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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 17/07/2016 à 00:33
» Dernière mise à jour le 20/07/2016 à 17:54

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 18 (3/5) : You are beautiful

You are beautiful - James Blunt


Ce bonus se déroule après Black Widow.


Athéna était à genoux sur le sol, la tête baissée. Elle n'avait aucune envie de la relever. Elle ne tenait pas à voir la Salle Originelle autour d'elle, qui n'était plus qu'un champ de ruine. Affalée devant le trône à moitié détruit d'Arceus, elle respirait bruyamment. Des fragments du plafond continuait à s'écrouler autour d'elle, pour s'écraser sur le sol couvert de sang et jonché des corps des Gijinkas de Lilith.

En cet instant, elle aurait voulu pleurer, exactement comme les humains en étaient capables. Elle aurait voulu s'étendre à plat ventre, verser toutes les larmes de son corps en s'égosillant, jusqu'à s'effondrer de fatigue, vidée de ses moindres forces. Elle était légendaire, toutefois, et une telle faiblesse ne lui était pas permise.

- Ma dame...

Seul le timbre délicat de Darkrai, qui résonna dans son esprit, la convainquit de se redresser. Malgré elle, elle dut faire face à ce spectacle désolant qui s'étendait autour d'elle. Elle ne le supporta pas très longtemps, cependant, car le corps fantomatique du pokémon noirtotal vint se placer devant elle.

- Arceus m'a appris qu'ils avaient tous réussi à s'échapper. Vous avez réussi.
- Je n'y serai jamais parvenu sans les informations que vous m'avez transmises. C'est grâce à vous si j'ai pu les secourir à temps.
- Non... murmura-t-elle, la gorge serrée. Non. Ce n'est pas grâce à moi. C'est à cause de moi. Je...
- Vous avez peur, n'est-ce pas ? Vous redoutez de provoquer la même catastrophe qu'en Atlantide, c'est bien cela ? C'est pour cette raison que vous n'avez pas utilisé vos pouvoirs quand tout le monde en aurait tant eu besoin.
- Je ne peux pas. Je dois... Il faut que je les contienne. Ne comprenez-vous pas ? J'ai toujours tenté de régler les choses pacifiquement jusqu'à présent, mais la situation m'a échappé. L'influence que je croyais avoir sur Arceus s'est retournée contre moi et, à cause de cela, j'ai dû me battre, moi qui abhorre cela. Je me suis battue contre Némésis et j'ai détruit toute une civilisation, à moi seule.
- Je crains que les contenir ne soit pas la meilleure solution. Ils finiront par vous posséder plus que l'inverse ne sera vrai.
- C'est déjà le cas. Ce sera toujours le cas tant que je trouverais pas le moyen de les maîtriser. Ceux de Némésis étaient tout aussi puissants que les miens, or elle n'a jamais eu la moindre difficulté. Je suis certaine qu'il y a une solution. Hélas, c'est probablement la seule question à laquelle les Zarbis n'ont pas la moindre réponse.
- Athéna... murmura Darkrai, compatissant, avant de se reprendre : Je désirais justement vous parler d'eux, en plus de la contribution que vous m'avez offerte dans le sauvetage de mes amis. J'ai conscience que vous n'aimez guère user de leurs dons et de vous procurer par le biais un savoir que vous préférez acquérir par vous-même. Malgré cela, j'aurais besoin d'un éclaircissement sur un point qui n'est pas sans me préoccuper.
- De quoi s'agit-il ?
- Lilith a été frappée par le Laser-Glace d'Artikodin aux Colonnes Lances, et au moment de détruire le gel qui s'immisçait en elle, Inari a découvert un élément troublant. À l'endroit exact où l'attaque l'a frappée, une marque est apparue.
- Quel type de marque ?
- Le symbole du type spectre, gravé sur la plaque d'Arceus.

Athéna s'efforça de conserver une expression stoïque, cependant ce ne fut pas faute d'être surprise. Elle cligna des paupières à deux reprises, avant de frapper dans ses mains. Le claquement fut recouvert par le grondement sourd de la Salle Originelle qui continuait lentement à s'effondrer sur elle-même.

- Assurez-vous qu'il n'y a personne dans les environs. Il serait malheureux que quelqu'un apprenne maintenant votre rôle dans la fronde.
- Les lieux sont déserts, affirma Darkrai. Tout le monde est parti. Ils ont fui en comprenant que tout était sur le point de s'écrouler. Il ne reste plus que vous et moi.
- Arceus a-t-il dit vers quel lieu ils comptaient tous migrer ? s'enquit la fille de Zeus, tandis que ses Zarbi se matérialisaient en tournoyant sur eux-mêmes. Ils ne peuvent décemment rester aux yeux de tous dans le monde d'en-bas. Giratina a enseigné notre existence aux humains, par le passé, et j'ai poursuivi son oeuvre. Ils nous voient désormais comme des dieux.
- N'est-ce pas ce que nous sommes ?
- Pour les Hommes, des dieux sont des êtres vénérables, qui possèdent savoir et sagesse. Est-ce les mots que vous emploieriez pour nous décrire, à la vue de ce champ de ruines qui nous entoure ?

Darkrai ne releva pas et, d'un geste de la main, Athéna fit signe à ses Zarbi d'approcher. Ils se mirent à planer autour d'elle en formant un cercle élégant. Un bruit étrange s'élevait d'eux, pour s'infiltrer dans l'esprit de tous ceux qui les entouraient. Il devenait rapidement agaçant, voire obsédant, mais les légendaires étaient bien au-dessus de cela.

- Pourquoi le symbole du type spectre est-il apparu sur la peau de Lilith ?

Le moment venu
Le pendant naîtra
Constitué des dix-sept
Né pour l'équilibre
Il sera le salut
Il sera la ruine


Un halo de lumière encercla Athéna et le savoir de ses pokémon alphabétiques s'insuffla dans son esprit sous forme de visions successives. Elle distingua de nombreuses images, toutes plus brèves les unes que les autres. Elle vit les différents glyphes qui représentaient chacun des types d'Arceus, tournoyant autour de celui qui représentait le dragon.

Les flashs se poursuivirent, tous plus intenses les uns que les autres, si bien que la déesse finit par tomber à genoux, en poussant un cri de douleur. Son esprit était malmené à cet instant par la charge de connaissances que les Zarbi lui transmettaient. Elle avait apparemment posé une question qui nécessitait quantité de réponses.

Lorsque le rituel de transmission s'acheva enfin, Darkrai s'empressa d'aider Athéna à se remettre debout. Elle peina à se redresser, ébranlée par l'expérience qu'elle venait de vivre, ce qui l'obligea à raffermir la prise de ses doigts croches sur son coude. Quand elle fut debout, elle haleta :

- C'est... Il y a beaucoup de choses qui se cachent derrière ce symbole, visiblement. C'est étrange, j'ai l'impression que le savoir que je viens d'acquérir est... incomplet.
- Comment cela est-il possible ?
- Je l'ignore. D'ordinaire, seule Némésis n'est pas soumise au don des Zarbi. Il semblerait qu'elle ne soit plus l'exception à la règle. Toujours est-il qu'à cause de ces fragments à première vue manquants, je ne suis pas certaine d'avoir tout saisi. Je crois... Je crois que Lilith n'est ou ne sera pas la seule dans ce cas. Dix-sept types sont destinés à apparaître. J'ignore comment, j'ignore quand, mais je sais pourquoi. Ils ont un rôle majeur à jouer dans l'équilibre.
- L'équilibre du monde ? N'est-ce pas notre rôle de veiller sur lui ?
- Avez-vous entendu les propos des Zarbi, il y a un instant ? Ils ont évoqué notre "pendant".
- Une nouvelle Confrérie ? supposa Darkrai. C'est... Je peine à le concevoir. Non que je remette en doute les pouvoirs de vos pokémon, ma dame.
- Je peux vous transmettre ce qu'ils m'ont montré, si vous le désirez. Ainsi, vous vous ferez une idée par vous-même. Il vous suffit de pénétrer dans mon esprit.
- Ma dame, je...
- J'ai confiance en vous, Darkrai. Je vous demanderai simplement de ne pas aller voir au-delà de ce que vous cherchez.
- Je ne le permettrais jamais et, de toute façon, même si tel était mon dessein, vos barrières mentales m'en empêcheraient.
- Je n'en dresse aucune. Elles nécessitent de l'énergie psychique, or... Je ne fais plus rien qui nécessite une quelconque source de pouvoir. C'est pour cette raison qu'il me faut vous fier à votre intégrité.
- Vous pouvez. Je ne trahirai pas votre intimité.

Athéna ferma les paupières et Darkrai approcha ses deux mains de son visage, qu'il plaqua de part et d'autre. Il ne lui fallut pas plus d'une fraction de seconde pour s'engouffrer dans les limbes de sa conscience. Elle était claire, lumineuse, et surtout parfaitement ordonnée. Cela lui permit de trouver rapidement ce qu'il cherchait.

La vision des Zarbi défila rapidement de l'esprit de la déesse vers le sien, où ils s'ancrèrent également. Tout comme elle, il peinait à comprendre ce sur quoi il venait de mettre ses doigts fantomatiques. Cela dépassait son entendement. Le moment était cependant mal choisi pour s'attarder sur le sujet et il s'empressa de quitter le mental d'Athéna.

- Pourrez-vous communiquer avec Lilith, bien qu'elle soit dans le Monde Inversé ? s'enquit la fille de Zeus une fois qu'il l'eut libérée de sa présence.
- Par le biais de ses rêves, oui.
- Elle est humaine, je vous l'accorde, mais elle possède toutes les facultés des légendaires. Elle n'a pas besoin de s'alimenter, elle ne peut pas pleurer et surtout, elle est incapable de dormir.
- Elle n'est pas comme nous pour autant. Elle s'est enfuie avec ses Gijinkas. Certains, parmi eux, maîtrisent l'attaque Hypnose, et elle y est sensible, ce qui n'est pas notre cas. L'effet est moins long que sur un mortel quelconque, mais en cas de besoin, cela me permettra de la contacter.
- Dans ce cas, vous pourrez suivre l'évolution de son état. Si ce... symbole évolue ou non, et s'il a des répercussions sur son existence. Peut-être que, si j'obtiens de nouvelles informations, je pourrai interroger les Zarbi de façon plus précise et lever le voile sur ce mystère.
- Je vous tiendrai au courant, aussi longtemps que cela sera possible.
- Que...

Athéna s'interrompit. Il était inutile de demander à Darkrai ce qu'il entendait par là, car elle venait de le comprendre d'elle-même. Elle savait que Circé lui avait fourni des potions, lorsqu'elle était sur Terre, afin de lui permettre de ralentir le processus de vieillissement dont elle était victime. Dans le Monde Inversé, sans contact avec la maîtresse des poisons, il reprendrait son cours, et la mort finirait par survenir, à présent que plus rien ne la repousserait.

- Combien de temps, d'après vous ?
- Moins d'un siècle, c'est certain. Arceus n'estimait pas sa longévité à plus de cent cinquante ans. Grâce à Circé, elle peut espérer davantage, mais cela se limitera à deux ou trois décennies. Peut-être même pas.
- Darkrai, je...
- Je sais ce que vous allez me dire, mais ne vous excusez pas. Vous n'êtes pas responsable.
- Si. Je le laisse faire. Depuis le début.
- Il est le pokémon de votre père et vous lui êtes loyal. Qui plus est, vous tentez de le raisonner. Qu'y pouvez-vous s'il ne vous entend pas ? Les autres vous reprochent souvent de ne pas agir, mais moi, je sais. J'ai toujours su, bien avant de voir l'Atlantide être englouti sous mes yeux, pourquoi vous dissimuliez votre puissance. Du moins, je le soupçonnais.
- Et désormais, tout le monde sait quel monstre je suis...
- Vous n'êtes pas un monstre. Vous...

Darkrai n'eut pas l'occasion d'achever sa phrase, car un morceau de plafond s'effondra à quelques centimètres d'eux. Cela leur rappela qu'il était également temps pour eux de quitter la Salle Originelle, avant qu'ils ne soient ensevelis sous ses ruines. Ils se hâtèrent de gagner ensemble l'escalier qui reliait leur temple aux Colonnes Lances.

- Vous n'avez pas répondu à ma question, tout à l'heure. Où sont-ils tous partis ? interrogea Athéna, alors que les marches se matérialisaient.
- Arceus a envoyé la majorité de ses partisans traquer les Renégats. Pour les autres, je crois qu'il a fait mention de la Cave d'Hadès.
- Bien. Partez les rejoindre et surtout, restez prudent. Si Arceus découvre le rôle que vous avez joué auprès de Lilith, il... Vous subirez le même sort que vos amis.
- N'est-ce pas plus mal que de mentir et de rester à ses côtés quand je le méprise tant ?
- Pas si cela vous permet de les protéger. Au coeur de la Confrérie, vous connaîtrez leurs plans et vous pourrez mettre les vôtres en garde. Vous serez leur agent infiltré, en quelque sorte.
- C'est étrange, mais à vous entendre parler, j'ai l'impression que vous n'avez pas l'intention de venir avec moi.
- C'est exact. Je... J'ai besoin d'être seule. D'ailleurs, transmettez ce message à mon père, je vous prie. Dites-lui de ne pas me chercher. Précisez-lui que je reviendrai moi-même lorsque mon coeur se sera apaisé, si tant est que cela soit possible. Priez également Janus de veiller sur Jirachi jusqu'à mon retour. Il est avec lui en cet instant.
- Athéna, vous...
- Il faut que j'expie mes fautes. Je le dois. Jamais je ne pourrais me pardonner ce que j'ai fait, mais il me faut apprendre à vivre avec, sans quoi... Sans quoi cette douleur qui m'étreint de l'intérieur ne s'estompera jamais. Tant qu'elle sera là, je n'aurais pas les idées claires. Je dois m'en défaire.
- Où irez-vous, si je puis me permettre de poser la question ?
- Vous pouvez, mais je n'y répondrai pas.

La déesse posa sa main sur l'épaule de Darkrai et lui adressa un sourire triste. Il s'inclina respectueusement devant elle, avant qu'un portail ténébreux ne se matérialise autour de lui pour l'aspirer. Quelques secondes plus tard, il avait totalement disparu, et Athéna était seule au sommet du Mont Couronné, au milieu de ses colonnes brisées.

***
Lorsqu'Athéna atteignit Floraville, ce fut à peine si elle reconnut le village dans lequel elle s'était rendue à de si nombreuses reprises, au cours des deux années durant lesquelles Pandore avait conservé l'âme de Cronos. Ce n'était plus des habitants miséreux qui l'habitaient, mais des individus prospères, qui se promenaient dans les rues avec le sourire.

Les maisons, autrefois tristes et nues, semblaient beaucoup plus gaies, essentiellement à cause des nombreuses fleurs qui ornaient les encadrements des fenêtres, ainsi que les portes d'entrées. Les environs de la cité, qu'elle avait connus secs et arides, étaient désormais recouverts de végétaux odorants et colorés.

C'était sans nul doute le plus bel endroit qui lui ait été donné de voir dans le monde d'en-bas. Elle n'en croyait pas ses yeux. En donnant l'ordre aux légendaires de reprendre leur rôle, c'était un véritable miracle qu'Arceus avait contribué à accomplir. Elle avait l'impression que, pour la première fois, tout allait pour le mieux parmi les mortels.

Elle sourit, même si cela lui demanda un effort cruel, car elle ne s'en croyait plus capable depuis le drame survenu lors de son combat contre Némésis, quelques jours plus tôt. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre comment elle avait pu accepter de laisser la situation prendre une telle tournure, pourtant lorsqu'elle contemplait ce paysage magnifique, elle songeait qu'elle avait obtenu ce pour quoi elle avait choisi de militer.

Elle se dirigea vers une masure, située un peu à l'écart du reste des habitations. Elle n'avait pas revu Pandore depuis le jour où celle-ci avait manqué d'ouvrir la boîte. Elle ignorait si elle vivait encore ici, en compagnie de ses jeunes frère et soeur, mais elle n'était plus qu'à quelques pas de le savoir.

Elle toqua à la porte, qui tenait à peine sur ses gonds, et n'eut pas à patienter longtemps. Elle grinça sur ses gonds en s'écartant de l'encadrement une fraction de seconde plus tard. Une jeune femme au teint halé, aux yeux sombres et à la chevelure châtaine, se trouvait juste derrière. Sitôt qu'elle vit Athéna, son visage s'illumina.

- Oh ! Ça alors !

Sans réfléchir, oubliant totalement qu'elle faisait face à une déesse et non à la plus commune des mortelles, Pandore se jeta à son cou, le regard embué par des larmes de joie. La fille de Zeus passa ses bras autour de sa taille pour l'étreindre, avant de remarquer avec sa douceur naturelle :

- Eh bien ! Que d'effusions. Que me vaut un accueil aussi chaleureux ?
- Vous m'avez tellement manqué, Athéna. Après ce qui s'est passé, j'ai cru que je ne vous reverrez plus, et surtout que vous ne pourriez jamais me pardonner ce que j'avais fait. Quand votre père m'a ramené ici et que j'ai vu que Joséphine était totalement guérie, j'ai compris que c'était à vous que je le devais. Je me suis sentie tellement coupable.
- L'erreur est humaine, Pandore.

C'était un dicton que les légendaires avaient instauré entre eux, mais à présent, la déesse doutait de sa véracité. Commettre des fautes n'étaient pas le propre des mortels. Les dieux en réalisaient, eux aussi. Elle en était la preuve vivante, à l'instar de nombre de ses congénères. C'était d'ailleurs à cela qu'avait servi Némésis. Qui réparerait leurs torts, dorénavant ?

Elle secoua la tête. Elle ne devait pas penser à cela. Elle s'était justement rendue à Floraville, auprès de Pandore, pour tenter de se soulager de toute cette histoire qui pesait horriblement sur sa conscience. Il fallait qu'elle vide son esprit, afin de se ressourcer convenablement.

- Dites-moi... commença la jeune femme après avoir invité Athéna à entrer. Comment tout ça a-t-il pu se produire ?

D'un geste de la main, elle désigna la fenêtre, au-delà de laquelle on devinait les champs fleuris qui s'étendaient au nord de la ville. La fille de Zeus choisit de prendre d'abord place sur l'une des chaises miteuses qui encadraient la petite table de l'exiguë cuisine, avant de lui répondre :

- Arceus a donné l'ordre aux légendaires de prendre leur rôle dans le monde d'en-bas et de ramener l'équilibre.
- Pourquoi ? J'ai échoué. Je n'ai pas réussi le défi qui aurait dû sauver mon espèce d'une agonie certaine.
- Il a décidé de se montrer miséricordieux, pour une fois. Vous, les humains, pouvez vous estimer heureux. Il n'y avait qu'une chance infime afin qu'un tel événement se produise.

Le silence retomba sur la masure pendant que Pandore servait à sa visiteuse inattendue un grand verre d'eau fraîche. Athéna l'accepta poliment, bien qu'elle n'en eut absolument pas besoin. Elle se doutait que se comporter comme une simple mortelle contribuait à mettre son interlocutrice parfaitement à l'aise en sa présence.

- Comment vont Antonin et Joséphine ?
- À merveilles. Ils sont à l'école, aujourd'hui. Ils y vont beaucoup plus régulièrement qu'avant, maintenant que tout s'arrange à peu près. J'ai un nouveau travail, désormais. Une femme du village vient d'accoucher d'un troisième enfant et elle m'embauche trois fois par semaine pour m'occuper de lui. Comme l'argent manque moins, à présent que nous avons de la nourriture sur nos tables et des terres à cultiver, je suis plutôt bien payée.
- Je suis ravie de l'entendre.
- Et vous, Athéna ? Que faites-vous ici ? S'agit-il d'une simple visite de courtoisie ? Je doute que vous ayez du temps à accorder à une humaine quand vous avez sans doute tant d'autres choses à faire là-haut.

La déesse ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Elle avait beaucoup parlé de son univers à Pandore, plus encore qu'elle n'avait contribué à étoffer les histoires concernant les légendaires déjà apportées sur Terre par Giratina, mais elle avait également évité avec soin de mentionner certains détails.

La jeune femme connaissait, par exemple, l'origine de la haine d'Arceus envers l'espèce humaine, à savoir les actes de la Première, mais elle ignorait tout de l'affection qu'il lui avait portée, avant de se transformer en une jalousie maladive. Athéna ne regrettait d'ailleurs pas d'avoir tu cette information, car elle continuait à être convaincue que l'Alpha la considérait comme sa seconde Lilith.

Elle choisit de s'abstenir également d'évoquer la vendetta de celle-ci. Elle n'avait aucune envie d'effrayer Pandore en lui révélant que des dieux, que les humains vénéraient et considéraient comme leurs bienfaiteurs, avaient désormais pour principal objectif celui de s'entretuer.

- Mes pouvoirs m'ont causé quelques désagréments, ces derniers temps. Leur puissance ne cesse de s'accroître et j'ai décidé de renoncer à eux durant un moment. Je sais que cela ne sera pas possible tant que je continuerai à baigner dans un monde aussi gorgé de magie que celui auquel j'appartiens, aussi ai-je décidé de m'en exiler un peu.
- Arceus est votre Alpha, n'est-ce pas ? N'êtes-vous pas tenue de demeurer auprès de lui ?
- Non. Nous sommes libres d'aller ou bon nous semble.

C'était vrai jusqu'à présent, néanmoins Athéna doutait que cela soit toujours le cas, désormais. Le Créateur allait observer les moindres faits et gestes de chacun, au cas où un traître se trouve parmi ses rangs. Combien de temps mettrait-il avant de démasquer Darkrai, Inari et Entei ? Sans doute garderait-il le pokémon noirtotal sous surveillance étroite, encore plus que n'importe qui d'autre, puisque son humain avait ouvertement montré son allégeance à Lilith.

- Avez-vous une destination particulière en tête ? questionna Pandore.
- Je l'ignore. J'ai récemment eu l'occasion de découvrir par moi-même les régions qui composent le monde d'en-bas. Sinnoh demeure mon endroit favori, puisqu'il est celui où j'ai passé le plus de temps. Je pense m'y attarder un moment, mais ensuite, j'imagine que je recommencerai à voyager. J'ai tant de choses à observer, ici-bas.
- Pourquoi ne pas rester ici ? Je serais ravie de vous accueillir aussi longtemps que vous le désirez. Quant à Joséphine et Antonin, ils se réjouiront de votre présence. Ils vous apprécient beaucoup, l'un comme l'autre.

Athéna s'accorda quelques secondes de réflexion. Elle n'avait pas désiré abuser de l'hospitalité de Pandore, mais celle-ci paraissait véritablement enjouée à l'idée qu'elle s'installe pour un temps dans sa masure, pourtant trop petite pour permettre à quatre personnes d'y cohabiter confortablement.

- Je m'en voudrais de m'imposer, je...
- Pensez donc, puisque je vous le propose. Je n'oublie pas que c'est à vous que je dois tout. La guérison de ma soeur, la grâce d'Arceus, la prospérité de Floraville...

La fille de Zeus détourna le regard, gênée. Si la mortelle découvrait qu'elle était totalement étrangère à ces deux derniers points et qu'elle ne les devait qu'à l'inclination que l'Alpha éprouvait pour elle, elle risquerait de prendre peur. Quel humain ne serait pas effrayé en découvrant qu'un pokémon, le Créateur de surcroit, éprouvait des sentiments amoureux à son égard ? Tout le monde n'était pas Lilith.

- Je serais vraiment très heureuse de rester, affirma Athéna.

Ce n'était pas un mensonge. Bien qu'elle ait envie de voyager, elle n'avait aucun endroit précis où aller, et elle appréciait au moins autant la compagnie de Pandore que la découverte d'horizons qu'elle avait déjà aperçus grâce aux Zarbi. Qui plus est, le monde serait toujours là dans un demi-siècle, or elle ne saurait en dire autant de la jeune femme qu'elle affectionnait tant.

***
Athéna avait l'impression de s'humaniser au contact des mortels qu'elle fréquentait. Elle perdait un peu de sa noblesse naturelle pour se montrer plus spontanée, au point de passer parfois des heures assise sur le sol, à tenir compagnie à Joséphine qui jouait avec ses poupées de chiffon, ou à écouter Antonin lui réciter les diverses espèces pokémon qu'il connaissait.

Pandore n'hésitait pas à lui confier la surveillance de son frère et de sa soeur lorsqu'elle partait travailler. Au contraire, elle était soulagée de pouvoir compter sur quelqu'un pour s'occuper d'eux, car elle était jusqu'alors obligée de les laisser seuls, ce qui ne lui plaisait guère.

Cela faisait désormais plusieurs mois que la déesse s'était établie dans cette masure de Floraville et elle ne regrettait pas son choix. Elle découvrait une existence simple et paisible aux côtés de Pandore, dont les légendaires n'avaient pas idée, à l'exception peut-être de Crios et de Prométhée qui, elle le savait, s'amusaient parfois à se mêler à eux, même à l'époque où les instances d'Arceus exigeaient encore de ne pas se préoccuper du monde d'en-bas.

Un jour, toutefois, cette allégresse changea. Lorsque la jeune humaine rentra pour le déjeuner, son visage était blême et aucun sourire n'étirait ses traits, contrairement à d'habitude. Si Antonin et Joséphine n'étaient pas assez aguerris pour prendre conscience de son attitude, Athéna comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas.

- Qu'y a-t-il ? interrogea-telle, tandis que Pandore sortait du panier suspendu à son bras les baies qu'elle venait d'acheter au marché.
- Il y a une rumeur qui circule en ville depuis quelques jours. Elle a été rapportée par différents voyageurs, qui venaient de deux endroits différents de Sinnoh, et elle est vraiment très inquiétante. En fait... Elle te concerne.
- Peux-tu être plus précise ? demanda la déesse, soudain plus anxieuse.
- Pas toi directement, mais c'est en lien avec les tiens. Il s'est passé des choses épouvantables, dans certaines villes situées à l'est et au sud d'ici. Des femmes enceintes ont... On les a retrouvés éventrées, et les enfants qu'elles portaient ont tous été tués de façon horrible. Il se murmure qu'il s'agit de l'oeuvre de...

Pandore s'interrompit. Visiblement, toute cette histoire la répugnait, car elle dut réprimer un haut-le-coeur. Athéna savait se montrer douce et patiente, mais en cet instant, elle avait tant envie de savoir le fin mot de l'histoire qu'elle devait lutter contre son désir de lui extorquer la suite.

- On raconte que c'est Lilith, qui dévore les nouveaux-nés. Que c'est sa façon à elle de se venger du bannissement de son mari.

La déesse lâcha la poupée de Joséphine, qu'elle tenait encore à la main. La fillette voulut la rattraper, toutefois elle n'en eut pas le temps avant que le jouet ne touche le sol. Elle s'empressa de la ramasser, puis de se reculer d'un pas, pour retourner aux côtés de son frère.

- C'est impossible... murmura Athéna.
- À toi de me le dire. Tu es la mieux placée pour m'expliquer de quoi il en retourne, je suppose. Si Lilith s'est réellement mise en tête de tuer tous les bébés, toi qui la connais, n'y a-t-il rien que tu puisses tenter pour l'arrêter ?
- Non.
- Non ? Je croyais qu'il ne s'agissait que d'une humaine, alors que tu es une légendaire. Tu...
- Ce n'est pas elle, coupa la fille de Zeus. Si je suis ici aujourd'hui, c'est parce qu'il y a eu une violente bataille, à la Salle Originelle. Lilith a libéré Giratina et, ensemble, ils ont tenté de se venger d'Arceus, avec de nombreux autres dieux qui ont rallié leur cause. Ils ont essuyé une cuisante défaite et elle s'est enfuie avec son mari dans le Monde Inversé, dont l'entrée est désormais scellée. Ces crimes odieux dont tu me parles ne sont pas son oeuvre, je peux t'en assurer.
- D'où viennent ces rumeurs, dans ce cas ?
- Je l'ignore. Giratina et moi sommes à l'origine de toutes les histoires concernant les légendaires dans votre monde. J'ai sélectionné avec soin les informations que je distillais sur mon passage. En aucune façon je n'aurais désigné Lilith comme un être sanguinaire, encore moins comme une tueuse d'enfants.
- Dévoreuse, rectifia Pandore. Ce n'est pas tout... Il y a d'autres histoires qui circulent à son sujet. On dit qu'à l'aide de démons, nommés Succubes et Incubes, elle enfante des monstres, qui s'abreuvent du sang de ses victimes. Des êtres mi-humains, mi-pokémon, que la nature condamne.

Les traits d'Athéna se durcirent. Les mortels n'auraient sans doute pas été en mesure de créer de tels légendes, surtout que celles-ci avaient un fond de vérité beaucoup trop important pour qu'il s'agisse de simples coïncidences. Quelqu'un s'était chargé de diffuser ces calomnies. Quelqu'un qui n'était certainement pas un habitant du monde d'en-bas.

***
La caverne dans laquelle Crios s'était établie commençait à prendre forme et à lui ressembler. Régice avait recouvert toutes les parois de glace, afin de les entourer d'un élément qui leur était plus familier que la pierre, à l'un comme à l'autre. De sublimes stalactites pendaient du plafond alors que le sol leur renvoyait leur reflet miroitant.

Il avait érigé une porte cristalline à l'extrémité du boyau qui reliait sa nouvelle antre au reste de la Cave d'Hadès, creusée par Groudon au coeur même de cette immense masse rocheuse que les humains avaient décidé d'appeler la Grotte Origine.

Rares étaient les dieux qui y demeuraient. À l'exception de celui dont le pokémon en était le fondateur, personne ou presque ne s'habituait à la vie en ce lieu, si différent et beaucoup moins somptueux que la Salle Originelle. Ils préféraient tous voyager, ou même résider en d'autres endroits.

Il savait, par exemple, qu'Inari, Seth et Volupté, accompagnés par leurs trois Chiens, avaient choisi de s'établir dans une tour érigée par les mortels en l'honneur des dieux, d'après les mythes que Giratina leur avait rapportés. L'idée était venue de la déesse-kitsune, dont l'égo appréciait le fait d'être vénérée par des individus qu'elle considérait comme inférieurs. Elle avait toujours affiché ostensiblement son mépris à l'égard de la race humaine, ainsi que de Lilith.

Les Oiseaux, eux, survolaient souvent les diverses régions de ce monde, afin de stabiliser le climat, et faisait parfois escale dans des montagnes auxquelles ils s'identifiaient. La foudre ne cessait jamais de s'abattre sur celle d'Electhor. Des lacs de laves bouillonnaient au coeur de celle de Sulfura. Quant à celle d'Artikodin, elle était toujours sous le joug d'un sempiternel blizzard.

Crios, lui, n'avait rien contre la Cave d'Hadès, raison pour laquelle il n'avait pas hésité à s'y établir. Il n'y demeurait pas souvent, cependant. Il aimait beaucoup trop le monde d'en-bas pour s'en tenir volontairement à l'écart. Il s'absentait souvent, pendant plusieurs jours, afin de se mêler aux humains.

Quant Arceus avait découvert que Prométhée et lui les côtoyaient ouvertement, à l'époque où il était encore déterminé à les livrer à leur propre sort, suite au bannissement de Lilith, il était rentré dans une colère noire. Athéna avait dû s'interposer pour le convaincre de les laisser agir comme ils le souhaitaient.

Il n'avait cédé qu'à contrecoeur devant l'insistance de la déesse et Crios savait que, depuis lors, l'humain de Ho-Oh et lui-même avaient perdu tout le respect du Créateur. Il les considérait comme des parias qui avait choisi d'accorder leur sympathie à une espèce qui, à ses yeux, ne valait rien.

Crios s'interrogeait souvent, tentant de comprendre ce qui avait poussé Arceus à permettre aux légendaires de rétablir l'équilibre sur Terre, lui qui ne dissimulait pas la haine que les mortels lui inspiraient depuis qu'il avait décidé de bannir Lilith.

Il avait questionné Athéna à de nombreuses reprises, convaincu qu'elle avait su le ramener à la raison, mais elle s'était contentée de lui répondre que ses actes relevaient davantage de la folie. C'était la seule information qu'il était parvenu à lui soutirer et, depuis, elle demeurait muette sur le sujet.

- Quel hasard, j'étais justement en train de penser à vous !

Il poussa cette exclamation au moment précis où les portes de glace pivotaient sur elles-mêmes afin de laisser la fille de Zeus apparaître sur le seuil. Il l'avait sentie approcher. Elle dégageait une telle puissance, qu'elle ne prenait pas la peine de masquer, qu'il était facile de la déceler à distance.

Crios lui adressa un sourire amical, qui disparut rapidement de son visage lorsqu'il remarqua l'expression morose qu'affichait celui d'Athéna. Des rides se dessinaient sous ses yeux, ses lèvres étaient pincées et elle clignait des paupières beaucoup plus vite qu'à l'accoutumée. Cela trahissait sa nervosité.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-il aussitôt.
- T'es-tu rendu dans des villages humains, récemment ?
- J'ai fait quelques passages éclairs dans les cités de Hoenn, mais sans jamais m'attarder. Depuis la destruction de la Salle Originelle, la fugue des Renégats et même votre retraite, la Confrérie est un peu sans dessus-dessous. J'imagine que vous n'avez pas choisi de réapparaître, et encore moins de me poser cette question, sans avoir une bonne raison de le faire.
- En effet, je vais aller droit au but. Des femmes enceintes se font massacrer avec leur foetus depuis quelque temps, à Sinnoh. Je voulais savoir si c'était également le cas dans les autres régions.
- Prométhée est à Johto, il...

Crios s'interrompit. Il savait très bien que, lorsque le légendaire se rendait dans cette région, c'était moins dans le but de veiller sur les humains que pour rendre visite à Volupté. Il ignorait si Athéna était au courant de ce détail, mais il ne tenait pas être celui qui le mentionnerait devant elle.

- Ahem... Posez-lui donc la question lorsque vous le verrez, il en saura certainement plus que moi.
- Je ne manquerai pas de le faire. Ces crimes, bien que barbares et innommables, sont toutefois loin d'être ce qui m'inquiète le plus, dans cette histoire. Il y a pire encore.
- Pire que des mères et leurs enfants qui se font tuer ? Vous m'effrayez.
- Ce cauchemar est signé Lilith, d'après les dires des humains. Autrement dit, l'un des nôtres commet actuellement des monstruosités pour persuader le monde qu'elle est une dévoreuse de nouveaux-nés et qu'elle les donne en pâture à ses hybrides.
- Les Gijinkas ? Comment les mortels peuvent-ils être au courant de leur existence ? Leur en avez-vous parlé ?
- En aucune façon. Quelqu'un d'autre que moi s'en est chargé. C'est essentiellement pour cette raison que je viens à vous. Qui, parmi les légendaires, est susceptible d'avoir propagé cette rumeur affreuse ?
- Hélas, je ne saurais vous renseigner, Athéna, confessa son ami, penaud. Tout le monde va et vient. Arceus a donné l'ordre que les Renégats soient traqués sans relâche, jusqu'à ce qu'on lui porte leur tête sur un plateau. Il s'est passé beaucoup de chose, en votre absence. Les Cré's ont été bannis dans les trois lacs principaux de Sinnoh, auxquels Héra les a rattaché par un sortilège, afin qu'ils ne s'en échappent pas. Ils sont placés sous étroite surveillance, non seulement pour s'assurer que personne ne tente de rouvrir l'accès au Monde Inversé, mais également parce qu'Arceus espère ainsi attraper Scathach, au cas où elle tente d'approcher Créfadet. Quant à la majeure partie de la Confrérie, ils ont tous choisi de s'établir dans des endroits spécifiques, voire de bâtir leur propre temple, plutôt que de demeurer dans la Cave d'Hadès, même s'ils y viennent régulièrement afin de rendre compte de leurs activités à l'Alpha.
- Je vois, murmura Athéna. Dans ce cas, n'importe qui peut être à l'origine de cela, d'autant qu'aucun légendaire ou presque n'aurait de scrupule à massacrer des humains.
- Je peux mener mon enquête, si vous le désirez.
- Honnêtement, je préfèrerais que tu quittes la Cave pour aller garder un oeil sur les mortels. Tu as une bonne affinité avec eux. Ce serait la gâcher que de te contraindre à rester ici, surtout quand leur espèce traverse une période si troublée. Je vais demander à Janus et Hercule de surveiller les légendaires pour moi, et surtout prévenir Arceus de ce qui se passe. Avec un peu de chance, il pourra intervenir.
- En faveur des humains, le croyez-vous ?

Athéna haussa les épaules. Rétablir l'équilibre avait représenté un immense effort de sa part, mais elle ne désespérait pas d'en obtenir davantage. Elle avait échoué à le convaincre de renoncer à assassiner les Renégats, toutefois si elle évoquait le souvenir de Pandore, elle osait espérer que cela le persuaderait d'assurer la sécurité des humains.

***
Lorsque Zeus vit sa fille pénétrer dans la salle où siégeait désormais Arceus, ses yeux s'exhorbitèrent. Il ne s'attendait visiblement pas à la voir ici, alors qu'elle avait disparu durant de longues semaines. Elle lui adressa un signe de tête respectueux lorsqu'elle passa devant lui, mais elle ne s'immobilisa pas à sa hauteur. Elle continua de marcher en direction du Créateur.

- Je suis ravi de te revoir enfin parmi nous, Athéna. J'étais inquiet pour toi.
- Où étais-tu ? interrogea son père. Je t'ai cherchée sur plus de la moitié du globe.
- J'avais pourtant indiqué à Darkrai que je ne tenais pas à être retrouvée. D'ailleurs, je ne suis pas officiellement de retour. J'ai l'intention de poursuivre ma retraite. Je ne me sens pas encore à même de réinvestir ma place au sein de la Confrérie. Si je suis là aujourd'hui, c'est parce qu'une affaire urgente a nécessité mon déplacement.
- De quoi s'agit-il ? questionna l'Alpha.
- J'ai beaucoup fréquenté les humains, durant mon absence, et...

Elle s'interrompit le temps pour Zeus de pousser un soupir qui en trahissait long sur le mépris que lui inspiraient ses paroles. Elle choisit de ne pas y prêter attention et de poursuivre comme si de rien n'était.

- Il se passe des choses d'une extrême gravité, parmi eux. J'ai toutes les raisons de penser que l'un d'entre nous décime les femmes enceintes, pour accuser Lilith de son crime auprès du peuple. Je suis venue t'en avertir.
- Athéna, tu... commença Zeus, avant de détourner les yeux, car Arceus s'était levé de son trône de pierre.
- Ne te mêle pas de cela. Cette histoire ne te concerne en rien.
- Comment ? s'exclama la déesse. Tu veux dire que tu es au courant ? Pourquoi ne fais-tu rien, dans ce cas ?
- Parce que ce n'est pas un acte isolé. Eve agit sous mes ordres.
- Quoi ? C'est Eve qui massacre des mères avec leur foetus ? Pour toi ? Pourquoi cela ?
- Je préfère ne courir aucun risque. Lilith a attaqué la Salle Originelle avec une armée d'hybrides et je ne tiens pas à ce que d'autres de ces monstruosités soient engendrées. Eve ne tue pas ces bébés à l'aveugle. Elle sélectionne avec soin ce qui s'avèrent être des bâtards, et donc potentiellement l'oeuvre d'un pokémon.

Athéna ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Sitôt après l'attaque des Gijinkas, dans le temple des dieux, elle avait interrogé les Zarbi afin d'en apprendre plus à leur sujet. Elle avait ainsi découvert qu'ils étaient nés de démons, les Succubes et les Incubes, qui possédaient la faculté de mélanger les semences humaines et pokémon pour les faire féconder.

Elle savait également que c'était Darkrai qui se trouvait à l'origine de ces créatures maléfiques désormais disparues, raison pour laquelle elle ne pouvait rien révéler à Arceus. Si elle le faisait, elle trahirait le pokémon noirtotal et elle le condamnerait à la même persécution que subissaient déjà les autres Renégats. En revanche, elle avait peut-être un autre moyen de calmer la paranoïa de l'Alpha.

- J'ai le moyen de savoir si d'autres Gijinkas sont sur le point de venir au monde. Le pouvoir des Zarbi saura me le dire.
- Vraiment ? Je croyais que tu te répugnais à l'utiliser pour connaître l'avenir ?
- Tu ne me laisses pas le choix. Je n'ai aucune envie que des centaines d'humains innocents soient exterminés.
- Il y a un autre motif qui me pousse à agir ainsi, informa Arceus. J'ai cru comprendre que les mortels étaient devenus très friands des petites histoires que Giratina et toi leur avaient raconté à notre sujet.
- J'ai toujours considéré qu'il était important pour chacun de savoir d'où il venait.
- Oh, je ne t'en veux absolument pas d'avoir fait ça. Enfin, si, un peu, puisque j'ai dû contraindre Héra à prendre la relève, de façon à éliminer toute trace de Némésis partout dans le monde. Textes, chants, gravures... Elle doit s'assurer qu'il ne reste rien d'elle. C'est plus sûr ainsi.
- J'imagine, dans ce cas, qu'elle n'est pas étrangère à ces rumeurs qui courent sur Lilith. Pourquoi ?
- Exactement pour la même raison que c'est Eve qui se charge de tuer les foetus. Dans l'espoir de voir les Renégats sortir de leur tanière. En donnant l'image d'un monstre à Lilith, ce qu'elle est, et en agitant sous leur nez celle qu'elle a toujours considérée comme sa rivale, combien de temps crois-tu qu'ils mettront à déchaîner leur colère ?
- Quelle brillante idée... si tu veux avoir le sang de l'une de tes partisanes sur les mains. Je doute que les Renégats soient assez sots pour tomber dans un piège aussi grotesque, mais même si c'était le cas, même si tu arrivais à les avoir, je pense qu'Eve n'y survivrait pas non plus.
- C'est pour cette raison qu'Héra n'est jamais loin. Elle la suit à chacun de ses déplacements, dans la plus grande discrétion. Eve ne représente pas la moindre menace pour eux, certes, mais crois-tu qu'ils feraient vraiment le poids face à l'une de mes plus redoutables alliées ?
- Dois-je en conclure que tu n'as pas l'intention de renoncer à ces meurtres de masse, qu'importe la réponse que j'obtiendrai des Zarbi.

Arceus garda le silence un instant. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut pour ordonner à Zeus de les laisser seul à seule. Le dieu s'exécuta, juste après s'être incliné face à son légendaire afin de lui témoigner son respect.

- Je te l'ai dit, à la Salle Originelle. Je n'ai pas le choix. Je ne dois courir aucun risque, ou plutôt ne lui en faire courir aucun.
- Elle est en parfaite sécurité, répliqua sèchement Athéna. Sais-tu pourquoi ? Parce que j'étais chez elle pendant tout ce temps. Je ne l'ai pas quittée un seul instant et je n'avais pas l'intention de le faire si toute cette histoire ne m'y avait pas contrainte. Certes, au début, mon but était uniquement de m'exiler, mais j'ai pris goût à mon existence auprès d'elle. Je pourrais même veiller sur elle jusqu'à la fin de sa vie humaine que cela ne me dérangerait nullement. Enfin, j'aurais pu, parce que maintenant, mon principal objectif va être de retrouver Eve et de l'empêcher de commettre plus de victimes.
- Tu oserais t'opposer à mes ordres ?
- Oui, parce qu'ils n'ont pas lieu d'être. Pas si les Zarbi me confirment qu'il n'y a plus aucun Gijinka, pas même en procréation, hors du Monde Inversé. Je te l'ai déjà dit, Arceus. Maintes fois. Je ne suis pas contre toi. C'est toi qui m'oblige à l'être.

Athéna plongea son regard dans le sien, en dépit de la haute stature de l'Alpha. Elle ne décela dans ses yeux aucune émotion. Convaincue qu'il était déterminé à se montrer aussi entêté qu'à l'accoutumée, elle tourna les talons. Elle s'éloignait vers l'extrémité de la salle lorsqu'il l'interpela :

- Comment va-t-elle ?
- Pandore ? Elle est morte de peur, ce qui n'a rien d'étonnant, puisqu'autour d'elle, des femmes se font massacrer par dizaines.
- Des femmes enceintes. Elle... Elle ne l'est pas, n'est-ce pas ?
- Et si c'était le cas, que ferais-tu ? Tu laisserais Eve l'éventrer ou tu t'en chargerais toi-même, furieux de savoir qu'un humain l'a touchée ?
- Je ne te permets pas de me parler sur ce ton !
- Et moi, je te permets pas d'assassiner ces gens ! Attends-toi à me trouver en travers de ton chemin, cette fois-ci. Pandore est une humaine et ce sont les siens que tu massacres injustement. Si tu l'aimes vraiment, apprends donc à respecter son espèce.

Arceus poussa un rugissement féroce, comme à chaque fois qu'il se mettait en colère, mais Athéna demeura de marbre. Elle avait l'habitude de son courroux, qui ne l'effrayait pas le moins du monde. Sans prononcer le moindre mot supplémentaire, elle acheva ce qu'elle était sur le point de faire avant qu'il ne l'interrompe, à savoir quitter la salle.

Elle allait retourner à Sinnoh, auprès des mortels, car pour l'heure, c'était là-bas qu'était sa place. Elle retrouverait Eve et l'empêcher de commettre plus de crimes, même si cela s'annonçait difficile. Elle n'avait pas peur de celle qui était liée à Cressélia, toutefois elle redoutait sa tante. Héra ne la laissera pas impunément s'opposer aux directives d'Arceus.

Avant de partir de la Cave d'Hadès, toutefois, il lui restait encore deux ou trois choses à accomplir en ce lieu. La première consistait, évidemment, à rendre visite à Jirachi, ainsi qu'à Janus. Elle eut la surprise de trouver le dieu en compagnie d'Horus, mais il lui en expliqua rapidement la raison.

Depuis la mort d'Isis, Osiris demeurait inconsolable, et il ne pouvait même pas compter sur le soutien de Créhelf, banni par Arceus dans l'un des lacs de Sinnoh pour avoir aidé Lilith à desceller l'entrée du Monde Inversé. De ce fait, c'était lui qui s'occupait de leur jeune fils, qui avait encore beaucoup à apprendre en tant que légendaire né.

Athéna fut prise de pitié pour celui qui n'avait même pas encore atteint sa maturité physique. Pour un peu, elle en aurait presque oublié ses préoccupations et aurait choisi de demeurer ici, auprès de celui qui, à ses yeux, n'était qu'un enfant. C'était la moindre des choses, en retour de tout ce que Rayquaza avait fait pour elle.

Sa raison prit rapidement le dessus, cependant. Horus était entre de bonnes mains. Janus comptait parmi ses meilleurs amis et elle lui accordait toute son estime, ainsi que sa confiance. Elle savait qu'il saurait prendre soin du jeune dieu mieux que quiconque. Sa présence ici n'était pas utile, alors qu'elle semblait être une nécessité auprès des humains.

Athéna s'accorda tout de même quelques minutes pour parler avec le fils d'Isis et Osiris de l'épreuve qu'il traversait. Elle qui avait vécu depuis sa création sans Jirachi, elle pouvait comprendre le manque qu'il ressentait à présent que sa mère n'était plus avec lui. Les paroles qu'elle prononça, empreintes de compassion et de douceur, parurent bénéfiques pour Horus.

Elle crut voir, au fil de leur conversation, la peine s'estomper légèrement dans ses yeux sombres. Bien qu'il possède encore un visage relativement juvénile, qu'il perdrait sous peu, ses traits affichaient déjà l'expression figée qui était la plus naturelle chez les légendaires. Apparemment, le décès d'Isis lui ferait atteindre le stade d'adulte encore plus vite que tous ne l'avaient pressenti.

- Veille bien sur lui, murmura-t-elle à Janus, après avoir glissé une main tendre dans les cheveux noirs du dieu né.

Il lui répondit en inclinant la tête dans sa direction, marque du respect qu'il éprouvait à son égard et de la soumission dont il faisait preuve envers elle. Bien que Zeus l'élève et la présente aux yeux de tous comme sa propre fille, elle n'avait en théorie aucun ascendant sur quiconque, toutefois cela n'empêchait pas ses amis proches de lui être aussi dévoués, si ce n'était davantage, qu'à Arceus lui-même.

Sa visite suivante, qui serait également la dernière, était destinée à Darkrai. Elle tenait à l'interroger pour savoir s'il avait pu communiquer avec Lilith, depuis qu'elle avait disparu dans le Monde Inversé. Pendant son séjour à Floraville, elle avait repensé à plusieurs reprises au symbole qu'elle portait, ainsi qu'à cette potentielle nouvelle Confrérie qu'avaient évoqué les Zarbi. Elle voulait découvrir s'il y avait du nouveau à ce sujet.

- J'ai effectivement eu l'occasion de lui parler par le biais de son sommeil, informa le pokémon noirtotal lorsqu'elle se fut présentée devant lui.
- Et ? Y a-t-il du nouveau ?
- Plus que nous aurions sans doute pu nous y attendre. Le symbole qu'elle porte dans son cou... Il s'est illuminé.

Athéna lui lança un regard interrogateur, afin de l'inviter à poursuivre sans tarder ses révélations. Les visions transmises par les Zarbi n'avaient rien annoncé de tel et elle brûlait d'en apprendre davantage.

- Elle ignore ce qui s'est passé exactement. Toujours est-il que sa marque s'est mise à scintiller et elle a ensuite remarqué, ou du moins Giratina, puisqu'elle n'a pas pu faire ce constat elle-même, qu'elle avait rajeuni.
- Rajeuni ? Comment cela est-il possible ?
- A vous de me le dire, ma dame. J'aimerais comprendre, et Lilith aussi. Cela ne peut être imputé aux potions que Circé lui administrait par le passé. Pensez-vous... Pensez-vous qu'avec de telles précisions, vos pokémon sauraient vous renseigner davantage sur ce qu'il en est réellement ?

Athéna acquiesça d'un hochement de tête. Tandis que Darkrai sondait les environs à l'aide de ses pouvoirs afin de s'assurer que personne ne risquerait de surprendre leur conversation, elle frappa dans ses mains pour faire apparaître les créatures au savoir absolu.

Plus la question qu'elle posait était précise et possédait une visée déterminée, moins la réponse que lui fournissaient les Zarbi étaient vagues. Elle espérait, avec ces nouvelles informations, obtenir d'eux un peu plus de lumière sur cette histoire si étrange au coeur de laquelle la Première se trouvait plongée.

- Par quel moyen le symbole que porte Lilith a-t-il pu lui permettre de rajeunir ?

Les glyphes possèdent de grands pouvoirs
Et ces pouvoirs servent ceux qui les portent
Leur magie est complexe
Autant qu'elle est puissante
Elle est capable du meilleure
Elle est capable du pire


Athéna ferma les yeux et les images commencèrent à s'engouffrer dans son esprit. Un à un, elle vit défiler les dix-sept types d'Arceus. Chacun d'eux était lié à une capacité particulière, qu'elle mémorisa avec assiduité afin d'être en mesure de les déterminer par la suite, ainsi que de les transmettre avec précision à Darkrai.

- Ces symboles... Ces glyphes, comme les nomme les Zarbi, transmettent une forme de magie bien spécifique à leur porteur. Je crois... Non, je suis quasiment certaine que celle dont Lilith bénéficie, et qui s'est manifestée, est l'immortalité.
- Vous voudriez dire qu'elle ne risque plus du mourir ? C'est impossible. Même Circé n'a pas réussi à percer le secret de la vie éternelle. Personne, en dehors des légendaires, ne jouit d'un pareil privilège.
- Je peux pourtant vous assurer qu'il s'agit de ce que je viens de voir, et je suis pratiquement certaine, à plus de quatre-vingt dix pour cent, de ne pas mal interpréter ce que mes pokémon m'ont montré. Voyez par vous-même.

Sans laisser à Darkrai le temps de réagir, elle prit ses mains entre les siennes et les plaqua sur son crâne, de façon à l'inviter à pénétrer à l'intérieur de son mental. Elle le sentit parcourir son esprit, s'approprier les visions qu'elle venait d'accumuler et s'éloigner ensuite de son subconscient, exactement comme il l'avait fait à la Salle Originelle.

- C'est donc vrai... lâcha-t-il, ébahi. Une nouvelle Confrérie a commencé à voir le jour. Comment, cependant ? C'est Arceus qui nous a donné naissance à nous, les pokémon, avant que nous vous donnions à notre tour la vie. Créer un groupe de cette envergure doit nécessiter une puissance exceptionnelle, le ne croyez-vous pas ?

Athéna ne répondit pas. Elle réfléchissait. Le pokémon noirtotal avait raison : une telle prouesse n'était pas à la portée de n'importe qui. Hélas, lorsqu'elle avait interrogé les Zarbi la première fois, elle avait été incapable de déduire l'origine de toute cette affaire. Cela l'inquiétait.

Contrairement à ce qu'elle avait toujours prétendu à quiconque, Némésis n'était pas la seule à échapper à l'omniscience de ses pokémon. Cronos était également une exception à la règle, ce qui n'avait rien d'étonnant à la vue du lien qui les rattachait l'un à l'autre. Se pouvait-il que l'ennemi juré d'Arceus est un rapport avec tout cela ?

Elle en doutait. Si les Zarbi lui avaient précédemment indiqué que ce pendant à la Confrérie pourrait être la ruine, bien qu'elle ignore de qui ou de quoi, ils avaient également souligné qu'elle pourrait tout aussi bien être le salut. Cronos, lui, n'était que chaos et désolation, irrémédiablement.

Y avait-il quelqu'un d'autre encore sur qui ses pokémon n'avaient aucune emprise ? Dans ce cas, il s'agirait forcément d'une entité hors du commun, mais si tel était le cas, comment pourrait-elle ne pas être au courant de son existence ? Arceus lui en aurait certainement parlé, comme il l'avait fait au sujet de son ennemi juré.

Athéna se mordit la lèvre. La Confrérie n'avait jamais été plus vulnérable qu'en cette période. Némésis n'était plus là, par sa faute, et elle-même n'aurait sans doute plus jamais le courage d'utiliser à nouveau ses pouvoirs, quand bien même sa vie en dépendrait. Les Renégats s'étaient déchirés du reste du groupe et les autres les traquaient désormais sans relâche, dispersés aux quatre coins du globe.

- Comment se sont manifestés les pouvoirs de Lilith ? s'enquit-elle après avoir recouvré un semblant de sérénité.
- Il vaut mieux que vous ne le sachiez pas, répondit immédiatement Darkrai.
- Pourquoi cela ? Nous sommes face à de l'inconnu auquel même mes Zarbi se heurtent, alors mieux vaut ne pas être avare en matière d'information.
- Permettez-moi dans ce cas de m'excuser au préalable, car j'ai honte d'aborder un tel sujet devant vous. Giratina et elle étaient en train de... copuler.

Athéna leva les yeux au ciel. Evidemment, dès l'instant où son interlocuteur s'était montré sceptique à l'idée de s'exprimer, elle aurait dû se douter qu'il était question de cela. Même si elle ne s'opposait pas aux sentiments que Lilith éprouvait à l'égard du Dragon, elle ressentait un léger dégoût à l'idée que cet amour puisse être également physique. Elle en fit d'ailleurs la remarque :

- Vous aviez raison. Voilà bien un détail dont je me passe volontiers et dont je ne tiens jamais à percer le mystère.
- Le mystère ?
- Oui. Giratina est un pokémon immense, alors que Lilith parait si petite à côté de lui. Je préfère ne pas savoir comment... comment ils s'y prennent.
- Ce n'est pas aussi rebutant que vous pourriez le croire, Athéna. Peu avant qu'ils ne soient séparés par Arceus, Circé avait réussi à mettre au point une potion de métamorphose, permettant à Giratina de revêtir pour quelques heures l'apparence d'un humain, tout en demeurant dans son âme un pokémon.
- Eh bien... Cela ne m'étonne guère de la part de Circé. Ses capacités et sa créativité sont pratiquement sans limites. Elle n'a cependant aucun moyen de leur transmettre ses préparations dans le Monde Inversé, n'est-ce pas ?
- Le Monde Inversé est un reflet du nôtre. Pour parvenir à une telle décoction, elle n'a utilisé que des plantes en provenance de là-bas, afin qu'elles créent en quelque sorte un opposé de Giratina.
- Ceci est tout bonnement fascinant, en dépit de ce que je craignais. Il me faut le reconnaître.
- Votre sagesse n'a toujours eu d'égale que votre soif de savoir, Athéna.

Les yeux de la déesse se voilèrent. Elle ne supportait plus de s'entendre qualifier de sage depuis ces dernières années. Elle s'était trop laissé guider par son coeur, plutôt que par sa raison. Si elle avait vraiment été sensée, tout aurait été différent. Au lieu de cela, elle continuait à accumuler les erreurs, qui menaçaient à tout instant d'échapper à son contrôle.

- Je vous remercie de vous être entretenu avec moi, Darkrai, mais je ne vais abuser davantage de votre temps.
- Au contraire, mon temps est tout à vous s'il vous plaît de l'apprécier. Vous savez combien nos discussions m'enchantent, et surtout, je vous suis reconnaissant de vous préoccuper tant du sort de Lilith.
- Loin de moi l'idée de me montrer égoïste, mon ami, mais je crains que cette Confrérie naissante ne devienne tôt ou tard le sort de tous, raison pour laquelle il est de mon devoir de m'en soucier.
- Certes. Cela ne m'empêche pas de vous témoigner toute ma gratitude. Je vous dois tant.
- Continuez à veiller sur eux, Darkrai, c'est tout ce que je vous demande. Et faites également attention à vous. Comme le dit cette expression humaine, vous êtes sur le fil du rasoir. Une seule erreur de votre part suffirait à Arceus pour vous percer à jour.
- Je serai prudent, ma chère. Je peux vous l'assurer.

Le pokémon noirtotal s'inclina et Athéna le salua également d'un signe de la tête. Il était temps pour elle de prendre congé. Elle devait regagner le monde des humains, où elle aurait plus sa place qu'ici. Quand les Zarbi se seraient remis des connaissances qu'il lui avait transmise, elle les interrogerait de nouveau, afin de savoir où elle serait susceptible de trouver Eve. Elle devait l'arrêter au plus vite, en dépit d'Arceus et d'Héra.

Alors qu'elle parcourait les différents boyaux qui composaient la Cave d'Hadès, à la recherche de l'accès des souterrains de Groudon, creusés sous la mer et destinés à relier entre eux les divers continents, elle eut la surprise de croiser le chemin de l'Alpha. Elle lui jeta un regard noir, qui exprimait à lui seul toute la colère qu'elle éprouvait à son égard.

- Attends... murmura-t-il lorsqu'elle tenta de le contourner pour poursuivre sa route.
- Quoi ? Tu comptes m'apprendre que tu as également envoyé Adam détruire tous les oeufs de pokémon qu'il croisera ? Dans ce cas, dis-le maintenant, ainsi j'emmènerai Rayquaza, qui se fera certainement une joie d'intervenir.
- Rayquaza n'est plus là. Il vient de partir à l'instant.
- Tiens donc. Pourrais-je savoir où ? Je le connais par coeur, il s'agit pratiquement de mon meilleur ami. Je sais qu'il ne fera pas de mal à autrui.
- Il a été transmettre mes instructions à Eve. Je la somme de mettre un terme à sa mission et de rentrer à la Cave d'Hadès. Cela te satisfait-il ?
- Eh bien ! Il semblerait qu'il suffise que je prononce le nom de Pandore pour obtenir tout ce que je désire... sauf la libération de Lilith et la grâce des Renégats, bien sûr. Permets-moi tout de même de te féliciter. Tu peux apparemment te montrer raisonnable, lorsque tu t'en donnes la peine.
- Je veux la revoir.
- Je retire ce que j'ai dit, rectifia immédiatement Athéna. Tu es totalement inconscient.
- Je...
- C'est hors de question, tu m'entends, Arceus ? Je te rappelle que tu as toi-même instauré cette loi idiote interdisant les relations entre pokémon et humain.
- Ce n'est pas moi, c'est la nature ?
- Et qui l'a créée, jusqu'à preuve du contraire ? répliqua la déesse. J'ai accepté que tu éprouves des sentiments pour elle, à condition que tu te tiennes à l'écart. Je ne saurais tolérer que tu fréquentes une mortelle quand tu as banni Lilith et Giratina, et que tu persécutes désormais leurs amis.
- Les Renégats se sont dressés contre moi.
- Peut-être, mais Lilith et Giratina ne demandaient qu'à s'aimer librement. De toute manière, je vois mal l'intérêt de relancer une fois de plus cette conversation, puisqu'elle demeure inexorablement stérile. Qui plus est, il ne s'agit pas de mon seul argument. Tu traques les Renégats parce que tu crains qu'ils ne percent ton secret, tu m'as contrainte à combattre Némésis pour les mêmes motifs... Toutes ces choses, je ne les désirais pas, bien au contraire. Que se passera-t-il si quelqu'un, ici, à la Cave d'Hadès, découvrait l'endroit où tu te rends, ainsi que la personne que tu visites ? Poséïdon, Janus, Kukulkan... N'importe qui. Tu deviendrais à ce moment-là obséder par ta volonté de les réduire au silence.
- Je...
- N'essaye pas de me faire croire que j'ai tort, parce que ce n'est pas le cas. Tu cherches désespérément à occire quatre des nôtres dans ta paranoïa. Je n'ai aucune envie de voir la liste s'allonger.
- Athéna, tu...
- Merci d'avoir arrêté Eve.

Arceus lui barra le passage de l'une de ses gigantesques pattes lorsqu'elle esquissa le geste de se remettre en mouvement. Il abaissa son encolure de façon à rapprocher son visage du sien, tandis qu'il lâchait :

- Je suis l'Alpha. Mes désirs sont des ordres et je finis toujours par parvenir à mes fins.
- Cette fois, en tout cas, tu ne pourras pas compter sur moi.

Le Créateur soutint le regard qu'elle lui lançait, mais il céda en premier. Parfois, le regard d'Athéna devenait aussi implacable que celui de Némésis et il détestait le voir. Celui de la Justice avait traumatisé tous les légendaires, lui compris.

- Je ne peux plus la voir, ici, gémit-il. À la Salle Originelle, il y avait les miroirs ensorcelés, mais ici... Son image me manque. Je ne peux la contempler comme je le faisais encore il n'y a pas si longtemps. Je savais me contenter de cela. De la voir. À présent, même cela m'est interdit.

La déesse poussa un soupir. Contrairement à la plupart des légendaires, elle ne reléguait pas ses sentiments au second plan, raison pour laquelle les propos d'Arceus parvinrent si aisément à l'attendrir. Elle pouvait percevoir sa peine, et surtout, son empathie la contraignait à compatir avec lui.

- Je suis désolée. Sincèrement. Ce n'est pas possible, cependant. Pour sa sécurité aussi bien que pour celle que tout le monde.
- Très bien. Comme ta réponse semble être irréversible, ma sentence le sera également. Puisque je ne peux pas revoir Pandore, alors je t'interdis de retourner auprès d'elle. De cette façon, personne ne risquera jamais de remonter jusqu'à elle, ainsi que tu l'as si bien souligné il y a quelques instants.
- Quoi ? Arceus, elle s'attend à me voir revenir ! Elle va pense que...
- Rien du tout. Elle sait que tu es une déesse, et quel est ton devoir. Elle comprendra que tu n'as pas plus de temps à lui accorder.
- Comment peux-tu en être aussi convaincu ? Parce que tu as épargné sa vie et que tu l'as épié des mois durant, tu crois la connaître ?
- Ce serait le cas si tu me laissais la voir.
- Tu es peut-être amoureux d'elle, Arceus, mais ce n'est absolument pas réciproque, permets-moi de te le dire ! A ses yeux, tu es un dieu, une entité au-dessus de tout qui, accessoirement, a choisi de la condamner à mort avant de se raviser. Elle t'est reconnaissante de l'avoir épargnée, ainsi que d'avoir offert un second souffle au monde d'en-bas, mais elle n'aura jamais l'idée de t'aimer.

Elle s'attendait à voir l'Alpha pousser un cri de fureur suite à ses propos, mais sa réaction fut tout autre, plus disproportionnée encore. Il lui asséna un puissant coup de patte, qui la projeta sur plusieurs mètres avant qu'elle ne s'écrase sur le sol, dans un nuage de poussière. Elle avait beau être dotée d'un physique extrêmement robuste, le choc rendit son corps douloureux.

- Arrête, Arceus ! Ne t'avise jamais plus de refaire cela. Tu sais très bien ce qui pourrait arriver si tu me provoques. Ne m'emmène pas à perdre le contrôle de moi-même. Ce que mes pouvoirs ont infligé à Némésis, ils sont également en mesure de te le faire subir. Pour l'instant, je les refoule au fond de mon âme, mais si tu m'agresses, rien ne prouve qu'ils ne m'échapperont pas. Tu es en train de devenir plus déraisonnable que jamais. Reprends-toi.
- De quel droit me donnes-tu des ordres ?
- Du droit que je me considère actuellement comme plus sensé que toi, en dépit de toutes les folies que tu m'as conduise à commettre. À présent, puisqu'il semblerait que je sois ta prisonnière, aurais-tu l'amabilité de me faire conduire dans mes quartiers ?

***
Zeus avait été ravi d'apprendre que sa fille allait s'attarder à la Cave d'Hadès à la demande de l'Alpha, lui qui s'attendait à la voir regagner le monde des humains dans lequel elle s'était établie, à son grand dam, suite à la chute de la Salle Originelle. Il tenait cette nouvelle de Poséïdon, qui lui-même l'avait apprise par la bouche de Janus.

Il aurait préféré qu'Athéna la lui annonce lui-même, toutefois personne ne l'avait vue sortir de l'antre qu'Arceus lui avait concédé et qui jouxtait celle d'Horus et de Rayquaza. Malgré sa joie, il ne comprenait pas vraiment son attitude. Il avait l'impression qu'elle était recluse et, comme à chaque fois que cela se produisait, il soupçonnait qu'une querelle avec le pokémon auquel il était lié n'était pas étrangère à tout cela.

- S'est-il passé quelque chose entre ma fille et toi ? s'enquit-il, alors qu'il se trouvait dans la salle centrale de la grotte. Une dispute ? Un désaccord ?
- Elle me cause bien des tourments, si tu veux tout savoir. Elle s'oppose à mes volontés, ainsi qu'à mes désirs, en pensant agir pour le mieux.
- Je suis désolé qu'elle se comporte ainsi, mais... Elle n'est plus vraiment elle-même depuis les évènements survenus en Atlantide. Elle est très perturbée, comme en a témoigné sa volonté de s'exiler sur Terre. Je te suis reconnaissant de lui avoir ordonné de demeurer ici, où je peux veiller sur elle, toutefois je me demande si c'était vraiment la chose à faire. Si elle peut puiser un quelconque réconfort auprès des humains quand elle se culpabilise d'en avoir tué des milliers, il serait malséant de l'en priver.
- Je croyais que tu désapprouvais la fréquentation de ces êtres inférieurs ? Ne t'ai-je pas vu réprimer Prométhée et Crios à maintes reprises à ce sujet ?
- Si, bien sûr, mais Athéna n'est pas n'importe qui. C'est ma fille et elle ne va pas bien. Un sot s'en apercevrait. Puisqu'elle ne t'ait d'aucun soutien ici et que je préfère la voir parmi les mortels plutôt que se morfondre auprès de moi, pourquoi ne la laisses-tu pas repartir ?
- Ce n'est pas pour te rendre service que j'ai choisi de la confiner ici, bien au contraire. C'est ma façon de la punir pour m'avoir tenu tête une fois de trop. Je ne puis cautionner une telle attitude.

Zeus ne releva pas. Ce genre d'histoire se produisait fréquemment et le mettait toujours dans une situation embarrassante. Il voulait servir son Alpha, cependant il connaissait également très bien sa fille. Elle était d'une extrême docilité, aussi lorsqu'elle décidait de se rebeller, ce qui était extrêmement rare, rien ne pouvait la faire changer d'avis, pas même lui.

Bien sûr, en utilisant l'intimidation et la sévérité, il parvenait parfois à la contraindre de se plier à la volonté d'Arceus, mais cela ne lui plaisait guère. Il craignait qu'avec de tels abus d'autorité, Athéna finisse par en avoir véritablement assez. Ce n'était pas ainsi qu'il fallait procéder avec elle et il en avait parfaitement conscience, cependant il devait s'y résoudre, de temps en temps, pour satisfaire son pokémon.

- Ma fille n'apprécie pas le chantage, tu le sais très bien. Qu'espères-tu obtenir d'elle en agissant ainsi ?
- Son consentement à mes actions.
- Depuis quand as-tu besoin de quiconque pour agir, et en particulier de la bénédiction d'Athéna ? Nous chassons les Renégats pour toi alors qu'elle s'oppose à cette pratique, tu te doutais qu'elle serait contre l'attaque que tu as menée face à Némésis, raison pour laquelle tu l'as lancée sans elle... Fais ce que tu as à faire. Dans le pire des cas, elle t'en voudra durant un temps. Dans le meilleur, elle se rangera à ton avis en dépit de tout, comme elle l'a fait en Atlantide.
- Cette fois, c'est différent. Il s'agit d'une affaire où je ne peux m'appuyer que sur elle et où je n'ai pas le droit de commettre la moindre erreur de calcul. Ta fille est censée m'y aider, mais à présent, elle a entrepris de placer des obstacles en travers de mon chemin, à savoir elle-même.
- Pourquoi ne pas te reposer sur moi, plutôt ? s'enquit Zeus. Loin de moi l'idée de te faire un reproche, mais j'ai souvent l'impression qu'Athéna est plus ton humaine que moi, depuis le début de cette décennie. Tu partages des secrets avec elle, certaines de tes activités, tu te confies à elle, et moi... Rien. Je vous observe et je la rappelle à l'ordre lorsque son attitude ne te satisfait pas.
- Serais-tu jaloux, Zeus ?
- Interrogatif serait le terme plus adéquat. Tu as passé des mois entiers sans pratiquent m'adresser la parole à la Salle Originelle, ni à personne d'autre, sauf Athéna. Je ne comprends pas. Ou plutôt si, je crois comprendre, mais en partie. Je suppose, sans doute avec raison, que tu me caches quelque chose, une chose dont elle a connaissance. Ce que je ne saisis pas, c'est pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu t'obstines à ne rien me révéler ? Je sais que ma fille est ton arme secrète, comme tu l'as démontré face à Némésis, mais moi, je suis celui qui t'est le plus loyal et le plus dévoué. Je n'ai peut-être pas sa puissance illimitée, quoique dangereuse, mais sitôt que tu donnes un ordre, j'obéis. Sans discuter. Si tu as foi en elle, qui s'oppose pourtant à toi, alors pourquoi pas en moi ?

Arceus ne répondit pas immédiatement. Il y avait tant de choses que Zeus ignorait... L'existence de Cronos, pour commencer. Athéna elle-même n'aurait jamais dû être au courant de ce qui le concernait, d'autant que même les Zarbi ne pouvaient le voir. S'il n'avait pas eu besoin d'elle pour le terrasser une nouvelle fois, il aurait conservé ce secret avec lui.

A cause de ses pokémon, lui dissimuler quoi que ce soit était devenu impossible ou presque, raison pour laquelle il avait pris l'habitude de ne plus rien lui taire. Ce n'était pas le cas de son père. Zeus avait beau être son humain, il agissait souvent seul, sans le concerter. Celui-ci le savait, d'ailleurs, mais il ne le lui avait jamais reproché. Même à l'instant, ce n'était pas ce qu'il venait de faire. Il s'était contenté de lui offrir son soutien.

Arceus pouvait-il vraiment placé une confiance absolue à lui ? Athéna avait le sens de l'honneur, mais pas son humain. Il n'hésitait pas à trahir si cela servait ses intérêts, ni à manipuler pour parvenir à ses fins. Il menaçait, mentait... L'Alpha se demandait souvent comment sa fille réussissait à se distinguer à ce point de lui.

Malgré cela, Zeus ne s'était jamais retourné contre lui et il pouvait sentir, grâce au lien qui les unissait, qu'il ne le ferait jamais. Il serait même prêt à mourir pour lui s'il l'exigeait. Cela signifiait-il pour autant qu'il serait en mesure de tout accepter de sa part, même ce qu'Athéna jugeait comme amoral ?

- Dis-moi... commença-t-il avant de s'interrompre. Si je décidais de tuer ta femme, comment réagirais-tu ?
- Héra ? Que... Qu'a-t-elle fait ? Ne me dis pas que tu la soupçonnes d'être une Renégate, elle les hait tout autant que toi !
- Je te pose une question. Réponds-moi simplement. Si tel était ma décision, que ferais-tu ? La protégerais-tu ? Tenterais-tu de m'en dissuader ou de t'interposer ?
- Je... Non, bien sûr que non. Jamais je ne m'opposerais à toi, tu le sais parfaitement.
- Et si je choisissais d'anéantir Palkia et Dialga ? Me jugerais-tu fou ? Chercherais-tu à m'arrêter et à me ramener à la raison ?
- Leurs disparitions nuiraient gravement à l'équilibre. Si tu devais en arriver à une telle extrémité, j'imagine que ce serait parce que tu aurais une bonne raison de le faire.
- Dois-je en conclure que tu approuverais chacune de mes décisions, même les plus folles ?
- Je suis ton humain, Arceus. Je te dois allégeance, respect et servitude.
- Satan est celui de Darkrai, et pourtant, cela ne les empêche pas de se trouver dans deux camps distincts.
- Il faut croire que Darkrai est comme moi : fidèle à son Alpha. Enfin, Arceus, si je puis me permettre... Pourquoi ces questions ? Doutes-tu de moi ? Même après ce que je viens de te dire ?
- Au contraire, je ne demande qu'à me fier à toi. Il y a un secret qui me pèse, et que partage ta fille. C'était déjà un fardeau à l'origine et le temps ne fait que l'alourdir. T'en parler me délesterait sûrement d'une partie de son poids, cependant en le faisant... C'est mon salut que je remets entre tes mains.
- Je le garderai sauf, comme toujours. Tu peux me parler sans crainte, alors fais-le, si cela permet de te soulager.

Arceus courba l'échine. En cet instant, il avait perdu toute la majesté qui était la sienne et il paraissait vouté, comme s'il portait sur ses épaules toutes les peines du monde entier. Son regard était vide, presque éteint.

- J'ai commis la faute suprême, confessa-t-il. Celle pour laquelle j'ai banni Giratina. Je suis tombé amoureux d'une humaine.

Il s'attendait à de nombreuses réactions de la part de Zeus. De la stupéfaction, voire de l'ahurissement, du mépris, de la colère, du dégoût, de la haine, de la pitié... Sans doute à tout, sauf à ce qu'il vit : une parfaite neutralité.

- Cela ne me surprend pas. Enfin, si, peut-être un peu. Après tout cela, tu l'aimes encore ?
- Pardon ?
- Lilith. Je pensais qu'avec les événements récents, son attaque de la Salle Originelle et les Gijinkas, tu avais enfin appris à la haïr pour de bon.
- Tu te distingues d'Athéna sur de nombreux points, mais tu lui ressembles énormément sur d'autres. Qu'est-ce qui vous permet de croire que j'avais des sentiments pour elle ?
- Je n'ai jamais vraiment été dupe au sujet de ta loi interdisant les relations entre humains et pokémon derrière laquelle tu as tenté de te cacher. J'ai toujours cru qu'il s'agissait d'une simple excuse pour éloigner Giratina d'elle.
- Absolument pas ! gronda Arceus. Ou plutôt, si, c'était le but, mais pas pour me permettre de retrouver Lilith. Je tenais à elle, c'est vrai, mais elle a perdu toute mon estime depuis ce jour. Elle n'aurait jamais pu la regagner.

Furieux, comme toujours, à la mention du nom de la Première, il laissa quelques minutes s'écouler dans le silence le plus total. Son humain respecta cela, jusqu'à ce qu'il décide de reprendre de lui-même :

- Est-ce que tu te souviens de l'humaine qu'Athéna avait choisi pour son test ?
- La gamine ? J'ai oublié son nom, mais oui, je me rappelle d'elle. Elle... Oh ! C'est d'elle ? C'est d'elle dont tu es tombé amoureux ?
- Personne ne doit le découvrir, Zeus. Jamais. Némésis aurait probablement réussi à le faire, c'est pour cette raison que j'ai dû me débarrasser d'elle. Et aussi des Renégats. Ils vont sans doute chercher la moindre faille pour tenter de se venger de moi. S'il découvre cette histoire...
- Ne t'inquiète pas, je serai une véritable tombe. Malgré cela, je ne peux cacher mon étonnement. Qu'a-t-elle de si particulier pour avoir éveillé ton intérêt ? Non seulement elle a échoué dans la tâche que tu lui as confié, celle ne pas chercher à ouvrir cette boîte, mais en plus, elle est tristement insignifiante. Fade, sans qualité aucune... Elle est aussi pathétique que tous les autres membres de son espèce.
- Assez ! Quand bien même tu aurais raison, je ne te permets pas de tenir de tels propos à son égard. À présent que je t'ai tout avoué, j'ai besoin de ton soutien, puisque ta fille me refuse désormais le sien, et non de tes commentaires.

Le maître de la foudre inclina la tête en signe de soumission, avant de relever les yeux vers le visage du Créateur. Toute trace de stupeur avait disparu de son visage, qui avait recouvré une certaine impassibilité. D'une voix parfaitement neutre, il s'enquit :

- En quoi puis-je t'être utile ?
- Athéna s'oppose fermement au fait que je revoie Pandore, en dépit du désir qui est le mien. C'est auprès d'elle qu'elle a trouvé asile suite à la chute de la Salle Originelle et c'est pour cette raison que j'ai décidé de la confiner ici, parce qu'elle m'a refusé son assistance.
- Cela ne m'étonne guère de sa part. Même si elle t'est suffisamment loyale pour conserver soigneusement ton secret, je suppose qu'elle ne le cautionne pas. Elle n'a jamais caché son parti pris pour Giratina et Lilith, alors...
- Il y a de cela, certes, mais ce n'est pas le seul motif. Elle pense que je la mettrais en danger si je venais à lui rendre visite. Elle redoute que les Renégats ne le découvrent et, par la même occasion, l'existence de Pandore. Elle pense que cela menacerait sa vie.

Zeus soupira. Il savait que ce n'était pas la réponse qu'Arceus attendrait de lui, mais il devait pourtant admettre qu'elle n'avait pas tort. Ce comportement serait pour le moins imprudent et risquerait d'éventer aux yeux de tous les sentiments prohibés du Créateur. S'il ne se souciait guère du sort de la mortelle, en dépit du fait que celui auquel il était lié ait jeté son dévolu sur elle, il se préoccupait de la réputation de l'Alpha. Après une profonde inspiration, il lui avoua le fond de sa pensée.

- Ainsi, tu es de son avis ? Dans ce cas, trouve une solution. Tu m'as dit que je pouvais compter sur toi, prouve-moi qu'il ne s'agit pas de vaines paroles.
- Arceus, es-tu vraiment prêt à courir de tels risques pour une humaine qui n'en vaut pas la peine ?
- Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire ou non ! rugit le pokémon suprême. Aurais-tu déjà oublié ton petit discours ? Je veux la revoir, et je la reverrai. Il me faut simplement un plan pour y parvenir sans la mettre en danger. Je tiens à ce qu'elle sache qui je suis, ainsi que ce que je ressens pour elle. Athéna m'a assuré qu'elle ne pourrait jamais m'aimer et je ne peux l'accepter. Je veux lui prouver qu'elle a tort, mais pour cela, il me faut une occasion de m'attirer les faveurs de Pandore.
- Ma fille ? Tort ? répéta Zeus avant de déglutir péniblement. Tu as instauré la nature, avec des lois. Les humains et les pokémon sont faits pour se côtoyer, pas pour... s'accoupler. Ils le savent, ils respectent cela, ou du moins j'ose le croire. Ce n'est pas parce que Lilith...
- Vas-tu cesser de prononcer ce nom ? tonna l'Alpha.

Le maître de la foudre ne réagit pas au courroux de son pokémon. Contrairement à lui qui semblait déterminé à ne plus vouloir entendre parler de la Première, le fait de l'avoir mentionnée venait de permettre au dieu de se souvenir d'un élément susceptible d'intéresser son Alpha.

- J'ai peut-être une idée qui pourrait t'aider, mais elle est d'une nature... relativement particulière.
- Veux-tu t'expliquer ? lâcha immédiatement Arceus.
- Aux Colonnes Lances, quand nous avions capturé les Renégats, juste avant que Satan ne les délivre, Chronos et Kukulkan les ont torturés, afin de savoir jusqu'où s'étendait leur complicité avec L... les traîtres. Circé a avoué avoir fabriqué plusieurs potions pour elle, essentiellement pour tenter de ralentir son vieillissement et pour la rendre plus résistante, comme nous, mais également une autre, d'un genre plus spécial. Il s'agissait d'un filtre de métamorphose, destiné à Giratina. Cela lui permettait de revêtir pour quelques heures durant l'apparence d'un humain.

Arceus retint son souffle. D'ordinaire, une telle révélation l'aurait rendu fou de rage et il aurait considéré cet acte comme un crime au moins aussi grave que celui qu'il avait commis en s'éprenant de Lilith, mais en cet instant, il n'éprouvait nulle colère. Au contraire, il avait l'impression de détenir la solution au problème auquel il était confronté. Une autre difficulté se posait, toutefois.

- Comment obtenir cette potion ? Cela me paraît impossible. Je ne puis demander à Circé de me la fournir, pas même en lui promettant de lui accorder sa grâce, ce serait bien trop risqué. Elle se poserait des questions et elle se hâterait de tout rapporter à ses amis Renégats.
- Elle a un grimoire, indiqua Zeus. Elle est obsédée par la postérité et c'est une qualité qui, je suppose, va servir tes desseins. Si tu arrives à lui voler ce livre, dans lequel elle consigne toutes ses recettes, ainsi que toutes ses recherches, tu n'aurais besoin de rien d'autre. La potion que tu convoites se trouvera à l'intérieur.
- Où est ce grimoire ?
- Avec elle, bien entendu. Il s'agit certainement de son bien le plus précieux. Tout son travail est consigné à l'intérieur, elle ne supporterait pas de le perdre. Elle a risqué sa vie pour le récupérer avant de fuir loin de la Salle Originelle, c'est dire à quel point il compte à ses yeux.
- Dans ce cas, comment puis-je espérer l'obtenir ? Si Circé n'est pas la plus puissante des Renégats, elle est certainement la plus maligne, Satan excepté. Si les traces de Scathach, Satan et Artémis ont déjà été pistés à quelques reprises depuis notre combat face à eux, elle est la seule qui est parvenue à se cacher au point de se rendre introuvable.
- Les Zarbi d'Athéna peuvent la localiser. À l'exception de Némésis, rien ni personne n'échappe à leur omniscience.
- Impossible. Pour les consulter, il me faudrait passer par ta fille, or elle m'a assurée qu'elle ne m'aiderait jamais à trouver les Renégats. Qui plus est, elle s'interrogerait afin de savoir ce que j'ai en tête et ses créatures le lui révéleraient.
- Dans ce cas, qu'est-ce qui te prouve qu'elle ne saura pas sous peu tes projets ?
- Les Zarbi sont dressés pour ne l'avertir qu'en cas de danger immédiat, afin qu'elle puisse intervenir. Le reste du temps, ils ne se manifestent pas et elle répugne à les utiliser. Elle a peur de leur don presque autant que des siens. Tu devrais pourtant le savoir mieux que moi, non ?
- Certes, mais pourquoi n'aurait-elle pas mis ses préceptes de côté si elle est déterminée à te faire obstacle ?
- Parce qu'elle est convaincue que c'est précisément ce qui la distingue de moi. Celle de continuer à suivre la ligne de conduite qu'elle juge la plus adéquate, quoi qu'il arrive.
- Alors comment comptes-tu t'y prendre pour obtenir le grimoire de Circé ? Je te connais trop bien pour deviner qu'à présent que je t'ai mis cette idée dans la tête, tu ne vas certainement pas y renoncer.
- Non, en effet, répondit Arceus avec une intonation teintée de fourberie. J'ai d'ailleurs ma petite idée sur la façon dont je vais procéder.

***
Les portes qui condamnaient l'une des nombreuses cavernes composant la Cave d'Hadès s'ouvrirent, pour laisser apparaître Kukulkan. Contrairement à la majeure partie des dieux, et en dépit des pouvoirs puissants dont il disposait, il avait une carrure plutôt chétive. Le teint halé et les cheveux noirs en bataille, peu soucieux de son apparence, il se distinguait de la majesté de Zeus, ni du raffinement de Chronos.

Darkrai, grâce à son enveloppe relativement incorporel, échappa à un sursaut lorsqu'il le vit pénétrer dans ce qui était désormais sa nouvelle antre. Il n'aimait pas voir les partisans favoris d'Arceus lui rendre visite, encore moins de manière inattendu. Il craignait toujours le pire, à savoir que l'Alpha ait deviné son double-jeu.

- Que me vaut le plaisir de votre visite ? lança-t-il d'une intonation qu'il s'efforça de rendre la plus neutre possible.
- Le Créateur veut vous parler. Il m'a demandé de vous conduire auprès de lui dans les plus brefs délais. Si vous n'avez pas d'autres obligations, je vous saurais gré de bien vouloir me suivre.

Darkrai obtempéra, quoique peu rassuré. Il n'aimait pas la tournure que prenait la situation. Arceus avait-il tout découvert, ainsi qu'il le redoutait depuis la fuite des Renégats ? Il s'attendait à ce que cela se produise, certes, mais il avait espéré être assez malin pour le duper plus longtemps.

- Que me veut-il ? interrogea-t-il tout en suivant Kukulkan dans les boyaux qui parcouraient la Cave d'Hadès.
- Je l'ignore. Il m'a seulement dit que c'était urgent, et extrêmement important. J'imagine que, puisqu'il tenait à s'adresser à vous en particulier, cela concerne votre traître d'humain.

"De mieux en mieux...", songea amèrement le pokémon noirtotal. S'il était sur le point d'être démasqué, le seul réconfort qu'il puisait était de savoir Athéna non loin de là. Il lui faisait assez confiance pour oser croire qu'au cas où les événements tourneraient mal pour lui, elle l'aiderait à échapper à Arceus d'une quelconque façon.

Kukulkan le conduisit dans la caverne où l'Alpha siégeait désormais. Zeus, comme toujours, était à ses côtés, en bon caninos fidèle qu'il était, toujours prompt à se pâmer aux pattes de celui à qui il était lié. La révérence que Darkrai esquissa face à eux lui coûta, cependant elle était nécessaire au maintien de sa couverture.

Dans son dos, l'humain de Palkia se retira, le laissant seul avec les deux autres. Arceus, assis jusqu'à présent, se leva. D'un pas immense, il traversa la distance qui le séparait de lui pour venir se poster juste sous son nez. Le sombre pokémon leva ses yeux bleu électrique dans sa direction.

- Tu m'as fait quérir ?
- En effet, répondit le Créateur d'un timbre grave. J'ai une mission de la plus haute importance à te confier, et il n'y a que sur toi que je puisse compter pour l'accomplir.
- Je suis ton dévoué serviteur, Arceus. Qu'attends-tu de moi ?
- Comme tu le sais, je t'ai tenu à l'écart de la traque des Renégats pour une raison bien précise. Je crains que, en dépit de la trahison de Satan et de ses actes qui se doivent d'être châtié, tu sois incapable de faire ce qui doit être fait. Est-ce que je me trompe ?
- Je ne saurais te répondre avec la plus parfaite sincérité. En cet instant, je pourrais t'assurer que je serais en mesure de le tuer, mais effectivement, face à lui, je ne suis pas certain de parvenir à m'y résoudre. Même s'il a étouffé notre lien depuis qu'il s'est enfui, je ne peux balayer notre attachement mutuel aussi aisément que je le souhaiterais.

Darkrai s'efforça d'avoir l'air convainquant. Comme Arceus conservait une expression neutre, il ne sut dire s'il se fiait à son discours ou non. Il espérait que cela suffirait à le tromper. L'Alpha avait beau être puissant, autoritaire et robuste, il n'était pas réputé pour posséder le plus fin des esprits.

- Je suppose que t'envoyer affronter ton humain serait la meilleure façon pour moi de perdre ta loyauté, n'est-ce pas ?
- Ma loyauté t'est acquise, Arceus. Toutefois, je te saurais effectivement gré de laisser à un autre que moi le soin d'assassiner Satan.
- Qu'en est-il d'Artémis ? De Scathach ? De... Circé ?
- Eh bien, je... Je n'ai aucun lien avec elles. Satan les a toujours considérés comme ses amies, mais ce n'était pas mon cas. Je n'aurais aucun scrupule à les éliminer si c'est ce que tu souhaites.

Les paroles de Darkrai ne l'engageaient pas à grand-chose. Même si l'Alpha le sommait de traquer les Renégats, puisque personne n'était encore arrivé à capturer ou à détruire un seul d'entre eux, il lui suffirait de s'absenter un temps et de narrer un échec cuisant, comme tous ses partisans en avaient été victimes jusqu'alors.

- Dans ce cas, cela me conforte dans mon opinion. Tu es précisément le légendaire dont j'avais besoin pour accomplir une mission d'une extrême importance.
- Je t'écoute.
- Je voudrais que tu joues le rôle d'agent double pour moi.

L'oeil bleu électrique de Darkrai s'agita dans son orbite, trop vite cependant pour qu'Arceus n'ait le temps de remarquer quoi que ce soit. Soupçonnait-il quelque chose ? Était-ce sa manière de lui faire comprendre qu'il l'avait percé à jour ? Pourquoi perdre du temps, alors ? Cela ne ressemblait pas à l'Alpha. Il maîtrisait mal ses colères et il aurait sans doute immédiatement tenté de le pulvériser avec une attaque jugement s'il avait deviné sa véritable allégeance.

- C'est-à-dire ? s'enquit le pokémon noirtotal en s'efforçant de ne pas se départir de sa neutralité.
- Je veux que tu retournes auprès de ton humain. Que tu prétendes avoir bien réfléchi, au point de désirer quitter mon camp pour rallier le sien. J'ai confiance en toi, tu trouveras un moyen de le convaincre de ta sincérité. Une fois qu'il te fera confiance, trouve Circé. C'est elle qui m'intéresse. Trouve-la, dérobe-lui son grimoire et ramène-le-moi. Si tu peux profiter de l'occasion pour la tuer, n'hésite pas, mais elle devra rester en vie tant que tu n'auras pas remis le livre entre les mains de Zeus.
- Puis-je avoir l'audace de te demander en quoi ses notes de maîtresse des poisons t'intéressent-elles ?
- Tu me déçois, Darkrai. Je te pensais assez intelligent pour parvenir toi-même à le deviner. Circé est de tous les Renégats celle qui résiste le mieux. Aucun légendaire n'est parvenu à l'approcher jusqu'à présent. Elle réussit à dissimuler sa trace avec plus de génie que quiconque, y compris ton humain qui est pourtant de loin le plus puissant d'entre eux.
- Et tu crois qu'en la dépouillant de son grimoire, cela te rendra la tâche plus aisée ? Elle connaît chacune de ses recettes par coeur. Même si elle ne les a plus entre les mains, elles ne quitteront pas sa mémoire pour autant.
- Peut-être, mais avec lui en notre possession, nous bénéficierons de tout son savoir, ainsi que de toutes ses potions. Il y a en a sûrement une, là-dedans, voire plusieurs, que nous serons à même de retourner contre elle.

Darkrai ne releva pas. Il réfléchissait. Rapporter à l'Alpha ce qu'il lui demandait serait un bon moyen de conforter sa position auprès de lui, et ainsi de continuer d'oeuvrer à distance à la sécurité des Renégats. Cela impliquait toutefois trahir Circé. Pouvait-il le faire quand cela revenait à lui dérober son bien le plus précieux ? Serait-elle prête à accepter s'il lui expliquait la nécessité de ce sacrifice ? Ce ne serait qu'au moment de se confronter à elle qu'il aurait la réponse à cette question.

- Tu auras ce que tu exiges, Arceus. Je te le promets.

L'intéressé inclina la tête dans sa direction et Zeus, à côté de lui, eut un sourire satisfait. En les voyant ainsi, il eut un mauvais pressentiment. Il était convaincu que ces deux-là avaient quelque chose en tête. S'agissait-il seulement d'obtenir de nouvelles armes contre les légendaires ? Sans doute, pourtant il avait toutes les peines du monde à s'en persuader.

***
Il fallut des jours entiers à Darkrai, et toute l'aide de Satan, ainsi que les précieuses indications fournies par Scathach, pour parvenir à retrouver la trace de Circé. Il comprenait désormais pourquoi tous les autres avaient tant de mal à la pister. À l'aide de ses potions, elle réussissait à laisser une empreinte durable dans divers endroits, à des lieues de celui où elle se cachait réellement.

Malgré la difficulté qu'elle lui causa, il finit par la localiser. Elle était à Kanto, dans ce que les humains avaient baptisé la Forêt d'Émeraude. Il s'était attendu à la trouver plus ou moins dans un environnement végétal, où elle pouvait poursuivre en toute sérénité son travail de maîtresse des poisons.

Elle s'était installé dans le creux d'un séquoia immense, dont le tronc devait mesuré plus de deux mètres de diamètre. Ce n'était pas spacieux, mais cela lui fournissait un abri. Qui plus est̀, elle avait enchanté les racines de l'arbre afin qu'il masque sa présence. Si elle n'était pas sortie de sa tanière en sentant d'elle-même Darkrai rôder dans les environs, il n'aurait pu la détecter.

- Toi ici ? lâcha-t-elle d'un ton cinglant. Je ne m'attendais pas à ta visite.

Circé était celle qui avait le plus de mal à s'habituer à sa vie de fugitive, bien qu'elle soit de loin celle qui s'en sorte le mieux. Elle n'acceptait pas le fait d'être désormais considérée comme une paria et condamnée à se cacher pour le restant de ses jours, autrement dit l'éternité.

Même si elle avait été d'accord pour aider Lilith à vivre son idylle avec Giratina, ainsi que pour leur apporter son soutien lors de sa vendetta à la Salle Originelle, elle n'avait jamais vraiment tenu à être impliquée dans les événements. La malchance avait joué contre elle et elle avait été démasquée en même temps qu'eux. Elle en voulait d'autant plus à Darkrai et Inari qui étaient parvenus à préserver leur couverture.

- Tu es la bête noire des partisans d'Arceus, le sais-tu ? À leurs yeux, tu es invisible, et cela les contrarie énormément. D'ailleurs, les Renégats eux-mêmes ont eu toutes les peines du monde à m'aiguiller vers toi.
- C'est normal, je n'ai pratiquement aucun contacte avec eux. À cause d'eux, je me retrouve plongée dans les ennuis jusqu'au cou, ce que je ne désirais pas. J'avais dit à Lilith que je lui prêterais main-forte, c'est vrai, mais si j'avais su que c'était à ce prix, je...
- Tu ne l'aurais jamais fait. Je sais.
- Qu'est-ce que tu me veux, Darkrai ?
- Arceus m'envoie.

Ainsi qu'il s'y attendait en mentionnant ce nom, les traits de Circé se durcirent. Son teint cireux pâlit et ses prunelles, aussi noires que ses cheveux, se mirent à jeter des éclairs. Le pokémon noirtotal était soulagé qu'elle ne maîtrise pas le tonnerre, contrairement à Zeus ou à Thor, car elle l'aurait certainement foudroyé sur place à l'instant même.

- Qu'est-ce que cela signifie ? Aurais-tu troqué ton rôle d'agent-double pour celui d'agent-triple ? Ou aurais-tu oublié que ton but premier, en restant auprès de l'Alpha, était de protéger tes amis ?
- Absolument pas. Mon seul dessein est d'assurer votre sécurité, cependant Arceus m'a confié une mission, sans nul doute destiné à vérifier la confiance qu'il peut placer en moi. Elle te concerne.
- Oh, je vois. Il t'a demandé de lui ramener ma tête sur un plateau et tu as songé que me sacrifier en valait la peine si cela te permettait de continuer à préserver Satan et les autres.
- Pour qui me prends-tu, Circé ? s'offusqua-t-il. Je suis un être de parole, tu devrais pourtant le savoir. Jamais je n'agirais ainsi. Il m'a effectivement demandé de t'ôter la vie si j'en avais l'occasion, ce que je ne ferai sous aucun prétexte, mais ce qu'il désire avant tout est tout autre. Il souhaite que je lui rapporte ton grimoire.
- Mon grimoire ? Mais bien sûr ! Crois-tu vraiment que je vais te le remettre pour que tu le ramènes à ce psychopathe qui en veut à nos vies ? Il y a entre ces pages des centaines de recettes, que j'ai mis des décennies à consigner. Certaines d'entre elles pourraient se révéler extrêmement dangereuses pour nous, placées entre les pattes d'Arceus et celles de ses sbires. Il n'en est pas question !
- Tu devrais savoir, depuis le temps, que lorsqu'il se met en tête d'obtenir quelque chose, rien ne peut l'arrêter. Il a même réussi à enfermer Némésis alors que tout le monde la croyait invincible.
- Sans Athéna, il n'aurait pas fait le beau devant elle, pas plus que le reste de sa bande. Il n'a aucune gloire à retirer de cet exploit. Tout le mérite lui revint à elle. Qui plus est, en dépit du peu de respect que j'éprouve à son égard, je ne crois pas qu'elle s'abaisserait à s'en prendre à moi, surtout pas pour mettre la main sur mon grimoire.
- Elle, non, cela ne fait aucun doute. Elle n'est pas votre ennemie.
- Elle n'est pas notre amie non plus.

Darkrai songea un instant à répondre, mais il se ravisa. Il savait que c'était en partie grâce à elle qu'Arceus avait accepté de le considérer comme hors de cause des agissements de Satan. Il lui devait beaucoup, mais tous les Renégats, à l'exception de son propre humain, la haïssait. Les autres lui en voulaient d'être incapable de prendre partie ou, quand elle le faisait, de s'écraser trop rapidement devant l'Alpha.

Bien sûr, rares étaient ceux, dont il faisait pourtant partie, qui connaissaient les tourments d'Athéna. Pour tout le monde, elle était soumise, docile et lâche. Personne n'avait conscience de la lutte permanente qu'elle menait contre elle-même. Cela était d'autant pire après ce qui s'était passé en Atlantide.

- Athéna ne représente pas une menace, mais Arceus si, déclara-t-il sobrement. Ce n'est pas parce que tu as réussi à échapper à ses partisans jusqu'à présent que cela sera toujours le cas. Si ce n'est pas moi qui lui ramène ce qu'il exige, il fera certainement de toi son ennemie principale, quitte à concentrer toutes ses forces sur toi jusqu'à avoir obtenu ce qu'il convoite. S'il dépêche toute son armada contre toi, même toi, tu n'y pourras rien. Je t'en conjure, sois raisonnable et donne-moi ce grimoire.
- Impossible, j'en ai besoin.
- Pourquoi ? Tu connais par coeur chacune des recettes qu'il contient. A quoi peut-il te servir ?
- A laisser une trace de moi. Si je venais à disparaître, ce qui est l'objectif d'Arceus, que restera-t-il de mon travail ? De mon oeuvre ? Tout ce que je sais et tout ce que j'ai fait est là-dedans. Ce grimoire n'est pas seulement une part de moi. C'est moi.

Darkrai soupira. Contrairement à Athéna qui avait la connaissance à portée de main et qui la repoussait par crainte de détenir un jour un savoir trop grand, Circé la vénérait. Elle était convaincue que l'intelligence, plus que la force, était la clé. C'était pour cette raison qu'elle se vouait entièrement à elle.

Il s'accorda quelques secondes de réflexions. Il pouvait comprendre l'attachement qu'elle nourrissait à l'égard de plusieurs décennies de recherche, toutefois il avait également conscience du sort qui serait le sien s'il ne rapportait pas ledit ouvrage à Arceus. Il était sur le point d'insister lorsqu'une idée lui vint.

- Et une copie ?
- Plaît-il ? interrogea Circé, surprise par ses propos soudains.
- Pourquoi ne pas réaliser un second grimoire ? Cela me semble être la solution la plus simple, qui nous conviendrait à tous les deux. Je ne crois pas qu'Arceus ait jamais vu le tien. Non seulement cela te permet de conserver l'original, mais également de supprimer les recettes qui ne doivent absolument pas rentrer en sa possession. Bien sûr, il faudra tout de même que tu en laisses quelques-unes, nuisibles, de façon à ce qu'il ne soupçonne pas la supercherie, mais je pense sincèrement qu'il s'agit de la meilleure chose à faire.

Circé s'accorda quelques minutes afin de réfléchir à cette proposition. Bien que le plan de Darkrai soit sensé, elle ne semblait pas prête à coopérer aussi facilement. Il attendit avec patience qu'elle se décide. Cela en valut la peine, car sa réponse fut positive. Elle imposa cependant une condition :

- Si tu es démasqué, si tu dois quitter définitivement la Cave d'Hadès et la Confrérie Originelle, arrange-toi pour récupérer cette copie. Je doute qu'Arceus et ses sbires, à l'exception d'Athéna, aient une mémoire suffisamment développée pour être en mesure de retenir dans un recoin de leur esprit ce qui sera consigné à l'intérieur.
- Puisqu'il s'agit de ton souhait, je m'y plierai. Combien de temps te faudra-t-il pour confectionner le double ?
- Reviens dans huit jours, il devrait être prêt. Si jamais tu tentes de me tromper d'une quelconque façon, Darkrai, je te jure que...
- As-tu l'intention d'accepter de me faire confiance, un jour ? répliqua le pokémon noirtotal.
- C'est peut-être parce que je me fie à personne d'autre qu'à moi-même que j'arriverai à survivre.

Elle tendit une main franche en direction de son interlocuteur. Bien qu'elle soit noircie par la terre et par la crasse, cela n'empêcha pas celui qui était lié à Satan de la serrer, afin de sceller leur accord.

***
Arceus leva la tête lorsque les portes de sa nouvelle salle du trône s'ouvrirent sur Zeus. Les enjambées du dieu étaient si larges qu'il lui suffit de quelques-unes pour le rejoindre à l'autre extrémité de la caverne. Il tenait un objet sombre entre ses mains avec déférence et peur, ces deux sentiments mêlés.

- Darkrai a réussi ? interrogea l'Alpha.
- Oui, mais il en a payé le prix. Circé n'a pas tenu à se laisser dérober son précieux grimoire aussi facilement. Non seulement elle l'a défendu avec ardeur, mais elle a également réussi à blesser grièvement Darkrai. En plus de cela, il n'est même pas parvenu à la tuer.
- Va-t-il s'en sortir ?

Arceus attachait un faible prix à la vie, même à celle des légendaires. Athéna les jugeait indispensable à l'équilibre, mais ce n'était pas son cas. Il considérait que lui seul avait besoin d'exister. Les autres n'étaient que ses créations, destinés à l'épauler dans sa tâche. Il n'y avait aucune tâche qu'il ne pouvait accomplir lui-même.

Malgré cela, il se souciait du sort du pokémon noirtotal. Bien qu'il ait nourri de légers doutes à l'égard de sa loyauté, il venait de démontrer en combattant Circé et en lui rapportant son bien le plus précieux qu'il était digne de sa confiance. Qui plus est, il était doté d'une grande puissance. Le perdre reviendrait à dire adieu à un allié de poids.

- Ma fille est avec lui en ce moment. Horus continue à apprendre comment exploiter ses pouvoirs et elle considère que s'exercer sur les blessures de Darkrai sera un excellent entraînement pour lui.
- Soupçonne-t-elle quelque chose ?
- Elle m'a jeté un regard désapprobateur, mais elle est visiblement convaincue que l'unique but de ton entreprise est de te procurer une arme nouvelle contre les Renégats. Pourquoi irait-elle s'enquérir de la vérité auprès des Zarbi quand elle croit déjà la connaître ?

Arceus ne releva pas. Il maudissait ces créatures alambiquées depuis le jour où elles étaient apparues autour d'Athéna peu de temps après sa naissance, ce que personne n'avait jamais pu expliquer. Grâce à eux, la déesse pouvait anticiper chacun de ses plans et elle ne s'était pas privée de se servir d'eux pour interférer à chaque. Il craignait que cette fois ne fasse pas exception.

- Ouvre-le et cherche la potion adéquate, ordonna-t-il.
- C'est déjà fait. Hélas, je crains que tu ne sois déçu.
- Pourquoi ? Ne se trouve-t-elle pas à l'intérieur ? Tu m'avais pourtant assuré que Circé consignait absolument tout dans ce maudit livre.
- Et c'est le cas, affirma Zeus. Elle ne te sera d'aucune utilité, cependant. Toutes les plantes dont elle s'est servie pour fabriquer cette potion de métamorphose ne poussent que dans le Monde Inversé. En d'autre terme, tu n'y as aucun accès.

Arceus contint un rugissement sauvage. Il avait fait tout cela pour rien ! La dimension de Giratina étant scellée et son maître enfermé à l'intérieur avec cette traîtresse de Lilith et leur monstrueuse engeance, il ne pouvait mettre la patte sur les ingrédients nécessaires à la confection de la préparation.

- Je suis vraiment navré que tout ne se déroule pas comme tu le souhaitais. Sincèrement. Si je peux faire quelque chose...
- Tu peux, coupa le Créateur. Retourne à la Salle Originelle et rends-toi dans l'Antre de Circé, ou du moins ce qu'il en reste. J'ai souvenance d'étagères entières remplies de potions diverses. Les chances pour que tu y trouves celle que je convoite sont infimes, mais je tiens à explorer toutes les possibilités.

Zeus inclina docilement la tête en direction de son pokémon. Il avait toutes les peines à saisir l'engouement d'Arceus pour cette sinistre mortelle et ne comprenait pas comment il pouvait s'abaisser à l'aimer, cependant il lui avait juré allégeance et fidélité. En dépit de ce qu'il pensait, il exécuterait ses ordres, ainsi que sa volonté.

***
Pandore acheva de recouvrir les pots de confiture qu'elle venait de remplir à ras-bord avec l'une de ses préparations. Elle avait utilisé de la baie fraive et beaucoup de sucre, car c'était ainsi que Joséphine et Antonin l'aimaient. Gourmands, ils étaient en train de racler à l'aide d'une cuillère en bois les parois de la marmite qu'elle avait utilisé.

- Doucement ! s'exclama-t-elle avec un sourire bienveillant. Si vous continuez ainsi, votre estomac sera rempli lorsque le moment sera venu de passer à table !

Elle ne pouvait en vouloir aux deux enfants de faire preuve d'un tel appétit. Pendant si longtemps, ils n'avaient pas mangé à leur faim. À présent qu'ils connaissaient des jours meilleurs, ils rattrapaient le temps perdu.

- Dis, Panny... Quand est-ce que tante Athéna va revenir nous voir ? La dernière fois qu'elle est partie sans prévenir, on ne l'a pas revue pendant plus de deux ans. Où est-ce qu'elle est ?

Pandore posa une main délicate sur la joue de sa soeur, sans lui répondre pour autant. Joséphine n'avait que dix ans et elle faisait preuve d'une curiosité propre à tous les enfants de son âge. Elle s'interrogeait à propos de tout et était rarement satisfaite des explications évasives que son aînée lui fournissait.

Cette question, elle se la posait d'ailleurs elle aussi. Elle savait combien Athéna devait être occupée, et surtout à quelles affaires beaucoup plus importantes elle avait à se consacrer, mais elle lui manquait. Bien qu'elle soit en apparence guère plus âgée qu'elle, Pandore savait qu'elle vivait depuis une centaine d'année. Grâce à cette maturité qui était la sienne, elle n'avait aucune difficulté à la considérer un peu comme une mère.

Quand elle était là, elle se sentait en sécurité. Elle avait l'impression d'être épaulée, rassurée et réconfortée. Athéna trouvait toujours les mots justes pour s'adresser à elle. Même si sa vie n'était plus aussi instable et miséreuse qu'autrefois, elle craignait toujours que cette période faste ne bascule et qu'elle sombre à nouveau dans les ténèbres avec son frère et sa soeur.

- Tu sais, Athéna a une famille, elle aussi, murmura-t-elle au terme d'un long silence. Il est normal qu'elle retourne auprès d'eux.
- Où est-ce qu'elle habite, sa famille ? Tu crois qu'il y a des enfants comme nous, là-bas ?
- Oui, bien sûr. Elle a un jeune filleul qui se nomme Horus.

Pandore savait qu'il ne s'agissait pas d'un garçonnet comme Antonin, car il était né près de deux décennies plus tôt et que les dieux atteignaient leur maturité beaucoup plus vite que les humains, mais quand elle entendait la déesse en parler, elle s'imaginait un enfant. La fille de Zeus employait toujours un ton très maternel à l'égard de celui qu'elle considérait comme son petit protégé ou presque.

- Et des frères et soeurs, elle en a ? insista Joséphine.
- Hum... Non, pas à ma connaissance.

Certains dieux se considéraient comme tels, à l'instar de Zeus, Héra, Hadès et Poséïdon, ou encore Isis, Osiris et Seth, car ils étaient apparus en même temps, mais ils n'avaient aucun lien à proprement parler.

Joséphine ouvrit la bouche pour poser une nouvelle question, mais Pandore fut plus rapide, cette fois-ci. Elle frappa dans ses mains avec enthousiasme afin de l'interrompre dans son interrogatoire, puis s'exclama :

- Et si nous allions tous faire un tour dans les champs de fleurs avant le déjeuner ? Qu'en pensez-vous ? Le soleil brille si fort, aujourd'hui ! Il serait idiot de rester enfermés ici et de ne pas en profiter.

Ses deux cadets approuvèrent avec joie sa proposition et, quelques minutes plus tard, le petit groupe quittait la vieille masure en mauvais état pour se diriger vers le nord de Floraville, où s'étendaient à perte de vue de magnifiques paysages embaumants et multicolores.

- N'allez pas trop loin ! recommanda Pandore, une fois qu'ils eurent atteint les prés envoûtants de la cité. Et faites attention aux Apitrini !

Joséphine et Antonin répondirent distraitement à son conseil. Ils étaient bien trop heureux de courir et de se tapir au milieu de toutes ces fleurs. Ils n'étaient pas les seuls, d'ailleurs, et cette attitude n'était pas le propre des enfants. La ville et ses alentours étaient si longtemps restés stériles que tout le monde tenait à profiter de la végétation.

Les habitants de Floraville bénissaient Arceus le Tout-Puissant pour leur avoir offert cette flore luxuriante et magnifique. Chaque fois qu'elle entendait les prières ou les remerciements que l'un de ses voisins formulaient à son égard, Pandore ne pouvait s'empêcher de sourire. Comment réagiraient-ils tous s'ils savaient qu'elle, une simple humaine, avait rencontré le Créateur mentionné par Giratina, le Grand Dragon Noir ?

Ils n'étaient pas seuls dans ce champ. Quelques personnes s'y trouvaient également. Des enfants jouaient en riant, des femmes cueillaient des fleurs pour égayer leur demeure... Pandore décida de les imiter. Même si l'argent ne manquait pas autant qu'autrefois, elle n'en disposait pas d'assez pour offrir à sa famille un foyer plus convenable. Une note de couleur serait la bienvenue dans cette bâtisse dont elle devrait bientôt se résoudre à faire réparer le toit, avant que celui-ci, totalement pourri, ne s'écroule sur eux.

Au bout de quelques minutes, elle avait déjà constitué un sublime bouquet. Elle s'en serait certainement arrêtée là si, au même instant, elle n'avait pas aperçu un superbe lys blanc, à la haute tige et aux pétales harmonieux. D'une enjambée, elle vint se placer à côté de lui et étendit son bras dans sa direction. Lorsque ses doigts étaient sur le point de se refermer dessus, ils heurtèrent une autre main.

- Oh ! Pardon, je suis désolée ! s'exclama-t-elle précipitamment.

Pandore était une jeune femme extrêmement docile et polie. Elle s'excusait toujours, même quand elle n'avait rien fait de mal ou quand elle n'était pas vraiment en tort, ainsi que c'était le cas en l'occurrence. Elle recula maladroitement, pour observer la personne qui se trouvait en face d'elle.

Il s'agissait d'un jeune homme, qui ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans, et qui possédait un physique loin d'être des plus communs. En effet, sa peau était d'une blancheur extrême, presque aussi claire que la neige. Ses cheveux arboraient une teinte identique, bien qu'ils soient clairsemés de mèches d'un gris relativement sombre.

Quant à ses yeux, qui rehaussaient un nez fin et des lèvres tout aussi délicates, ils étaient certainement la partie la plus surprenante de son anatomie. Ils avaient une nuance étrange, telle que Pandore n'en avait jamais vu jusqu'alors. Ils étaient dorés, avec une prunelle verte qui scintillait au milieu.

Il portait des vêtements immaculés, qui s'accordaient à la perfection avec son apparence, ainsi qu'un pendentif alambiqué. Il représentait un cercle d'or, duquel s'échappait quatre pointes symétriques, toutes serties d'une émeraude.

- Ce serait plutôt à moi de m'excuser, demoiselle, répondit l'inconnu.

Sa voix était grave, profonde, et contrastait avec la pureté de son apparence. Pandore fut déstabilisée par les vibrations qui émanaient de son ton, d'autant qu'elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui adresse la parole.

- Permettez, ajouta-t-il.

D'un coup sec, il tira sur la tige du lys qui se sectionna immédiatement, avant de remettre la fleur à la jeune femme, un peu hagarde. Elle lui adressa un sourire maladroit en guise de remerciements.

- Pourrais-je savoir à quel gentleman j'ai l'honneur ? bredouilla-t-elle timidement, les joues rosies.
- Armand de Ceus, pour vous servir.

L'homme s'inclina avec grâce devant elle et Pandore ne put que s'empourprer davantage. Avec des manières aussi raffinées et un maintien aussi noble, son interlocuteur n'était pas n'importe qui, cela ne faisait aucun doute. Sans doute était-il l'un de ces riches seigneurs qui vivaient à Unionpolis, capitale de la faste à Sinnoh.

- Je suis Pandore Higlehow, se présenta-t-elle, tout en s'efforçant de ne pas paraître trop guindée. Je vis à Floraville depuis ma naissance et je n'ai pas souvenance de vous y avoir déjà croisé. Sans vouloir vous paraître discourtoise, d'où venez-vous ?
- De la région Hoenn. D'une ville que l'on nomme Atalanopolis, plus précisément.

Autrefois, ce nom n'aurait rien évoqué à Pandore, mais elle avait étudié la géographie avec Athéna, ainsi que de nombreux autres savoirs. Pour la déesse, la connaissance était un atout précieux qu'il ne fallait jamais négliger. En plus d'être une amie précieuse, elle était également un professeur d'exception. L'humaine avait appris quantité de choses grâce à elle.

- Vous êtes bien loin de chez vous, sieur de Ceus.
- Certes, pourtant j'ai le sentiment de me sentir déjà chez moi, ici.

Armand de Ceus lui adressa un sourire éclatant auquel elle hésita à répondre. Elle avait peur de paraître trop familière en présence de cet homme qu'elle connaissait à peine. Qui plus est, elle n'avait pas de chaperon, pourtant elle n'éprouvait aucun malaise à discuter avec cet inconnu.

- Vous...

Son interlocuteur s'apprêtait à reprendre la parole, mais il n'en eut pas l'occasion. Joséphine et Antonin couraient vers eux en appelant leur soeur à grands cris. Ils désiraient rentrer le plus tôt possible, à présent qu'ils s'étaient bien amusés, car leur estomac commençait à protester de faim.

- Panny ! On veut retourner à la maison ! s'exclamèrent les enfants en tiraillant le bas de sa robe.
- Je vous prie de m'excuser, sieur de Ceus. Je vous présente mon frère Antonin, et ma soeur Joséphine. Ils sont un peu... fougueux.
- Enchanté.

Le sourire de son interlocuteur semblait s'être crispé, mais Pandore songea qu'il ne s'agissait que d'une impression. Elle plaça une main délicate sur la tête de sa cadette, ses doigts glissés entre ses cheveux marrons, et enserra de son autre bas l'épaule du garçonnet.

- Mon devoir de maîtresse de maison m'appelle, je le crains fort. J'ai été vraiment ravie de vous rencontrer, sieur de Ceus. Si vous restez à Floraville, nous aurons peut-être l'occasion de nous revoir.
- Rien ne m'enchanterait davantage. Mes hommages, demoiselle.

L'homme étrange s'inclina dans sa direction et Pandore l'imita. Elle intima ensuite à ses cadets de se montrer poli en le saluant également, ce qu'ils firent en lui adressant tous deux un geste joyeux de la main, avant de tourner les talons à la suite de leur aînée.

Resté seul au milieu du champ, Arceus fulminait. A cause de ces deux simulacres d'humains, sa "rencontre" avec sa belle avait été écourtée. Il savait pourtant que ses transformations seraient limitées. Zeus avait réussi à mettre la main sur une fiole de potion de métamorphose, dans les ruines de l'Antre de Circé, mais ce serait la seule et unique qu'il pourrait se procurer.

Il devait s'attirer les faveurs de Pandore dans le peu de temps qui lui serait consacrer. Il était persuadé que, si elle apprenait à l'aimer sous une forme semblable à la sienne, elle l'accepterait ensuite tel qu'il était réellement, c'est-à-dire un pokémon. Après tout, lui-même nourrissait bien une inclination intense à son égard en dépit de l'espèce haïssable à laquelle elle appartenait.

***
Athéna se sentit infiniment seule au moment de regagner son antre. Prométhée, qui avait appris de la bouche de Crios sa présence forcée à la Cave d'Hadès, était venu passer quelques jours avec elle, afin de lui apporter un réconfort que lui seul était en mesure de lui offrir.

Comme tout le monde, il s'était étonné qu'Arceus ait choisi de la retenir plus ou moins captive en ce lieu. De tous les légendaires, à l'exception de Zeus, Athéna était celle qui jouissait de la plus grande liberté, parce qu'elle avait la chance de bénéficier de la confiance absolue de l'Alpha. Visiblement, ce n'était plus le cas.

Prométhée avait tenté de l'interroger à ce sujet, toutefois elle était pratiquement restée muette. Elle avait simplement évoqué une querelle au cours de laquelle elle se serait opposée à l'opinion du Créateur, suite à quoi il aurait décidé de lui interdire de retourner dans le monde des humains, en punition.

Cette réponse avait paru convenir au dieu, qui était le mieux placé pour savoir à quel point Arceus désapprouvait de les voir, Crios, lui, et désormais Athéna, se mêler à l'espèce dont Lilith était l'instigatrice. Il n'avait sans doute pas apprécié que la fille de son légendaire se mette à fréquenter ceux qu'ils considéraient comme des moins que rien.

A présent, Prométhée était reparti. Il avait non seulement quitté la Cave, mais également Hoenn. La fille de Zeus ne savait que trop bien vers quelle destination il était en route. Johto, comme toujours. Le temps qu'il ne passait pas avec elle, ou avec les mortels, il le consacrait à Volupté. Elle n'était pas jalouse. Avec le temps, elles avaient appris l'une comme l'autre à se partager son affection.

Athéna décida de s'installer à sa table de travail. A ses heures perdues, elle écrivait. Cela ne lui était d'aucune utilité, mais elle appréciait cette activité. Elle consignait sur des feuilles de papier, à l'encre noir, les connaissances qu'elle possédait. Lorsqu'il lui serait permis de retourner voir Pandore, elle lui ferait sûrement présent de ces ouvrages, ou elle les disséminerait dans le monde d'en-bas, afin de parfaire le savoir des mortels.

Elle se pencha sur un morceau de parchemin, qu'elle étudia avec scepticisme. Il ne portait qu'une brève inscription, inscrite en vers. Lorsque la déesse écrivait, elle s'exprimait plus ou moins de façon aussi vague que ses Zarbi. Elle ne le remarquait cependant jamais autrement qu'au moment de se relire.

Valant mille et un dangers,
Elle apparut en ce début d'éternité
Jaillie des entrailles de l'océan déchaîné
Illuminée par la lune argentée
Elle était celle qui possédait
Le pouvoir de les faire tous trembler
Même la plus brave des divinités
Par son courroux incontrôlé


Ce poème faisait référence à Némésis, or Arceus avait expressément dépêché Héra dans le monde des mortels afin de faire disparaître toute mention de la Justice. Athéna ne tenait d'ailleurs pas à savoir quel moyen peu louable elle avait employé pour effacer son nom des esprits auxquels Giratina l'avaient transmis.

Elle se demandait ce qu'il convenait d'en faire. Sa culpabilité à l'encontre de celle qu'elle considérait comme la déesse suprême ne cessait de s'accroître au fil du temps. Elle s'en voulait infiniment de l'avoir enfermée au Temple Sinjoh, d'où il était désormais exclu pour quiconque, y compris elle-même, de la libérer, sous peine de subir son immense courroux et un châtiment susceptible de durer au moins plusieurs siècles suite à leur trahison.

Malgré cela, elle ne voulait pas qu'elle sombre dans l'oubli. Némésis était la plus grande de tous. Elle ne méritait pas cela. Sa défaite était imméritée, Athéna le savait. Sans son intervention, elle aurait continué à régner longtemps sur les légendaires, y compris sur Arceus lui-même. Elle ne pouvait accepter qu'elle soit reléguée à un souvenir que l'Alpha s'efforcerait de supprimer de toutes les mémoires, et son nom de toutes les lèvres.

Même s'il ne devait s'agir que de ce modeste texte, la fille de Zeus tenait à ce qu'il demeure une trace d'elle, quoi que le Créateur puisse en dire. Elle devait au moins cela à la Justice. C'était la moindre des choses, après le sort regrettable qu'elle lui avait infligé.

Athéna ferma les paupières. Elle avait beau tenter de chasser cette terrible nuit de son esprit, les légendaires étaient destinés à ne jamais oublier. Leur cerveau possédait une capacité infinie qui, en l'occurrence, s'avérait être une malédiction. Elle était condamnée à revoir éternellement, et avec autant de précision que si elle s'y trouvait encore, le combat qui avait fait rage entre Némésis et elle.

Le pire, toutefois, n'était pas tant son affrontement avec la déesse. Il s'agissait surtout de son désespoir, de la haine farouche qu'elle avait éprouvée envers elle-même lorsqu'elle s'était retrouvée face à une étendue aqueuse, à l'endroit exact où aurait dû se trouver l'Atlantide. Pas un jour ne s'écoulait sans qu'elle ne songe à toutes ces malheureuses victimes dont elle avait causé le trépas par inadvertance.

Dans ces instants, elle aurait souhaité être humaine et mortelle. Humaine pour pouvoir pleurer, afin que chacune de ses larmes soit un hommage à tous ces pauvres gens engloutis par les flots. Mortelle pour qu'un jour, la mort puisse la délivrer du poids de sa conscience. Hélas, elle était une légendaire. Elle devrait vivre avec cela pour l'éternité.

Athéna aurait tant voulu être aux côtés de Pandore. La jeune femme avait le pouvoir, par sa simple présence, de lui changer les idées. Quant à Antonin et Joséphine, aussi adorables l'un que l'autre, il parvenait à faire naître sur son visage des sourires dénués de tout regret, alors qu'elle ne faisait que les ressasser, captive à la Cave d'Hadès.

Elle se demandait si Arceus avait l'intention de la retenir ici jusqu'à la fin de la vie de Pandore. Il en était capable, sans aucun doute. Que représentait une quarantaine d'années dans la vie d'un être immortel ? Cette pensée l'attrista encore davantage. Elle éprouvait de la peine à l'idée qu'elle ne reverrait peut-être jamais son amie si chère à son coeur.

- Zarbi ! appela-t-elle en frappant dans ses mains.

Ses créatures se matérialisèrent autour d'elle en tournoyant. Elle les utilisait beaucoup depuis qu'elle était recluse dans la Cave d'Hadès, nettement plus que lorsqu'elle vivait encore à la Salle Originelle.

Elle les utilisait essentiellement pour les interroger au sujet des glyphes, comme celui que portait Lilith. Il restait encore de nombreuses zones d'ombre autour d'eux, qu'elle ne parvenait pas à éclaircir, or ses pokémon alphabétiques semblaient n'avoir pratiquement plus rien à lui révéler à leur sujet qu'ils ne lui aient déjà transmis.

Lorsqu'elle utilisait les Zarbi pour obtenir un savoir qu'elle ne possédait pas, ils devaient puiser dans leur énergie afin de lui fournir une réponse à ses questions, après quoi il leur était nécessaire d'observer un long temps de repos. Quand elle se servait d'eux pour scruter le présent, cela les épuisait moins et lui permettait ainsi de le faire régulièrement.

Le plus souvent, elle s'assurait qu'aucune menace ne planait au-dessus des Renégats. Bien sûr, elle avait donné l'ordre à ses pokémon alphabétiques de l'avertir si l'un d'eux était en danger de mort, afin qu'elle puisse s'arranger pour leur sauver la vie d'une façon ou d'une autre, mais cela ne l'empêchait pas de les observer de temps en temps.

Ce jour-là, cependant, ce n'était pas eux qu'elle désirait voir, mais Pandore. Arceus l'aimait, certes, mais elle était sans nul doute tout autant attachée à elle que lui. C'était pour cette raison que demeurer loin d'elle, alors qu'elle n'avait même pas pris le temps de lui faire de vrais adieux, convaincue qu'il s'agissait d'un simple "au revoir", l'attristait profondément.

- Zarbi, montrez-la-moi, s'il vous plaît. Montrez-moi ma très précieuse amie.

***
Pandore s'était attendue à revoir Armand de Ceus à Floraville, mais certainement pas à ce qu'il vienne de lui-même frapper à sa porte, ce qu'il avait pourtant fait quelques jours après leur rencontre. Apparemment, il avait apprécié la conversation pourtant brèves qu'ils avaient eu dans le champ de fleurs et il avait tenu à la revoir.

La jeune femme, quoique surprise, avait été flattée par cette attention, raison pour laquelle elle avait accepté de l'accompagner pour une promenade, après avoir fait promettre à Antonin et à Joséphine de demeurer sage en son absence. Si l'absence de chaperon la mettait mal à l'aise, l'homme se comportait avec la plus parfaite galanterie.

C'était du moins l'apparence qu'Arceus donnait car, prisonnier de ce corps d'humain, il bouillonnait. Il était avant tout un pokémon et, de ce fait, possédait l'instinct bestial propre à son espèce. S'il ne luttait pas contre les pulsions qui le dévoraient intérieurement, il se serait certainement arrangé pour attirer Pandore dans une ruelle déserte, à l'écart de ses semblables, et la prendre sur le champ.

Il avait ressenti beaucoup d'émotions puissantes jusqu'à présent : la colère, la haine, la jalousie... C'était néanmoins la première fois qu'il était victime d'un tel désir et il se demandait combien de temps encore il pourrait contenir celui-ci. Qui plus est, il escomptait bien l'assouvir tant qu'il lui resterait quelques gouttes de la potion de métamorphose de Circé. Lorsqu'il n'en aurait plus à sa disposition, il serait condamné à rester éternellement un pokémon et le corps de son aimée lui demeurerait alors inaccessible.

Malgré son ardeur pressante, il devait observer la règle de la patience, même si elle le rendait fou de rage. Il s'était accordé quelques jours après avoir rencontré Pandore afin d'étudier ses semblables. Il avait vu quelques hommes agir auprès des femmes. Ils les courtisaient à l'aide de compliments et de cadeaux, en échange de quoi elles consentaient dans la plupart des cas à leur accorder leur faveur.

Arceus voulait à tout prix obtenir celle de la jeune femme, et surtout ne pas la perdre, même une fois qu'il lui aurait révélé sa véritable identité. C'était pour cette raison qu'il ne devait pas brusquer les choses. Il fallait qu'elle en vienne à l'aimer autant que la réciproque était vraie, sans quoi son plan ne fonctionnerait pas.

- Il fait un peu frisquet, ce soir, commenta Pandore alors qu'ils flânaient le long de la grand-rue de Floraville. Je regrette de ne pas avoir pris un châle plus épais avec moi.
- Me trouveriez-vous cavalier si je passais un bras autour de vos épaules dans le but de vous réchauffer ? s'enquit Arceus, sous sa forme humaine.
- Probablement. D'un autre côté, si ça peut m'éviter de grelotter, alors je m'en satisferai avec joie.

Ravi de bénéficier de son accord, il vint nicher son coude dans le creux de son dos et sa main sur son omoplate. Ses gestes étaient encore un peu maladroit par moments, car il avait du mal à s'habituer à cette étrange anatomie qui était la sienne sous cette forme. En l'occurrence, il parvint à maîtriser à la perfection son mouvement, à son grand soulagement.

Une certaine tiédeur émanait de son corps, ce qui réchauffa celui de Pandore duquel il s'était rapproché, profitant de l'occasion. Elle parut tout de suite se sentir mieux, car son charmant sourire, qui semblait toujours soumis à une pointe de réserve due à sa timidité, éclaira son visage.

- Vous allez sans doute me prendre une personne dénuée de toute sa raison, sieur de Ceus, mais j'éprouve un sentiment étrange à votre encontre. Comme si je vous connaissais déjà.
- Vraiment ? s'enquit Arceus en se raidissant légèrement, ce que, par chance, elle ne remarqua pas. Qu'est-ce qui vous pousse à croire cela ?
- Je l'ignore. Vos yeux, sans doute. Ils me sont familiers, comme si j'avais eu l'occasion de croiser votre regard par le passé, bien que je sois quasiment certaine que ce ne soit pas le cas. Vous n'êtes pas un homme commun. J'imagine que je me souviendrais de vous si je vous avez rencontré avant.

Instinctivement, le Créateur cligna des paupières à deux reprises. Il avait pu constater qu'effectivement, ses prunelles différenciaient énormément de celles de ces humains lambdas auxquels il tentait avec plus ou moins de peine de se mêler. Il essaya de rebondir sur la conversation :

- En effet. Si cela peut vous apporter un quelconque réconfort, j'ai moi aussi le sentiment que je vous connais depuis bien plus longtemps que ce qu'il n'y paraît. Votre sympathie et votre amabilité sont sans doute responsables de cela.
- Hum... Pour être honnête, je pense surtout que vous m'évoquez une personne de mon entourage.

Les sourcils d'Arceus se froncèrent. Il devait absolument contenir son tempérament colérique, au risque de tout gâcher avec Pandore, mais à peine eut-elle prononcé ces mots qu'il se sentait déjà furieux. Osait-elle vraiment le comparer lui, l'Alpha, avec quelqu'un d'autre ? Il était unique, il était l'être suprême. Même venant d'elle, il aurait sans nul doute toutes les peines du monde à accepter un tel affront.

- Pourrais-je savoir qui, si cette question ne vous est pas trop indiscrète ?

Il l'avait interrogée en grinçant des dents malgré lui. Était-il possible qu'elle ait un homme dans sa vie et qu'il ne soit pas au courant ? Il l'avait observée longuement, à la Salle Originelle, mais il avait dû cesser de le faire lorsque Némésis était devenue une trop grande menace, afin de mieux réfléchir au plan destiné à l'éliminer. Quant à la Cave d'Hadès, elle n'offrait aucune fenêtre sur le monde des mortels.

Athéna le lui aurait sûrement dit si tel avait été le cas. Ce fut du moins ce qu'il songea l'espace d'un instant, avant de supposer le contraire. Elle connaissait son tempérament, ainsi que la rage et la jalousie qui était la sienne. Elle se serait tue, afin de protéger le malheureux -ou le maudit- homme qui se serait approché trop près de Pandore.

- Une femme dont j'ai eu la chance inouïe de croiser la route, répondit-elle après une brève hésitation. Elle est de noble naissance et, à la vue de vos manières, de votre maintien et de votre allure, j'imagine que c'est votre cas aussi. Vous avez la même façon élégante de vous exprimer, et on perçoit une once de grandeur dans le timbre de votre voix. Si vous saviez à quel point cette personne est chère à mon coeur et le respect que j'éprouve à son égard est grand, vous ne douteriez pas qu'il s'agit d'un compliment.

Le visage humain d'Arceus se détendit. Il eut même un sourire amusé suite aux explications qu'elle venait de lui donner. Cette délicieuse jeune femme était certainement plus proche de la vérité qu'elle ne le soupçonnait, puisqu'elle venait de le comparer à Athéna. Puisqu'ils étaient tous deux des légendaires, quoique pokémon et humain, ils avaient forcément des points communs.

Il se rembrunit toutefois lorsque la raison pour laquelle il avait épargné Pandore, lorsque Zeus l'avait jetée à ses pieds, lui revint en mémoire. Ce n'était pas pour les sentiments qu'elle lui inspirait, car il ne les éprouvait pas encore à ce moment-là, mais plutôt pour ce qu'elle lui rappelait. Dans un murmure, il choisit de se confesser :

- Vous aussi, vous m'évoquez quelqu'un. Une... Une jeune femme.
- Que vous aimiez ? interrogea Pandore. Oh, excusez-moi, c'était déplacé. Je n'aurais pas dû...
- Ne vous inquiétez pas, votre curiosité est légitime. Aimer est un mot très fort, un peu trop pour exprimer ce que je ressentais pour elle, mais... Oui, elle comptait énormément à mes yeux. Elle vous ressemblait beaucoup, à l'époque où je l'ai cr... rencontrée. Elle était timide, réservée, polie et douce. Cela n'a duré qu'un temps, hélas.
- Que s'est-il passé ?
- Elle a choisi d'offrir son coeur à la mauvaise personne et, de ce fait, elle m'a trahi. Je n'ai jamais pu lui pardonner.
- Je suis désolée. Je n'ose imaginer à quel point ça a dû être douloureux pour vous.
- Cela l'a été, en effet, mais je suis surtout rentré dans une colère noire. Pendant longtemps, j'ai cru que je ne parviendrais plus à éprouver autre chose que de la haine.
- Et ? Ce n'est plus le cas, désormais ?
- Non. Plus depuis que j'ai posé mes yeux sur vous. Votre sourire, votre candeur... Tout en vous fait qu'il est impossible d'éprouver le moindre sentiment négatif à votre encontre.
- Je...

Pandore ne sut que répondre à ces paroles. Elle était quelque peu déstabilisée par la tournure que prenait la conversation et cela la mettait mal à l'aise. Elle connaissait à peine Armand de Ceus, ce n'était que la deuxième fois qu'elle le voyait, or il osait déjà tenir des propos aussi familiers. Il était visiblement d'une nature très entreprenante. N'allait-elle pas donner l'impression de l'être tout autant si elle l'encourageait ?

- Dites-moi, mademoiselle Higlehow... Avez-vous déjà été amoureuse ?
- Non, avoua-t-elle, heureuse qu'il relance de lui-même la discussion au lieu de laisser s'installer un silence pesant. J'ai été victime des avances d'un homme, dont l'épouse m'avait employée pour tenir sa maison, quelques années plus tôt, mais j'ai toujours réussi à les repousser. Je me méfie de l'autre sexe. Mon père était le seul qui ne m'effrayait pas, cependant je ne l'ai pas revu depuis si longtemps... Je me dis qu'il est sûrement mort, désormais. Mort comme nous l'aurions également été si, dans sa grande miséricorde, Arceus n'avait pas décidé de rendre cette terre fertile.
- Arceus ? répéta l'intéressé en dissimulant son ébauche de sourire. Vous parlez de celui qui, d'après les dires du Grand Dragon Noir, aurait créé le monde ?
- En effet. Je crois que ces légendes sont réelles. Qu'il existe quelque part des créatures, des êtres légendaires, capables de rendre la Terre prospère et agréable. Que Floraville, qui n'était récemment encore qu'une lande desséchée, est leur oeuvre.

Le regard de l'Alpha se mit à scintiller de satisfaction. En cet instant, il regrettait moins que jamais d'avoir donné l'ordre à la Confrérie de reprendre son rôle dans le monde d'en-bas. Cela rendait Pandore heureuse, et surtout reconnaissante à son égard, même si elle ignorait encore qui il était. Cela jouerait en sa faveur le moment venu.

La jeune femme leva les yeux en direction du ciel, où les étoiles commençaient à poindre, à présent que le soleil avait disparu derrière l'horizon. Elle poussa une petite exclamation de surprise en constatant qu'il était déjà si tard. Elle n'avait pas prévu de s'absenter aussi longuement de chez elle, où elle avait laissé Joséphine sous la seule surveillance d'Antonin, alors que celui-ci était âgé d'à peine quatorze ans.

- Je suis vraiment navrée, mais il va falloir que je rentre chez moi. Mon frère et ma soeur sont sûrement en train de s'inquiéter. D'ordinaire, je ne sors jamais après la tombée de la nuit, sauf lorsqu'il est question de travail.
- Bien sûr, je comprends.

En réalité, Arceus se sentait vexé qu'elle l'évince pour la compagnie de deux moitiés d'humains, mais il s'efforça de ne rien laisser paraître. Il lui proposa de l'escorter jusqu'à sa masure, ce qu'elle accepta. Tandis qu'ils cheminaient côte à côte, il en profita pour la contempler en silence.

Ainsi qu'il le lui avait confié, au début, elle lui avait évoqué Lilith. Après de nombreux mois passés à l'observer depuis la Salle Originelle et à présent qu'il la côtoyait, il s'apercevait à quelle point elle était différente de la Première.

Plus sa création s'était éloignée de lui et plus elle était devenue cruelle, égoïste. Elle n'avait pas hésité à mettre le temple des légendaires à feu et à sang afin d'obtenir la réparation de ce qu'elle interprétait comme une injustice, alors que c'était tout le contraire. Pandore, elle, n'agirait jamais ainsi, il en était convaincu.

Elle n'était pas dénuée de courage, mais elle n'avait pas la témérité, et encore moins l'impétuosité de Lilith qui l'avait amenée à s'opposer à lui sur tous les fronts. Quand il la voyait ainsi, si douce, si dévouée à sa famille, il en arrivait presque à oublier qu'elle aurait certainement ouvert la boîte de Cronos si Athéna n'était pas intervenue à temps.

Son acte était pourtant une trahison, alors pourquoi n'arrivait-il pas à lui en vouloir autant qu'à Lilith ? Il n'oubliait pas ce qu'elle avait fait, mais cela ne lui avait pas empêché de tirer un trait dessus. Considérait-il son agissement comme moindre à côté de celui de la Première, alors que ses répercussions auraient pu conduire l'univers entier à sa perte ? Était-ce parce qu'elle n'avait pas offert son coeur à quelqu'un qu'il considérait presque comme un frère ? Sans nul doute.

- Merci de m'avoir raccompagnée jusque chez moi, déclara Pandore tandis qu'ils s'immobilisaient devant sa porte d'entrée.
- Tout le plaisir est pour moi. J'espère avoir l'occasion de vous revoir bientôt.

Arceus s'inclina élégamment devant elle. Il avait travaillé ce mouvement à de nombreuses reprises, afin de le perfectionner dans ce corps humain, si bien qu'il parvenait à le doter de la même grâce altière qu'il possédait sous sa véritable apparence. Il allait s'éloigner, même si c'était à contrecoeur, lorsque Pandore l'interpela, la main sur la poignée.

- Sieur de Ceus ? Je ne suis pas montrée tout à fait franche avec vous, tout à l'heure. Mon amie si chère à mon coeur ne serait pas très fière de moi, si elle était là. Elle chérit la vérité et l'honnêteté par-dessus tout.
- Qu'avez-vous donc omis de me dire, mademoiselle Higlehow ?
- Quand vous m'avez demandée si j'avais déjà été amoureuse. Je crois que c'est le cas, en cet instant, mais je craignais de vous l'avouez. J'ignore pourquoi, mais je me sens bien lorsque je suis avec vous. En sécurité, comme si le monde pouvait s'écrouler autour de moi sans que je ne sois menacée. Je sais que nous nous connaissons à peine, mais...

Pandore n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Arceus venait de l'empoigner par la taille, la soulevant à demi de terre, afin de plaquer ses lèvres contre les siennes et de goûter enfin au baiser dont il rêvait depuis si longtemps. La bouche de la jeune femme était maladroite, à l'instar de la sienne. L'inexpérience de l'humaine l'empêcha de soupçonner quoi que ce soit à son encontre.

Elle avait une saveur délicieuse, à tel point que le Créateur ferma les yeux pour s'en imprégner de la façon la plus totale qu'il soit. Il avait l'impression de sentir ce corps qui n'était pas vraiment le sien s'embraser au contact de sa belle, comme si des flammes étaient en train de le consumer entièrement.

L'esprit embrumé par son étreinte avec Pandore, il mit près d'une minute à comprendre ce que cela signifiait. Ce n'était pas du tout son transport qui provoquait cette vive réaction chez lui. C'était simplement le signal de la potion de métamorphose, destiné à l'alerter de la fin proche de ses effets.

Il dut se résoudre, à contrecoeur, à s'arracher au bras de la mortelle qui étaient venus enlacer son buste. Il se recula de quelques centimètres de son visage, pour constater que ses joues s'étaient empourprées et que son souffle avait accéléré. Son regard scintillait, lui conférant plus de charme qu'elle n'en possédait déjà.

- Je vous prie de m'excuser si mon geste vous a offensée d'une quelconque manière, toutefois l'aveu de votre transport m'a temporairement fait perdre toute notion de bienséance, avoua-t-il.

Pandore voulut répondre, mais elle était encore désemparée par ce qui venait de se produire. Elle hésitait entre courir s'enfermer à l'intérieur de chez elle, en se maudissant durant les jours à venir pour ce qui venait de se passer, ou demeurer là, à effleurer ses lèvres brûlantes du bout des doigts, ainsi qu'elle était en train de le faire.

- Mes hommages, mademoiselle Higlehow.
- Je... Je...

Ce fut les seuls mots que sa bouche encore enivrée par le baiser qu'elle venait de recevoir parvint à prononcer. Le temps pour elle de recouvrer pleinement sa conscience, Arceus s'était déjà éloigné, jusqu'à se laisser engloutir par les ténèbres.

***
Dans son antre, à la Cave d'Hadès, Athéna avait violemment repoussé sa chaise pour se laisser tomber à genoux sur le sol en pierre. Les yeux ronds et la bouche entrouverte, elle continuait de fixer la scène qu'elle avait sous les yeux, et qui se troublait au fur et à mesure que les Zarbi cessaient de lui insuffler leur magie.

- Non, non, non... bredouilla-t-elle, hagarde. Non !

Elle avait hurlé si fort le dernier mot, en se redressant d'un mouvement sec, que ses pokémon avaient pris peur et s'étaient dispersés en désordre autour d'elle. La déesse se mit à trembler de colère, tandis qu'une vive émotion s'emparait d'elle.

Elle devait se concentrer si elle voulait la contrôler, de façon à ce que ses pouvoirs n'en profitent pas pour se libérer des tréfonds de son âme où elle les maintenait captif, mais elle n'y parvenait pas. Elle était incapable de songer à autre chose qu'au drame auquel elle venait d'assister.

- Arceus... murmura-t-elle dans un souffle. Qu'as-tu fait ?