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J'aurais voulu être... de Soundlowan



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» Auteur : Soundlowan - Voir le profil
» Créé le 10/09/2016 à 20:39
» Dernière mise à jour le 22/03/2024 à 15:22

» Mots-clés :   Amitié   Aventure   Région inventée   Slice of life

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Chapitre 5 : Sinon tu n'es encore pour moi
Maud ouvre péniblement les yeux, s’étire paresseusement dans son lit, puis se redresse enfin. Il doit être encore tôt, elle a bien du mal à se lever ce matin.
Il lui faut quelques instants pour se souvenir de l’endroit où elle se trouve, pour associer la chambre coquette encombrée de bibelots ésotériques à ses hôtes. L’adolescente manque de renverser un fragile poussifeu en porcelaine sur une table étouffée de dentelle en faisant quelques pas dans l’obscurité presque totale du lieu. Encore endormie, l’humaine finit par aller jusqu’à la fenêtre afin d’ouvrir les volets.

Redoutant une lumière aveuglante, Maud écarte doucement les panneaux de bois pour découvrir un soleil tout juste levé. Ses parents seront satisfaits, ils ont finalement eu raison en prédisant que son voyage lui donnerait l’habitude de se lever avant onze heures.
La forêt étincelle, encore gorgée de rosée dont chaque gouttelette scintille aux premiers rayons du soleil. Le ciel est à mi-chemin entre la nuit et le jour, faisant voir une palette de couleurs allant du bleu nuit le plus profond au rose le plus pâle. Les arbres humides exhalent ensemble une odeur unique que la jeune femme hume avec délice, fermant les yeux pour mieux savourer la brise printanière sur son visage.
- Baliiii !
- Rhino rhino.

Maud se penche en entendant les cris de ses deux pokémones, qui viennent également de s’éveiller dans le jardin en contrebas. Alwine semble ravie d’assister au lever de soleil, bondissant avec une joie visible autour de Shrinia qui, plus calme et moins éveillée, se contente d’observer avec un regard mi-amusé mi-perplexe le petit manège de sa nouvelle coéquipière.
- Shrinia, Alwine !

La rhinocorne et la balignon lèvent la tête ensemble en entendant la voix de leur dresseuse. Sa Première lui adresse un cri très doux, le petit être à la fois fleur et champignon bondit de joie une fois de plus en voyant l’humaine. Maud est aussi surprise que ravie de voir les bonnes dispositions de sa nouvelle recrue à son égard. Alwine paraît satisfaite de son sort bien que sa capture ne date que de la veille, ce qui est extraordinairement rassurant pour la dresseuse encore débutante.
- Bien dormi, les filles ?

Nouveaux cris jumeaux, les deux équipières répondent ensemble avec ce que Maud croit reconnaître comme étant de l’enthousiasme. L’adolescente sourit de plus belle, heureuse pour une fois de n’avoir pas écouté les conseils de son manuel d’élevage ou de ses anciens professeurs. Ces derniers invitaient leurs élèves à se montrer sévères voire durs avec leurs pokémons afin de les endurcir, quand le manuel recommande de ne pas leur parler amicalement ou de la même manière qu’à des humains pour ne pas courir le risque qu’une équipe ne respecte pas son dresseur. Plus Maud en apprend au sujet du circuit professionnel de dressage, moins elle a envie de s’y frotter.
Shrinia se met à humer l’air, puis se retourne en direction de la forêt touchant au verger. Alwine s’y précipite de toute la vitesse de ses petits pieds, tandis que Maud se demande encore ce qui a bien pu attirer l’attention de ses pokémones ainsi. Elle a la réponse quelques instants plus tard en voyant Mathilde émerger du couvert des arbres et prendre la balignon dans ses bras.
Son hôtesse aperçoit à son tour l’adolescente à sa fenêtre, et se met à faire de grands signes pour l’inviter à la rejoindre avant de retourner dans la forêt. Alwine lui emboîte le pas et disparait bientôt à la vue de sa dresseuse, Shrinia intriguée se dirige également dans leur direction.

Maud de plus en plus perplexe attrape la pile de vêtements propres qu’elle trouve au pied de son lit, touchée de cette attention de Mathilde. Si le confort domestique ne lui manque pas la plupart du temps, elle doit bien reconnaître qu’elle apprécie de ne pas coucher en pleine nature toutes les nuits ni d’être contrainte à une toilette sommaire dans le premier point d’eau qu’elle croise.
Elle enfile rapidement sa tenue, lace ses chaussures de marche, boucle sa ceinture et se précipite dans l’escalier puis dans le jardin. L’adolescente entend ses hôtes et ses pokémones s’agiter dans la forêt, elle se dirige dans cette direction jusqu’à déboucher dans une petite clairière qui lui est inconnue.

Maud y trouve Mathilde et Benjamin occupés à fermer les accès à la clairière à l’aide de rochers, branches et autres éléments ne risquant pas d’attirer l’attention des pokémons sauvages vivant près du lieu. Le couple ne laisse qu’un passage tout juste assez grand pour que Shrinia y passe.
- Bonjour, Maud ! lance Mathilde en voyant arriver la jeune dresseuse.
- Bonjour Mathilde, bonjour Benjamin, salue l’adolescente.

Benjamin répond à Maud sans cesser de s’activer, pestant contre son dos. La dresseuse repère encore Alwine et Shrinia en pleine conversation avec l’elecsprint du vieux couple, qui semble s’échauffer comme avant un combat. La rhinocorne vient immédiatement se faire caresser par Maud, qui s’y emploie avec plaisir. Le ronronnement guttural de Shrinia se fait bientôt entendre dans toute la clairière, la créature de pierre fermant à demi les yeux sous l’effet du plaisir. Alwine rejoint également leur dresseuse, mais avec moins d’entrain que sa coéquipière, et reste un peu plus loin de Maud. L’adolescente ne veut pas brusquer sa balignon qu’elle n’a capturé qu’hier, mais Shrinia adresse un signe de tête à Alwine l’encourageant apparemment à s’approcher de l’humaine.
La petite créature rose accepte donc de faire quelques pas en direction de Maud, puis s’immobilise devant elle. La dresseuse constate ainsi à quel point sa nouvelle pokémone est minuscule, arrivant à peine à la moitié de son mollet. Flattée des efforts qu’Alwine fait à son égard, Maud la prend doucement dans ses bras sans provoquer de réaction particulière de sa balignon. Elle la garde près de son cœur et commence à la caresser, ce que le petit être semble apprécier autant que sa coéquipière, puis se met à la chatouiller du bout des doigts. Alwine commence à se tortiller dans ses bras avec de petits cris, et comprenant que c’est un jeu elle bondit soudain sur l’épaule de sa dresseuse puis d’un bras à l’autre pour lui échapper. Maud est impressionnée de l’agilité de sa nouvelle recrue, qui sans bras parvient à conserver son équilibre sur un corps humain en mouvement, multipliant même les bonds pour demeurer hors de portée de ses mains.
- Tu ne m’échapperas pas comme ça, Alwine !

L’adolescente parvient à s’emparer de sa balignon avant qu’elle ne saute à terre, et reprend ses chatouilles jusqu’à entendre ce qui semble être le rire d’Alwine. Un son très aigu, extraordinairement joyeux, répété plusieurs fois comme le bruit de minuscules clochettes se balançant au vent. L’humaine est si saisie de ce qu’elle entend qu’elle en cesse de jouer avec sa pokémone, qui s’immobilise à son tour pour regarder Maud avec curiosité. La balignon semble lui demander pourquoi elle s’est arrêtée, le jeu était pourtant si amusant.
- J’aime t’entendre rire, c’est un son absolument magnifique.

Les deux coéquipières semblent touchées de cet aveu de leur dresseuse. Alwine s’enfouit dans les bras de Maud, Shrinia revient se faire caresser. L’humaine se rend compte que l’excitation des premiers jours de voyage l’a empêché de songer à appliquer en pratique tout ce qu’elle a appris théoriquement sur les soins à prodiguer à son équipe. Elle se promet d’essayer de se rattraper, dès que leur mission aura été menée à bien.
Maud reporte son attention sur ses hôtes, un peu honteuse de les avoir dédaignés si longtemps pour jouer avec Alwine. Ils ont achevé leurs préparatifs, aucun pokémon ne peut plus entrer dans la clairière à moins de passer par le court passage laissé ouvert, ou de voler. La dresseuse interroge le couple sur les raisons de cet aménagement.
- C’est pour ton vivaldaim bien sûr, explique Benjamin. Pas facile à coincer ces bestioles-là, encore moins à forcer au combat. Tu as de la chance, Éclair était un spécialiste de la traque des vivaldaims dans sa jeunesse, c’était son sport favori. Il n’a plus sa fougue d’autrefois, mais il sera encore assez vaillant pour attirer un de ces pokémons par ici va !
- Éclair sait comment faire venir un vivaldaim dans la clairière, assure Mathilde en flattant la tête du vieil elecsprint. On a fermé les autres issues pour qu’il ne s’enfuie pas une fois tombé dans notre piège. Tu n’auras qu’à te cacher avec tes pokémons dans les buissons près du passage, une fois que le vivaldaim s’est engagé il vous suffit de bloquer la sortie pour le forcer au combat. Et pour être bien sûre, j’ai laissé des baies que les vivaldaims aiment beaucoup au milieu de la clairière pour les attirer. Avec tout ça tu devrais réussir à en capturer un aujourd’hui sans trop d’efforts !

Le vieux couple est visiblement très content de sa trouvaille, qui a effectivement de bonnes chances de fonctionner. Une nouvelle fois rouge de confusion, Maud répète plusieurs fois que ce n’était pas la peine et se répand en remerciements, ses hôtes la coupent en affirmant que ce n’était pas grand-chose. La discussion finit par prendre fin, les cultivateurs se glissent par le passage laissé ouvert en laissant leur elecsprint aux bons soins de l’adolescente. Ils lui recommandent bien de remettre la clairière dans son état initial après avoir réussi sa capture, puis retournent à leur verger.
Maud suit leurs conseils et se dissimule dans un buisson proche de l’entrée, veillant à choisir un endroit d’où son odeur ne pourra pas alerter leur proie grâce au vent. Alwine se terre près de sa dresseuse, Shrinia éprouve plus de difficultés à se dissimuler entièrement mais finit par disparaître aux regards extérieurs. Éclair s’enfonce dans la forêt, humant la piste des rares vivaldaims qui y vivent.


Le gracieux pokémon au pelage d’un rose magnifique hésite à s’engager dans la clairière, pressé par le temps. Les baies posées en évidence sur le sol l’attirent, mais il ne veut pas perdre son avance sur son poursuivant qu’il entend proche derrière lui. Le temps qu’il faut à Éclair pour le rejoindre suffit au vivaldaim pour se décider et prendre la fuite, malgré tous les efforts de l’elecsprint pour le forcer à s’engager dans l’étroit passage.
Le vieux pokémon revient vers Maud et son équipe avec une sorte de gémissement désolé. C’est déjà le troisième vivaldaim qu’il laisse filer depuis le début de la matinée, ce dont l’adolescente ne peut le blâmer en voyant toutes les peines qu’il prend pour l’aider. Éclair respire désormais par à-coups précipités, langue pendante et tête basse. S’il excellait dans ce genre de chasse durant sa jeunesse, il n’en a manifestement plus la vigueur.

Maud le caresse et lui donne à boire, le remerciant de ses efforts. Elle n’a pas le cœur de le laisser repartir dans une traque qui semble destinée à se solder d’un nouvel échec, malgré la bonne volonté d’Éclair qui est déterminé à reprendre ses recherches d’un vivaldaim. Shrinia s’était bien proposée pour le remplacer, malheureusement les quelques accélérations dont elle est capable dans ses meilleurs jours ne suffiraient jamais à poursuivre un pokémon aussi rapide qu’endurant. Alwine n’a bien entendu aucune chance, sans compter que Maud ne veut pas se séparer aussi vite de sa nouvelle recrue, préférant évaluer ses aptitudes et ses progrès dès les premiers temps.
La jeune dresseuse est sur le point de se résoudre à laisser repartir Éclair pour une dernière tentative, lorsque le vieil elecsprint lève subitement la tête. Il hume l’air, imité par Shrinia dont l’odorat est pourtant moins développé. Alwine leur adresse quelques cris, sans doute pour demander ce qui se passe, mais Éclair sans répondre bondit dans le buisson près de Maud pour s’y dissimuler avec elle.
L’adolescente veut lui demander ce qui lui arrive, lorsque sa respiration se bloque. Elle vient de voir passer deux oreilles pointues, ornées d’une grande fleur au parfum très prononcé.

Les baies sont apparemment efficaces pour attirer ce jeune individu. Le vivaldaim s’approche avec curiosité, encore un peu hésitant sur ses pattes élancées. Maud admire un instant sa robe d’un rose tendre. Enfin le pokémon s’engage dans le passage, puis s’approche des baies au centre de la clairière.
La dresseuse lance aussitôt le signal, bondissant avec les trois pokémons dressés. Shrinia barre la seule issue possible de son corps massif, que le vivaldaim ne peut éviter. Maud se place entre sa rhinocorne et sa balignon, qui cherche déjà le contact avec leur cible. Éclair reste plus près de l’humaine, mais sa fourrure parcourue de légers éclairs laisse deviner son envie de se battre.

Le vivaldaim manifestement inexpérimenté s’est laissé surprendre par la manœuvre de la petite équipe, mais il se reprend très vite. Constatant que toutes les issues de la clairière sont condamnées, à moins d’oser se mesurer à une rhinocorne bien décidée à ne pas le laisser s’enfuir, le pokémon choisit brusquement le combat en fonçant sur Alwine. Cette dernière ne se laisse pas impressionner par la Charge furieuse, parvenant de justesse à l’esquiver. Sa dresseuse ignore si cette tentative à échoué grâce à l’agilité de sa balignon, ou à cause de l’inexpérience du vivaldaim.
Les deux pokémons plante se toisent furieusement. La hargne d’Alwine risque de ne pas lui suffire cette fois, ce qui inquiète Maud encore incertaine du niveau de sa nouvelle recrue en combat. Au moins elle peut guider sa balignon tout au long de la lutte, un avantage certain des pokémons dressés sur les sauvages.
- Commence par une Charge, Alwine !

La petite créature fleur et champignon bondit à son tour sur le vivaldaim, qu’elle percute en plein poitrail. Le pokémon sauvage recule de quelques pas avec un cri furieux. Manifestement indécis sur la conduite à tenir, il lance un Rugissement qui ne parvient qu’à être attachant du point de vue de Maud. La dresseuse hésite sur la stratégie à adopter, cherchant le meilleur moyen d’affaiblir suffisamment leur cible sans être trop brutale avec un futur sujet de test.
- Essaie Vampigraine.

L’attaque est moins précise qu’une Charge, mais au moins cela peut drainer les forces du vivaldaim de manière régulière et sans trop d’efforts de la part d’Alwine. La balignon s’exécute, mais doit s’y reprendre à deux fois avant que les graines qu’elle envoie ne se plantent dans la douce fourrure du vivaldaim. Le pokémon se cabre en sentant les petites pousses sur son corps, puis tente de les enlever en bondissant nerveusement. Alwine reste interloquée quelques instants en observant le manège de son adversaire, avant de lui asséner une autre Charge. Le vivaldaim ne répond que par un autre Rugissement, montrant déjà les premiers signes de fatigue. Maud essaie de repérer l’instant idéal pour lancer sa ball, tandis qu’Alwine se contente d’esquiver les attaques du pokémon sauvage qui s’épuise peu à peu. Shrinia ne s’autorise pas à relâcher sa garde tant que la capture n’est pas réussie, mais Éclair qui se retrouve désœuvré semble prêt à s’autoriser une petite sieste, bâillant d’ennui devant la facilité de la chose. L’adolescente elle-même doit bien reconnaître qu’elle s’attendait à une capture plus ardue, le principal problème de l’affaire aura finalement été de trouver un vivaldaim à affronter. Le professeur Frêne a eu raison de la prévenir qu’il s’agit d’un pokémon rare, sans l’aide du couple de cultivateurs Maud aurait pu passer des jours dans cette forêt à la recherche de sa cible.

Le combat semble toucher à sa fin, le vivaldaim tremble désormais violemment sur ses jambes. Au moment où il va s’effondrer sur le sol, l’humaine rend sa taille normale à la poké ball qu’elle gardait miniaturisée dans sa main puis la lance d’un mouvement rapide. Un rayon rouge, le même que celui qui a aspiré Alwine la veille, emprisonne le pokémon sauvage dans la sphère qui retombe sur le sol. Maud ainsi que les trois pokémons dressés observent la ball s’agiter sur la terre meuble de la forêt, suivant des yeux le vacillement régulier dans un sens puis dans l’autre. L’assistante novice sort une seconde ball au cas où celle-ci ne suffirait pas, préférant mettre toutes les chances de son côté pour sa première mission officielle.
Cette précaution s’avère inutile. Au bout de trois balancements, le bouton central de la sphère rouge et blanche s’illumine brièvement, indiquant une capture réussie tandis que le petit objet s’immobilise. Les quatre équipiers font entendre le même cri de joie.
- C’est fait, bravo à tous ! s’exclame Maud. Alwine, tu as été excellente pendant ton combat, je suis vraiment fière de toi.

La balignon ne comprend peut-être pas tous les mots, mais elle saisit l’intention générale et répond d’un cri ravi au compliment de sa dresseuse. Cette dernière lui tend les bras, dans lesquels la petite créature de type plante bondit cette fois sans la moindre hésitation. L’humaine prodigue généreusement ses caresses, tâchant de découvrir si sa pokémon n’est pas blessée pendant que ses mains sont sur le corps rose et tendre. Elle finit par trouver un endroit où Alwine semble particulièrement apprécier le contact, presque au sommet de ce qui occupe la place d’un crâne chez les balignons, juste au bord de ce qui pourrait être une corolle si la minuscule créature n’était qu’une fleur.
Shrinia parvient à la hauteur de sa dresseuse alors qu’elle fait cette découverte qui enchante Alwine, avec dans la gueule la ball fermée du vivaldaim. Maud se penche pour récupérer la sphère, cessant de caresser sa balignon pour flatter la tête de sa rhinocorne de sa seule main libre, avant de ranger leur prise dans son sac. La pokémon plante manifeste son envie de se faire dorloter encore un peu, ce que fait l’adolescente jusqu’à ce que l’elecsprint s’approche à son tour.
- Merci beaucoup, Éclair, déclare Maud en caressant cette fois le vieux pokémon électrique. C’était vraiment très gentil à toi de nous accompagner et de nous aider ainsi.

Le pokémon secoue un peu la tête, l’air de dire que ce n’était rien. Si son intervention n’aura effectivement pas été très utile tout compte fait, la jeune fille trouve tout de même que son initiative de rester les assister était très altruiste, ce qui motive des caresses renouvelées de sa part. À moins que l’altruisme ne provienne finalement que de ses maîtres qui ont ordonné à Éclair de rester, ce dernier ne faisant qu’obéir. Maud se demande un instant dans quelle mesure un pokémon dressé peut être généreux lui-même en effectuant des actions charitables qui ne relèvent pas de sa propre initiative. Certes, les pokémons pourraient refuser d’obéir aux humains, et en le faisant malgré tout ils choisissent également de faire le bien. Mais dans ce cas, un pokémon se livrant à des actes mauvais serait responsable, même en n’ayant fait qu’obéir à son maître. L’adolescente suppose que ces considérations dépendent du type de relation établie entre humain et pokémon, mais se félicite l’espace d’une seconde de n’avoir jamais envisagé une carrière juridique. Si toutes les affaires à traiter doivent faire intervenir de pareils raisonnements, chaque verdict rendu devient un véritable tour de force.

Maud laisse là ses idées qui la conduiraient trop loin, mais qui lui semblent d’une assez grande importance pour qu’elle doive y revenir à tête reposée, et revient au moment présent. L’adolescente repose Alwine sur le sol dans le but d’appliquer les dernières recommandations de Mathilde et Benjamin, ce qui ne se fait pas sans un cri de protestation de la balignon. Elle était très bien dans les bras de sa dresseuse, au point de n’avoir pas du tout envie d’en descendre.
Les trois pokémons comprennent vite les intentions de l’humaine en la voyant ôter les obstacles qui barrent encore les accès naturels à la clairière, ce qui fait oublier ses protestations à Alwine. L’elecsprint, la rhinocorne et la balignon vont aussitôt prêter main-forte à Maud, et à eux quatre la tâche est vite accomplie. La force impressionnante de Shrinia lui permet d’écarter les éléments les plus lourds sans effort apparent, Éclair qui connait la forêt par cœur guide ses compagnes dans leur travail, Alwine beaucoup plus petite assiste le groupe de son mieux en faisant rouler ce qui n’est pas trop lourd pour elle.
Ce n’est qu’une fois la clairière revenue à son état premier, le tout étant approuvé par l’elecsprint, que le petit groupe prend joyeusement la direction du verger pour aller faire part du succès de leur quête au couple de cultivateurs dressant Éclair.


Le jour est clair, le soleil doit être aveuglant hors des arbres. Maud se félicite de ne pas avoir à quitter la forêt tant qu’une telle clarté durera, sentiment qui semble être partagé par Alwine habituée à la fraîcheur des sous-bois. Shrinia au contraire tend le cou vers le ciel, appréciant la chaleur comme elle l’avait déjà fait comprendre à sa dresseuse sur la place de Domval.
Les trois équipières avancent à une bonne allure, ce qui réjouit l’humaine qui compte parvenir à leur prochaine destination dans la journée. Le seul risque serait qu’elles se perdent dans la forêt avant de retrouver la route fréquentée allant jusqu’à Vauvrer, ce que l’adolescente tente d’éviter en guidant son équipe avec sa carte déployée devant elle. Elle manque de peu la collision avec un arbre dont Shrinia la détourne au dernier instant, davantage concentrée sur le chemin représenté sur le papier que sur celui qui se trouve sous ses pieds.
- On ne devrait pas tarder à trouver la route… Merci Shrinia.

La rhinocorne gronde doucement, concentrée sur les pieds de sa dresseuse à sa place. Maud se rend compte de sa faim, l’heure du déjeuner serait depuis longtemps passée si elle vivait encore chez ses parents. Elle tente de calculer le temps qu’il leur reste avant d’arriver, pour peu qu’elles trouvent enfin la route directe. La jeune dresseuse s’aperçoit que le sens de l’orientation n’est pas à compter parmi ses qualités utiles à un voyage initiatique. Pas plus que celle de faire du feu, de l’endurance… Elle commence à comprendre pourquoi le professeur hésitait tant à prendre des assistants débutants.
Maud refuse de se laisser abattre par ce genre de réflexion. Elle a une nouvelle balignon très enthousiaste, une rhinocorne adorable (encore que ce soit paradoxal pour un mastodonte au corps de pierre normalement réputé pour son mauvais caractère), et elle a au moins appris à estimer les distances sans trop d’erreurs. Si l’adolescente a raison pour cette fois, Vauvrer n’est plus qu’à quelques heures de marche. Elles ont largement le temps d’une pause donc, son employeur n’attend pas son appel avant plusieurs jours.
- On va s’arrêter un moment ici ! décrète la dresseuse en tombant sur un arbre effondré sur lequel elle s’assoit immédiatement.
- Baliiiii !
- Rhin.

Les deux équipières sont fidèles à elles-mêmes, la balignon bondit aussitôt sur le tronc puis se met à y jouer tandis que Shrinia vient s’allonger près de Maud, décidée à paresser au soleil. L’adolescente sort une partie des provisions dont Mathilde a généreusement garni son sac avant son départ, d’abord de la nourriture adaptée à sa rhinocorne puis à elle-même. Alwine se débrouille très bien toute seule en pleine forêt, ayant déjà déniché ce qui ressemble à des baies tombées au sol depuis si longtemps qu’elles commencent à se décomposer. La minuscule pokémon avale son butin goulument, ce qui fait frémir sa dresseuse de dégoût. Maud sait que les balignons se nourrissent en premier lieu de compost à l’état sauvage, mais elle sent bien qu’il lui faudra un bon moment avant de s’habituer aux repas de sa nouvelle recrue.
Shrinia se contente des rations spécialement préparées pour elle que la jeune fille vient de sortir de son sac, n’essayant même pas de chercher un aliment qui pourrait lui convenir dans les parages. Ce milieu est trop éloigné de ceux qu’affectionne généralement son espèce, ses chances de trouver de quoi assurer sa subsistance sont trop faibles pour que la rhinocorne s’en donne la peine. L’humaine s’aperçoit alors qu’elle n’a pas la moindre idée de ce que peut trouver un rhinocorne sauvage en guise de nourriture. Shrinia étant un pokémon de laboratoire, elle est habituée à être nourrie et Maud s’est contentée de prendre le pas sur son mode d’alimentation habituel. Mais que mangent les rhinocornes lorsqu’ils n’ont pas à disposition les rations préparées par des humains ?
L’adolescente déballe pensivement un sandwich puis mord dedans sans que ne lui vienne la réponse. Enfant, elle était tombée dans un livre d’images sur une illustration montrant des racaillous manger d’autres rochers plus petits. Tous les pokémons roche se nourrissent-ils de minéraux ? Elle en doute sincèrement, rien ne prouvant que ce dessin ne trouve pas sa source uniquement dans l’esprit de son auteur. Sans compter que Shrinia mange des aliments assez semblables à ceux que pourrait avaler un humain. Maud ajoute ce mystère à la liste des choses au sujet desquelles elle doit se renseigner à la première occasion.

Elle s’apprête à mordre une seconde fois dans son déjeuner, lorsqu’Alwine revient près d’elle avec un regard des plus intéressés. L’adolescente se demande ce qui a pu exciter ainsi la curiosité de sa balignon, jusqu’à ce que cette dernière se mette à fouiller dans le sac de sa dresseuse.
- Alwine, mais qu’est-ce que tu cherches ? Tu as encore faim ?
- Liiii li gnon.

La petite créature rose hoche la tête, en réalité tout le corps, en signe de dénégation, avant de littéralement plonger dans le sac de Maud. Cette dernière doit se mordre les joues pour s’empêcher de se moquer de sa nouvelle pokémon lorsqu’elle voit le corps en forme de fleur enfoncé pratiquement jusqu’aux pétales, deux petits pieds ronds s’agitant frénétiquement, avec en guise de fond sonore les couinements d’Alwine. La balignon finit par trouver ce qu’elle semble chercher, mais en retombant sur le sol elle manque d’entraîner tout le sac avec elle. Maud doit lui prêter main-forte pour s’en débarrasser, veillant à ne pas renverser toutes ses affaires en même temps. Alwine finit par émerger du sac, tenant bien serrée dans sa bouche la ball miniaturisée du vivaldaim capturé dans la matinée.
La dresseuse comprend enfin ce que veut lui dire Alwine, qui recrache la sphère à ses pieds avec un regard étonné.
- Oh, c’est vrai ! Je ne t’ai pas expliqué ! s’aperçoit Maud. Il faut que je te parle de notre travail, maintenant que tu fais partie de l’équipe.

La balignon se laisse tomber en position assise, semblant boire les paroles de l’humaine. Shrinia sait déjà tout ce que l’adolescente s’apprête à expliquer, mais elle fait tout de même l’effort de se rapprocher de ses coéquipières. Pour s’assurer qu’elle a bien compris leurs objectifs ou pour l’aider à expliquer la situation à Alwine, l’humaine n’en sait rien, mais elle est heureuse de voir sa Première venir la soutenir.
- Bon, alors je vais essayer de commencer par le début. Est-ce que tu sais qu’il y a des humains qui étudient les pokémons comme toi ?
- Baliiiii, répond la fleur-champignon en ouvrant de grands yeux intéressés.
- On les appelle des chercheurs pokémons, ils font partie de ce qu’on nomme des scientifiques. Je te parlerai de ça plus tard, pour le moment restons juste sur la recherche pokémon. Donc, ces humains essaient de comprendre et de découvrir de nouvelles choses à votre sujet, parce que nous ne vous connaissons presque pas finalement. Je ne sais pas ce qui vous arrive pendant une évolution par exemple, ou lorsque je vous capture.
- Lignon, approuve la balignon en hochant la tête. Bali lignon ? ajoute-t-elle en désignant Maud.
- Moi ? Non, je ne suis pas chercheuse. Enfin pas encore, j’imagine que ça se discute après tout.

La créature plante ne semble pas beaucoup plus avancée par les explications de l’adolescente, qui s’empresse de poursuivre avant de perdre définitivement Alwine dans des concepts obscurs pour elle.
- Je suis une dresseuse avant tout. Mais je suis employée par un chercheur pokémon, le professeur Frêne. Mon travail est de trouver les pokémons dont il a besoin, c’est pour ça que je suis partie en voyage à travers la région.
- Baliiii ? demande Alwine, en désignant successivement Shrinia puis elle-même.
- Oh non, vous les filles, vous êtes les membres de mon équipe ! Le professeur Frêne ne m’a pas demandé de vous capturer, au contraire c’est lui qui m’a confié Shrinia pour que je parte en mission. Elle pourra te parler davantage de lui si tu veux.
- Rhinnno, approuve la rhinocorne.
- Mon travail est de trouver les pokémons que le professeur Frêne me demande de capturer et de lui envoyer. Ils deviennent ensuite des sujets de recherche, qui aident le professeur à mieux vous connaître. C’est par exemple le cas de ce vivaldaim, que je dois envoyer au laboratoire du professeur Frêne dès que nous arriverons à Vauvrer. C’est pour ça que je ne veux pas le faire sortir de sa poké ball maintenant, je trouve un peu cruel de le laisser voyager en liberté avec nous pour une seule journée alors qu’il sera bientôt confiné à l’intérieur d’un laboratoire.
- Baaali ! s’exclame Alwine, qui a cette fois un air indigné.
- Oh c’est un bel endroit, je t’assure ! Le parc est assez grand pour tous les pensionnaires, et le professeur Frêne ne conserve pas les pokémons dont il n’a plus l’utilité. Il les relâche dès qu’il a fini de les étudier. Mais Shrinia pourra te parler de cet endroit mieux que moi, elle y a vécu.

La balignon se tourne vers sa coéquipière, qui hoche la tête en signe d’assentiment. Un dialogue s’établit alors entre elles, à base de cris hauts et perçants pour Alwine, graves et lents pour Shrinia. Maud ne comprend bien entendu pas un mot de cet échange, dont elle profite pour avaler son déjeuner. L’adolescente croit percevoir que sa dernière recrue désapprouve leur mission, qu’elle doit considérer comme d’injustes captures de pokémons réduits à un sort peu enviable. Néanmoins la rhinocorne, d’un naturel plus réservé et s’appuyant sur son expérience auprès des scientifiques, parvient peu à peu à calmer sa coéquipière.
Les cris se font plus doux, les questions plus apaisées du côté de la balignon, les réponses plus longues de la part de la rhinocorne. À cet instant Maud regrette de ne pouvoir comprendre la conversation, elle tente d’imaginer un moyen plus satisfaisant de communiquer avec son équipe. Rien ne lui vient sur le moment, la dresseuse se résigne à attendre une idée pouvant fonctionner. Son voyage lui donnera sans doute l’occasion de découvrir différentes manières d’appréhender une relation entre humain et pokémon, ce qui lui redonne le sourire. Un jour, elle sera assez complice avec ses pokémones pour les comprendre sans avoir besoin de mots.

Alwine finit par escalader de nouveau le tronc couché de l’arbre, se retrouvant au niveau de sa dresseuse adossée à l’écorce.
- Tout va bien ?

La balignon répond d’un cri vif et enthousiaste, puis vient se frotter à la joue de l’adolescente pour lui montrer qu’elle n’est plus fâchée. L’humaine apprécie le contact très doux, et le geste de sa nouvelle recrue qu’elle trouve touchant. Elle tend la main pour caresser Alwine à son tour, ce qui paraît enchanter la petite pousse.
- Bon, si tu n’as plus de questions il faudrait penser à se remettre en route. Allons-y les filles !

Shrinia se remet sur ses pattes avec un grondement sourd, Alwine bondit du haut du tronc pour atterrir sur le sol avec une exclamation joyeuse. Pour un être de sa taille, ce genre de cascade doit être équivalent à un manège à sensations fortes chez les humains. C’est en tout cas l’idée que s’en fait Maud, qui a déjà constaté que sa balignon est une véritable casse-cou. Tout le contraire de Shrinia, si douce et placide.
Le temps de ranger le reste des provisions et de ressortir la carte, puis l’équipe repart. La rhinocorne veille de nouveau sur les pieds de Maud à sa place, pendant que cette dernière tente de raccorder la route représentée sur le papier avec celle, bien réelle, qu’elles doivent emprunter.
Un cri de Shrinia pour l’avertir évite à l’adolescente de se cogner contre le panneau indicateur qu’elle cherchait en vain sur sa carte. Malgré l’air de sa rhinocorne qui semble très amusée de la situation, sa dresseuse la remercie d’une caresse juste derrière la corne pour lui avoir évité une belle bosse.
- Bon, on a enfin trouvé la route ! C’est par là, Vauvrer tout droit dans trois kilomètres !

Les deux pokémons répondent à l’enthousiasme de Maud par un cri joyeux, apparemment aussi pressées qu’elle-même d’arriver à destination. Mauvais sens de l’orientation ou non, elles vont se faire une spécialité d’atteindre leur but avant le délai fixé par le professeur.
La route principale jusqu’à la ville, indiquée par le panneau, tient en fait davantage du sentier forestier grossièrement tracé que de la voie bien taillée. La jeune assistante ne sait qu’en penser, se demandant si la ville ressemble de près ou de loin à sa route. Elle combat l’envie de sortir son guide touristique de son sac, voulant garder la surprise du lieu qu’elle s’apprête à découvrir.
- Attention les filles, nous sommes sur une route fréquentée à partir de maintenant. On va donc sûrement croiser d’autres dresseurs qui voudront m’affronter avant d’arriver à Vauvrer. J’espère qu’ils ne seront pas trop nombreux, mais si quelque chose se passait mal pour l’une de vous deux on se dépêchera d’arriver au centre pokémon. Il n’est pas très loin devant nous, tout devrait bien se passer.
- Bali ! approuve Alwine manifestement très enthousiaste à l’idée de rencontrer des adversaires plus coriaces que les insectes de la forêt.

Une ardeur nouvelle et étrange semble s’être emparée de la petite troupe, qui s’élance d’un bon pas sur le chemin à l’ombre des arbres. La minuscule balignon s’est finalement lassée de gambader autour de sa dresseuse ou de sa coéquipière, préférant se laisser porter par Shrinia avec sa permission. La rhinocorne a également fait comprendre à Maud qu’elle pouvait porter ses affaires, ce que l’humaine a d’abord fermement refusé, trouvant trop humiliant pour sa Première d’en faire une bête de somme. Elle a fini par céder après leur déjeuner, en se promettant fermement à elle-même de reprendre son sac au moindre humain qu’elles rencontreront.
L’adolescente doit pourtant bien reconnaître qu’elle apprécie ce poids en moins sur son dos, et qu’elle parvient difficilement à se sentir coupable alors que Shrinia ne parait pas même le sentir. Elle jette un regard à son équipe cheminant à ses côtés. La rhinocorne au corps de pierre avance de son pas lent en inspirant profondément, visiblement en pleine santé. Juchée derrière la tête grise, confortablement adossée à une plaque saillante, Alwine bien que sagement assise pour le moment transpire d’une envie de faire ses preuves, ainsi que de la joie de se trouver en pleine forêt dont elle hume l’air avec délice. L’étincelle dans ses yeux trahit son caractère fougueux et sa nature pétillante de vie.
Saisie par cette scène, Maud se surprend à penser qu’elles doivent avoir fière allure toutes les trois.


La petite pousse se redresse sur ses pieds, tendue en équilibre sur le dos de sa coéquipière.
- Baliiiiii…
- Je suis d’accord, Alwine. C’est magnifique.

Même Shrinia, pourtant moins susceptible d’être sensible à ce spectacle, est visiblement impressionnée. Maud sort à toute vitesse son guide de voyage du sac qu’elle porte de nouveau, pressée d’apprendre tout ce qu’elle peut sur cette ville.
L’équipe vient finalement d’entrer à Vauvrer, et s’est immobilisée de concert en découvrant les lieux. L’endroit devrait être qualifié de village plutôt que de ville, tant les dimensions en sont réduites. Encore que la jeune dresseuse ne parvient pas à estimer le nombre d’habitations qu’elle a sous les yeux.
Vauvrer semble davantage être une clairière investie avec hésitation par les hommes, plutôt qu’une cité humaine bâtie au cœur de la forêt. Partout Maud ne voit que des arbres, et pourtant elle ne peut douter d’être arrivée à destination. Si le ciel est désormais visible, le soleil illuminant la place de nombreux éclats de miel doré, la couleur dominante reste le vert qui sature le regard. Vert tendre des feuilles d’arbres qui viennent de revenir après l’hiver qui s’éloigne, vert profond de la mousse largement répandue sur les troncs, verts divers des rideaux, tissus, vêtements des habitants de la ville. Bien que la plupart des portes et montants de fenêtres a conservé une teinte et texture de bois, certains riverains ont choisi de repeindre les leurs dans quelques tons de vert supplémentaires.

Mais plus que la couleur, c’est l’architecture de Vauvrer qui retient l’attention de Maud en cet instant. Les maisons, ou appartements pour ce qu’elle en sait, sont pour la plupart construits dans les arbres. Les portes et fenêtres sont presque toutes effilées afin d’épouser la forme de l’écorce, et de nombreux escaliers enlacent les immenses végétaux sans doute plusieurs fois centenaires. Parfois les marches sont directement taillées dans le bois, celles-ci étant plus susceptibles de se trouver recouvertes de mousse voire d’une herbe tendre. En tendant le cou, l’adolescente parvient à apercevoir des constructions qui évoquent les cabanes dans les arbres qu’on peut construire pour des enfants. Quant aux rues, elles sont à l’image de la route principale qu’elles viennent d’emprunter, de simples sentiers doux sous le pied plutôt que des avenues pavées ou goudronnées. Des sentiers tortueux également, qui finissent par un escalier montant dans un arbre ou plongent sous des racines noueuses. Quelle que soit la direction dans laquelle elle regarde, la jeune dresseuse ne voit pas de ligne droite qui se poursuive plus de quelques mètres avant de bifurquer brutalement.
- Alwine, reste bien près de nous ou tu vas te perdre !
- Lignoooon, soupire la plante combattante qui s’apprêtait vraisemblablement à courir dans tous les sens au hasard des chemins forestiers.

Maud cherche les pages concernant Vauvrer dans son guide de la région, un sourire béat collé sur le visage.
- Heureusement que le professeur Frêne nous a laissé du temps pour notre mission, on aura peut-être deux ou trois jours pour découvrir la ville si ça se trouve ! Oh, il y a une arène ici, et c’est écrit qu’on peut la visiter !
- Hé, toi !

L’adolescente suppose que l’apostrophe s’adresse à elle, personne d’autre ne s’arrêtant pour y répondre. La voix lui est inconnue, et franchement inamicale. Peut-être même haineuse, bien qu’elle ignore ce qu’elle a pu faire pour courroucer à ce point quelqu’un qu’elle ne connait même pas.
Maud se retourne donc, ainsi que Shrinia entraînant dans son mouvement Alwine qui est retournée se percher derrière la tête rocailleuse. Elles font face à un garçon qui semble légèrement plus jeune que la dresseuse novice, assez frêle de constitution, et au visage rougi par la rage. Maud se demande si elle ne lui a pas marché sur le pied accidentellement, pour qu’il lui lance un regard aussi assassin.
- Euh, oui ?
- Je te reconnais, tu étais au laboratoire du professeur l’autre jour pendant l’attaque !
- C’est exact, confirme Maud qui ne comprend toujours pas en quoi cela semble être un problème si grave.
- Je t’ai entendu parler, tu l’assistes maintenant ? Où tu as eu ces pokémons ?
- Je suis une de ses assistantes, en effet, reconnait la jeune dresseuse qui commence à s’énerver elle aussi. On ne t’a jamais dit que c’est malpoli d’écouter les conversations des autres ? Pour mes pokémons, même si ça ne te regarde pas, c’est le professeur Frêne qui m’a donné la première et j’ai capturé la seconde.

Le visage du garçon rougit encore, ce qui jure assez avec ses cheveux châtains clairs. Maud se doute que l’inconnu est frustré de ne pas avoir reçu de pokémons ce fameux jour, mais elle voit une ball à sa ceinture. Puisqu’il a réussi à se procurer un pokémon autrement, elle ne voit pas ce qui l’énerve autant.
Shrinia n’aime pas la tournure que prend la conversation, ni la manière qu’a cet humain de s’adresser à sa dresseuse. Elle vient donc se placer devant la jeune fille, Alwine derrière sa tête paraissant également décidée à en découdre si leur dresseuse interprète correctement le cri qu’elle pousse.
- Attendez, les filles, tente d’apaiser Maud. Il ne nous a pas provoqué.
- Oh, mais si ! beugle le garçon. Je devais recevoir un pokémon du professeur Frêne, et c’est moi qui devais devenir son prochain assistant ! J’allais le voir pour le lui demander, je n’en ai rien à faire de cette stupide Ligue régionale !

Il porte la main à sa ceinture, refermant les doigts sur la poké ball qui s’y trouve. La rhinocorne et la balignon se crispent, leur dresseuse pince les lèvres. Son adversaire affirme avoir voulu faire ce qu’elle-même est en train d’accomplir, le discours face aux actes. C’est la première fois qu’elle sent sa supériorité sur autrui, une réelle supériorité. Le sentiment est presque grisant face à un adversaire aussi désagréable. Est-ce cela que ressentent les dresseurs de renom, ceux qui paraissent toujours hautain et ont de grandes phrases prétentieuses lors d’un match ?
- Tu sais, je comprends ta colère, commence Maud. Personne n’avait prévu cette attaque, et beaucoup de gens qui voulaient un pokémon ne l’ont pas eu. Mais je suis restée jusqu’au bout, j’ai proposé au professeur de l’aider dans ses travaux en abandonnant mes ambitions sur la Ligue, et c’est à moi qu’il a confié Shrinia. Je ne m’excuserai pas pour ça.
- Pfeuh, c’est clair qu’il ne devait avoir personne d’autre sous la main pour te recruter toi, lance l’inconnu en voulant se donner l’air méprisant. Il me suffit de te battre pour prouver au professeur que je suis celui qu’il lui faut !

L’adolescente pousse un long soupir, effarée des conclusions auxquelles a pu aboutir cet étranger. Il faudra un jour que quelqu’un lui explique le lien entre être un bon dresseur et un travail scientifique.
Maintenant qu’elle y pense, cela ne concerne pas seulement cette place d’assistant. Absolument tout dans cette région, dans ce pays même, se règle par un défi pokémon. Les dresseurs les plus calmes se contentent de répondre aux défis qu’on leur lance, les plus vindicatifs défient à peu près n’importe qui pour le moindre prétexte. Il n’est pas étonnant que dans ces conditions, les humains n’étant ni dresseurs, ni coordinateurs, ni éleveurs ne soient que peu considérés. Il est difficile de revendiquer le choix de n’entraîner aucun pokémon, lorsque c’est une tâche dont se chargent des enfants de dix ans. En l’occurrence, c’est apparemment la légitimité de Maud dans son nouveau rôle d’assistante du professeur Frêne qui semble se jouer.

Elle se place donc en position de combat, indiquant implicitement qu’elle accepte le défi. Son équipe se tend, prête à l’action, et elles attendent ainsi de voir apparaître le pokémon de leur adversaire. Il doit être très fort pour que son dresseur se permette une telle arrogance.
L’habituel rayon rouge apparait, et c’est un negapi qui jaillit de la sphère. Maud hausse un sourcil en le découvrant, se retenant de rire. La morgue du dresseur en face d’elle a disparu, laissant la place à une nouvelle dose de rage qui fait rougir son visage de plus belle.
- Il est… vraiment mignon, tente la jeune femme sans grande conviction. Et il a l’air très déterminé, ajoute-t-elle en voyant l’expression de la souris électrique qui semble effectivement prête à en découdre.
- Nan, il est nul. C’est ma sœur qui me l’a capturé après que le professeur ait refusé de m’en donner un, mais elle s’est plantée avec les instructions que je lui avais données.

Cette fois Maud doit se mordiller l’intérieur d’une joue pour ne pas ricaner à la face de son adversaire, qui vient tout de même de lui faire un aveu d’un rare ridicule. Si Negapi paraît toujours prêt à tout pour son maître, il s’est ratatiné d’un air penaud en baissant les oreilles lorsqu’il a entendu le dresseur le qualifier de « nul ». Ce spectacle redonne à l’adolescente son sérieux, désolée pour le pokémon condamné à subir un entraîneur frustré de l’avoir dans son équipe plutôt qu’un pokémon plus impressionnant. Car elle se doute bien que le problème est là, un negapi même puissant provoquera difficilement la crainte ou l’admiration chez les dresseurs défiés par son propriétaire.
Malgré l’élan de compassion qu’elle éprouve pour Negapi, Maud ne compte pas ménager son adversaire durant le combat, qu’elle sait déjà gagné d’avance. Le pokémon électrique, même avec toute la meilleure volonté du monde, ne pourra jamais rien contre un pokémon de type sol. Ce que Shrinia est à moitié.
La jeune femme récupère Alwine sur la tête de sa coéquipière, puis se recule de quelques pas afin de dégager le terrain.
- Shrinia, c’est à toi.

La mastodonte se place donc en face de Negapi, qui parait tout simplement minuscule face à la rhinocorne. Cela, associé à son aspect effectivement adorable, donnerait presque des scrupules à Maud de l’attaquer. La souris électrique n’inspire peut-être pas la crainte, mais en terme de stratégie son dresseur ferait bien de chercher du côté de cette apparence mignonne bonne à exploiter.
Sous les ordres du garçon enragé, Negapi commence par une Cage-Éclair que Shrinia ne prend même pas la peine d’esquiver. Elle fait bien de s’épargner cet effort, les éclairs produits par la souris jaune et bleue semblent tout bonnement s’évanouir et disparaître dans le sol au contact de son adversaire. La première Koud’Korne de la rhinocorne en revanche, suffit à envoyer valser à plusieurs mètres le petit pokémon frêle de constitution. Il se relève sous les insultes de son maître qui le somme de retourner se battre.

Maud pince les lèvres, furieuse de ce gâchis. Elle ne trouve même pas loyal de poursuivre une telle lutte, mais une fois le défi d’un dresseur accepté on ne peut plus couper au combat avant la mise à terre d’une des deux équipes. Peut-être aurait-elle dû envoyer Alwine ? Bien qu’après tout, son adversaire savait à quoi il s’engageait. Encore qu’il a l’air assez débutant pour ne même pas connaître l’insensibilité du type sol aux attaques électriques, ou pour ignorer que les rhinocornes ne sont pas uniquement des pokémons de type roche. Les années universitaires de la jeune femme font apparemment la différence, en fin de compte.
Shrinia encaisse sans broncher les différents éclairs que lui envoie Negapi, puis use de sa technique favorite qui consiste à imprimer de vives torsions à son dos pour prendre son attaquant par surprise en lui opposant des Koud’Kornes auxquelles il ne s’attend pas. Cela fonctionne remarquablement bien pour un être de sa taille, ce qui montre à sa dresseuse qu’elle est une pokémon fort avisée, capable de ruses sans attendre les directives humaines. En plus d’être très souple pour une rhinocorne.
Negapi fatigue vite, Shrinia ne souffre même pas d’une égratignure. Sa résistance combinée à son type sol semblent lui faire éprouver la même compassion que Maud pour la souris électrique, elle ne frappe qu’avec répugnance et par des coups beaucoup moins violents qu’à son habitude. Le combat ne tardera pas à s’achever de toute façon.

L’adolescente voit soudain jaillir une attaque Étincelle du petit corps jaune, ce qui l’étonne. Elle a passé suffisamment de temps à s’entraîner avec des hologrammes de pokémons électriques pour savoir que ce n’est pas une attaque que les débutants peuvent apprendre. Negapi se donne du mal pour satisfaire son dresseur, même si cela ressemble beaucoup à une cause perdue. L’attaque est une fois de plus inefficace, aussi il change soudain de tactique avec des Vive-Attaques répétées, que son dresseur n’a pas demandées mais qui parviennent enfin à toucher Shrinia.
- Idiot, j’avais dit Cage-Éclair ! Paralyse-le !
- Le seul idiot ici, c’est toi, réplique Maud qui perd définitivement patience. Negapi a compris, lui, qu’il n’arriverait à rien avec des attaques électriques. C’est la seule chose qui a une chance de marcher, crétin !
- Ben là ça marche pas, rétorque le garçon qui a viré au cramoisi de plus belle.
- C’est trop peu et trop tard, grince l’adolescente désolée pour la souris jaune et bleue.

Son analyse n’est pas longue à se confirmer. Il faudrait des heures à Negapi pour espérer achever Shrinia de cette manière, alors que cette dernière l’amoche de plus en plus sévèrement à chaque nouvel assaut, bien qu’il soit désormais évident qu’elle se retient de frapper trop fort. Le pokémon électrique se retrouve pourtant à terre, le nez dans la poussière, incapable de se relever tandis que la rhinocorne a le pied levé au-dessus de son adversaire. Si elle l’abat, ce sera le coup de grâce sans aucun doute.
- Arrête !

L’ordre a claqué comme un fouet, le mastodonte de pierre retient sa patte en l’air sans faire mine de la laisser retomber. Negapi observe le danger qui lui masque le ciel en tremblant, son dresseur attend la suite sans faire mine de comprendre la situation. Il s’attend probablement à une dernière injure de Maud avant l’attaque finale.
- Inutile de t’acharner, Shrinia. Ça n’en vaut pas la peine, viens.

Sous le regard éberlué de l’inconnu, la rhinocorne tourne volontiers les talons pour rejoindre sa dresseuse et sa coéquipière. La minuscule Alwine lui adresse quelques cris qui pourraient être des félicitations, auxquels Shrinia ne répond que par un seul long grondement. Son adversaire apostrophe Maud une dernière fois tandis que la balignon entreprend l’ascension d’une patte rocailleuse.
- Hé, où tu vas ? Le combat n’est pas fini !
- Oh que si, assure la jeune femme d’un ton las. Je ne tiens pas à continuer de martyriser ton Negapi, tout ça pour quelques pokédollars que j’aurais obtenu de toi à la fin.

Pour une fois le jeune prétentieux est soufflé, et ne trouve aucune provocation à jeter à la tête de l’équipe qui s’éloigne.
Ce n’est que quelques rues plus loin, après avoir monté un escalier, louvoyé entre plusieurs racines faisant facilement sa taille et s’être égarée dans une sorte de labyrinthe entièrement composé d’arbustes, que Maud exprime un peu de sa pensée entre ses dents serrées.
- Mais où est ce Centre Pokémon, bon sang…

Elle n’est plus du tout d’humeur à faire du tourisme, et ses pokémons se contentent de suivre sans un cri ni manifester leur sentiment à ce sujet. Oubliée, la visite de l’arène, envolées les merveilles de la cité des arbres, la dresseuse brûle de contacter son employeur et les autres assistants. Elle voudrait parler à Lucien en particulier, les conseils d’un dresseur aussi expérimenté lui seraient bien utiles.
Apercevant enfin la poké ball en bois lissé et peint, épousant la courbe du tronc qui la supporte, l’humaine s’y dirige à grands pas pressés, obligeant son équipe à suivre le rythme tant bien que mal. Alwine pousserait bien un cri admiratif en découvrant ce bâtiment implanté dans plusieurs arbres, dont les différentes parties sont reliées par des ponts suspendus entre les troncs et des escaliers s’enroulant autour d’eux, mais elle comprend bien que l’ambiance générale n’est pas propice à la contemplation. Elle se laisse donc emporter par Shrinia cherchant à rattraper leur humaine, en se demandant si Maud est fâchée ou simplement inquiète. La petite balignon ne connait pas les humains depuis assez longtemps pour pouvoir trancher, elle se résigne donc à attendre la suite des événements.


Ses cinq interlocuteurs demeurent silencieux un long moment après son récit. Le professeur Frêne, dont l’image est au centre de l’écran, paraît à la fois inquiet et pensif. Maud suppose qu’il se trouve à son laboratoire, mais la taille de l’arrière-plan ne lui permet pas d’être plus précise dans ses estimations. Le coin supérieur gauche montre Katleen, tenant son Snubbull dont la tête apparaît également dans le cadre. En dessous se trouve Lucien, apparemment dans un Centre lui aussi, qui s’est montré scandalisé de l’attitude et des propos tenus par l’adversaire de Maud. À droite dans le coin inférieur est visible Mackenzie, qui semble être en extérieur et darde sur elle des yeux compatissants. On distingue le banc sur lequel elle est assise en pleine rue, on entend vaguement la rumeur de la foule qui passe autour d’elle ainsi que les enseignes de boutiques à l’arrière. Sur la dernière partie de l’écran, Samy a pris l’appel au bord d’une rivière dont on peut entendre l’eau couler en tendant l’oreille. Comme Maud, il attend manifestement les avis des autres avant d’exprimer son opinion.
La jeune femme se tasse sur son siège, penaude. Elle est bien consciente que son rapport n’était pas plaisant à entendre, apportant des mauvaises nouvelles et non des bonnes, et pour couronner le tout elle ignore si son attitude a été adaptée aux circonstances. Elle jette un regard sur son équipe qui demeure silencieuse à ses côtés durant son appel, puis rompt ce silence d’une toute petite voix.
- Est-ce que… est-ce que j’ai bien fait ? De mettre fin au combat, je veux dire ?
- C’était un geste d’une grande compassion, assure aussitôt le professeur. Très noble de ta part.
- C’est vrai Maud, appuie Mackenzie en caressant un pokémon hors du cadre de son appareil. Stopper un combat quand on n’a pas l’avantage est un abandon, mais épargner le pokémon adverse quand on pourrait l’achever est renoncer à une victoire par miséricorde.
- Surtout que Shrinia aurait vraiment pu blesser salement un negapi, poursuit Samuel. Tu as été très avisée de mettre fin à cette mascarade, et en étant dans la position du vainqueur tu étais la seule à pouvoir tout arrêter ainsi.
- Ils ont raison, approuve Lucien. En revanche, tu t’es fait un adversaire drôlement acharné en te montrant si généreuse avec son pokémon.
- Vous vous êtes tous attirés des ennemis de ce genre, d’après ce qu’a dit cet inconscient, tranche le professeur Frêne. Nous ne pouvons pas considérer qu’il soit le seul à vous en vouloir d’avoir reçu un pokémon et des responsabilités de ma part, alors que tant d’autres ont vu leurs espoirs déçus. Katleen et Maud sont les plus exposées je le crains, mais le simple fait d’être un de mes assistants suffira à vous attirer ce genre de rencontres désagréables.
- Alors, nous n’avons plus qu’à nous entraîner davantage et à être prudents, décrète Mackenzie. Merci de nous avoir prévenus en tout cas, Maud.
- Pas de quoi, c’est normal.
- Maintenant que tout cela est dit, parlons de choses plus joyeuses ! suggère le professeur. Maud, poursuis donc ton rapport. Puisque tu es à Vauvrer, j’en conclus que tu as mené à bien ta mission ?
- Oh… oui professeur, bien sûr, bredouille l’adolescente qui en avait totalement oublié la ball miniaturisée restée dans son sac. Je vous transfère le vivaldaim tout de suite.

Elle fouille un moment dans ses affaires pour retrouver la sphère rouge et blanche, mais finit par mettre la main dessus. Une pression du doigt, et elle retrouve sa taille normale. Maud n’a plus qu’à la placer sur le socle de la machine prévue pour les transferts de pokémons, puis à entrer les coordonnées du laboratoire. Un rayon rouge enveloppe la ball puis l’expédie jusque chez le professeur Frêne, qui s’absente quelques secondes plus tard pour aller réceptionner son nouveau pensionnaire. Les assistants peuvent voir un rayon rouge illuminer l’écran du laboratoire, puis ils entendent le cri du Vivaldaim.
- Beau travail, Maud, complimente le professeur en se rasseyant face à l’écran. Mission accomplie !

Ses collègues félicitent l’intéressée, appuyés par deux ou trois cris de sa propre équipe. La petite voix aigue d’Alwine, si loin des grondements doux mais profonds de Shrinia, n’échappe pas au professeur qui montre un visage étonné. Le sourcil levé de Lucien prouve que lui aussi a entendu la minuscule balignon.
- Maud, commence le professeur Frêne, tu n’as pas autre chose à nous dire ?
- Euh… si, avoue la jeune femme. J’allais y venir.

Elle attrape Alwine qui était encore grimpée sur la rhinocorne, et la présente à l’assemblée en la posant devant elle sur la table, juste au bord du clavier. La taille réduite du spécimen, son aspect moitié fleur moitié champignon et sa figure adorable, avec ses grands yeux curieux, font craquer en même temps Mackenzie et Katleen qui se rejoignent dans un identique soupir béat. Samy félicite de nouveau Maud pour sa prise, Lucien se contente d’un mince sourire et d’un hochement de tête. La dresseuse remercie rapidement ses pairs, mais lorsqu’elle reprend la parole c’est à son employeur qu’elle s’adresse en priorité. L’avenir de sa balignon dépend de lui, ou plutôt de l’avancement de ses recherches, et Maud en est douloureusement consciente.
- Je vous présente Alwine, la balignon que j’ai capturé dans la forêt entre Bourgmine et Vauvrer. Je comptais en faire une membre de mon équipe, sauf si…
- Sauf si j’ai besoin d’elle au laboratoire pour mes recherches, c’est ça ? demande le professeur en cherchant dans sa base de données. Je vais te dire ça tout de suite.

La balignon se retourne pour dévisager sa dresseuse, avec un cri angoissé. Maud ne sait pas quoi lui répondre pour le moment, elle se contente de la serrer dans ses bras en attendant le verdict.
- Tu peux la garder, finit par décréter son patron. J’ai suffisamment d’informations sur cette espèce, encore que ce spécimen ne semble pas correspondre aux normes de taille que j’ai enregistrées. Il faudra que tu me transfères les données prises par ton pokédex au plus vite.
- Sans faute, professeur, assure Maud qui sent un intense soulagement l’envahir.
- Cela signifie donc que vous avez tous capturé le second membre de votre équipe, jeunes gens, précise ce dernier. Une étape importante pour un dresseur, comment vous sentez-vous ?

Le sentiment qui ressort le plus est l’enthousiasme, chacun parlant en même temps que les autres en exhibant sa prise. Katleen est la première à dégainer un mignon Azurill, promptement baptisé Minnie, qu’elle écrase entre son bras et son Snubbull. Maud apprend à cette occasion que le pokémon rose se nomme Snuffy, un surnom dont elle ne sait quoi penser. L’enfant dans sa tenue bariolée orange vif et rose violent commence à leur expliquer qu’elle envisage de se spécialiser dans le type fée, avant d’être coupée par Samy qui présente à son tour son nouveau Mimigal. L’araignée verte crisse des mandibules en les voyant, ce qui donne l’occasion au professeur Frêne de complimenter le dresseur sur le spécimen qu’il lui a envoyé. Maud finit par comprendre que Samy avait d’abord capturé un mimigal pour lui-même, mais lorsque le professeur l’avait réclamé pour ses recherches il n’avait pas hésité à lui envoyer puis partir en capturer un second pour son équipe. L’adolescente éprouve une sensation étrange en entendant cela, elle a l’impression que Samy parle d’échanger des pokémons comme on échangerait des cartes à collectionner.
C’est au tour de Mackenzie de présenter son nouvel équipier, un Carvanha robuste qui bondit dans l’air avec Babimanta comme s’ils étaient au fin fond d’un lac ou d’un océan. Il faut vraiment que Maud se renseigne sur les pokémons aquatiques, qui sont manifestement la spécialité choisie par Mackenzie. Enfin, Lucien est le dernier à évoquer Coxy. Il en parle moins longtemps que les autres assistants ont évoqué leurs pokémons, il ne le montre pas non plus.
- Où est-il, ce Coxy ? note finalement le professeur Frêne.
- Avec Vipelierre, quelque part dans le Centre, répond Lucien en agitant vaguement la main dans une direction indéterminée.

La conversation reprend sur un sujet puis un autre, mais Maud reste surprise du ton morne avec lequel Lucien parle de son équipe. De l’indifférence, presque. Cela ne semble pas non plus avoir échappé à leur employeur, et à la tête des autres assistants la jeune dresseuse devine que certains se font la même remarque qu’elle.
Leur échange finit par s’épuiser, tous les rapports sont faits et les conseils les plus essentiels sur le dressage ont été donnés par tout un chacun. L’un après l’autre, les assistants égrènent leurs formules de politesse favorites puis les images se coupent. Bientôt il ne reste plus que Maud et le professeur Frêne en ligne.
- Attends un peu, s’il te plaît.


- J’aurais voulu parler de Lucien avec toi, poursuit le scientifique en passant une main dans ses cheveux impeccables. Tu me sembles la mieux placée depuis ton voyage avec lui.
- Je vous écoute, répond Maud qui se doute déjà du sujet à aborder.
- Qu’est-ce que tu penses de la relation qu’il a avec son équipe ?

La question est directe, ce qui épargne au moins à l’adolescente une longue conversation à mots voilés. En revanche, elle hésite dans sa réponse. Qu’est-on censé dire à son employeur lorsqu’un de ses collègues néglige manifestement une des missions qui lui a été confiée ?
- Mauvaise, finit-elle par oser.

De toute façon, pas moyen de mentir sur cela après ce que le professeur Frêne a vu. Elle cherche comment tourner ses explications pour ne pas nuire à Lucien.
- Ce n’est pas qu’il les néglige, s’empresse-t-elle d’affirmer. Je crois plutôt qu’il refuse inconsciemment de s’attacher. Il m’a parlé de… de son limagma.

Maud hésite sur le nom, Lucien le lui a pourtant dit lorsqu’il s’est confié à elle. Seulement, impossible de s’en souvenir. Le professeur saura bien de qui elle parle, et se rappeler de cette conversation au coin du feu lui fait revenir un autre détail en mémoire.
- Il a juré devant moi de faire les choses différemment, cette fois-ci. Sur le moment je n’ai pas compris de quoi il parlait, mais si Lucien évoquait ses méthodes d’entraînement…
- Tu as sans doute raison, soupire le professeur qui ne semble heureusement pas furieux. Je ne réalisais pas que l’enlèvement de son ancienne équipe l’avait marqué à ce point. Bien, je te remercie, j’essaierai de parler avec Lucien. Pour être franc, j’ai de la peine pour les pokémons qui lui restent.
- Ils lui sont très fidèles, assure la jeune femme. Il en prend soin et les entraîne avec tout le sérieux nécessaire, mais il est bloqué dès qu’il s’agit d’entrer dans une relation plus profonde.
- Je vois.
- À ce sujet… j’aurais aimé vous parler des observations que j’ai faites en gardant mes pokémons à mes côtés hors de leurs balls.

Maud s’étonne d’avoir osé faire cette demande, surtout qu’elle n’est pas certaine que son employeur y voit une quelconque pertinence. Cependant il se penche davantage vers son écran avec un air fortement intéressé, aussi elle n’a plus qu’à se racler la gorge, s’armer de courage et poursuivre. Sa main se tend vers Alwine, dont elle caresse machinalement la tête durant l’échange.
- Je t’écoute.
- Et bien voilà, je me suis étonnée les premiers jours de la vitesse à laquelle se développait mon lien avec Shrinia, et le phénomène n’a fait que s’accentuer avec Alwine. Mais j’ai fini par me rendre compte que le fait de les avoir sans cesse près de moi m’a fait les inclure dans mon quotidien, davantage que n’importe quel dresseur qui garde son équipe dans des balls. Je leur parle comme je le ferai avec des humaines, je les consulte lorsqu’une question me laisse perplexe et je demande de plus en plus souvent leur avis avant de prendre une décision.
- N’est-ce pas un trait de ton caractère, plutôt qu’une conséquence de cette condition que je t’ai imposé ? relève le scientifique qui pose sur le phénomène un regard de chercheur.
- Si c’était le cas, le phénomène ne s’accentuerait pas, objecte Maud. Je vous assure que c’est le cas, n’est-ce pas les filles ?
- Rhiiiin, approuve Shrinia d’un cri guttural.
- Bali ! appuie Alwine en inclinant tout son corps de haut en bas, comme si elle hochait la tête.
- Je pense également que ces journées entières passées dehors ont permis à Shrinia et Alwine de mieux connaître le monde des humains, et même de prendre certaines de nos habitudes, rebondit l’adolescente qui profite du geste de sa balignon. Nous pouvons avoir de vraies conversations maintenant, si je prends la peine de poser des questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non.

Elle cherche comment exprimer sa pensée au mieux, essayant de se remémorer un épisode marquant de ces dernières semaines. Maud n’a ni le vocabulaire, ni la rigueur scientifique permettant de construire un discours intéressant pour un travail de recherche. Pourtant, son employeur note frénétiquement tout ce qu’elle vient de lui apprendre, comme s’il s’agissait de nouvelles d’un intérêt majeur.
- Pas plus tard qu’aujourd’hui, reprend la jeune assistante encouragée par ce spectacle, j’ai essayé d’expliquer à Alwine mon travail pour vous puisqu’elle ne le connaissait pas en tant que nouvelle recrue. Je ne suis pas sûre que l’idée de cette conversation me serait venue si je me contentais d’appeler mes pokémons pour le combat, comme le fait la plupart des dresseurs que je connais.
- Je vois, finit par dire le professeur Frêne après s’être arrêté de noter.

Ne voyant plus rien à dire à ce sujet, Maud attend sa réaction. Au fur et à mesure que les secondes passent tandis que son interlocuteur relit ses notes, cette conversation qu’elle a pourtant demandé apparait de plus en plus ridicule à la jeune femme. Qu’est-ce qui lui a pris de parler de ça à un scientifique reconnu, le professeur pokémon attitré de la région ? Ce ne sont que de sottes idées d’enfant, qui la font s’empourprer au fur et à mesure qu’elle se rappelle de ce qu’elle vient de lui confier, et avec un enthousiasme débordant encore.
- Je ne sais pas si ça a un intérêt pour vous, se justifie-t-elle de sa voix la plus minuscule, mais comme vous désiriez étudier la relation d’un dresseur avec un pokémon hors de sa ball…
- Tu as bien fait de me confier tout cela, assure le professeur sans détacher les yeux de ces notes. C’est exactement le genre d’informations dont j’ai besoin pour mes recherches. Cela intéressera peut-être le professeur Orme également, qui travaille spécifiquement sur cette question. Écoute, je voudrais que tu me parles de ce genre de réflexions dès que tu te les fais. Intègre-les à tes rapports de mission, par exemple, ou note-les par écrit pour pouvoir me les envoyer.
- Je ne pensais pas que ça vous serait utile, ce n’est pas un travail scientifique, s’étonne Maud.
- Tu n’as pas les compétences techniques nécessaires pour mener des recherches, c’est certain, affirme le professeur Frêne. Mais c’est mon travail d’étudier des sources de plusieurs types pour mes travaux, et les témoignages tels que le tien sont des sources aussi valables que n’importe quelle autre. Il suffit de savoir les exploiter.
- Bon, et bien je vous communiquerai mes prochaines idées dans ce cas, accepte Maud qui ressent comme une pointe de fierté.
- Bien, et continue ton travail relationnel avec ton équipe, tu es sur une voie très intéressante à exploiter.

L’échange prend rapidement fin après cela. L’image de son employeur a tout juste disparue de l’écran lorsque l’adolescente se tourne vers Shrinia, attrapant la balignon au passage, les joues rosies de plaisir.
- Il a aimé mon travail ! Je n’ai fait que lui parler de mes idées, mais c’est déjà ça !

Les deux pokémons font entendre les mêmes exclamations de joie en écho, se joignant volontiers au bonheur de leur dresseuse qui sourit d’un air béat. Apparemment elle ne fait pas une mauvaise assistante, avec un peu de chance elle a même réussi à faire oublier au professeur le peu d’intérêt que Lucien semble accorder à la relation avec son équipe. Finalement la journée est plutôt bonne dans l’ensemble, elles ont découvert une nouvelle ville, Maud a contacté ses collègues et son employeur l’a complimenté.
Il y a bien les pauvres Vipelierre et Coxy, négligés par Lucien qui ne semble pourtant pas être un mauvais dresseur. Ainsi que ce garçon aussi inconnu que belliqueux, évidemment. Avec tous ces événements, Maud se rend compte qu’elle a oublié de fêter dignement la réussite de sa première mission officielle d’assistante.