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Fanatiques ! de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 02/12/2016 à 22:43
» Dernière mise à jour le 02/12/2016 à 22:43

» Mots-clés :   Humour   Slice of life

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#1 : Trois fanatiques !?

 Les bibliothèques, sources de savoir inépuisable, accumulant dans leur sein des années de cultures aussi pluriels que sages. C’était dans l’un de ces lieux sacrés que Ricky, grand amateur de littérature, trouvait la nourriture essentielle à son cœur. Confortablement allongé sur un énorme oreiller Ronflex, le jeune homme de Joliberges feuilletait avec avidité l’objet de ses désirs.

— … aaah… aaah…

Son souffle était chaud ; sa poitrine, palpitante. Ses yeux filaient de droite à gauche, de haut en bas, de diagonale en diagonale, erratiques.

— Ooh oui… enfin ! La rencontre tant attendu ! Vas-y Tomoko !

Soudain, le corps du jeune homme se tortilla dans tous les sens, tandis qu’il se mit à pousser de petits ricanements.

— … hihihi ! Enfin ! Enfin ! Après six tomes, Tomoko va enfin demander à Kyousuke si elle peut lui tenir la main en public ! Enfiiin ! Je jouiiis ! Allez, vas-y petite ! Je crois en toi ! Vas-yyy ! Kyaaa !

Mais alors qu’un mélange de chaudes larmes et de morves joyeuses entremêlaient son visage euphorique, le coup de massue. Brusquement, Ricky bondit. Son allégresse n’était plus, remplacer par l’implacable rage destructrice.

— NOON ! hurla-t-il. Pas elle ! SANAE ! Espèce de petite pute ! Qu’est-ce que tu viens foutre ici ?! T-Tomoko ! Non, ne l’écoute pas ! Elle te ment, ne la crois pas ! Il n’y a jamais rien eu entre Kyousuke et cette garce ! Je t’en supplie Tomoko, envoie-la chier !

Cependant, malgré tous ses cris de désespoirs, Tomoko ne l’entendit pas. Le cœur de Ricky se brisa en mille morceaux. Dépitée, Tomoko abandonna ses projets et fit demi-tour ; Sanae avait gagné.

— Impossible… ! s’étouffa Ricky. P-Pourquoi tant de haine ?! Ma chère petite Tomoko était si près du but ! Pourquoi est-ce que cette petite peste de Sanae vient toujours tout gâcher, hein ? POURQUOI ?!

Le jeune littéraire passa sa rage sur l’oreiller Ronflex, qu’il déchira à pleines dents pendant plus d’une heure. Enfin calmé, Ricky se résigna fébrilement à tourner la page de son manga.

— … !

Il fut frappé de stupeur. Il réitéra l’action plusieurs fois, comme pour vérifier qu’il ne rêvait pas. Il ne rêvait pas.

— C-C’était la dernière page ?! … Nein ! Nein Nein Nein ! Je refuse une réalité aussi cruelle ! Tomoko va-t-elle abandonner définitivement Kyousuke ? Sanae a-t-elle réellement gagné ? Comment est-ce que Kyousuke va réagir ? Quand-est-ce que ces deux idiots vont-ils enfin se tenir la main en public ? Et qu’est devenu le Ponchien trop mignon du tome 2 page 87 ?! Le suspense est insoutenable !

Rayonnant dans sa quête du savoir ultime, Ricky replaça précautionneusement le manga dans son étagère, avant de débouler comme une furie jusqu’à la réception de la bibliothèque. Le littéraire furieux se retrouva ainsi face à une brave dame, dans la cinquantaine, au regard aussi pétillant de vie qu’un Limonde pas farouche.

— Que puis-je pour vous ? souffla-t-elle d’une voix morne.
— Quand est-ce que le tome 8 de Cœurs Torturés paraîtra ?! tonna Ricky de toute sa vigueur.
— Un instant je vous prie, je consulte nos registres…

La brave dame invoqua le fameux arcane du ‘‘je-tape-du-clavier-avec-juste-deux-doigts’’, une technique secrète exclusive aux personnes d’un certain âge, connu pour sa lenteur exaspérante. Après vingt minutes où Ricky se rongea les ongles tel un époux attendant pendant l’accouchement de sa femme, le verdict tomba enfin.

— Dans un an, au mieux.

La foudre sembla tomber sur le littéraire ; il tomba à genou, anéanti. Des images de Tomoko et Kyousuke lui apparaissaient, souriants. Non, se dit Ricky, je ne dois pas abandonner maintenant, ce serait indigne de mes idoles !
Galvanisé, le jeune homme se releva, conquérant. Il abattit ses deux mains sur le bureau de la réception.

— Dans un an ?! s’exclama-t-il. Vous vous fichez de moi ?! C’est beaucoup trop long !
— C’est comme ça, récita nonchalamment la réceptionniste. Il paraît que l’auteur traverse une mauvaise passe en ce moment.
— … je ne peux pas accepter cette réponse.
— C’est la seule que vous obtiendrez de moi.
— J’ai dit que je ne peux pas accepter cette réponse !

N’écoutant que son courage, Ricky empoigna fortement la pauvre femme par le col.

— JE VEUX LA SUITE ! s’acharnait-il en secouant la réceptionniste qui restait d’un calme olympique.

Sans cligner le moindre cil, l’honnête employée appuya sur un petit bouton rouge sous son bureau et aussitôt, de très charmants bonhommes chauves en costard cravate noir surgirent de nulle part.
Et Ricky sortit gentiment de la bibliothèque de Joliberges, tête en avant, sans toucher le sol.


***

 Las, accablé, le visage ridé, Ricky déambulait au travers de la ville portuaire, sans but. Le littéraire au goût raffiné sentait son âme se dissoudre à chacun de ses pas. Il lui faudrait attendre un an avant de savoir le destin de Tomoko et Kyousuke. La terrible vérité l’écrasait de tout son poids.

Cœurs Torturés. Ricky se souvenait du jour où il avait découvert cette merveilleuse série. C’était un jour de pluie, une averse terrible, la foudre se fracassait sur les vagues déchaînées. Ricky, pour une raison inconnue, se trouvait au beau milieu de cette catastrophe naturelle. Et puis, subitement, un rayon de lumière traversa les nuages et illumina le jeune homme. Ce fut alors que, doucement, le tome 1 de Cœurs Torturée descendit du ciel lui-même, empruntant le chemin de lumière divine.
Du moins, c’était comme ça que Ricky voyait la scène. En réalité, il l’avait simplement trouvé à la librairie du coin.

— Ricky, se dit-il à lui-même en prenant une voix féminine. Un an, ce n’est pas si long !
— Oui Ricky ! continua-t-il avec une voix très masculine cette fois. Ne te décourage pas !
— Oh ! Tomoko, Kyousuke ! conclut-il avec sa voix habituelle. Je savais que je pouvais toujours compter sur vous !

Comme à son habitude, Ricky se consolait en se parlant à lui-même, en imitant les voix de ses idoles, Tomoko et Kyousuke. Certains étroits d’esprit diront qu’il est fou, mais il est en vérité juste un peu cinglé.

Sans qu’il ne s’en rendit compte, Ricky se retrouva devant son immeuble, où se trouvait l’appartement qu’il partageait avec ses parents. Cependant, lorsque le littéraire traîna son corps meurtri – quoiqu’un peu ragaillardit par sa conversation à lui-même – vers l’entrée de sa demeure, il eut la surprise de découvrir un petit mot placarder sur la porte. Naturellement, Ricky détacha la note et la lit.

« À notre fils adoré,

Trésor, ton cher papa et ta chère maman ont toujours rêvé d’exotisme. C’est pourquoi, lorsque nous avions vu ce prospectus vantant les beautés d’Alola, notre sang n’a fait qu’un tour. Cependant, une chose nous empêchait de sauter le pas : toi. Nous avions donc décidé de te renier pour pouvoir partir le cœur léger !

Adieu !
Tes parents qui t’aiment plus que tout.

PS : Ah, nous avions volontairement omis de payer trois mois de loyer pour pouvoir nous offrir notre petite escapade insulaire. Oh, on a aussi tout vendu pour se faire un peu d’argent. Et nous avions également contracté un prêt de quelques centaines de milliers de Pokédollars que nous ne rembourseront évidement pas, mais ne t’inquiète pas pour nous, il est à ton nom ! Bonne chance avec les créanciers ! Bisou bisou ! <3 »

Ricky leva pas moins de quarante-deux sourcils perplexes. Il resta un long moment à télécharger la nouvelle, et lorsque toutes les données furent acquises, le jeune homme se précipita à l’intérieur de l’appartement – dont la porte était restée curieusement ouverte.

Ses yeux ne purent que constater l’horrible vérité : tout était vide. Le salon, la cuisine, les chambres, la salle de bain, ce n’était maintenant plus que des pièces meublées principalement par du vent.

— … MA COLLECTION !

Paniquée, Ricky retourna en trombe dans sa chambre, bien évidemment vide. Mais le littéraire ne désespéra pas, il alla dans le coin gauche de la pièce, où il souleva un carreau du sol. Ses yeux s’illuminèrent.

Sa collection spéciale Cœurs Torturés était toujours là ! Il se félicita d’avoir creusé une cache secrète pour dissimuler ses précieux trésors, si ses parents étaient tombés dessus, sans nul doute qu’ils les auraient embarqués avec eux !

Toute tristesse s’évapora de son âme. Ces parents l’avaient abandonné ? Qu’importe ! Il avait son oreiller Tomoko, son drap Kyousuke, des fléchettes et une cible à l’effigie de Sanae, son T-Shirt spécial Cœurs Torturée, et pleins d’autres trucs encore ! Qui avait besoin de parents quand on possédait tout cela ?! Certainement pas Ricky, qui nageait actuellement en plein bonheur, en se roulant dans son drap avec son oreiller.


____________________

 Aux tréfonds de la société, cachés dans les ténèbres les plus opaques, certaines personnes se complaisent à renier la lumière. Des êtres violents, impulsifs et imprévisibles. Des délinquants. Vêtus d’un long manteau sale et en lambeau, un masque chirurgical sur la bouche, une batte de base balle à la main et une Pokéball à la ceinture, ces types faisaient fuir jusqu’aux forces de l’ordre.

Joliberges possédaient elle aussi son lot de vermines. Dans un entrepôt abandonné du port, un affreux gang avait élu domicile. La ville portuaire était un siège idéal pour tout ce qui était travail au noir. Entre le besoin constant de main d’œuvre, les petits trafics de marchandises, les règlements de compte entre entreprises rivales, le gang avait souvent de quoi s’occuper.

Assis en hauteur sur des conteneurs en acier, le chef du gang, surnommé Shin, imposait sa suprématie. Il finissait de peigner avec délice sa fameuse chevelure blonde en forme de banane. Fier de lui, il rangea son miroir dans sa poche et empoigna un magazine dont la couverture exprimait un contenu réservé à un public averti. La journée était plutôt calme aujourd’hui, Shin s’autorisa donc un petit plaisir.

Mais ce magazine regorgeait de secret. Si effectivement la couverture avait l’air explicite, le contenu…

— Je vais enfin pouvoir lire le tome 7 de Cœurs Torturés ! exulta secrètement le délinquant.

… était loin de correspondre. Oui, Shin camouflait ses mangas en remplaçant leur couverture par celle d’œuvre interdite au moins de 18 ans, question de fierté. Ces sous-fifres ne devaient jamais savoir son ardente passion pour la série à l’eau de rose.

— J’espère que Kyousuke va enfin embrasser Tomoko !

Dès que le délinquant posa ses rétines sur la première image du manga, ce fut comme s’il fut transporté dans un autre monde. Une légère teinte d’excitation empourpra ses joues et son corps tremblait si délicieusement que des larmes de joie coulaient à flot. Plus loin, les autres délinquants se dirent que Shin devait avoir mis la main sur un sacré magazine.
Mais plongé dans sa lecture, Shin n’avait que faire des autres. Seuls lui comptaient Tomoko et Kyousuke.

— … !

Toutefois, l’apparition d’un troisième personnage changea la donne. Le cœur de Shin se compressa atrocement : Sanae venait de berner Tomoko, mettant ainsi un frein dans la si merveilleuse relation Tomoko X Kyousuke.

— NoOon ! Quelle puuuute !!

D’un coup, il bondit furieusement et commença à fracasser frénétiquement sa batte de base-ball contre le mur qui se déformait sous le choc.

— … chef ?

Soudain, Shin marqua un temps d’arrêt. Dans sa grande colère, il en avait oublié de se cacher. Ces sous-fifres le fixèrent avec crainte et interrogation. Shin déglutit.

— J-Je voulais dire… quelle pute cette fille dans le magazine, si vous voyez ce que je veux dire ! paniqua le délinquant en montrant exagérément la couverture +18 de son bouquin.
— Aaaah ! acquiescèrent les autres en soulagement. Ouais on voit ! Haha, Boss, z’êtes un sacré coquin !

Shin laissa échapper un rire gêné et reprit calmement sa place sur les conteneurs. Les autres délinquants étaient eux aussi retournés à leur occupation. Shin n’était cependant calme qu’en apparence, intérieurement, il bouillonnait.

Cette Sanae ! L’immonde garce ! Shin rêvait de lui faire bouffer ses entrailles par les yeux. Comment osait-elle s’interposer dans un couple aussi mignon ?

— … non, souffla Shin. Sanae ne gagnera pas, je suis certain que Kyousuke réglera tout ça.

Le délinquant se le persuada. Kyousuke était le mec le plus cool qu’il avait jamais vu. Jamais Sanae ne parviendrait à parvenir à ses fins tant que ce héros des temps modernes était présent. Shin leva la tête vers le plafond, où il imagina le visage confiant de Kyousuke lui sourire. Le délinquant en versa quelques larmes viriles.

— Boss ! Quelqu’un veut vous voir !

L’intervention d’un de ses subordonnés le tira de ses rêveries. Déçu de ne plus pouvoir admirer son image mental de Kyousuke – le mec le plus beau de toute la création – Shin toisa son sous-fifre d’un regard noir.

— Qui ose me déranger ?! cracha-t-il.
— C-Ce type, tremblotait le subordonné en pointant un individu chauve en costard. Il dit vouloir vous parler, il dit que c’est urgent !
— … hein ?

Encore énervé, Shin sauta de ses conteneurs et atterrit juste en face de l’être en costard. Le délinquant se pencha vers lui, grimaçant.

— Qu’est-ce que tu me veux, blanc-bec ?
— Vous avez une semaine de retard sur votre emprunt à la bibliothèque, répondit ce dernier du tac au tac.
— … !!

Shin s’insulta mentalement. Il avait complètement oublié ! Il avait emprunté la collection complète de Cœurs Torturés il y avait de ça quelque mois. Bien sûr, il avait déjà lu les mangas mais, les relire encore et encore, revivre en permanence les histoires trop adorables de Tomoko et Kyousuke était devenu une source de vie indispensable pour lui.
Shin fit signe à ses sous-fifres de sortir. Il ne fallait pas qu’ils découvrent son secret.

— … j-je ne peux pas prolonger mon emprunt ? gémit-il une fois seul avec l’homme de la bibliothèque.
— Vous l’avez déjà prolongé trois fois, c’est la limite maximum autorisée. Il faut rendre les livres.
— …

Rendre Cœurs Torturés ? Impossible ! Plutôt mourir ! Surtout après le terrible choc émotionnel du tome 7 ! Si Shin ne se replongeait pas immédiatement dans les tomes précédents, son cœur risquerait de tomber en miettes.

— Il n’y a vraiment pas d’autres solutions ?! Je suis prêt à tout, mais je vous en prie, ne me retirez pas mes trésors !

L’homme en costard réfléchit un instant, avant de hocher son crane dégarni.

— Il y a peut-être quelque chose.
— Aaah ! L’espoir revit en moi !
— Vous voyez, je travaille dans une société de crédit…
— … vous ne travaillez pas à la bibliothèque ?

L’homme soupira, un peu embarrassé.

— Oui, mais les fins de mois sont durs. Heureusement, je suis chauve et je porte un costard, ça m’ouvre pas mal de porte. Agent de la sécurité à la bibliothèque, créanciers peu scrupuleux, garde-du-corps pour dictateur, homme de main aux services d’une secte œuvrant à la destruction du monde… bref, je cumule les petits boulots insignifiants pour nourrir ma famille ! Mais assez parler de moi…

Le chauve multi-fonction toussota bruyamment.

— Comme je le disais, je travaille pour une société de crédit et nous sommes actuellement sur un cas fâcheux. L’un de nos clients a contracté un prêt conséquent et prend son temps pour nous rembourser. Vous possédez un gang, n’est-ce pas ? Si vous faites peur à ce client, histoire d’accélérer le remboursement, je pourrais exceptionnellement prolonger votre emprunt.
— V-Vous ne plaisantez pas, hein ?!
— Je suis chauve et j’ai un costard. Je ne plaisante jamais. Vous avez déjà vu un chauve en costard plaisanter ?
— … maintenant que vous le dîtes, effectivement, c’est irréfutable…
— Dans ce cas, je compte sur vous.

Shin acquiesça, déterminé. Il n’avait pas le droit à l’erreur, sa collection de Cœurs Torturés en dépendait ! Et pour elle, il serait prêt à se baigner dans les flammes de l’enfer !


____________________

 Un homme sage avait dit un jour, que le travail est la santé. Plus que cela, le travail est la base de la société. Sans les honnêtes salariés, rien ne fonctionnerait, le monde serait livré à lui-même. Oui, les employés ne sont ni plus ni moins que l’essence de l’existence moderne.

— Huhuhu… magnifique… sublime…

Dans une supérette de Joliberges, la jeune Lydia, caissière de son état, perpétuait cette tradition vitale avec l’entrain qui la caractérisait. En face d’elle, la cliente qui lui tendait un billet de 50 Pokédollars depuis presque une minute commençait à s’impatienter.

— Hé ! protesta cette dernière. Vous pouvez arrêtez de lire et enfin me servir ?!
— … magnifique… ooh… Sanae, tu es si machiavélique… je t’adore… brise-les… brise-leur couple… DÉTRUIS-LES !

La cliente, quelque peu perturbée par cette vendeuse qui riait désormais à plein poumon, recula d’un pas. Elle voulait carrément fuir, mais elle avait faim et si elle ne faisait pas les courses, son frigo resterait vide.

— … aaah… aaah…, expirait Lydia. C’est tellement beau… la tristesse dans les yeux de Tomoko… ses petits tremblements saccadés… j’aimerais tellement qu’elle se suicide…
— Pitié ! s’exclama la cliente. Je veux juste faire des achats !
— … oui… Tomoko ne mérite pas Kyousuke… cette garce doit crever et laisser sa place à Sanae…

Au bord des larmes, la cliente arracha le tome 7 de Cœurs Torturés des mains de Lydia.

— Faites votre boulot ! hurla-t-elle.
— Rendez-moi ça.
— Non ! Mes achats d’abord !
— …

Vive comme une ombre, Lydia fusa mystérieusement derrière la cliente.

— Rendez-moi ça, chuchota-t-elle lugubrement à son oreille.
— … hiii !

C’en était trop pour la pauvre femme, qui, après avoir fait vibrer ses tripes dans un hurlement qui lui valut plus tard un Oscar, s’enfuit à toute jambe en lâchant le manga. Lydia pencha la tête, surprise.

— … pourquoi elle est partie ? Bah, tant pis.

Lydia soupira et ramassa son manga. Encore une cliente qui partait sans rien avoir acheté, sa patronne allait lui passer un savon, une fois de plus. Pourtant, Lydia faisait de son mieux ; dommage que son mieux soit également le pire d’une personne normale.

Comme toujours pour se remonter le moral, Lydia abandonna son poste et se réfugia dans l’arrière-boutique. C’était aussi là où elle habitait, une sans le sou comme elle n’avait pas les moyens de s’offrir plus. Heureusement, sa patronne était assez compréhensive, même si le comportement de la caissière lui faisait souvent sortir de ses gonds.

Lydia avait deux passions dans la vie. La première était la saga Cœurs Torturés et plus spécifiquement le personnage de la perfide Sanae, son modèle de vie. En revanche, sa deuxième passion était plus personnelle. Elle l’avait croisé par hasard, alors qu’elle vaguait à l’extérieur après avoir fuit une habituelle colère de sa patronne. Il sortait de la bibliothèque. S’il n’avait pas remarqué la jeune femme, le cœur de cette dernière, oui.
Depuis, elle le traquait dès qu’elle avait un moment de libre, accumulant des montagnes d’album photo qu’elle ne se lassait de parcourir.

La cloche de Joliberges sonna 16 heures. Un sourire inquiétant maquilla le visage de la caissière. C’était la fin de son service. Ni une, ni deux, elle attrapa son appareil photo et, les yeux fous, un filet de bave coulant sur ses lèvres, elle courut à une vitesse folle vers le quartier résidentiel.