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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 11/09/2016 à 23:35
» Dernière mise à jour le 22/10/2016 à 21:53

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 18 (4/5) : I will always love you

I will always love you - Whitney Houston


Ce bonus fait suite à You are beautiful.


Athéna s'assura que les environs étaient déserts avant de pénétrer dans la salle de la Cave d'Hadès où Arceus trônait lorsqu'il était présent. Elle n'avait pas eu besoin des Zarbi pour mettre les pièces du puzzle dans l'ordre. Son esprit était suffisamment affuté pour y parvenir seul.

L'Alpha était incapable de revêtir une apparence humaine. En dépit de ses nombreux pouvoirs, il ne contrôlait pas celui de la métamorphose. Seul Mew possédait ce talent, parmi les légendaires. Afin de parvenir à un tel résultat, il n'avait pu user que d'un unique procédé : la potion que Circé avait conçu pour Giratina et dont Darkrai lui avait fait mention.

Elle passa de longues minutes à examiner soigneusement le siège en pierre destiné à recevoir le royal séant d'Arceus, jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait. Enfoncé dans une cavité, large d'une quinzaine de centimètres et à peine plus haute, elle découvrit un livre à la couverture noire. Elle s'en saisit.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? gronda une voix à l'extrémité de la pièce.

Athéna sursauta. Ce qu'elle avait redouté était précisément en train de se produire. Son père venait de pénétrer dans la grotte et l'avait aperçue, agenouillée derrière le trône, le grimoire de Circé à la main. Elle ne songea même pas à le dissimuler dans son dos. C'était trop tard, de toute manière.

- Je suis venue chercher cela, répondit-elle en désignant l'ouvrage d'un signe de tête. Je ne crois pas qu'il appartienne à Arceus et il n'a rien à faire entre ses pattes.
- Il s'agit de l'Alpha, il a tous les droits, y compris celui de s'accaparer ce qui ne lui appartient pas.
- Comment a-t-il eu ce grimoire ? Circé est toujours vivante, je le sais, or telle que je la connais, je l'imagine capable de se battre jusqu'à ce que mort s'ensuive afin de préserver son savoir.
- Darkrai l'a manipulé afin de le lui dérober, sur ordre d'Arceus. Il faut croire que même lui, en dépit de son traître d'humain, est plus docile que toi.
- Qu'est-ce que... commença Athéna avant de s'interrompre.
- Je sais ce que tu as fait, ma fille, et j'ai terriblement honte de toi. Comment as-tu osé te permettre de t'opposer à ton Alpha ? De te dresser en travers de sa route ? Je t'ai élevée de manière à ce que tu lui sois autant soumise qu'à ma personne, or tu t'es permise de le contredire. Pire, de lui interdire quelque chose.
- Tu veux dire qu'il... Il t'a parlé d'elle ?
- Il avait besoin de quelqu'un sur qui comptait, puisque ce n'était plus ton cas.
- Je ne suis pas son humaine, Père. J'ai encore le droit de...
- Non ! tonna férocement Zeus, tandis que l'air se mettait à crépiter autour d'eux, soudain chargé d'électricité. Tu n'as aucun droit hormis celui de te taire et de t'incliner face à lui ! Tu me déshonores, Athéna.
- Et lui, c'est sa parole qu'il est en train de déshonorer. Celle qu'il m'a donnée autrefois, de continuer à respecter la justice telle que Némésis l'aurait appliquée, si j'acceptais de la combattre. Je l'ai vaincue, et aujourd'hui, je le regrette.
- Si tu n'étais pas ma fille, je te rosserais pour des paroles aussi irrespectueuses !

La déesse sursauta, moins de crainte que de déception. Son père s'était souvent mis en colère contre elle, pour divers motifs et en particulier son engagement auprès des humains, ainsi que son empathie pour les Renégats, mais jamais jusqu'alors il ne l'avait menacée de la sorte.

- Il a banni Giratina, il a exilé Lilith et il persécute désormais leurs amis, pour un crime qu'il commet à l'instant où nous parlons. Je lui ai juré de protéger Pandore, de garder son secret, toutefois ma condition était...
- Ta condition ? Qui es-tu pour te permettre de fixer des conditions à l'Alpha ? Contrairement aux autres, il fait ce qu'il veut.
- Si tel était vraiment son droit, il n'aurait pas eu besoin de mettre Némésis hors d'état de nuire. Avec elle, il aurait payé le prix de ses actes deux fois plus cher que Lilith et Giratina. Il m'a manipulée et il m'a menti !
- Non, tu as servi celui auquel je suis lié, ainsi que tu le dois.

Athéna ne releva pas. Elle qui était d'une nature si calme, d'ordinaire, elle sentait la fureur parcourir ses veines. Le sang battait à ses tempes et elle sentait sa puissance s'agiter aux tréfonds de son âme. Si elle ne refrénait pas ses pulsions, elle risquait d'exploser d'une seconde à l'autre.

Arceus s'était servi d'elle et, bien qu'elle ait redouté à de nombreuses reprises que cela se produise, elle s'était laissé entraîner aussi loin, plus ou moins de son plein gré. Le Créateur n'hésitait pas à s'appuyer sur elle lorsqu'il avait besoin de son aide, mais il la considérait comme un jouet le reste du temps, qu'il pouvait utiliser à sa guise.

Contrairement à lui, Athéna savait ce qu'était une parole donnée, et si elle l'outrepassait, elle ferait preuve de ce même comportement qu'elle condamnait en cet instant chez Arceus, or elle avait trop d'honneur pour s'y résoudre. Jamais elle ne deviendrait ce qu'elle lui reprochait.

Malgré cela, elle éprouvait une colère farouche, autant à son propre égard qu'à celui de l'Alpha. Elle avait provoqué toute cette histoire et elle avait cru que c'était à elle d'en gérer les conséquences, mais elle s'était trompée. Face à Arceus, elle n'aurait jamais les rênes en main. Seulement le bâton avec lequel elle ne pouvait que se flageller elle-même.

- Je lui ai juré de garder son secret, mais aussi et surtout de protéger Pandore, or en cet instant, la seule menace qui pèse sur elle, c'est lui. Son imprudence menace l'équilibre de courir à sa perte. Si les Renégats découvrent la vérité, ils n'auront aucun mal à rallier certains alliés d'Arceus à leur cause, j'en suis convaincue.
- A qui penses-tu ?
- Crois-tu vraiment que je vais te le dire, afin de te regarder les décapiter un à un, par excès de zèle ? répliqua Athéna. Tu es mon père, Arceus est mon Alpha, mais j'ai un rôle à tenir, désormais.
- Oui, celui de nous obéir, à lui comme à moi.
- Non. Je ne suis pas Némésis et avec toutes les erreurs que j'ai commises, je n'ai pas le droit de prétendre faire régner la justice. En revanche, je peux essayer d'endiguer les dégâts que j'ai provoqué.

La déesse fit un pas en avant, pour prendre la direction de la sortie, mais Zeus s'interposa. Il n'avait aucunement l'intention de la laisser interférer dans les plans d'Arceus. Sa fille avait besoin d'une bonne leçon de soumission et il allait s'empresser de la lui donner.

- Laisse-moi passer, déclara-t-elle d'une voix rendue vibrante par une autorité dont elle usait rarement.
- Il n'en est pas question. Tu vas faire ce que je te dis, sinon...
- Sinon quoi ? Père, ne comprenez-vous pas à quel point il est important de mettre un terme à cette folie ? Je suis prête à en accepter toute la responsabilité, à subir le châtiment que je mérite pour avoir voulu intercéder en faveur des humains, mais il faut que cela cesse absolument.
- Lilith lui a brisé le coeur et tu as cautionné cette trahison. Voudrais-tu être celle qui l'empêchera de panser les blessures qu'elle lui a causées ?

Les mains d'Athéna se serrèrent sur le grimoire qu'elle tenait toujours. Un détail l'interpela alors. Elle avait déjà vu le précieux ouvrage de Circé par le passé. Grâce à sa mémoire infaillible, elle l'aurait reconnu entre mille. De ce fait, elle pouvait affirmer avec certitude que celui qui était en sa possession n'était qu'une pâle copie de l'original, moins épais et avec une couverture moins sombre que la précédente.

- Tu ne me laisses pas le choix.

Elle frappa dans ses mains et immédiatement, les Zarbi se matérialisèrent autour d'elle. Elle leur jeta le livre, qui se mit à léviter une fois entré dans la zone étrange, dénuée d'espace-temps, qui entourait ses créatures. Elle leur ordonna d'un ton ferme de le détruire. Tandis qu'ils s'acharnaient sur le grimoire à l'aide de leur unique attaque, Puissance Cachée, Zeus éclata d'un rire tonitruant.

- Ce que tu fais n'est qu'une perte de temps. Ce vulgaire tas de papier n'était d'aucune utilité à Arceus. Les plantes nécessaires à la potion de métamorphose ne se trouvent que dans le Monde Inversé. En revanche, il en restait une fiole dans les ruines de l'Antre de Circé. Assez pour qu'ils parviennent à ses fins avec la mortelle.
- Et quelles sont-elles, ses fins ?
- Se faire aimer d'elle, évidemment. D'un amour si fort qu'elle l'acceptera le moment venu en tant que pokémon.
- Giratina n'a pas eu besoin de changer d'apparence pour se faire aimer de Lilith. Cette manipulation est pitoyable et indigne. J'ai bien l'intention d'arrêter Arceus, que tu le veuilles ou non. Pandore m'écoute. Si je prends les devants en lui révélant toute la vérité, ce sera à mon opinion qu'elle se rangera.
- Dans ce cas, c'est plutôt toi qui ne me laisse pas le choix.

Zeus sortit de la poche de sa somptueuse tenue un flacon de verre, avec laquelle il l'aspergea au niveau des yeux. Ceux-ci devinrent lourds et elle sentit le sommeil la gagner, un sommeil artificiel puisque les légendaires n'y étaient pas soumis. Tandis qu'elle s'enfonçait progressivement dans les limbes, elle entendit son père affirmer :

- Arceus savait que tu réagirais probablement ainsi, si tu venais à découvrir son plan. Le grimoire de Circé contenait la recette d'une potion de somnolence extrême. Tu as beau être la plus puissante d'entre nous, Athéna, tu n'échapperas pas à ses effets. Ils te tiendront à l'écart de la vie de notre Alpha un bon moment.

La déesse n'écouta même pas la dernière phrase. Elle s'était déjà écrasée sur le sol, endormie par la décoction de la maîtresse des poisons qui se diffusait dans son organisme.

***
Pandore s'assura que Joséphine et Antonin ne manquaient de rien avant de quitter la maison. Elle se culpabilisait toujours lorsqu'elle les laissait seule, encore plus lorsqu'elle s'absentait dans l'unique but de profiter de la compagnie d'Armand de Ceus. Elle avait l'impression de les négliger.

Ses cadets l'encourageaient pourtant à le faire dès qu'elle en avait l'occasion. Ils étaient soucieux de son bien-être autant qu'elle l'était du leur et, bien que Joséphine soit encore un peu trop jeune, Antonin avait rapidement deviné le transport que sa soeur aînée éprouvait à l'égard de cet homme. Il suffisait de l'entendre parler de lui pour le comprendre.

Arceus l'attendait sur la place du village, grouillante d'activité en cet après-midi ensoleillé. Pandore ignorait encore tout de sa véritable identité, cependant il devrait se résoudre à la lui révéler bientôt. La quantité de potion de métamorphose en sa possession diminuait fortement. Il ne lui restait plus que la moitié du contenu de la fiole que Zeus lui avait apporté.

En dépit de son désir, qui ne cessait de s'accroître, il n'avait pas tenté de se montrer avec la jeune femme plus entreprenant qu'il ne l'avait été le soir où ils s'étaient embrassés pour la première fois. Il savait que les humains possédaient certaines moeurs, dont l'une d'entre elles était partagée par les légendaires.

- Dites-moi, Pandore... Que pensez-vous du mariage ? s'enquit-il alors qu'ils se promenaient dans l'agitation des rues.
- Est-ce une demande, Armand ? le taquina-t-elle en rosissant.

Il hésita à lui répondre. C'était lui qui avait inventé cet engagement, à l'époque où il prévoyait d'offrir la main d'Adam à Lilith, avant que cette dernière ne décide de le poignarder dans le dos. Giratina avait sans doute apporté cette coutume dans le monde d'en-bas, en même temps que toutes les autres histoires qu'il avait partagées avec les mortels.

Arceus n'éprouvait aucun désir de contracter une telle union. Même s'il avait béni celle de Zeus et d'Héra, d'Adam et Eve, ainsi que d'Osiris et d'Isis, il savait que cela n'était pas fait pour lui. Dans un couple, les deux conjoints étaient égaux. Qui pouvait se targuer d'être son égal, cependant ? Il était le Créateur.

Les humains avaient cependant fait de cette acte une tradition. Pour eux, il s'agissait de la preuve d'amour suprême, un moyen de lié pour l'éternité deux âmes ensembles. Était-il prêt à s'abaisser à une telle infamie pour pouvoir être avec Pandore de la façon dont il le désirait ?

Bien sûr que oui ! Cruel était l'ascendant que cette femme possédait sur lui, mais il aurait fait n'importe quoi pour être certain de l'avoir. Prendre l'apparence d'un humain, pour lui qui était le dieu originel, était rabaissant, pourtant il l'avait fait. S'il le fallait, alors il épouserait Pandore, et ce malgré son mécontentement.

- Mon amie, vous savez quels sont les sentiments que j'éprouve à votre égard, et ce depuis le jour de notre première rencontre. Je pense que le mariage n'est rien d'autre qu'une simple cérémonie, où les deux époux se contentent de se promettre un amour qu'ils ont déjà choisi de s'offrir à l'instant où ils se le sont déclarés. Si, toutefois, vous le souhaitez, je suis prêt à me mettre à genoux devant vous, ici-même, dans la seconde qui suit.

Pandore conserva un visage neutre et Arceus l'observa avec anxiété. Allait-elle le repousser ? Elle lui avait assuré qu'elle l'aimait, à plusieurs reprises. Commençait-elle à douter de la véracité de ses émotions ? Pourquoi, si ce n'était pas le cas, s'accordait-elle le temps de la réflexion au lieu d'accepter sa proposition ?

En réalité, elle réfléchissait. Elle repassait dans sa tête toutes les informations qu'Athéna lui avait communiqué. Suite à la venue sur Terre du Grand Dragon Noir, un culte avait commencé à naître, celui d'Arceus. Dans le langage populaire, il était également nommé la religion arcésienne.

Lors des quelques cérémonies nuptiales auxquelles elle avait assisté, quand elle était encore adolescente, elle se souvenait avoir entendu les mariés prendre un engagement solennel envers eux-mêmes et envers le Créateur, convaincus que celui-ci bénirait leur union depuis les dieux.

À cette pensée, elle eut un sourire amusé. Elle savait, grâce à Athéna, qu'Arceus ne se souciait pas le moins du monde de tels frivolités. Avoir rétabli l'équilibre sur Terre, en dépit de son lamentable échec au test de la boîte, avait été suffisamment généreux de sa part. Elle ne croyait aucunement qu'il perdait son temps à observer les moindres faits et gestes des humains qui lui vouaient un culte, d'autant que c'étaient ses créations qui se chargeaient de veiller sur ce qu'ils nommaient le monde d'en-bas.

- Non... murmura-t-elle.
- Je vous demande pardon ?
- Non. Je ne veux pas d'un mariage, parce que je partage votre avis. Ça ne signifie rien de plus que ce qui est déjà. J'ai la foi, mais la mienne est différente de celles des autres. Dites-moi, Armand, avez-vous déjà entendu la légende de Lilith, l'humaine originelle ?

A la mention de ce nom, Arceus blêmit. Il n'arrivait pas à croire que Pandore lui parlait d'elle, encore moins en cet instant précis. Pour un peu, il serait rentré dans une colère noire, mais il parvint à garder le contrôle de lui-même. D'une voix plus sèche qu'il ne l'aurait souhaité, il répliqua :

- Celle qui a été châtiée par son dieu pour avoir voulu épouser Giratina ? Où voulez-vous en venir ?
- Arceus a désapprouvé leur amour, mais ça ne l'a pas empêché d'être bien réel.
- Le croyez-vous vraiment ?
- Bien sûr. Elle a accepté de perdre son rang, son honneur et ses privilèges afin de pouvoir l'aimer. Pensez-vous qu'elle l'aurait fait si ses sentiments à son égard n'avaient pas été sincère ? Au final, leur union n'a jamais été officiellement prononcé, puisqu'Arceus s'y opposait, mais cela ne change rien à l'attachement qui les lie. C'est d'une histoire comme celle-ci dont je rêve.
- Qu'est-ce qui vous attire dans cette légende ? Une parjure ? Un renégat ? L'arrogance qu'ils ont eu de s'opposer à leur Créateur ?
- Non. La morale qu'il faut retirer de tout ceci, je pense, est que nos convictions vaillent la peine d'être suivie. Il est important de suivre son coeur, pas des règles qui n'ont dans le fond que bien peu d'importance.

Arceus s'apprêtait à rétorquer que si ces règles existaient, c'était parce qu'il y avait une raison à cela, mais il fut incapable d'ouvrir la bouche pour prononcer ces mots. Comme Athéna n'avait eu de cesse de le lui répéter, il était lui-même en train de les enfreindre. Il s'était épris d'une humaine, elle l'aimait en retour, et à présent, leurs destins semblaient sur le point de s'entremêler.

- Pandore, je vous aime, affirma-t-il en la regardant dans les yeux. Je vous aime et je vous aimerai à jamais, si vous me le permettez.
- Quant à moi, je veux être à vous. Aujourd'hui et pour le restant de mes jours, je veux être celle qui vous chérira, aussi longtemps qu'il me sera donné de le faire.

Au moment de prononcer ces paroles, qui s'apparentaient davantage à un serment, leurs mains s'étaient entrelacées et le visage de la jeune femme effleurait désormais celui de l'homme face à elle. Ses lèvres s'entrouvrirent et, avec tendresse, vinrent cueillir celles d'Arceus.

***
Athéna se trouvait dans l'endroit le plus sombre qu'il lui ait été donné de voir. Tout était noir autour d'elle, et ce jusqu'à perte de vue. Elle savait très bien où elle se trouvait, car elle y était déjà venue par deux fois. La première, c'était lorsque Jirachi lui avait donné naissance. La seconde était beaucoup plus récente et avait fait suite à son combat contre Némésis. Il s'agissait des limbes de son inconscient.

Le temps et l'espace existaient dans ce lieu, mais puisqu'il était infini, ils n'avaient aucun sens. Cela faisait des jours qu'elle parcourait cette étendue ténébreuse, à la recherche d'une quelconque issue. Elle n'en avait croisé aucune, cependant.

Il lui avait fallu un très long moment avant de se remémorer ce qui lui était arrivé. Elle avait fini par se rappeler sa querelle avec Zeus, afin que la potion de Circé avec laquelle il avait aspergé ses yeux. La maîtresse des poisons pouvait créer des préparations vraiment redoutables et celle-ci ne faisait pas exception.

En temps normal, un légendaire ne pouvait dormir, mais elle avait visiblement trouvé le moyen de parvenir à les plonger dans un état de somnolence. Athéna songeait que ses pouvoirs, qui dépassaient de beaucoup ceux de Circé, lui auraient certainement permis de rompre l'enchantement, au lieu d'attendre que ses effets se dissipent, mais elle n'avait pas oublié sa promesse.

Elle ne les utiliserait plus, pas tant qu'elle ne serait pas certaine de les maîtriser convenablement. Pour y arriver, il faudrait qu'elle se résolve à reprendre ses entraînements avec Rayquaza, ou n'importe lequel de ses amis, cependant elle avait encore trop peur. Leur simple mention ravivait toujours en elle le souvenir douloureux du sort qu'elle avait infligé à l'Atlantide et à ses malheureux habitants.

Elle était donc condamnée pour l'heure à rester ici, à ne rien faire d'autre qu'attendre que le charme s'estompe pour lui permettre de revenir à elle. Elle se sentait terriblement impuissante. Arceus était en train de commettre l'irréparable et, tant qu'elle serait là, elle ne pourrait rien faire pour l'arrêter.

Dire qu'elle était responsable de tout cela... Elle avait provoqué cette succession d'évènements, bien qu'elle n'ait jamais souhaité que les choses se déroulent ainsi. Si elle avait fait appel aux Zarbi, auraient-ils pu prévoir cela ? Ils avaient le don de voir le futur, mais contrairement au passé, il n'était pas immuable. Il était toujours possible d'en altérer le cours avant qu'il ne soit trop tard.

L'aurait-elle pu ? Et surtout, quand bien même, l'aurait-elle fait ? Elle avait agi dans le but de venir en aide aux humains, ainsi qu'au reste du monde d'en-bas qui manquait cruellement d'équilibre. Cela avait fonctionné. L'amour d'Arceus pour Pandore, et de ce fait le crime qu'il commettait, était le prix à payer pour obtenir ce résultat.

Athéna passa une main sur son front et repoussa ses cheveux d'ébène vers l'arrière. Némésis avait eu raison de la mettre en garde. Elle avait voulu se prendre pour elle en tentant de rendre justice aux mortels, mais elle avait échoué. Elle était bien trop bonne pour parvenir à réfléchir avec la même logique froide et implacable de la déesse suprême.

Elle cessa de marcher, ce qu'elle n'avait pourtant eu de cesse de faire depuis qu'elle avait plongé dans le sommeil. Non seulement les légendaires se fatiguaient beaucoup moins vite que n'importe quel être vivant, mais de surcroît, dans ce lieu, elle n'éprouvait pas la moindre sensation physique. Cela n'avait rien d'étonnant, puisqu'elle était simplement captive de son propre esprit.

Les minutes, les heures, peut-être même les jours continuèrent à s'écouler, tandis qu'elle demeurait assise sur un sol invisible. La patience était l'une des vertus principales d'Athéna, toutefois c'était son anxiété qui l'emportait pour l'heure. Arceus avait gagné, il lui avait damé le pion, en retournant comme toujours son propre père contre elle.

Alors qu'elle secouait la tête pour exprimer sa déception à l'égard de la situation, elle crut, l'espace d'un moment, sentir une présence non loin d'elle. Elle s'empressa de se redresser, un sourire sur les lèvres. Ce n'était pas qu'une impression, car son instinct ne la trompait jamais. Il y avait bien quelqu'un et elle savait déjà de qui il s'agissait.

- Darkrai ! s'écria-t-elle, soulagée. Darkrai, il faut que vous m'aidiez !

Une silhouette fantomatique et ténébreuse se matérialisa devant elle. A l'exception de sa chevelure blanche, de sa collerette rouge et de son seul oeil bleu électrique visible, il se confondait parfaitement avec l'obscurité alentours. Aussitôt qu'il fut apparu, Athéna fondit sur lui.

- J'étais terriblement inquiet pour vous, ma dame. Comme je ne vous voyais plus nulle part, j'ai interrogé votre père, qui m'a affirmé que vos pouvoirs vous causaient à nouveau des difficultés, raison pour laquelle il avait jugé préférable de vous enfermer dans votre chambre, sous la surveillance alternative de vos oncles, ainsi que de Chronos et Kukulkan.
- Il a vraiment dit cela ?
- Oui, et j'en ai eu la confirmation en sondant le monde des rêves. J'en ai conclus que vous aviez été victime de votre puissance, exactement comme lors de votre combat avec Némésis.
- Absolument pas. Tout ceci n'est qu'une piètre mise en scène de mon père, et c'est en quelque sorte à vous que je la dois, Darkrai. Afin que je n'entrave pas certains projets d'Arceus, il s'est servi d'une préparation qu'il a découvert dans le grimoire de Circé afin de me mettre hors d'état de m'opposer à lui.
- Je... Croyez bien que je le regrette, ma dame. Il n'y avait à l'intérieur que peu de recettes susceptibles de nuire, car nous...
- Vous avez interchangé le livre, je m'en suis aperçue. J'avais déjà vu l'original par le passé et il ne m'a fallu que quelques secondes pour comprendre que j'avais une simple copie entre les mains, lorsque je l'ai découvert. C'est pour cette raison que j'ai pris la liberté de le détruire.
- Vous avez vraiment fait cela ? Je comprends qu'Arceus puisse être furieux contre vous, dans ce cas.

Athéna ne releva pas. Il le serait sans doute effectivement davantage lorsqu'il apprendrait son acte de la bouche de Zeus, cependant Darkrai se trompait sur le véritable motif de son courroux. Ce ne serait toutefois pas elle qui l'évoquerait. En dépit de ce que son propre père lui avait fait sur ordre de l'Alpha, elle ne renoncerait pas à son serment pour autant.

- Pouvez-vous me permettre de revenir à moi, comme vous l'avez fait au temple Sinjoh ? interrogea-t-elle. Il est important que je me réveille, j'ai... de nombreuses choses à voir.
- Oui, bien sûr, je dois être en mesure d'y parvenir. Vos préoccupations concernent-elles les Renégats ? Si c'est le cas, je ferai mieux de...
- Non, c'est simplement en rapport avec moi-même. Si vos amis étaient en danger imminents, soyez assuré que je vous en avertirai. Jusqu'à nouvel ordre, ils ne risquent rien, si je puis dire. À présent, si vous voulez bien me guider hors des limbes de mon esprit, je vous en serais extrêmement reconnaissante.
- Naturellement. Venez avec moi.

Darkrai tendit une patte griffue dans sa direction, qu'Athéna saisit sans hésiter. Il la fit avancer dans les ténèbres durant un temps qui lui parut durer une éternité. Contrairement à elle qui avait marché en ligne droite jusqu'à présent, il bifurquait souvent, réalisant parfois même des demi-tours complets.

Il semblait suivre un chemin que lui seul était capable de voir, ce qui ne surprenait guère la déesse. Il s'agissait de l'un des nombreux dons dont il disposait et il connaissait les ténèbres, auxquelles il appartenait, mieux que quiconque.

Enfin, un point lumineux apparut, si loin qu'il en paraissait minuscule. Un sourire étira les lèvres d'Athéna lorsqu'elle l'aperçut. Darkrai s'immobilisa, après avoir lâché sa main qu'il avait gardé dans la sienne, fantomatique, jusqu'à présent. Elle lui lança un regard éclatant, tandis qu'il déclarait :

- Je ne vais pas plus loin. Votre conscience vous attend là-bas. Foncez.
- Merci, mon ami. Une fois encore, je constate que je peux compter sur vous.

Sur ces mots, elle se mit à courir. Elle accroissait sa vitesse à chaque foulée, car chacune d'elles la rapprochait de son objectif. Cette fois, seules quelques secondes lui parurent s'écouler. Un cercle éclatant grandissait devant elle au fur et à mesure qu'elle réduisait la distance qui la séparait de lui. Une fois parvenue à sa hauteur, elle n'hésita pas une seule seconde : elle sauta au travers.

Son corps fut victime d'un violent sursaut lorsqu'elle revint brutalement à elle, au coeur de son antre. Elle était étendue sur un monticule de draperies confortable que Zeus, sans doute rongé par le remord d'avoir infligé un tel sort à sa fille, avait fait installer pour elle. Elle se redressa précipitamment, dédaignant totalement sa couche.

Son père n'avait fait que la retarder, mais elle n'avait pas renoncé à son projet pour autant. Elle escomptait bien arrêter Arceus et l'empêchait à jamais de revoir Pandore, quelque soit la façon dont elle devait s'y prendre. Elle projetait déjà d'enlever la jeune femme, ainsi que son frère et sa soeur, et les cacher quelque part pour le restant de leurs jours.

Sans les miroirs spéciaux de la Salle Originelle, qui avaient été détruits en même tant qu'elle, l'Alpha n'aurait pas les moyens de les retrouver. Y parvenir lui prendrait des années, d'autant qu'il devrait agir avec la seule assistance de son fidèle humain. Qui plus est, Athéna pourrait anticiper ses tentatives à l'aide de ses Zarbi et déplacer sa protégée sitôt qu'il menacerait de la localiser.

Désormais debout, la déesse était sur le point de fondre sur la porte qui la séparait des tunnels de la Cave d'Hadès lorsque les paroles de Darkrai lui revint en mémoire. Il lui avait affirmé qu'elle était placée sous la surveillance de ses oncles, et pas seulement. Si Zeus leur avait donné l'ordre de ne la laisser sortir sous aucun prétexte, elle ne parviendrait jamais à passer, d'autant qu'il était absolument exclu pour elle d'utiliser la force.

Par chance, son père n'était pas le seul à avoir des alliés pour le soutenir. Elle aussi, elle pouvait compter sur ses fidèles amis. Elle savait que Darkrai ne s'opposerait jamais ouvertement à la volonté d'Arceus ou de son humain, afin de demeurer dans ses bonnes grâces le plus longtemps possible, mais d'autres seraient prêt à le faire sans hésiter si elle le leur demandait.

Une seconde après avoir frappé dans les mains, les Zarbi se matérialisèrent autour d'elle en exécutant leur traditionnel ballet. À voix très basse, afin de ne pas courir le risque d'être entendue, elle murmura :

- Allez chercher Janus et Célébi. Dites-leur que je suis enfermée ici et que je dois absolument sortir, mais dans la plus grande discrétion. Il va falloir qu'ils m'aident si je veux y parvenir.

***
Poséïdon montait la garde devant les appartements d'Athéna lorsqu'il entendit un bruit. Instinctivement, son regard se tourna vers la porte qui se trouvait juste dans son dos, raffermissant sa prise sur son trident qu'il tenait dans sa main. Zeus avait toujours habilement caché l'étendue des pouvoirs de sa fille mais, depuis qu'ils l'avaient vue à l'oeuvre face à Némésis, ils la redoutaient tous en secret. Lui-même, bien qu'il soit plus ou moins son oncle, ne faisait pas exception.

Son frère lui avait dit qu'elle peinait à nouveau à maîtriser ses dons surpuissants, ainsi que c'était le cas depuis qu'elle était apparue. Zeus parvenait souvent à gérer ses crises, cependant cette fois, Athéna semblait avoir totalement perdu le contrôle sur elle-même, raison pour laquelle il avait dû se résoudre à la plonger dans un sommeil profond.

Le son qu'il avait entendu signifiait-il que la déesse s'était réveillée ? Poséïdon avait beau compter parmi les légendaires les plus puissants, le combat auquel il avait assisté et l'engloutissement de l'Atlantide qui s'en était suivi avait suffi à le convaincre que personne, au sein de la Confrérie, n'était de taille face à Athéna.

Si elle venait à devenir incontrôlable, non seulement il n'aurait pas les moyens de la maîtriser, mais qui plus est, il ne pourrait sans doute pas l'affronter sans risquer de la blesser, or Zeus ne lui pardonnerait certainement pas s'il devait arriver malheur à celle qu'il élevait comme s'il s'agissait de la chair de sa chair.

Par chance, il ne s'agissait que de Janus qui ne tarda pas à apparaître à l'extrémité du boyau dans lequel il se trouvait, Célébi voletant avec légèreté autour de ses épaules. Ses petites ailes provoquaient des courants d'air délicat qui agitaient les cheveux mi-longs et argentés du dieu.

- Poséïdon ! s'exclama-t-il en le voyant. Enfin je vous rencontre !
- Étiez-vous en train de me chercher, Janus ? À quelle fin ?
- Je dois m'entretenir avec vous d'un sujet que vous considérerez, je crois, comme très important.
- De quoi s'agit-il ?
- Célébi m'a informé, après être revenu de l'un de ses voyages dans le temps, que dame Aphrodite avait été grièvement blessée par Latias, alors qu'elle se battait férocement avec Artémis. Elle a réussi à lui échapper grâce au secours de Sulfura, mais c'est désormais la Chasseuse qui la traque, afin de profiter de son affaiblissement temporaire pour tenter de lui ôter la vie.
- Cet événement s'est-il passé ou va-t-il se produire ?
- À l'instar d'Athéna, nous répugnons à connaître le futur, d'autant que, contrairement au passé, il n'est pas immuable, il peut toujours changé ou être modifié. Ce que je viens de vous narrer a eu lieu hier.
- Dans ce cas, je suppose qu'il m'est inutile de vous demander si elle va parvenir à s'échapper.
- Inutile, en effet, mais je pense qu'une intervention de votre part assurerait sa sécurité.
- C'est que... commença Poséïdon avant de s'interrompre. Athéna semble perturbée, en ce moment, et son père nous a instamment priés de veiller sur elle à tour de rôle. Je ne...
- Je peux vous remplacer le temps que quelqu'un vienne vous relever. Cela ne me dérange aucunement. Elle est mon amie, je prends sa sécurité très à coeur.

Le dieu au trident hésita encore quelques secondes, mais il finit par se laisser convaincre. Il posa sa main sur l'épaule de Janus afin de le remercier des informations qu'il venait de lui communiquer et s'éloigna dans le corridor jusqu'à une bifurcation, où il disparut. Célébi, après s'être assuré qu'il ne reviendrait pas sur ses pas, adressa un signe de la patte à son humain.

- Athéna ? murmura-t-il en poussant la porte.

Cette dernière fut si heureuse de le voir, enfin sortie de son sommeil forcé et de son isolement, qu'elle se jeta à son cou. Janus fut légèrement surpris par une telle marque d'affection, mais il consentit à lui rendre son étreinte durant quelques secondes, avant de la presser :

- Si vous voulez partir, faites-le vite. J'ignore à quel moment la relève de Poséïdon arrivera et je gagerai que tous n'éprouvent pas, contrairement à lui, une certaine inclination pour dame Aphrodite. J'aurais dû mal à vous permettre de vous échapper une seconde fois.
- Merci Janus. Et toi aussi, Célébi. Votre aide m'a été très précieuse.
- Remerciez surtout vos Zarbi. Et Darkrai. Il nous a avertis quelques secondes avant eux que vous étiez retenue ici contre votre gré et que vous risquiez fort d'avoir besoin de nous.

Athéna esquissa un sourire. Le pokémon noirtotal, bien qu'il appartienne au clan des Renégats, était décidément en toute circonstance son allié le plus inattendu. Heureusement qu'elle pouvait compter sur lui, en plus de tous ses autres amis.

- Zeus ne tardera pas à comprendre que je me suis enfuie. Attendez-vous à le voir dans une colère noire, à ce moment-là, informa-t-elle.
- Nous y survivrons, comme toujours ! affirma Janus tandis qu'elle s'éloignait à son tour en courant, décidée à ne pas perdre la moindre minute supplémentaire.

***
Arceus inspira profondément. C'était le grand jour : il s'était enfin décidé à avouer toute la vérité au sujet de son identité à Pandore. Il n'avait surtout pas le choix, car il ne lui restait assez de potion que pour deux ou trois métamorphoses encore, mais pas davantage. C'était maintenant ou jamais.

Rassemblant son courage, il frappa à la porte de la masure dans laquelle vivait Pandore, en compagnie de son frère et de sa soeur. C'était étrange pour lui de redouter quelque chose. Après tout, Cronos étant captif d'une boîte, Némésis bannie et Athéna déterminée à ne plus utiliser ses pouvoirs, il était incontestablement redevenu l'être le plus puissant de l'univers. Quelle ironie d'être contraint de craindre la réaction d'une simple humaine ?

Hélas pour lui, il ne devait plus s'agir de son seul sujet de préoccupation. Lorsque le battant de l'entrée pivota et qu'il s'apprêtait à afficher sur son visage d'humain un sourire éclatant, il se retrouva confronté à la mauvaise surprise qui se tenait de l'autre côté ou, plus exactement, à la fille de Zeus en personne.

- A-Athéna ? bégaya-t-il. Comment...
- Toi, comment ! Comment as-tu pu me faire cela ? Comment as-tu pu ordonner à mon propre père de me séquestrer ? Comment as-tu osé te jouer de moi de la sorte ? Tu n'as aucune parole, Arceus. Aucun honneur. C'est terminé, à présent. Tu m'as demandé de la protéger, mais la seule menace qui plane sur elle, c'est toi. Crois-moi, je ne te permettrai plus jamais de l'approcher.
- Tu n'as pas le droit de...
- C'est exactement ce que Zeus a dit. Je le prends, figure-toi. Némésis n'étant pas là, je fais régner l'équilibre. Les humains avec les humains, les pokémon avec les pokémon. Ce n'est pas moi qui ai établi cette loi. C'est toi. Au début, tu m'avais assuré que tu te tiendrais à distance. Ensuite, tu as voulu que je t'autorise à la voir en personne, et tu as outrepassé mon refus. Tu m'en demandes toujours plus à chaque fois, Arceus, sauf que tu as désormais franchi une limite au-delà de laquelle je ne te suivrai pas. C'est terminé. Tu as été trop loin et tu as perdu.
- Où est-elle ? gronda-t-il férocement.
- Loin d'ici. Quelque part où tu ne la retrouveras pas, parce que j'y veillerai personnellement. Tu n'es pas seulement un pokémon, Arceus, tu es également un dieu immortel. Tu ne peux pas lui offrir le bonheur auquel elle aspire en tant qu'humaine.
- Qu'en sais-tu ? Elle était parfaitement heureuse, au cours de ces longues heures que nous avons passé ensemble.
- Tu as tissé un mensonge autour d'elle, afin de l'attirer à toi. Tu sais très bien que rien ne se serait passé ainsi si elle avait su dès le départ qui tu étais. Son existence est trop courte pour que je t'autorise à la gâcher.
- Je ne...
- Quoi ? Tu ne gâches pas tout ? La dernière fois que tu as côtoyé une humaine, elle a fini exilée dans le Monde Inversé, après d'horribles sévices.
- Je t'ai déjà dit que cela n'avait rien à voir, rétorqua férocement Arceus.
- Si. Tu as cessé d'avoir du temps et de l'intérêt pour Lilith, raison pour laquelle elle a puisé son réconfort auprès de Giratina, jusqu'au résultat que l'on connait tous. Tôt ou tard, Pandore aura également besoin de choses que tu ne pourras plus lui offrir, encore moins lorsque tu auras perdu son existence humaine. A ce moment-là, afin de ne pas souffrir de ce manque, elle devra se tourner vers un être comme elle, un mortel. Tu es jaloux, Arceus. Possessif. Ce jour-là, tu ruineras sa vie, ainsi que celle de tous ceux qui l'approcheront. C'est de toi que je dois la protéger. Plus que des Renégats, plus de quiconque. Il n'y a que toi qui peux lui faire du mal.
- Cela ne se produira pas, car je ferai cette fois tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas avoir à la perdre.
- C'est trop tard, Arceus. Tu t'es joué du monde entier. D'elle, de moi... Tu nous as menti. Manipulées. Il n'est pas question que tu continues. Jamais, autant qu'en cet instant, je regrette de t'avoir servi. Tout est ma faute, je l'admets.
- Némésis l'aurait tuée. C'est Pandore que tu as sauvé en la vainquant.
- La combattre n'a pas été mon erreur. Celle que j'ai commise, en revanche, a été de ne pas lui parler dès le début. De ne pas lui avoir avoué que, en dépit de la sentence infligée à Lilith et qu'elle avait approuvée, tu te vengeais également sur les humains, au point de nuire à cet équilibre si cher à ses yeux. J'ai eu pitié de toi, cependant, parce que tu es le pokémon de mon père et que, jusqu'alors, tu avais toujours été bon avec moi. Je n'aurais pas dû. Peu de temps avant que tu ne fomentes ta coalition contre elle, elle m'a affirmée que mon coeur était ma plus grande faiblesse. Elle n'aurait pas pu avoir davantage raison.
- C'est à se demander si tu en as vraiment eux, quand je constate les sévices que tu te plais à infliger au mien, rétorqua Arceus.
- Il est temps, pour toi comme pour moi, que nous nous rangions à la voix de la raison, et pas à celle de nos émotions.

Tout en prononçant ces mots, Athéna croisa les bras sur sa poitrine. Elle était déterminée à se montrer inflexible. Elle n'avait déjà pas peur de l'Alpha sous sa véritable apparence, or là, emprisonné dans ce simulacre de corps d'humain, elle ne distinguait pas le quart de la majesté qui était autrement la sienne.

Un long silence s'imposa entre eux. Elle avait exprimé clairement sa volonté de ne pas céder un pouce de terrain, pourtant Arceus était visiblement décidé à ne pas en rester là, sans quoi il aurait déjà capitulé. Il était cependant le pire entêté de sa connaissance. C'était bien le seul point commun qu'il partageait avec une grande partie des Renégats.

- Ferais-tu toujours preuve de la même dévotion à l'égard de tes propres idées si je te menaçais de bannir à son tour Prométhée, pour un motif quelconque ? Pourquoi pas traîtrise, tiens ?
- Si jamais tu touches à un seul de ses cheveux, je te jure que...
- Voilà ! s'exclama Arceus avec un sourire mauvais. Voilà donc ce que tu appelles la voix de la raison et non des émotions ? Tu es incapable de ne pas laisser parler les tiennes, tu n'y parviendras jamais. Je pourrais faire pire que cela, et tu le sais. Non seulement je pourrais enfermer ton chez ami quelque part, mais surtout, je pourrais lui offrir comme seule compagnie celle de la charmante Volupté. Ainsi, puisque tu te permets de me reprocher mon naturel jaloux, je m'amuserai à observer ta souffrance de les voir ensemble.
- Même si cela devait se produire, je ne pousserai pas ma rivale pour autant dans le Monde Inversé ! s'emporta Athéna, les poings serrés. C'est cette méthode plus qu'aucune autre que je ne cautionne pas chez toi. Tu n'affrontes pas les obstacles, tu les détruit un à un, de la façon la plus barbare qui soit. Dès que quelqu'un se dresse en travers de ton chemin, tu l'élimines. Giratina, Némésis, les Renégats... Moi. Tu nous as créés, mais nous ne sommes pas tes jouets. Si tu ne supportes pas cela, tu aurais dû rester tout seul dans le Chaos. Pas prendre la peine de donner vie à un monde que tu mènes inexorablement à la mort.
- Je n'ai jamais eu l'intention de me battre contre toi, Athéna, mais...
- Tu n'en as jamais eu l'intention tant que je marchais droit dans ton sillage, que j'exauçais tes désirs et que je couvrais tes fraudes. Puisque ce n'est plus le cas, aurais-tu encore des scrupules à ne pas le faire ?
- Non. Aucun. Je n'ai pas l'intention de te laisser me séparer de Pandore, pas alors que j'avais enfin réussi à obtenir ce que je désirais.
- Je te l'ai dit, Arceus, c'est trop tard. Elle sait qui tu es, désormais. J'ai rétabli la vérité, ainsi que Némésis l'aurait fait si elle avait été encore là. La nouvelle l'a bouleversée et il va sans doute lui falloir très longtemps pour se remettre de ce qui s'est passé. À cause de toi. Je suis sincèrement désolée.
- De quoi ? De m'arracher le seul être que j'ai malgré moi réussi à aimer, en dépit de ce que Lilith m'a infligé ?
- Non. Je suis navrée que ce qu'il y a de meilleur en toi soit également ce qu'il y a de pire.

Arceus poussa un cri féroce, en totale inéquation avec l'apparence humaine qu'il possédait en cet instant. Il fondit sur Athéna et la propulsa contre la table derrière elle, qui s'écrasa sous son poids. Sa métamorphose avait beau altérer ses capacités, il demeurait beaucoup plus fort et rapide qu'un mortel.

- Arrête ! tonna-t-elle avec autorité, tout en se redressant. Tout ceci n'a été qu'une erreur de notre part à tous les deux. Je le concède, j'ai autant, si ce n'est plus, de responsabilités que toi dans l'affaire. Tu m'as soumis à ta volonté, c'est vrai, mais quelque part au fond de moi, je soupçonnais déjà que cela nous conduirait jusque-là. Nous devons arrêter cela tant que nous le pouvons encore. Laisse-moi résoudre le problème et je t'assure que...
- Il n'y a aucun problème. Il y a simplement toi, qui te dresse en travers de mon chemin.

Athéna serra les dents tandis qu'elle retirait le morceau de bois qui s'était planté dans sa jambe. Elle saigna quelques secondes, avant que sa peau n'entame une rapide cicatrisation, propre à son espèce divine.

- Reste en dehors de cela, désormais, gronda Arceus. Je suis convaincu que je peux encore tout expliquer à Pandore et...
- Non ! Je t'ai déjà dit que j'agissais dans son intérêt. Je connais les humains mieux que toi, je sais ce qui est bon pour eux. Toi, tu ignores tout d'eux, alors je t'en supplie, pour une fois, incline-toi. Capitule, parce que je ne t'accorderai pas le dernier mot.
- Tu veux que je plie devant toi ? Moi, l'Alpha ?
- Je ne m'adresse pas à toi en tant que Créateur, mais en tant que pokémon de mon père. Nous l'aimons tous les deux, tout comme nous aimons Pandore. Nous avons des points communs, toi et moi, et...

Athéna n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Elle heurta de plein fouet la porte du garde-manger, qui s'effondra elle aussi. Son corps se mit à trembler, son coeur à palpiter à un rythme fou. Elle était en train de perdre toute sa maîtrise, à cause de son instinct de survie qui la poussait à répliquer aux coups qu'elle subissait, de façon à se défendre.

- Non, calme-toi ! ordonna-t-elle à Arceus. Cesse de m'attaquer, sinon c'est moi qui vais...

Aveuglé par sa rage, l'Alpha le voulait rien entendre. Il l'empoigna par le col de la robe qu'elle portait et la plaqua contre une étagère, qui craqua méchamment. Son visage à quelques centimètres du sien, alors qu'elle se débattait pour tenter de lui échapper, il pesta :

- Tu n'as pas davantage de parole que moi. Tu m'avais promis ta loyauté et qu'ai-je, au final ? Un coup de couteau en plein coeur. Tu as mis cette humaine en travers de ma route. C'est toi qui l'as choisi. Tu aurais pu sélectionner n'importe qui, et pourquoi pas un homme, mais c'est sur elle que ton choix s'est porté. Ce n'était pas le hasard.
- Si. Tu es le mieux placé pour savoir que le destin n'existe pas. S'il te plaît, je ne veux pas que nous nous battions.
- Et moi, je veux que tu me dises où elle est !
- L'état dans lequel tu te trouves en cet instant me conforte dans l'idée que tu es un véritable danger. Pandore te rend complètement fou, et c'est dans la folie qu'elle continuera à te plonger si je laisse toute cette histoire continuer.
- Tout rentrera dans l'ordre sitôt que j'aurais pu lui parler. Tu peux me croire.
- C'est bien le problème, Arceus. Je ne te crois plus. Pas après que tu aies outrepassé mon avis pour l'approcher. Tu as toujours ma loyauté, mais ma confiance, tu l'as perdue à jamais.
- Ta loyauté ? Si tu en avais eu, tu te serais inclinée face à ma volonté. Tu m'aurais de toi-même parlé de la potion de métamorphose. Tu m'aurais mené à Pandore de ton plein gré. Je n'aurais pas eu à m'adresser à ton père pour obtenir tout cela. Et maintenant, tu vas répondre à ma question ! Où est-elle ?

Le bras du Créateur vint se plaquer contre la gorge d'Athéna. Elle suffoquait, prise en étau entre son coude et l'étagère qui menaçait de s'affaisser d'un instant à l'autre. Péniblement, à cause de l'air qui avait des difficultés à passer dans ses poumons, elle réussit à articuler :

- Relâche-moi. Relâche-moi avant que...

Au lieu de l'écouter, Arceus rassembla ses forces pour la presser davantage. Il n'avait pas conscience de ses gestes, ni de rien du tout autour de lui. Personne, pas même Lilith, n'avait réussi à le mettre dans un tel état de rage jusqu'alors. Il était incapable de se concentrer sur Pandore, la douce, la magnifique Pandore, qu'Athéna voulait lui interdire de revoir. Il ne pouvait accepter cela.

Sa hargne le conduit à commettre une erreur fatale, autrement dit à ignorer les avertissements de la déesse. Les yeux de celle-ci pâlirent, son corps s'entoura d'un halo blanc, tandis qu'une violente douleur s'immisçait dans le crâne d'Arceus. Ses facultés légendaires étaient amoindries sous cette forme et, de ce fait, atténuaient mal sa souffrance.

Il n'eut pas d'autre choix que celui de libérer Athéna et de reculer. Il subissait une telle torture qu'il poussa un hurlement déchirant. La fille de Zeus, après avoir inspiré trois longues bouffées d'air frais, secoua la tête afin de rompre sa concentration et de lever le sortilège qui brûlait le cerveau du Créateur.

- Est-ce que tu as conscience de ce que tu viens de faire ? pesta-t-elle, avant de s'effondrer à genoux car elle était mentalement éprouvée par ce qui venait de se passer. Tu sais très bien qu'il ne faut pas me provoquer. Je suis dangereuse, Arceus. J'aurais pu te tuer, à l'instant.
- Qu'importe ? rétorqua-t-il. La mort serait certainement plus douce que le sort auquel tu veux me soumettre.
- Ce sort-là, c'est un avant-goût de ce qui se produira dans trente, quarante ou cinquante ans, et il me conforte dans ma décision. Tôt ou tard, tu devras vivre sans elle. Autant commencer tôt, afin que le moment venu, ta colère et ta douleur ne soient pas telles qu'elles te pousseront à t'en prendre au monde entier.
- Je...
- Tais-toi. J'en ai assez entendu et il n'y a rien à ajouter de plus que cet ultimatum que je vais te poser. Soit tu renonces, tu retournes à la Cave d'Hadès et nous tirons tous deux un trait sur ce qui s'est passé aujourd'hui, soit tu m'affrontes, comme tu as entrepris de le faire il y a un instant, avec tous les risques que cela implique. Lorsque je me suis battue contre Némésis, j'ai détruit une région et tué tous ses habitants. Rien ne prouve que je ne recommencerai pas malgré moi, or Pandore est fortement susceptible de se trouver encore à Sinnoh. Es-tu égoïste au point de risquer sa vie ou l'aimes-tu assez pour renoncer à elle de ton plein gré ?

Bien que les prunelles vertes et or d'Arceus soient toujours assombries par la colère, les traits de son visage parurent se détordre légèrement. Il prit une profonde inspiration, tandis qu'Athéna se décollait du mur contre lequel elle était encore acculée quelques secondes auparavant.

- Contrairement à ce que tu sembles croire, je ne fais pas tout ceci de gaieté de coeur, ajouta-t-elle dans un murmure. Tu es le pokémon de mon père et c'est presque ainsi que je te considère toi aussi. Je tiens à toi, en dépit de tout, et même du nombre de fois où je me suis retrouvée en désaccord avec toi. Crois-moi, j'aurais voulu que rien de tout cela ne se produise, mais... Il est trop tard pour faire marche-arrière.

Elle attendit en silence une réaction de la part de l'Alpha, qui tarda à venir. Il resta muet un long moment, le regard perdu dans le vague, à fixer un point qui paraissait être à des milliers de lieues derrière Athéna, alors qu'il n'y avait qu'une étagère ravagée et un mur défraîchi.

Finalement, il tourna les talons, toujours sans le moindre mot. Il quitta le garde-manger pour se diriger vers la porte de la masure, tandis que la déesse le suivait à distance. Au moment d'en franchir le seuil, il souffla, sans se retourner :

- Dis-lui... Dis-lui que pour la première fois de ma vie, j'envie les humains, ces êtres que je considère pourtant comme inférieurs, indignes et dont la souffrance me plaît par-dessus tout. Parce que les humains peuvent être avec elle, et moi pas. Dis-lui cela, s'il te plaît.

Ces paroles furent les seules qu'il prononça avant de disparaître hors de la vieille maison, laissant Athéna abasourdie. Depuis que toute cette histoire avait commencé, elle s'était longuement interrogée sur la véracité et le fondement des sentiments d'Arceus à l'égard de Pandore, elle qui avait toujours été convaincue qu'il n'était victime que d'un simple transfert de l'affection qu'il portait jadis à Lilith.

Elle commençait sérieusement à douter de son hypothèse. Son attitude semblait être sincère et, contre toute attente, il avait refusé de faire montre de cet égoïsme qu'elle-même lui avait reproché au cours des dernières décennies. Pouvait-il vraiment l'aimer, de tout un coeur dont elle avait douté de l'existence ?

Athéna secoua la tête. Elle ne devait pas se laisser gagner par ses bons sentiments, sans quoi ses émotions la forceraient à courir derrière lui et à le conduire auprès de Pandore, malgré le poignant discours qu'elle venait de tenir. Némésis avait vu clair en elle. Elle était beaucoup trop sensible pour se montrer juste. Il fallait absolument que sa tête apprenne à commander, au détriment de son coeur.

Arceus souffrirait, certes, mais elle épargnerait Pandore. Ce serait un moyen comme un autre de la protéger, ainsi qu'elle l'avait promis au Créateur et à elle-même. Elle avait pris la bonne décision. Pas la plus simple, pas dénuée de sacrifices, mais celle qui se justifiait le plus à la vue de la situation. Elle n'avait aucune raison de le regretter.

***
Assis sur une petite banquette, juste au-dessous d'une fenêtre ouverte et accoudés à la bordure, Joséphine et Antonin regardaient les flocons tomber avec émerveillement. Il neigeait rarement à Floraville, cité située beaucoup plus au sud que Frimapic, et cela ne s'était pas produit depuis que l'aîné des deux avait cinq ans. Ni l'un ni l'autre ne gardait le moindre souvenir d'un pareil spectacle.

De temps en temps, Joséphine tendait l'une de ses petites mains en direction du ciel et attrapait une étoile glacée dans sa paume, qui fondait presque aussitôt au contact de sa peau tiède, lui arrachant un petit rire. Quant à Antonin, il traçait des lignes tordues dans la pellicule blanche qui s'amassait sur le chambranle.

- Regardez ce que je vous apporte, lança une voix délicate dans leur dos. De quoi vous réchauffez.

Ils pivotèrent immédiatement sur eux-mêmes afin d'observer Athéna, qui leur faisait désormais face avec un plateau entre les mains, sur lequel étaient posées deux tasses fumantes. Des effluves sucrés et appétissants s'en échappaient, qu'ils identifièrent immédiatement comme ceux du chocolat.

La déesse apprenait vite et, à force d'avoir vu Pandore faire la cuisine, elle parvenait à réaliser ses propres préparations, généralement des gourmandises dont les deux enfants étaient terriblement friands.

Ils vivaient depuis plus d'un mois dans un chalet bâti au coeur de Frimapic, deux fois plus grands que la masure dans laquelle la famille Higlehow avait toujours vécu. Afin d'acquérir ce logement, et tout le confort nécessaire aux trois humains, Athéna avait demandé à Crios de lui fournir de l'argent.

Grâce au temps qu'il passait régulièrement dans le monde d'en-bas depuis sa création, il avait acquis ce que les mortels considéreraient comme une immense fortune, aussi avait-il amplement eu les moyens de satisfaire sa requête. Qui plus est, comme il était l'un de ses amis de confiance, il avait accepté sans lui poser la moindre question, se contentant de l'explication qu'elle lui avait donné, à savoir celle d'une retraite parmi les hommes. Personne, parmi ses proches, n'ignorait quels étaient ses tourments depuis son combat face à Némésis.

- Faites attention à ne pas vous brûler, recommanda-t-elle. C'est très chaud.
- Merci, tante Athéna. Est-ce que tu nous as fait des biscuits pour aller avec ? Ceux dont nous raffolons tant.
- Ils sont en train de cuire. Si tu veux, Joséphine, tu peux aller t'assurer qu'ils dorent correctement.
- Oh oui, alors !

La fillette s'éloigna en courant, sa tasse à la main, pendant qu'Antonin prenait la sienne et se replongeait dans la contemplation de la neige. Il était beaucoup moins turbulent que sa soeur, qu'un rien suffisait à rendre guillerette, voire surexcitée. Athéna décida de s'asseoir à côté de lui.

- C'est joli, n'est-ce pas ?
- C'est très beau, oui. C'est ici que tu vis, lorsque tu n'es pas avec nous ? l'interrogea le garçon.
- Non. Jusqu'à présent, je n'avais jamais eu de maison à moi. J'ai vécu avec mon père durant longtemps, après quoi j'ai pris goût au voyage. C'est la première fois que j'ai vraiment un endroit où je me sente chez moi.
- Et ton père, il te manque ? Parce que le mien... Au début, oui, mais maintenant, c'est à peine si je me souviens de ce à quoi il ressemblait. Quant à Joséphine, elle ne se rappelle même plus de son nom.
- C'est parce que vous étiez très jeunes, quand il est parti, affirma Athéna d'une voix douce. En ce qui me concerne, mon père me manque beaucoup, oui.
- Alors pourquoi est-ce que tu n'es pas avec lui ? Il est mort ?
- Non, il est toujours vivant. Je l'ai d'ailleurs revu, lors de ma dernière absence. Simplement, nous en sommes arrivés à un stade où nous ne sommes pas d'accord sur tout et où je suis devenue trop âgée pour continuer à faire ce qu'il me dit sans protester.
- Et moi, tu crois que je suis assez âgé ? J'aimerais bien pouvoir tenir tête à Panny lorsqu'elle veut m'empêcher de reprendre trois fois du dessert.
- Ta soeur a raison sur ce point, admit la déesse après avoir été secouée par un petit rire. Je vous prépare déjà bien assez de gâteaux ainsi, il ne faut pas abuser des bonnes choses.
- Pourquoi est-ce que tu te disputes avec ton père, toi ? s'enquit Antonin en posant sur elle ses innocents yeux bruns.
- Il y a une personne que nous aimons beaucoup, tous les deux, mais il croit que je ne lui suis pas aussi dévouée que je le devrais.
- Et c'est vrai ?

Athéna ne répondit pas. Elle s'était toujours targuée d'être loyale à Arceus et, même si elle avait à maintes reprises servi ses intérêts, elle s'opposait au moins aussi souvent à lui, qu'il en ait conscience ou non. Elle manoeuvrait en cachette pour protéger les Renégats, qu'il avait pourtant désignés comme ses ennemis mortels, elle l'avait écarté de Pandore...

D'un autre côté, toutes les erreurs qu'elle avait commises, c'était parce qu'il le lui avait enjoint, d'une façon ou d'une autre. Le bannissement de Némésis, sa rencontre avec la jeune mortelle dont il s'était éprise... Elle avait exécuté ses ordres, aveuglément, au lieu de faire ce qu'elle savait pourtant être juste.

- Je ne sais pas, avoua-t-elle dans un souffle. Je voudrais l'être, mais parfois... Cette dévotion m'a déjà amenée à commettre des actes que je regrette. Je n'ai pas envie de recommencer. C'est un fardeau beaucoup trop lourd à porter

Antonin ne releva pas et Athéna en fut soulagée, sans quoi elle aurait dû s'efforcer d'éluder ses questions. Sa soeur et lui étaient encore très jeunes, raison pour laquelle elle avait gardé auprès d'eux le secret de sa véritable identité. Bien qu'elle leur fasse confiance, la moindre erreur de leur part, due à un manque de maturité, risquerait de la dévoiler au grand jour, ce qu'elle préférait éviter.

En dehors du Grand Dragon Noir, que les humains avaient vu de leurs propres yeux, les légendaires n'étaient que des mythes, des noms qu'il avait mentionné lors de ses nombreuses venues dans le monde d'en-bas et qu'Athéna avait tendu à diffuser par la suite. Ils n'avaient jamais rencontré une seule de ces créatures extraordinaires dont ils parlaient pourtant souvent, et qu'ils priaient comme si celles-ci allaient les entendre.

Ainsi qu'Arceus le lui avait dit, lorsqu'elle avait eu vent des rumeurs qui couraient sur la "dévoreuse d'enfants", Héra s'était chargée de transmettre à son tour une nouvelle version des histoires de Giratina. Cela avait dû lui demander un effort considérable, elle qui haïssait les humains presque autant que l'Alpha lui-même.

Athéna en avait eu quelques échos de ses paroles, où elle présentait les Renégats comme des traîtres à la cause du Créateur, des êtres vils et abominables qu'il fallait à tout prix occire. La fille de Zeus avait également constaté que, quels que soient les récits de base sur lesquels s'appuyaient les mortels, ils retenaient davantage la mention des pokémon, que celles des humains qui les accompagnaient, sans doute car ces créatures les fascinaient, de part leurs multiples talents.

Contrairement aux hommes, qui étaient dotés de capacités limitées, leurs différentes espèces possédaient des talents incroyables. Pour les mortels, les voir cracher du feu, de l'eau, manipuler les plantes ou le vent, relevait de la magie. C'était pour cette raison qu'ils les traitaient avec vénération, qu'ils soient dieux ou non, alors que les humains, même légendaires, demeuraient sans doute tristement banals à leurs yeux.

Ils n'avaient sans doute pas tort, après tout. Pour preuve, la présence d'Athéna parmi eux n'éveillait pas les soupçons de quiconque, car elle n'avait rien d'extraordinaire, du moins en apparence. Un Farfuret sauvage, toutefois, les laissait bouche bée. Quelle avait dû être leur réaction lorsqu'ils avaient vu Giratina apparaître, cet immense dragon de plusieurs mètres de haut ? À sa seule vue, ils l'avaient certainement déjà considéré comme un être divin.

Athéna esquissa un sourire en songeant qu'elle, qui n'aurait pourtant pas fait froncer le moindre sourcil à quiconque, était plus puissante que les trois Dragons réunis, ainsi que les trois Titans. C'était la preuve implacable qu'il ne fallait jamais se fier à ce que l'on voyait.

- Tu devrais rentrer, Antonin, conseilla-t-elle après s'être perdue quelques minutes dans ses pensées. Il fait frais et tu risques d'attraper un rhume si tu t'attardes davantage.

Le jeune garçon s'exécuta docilement. Il se mit debout, ferma la fenêtre, et se dirigea vers le canapé du salon en tenant précautionneusement sa tasse entre ses mains. Un feu incandescent brûlait dans l'âtre, qui projetait des ombres orangées sur les murs de la pièce.

La maison débordait de confort et les deux enfants avaient l'air de s'y plaire. Quant à Pandore, c'était plus que tout ce à quoi elle aurait pu rêver dans sa vie. Malgré cela, elle n'avait pas l'air si heureuse qu'elle aurait dû l'être. Athéna mettait cela sur le compte du mal du pays, une nostalgie de la terre dont les humains souffraient lorsqu'ils quittaient un lieu dans lequel ils avaient longtemps, et en l'occurrence toujours, vécu.

La déesse se dirigea vers les escaliers en bois qui menait à l'étage. Sa protégée passait beaucoup de temps dans sa chambre, où elle lisait en silence les histoires rédigées par Athéna elle-même. Il s'agissait pour la plupart de mythes, mais également de quelques variations comiques qu'elle avait inventées afin de distraire Antonin et Joséphine.

Ainsi qu'elle s'y attendait, elle trouva Pandore étendu sur son lit. Elle tenait entre ses mains un petit parchemin, qu'elle étudiait avec attention. À sa vue, la fille de Zeus eut un sourire. De toutes ses notes, c'était de loin la plus précieuse.

- Le dernier document au monde attestant de l'existence de Némésis, commenta-t-elle en s'asseyant sur le matelas, à côté de la mortelle.

Athéna avait avoué à Pandore toutes les informations qu'elle lui avait tues sur la Confrérie le jour où elle lui avait également révélé la véritable identité de celui qu'elle croyait être Armand de Ceus. Elle avait mentionné son combat contre la Justice, ses fâcheuses conséquences, ainsi que la vendetta de Lilith.

- Je n'arrive toujours pas à croire que tu aies combattu la femme au-dessus des dieux dans l'unique but de me protéger. J'ai également un peu de mal à concevoir que tant de monde souhaite également ma mort, mais...
- Personne ne la souhaitera tant que personne ne sera au courant de ton existence. C'est pour cela qu'Arceus s'est dressé contre Némésis et que j'ai pris le relai. Elle aurait été capable de te découvrir, alors que ce ne sera sûrement pas le cas des Renégats. J'y veillerai personnellement.

Pandore allait remettre à la fille de Zeus le poème qu'elle tenait encore, mais Athéna repoussa ses mains afin de l'inciter à le garder, ce qui lui valut un regard interrogateur de la part de la jeune humaine.

- Je te le donne. Je sais que c'est un peu étrange avec tout ce que j'ai fait pour m'interposer, mais je tiens à ce que tu conserves cette preuve de l'affection immense qu'Arceus te portait, au point de se dresser face à la déesse suprême.
- Il m'a parlé de Lilith, un jour, sans mentionner son nom. J'ai fini par faire le rapprochement entre l'histoire que tu m'as contée à son sujet et celle qu'il m'a narrée. Il m'a dit que je la lui rappelais. Est-ce qu'il m'aimait vraiment, ou est-ce que c'était elle qu'il revoyait à travers moi ?
- Pour être honnête avec toi, c'est ce que j'ai longtemps suspecté. Avec du recul, cependant, je pense que ses sentiments à ton égard étaient sincères. Contrairement à Lilith, il a su te laisser partir, même si cela n'a pas été simple pour moi de l'en convaincre. D'ailleurs, tel que je le connais, il me le fera sûrement payer, tôt ou tard...
- Je ne comprends pas... Pourquoi est-ce que tu l'as forcé à s'éloigner de moi si telle n'était pas sa volonté ?
- Je ne voulais pas qu'il te vole ta vie, exactement comme il a volé celle de Lilith.
- Il n'a rien fait de tel.
- Pour le moment, non, mais un jour, il aurait fini par ne plus avoir de potion de métamorphose. Il serait redevenu un pokémon et il aurait cessé à tout jamais de se transformer en humain.
- Et alors ? Où est le mal ? s'enquit Pandore.
- Il n'aurait pas renoncé à toi pour autant, en dépit de votre incompatibilité. Et il n'aurait pas voulu que tu renonces à lui non plus.

Athéna caressa avec douceur les cheveux de la jeune femme, toujours étendue à côté. Elle paraissait si douce, si fragile. Qui aurait pu soupçonner que cette mortelle deviendrait un jour l'objet du désir du Créateur ? Alors que la déesse était en train de la contempler et de songer à toute l'ironie de la situation, Pandore éclata en sanglots.

- Que se passe-t-il ? l'interrogea-t-elle aussitôt. Pourquoi pleures-tu ?
- Parce que je... Je...

L'humaine avait visiblement des difficultés à respirer, en plus d'avoir du mal à s'exprimer. Athéna s'empressa de l'aider à se redresser, dans l'espoir que cela permette à l'air de mieux circuler dans ses poumons. Elle passa ensuite un bras ferme et rassurant autour de son épaule afin de la soutenir.

- Je sais que c'est mal. Je sais que tu m'as dit que c'était interdit. Je sais que Lilith a beaucoup souffert pour ça. Sauf que... Il me manque.

La fille de Zeus ouvrit des yeux ronds de stupeur. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle venait d'entendre. Pandore avait-elle vraiment dit cela ? Pourquoi ? Que lui passait-il par la tête en cet instant ?

- Je croyais que... Lorsque je t'ai révélé la vérité au sujet d'Armand de Ceus, tu as été totalement bouleversée. Tu as même perdu connaissance tant tu as été choquée par mes dires. Comment...
- C'est vrai, sur le moment, c'était beaucoup plus que je ne pouvais en supporter. Un dieu, ce dieu qui a créé l'univers, qui m'a condamnée à mort, puis qui m'a épargné, ce dieu à l'origine de toute l'humanité et de tant d'autres choses... Il m'aimait. C'était... J'avais du mal à le concevoir. À présent, avec du recul, je repense à tous ces moments que nous avons partagé. Je sais bien que ce n'était qu'une illusion, qu'Armand de Ceus n'existe pas vraiment, mais... C'est ainsi. Je le regrette. Il est peut-être un pokémon, peut-être le Créateur, cependant à chaque fois qu'il était avec moi, j'avais vraiment l'impression d'avoir en face de moi un homme. Quand tu m'as appris la vérité, si j'ai été en colère, c'est surtout parce que j'ai effectivement pensé qu'il m'avait manipulée pour faire de moi sa nouvelle Lilith, mais tu viens de dire que, d'après toi, ses sentiments étaient sincères. Dans ce cas, comment puis-je le blâmer, si son amour pour moi est véritable ? Tout le reste n'a aucune importance.
- Tu veux dire que... tu l'aimes ?

Pandore acquiesça d'un hochement de tête avant de s'effondrer dans les bras d'Athéna. Cette dernière était totalement désemparée. Il en fallait beaucoup pour lui faire perdre contenance, d'autant qu'Arceus et Lilith avaient déjà eu l'occasion de l'habituer au pire en matière d'inattendu, pourtant en cet instant, la situation la dépassait.

Elle avait séparé l'humaine de l'Alpha en pensant agir pour son bien, mais au lieu de cela, elle souffrait de cette brutale rupture. Athéna s'était attendue à toute sorte de réactions, mais certainement pas à celle-là. Elle était convaincue que Pandore, en apprenant la vérité sur l'homme qui la courtisait, verrait ses sentiments devenir aussi illusoires que celui pour qui elle les éprouvait, mais elle s'était trompée. Encore.

Elle continuait. Elle ne cessait pas de marcher dans la voix qu'elle avait choisie d'emprunter et contre laquelle Némésis l'avait mise en garde. Elle se prenait effectivement pour elle. Elle se croyait capable d'interférer, d'agir comme cela lui paraissait juste et nécessaire, mais contrairement à la déesse liée à Lugia, elle n'avait pas toujours raison. Elle avait même pratiquement toujours tort.

Depuis le début, elle voulait bien faire, et depuis le début, elle faisait tout de travers. Toutes ces réactions en chaîne... C'était elle seule qui était à blâmer pour cela, pas Arceus. Elle était l'instigatrice de tous ces évènements. Elle avait provoqué tout cela et désormais, elle n'avait plus le moindre contrôle sur eux. Elle avait voulu jouer avec le destin, elle qui le redoutait pourtant au point de ne pas souhaiter utiliser les Zarbi pour tenter de l'influencer.

- Je suis vraiment désolée de t'infliger cela.

Elle avait prononcé ces excuses d'une voix blanche, presque machinalement. Que pouvait-elle dire d'autre ? Qu'elle regrettait ? Elle regrettait absolument tout, y compris le fait que Jirachi ait choisi de lui donner naissance. Si elle n'avait pas été là, le monde ne s'en porterait pas plus mal.

Elle ne pouvait même pas puiser son réconfort dans l'équilibre qu'Arceus avait ramené sur le monde lorsqu'il s'était épris de Pandore, puisque la négligence des dieux autrefois avait certainement fait moins de victimes qu'elle-même, en engloutissant l'Atlantide. Elle avait déclenché un véritable chaos, et à présent, elle ignorait comment l'arrêter.

Ce qu'elle pouvait faire cesser, toutefois, c'étaient les pleurs de la jeune mortelle, lovée contre elle. Il y avait un moyen très simple pour tarir ses larmes et, au point où Athéna en était, elle pouvait se permettre de le mettre en pratique. Elle voyait difficilement comment tout pourrait être pire.

- Est-ce que tu voudrais revoir Arceus ? demanda-t-elle.
- Que-quoi ? bredouilla Pandore. Je croyais qu'il devait se tenir à distance de moi, désormais. N'est-ce pas ce que tu lui as demandé ?
- C'est vrai, mais je l'ai fait uniquement parce que je croyais que cela vaudrait mieux pour toi. À la vue de ton chagrin, je m'aperçois que j'ai pris la mauvaise décision, une fois de plus. Si tu es vraiment prête à l'accepter en tant que pokémon et Créateur, je serais en mesure d'arranger vos retrouvailles. Pour une durée limitée, cependant, et occasionnellement, sans quoi ce serait trop dangereux. Cela risquerait d'éveiller des soupçons.
- Tu ferais ça, Athéna ? Vraiment ?
- Je ne veux que ton bonheur, Pandore, et cela peut te faire plaisir, alors bien sûr, je le ferai.
- Oh, merci ! Merci mille fois !

L'humaine se redressa avec un soudain regain de vivacité pour étreindre la légendaire de toutes ses forces. La fille de Zeus lui rendit son affection avec beaucoup moins d'entrain. Tout cela ne la réjouissait pas, mais comment reculer dans une histoire qui n'aurait même pas dû commencer ? Il ne restait qu'à avancer, en espérant que le bout du tunnel ne soit pas aussi loin que ce qu'elle redoutait.

***
Athéna avait engagé une nourrice afin de veiller sur Joséphine et Antonin en l'absence de leur soeur. Elle lui avait versé une avance considérable sur sa solde, afin de l'encourager à fournir un travail exemplaire, ce qui ne dissuaderait toutefois pas la déesse de faire régulièrement appel aux Zarbi afin de s'assurer que tout allait pour le mieux.

C'étaient eux qui avait également transmis à Arceus son assentiment pour une rencontre avec Pandore. Elle aurait lieu dans l'endroit de son choix et uniquement en sa présence. Elle avait posé ces conditions et l'Alpha lui-même n'avait pas tenté de lui opposer le moindre argument, trop heureux d'avoir une occasion de revoir celle qui lui était malgré lui si chère.

Les humains étaient très lents, par comparaison aux légendaires, et le trajet nécessiterait sûrement plusieurs jours de marche. Les deux femmes devaient retrouver le Créateur à l'ouest de Sinnoh, dans une zone reculée près d'un village que l'on nommait Litorella. Peu de gens vivaient là-bas, hormis de braves fermiers. Il leur serait aisé de se placer dans un endroit discret.

Athéna faisait montre de beaucoup de patience à l'égard de Pandore, quand d'aucuns en auraient eu largement moins. Elles devaient s'arrêter régulièrement et faire des pauses pour permettre à la mortelle de se reposer. Plus elles s'éloignaient de Frimapic et plus elle semblait s'épuiser rapidement.

Au terme de trois jours de marche et la traversée du Mont Couronné, elles atteignirent un petit village austère, connu sous le nom de Frimapic. Elles s'y étaient déjà arrêtées, quelques semaines auparavant, lorsqu'Athéna avait pris soin de déménager toute la famille Higlehow au nord. Dire que cela avait été une perte de temps...

Elles firent halte dans une auberge miteuse, la seule de toute la cité, où elles avaient déjà passé la nuit la dernière fois. L'établissement était toujours aussi crasseux et peu avenant que lors de leur précédente visite. Des Rattata grouillaient et perçaient des trous à même les murs fissurés, ce qui n'était pas pour plaire à Pandore. Elle n'appréciait pas du tout les rongeurs.

- Chambre 12, grommela le tenancier en leur tendant une clé rouillée, après qu'Athéna eut payé la somme qu'il lui réclamait.

Elle n'avait pas jugé utile de louer deux lits, puisqu'elle-même ne dormait pas. Elle se contenterait de passer sa nuit à méditer, sur le plancher poussiéreux, pendant que sa protégée se reposerait. Elle-même n'éprouvait aucune fatigue. L'effort que lui demandait plusieurs dizaines de kilomètres quotidiens était infime à côté de ceux qu'elle était en mesure de fournir.

Elle ramassa le sac à dos de Pandore, qui contenait ses affaires indispensables, qu'elle avait abandonné sur le sol et le replaça sur son épaule. Elle alla ensuite rejoindre la jeune femme qui se délassait sur une banquette défoncée, les paupières mi-closes. Elle semblait sur le point de s'endormir.

- Est-ce que tu veux que je te porte jusqu'à l'étage ? s'enquit Athéna.
- Non, murmura-t-elle d'une voix lasse. Les gens se poseraient des questions, et dans mon monde, une femme avec ta morphologie n'est pas censée avoir assez de force pour en soulever une autre avec désinvolture.
- Comme tu voudras.

Elles se dirigèrent vers l'escalier, la déesse ouvrant la voie. Pandore progressait lentement dans son sillage, en se tirant essentiellement à l'aide de la rampe et en peinant à lever les genoux. Elles étaient à mi-chemin du palier lorsque la fille de Zeus l'entendit gémir dans son dos.

- Athéna, je...

Au même moment où celle-ci se retournait, la mortelle chancela, sur le point de perdre connaissance. Elle aurait sûrement roulé les escaliers après s'être effondrée si la légendaire, grâce à ses réflexes propres à son espèce, ne l'avait pas retenu à temps entre ses bras. S'assurant que personne ne la regardait, elle la souleva et la conduisit à l'étage.

Elle n'était pas vraiment inquiète. L'épuisement avait certainement eu raison de Pandore. Elle savait que certains humains étaient plus fragiles que d'autres et qu'il s'agissait d'une réaction naturelle de leur corps afin de les informer qu'ils avaient atteint leur limite. Un bon sommeil l'aiderait à se rétablir.

Parvenue dans la chambre qu'elle avait louée, Athéna allongea la jeune femme sur le lit, d'où s'éleva un nuage de poussière à l'odeur âpre. L'endroit était loin d'être accueillant, cependant elles n'avaient pas d'autre choix. L'état de Pandore aurait difficilement supporté une nuit à la belle étoile, sur un sol dur et inconfortable, dans le froid.

La déesse passa plusieurs heures à faire les cent pas dans la pièce, ou assise par terre, à contempler le sinistre plafond auquel pendait une toile de Mimigal. Elle était heureuse, dans ces instants-là, que la patience soit l'une de ses plus grandes vertus. Cela lui permettait de ne pas trouver le temps long et sombrer dans l'ennui en attendant que sa protégée se réveille.

L'aube était sur le point de se lever au-dehors, comme elle pouvait le distinguait à travers la fenêtre, contre laquelle le vent agitait un volet brisé, lorsque Pandore commença à s'agiter. Bien que les rayons du soleil soient très pâles, elle put constater que la jeune femme était blême. Une fine couche de sueur recouvrait sa peau, qu'elle n'avait pas remarqué jusqu'à présent.

- Panny ? murmura-t-elle en la secouant doucement. Panny ? Réveille-toi.

Elle poussa un gémissement plaintif, et sa bouche se tordit en une grimace de douleur. En appliquant une main contre son front, Athéna constata qu'elle était brûlante de fièvre. Ce n'était pas normal. Contrairement à ce qu'elle avait cru, la fatigue n'était sans doute pas à l'origine de son malaise. Il s'agissait d'autre chose.

- Je... Je... bredouilla l'humaine, incapable d'articuler.
- Ne bouge pas, je vais te chercher un verre d'eau.

La déesse fondit vers la petite table branlante qui occupait tout un pan de mur fissuré et saisit le broc qui était mis à disposition des clients par l'aubergiste. Elle en remplit un récipient, et en profita pour humidifier un linge qu'elle vint déposer sur le front de sa protégée dans l'espoir de faire tomber sa température, avant de la désaltérer.

Pandore avala docilement quelques gorgées avant de repousser la main d'Athéna qui tenait le verre et de se pencher dans le vide pour vomir. Elle hoqueta bruyamment, tout en déversant une bile acide sur le sol, pendant que son amie retenait entre ses doigts les mèches éparses de ses cheveux.

- Tu as sûrement pris froid durant notre marche sous la neige. Il faut qu'un médecin t'examine, afin qu'il te donne un traitement à base de baies pour t'aider à te sentir mieux.

Athéna regrettait en cet instant d'avoir détruit le faux grimoire que Darkrai avait remis à Arceus. Bien qu'il s'agisse d'un leurre, elle avait pu constater à ses dépens que certaines recettes contenues à l'intérieur étaient exacts. De ce fait, il contenait certainement ses potions bénévolentes.

Elle se remémorait le remède qu'elle avait elle-même concocté pour sauver Joséphine d'une mort certaine, toutefois elle n'était pas certaine de pouvoir se trouver tous les ingrédients en peu de temps, même en faisant appel aux Zarbi. Elle n'avait pas le laboratoire de Circé à sa disposition, cette fois-ci.

Alors qu'elle s'apprêtait à s'éloigner du lit pour aller chercher un guérisseur quelque part dans le village, Pandore la retint par le poignet. Elle essaya, du moins, car ses muscles étaient mous et elle manquait de force. Athéna sentit son geste, toutefois, raison pour laquelle elle s'immobilisa.

- Je ne m'absenterai pas longtemps, je te le jure, affirma-t-elle de façon à rassurer l'humaine.
- Ce n'est pas ça... Je ne... Je suis désolée, Athéna. J'aurais dû te le révéler avant que l'on quitte Frimapic. Je ne suis pas malade. Je crois... Je crois bien que je suis enceinte.

L'air cessa de s'engouffrer dans les poumons de la déesse durant près d'une demi-minute. Ses lèvres se figèrent, entrouvertes, et ses yeux manquèrent de rouler hors de leurs orbites. Ses bras pendaient mollement le long de son coeur et elle n'aurait pas été surprise de sentir ses jambes s'affaisser sous elle, bien que cela ne se produit pas.

- De... D'Arceus ? bredouilla-t-elle, incrédule.
- De qui d'autre ? confessa Pandore, penaude. Je ne voulais pas te le cacher, mais au début, j'avais peur de ta réaction, et après ça, je craignais que tu n'annules notre expédition.

Athéna prit son visage entre ses mains avant de se laisser tomber à genoux sur le sol. En étudiant à travers les Zarbi les Succubes et les Incubes fabriqués par Darkrai, elle avait découvert que l'ADN des humains et des pokémon étaient incompatibles, mais que ceux-ci produisaient des molécules capables de les amener à cohabiter.

Visiblement, la potion de métamorphose confectionnée par Circé possédait la même faculté. Elle ne se contentait pas d'offrir une apparence humaine, mais également des gènes temporaires.

- Est-ce que tu as conscience de ce que ça signifie ? interrogea-t-elle, sans pour autant parvenir à recouvrir son sang-froid.
- Oui. Ce sera un Gijinka, n'est-ce pas ? Comme les... monstres de Lilith.
- Pas seulement. Il s'agit également d'un demi-dieu, en plus d'être à moitié un pokémon. Je... Pandore, je suis navrée de devoir m'exprimer d'une façon aussi brutale, mais j'ai peur que ce foetus ne te tue si tu le gardes.
- Quoi ? s'exclama l'intéressée, dans un sursaut d'énergie. Comment... Pourquoi ?
- Lilith n'a pas enfanté les Gijinkas elle-même, elle a reçu l'aide de l'un de ses amis et s'est servie de la magie noire pour parvenir à constituer son armée. Toi... Toi, tu n'es qu'une humaine, mortelle de surcroît. Tu ne survivrais pas à une telle grossesse.
- Si, je... J'en suis capable.
- Non. Ton malaise en est la preuve. Il va aspirer tes forces, toute ton énergie vitale, jusqu'à ce que tu n'en aies plus. À ce moment-là, tu mourras et ton... ce que tu portes périra avec toi.

Le regard de Pandore s'embua de larmes. Athéna, le choc de la révélation passé, s'était rapprochée du lit, à côté duquel elle était agenouillée, désormais. Elle prit la main de la jeune femme dans la sienne, tout en lui jetant un regard empreint de compassion. Le silence s'installa, jusqu'à ce que l'alitée ne le brise :

- Qu'est-ce que je dois faire ?
- Je... Je ne sais pas, avoua la fille de Zeus.
- Toi, tu ne sais pas ? Comment est-ce possible ? Tu as toujours réponse à tout, d'ordinaire.
- Sauf que la situation est tout sauf ordinaire, en l'occurrence. Elle ne saurait même l'être moins que cela. J'ignore la façon dont il convient d'agir. Ce dont je suis sûre, en revanche, c'est qu'il faut le faire au plus vite, avant qu'il ne soit trop tard.
- Tu veux tuer mon bébé, n'est-ce pas ?

Athéna ne releva pas immédiatement. C'était ce qu'elle pensait, certes, mais les mots prononcés par Pandore lui renvoyaient l'image d'une infanticide, d'une dévoreuse d'enfants, ainsi que les mortels avaient surnommé Lilith suite aux agissements d'Eve et d'Héra. Elle secoua la tête, abattue.

- Vous mourrez tous les deux s'il reste dans ton ventre.
- Est-ce que tu as déjà vu un cas similaire au mien ? Est-ce que tes pokémon qui voient tout te l'ont affirmé ?
- Non, mais...
- Alors rien ne te prouve que c'est vraiment ce qui va se produire. J'ai conscience que tu te trompes rarement, néanmoins en cet instant, je le souhaite ardemment. Je suis prête à courir le risque.
- Et Joséphine ? Et Antonin ? Songes-tu à eux ? Que deviendraient-ils si tu venais à périr ?
- J'ai confiance en toi, je sais que tu prendrais soin d'eux.
- Je suis une déesse, Panny. Une légendaire. Je ne peux garantir que le monde n'ait pas besoin de moi à n'importe quel instant et je...

"... je ne peux continuer à menacer l'équilibre du monde pour une seule humaine", s'abstint-elle d'achever. Athéna ferma les paupières un bref instant, afin de mieux se concentrer. Il n'y avait pas à réfléchir, cependant. Elle-même avait conscience de la barbarie de la solution qu'elle proposait, toutefois il n'y en avait pas d'autre.

- Je veux voir Arceus, murmura Pandore. Je veux lui dire que je porte son enfant.
- Je crains que, à la vue de ton état actuel, le voyage ne s'arrête ici pour toi. Si tu reprends la route, tu t'effondreras bien avant d'atteindre Littorella et cette fois, ce serait pour ne plus te relever.
- Alors que... C'est tout ? Je suis condamnée à demeurer ici, dans cette chambre lugubre, à attendre de mourir ou que tu m'ouvres le ventre ?
- Hélas, je crains que oui.
- N'y a-t-il pas une autre solution ? Tu as des pouvoirs, Athéna. Ne peux-tu pas me garder en vie suffisamment longtemps pour que...
- Non. C'est hors de question. Mes pouvoirs sont instables, ils risqueraient de te tuer encore plus vite, et de toute façon...
- De toute façon quoi ?

Athéna secoua la tête. Elle n'avait pas l'intention de terminer la phrase qu'elle avait manqué de prononcer, sans quoi Pandore la haïrait sûrement. Elle adorait la jeune femme, cependant elle ne pouvait permettre à Arceus d'avoir un fils, un Gijinka, alors qu'il avait volé sa fécondité à Lilith, exterminé son armée et provoqué la mort d'Isis.

Si Némésis avait été là, elle aurait sûrement tué l'humaine et son foetus sur le champ, afin de rendre la justice. Athéna, ainsi que la déesse suprême l'avait autrefois souligné, était incapable de renoncer à ses sentiments pour agir de manière convenable. Elle ne pouvait accepter de voir Pandore mourir, cette pauvre mortelle qui avait eu la malchance d'être un instrument entre ses mains et celles d'Arceus avant d'en arriver là. Elle ne méritait pas un tel sort. Le bébé, en revanche, ne devait pas vivre.

Cette pensée répugnait la fille de Zeus, cependant elle tâchait de se réconforter en se répétant que si elle n'en libérait pas Pandore, sa protégée mourait. En dépit de ce que l'Alpha avait assuré, elle n'était pas certaine qu'il supporte une telle douleur, encore moins si tôt.

- J'ai promis de veiller sur toi, Panny. J'ai juré à Arceus, ainsi qu'à moi-même, de te préserver. J'escompte bien respecter ce serment, or pour y parvenir, je n'ai pas le choix.

Pandore pleurait, les mains serrées sur son ventre qui renfermait entre ses entrailles un petit être mi-divin mi-mortel, mi-pokémon mi-humain. Elle tourna un regard implorant en direction d'Athéna, qui dut lutter pour ne pas se laisser adoucir. Comprenant qu'elle ne reviendrait pas sur sa décision, la jeune femme s'enquit :

- Combien de temps ?
- Il va falloir agir le plus tôt possible, car tu auras besoin de force pour te rétablir, or plus les jours vont s'écouler et plus le foetus absorbera les tiennes. Il y a toutefois un problème. Je ne sais absolument pas comment je dois m'y prendre.
- Les médecins le savent, eux.
- Je m'en doute, toutefois je ne peux pas me permettre de mêler un étranger à tout cela. Il pourrait mourir de terreur en apercevant que la créature que tu renfermes en toi n'est pas... normale.
- Alors c'est ça ? Il ne me reste que la mort ? D'un autre côté, c'est peut-être préférable.
- Non ! protesta Athéna. Panny, je... Je n'ose imaginer à quel point ta souffrance doit être immense, mais il te restera toujours ton frère et ta soeur. Tu es comme une mère pour eux. N'oublie jamais ça. Quant au reste, je vais trouver une solution, tu peux me croire.
- Comment, puisque personne ne doit être dans la confidence ?

La déesse s'accorda quelques secondes de réflexion. Elle ne pouvait effectivement recourir à l'aide d'un humain, qui serait désemparé face à un foetus Gijinka, mais pas non plus à un légendaire, sans quoi elle menacerait le courroux d'Arceus et potentiellement la vie de la divinité en question.

Cela limitait donc le champ des possibles à l'Alpha, son père et elle-même. En une telle situation, c'était de la regrettée Isis dont elle aurait eu besoin. Elle était la seule à avoir eu un enfant parmi la Confrérie, et surtout elle savait comment s'y prendre avec les femmes enceintes. Elle était l'une des rares, avec Crios et Prométhée, à avoir pris la peine de descendre dans le monde d'en-bas enseigner aux humains. Elle leur avait appris pour sa part l'art de l'accouchement, ainsi que de la médecine, et leur avait apporté l'éducation.

Athéna poussa un soupir. Elle aurait tellement voulu faire quelque chose pour elle. Elle se sentait au moins autant responsable de sa mort qu'elle en accusait Arceus. Lorsque Seth était venu requérir son aide afin de sauver celle qu'il aimait, elle était restée figée à côté d'
Isis tandis que celle-ci rendait son dernier souffle.

La tragédie de l'Atlantide lui revenait constamment en mémoire, en particulier lorsqu'une situation nécessitait l'usage de ses pouvoirs, ce à quoi elle ne pouvait se résoudre. C'était pour cela qu'elle n'avait pas pu sauver Isis. Elle avait eu trop peur et elle l'avait regardée mourir, en prétendant ne pas être en mesure de la secourir, qu'il était trop tard. En réalité, elle ne s'en était simplement pas sentie capable.

Athéna, que tout le monde croyait blanche comme neige, était certainement plus sombre que n'importe qui, peut-être même davantage que Lilith. Elle portait tant de fardeaux sur ses épaules, des fardeaux qu'elle emporterait avec elle pour l'éternité, sans jamais s'en décharger sur quiconque. Non seulement elle ne le pouvait pas, mais elle ne le devait pas.

- Réponds-moi, s'il te plaît, insista Pandore en l'arrachant à ses pensées. Dis-moi comment tu comptes t'y prendre.
- Je... Je l'ignore encore. Je suis pratiquement certaine de ne pas y arriver seule, alors... Il va falloir que j'obtienne de l'aide.
- Parmi tes amis, il y a sûrement quelqu'un qui...
- Non ! s'exclama aussitôt Athéna. Je veux dire... Non, parmi mes amis, personne ne pourra rien pour toi.

Ce n'était pas tout à fait juste. Crios avait passé beaucoup de temps avec les humains, il connaissait très certainement la médecine, sans doute presque aussi bien qu'Isis elle-même. Elle ne pouvait cependant se résoudre à l'impliquer dans cette situation. Elle n'avait plus la moindre confiance en Arceus.

Si elle mettait son ami dans la confidence de l'existence de Pandore et, même s'il donnait sa parole de le garder, l'Alpha n'hésiterait sûrement pas à le proclamer Renégat, uniquement pour lâcher les autres sur lui et le réduire au silence de la meilleure des façons. Qui plus est, s'il ne parvenait pas à sauver la vie de la mortelle, le Créateur le tuerait certainement de lui-même.

- Il faut que j'aille voir Arceus, je n'ai pas le choix. Il n'y a que lui qui pourra prendre une décision concernant la façon dont nous allons devoir agir.
- Aller à Littorella ? Je croyais que tu avais dit que je n'étais pas transportable. Comment comptes-tu t'y prendre ?
- Tu vas devoir rester ici. Je vais payer la chambre pour plusieurs jours, ainsi que quelqu'un pour rester à tes côtés durant mon absence. Je vais contacter Arceus pour avancer la date de notre rendez-vous, car sans toi, je me déplacerai beaucoup plus vite. De ce fait, je serai rapidement de retour auprès de toi.
- Avec de bonnes nouvelles ? interrogea Pandore, pleine d'espoir.
- Non, répondit Athéna, catégorique. Elles seront mauvaises quoi qu'il arrive. Elles l'étaient déjà à l'instant où tu m'as révélé être enceinte. Je suis désolée, Panny, mais lorsque les choses commencent mal, elles vont rarement en s'améliorant. Je sais de quoi je parle, car j'ai l'impression de sentir mon monde s'écrouler un peu plus chaque jour, depuis qu'une première fissure est apparue, et j'ai beau m'efforcer de le réparer, au final, je ne fais qu'empirer les choses.

***
Il fallut moins d'une journée à Athéna pour rejoindre Arceus, en dépit de la distance qui la séparait du lieu où elle devait le retrouver. Lorsqu'elle arriva au coeur d'une plaine, à l'écart de toute construction humaine, elle ne paraissait même pas échevelée par le trajet qu'elle venait de parcourir. L'Alpha, quant à lui, était déjà là.

- Où est-elle ? interrogea-t-il sitôt qu'elle se fut inclinée face à lui.
- À Vestigion, dans une auberge.
- Puis-je savoir à quel jeu tu joues, Athéna ? Tu as prétendu organiser une rencontre entre nous parce que telle était la volonté de Pandore, tu as affirmé qu'elle voulait me revoir sous ma véritable forme, tout cela pour te présenter à moi sans elle. J'exige des explications.
- Elle est malade, Arceus. Mourante.

La déesse choisit de s'exprimer franchement, sans faire de détour. La nouvelle avait été suffisamment rude à accepter pour elle et l'avait temporairement privée de toute délicatesse. Elle n'avait pas l'intention de prendre des gants pour parler avec le Créateur. Après tout, il était en grande partie coupable de cette sinistre situation.

- Mourante ? N'y a-t-il rien que tu puisses faire pour elle ?
- Tu sais très bien que je n'utilise plus mes pouvoirs après ce que tu m'as conduite à faire il y a des mois.
- Si tu n'avais pas agi comme une enfant capricieuse, nous aurions encore le grimoire de Circé en notre possession et...
- Et il n'aurait servi strictement à rien, coupa Athéna. Tu n'aurais pas trouvé à l'intérieur le moindre remède susceptible de la guérir. Il n'y a qu'un seul moyen de la sauver, et c'est de détruire ce qui est la cause même de son mal.
- De quoi s'agit-il ?
- Elle est enceinte, Arceus. De toi. Autrement dit, elle attend un Gijinka. Tu sais, ces créatures mi-humaines mi-pokémon, que tu as massacrées par dizaines lorsque Lilith les a emmenées avec elle à la Salle Originelle.

Contrairement à d'habitude, l'Alpha ne réagit même pas à la mention de sa favorite déchue, ce qui avait pourtant ordinairement le don de le mettre hors de lui. Il semblait être à des lieues de la réalité, comme si les premiers mots prononcés d'Athéna avait suffi à le placer en état de choc.

- Arceus ! l'appela la fille de Zeus. Il serait bon que tu réagisses, car le temps nous est compté.
- Je... Je...
- Oui, tu peux avoir honte de toi. Il n'y a pas un seul crime dont tu as accusé Lilith que tu n'aies pas commis toi-même. Avant de lui voler sa fécondité, tu aurais mieux fait de songer à te castrer.

C'était la première fois qu'Athéna faisait preuve d'une telle méchanceté dans ses paroles, mais en cet instant, elle avait besoin plus que jamais d'exprimer une fureur trop longtemps contenu. À cause d'Arceus et de ses pulsions incontrôlées, Pandore risquait de mourir. La déesse ne pouvait l'accepter.

Elle tenait à la voir vivre par affection, mais également par égoïsme, même si un tel sentiment la faisait se sentir méprisable. Elle avait commis tant d'actes vils et épouvantables, dans l'unique but d'assurer la protection de la jeune humaine qu'elle ne supporterait pas de la voir périr de la sorte. Pas après ce qu'elle avait dû accomplir pour s'assurer qu'elle ait justement une vie.

- Il faut agir, Arceus, et vite. Plus le temps passe et plus le foetus absorbe son énergie vitale. Nous devons le détruire avant qu'il ne la tue.
- N'y a-t-il pas un moyen de...
- Non ! coupa aussitôt Athéna. Je t'interdis même d'y songer. Tout ce que nous pouvons faire, et encore, c'est sauver la mère. L'enfant doit mourir.
- Comment peux-tu tenir de tels propos, toi dont l'unique but a toujours été de faire le bien ? gronda l'Alpha.
- Un jour, Némésis m'a affirmé que c'était là ma plus grande erreur, et comme toujours, elle avait raison. Pour que l'équilibre perdure, tout doit se contrebalancer. Il ne peut y avoir que du bien. Parfois, le mal est également nécessaire.
- Tu m'as accusé d'avoir fait tué des centaines de bébés innocents avec la complicité d'Eve et tu serais prête à sacrifier le mien ?
- Pour la vie de Pandore ? Bien sûr que oui. J'étais convaincue que tu finirais tôt ou tard par la détruire, mais je n'aurais jamais pensé que ça puisse être de cette façon. Pas après tout ce que tu as fait !

Arceus allait répliquer, mais Athéna, les traits déformés par la fureur, ne lui en laissa pas l'occasion. Elle reprit, criant plus fort qu'elle ne avait fait jusqu'à présent, les poings serrés et le corps tremblant :

- Tu n'étais pas là quand Isis s'est éteinte dans les bras d'Inari. Tu as provoqué sa mort dans l'unique but de priver Lilith d'une capacité qui lui revenait de droit. Elle n'avait jamais enfanté le moindre Gijinka. Quand l'aurait-elle pu, puisque Giratina était enfermé dans le Monde Inversé ? Elle a usé de la magie noire pour se constituer une armée d'être nommés Succubes et Incubes, avec lesquels elle prélevait et fécondait la semence humaine. C'est ainsi qu'elle a conçu les Gijinkas. Elle ne les a pas procréés.
- Qu'importe ! Elle l'aurait fait sitôt entre les pattes du traître ! enragea Arceus. Aurais-tu voulu voir le monde être envahi par des dizaines d'hybrides, mi-dragon mi-humain ?
- J'aurais voulu le voir en paix et ne pas avoir à en arriver là où nous en sommes aujourd'hui, constata sèchement Athéna. Il a toujours été trop tard pour faire marche arrière, cependant, alors autant continuer à avancer. Il faut sauver Pandore. Si nous n'agissons pas, ils mourront tous les deux. Ne cours pas ce risque en perdant inutilement du temps.

Le Créateur s'accorda quelques secondes de réflexion, l'échine ployée comme s'il portait sur ses épaules toute la misère du monde qu'il avait lui-même façonné. Il venait d'apprendre en l'espace de quelques minutes qu'il était père en devenir et que son enfant, le seul qui lui serait permis d'avoir, allait devoir périr pour permettre à sa mère de survivre.

Le doux visage de Pandore lui apparut en pensée. Il voyait son sourire timide, ses traits délicats, ses yeux légèrement endurcis par la vie difficile qu'elle avait longtemps menée... Sa décision ne fut pas longue à prendre. Comment aurait-il pu accepter de la voir mourir quand il l'aimait tant ?

- Puisque tu sais déjà ce qu'il faut faire, pourquoi es-tu venu jusqu'à moi ? interrogea-t-il à l'encontre d'Athéna.
- Pour que tu saches. Et aussi parce que, certes, je sais ce qu'il faut faire, mais j'ignore comment le faire. Je ne suis pas médecin. Je ne connais pas le corps des mortels. Il est absolument exclu de demander à un guérisseur humain de s'occuper d'elle, car il mourrait sûrement de stupeur et d'effroi en découvrant le contenu de ses entrailles. Quant à Crios et Prométhée, j'imagine que tu partageras mon avis quant au fait qu'il vaut mieux ne pas les mêler à cette histoire.
- Alors tu vas devoir t'en sortir seule. Les Zarbi peuvent t'aider, non ? Ils sont capables de te montrer la voie à suivre.
- Me la montrer est une chose, parvenir à l'appliquer une autre. Même s'ils m'indiquent comment procéder, rien ne prouve que j'y parviendrais, or la moindre erreur sera fatale à Pandore.
- Utilise tes pouvoirs, dans ce cas.
- Est-ce une sinistre plaisanterie ? rétorqua Athéna, les sourcils froncés. La dernière fois que je me suis servie de ma magie, c'était déjà pour lui sauver la vie et cela a coûté celle de milliers d'innocents. J'aime infiniment Pandore, tu le sais, mais mon amour pour elle ne m'aveuglera pas au point de risquer de commettre à nouveau une telle barbarie. Qui plus est, je risquerais d'autant plus de la tuer.
- Que suggères-tu, dans ce cas ?
- Contrairement à ce que tu sembles croire, Arceus, je n'ai pas toutes les réponses, et encore moins toutes les solutions. Je suis incapable de l'aider, en dépit de l'envie que j'en ai, et je ne peux requérir le secours de personne. Je sais très bien comment tu fonctionnes, je t'ai vu à l'oeuvre avec Némésis. Sitôt que quelqu'un sera dans la confidence, que feras-tu ? Tu le tueras ? Tu l'enfermeras pour l'éternité dans un temple quelconque ?

L'Alpha ne releva pas. Il ne pouvait effectivement permettre à quiconque de s'immiscer dans son secret, mais apparemment, s'il n'y consentait pas, Pandore mourrait. Cela, il ne pouvait l'accepter. Il secoua la tête, las.

- De qui aurais-tu besoin ? s'enquit-il d'un timbre mental qui paraissait presque fatigué.
- Comme je te l'ai dit, tu as définitivement perdu ma confiance. De ce fait, je n'impliquerai ni Crios ni Prométhée dans cette histoire. Je redouterais trop ce que tu serais capable de leur infliger par la suite pour les faire taire. Quant à la personne qui m'aurait été d'un plus grand secours en de telles circonstances, tu l'as détruite.

Arceus n'eut pas besoin de demander de plus amples précisions pour comprendre qu'elle faisait référence à Isis. Les pouvoirs de la déesse auraient sans nul doute étaient les plus à même de sauver Pandore, cependant il ne devait pas y penser. Il savait qu'Athéna tenait essentiellement ces propos pour le faire culpabiliser de ce qui s'était produit récemment.

- Il n'y a donc que toi. Tu es la seule à qui je puisse me fier, en dehors de ton père, mais tu es également une femme. Tu dois le faire. N'utilise pas ta magie si tu n'y tiens pas, mais trouve une méthode humaine pour y parvenir.
- Je t'ai dit que...
- Je sais. Tu ne t'en sens pas capable. Tu n'as pas le choix, cependant.
- Comment peux-tu me laisser porter un tel fardeau sur mes épaules, après toutes les épreuves que tu m'as déjà faites endurer ? enragea Athéna. Comment peux-tu mettre son sort entre mes mains ? Je ne peux pas supporter une telle pression, et tu en as conscience. Je...
- Tu vas y arriver. Tu n'échoues jamais.
- Si... Depuis le début, je ne fais que cela. J'accumule les désillusions. J'ai déjà tué des milliers de personnes, Arceus. Veux-tu que ce soit Pandore qui achève ma liste ?
- Il vaut mieux pour toi que ce ne soit pas le cas.
- Je n'en suis pas capable, est-ce que tu peux comprendre cela ? s'égosilla la fille de Zeus. Et qu'est-ce que tu comptes me faire, si elle périt ? M'assassiner ? Quelle belle perspective cela m'offre !
- Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, Athéna. La preuve, je crois visiblement plus en toi que toi-même. Je sais que tu la sauveras, parce que tu l'aimes trop pour qu'il en soit autrement.
- Tu n'es rien qu'un égoïste, Arceus. Même sous ta forme humaine, je ne comprends pas comment Pandore a pu s'éprendre d'un être aussi abject que toi. Si elle mourra, ce ne sera pas de mon fait, mais du tien. À cause de l'obsession que tu portes à ton secret et qui m'empêche d'y impliquer quiconque. Tu prétends que tu agis ainsi pour la protéger, mais quelle protection lui apportes-tu en cet instant, alors qu'elle se meure ?
- Retourne auprès d'elle, déclara l'Alpha d'un ton calme. Consulte les Zarbi et trouve une solution. Tu as détruit le grimoire que Darkrai a volé à Circé, mais eux sont capables de te transmettre une solution. Je doute qu'elle n'ait pas une potion ou un poison quelconque qui soit en mesure de détruire le foetus.

Athéna s'accorda quelques secondes pour réfléchir. Paniquée par la nouvelle et l'urgence de la situation, elle n'avait pas songé à cela. Pour une fois, Arceus avait fait preuve de plus d'intelligence qu'elle. C'était effectivement une piste à explorer. Si elle s'avérait infructueuse... La déesse préférait ne pas y songer.

- J'ose espérer pour tout le monde qu'ils auront quelque chose d'instructif à me dire, déclara-t-elle en secouant la tête.
- Va. Puisque je ne peux pas être auprès d'elle, il faut que toi, tu y sois. Repars d'où tu viens et sauve-la.

Athéna allait acquiescer avant de tourner les talons, quand elle jugea préférable de lever les yeux vers Arceus pour le fusiller du regard. La voix encore vibrante de colère, elle lâcha :

- Si tu n'avais pas été auprès d'elle, ainsi que je l'avais recommandé, elle ne serait pas en danger de mort. Tu l'aimes, je n'en doute pas. Je ne doute cependant pas non plus que, de nous deux, c'est indubitablement moi qui tient le plus à elle. Si j'étais Némésis, aujourd'hui, je la laisserai mourir, parce que c'est tout ce que tu mérites. Heureusement pour tout le monde, je ne suis pas elle. C'est pourquoi je tenterai l'impossible pour la sauver. Si je le fais, toutefois, ce n'est certainement pas pour toi. C'est avant tout pour moi.

Sur ces mots, la déesse pivota sur elle-même et s'éloigna d'Arceus d'un pas décidé. Celui-ci la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle ait disparu vers l'horizon. Qu'importait tout le mal qu'elle pouvait penser de lui à partir du moment où elle parvenait à épargner Pandore des griffes de la mort.

***
Athéna dispersa les Zarbi d'un geste de la main. Ils se dématérialisèrent presque aussitôt, tandis qu'elle se levait du plancher crasseux sur lequel elle était assise. Pandore était assoupi dans le lit de l'auberge qu'elles ne pouvaient quitter, car la jeune femme n'était pas en état de voyager.

Contrairement à ce qu'Arceus avait supposé, Circé n'avait mis au point aucune potion pour résoudre le problème auquel elle était confrontée à l'heure actuelle. Même si cela l'abattait totalement, il ne s'agissait pas d'une réelle surprise. Pourquoi aurait-elle créé un poison capable de tuer un foetus Gijinka puisque Lilith n'en avait jamais porté ?

L'aurait-elle pu, d'ailleurs ? L'esprit curieux d'Athéna ne pouvait s'empêcher de se poser la question. La mort guettait Pandore si on ne la libérait pas du bébé qui grandissait dans son ventre et les Succubes et les Incubes mourraient sitôt après en avoir conçu un. La Première était bien plus forte qu'aucun d'entre eux, certes, mais cela lui aurait-il suffi pour lui permettre de mener à terme une grossesse dont Arceus l'avait privée de tout éventualité ?

Lilith avait beau ne pas être une légendaire, elle était capable de beaucoup plus de choses qu'elle ne le laissait paraître et aucune volonté, pas même celle d'Arceus ou des dieux les plus déterminés de sa connaissance, ne pouvait rivaliser avec la sienne. Si quelqu'un aurait été en mesure de faire naître un Gijinka, ç'aurait été elle, sans l'ombre d'un doute. Cela ne se produirait jamais, cependant. L'Alpha y avait veillé.

Athéna ramena son attention sur Pandore. Qu'allait-elle faire, désormais ? Les Zarbi lui avaient indiqué qu'il n'existait aucun poison qui soit assez puissant pour tuer l'enfant en épargnant la mère. Si le bébé avait été normal, cela aurait été possible, mais dans le cas présent, il était beaucoup plus résistant que celle qui le portait.

Il existait des méthodes humaine qui consistait à ouvrir le ventre de la mère et à en extraire le foetus en coupant le cordon qui le rattachait à elle, mais c'était extrêmement risqué. Elle succombait presque à chaque fois, se vidant de son sang ou contractant quelque infection. Cette technique barbare était également celle qu'Ève avait utilisée pour détruire tous les enfants qu'elle suspectait être des Gijinkas procréés sur le désir de Lilith.

Athéna s'assit sur le rebord du lit, qui grinça sous son poids sans pour autant réveiller Pandore. Du bout des doigts, elle repoussa une mèche de cheveux collée à son visage par la sueur, que provoquait sa forte fièvre. Même le remède qu'elle avait trouvé à cela, conçu par Circé, n'avait été d'aucune utilité. La température n'avait pas le temps de chuter qu'elle remontait aussitôt.

Si la déesse n'avait rien soupçonné de son état jusqu'à ce qu'elle ne s'évanouisse, celui empirait désormais d'heure en heure. Sans doute le foetus s'était-il développé tranquillement au cours des premières semaines, et puisait désormais les forces de sa mère pour poursuivre son développement.

Toujours était-il que les joues de Pandore semblaient se creuser à vue d'oeil et sa silhouette s'émacier. À la vitesse à laquelle elle s'affaiblissait, Athéna doutait qu'elle puisse survivre encore une semaine supplémentaire, or elle ne parvenait pas à trouver une solution, en dépit de ce qu'Arceus lui avait demandé.

Arceus... Comme elle lui en voulait ! Elle n'aurait jamais pu penser éprouver un jour une telle colère envers quelqu'un d'autre qu'elle-même, pourtant c'était le cas. Elle songeait à toutes ces vies qu'elle avait prises malgré elle dans le but de sauver celle de Pandore, de la promesse qu'elle avait faite de garder secrète son existence coûte que coûte afin de la protéger...

Dire que c'était cette même promesse qui allait certainement la tuer. Athéna avait simplement besoin d'aide, or elle ne pouvait en requérir, car l'Alpha lui avait fait jurer de se taire, et elle n'avait qu'une parole.

Elle redressa soudain la tête, alors qu'une pensée lui traversait l'esprit. Cette parole, bien que donnée à Arceus, le concernait moins lui que Pandore. Son voeu de silence n'était pas destiné à préserver l'honneur du Créateur, mais la sécurité de son amie. C'était cela, sa véritable promesse : veiller toujours sur elle, quoi qu'il arrive.

N'était-ce pas rompre ce serment que de demeurer ici, dans cette chambre, où l'humaine agonisait lentement ? N'était-elle pas tenue de faire quelque chose pour la sauver des griffes de la mort, ainsi qu'elle s'y était engagée ?

Mélancolique, elle pensa à Isis. En dépit des nombreux ennuis qu'elle avait eus à cause de la sempiternelle dispute opposant Seth à Osiris, elle avait toujours été une femme de bien, qu'Athéna tenait en estime. Elle était également digne de confiance et, si elle avait été encore vivante, elle aurait sans doute pu l'aider, tout en gardant cela confidentiel.

Isis n'était plus, cependant, et la fille de Zeus ne pourrait bénéficier de ses connaissances en matière de grossesse alors qu'elle en aurait tant eu besoin. Elle aurait réussi à sauver Pandore, indubitablement, car elle était la meilleure dans son domaine. Même Crios et Prométhée auraient des chances d'échouer, contrairement à elle qui n'en aurait eu aucune.

Il restait quelqu'un, pourtant. Quelqu'un qui détiendrait assurément tout le savoir et le talent d'Isis. Quelqu'un qui serait néanmoins la dernière personne dans l'univers à accepter de l'aider. Malgré cela, Athéna devait lui demander. Cela ne l'enchantait pas et exposait plus que jamais Arceus à l'éclatement de la vérité, toutefois c'était un acte à tenter. Elle n'avait pas le choix : si elle n'agissait pas, Pandore mourrait.

***
Athéna caressa la tête du Lokhlass qui l'avait aidé à traverser la mer, avant de le remercier d'un sourire. Même sans utiliser ses pouvoirs, elle avait le don de se faire obéir de n'importe quel pokémon sauvage. La douceur et la gentillesse dont elle faisait montre pour s'adresser à eux n'y étaient sans doute pas étrangères.

La créature aquatique l'avait conduit sur une île, au sud-est de Hoenn, si éloignée des côtes que les habitants la surnommaient l'Île Lointaine. Selon les Zarbi, c'était là-bas qu'elle pourrait trouver celui qu'elle recherchait, autrement dit Mew. Personne ne l'avait revu depuis la mort d'Isis. Inconsolable, il avait préféré disparaître dans la nature, tout comme Osiris avait choisi de se plonger de son plein gré dans un profond sommeil.

Athéna ignorait encore comment elle allait s'y prendre pour convaincre le légendaire rose de l'aider. Il avait désormais toutes les raisons du monde d'haïr Arceus, peut-être même encore davantage que Lilith. Elle le connaissait assez pour savoir qu'il s'agissait d'un être bienveillant et pas vindicatif, pourtant il ne pourrait jamais pardonner la mort de son humaine. Elle ne le comprenait que trop bien.

Il lui faudrait cependant trouver les mots pour le persuader de sauver Pandore du sort funeste qui serait le sien si personne n'intervenait. Le plus simple, bien sûr, serait de lui dissimuler la vérité. Certes, il la découvrirait assez vite de lui-même, mais sans doute pas avant qu'il n'ait accompli ce pourquoi Athéna était venue le chercher.

C'était tentant, néanmoins elle ne pouvait s'y résoudre. Elle n'était pas manipulatrice et elle ne voulait pas le devenir. La liste de ses défauts et de ses erreurs continuaient à se rallonger de jour en jour. Si elle continuait à cette allure, elle serait bientôt interminable.

L'île sur laquelle la fille de Zeus avait accosté n'était pas très grande. Elle en aurait rapidement fait le tour. Essentiellement plate, son sol n'était marqué que par de très faibles dénivellements en certains endroits. Des hautes herbes, séchées à cause de la chaleur étouffante qui régnait dans cette partie du globe, le recouvraient.

- Mew ? appela-t-elle. Mew ?

Le pokémon était très joueur et l'une de ses principales lubies consistait à se cacher. Lorsqu'il choisissait de le faire, soit il s'amusait à surprendre ses visiteurs, soit il demeurait invisible des heures durant. Dans les deux cas, il n'était possible de le trouver que s'il le décidait.

Athéna n'avait pas de temps à perdre, toutefois. Elle frappa dans sa main et ses Zarbi apparurent pour lui indiquer la zone dans laquelle elle trouverait l'être aux grands yeux bleus. Elle s'y dirigea immédiatement. Quand elle l'eut presque atteinte, Mew jaillit de la végétation pour lui lancer un miaulement furieux.

- Que fais-tu ici, fille de Zeus ? Est-ce trop désirer que de vouloir qu'on me laisse tranquille après le chagrin que l'on m'a causé ?
- Non. Tu as le droit de pleurer Isis et nul ne t'empêchera de le faire tant que tu en éprouveras le besoin. Je respecte ton deuil, Mew, plus que quiconque, car je suis celle qui n'a pas réussi à la sauver. Moi aussi, je m'en veux terriblement.
- Est-ce pour me dire cela que tu as traversé la mer ?
- Je vais être franche avec toi. Je suis venue solliciter ton secours. J'aurais grand besoin de tes connaissances que tu as par le passé partagées avec Isis afin de sauver l'une de mes amies.
- Tu as toujours été bonne envers nous, Athéna, et tu as été présente, quoique impuissante, jusqu'au bout quand elle a rendu son dernier souffle. Je t'apprécie. Si je puis t'être utile d'une quelconque façon, je m'efforcerai de satisfaire tes attentes. Que désires-tu que je fasse, précisément ?
- Cette amie est enceinte et la grossesse se présente mal. Le bébé la tuera très bientôt si l'on ne le sépare pas de la mère. Serais-tu capable de faire cela ?
- Oui, bien sûr, mais as-tu conscience qu'une telle procédure coûtera la vie de l'enfant, tout en mettant en danger celle qui l'a procréé ? interrogea Mew.
- Je le sais, en effet. Je te demande ce service en pleine connaissance de cause. Si tu n'interviens pas, ils mourront tous les deux. Je préfère donner une chance à la femme qui le porte de s'en sortir.
- Puis-je avoir l'audace de te demander qui elle est ?
- C'est une mortelle, avoua Athéna. J'ai passé beaucoup de temps parmi eux lors de mes venues sur Terre et je me suis attachée à elle.
- Isis aimait beaucoup les humains, sans doute parce que j'avais contribué à leur création. C'est d'ailleurs cette affection qu'elle leur portait qui l'a convaincue de leur enseigner l'art de l'accouchement, mais j'imagine que, puisque cette personne t'est chère, tu tiens à mettre toutes tes chances de ton côté pour sa survie en requérant mon assistance plutôt que celle d'un de leurs médecins, n'est-ce pas ?

La déesse ne répondit pas immédiatement. Elle s'accorda quelques secondes de silence, afin de mieux réfléchir à ce qu'elle allait dire. Il aurait si simple d'acquiescer, de laisser croire à Mew qu'il avait vu juste... Elle se refusait pourtant de le mettre devant le fait accompli. Elle voulait lui laisser l'occasion de refuser, même si cela signerait irrémédiablement l'arrêt de mort de Pandore. Elle lui devait bien cela, en mémoire de sa légendaire disparue.

- Non. C'est l'une des raisons, mais ce n'est pas la seule. L'enfant n'est pas normal et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il la tue à petit feu. Il s'agit d'un Gijinka.

Mew cligna des yeux à deux reprises, avant de secouer la tête avec virulence. Il voleta en zigzag à hauteur du visage d'Athéna, tout en agitant sa longue queue rose dans son dos avec virulence.

- C'est impossible. Les humains ne peuvent être fécondés par les pokémon, et inversement. Leur ADN est incompatible. Même s'il y a accouplement, le foetus ne pourra pas se développer. L'organisme de la mère le détruira immédiatement. La nature obéit à des lois, Athéna. Lilith les a outrepassés à l'aide de magie noire et elle en a payé le prix. Nous en avons tous payé le prix.
- Je peux t'assurer que c'est un Gijinka que mon amie porte en son sein. Crois-moi, je préfèrerais qu'il en soit autrement, mais c'est le cas.
- Par quel ignoble maléfice est-elle parvenue à un tel résultat ? interrogea Mew, les yeux brillants de colère. Je pensais que seule Lilith avait trouvé la clé, mais...
- Lilith n'a jamais porté le moindre hybride. Elle a fait appel à des créatures des ténèbres, nommées Succubes et Incubes, pour les engendrer à sa place. Elle-même n'aurait pu se résoudre à porter un enfant qui n'aurait été celui de Giratina, or il était captif du Monde Inversé, à ce moment-là.
- Cela m'explique d'autant moins le cas de ton amie mortelle.
- Circé a mis au point une potion de métamorphose, qu'ils n'ont jamais eu le temps d'essayer. Elle devait permettre à Giratina de prendre, pour une durée limitée, l'apparence d'un humain. Apparemment, cette préparation modifiait également l'ADN de celui qui la buvait, à tel point qu'il devienne totalement compatible avec celui de l'espèce qu'il revêtait.
- Circé est brillante, aussi un tel procédé ne me surprend pas de sa part. Lilith étant cependant stérile, désormais, et surtout enfermée dans le Monde Inversé, à qui sert cette potion ? Un Renégat ? Partagent-ils le culte de leur reine au point de vouloir à leur tour donner naissance à des hybrides ? Espèrent-ils constituer une nouvelle armée afin de se soulever encore contre Arceus ?
- Rien de la sorte. Le fautif, dans cette histoire, c'est Arceus lui-même.
- Que veux-tu dire par là ? Athéna ?

Comme la fille de Zeus ne répondait pas, Mew dut insister à plusieurs reprises. Elle se contenta de baisser les yeux, l'air abattu, pendant qu'il réfléchissait à ses paroles pour tenter de leur donner un sens. Lorsqu'il y parvint, de la colère se lut sur son visage d'ordinaire si doux.

- Il a osé ? s'écria-t-il. Il a osé toucher une humaine, alors qu'il a imposé à Lilith un châtiment qui a coûté la vie à Isis pour ce crime ? Et toi... Toi, tu te permets de me demander de sauver son amante, après tout le mal que ses ordres m'ont infligé ?
- Elle n'y est pour rien, Mew. Arceus l'a séduite sous la forme humaine qu'il a obtenu grâce à la potion que mon père a volé pour lui dans le laboratoire de Circé. Elle ignorait à qui elle avait à faire. S'il y a un coupable, c'est lui, pas elle. Tu es aveuglé par la tristesse et le deuil, mon ami. Je sais qu'en cet instant, tu penses sans doute que laisser cette femme périr est le meilleur moyen que tu aies de faire souffrir Arceus au moins autant que toi tu as mal, mais tu n'es pas méchant. La vengeance ne fait pas partie de ton caractère. Qui plus est, serais-tu vraiment prêt à laisser mourir une innocente de plus à cause des agissements d'Arceus ? Je connais cette mortelle mieux que quiconque. Elle ne mérite pas un tel sort.

Le légendaire resta silencieux. Ses yeux bleus jetaient des éclairs dans toutes les directions et sa queue s'agitait furieusement dans son dos. Athéna reprit la parole d'un ton qui frôlait l'imploration :

- Je comprends sans doute mieux que personne ce que tu ressens en cet instant. Je sais ce que cela fait d'être seul, de ne pas avoir auprès de soi l'être auquel nous sommes censés être reliés par un lien. Jirachi me manque constamment, et pourtant je garde l'espoir qu'il se réveille tôt ou tard. C'est de cela que doit être fait le monde. D'espoir.
- Pour l'heure, je n'ai l'impression de voir que des injustices. Isis morte, les Renégats condamnées, et Arceus qui... Je n'ai même pas le courage de l'exprimer.
- Tu as les moyens de réparer celle-ci, Mew. Mon amie a été plus ou moins manipulée dans cette histoire, or elle risque désormais d'y perdre la vie, à cause des agissements d'Arceus. Comme Isis. Crois-tu qu'elle mérite cela, uniquement parce qu'un dieu l'a dupée pour assouvir son propre désir ? Moi, je suis persuadée que non. Je t'en conjure, Mew, sauve-la. Ne permets pas à une nouvelle victime de rallonger la liste de celles que l'Alpha a déjà causées. Ne le fais pas pour lui, mais pour elle, et pour moi, car je tiens à elle de tout mon coeur.
- Je ne peux pas... murmura la créature rose. Cela m'est impossible.
- S'il te plaît, Mew. Je te serais éternellement redevable si tu me rendais ce service.
- Tu sais très bien qu'il n'est pas question de cela. S'il ne s'agissait que de t'aider, j'accepterais aussitôt, mais...
- C'est le cas. Oublie Arceus, oublie tout le reste, même si cela t'est difficile. Ne pense qu'à moi, et à cette pauvre fille qui est en train d'agoniser à Sinnoh. Tu as les moyens de la sauver. Si je reviens te voir dans une semaine et que je t'annonce qu'elle a succombé, te le pardonneras-tu ? Bien sûr que non. Ne laisse pas ta rancune te pousser à devenir un être aussi égoïste qu'Arceus. Je m'en veux de devoir te dire cela, mais ce n'est pas ce qu'Isis aurait voulu. Ainsi que tu l'as toi-même souligné, elle adorait les humains, et je sais que c'est également ton cas. Tu es en partie à leur origine, après tout. Soit un dieu plus bienveillant pour eux que leur Créateur ne le sera jamais.

Mew avait cessé de s'agiter pour écouter plus attentivement les paroles qu'Athéna venait de prononcer. Il ramena sa queue contre son ventre et referma ses pattes dessus, tandis qu'il baissa la tête. Il s'accorda un long temps de réflexion, au terme duquel il murmura :

- Je ne veux pas être un monstre... D'accord. Je vais sauver ton amie. Enfin, je vais essayer, parce que je ne te cache pas que cela risque d'être fort compliqué, à la vue des circonstances.
- Je ne t'en demande pas plus. Merci infiniment, Mew.
- Si j'accepte, c'est surtout parce que je sais qu'à ma place, Isis l'aurait fait. Elle ne supportait pas de voir les gens souffrir, qu'ils soient amis ou ennemis. La seule fois où elle a causé du tort à quelqu'un, et ce contre son gré, elle l'a payée de sa vie.
- Elle serait très fière de toi, en cet instant.
- Je sais.

Mew secoua la tête pour chasser son douloureux chagrin de ses yeux bleus et avança vers Athéna pour lui tendre la patte. Elle la serra du bout des doigts, car elle était minuscule par comparaison à sa main, puis lui adressa un sourire. Il exprimait pratiquement autant de peine que le regard du légendaire qui avait accepté de l'aider.

***
- Elle ne peut pas rester là. Mon intervention va lui causer beaucoup de souffrance et elle va certainement hurler. Les autres humains vont s'interroger, si cela se produit.

Athéna acquiesça en réponse aux paroles que Mew venait de prononcer. Pandore s'agitait dans son lit, fiévreuse, les couvertures tirées jusqu'au menton. Ses paupières remuaient faiblement et sa bouche s'entrouvrait parfois pour laisser un gémissement s'échapper. Elle était aussi pâle que la mort.

- Je vais devoir la téléporter. Est-ce que tu connais un endroit où je peux la conduire ?
- J'aurais bien dit les ruines Sinjoh, là où personne ne serait venu pointer le bout de son nez, pas même les légendaires, mais avec le blizzard perpétuel que Njörd a déclenché sur l'île, elle ne survivrait pas au climat.
- Pourquoi pas Frimapic, Horus est ton ami, non ?
- Non ! s'exclama immédiatement Athéna. N'oublie pas ce que je t'ai dit, Mew, je t'en conjure. Personne ne doit être au courant de l'existence de Pandore, et encore moins de son lien avec Arceus. Jamais. Laisse-moi une seconde pour réfléchir... La Salle Originelle.
- Quoi ? C'est une ruine. Tout s'est effondré après l'assaut de Lilith et...
- L'antre de Circé est encore debout, puisque c'est là-bas que Zeus s'est procuré la potion de métamorphose pour Arceus. Personne ne viendra nous chercher là-bas. Qui nous jugerait assez fou pour y retourner ?
- Et après, pour sa convalescence ? Si elle survit, elle va perdre beaucoup de sang et de force. Même mes pouvoirs de guérison ne suffiront pas à la soigner totalement. Elle aura besoin de beaucoup de temps pour s'en remettre.
- Je la ramènerai chez elle, auprès de son frère et de sa soeur, et je m'en occuperai jusqu'à ce qu'elle soit rétablie.
- Athéna... Je ne te cache pas que ses chances de s'en sortir sont minces. Si Arceus s'avise à nouveau de...
- Il ne le fera pas. Il n'a plus de potion de métamorphose et je crois qu'il a compris la leçon. Comme il l'a si ardemment répété à Lilith, les humains et les pokémon sont incompatibles.

Mew approuva ses propos tandis qu'Athéna se dirigeait vers le lit pour soulever délicatement Pandore entre ses bras. La jeune femme était si faible que les secousses ne la réveillèrent même pas. Le légendaire rose vint poser ses pattes sur les épaules de la déesse et, dans un éclat rose, ils disparurent.

Ils se matérialisèrent un instant plus tard au coeur de la Salle Originelle. Face à la vision dévastée que lui offrait le temple des dieux, Athéna poussa un soupir mélancolique et son visage exprima une certaine tristesse. Voilà où menaient les batailles... À de la destruction et de la désolation, rien d'autre.

Mew la suivit jusqu'à l'antre de Circé, non loin de laquelle ils étaient apparus. Elle songeait que, avec un peu de chance, pendant que le pokémon d'Isis procéderait à l'extraction du foetus Gijinka, elle trouverait parmi les différentes potions de la maîtresse des poisons une qui pourrait être utile à la guérison de Pandore.

L'immense porte s'ouvrit sur une zone autrefois verdoyante, qui ressemblait désormais davantage à un lieu aride. L'herbe était sèche et elle râpait les souliers d'Athéna, s'accrochant à l'ourlet de sa longue robe à chacun de ses pas. Quant aux nombreuses étagères dans lesquelles Circé rangeait ses fioles, avant d'être contrainte de fuir avec les autres Renégats, elles avaient toutes été détruites. Des tessons de verte jonchaient le sol désolé. Seules les plus solides avaient résisté à l'effondrement de leur support.

Son plan de travail, situé au centre exact de la salle, avait succombé sous le poids de la partie du plafond qui s'était affaissé sur lui. La fille de Zeus l'observa avec mélancolie. Dire que c'était ici qu'elle était venue chercher un remède pour guérir Joséphine, quelques années plus tôt. Tant de choses s'étaient déroulées depuis. Tant de mauvaises choses...

Mew installa Pandore sur le sol desséché, pendant qu'Athéna entreprenait d'examiner les diverses potions encore utilisables. Circé faisait montre de beaucoup d'organisation et de méthode, raison pour laquelle toutes ses fioles étaient étiquetées. Parmi elle, la déesse trouva rapidement une préparation d'engourdissement.

Elle décida de la faire boire à la jeune humaine, afin de plonger son corps dans une sorte de transe comateuse, qui parviendrait peut-être à atténuer les souffrances physiques qui la guetteraient au moment où Mew sortirait le foetus hybride de son ventre.

- Tu n'es pas obligée de rester, indiqua-t-il alors qu'elle entrouvrait la bouche de Pandore d'un doigt pour y déverser le liquide au doux parfum floral.
- Je ne peux pas me résoudre à la quitter, même si cela doit être un véritable supplice pour moi que de te voir arracher son bébé de ses entrailles.
- Est-ce que... Est-ce que je peux commencer ?

Athéna acquiesça d'un hochement de tête solennel, assise en tailleur à côté de son amie, presque totalement inconsciente. Sa main se referma sur la sienne. C'était peu, à la vue de l'épreuve qu'elle était sur le point de vivre, mais elle tenait, par ce geste, à lui témoigner son soutien.

Mew utilisa Aiguisage, puis Griffe Ombre pour déchirer l'abdomen de la jeune femme. La fille de Zeus ferma les yeux pour ne pas être témoin de la scène, mais cela ne suffit pas. Elle fut éclaboussée au niveau du visage par le sang qui jaillit de la coupure béante que le légendaire venait de réaliser.

- Athéna ! l'appela Mew, alors qu'elle balaya les gouttelettes écarlates de sa joue, les paupières toujours closes. Il va falloir que tu m'aides.
- T'aider ? Comment ?
- Elle fait une hémorragie, pire encore que ce à quoi je m'attendais. Il faut que je sorte le foetus et que je referme son ventre avant qu'elle ne se soit totalement vidée de son sang, or à l'allure où elle le perd, je n'ai probablement que quelques minutes devant moi. Autrement dit ni le droit à l'erreur, ni le droit d'hésiter, sauf que ni Isis ni moi n'avions eu affaire à un Gijinka jusqu'à présent.
- Que veux-tu que je fasse ?
- Maintiens écartés ces deux pans de chair, de façon à ce que j'ai le plus de visibilité.

Athéna s'y résolut à contrecoeur et saisit l'ouverture béante pour l'agrandir davantage. Ses mains ne tardèrent pas à devenir écarlate, ce qui lui arracha une grimace. Elle s'était accusée d'avoir du sang sur les mains suite à la morte des Atlantes et voici que cette métaphore cessait d'en être une.

D'étranges bruits étaient provoqués par l'intervention de Mew dans le ventre de Pandore. La déesse n'osait pas regarder, mais elle entendait les miaulements qu'il lâchait par moments, lorsqu'il était en difficulté.

- Je vois le Gijinka, annonça-t-il soudain, sa fourrure aussi rougie que la peau d'Athéna. Je vais le...

La fin de sa phrase fut recouverte par un bruit assourdissant, qui semblait émaner des entrailles mêmes de Pandore. Quelques secondes furent nécessaires aux deux légendaires, avant de comprendre qu'il s'agissait du bébé qui usait de la capacité Mégaphone.

- Il est très puissant, sans doute beaucoup plus que les hybrides conçus par Lilith, puisqu'il est l'engeance d'un dieu, commenta Mew. Il ne va pas me laisser le détruire si facilement. J'ai plus d'un tour dans mon sac, cependant.

Sa patte se mit à grésiller, tandis que des filaments électriques la parcourait. Sous l'oeil attentif d'Athéna, il la plongea dans l'utérus de Pandore pour paralyser le Gijinka à l'aide d'une Cage-Éclair. La déesse s'autorisa alors à jeter un regard à la créature qu'Arceus avait procréée.

Son corps n'était pas rose, comme celui des bébés, mais blanc, du moins là où le sang ne le recouvrait pas. Son crâne était pointu vers l'arrière, à l'instar de celui du Créateur, et une proéminence osseuse entourait son ventre. À l'endroit où aurait dû se trouver le nombril, c'était par le biais d'une émeraude scintillante que l'hybride aspirait l'énergie vitale de sa mère.

- Il est... Il est... commenta Athéna, incapable d'achever sa phrase.

Elle ne parvenait pas à trouver un qualificatif adéquat. Le bébé n'était pas une abomination à ses yeux, comme les Gijinkas l'avaient été selon l'avis général. Elle-même n'avait jamais eu aucun grief contre ces créatures, à l'exception du fait que Lilith les ait utilisées dans une volonté de destruction massive.

D'un autre côté, elle ne pouvait juger ce foetus innocent et inoffensif, puisqu'il tuait lentement sa mère. Ce n'était pas une pauvre petite chose fragile comme celle que les humains mettaient au monde. Il s'agissait d'un demi-dieu et son physique, qui tenait autant d'Arceus que de Pandore, le confirmait.

- Je vais le sortir, indiqua Mew. Dès que ce sera fait, il faudra que tu le récupères et que tu le tues.
- Que je le... Quoi ?
- S'il s'était agi d'un bébé humain, il n'aurait sans doute survécu que quelques secondes, quelques minutes tout au plus, une fois sortie de son placenta. Il s'agit du fils d'Arceus, cependant. Un semi-légendaire. Il peut résister plusieurs heures, dans d'atroces souffrances. C'est lui rendre service que de les abréger.
- S'il est si fort que cela, en dépit de son jeune âge, n'y a-t-il aucun moyen de le sauver ? interrogea Athéna.
- Non. Ou peut-être que si, mais je n'ai pas l'intention de chercher une solution pour y parvenir. Tu m'as demandé d'épargner ton amie et c'est ce que je fais. Notre accord ne concernait nullement l'enfant hybride d'Arceus.
- Je...
- Si Némésis était là, elle n'aurait jamais permis qu'il vive. Isis est morte pour s'assurer que Lilith n'en engendre pas. Pourquoi Arceus aurait-il le droit à une telle faveur ?

Athéna ne releva pas. Elle observa le foetus désormais paralysé par la décharge électrique que lui avait infligé Mew et cligna des paupières à deux reprises. Némésis... Elle avait toujours raison et le jour où elle l'avait accusée de faire montre d'arrogance ne faisait pas exception. Le pokémon rose venait de lui démontrer qu'une fois encore, elle s'enfonçait dans l'erreur, contrairement à la Justice.

La fille de Zeus avait trop souvent tendance à croire qu'elle pouvait outrepasser les paroles que Némésis avait prononcées autrefois, celle que le bien n'existait pas sans le mal, le bonheur sans la douleur, la justice sans l'injustice. Tout s'équilibrait et c'était pour cela qu'en cherchant désespérément le bon chemin, Athéna en était arrivée à arpenter le mauvais.

- Est-ce que tu t'en sens capable ou est-ce qu'il va falloir que je m'en charge moi-même ? insista Mew.
- Je... Je...
- Décide-toi, Athéna. Il faut que je le retire de son ventre maintenant.
- D'accord. Vas-y, je... Je m'en sortirai.

Le légendaire se mit à léviter tête la première et enfonça ses bras de manière encore plus profonde dans l'utérus de Pandore. Il les glissa sous le corps du Gijinka, autour duquel il s'était longuement affairé afin de le dégager entièrement, et l'arracha brutalement à sa niche de chair.

Malgré sa paralysie, l'hybride parvint à s'agiter et à pousser quelques gémissements. Athéna, en dépit de son affirmation, ne réagit pas lorsque Mew lui tendit le foetus ensanglanté. Ses bras restèrent figés le long de son corps, tandis qu'elle fixait, hagarde, ce petit être mi-dieu, mi-mortel.

- Athéna, qu'est-ce que tu attends ? s'exclama le pokémon d'Isis. Prends-le ! Pandore est en train de mourir !

Ces mots suffirent à la ramener à l'urgence de la situation. Elle prit entre ses mains tremblantes l'anatomie difforme du Gijinka et l'étendit précautionneusement sur ses genoux, qu'il rougit aussitôt d'une tâche écarlate, pendant que Mew se penchait à nouveau sur la jeune humaine pour tenter de la sauver avant qu'il ne soit trop tard.

Une masse ovale, légèrement arrondie vers le bas et un peu plus obtus vers le haut, se matérialisa au-dessus du corps de Pandore. Elle se cassa en deux, tel un oeuf, pour déverser une poudre dorée, presque aveuglante, sur le ventre ouvert de la jeune femme. Presque aussitôt, mues par la capacité E-Coque, les chairs commencèrent à se refermer progressivement.

Tandis qu'il enchaînait avec Balance, afin de transmettre à la jeune souffreteuse un peu de son énergie, de façon à ce qu'elle en ait assez pour survivre à cette douloureuse épreuve. Pendant ce temps, Athéna n'avait toujours pas bougé. Elle observait, hagarde, l'hybride qui s'agitait de plus en plus sur ses genoux ensanglantés, tandis que la paralysie cessait de faire effet.

- Athéna ? appela Mew en se redressant.
- Oui, je... Je vais le faire.

Elle ferma les paupières. Elle avait beau se répéter que la mort de l'hybride était inévitable et qu'il souffrirait le martyr jusqu'à ce qu'elle survienne, elle ne parvenait pas à mouvoir sa main de manière à lui obstruer les voies respiratoires et à empêcher l'oxygène de circuler dans son corps.

Elle rouvrit les yeux, juste au moment où la longue queue rose de Mew venait s'enrouler autour de visage du Gijinka. Il le serra de toutes ses forces, durant de longues minutes, jusqu'à ce qu'il devienne rouge. Le bébé expulsa son dernier souffle, après quoi il le relâcha.

- Voilà. C'est fini.

Athéna contempla avec tristesse le corps déjà robuste de l'hybride encore posé sur elle. Le fils de Pandore et d'Arceus venait de s'éteindre entre ses bras. En dépit de toute la colère et de la rancoeur qu'elle avait éprouvé envers l'Alpha lorsqu'elle avait découvert la vérité, elle ne pouvait s'empêcher d'être abattue. Il s'agissait d'une nouvelle victime à ajouter à cette liste déjà trop longue.

- Et maintenant ? murmura-t-elle.
- Je croyais que tu désirais ramener ton amie à Frimapic, auprès de sa famille ? rappela Mew.
- Oui, mais que vais-je faire de lui ?

D'un mouvement de la tête, elle désigna le corps du bébé qu'elle tenait désormais serré contre son ventre. Elle devait l'enterrer, mais où ? Il s'agissait d'un demi-dieu, tout de même. De l'enfant de l'Alpha et de la personne qu'elle aimait sans doute le plus au monde. Elle ne pouvait pas le jeter dans un trou quelconque, dans un lieu quelconque.

- Ce n'est pas à moi de prendre cette décision, ajouta-t-elle dans un souffle avant que Mew n'ait pu réagir. Est-ce que tu veux bien me rendre un autre service, si ce n'est pas trop te demander ?
- Tu veux que je me charge du Gijinka ?
- Non. Je voudrais que tu téléportes Pandore chez elle, à Frimapic. Si tu pénètres dans mes pensées, tu pourras voir le lieu où il te faut la conduire. Prends garde à ce que ni son frère ni sa soeur ne te surprennent et allonge-la dans son lit, puis change-la de vêtements, de façon à ce qu'ils ne voient pas tout le sang qui macule ceux-ci.
- D'accord. Autre chose ?
- Reste avec elle jusqu'à ce que je revienne, s'il te plaît.

***
Athéna demeura un long moment agenouillé, à se recueillir sur le cadavre du fils défunt de Pandore. Elle n'avait même pas songé à demander à son amie si elle désirait lui donner un nom, et elle se promit de le faire, à titre posthume, dès que la jeune humaine serait en mesure de lui répondre.

Elle sentit soudain une présence, dans son dos. Elle ne se retourna pas immédiatement, attendant que le nouveau venu se rapproche. L'ombre démesurée d'Arceus ne tarda pas à s'abattre sur elle. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'elle décida de le regarder.

- Elle a survécu.
- Je savais que tu en étais capable, affirma-t-il d'une voix grave.
- Pas l'enfant. C'est pour cette raison que je t'ai fait venir ici. Afin que tu me dises ce que je dois faire du corps. C'était ton fils, après tout. Cette question te concerne.

Athéna souleva précautionneusement la dépouille entre ses bras, avant de se mettre debout. Arceus ploya l'encolure vers lui afin de l'observer de plus près. Sa face n'exprimait aucune émotion, mais la fille de Zeus pouvait percevoir la tristesse qui émanait de lui. Elle était si intense qu'elle se ressentait sans mal.

- C'est donc cela, un bébé ?
- Non, répliqua la déesse avec une certaine rudesse. C'était un Gijinka. À présent, ce n'est rien de plus qu'un cadavre, parce qu'il n'était pas destiné à vivre. Parce que tu as outrepassé la loi de la nature, ainsi que celle que tu as toi-même instauré. Même si cela me désole, j'imagine que c'est un juste châtiment.
- Et Pandore, comment le vit-elle ? interrogea Arceus, choisissant de faire fi de son courroux.
- Elle n'a pas encore repris conscience, mais cela va être très dur pour elle, encore plus que pour toi. Avoir un enfant est le plus grand bonheur qu'une femme puisse connaître. S'en voir privée est une douleur indicible.
- Apparemment, ce qui s'est produit n'est pas un si juste châtiment que cela, puisque tu ne peux t'empêcher de me cingler à propos de Lilith.
- J'ai une très bonne mémoire, Arceus. Elle est presque infinie. C'est pour cette raison que jusqu'à la fin de temps, je serai là pour te rappeler quel acte horrible tu as commis, et ce que tu as enchaîné par la suite. J'ai pu sauver Pandore. Je regrette de ne pas avoir pu en faire de même pour Lilith.
- Elle est toujours vivante, souligna l'Alpha.
- Stérile, déchue et captive. Je doute que pour elle, ce soit une vie.
- De toute façon, cela ne durera qu'un temps. Tôt ou tard, elle mourra.

Athéna ne releva pas. Elle ne s'était pas encore décidée à parler à Arceus de ce qu'elle avait appris des Zarbi au sujet de l'étrange glyphe que possédait désormais Lilith, et qui lui conférait l'immortalité. Elle devrait le faire, tôt ou tard, mais l'heure était mal choisie. Elle tenait toujours le corps du fils de Pandore entre ses bras.

- Que font les humains de leurs morts ? questionna le Créateur. J'imagine que tu le sais.
- Ils les brûlent ou ils les enterrent, dans des lieux que l'on nomme cimetière. Personnellement, je te recommande la première option. Ce bébé est la preuve que tu as enfanté un Gijinka. La meilleure façon que tu aies de protéger ton secret, c'est de le détruire.
- D'accord, je vais le faire.
- Attends que je sois partie pour cela. Je ne tiens nullement à assister à sa crémation. J'ai vu suffisamment d'horreur et de désespoir ces derniers temps pour ne pas avoir envie d'en subir davantage.
- Très bien. Va-t'en donc, si tel est ton choix.

Athéna déposa avec douceur le corps du bébé aux pattes d'Arceus, puis passa devant lui pour rejoindre la porte qui lui permettrait de quitter l'antre de Circé. Elle en était à mi-chemin quand l'Alpha la rappela. Elle ne fit pas demi-tour, mais l'observa par-dessus son épaule.

- Tu ne m'accorderas pas le droit de revoir Pandore, n'est-ce pas ? Pas à présent que tu sais ce que j'ai fait.
- C'est elle qui choisira. Si je la garde loin de toi contre son gré, elle en souffrira et je céderai face à sa peine. Si elle ne veut pas, alors non, tu ne la reverras jamais. Elle est seule maîtresse du jeu, désormais. Il en est grand temps, d'ailleurs, puisqu'elle n'a jusqu'alors jamais été libre.
- S'il s'agit de sa volonté, je la respecterai. C'est tout ce que je voulais savoir.
- Que je ne m'interposerai pas ? Je n'ai plus envie d'interférer dans quoi que ce soit, Arceus. Je suis lasse. J'ai tenté de protéger les humains et j'en ai tué des milliers. Je me suis efforcée de veiller sur elle, or j'ai bien failli la perdre, aujourd'hui. Je ne suis pas de taille à lutter contre la fatalité. Et j'ai compris que je n'étais pas non plus Némésis pour me permettre d'avoir un avis.

Sur ces mots, Athéna disparut pour de bon, loin de cette pièce qui empestait la mort et le sang, laissant Arceus seul avec le corps de son hybride décédé.