, j’essuyai machinalement la sueur qui collait me collait les cheveux au front. Serait-il possible que l’Homme Masqué soit une de nos connaissances ? Quelqu’un connu à la fois de nous et de la Team Rocket ? Les paroles de Miaouss, lorsque nous étions dans le vaisseau, me revinrent en mémoire :

« Comment peux-tu être sûr de ne pas connaître cet homme, puisque qu’il se balade à longueur de journée avec un masque vissé sur le crâne ? »

- Il y a des tas de personnalités dont on ne connaît pas le prénom, c’est vrai, répondis-je en choisissant prudemment mes mots. Mais de là à imaginer que l’Homme Masqué est l’une d’entre elles…
- Tu as raison, c’est inconcevable, admit Serena. Mais j’aimerais tellement comprendre… Ça me ronge de ne pas connaître la vérité.

Je ne pus qu’acquiescer. Le mystère de l’identité de l’Homme Masqué était loin d’être une simple devinette pour nous tous. C’était devenu un véritable tourment. Cela dit, ne serait-ce pas pire de connaître la vérité ?

« Non. Il faut qu’on sache. Toute cette comédie est allée beaucoup trop loin. Il nous faut des réponses. »

- Genzo, vous pouvez… ?

Je me stoppai net. Genzo n’était plus devant nous.

- Où est-il passé ?

Nous fouillâmes les environs du regard. Bien que plongée dans le noir, la pièce m’était vaguement familière. Les vitrines d’exposition e rafraîchirent la mémoire : nous étions dans le hall d’entrée de l’usine.
Un cri attira notre attention. Croâporal désignait la porte automatique.

- Genzo est sorti ? (Le batracien opina du chef.) OK, allons-y.

Pandespiègle enfonça la porte, qui ne marchait évidemment plus sans électricité, et nous pûmes enfin sortir. Dehors, le temps était plus que jamais à l’orage. L’air était lourd, mais le vent qui soufflait était glacial. Devant nous s’étendait un immense jardin, décoré çà et là de statues géantes de Pokéball. Les mauvaises herbes avaient envahi le terrain ; cela devait faire quelque temps que les lieux étaient laissés à l’abandon.

- Tu as vu ? Qu’est-ce que c’est ?

Serena me tira par la manche, et m’indiqua un groupe de camions garés devant la grille de fer qui composait l’entrée du complexe. Très louche, me dis-je. Poussés par la curiosité, nous avançâmes un peu plus loin dans le jardin.

- Vous croyiez vraiment pouvoir me duper comme ça ?!

Je sursautai. Cette voix, c’était celle de l’Homme Masqué !

Croâporal s’élança aussitôt en direction des voix. Je n’eus pas le temps de le retenir. De plus en plus inquiet, je ma lançai à sa poursuite.
Une intense odeur de brûlé me prit soudain à la gorge. Je pilai net lorsque nous débouchâmes sur un espace dénué de toute végétation, entièrement carbonisé. Au centre de ce terrain aussi gris que le ciel orageux, deux camps se faisaient face. D’un côté, l’Homme Masqué et ses quatre Pokémon. De l’autre, un Sépiatroce, dont l’œil gauche était traversé d’une large balafre.

- Tu ne manques pas de culot, crachait l’Homme Masqué. Pour qui te prends-tu, stupide créature ? Les Pokéballs Obscur sont l’œuvre des humains ! Les Pokémon n’ont pas à s’en servir.

Visiblement, une bataille était sur le point d’éclater. Et en toute honnêteté, je ne pensais pas du tout que rester dans les parages fût une très bonne idée. Malheureusement, Croâporal ne l’entendait pas de cette oreille. Sans attendre d’ordre de ma part, il bondit sur le Sépiatroce, en même temps que Méga-Alakazam visait ce dernier avec Ball’Ombre. Le Pokémon Révolution esquiva les deux attaques, avant que ses yeux ne s’illuminent d’un éclat bleuté. Aussitôt, Croâporal s’immobilisa dans les airs, de même qu’Alakazam. L’Homme Masqué fut touché, lui aussi : un halo bleu l’entoura, et il se mit à flotter au-dessus du sol.

- Croâporal… !

Je voulus bouger, mais mon corps refusa de m’obéir. Avec stupeur, je constatai qu’un halo bleu nous entourait également, mes amis et moi ! J’eus tout juste le temps d’apercevoir l’ombre d’un deuxième Sépiatroce dans mon dos, avant de me retrouver bras plaqués contre le corps, et en lévitation aux côtés de Serena et ses Pokémon.

- Hé ! Relâche-nous !!

Inutile. Le Sépiatroce raffermit son emprise, et nous conduisit auprès de son homologue. Tous deux se mirent à échanger quelques croassements dans leur langue, en ricanant avec suffisance.

- Riez tant que vous le pouvez, misérables vermines… Mais si vous pensez m’avoir neutralisé, vous faites erreur.

La voix – pourtant si différente de cet écho métallique dont j’avais le souvenir – de l’Homme Masqué me fit tressauter. Étrangement, malgré qu’il soit pieds et poings liés comme nous tous, il gardait un calme froid, presque effrayant. Même les Sépiatroces eurent une réaction teintée d’inquiétude.

- Vous croyez vraiment que votre petite attaque Psyko pourra retenir mes Pokémon bien longtemps ? Vous avez crié victoire un peu trop vite. Une attaque de type Psy ne peut avoir d’emprise sur un Pokémon de type Ténèbres. Vous croyiez pouvoir vous en sortir car je n’en ai aucun ? Que vous êtes naïfs…

Je remarquai soudain que, parmi les Pokémon en lévitation aux côtés de l’Homme Masqué, un seul manquait à l’appel. Arrivés à la même conclusion, les pieuvres baissèrent les yeux. Et virent avec effarement que le Pokémon en question était toujours libre de ses mouvements.

L’Homme Masqué ne donna même pas d’ordre. Il ne fit qu’une simple déclaration :

- Quand il Méga-Évolue, Raichu gagne le type Ténèbres.

Presque simultanément, un Poing-Éclair d’une puissance incroyable percuta le Sépiatroce, l’envoyant s’écraser contre une statue de Pokéball. Croâporal, l’Homme Masqué et les autres Pokémon Obscur furent aussitôt libérés de l’emprise psychique du Pokémon pieuvre, et retrouvèrent la terre ferme. Méga-Raichu, un sourire pernicieux sur les babines, agita ses queues jumelles tels des fouets, prêt à frapper.

- Vas-y, Raichu. Réduis-moi ces mollusques en charpie !

Le Pokémon électrique grogna, et prépara son attaque. Soudain, un éclair aveuglant s’abattit sur lui. Après être resté figé durant quelques secondes, le Méga-Pokémon s’ébroua, secoué.

- Qu’est-ce que… ? D’où ça sortait, ça ?

Moi, je savais ce qui venait d’arriver. J’avais reconnu cette attaque.

- Pikachu…

Ce fut bien lui, mon vieux copain, qui fit son apparition à l’autre bout du jardin. Le pelage ébouriffé, les yeux injectés de sang, le corps zébré d’étincelles des oreilles jusqu’à la queue, il était presque méconnaissable. Mais c’était bel et bien lui.
Curieusement, Raichu ne s’énerva pas comme je m’y attendais. Au contraire, son sourire s’élargit. En revanche, la lueur assassine que je lus dans ses yeux ne me fit pas douter de ses intentions.

- PIKACHU !!

Pikachu ne semblait pas m’entendre. Il hurla, et se jeta avec sauvagerie sur son homologue évolué. Les deux types électriques roulèrent au sol, échangeant coups de griffes et jets d’éclairs. Les autres Pokémon s’écartèrent, ne souhaitant en aucun cas intervenir.

- Reste en dehors de ça, toi ! s’énerva l’Homme Masqué.

Malgré la peur qui me nouait le ventre, je lui répondis par un regard assassin. De quoi se plaignait-il ? C’était sa faute si Pikachu était dans cet état !

Voyant que la situation commençait à dégénérer, le Sépiatroce frappé par Méga-Raichu, lança une série d’ordres à son collègue. Mais avant que celui-ci ne puisse répondre ou obéir, une série d’attaques le frappa de plein fouet, l’envoyant mordre la poussière. L’étau qui me retenait prisonnier disparut, et je regagnai la terre ferme, de même que Serena et ses Pokémon.

- Sacha !

Je reconnus cette voix : Lem ! Mon ami apparut derrière la Team Rocket, suivi de près par Clem, Luxray, Marisson et Sapereau. À leurs côtés se tenait une femme que je ne connaissais pas, accompagnée d'un Démolosse.

- Malva…, grinça l’Homme Masqué en la reconnaissant. Alors tu t’es rangée du côté de ces gamins ?
- Je soutiens ceux qui se battent pour une cause juste, répliqua la dénommée Malva. Et c’est leur cas : eux veulent défendre un ami là où vous souhaitez tuer un innocent.
- Un innocent, dis-tu… ?

L’Homme Masqué serra les poings avec rage.

- Cet « innocent », comme tu dis, a tué Fantôme.
- Fantôme est mort parce qu’il a choisi de se suicider !

Tous les regards se tournèrent vers Genzo, qui venait de surgir de derrière une haie calcinée. Il était à bout de souffle.

- Je vous avais perdus de vue, dit-il lorsqu’il nous aperçut, Serena et moi. Qu’est-ce qui s’est passé, ici ?
- Toi… ?

L’Homme Masqué eut un rire aussi soudain que dément. Mes doigts se crispèrent sur ma casquette.

- Ha ! Je savais bien que c’était toi. Je l’ai su quand j’ai vu l’empreinte de Galopa. Qui aurait cru que tu t’étais réfugié à Kalos, Genzo ? Je comprends mieux pourquoi ce gamin a réussi à m’échapper ces derniers jours. C’est parce que tu l’avais pris sous ton aile. C’est que tu as toujours été doué pour te terrer, vieux schnoque !

Alors c’était bien vrai. L’Homme Masqué et Genzo se connaissaient. Genzo se mordit les lèvres :

- Cette fois, ça suffit, Gauthier. Rends-toi sans faire d’histoires…
- La ferme ! Je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi, vieux croûton !

Alakazam, Arcanin et Florizarre se postèrent en cercle autour de leur dresseur, prêts à attaquer au moindre signe de celui-ci. Nous étions désormais trois camps, disposés de façon triangulaire, à se dresser contre lui : les Sépiatroces, Genzo, et moi aux côtés de mes amis. Sans compter cette femme, Malva.

- Chasseur, dit-t-elle d’une voix forte. Il est temps de cesser cette mascarade.
- De quoi te mêles-tu, Malva ? cracha l’intéressé, du venin dans la voix. De quoi vous mêlez-vous, tous ? Vous commencez à m’agacer sérieusement… (Il écarta les bras, clamant haut et fort :) Mais puisque que vous êtes tous ici, je vais pouvoir faire plusieurs coups d’un seul : les traîtres, les incapables et les assassins seront tous annihilés en même temps ! Il ne restera rien de vous, bande de cloportes !
- Vous êtes fou. (Le calme apparent de Malva fut trahi par l’intonation de sa voix.) Vous êtes tellement aveuglé par votre désir de vengeance que vous ne vous rendez même pas compte de qui vous vous apprêtez à tuer.
- SILENCE !! Je ne veux plus vous entendre !!

Tout à coup, un éclair bleu partit de la ceinture de Genzo, et fonça droit sur l’Homme Masqué. Insaisissable pour Alakazam et Florizarre, la lumière bleue réussit à se matérialiser à quelques centimètres seulement du chasseur de Pokémon.

Alors Galopa surgit face à lui. Et le renversa.

Le bruit de leur chute fut accompagné d’un « bong » métallique. Sidéré, je vis un objet noir tomber sur le sol, non loin de Galopa et de l’Homme Masqué.
Ou plutôt, l’homme démasqué.

- Tu n’as jamais su contrôler tes émotions, Gauthier, dit Genzo d’un timbre empreint de tristesse.

Le masque atterrit sur le bord convexe, et culbuta de droite à gauche avec un roulement sourd. L’homme ainsi démasqué se redressa. Le cœur battant, je m’avançai pour mieux voir son visage.

Pour découvrir que c’était celui d’un parfait inconnu. Un homme d’au moins quarante ans, aux cheveux noirs comme l’ébène, à la peau pâle, et au visage mangé par une barbe épaisse. Lorsqu’il ouvrit les yeux, ce furent deux orbes bleu sombre qui se posèrent avec fureur sur Galopa.

Un parfait inconnu, donc. Mais un détail dans les traits de son visage me perturbait.

- Nous y voilà, dit Malva.
- Le vrai visage de l’Homme Masqué est enfin dévoilé, ajouta Lem, l'air sombre.

Clem et Serena restèrent silencieuses ; l'une nerveuse, l'autre terrifiée. Les Pokémon retinrent leur souffle.

- Je me souviens encore du jour où tu es arrivé à l’Académie, poursuivit Genzo. Ce jour où tu t’es présenté pour rejoindre nos rangs.

Lentement, presque au ralenti, le masque à terre continuait d’émettre ce roulis à l’écho métallique. Moi, je n’avais d’yeux que pour ce visage inconnu. Et plus précisément, pour ce détail sur ses traits.

Deux marques en forme d’éclair sous les yeux.

- Un jeune homme du nom de Gauthier… Gauthier Ketchum.

Le roulis cessa.

Le vent ne soufflait plus.

Le tonnerre ne grondait plus.

Pas un son. Pas un mouvement.

Et puis, enfin, la voix de Lem s’éleva, formulant les mots que je n’aurais jamais cru pouvoir un jour entendre :

- Sacha… Cet homme, l’Homme Masqué… c’est ton père.




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Note de l'auteure : Pfiou ! Ce fut un chapitre bien long, pas vrai ? Merci d'être allé jusqu'au bout ! (et merci aussi à ceux qui ont encore le courage de lire ce message xD)
Cette fois, ça y est, le mystère de l'Homme Masqué est enfin levé. Mais ce n'est pas fini pour autant. La bataille ne fait que commencer, et de nombreuses questions subsistent !
Si jamais vous voulez me faire part de quoi que ce soit (vos théories sur l'Homme Masqué si vous en aviez, votre réaction, ce que vous avez pensé de cette révélation, des questions qui vous taraudent...) n'hésitez pas à laisser un commentaire ou à me contacter par MP, je serai ravie de vous répondre. En attendant, je vous dis à la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !