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Informations

» Auteur : DoctorVD - Voir le profil
» Créé le 20/05/2016 à 21:17
» Dernière mise à jour le 20/06/2016 à 09:43

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Science fiction   Suspense

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2011-1 : Les morts ne sont pas vivants
"Il ne faut que dix secondes pour écraser les ambitions d'un homme."
- Frank Underwood, House of Cards -


Avril 2011, Céladopole, Kanto.

La jeune femme aux longs cheveux noirs encadrant son beau visage ferma la porte de la chambre derrière elle, et soupira, fatiguée. Voilà bientôt une semaine qu'elle ne dormait presque plus, et son travail lui semblait de plus en plus pénible à mesure que les jours défilaient sur le calendrier. Alors qu'elle se dirigeait vers la machine à café, le sanctuaire du bout du couloir, une collègue l'aborda.

"Rebecca, où tu étais ? Il faut que tu signes ce...
— Désolée, désolée. Le patient dont je m'occupais vient de mourir, je n'ai pas trop la tête à discuter paperasse aujourd'hui, Lisa. Reviens me parler dans une heure, j'suis désolée, répondit celle aux cheveux noirs, lasse.
— Bon. Remets-toi bien."

L'infirmière en chef de l'hôpital hocha la tête et se dirigea à l'étage réservé au personnel. Un espace vaste, mais que les couloirs et le carrelage, blancs, ne rendaient pas très accueillant. Le pire étant probablement la présence de néons au plafond, qui crépitaient parfois dans des sons désagréables, et qui pouvaient même s'éteindre complètement. On remplaçait au moins deux ou trois sources lumineuses par mois à cet étage. C'était compréhensible, dans un sens. Le bâtiment était vieux, très vieux. On racontait à qui voulait l'entendre qu'il datait du début du dix-neuvième siècle et qu'il s'était mal adapté au passage à l'ère de l'électricité. Rebecca, elle, avait plutôt tendance à penser que le directeur de l'hôpital ne souhaitait pas dilapider les fonds de son établissements dans des futilités pareilles. Il prônait davantage le confort des patients, tant et si bien qu'il en venait à négliger celui des employés, qui passaient le plus clair de leur temps à éviter leur étage comme la peste.

La jeune femme croisa deux, trois collègues à qui elle aurait volontiers parlé un moment en temps normal, mais elle se contenta de leur faire un signe de main poli et de leur adresser un sourire forcé. On ne la questionna pas sur son humeur inhabituelle. Quand Rebecca Vosch, infirmière en chef de l'hôpital principal de Céladopole, n'allait pas bien, on la laissait tranquille. Elle n'appréciait pas vraiment la sollicitude ou la pitié des autres, et avait du mal à discerner ces choses-là des sentiments de compassion sincères. La faute à son travail harassant, aussi, qui la fatiguait plus que de raison. Parfois, elle avait l'impression que si on la faisait écarteler par quatre Galopa déchaînés, elle souffrirait moins que de ses éternelles courbatures du vendredi. Des courbatures à vingt-cinq ans. Elle-même trouvait ça risible.

L'infirmière traversa les divers couloirs aseptisés et rendus presque glauques à cause de ces fichus néons crépitants qu'elle aurait volontiers arraché du plafond tant cela l'agaçait, d'un pas lourd, faisant claquer ses chaussures blanches réglementaires contre le carrelage qui aurait bien besoin d'un coup de détergent. Elle lorgna quelques secondes par la vitre du bureau du directeur. Cet homme abject. Il était là, assis dans son fauteuil de cuir. Etrangement, bien qu'il ne considérât pas le confort de ses employés comme une cause importante, il disposait d'une pièce plutôt luxueuse. Son crâne dégarni luisait à la lueur des néons, et il avait pour habitude de triturer son épaisse moustache blonde ainsi que son monocle ridicule. Ridicule, c'était le bon mot. Tout en ce personnage respirait la bouffonerie et l'absurde. Elle lui aurait volontiers donné une bonne paire de claques sur ses joues grassouillettes, mais rien que de regarder son excentrique costume jaune fluo, elle préférait se tenir éloignée, histoire de ne pas risquer une conjonctivite malencontreuse. Tomber malade dans un hôpital serait tout de même le comble de l'ironie, et à cause d'un individu pareil, de surcroît...

Après avoir joliment exprimé son dégoût par une grimace que le directeur ne vit pas, trop occupé à observer son auguste reflet dans le gigantesque miroir installé juste devant son bureau, Rebecca pressa le pas en direction de sa propre pièce personnelle... qui n'avait absolument rien à voir avec celle qu'occupait ce singulier bonhomme. Contrairement au bureau du directeur de l'hôpital, celui de l'infirmière en chef était plutôt petit et très sobrement aménagé. Elle n'y laissait quasiment aucun objet personnel, sinon une peluche à l'effigie d'Arcko, son Pokémon favori et le seul qu'elle possédait. Cette créature de tissu et de mousse faisait un peu figure de porte-bonheur à ses yeux, et elle y tenait énormément.

Elle poussa la porte vitrée de la pièce et la referma derrière elle, jetant un regard bienveillant à l'objet vert pelucheux posé sur un coin de son bureau en bois brun. Il n'y avait pas grand chose dans cette modeste pièce, sinon une table de travail sur laquelle s'amoncelaient des paperasses, une chaise à roulettes, et un petit réfrigérateur où elle pouvait stocker une semaine de paniers-repas. Il y avait également une porte menant à l'arrière-salle, où elle entreposait des médicaments et du bric-à-brac quelconque. Au moment où elle allait s'asseoir pour prendre une pause bien méritée, elle entendit du bruit dans l'arrière-salle.

"A croire que le monde entier veut m'empêcher de me reposer... songea-t-elle, amère. C'est sûrement une de ces piles de médicaments qui s'est encore effondrée."

L'infirmière en chef choisit d'aller vérifier ce qu'il en était avant de se laisser tomber dans sa chaise à roulettes. Tranquillement, repoussant une de ses longues mèches noires en arrière, elle marcha jusqu'à la porte de bois et en tourna la poignée. Bizarre, ça. Habituellement, elle fermait à clé. Elle avait dû oublier. Rebecca passa la porte, tâtonna pour trouver l'interrupteur, mais sa main entra en contact avec ce qui lui sembla être de la matière textile. Quelqu'un se trouvait dans sa remise, et elle n'appréciait pas du tout les intrusions par effraction. Ses doigts trouvèrent enfin l'interrupteur, et une lumière désagréable emplit la petite pièce où divers cartons étaient entassés. Elle manqua de trébucher en voyant un homme couvert de sang, et s'étala dans des cartons.

"Q-q-q-qui êtes-vous ?!" s'écria-t-elle, paniquée.

L'homme se contenta de la regarder. Elle le regarda aussi. Assez grand, plutôt jeune. Il ne devait pas avoir plus de trente ans, à priori. Ses yeux lui semblaient étrangement clairs. Elle n'en avait jamais vus de si pâles. D'un bleu peu prononcé, ils la dévisageaient avec une curiosité d'enfant. Ses cheveux d'une couleur indéfinissable, mélange de brun et de roux, et son style vestimentaire le faisaient ressembler à l'homme typique des années cinquante ou soixante. Chemise blanche, cravate à pince, pantalon de costume et chaussures de ville cirées. Chemise blanche et pantalon troués d'impacts de balle et tâchés de sang. En observant, du coin de l'œil, le petit lavabo dans un coin de la remise, elle vit ce qui semblait être un vêtement blanc, roulé en boule et couvert de taches rouges. L'infirmière en chef tressaillit.

"Qui êtes-vous ? répéta-t-elle, plus sereine.
— Moi ?
— Vous voyez quelqu'un d'autre dans cette pièce ? C'est bien à vous que je parle."

L'individu esquissa un sourire poli, et elle s'aperçut qu'il était plutôt séduisant. Il semblait vouloir prendre tout son temps, puisqu'il prit place sur un carton plein solidement maintenu fermé par du scotch brun, et sortit de sa poche un briquet ainsi qu'un paquet de cigarettes, dont il en tira une pour l'allumer. Rebecca grimaça.

"Vous n'aimez pas cette odeur de fumée ? Je peux comprendre.
— Au contraire, j'y suis habituée, mais depuis qu'un patient m'a dit que mon haleine sentait la mort, j'évite autant que possible d'en consommer. Sérieusement, répondez à ma question. Et à toutes les autres que je poserai après, si possible.
— A votre guise, mais je crois que vous ne me croirez pas."

La jeune femme plissa ses yeux noisette, perplexe, et attendit qu'il daigne s'exprimer.

"Je suis Robert Steiner, et je suis mort en 1964. C'est la version brève, vous voulez les détails ?"

Rebecca cligna des yeux plusieurs fois, peut-être pour s'assurer qu'elle n'hallucinait pas. Mais quoi qu'elle fasse, cet étrange individu se trouvait toujours devant elle, un sourire sympathique aux lèvres, ces taches de sang sur ses vêtements, et ces trous causés par des impacts de balle... il était mort, c'est bien ce qu'il venait de lui raconter. Mais tout cela n'avait aucun sens, car un mort n'est pas censé être capable de parler, de bouger, ou de faire quoi que ce soit qu'un vivant ferait. Comprenant qu'un sinistre imbécile tentait de lui jouer un mauvais tour, elle se leva, attrapa le type par la manche de sa chemise et entreprit de le faire sortir de son bureau. Cependant, il ne l'entendait pas de cette oreille, et résista à son opposante, qui finit par se laisser tomber sur son fauteuil à roulettes.

"Pourquoi moi ? Vous auriez pu aller embêter mon patron, je vous aurais même donné une médaille pour ça... mais sérieusement, qu'ai-je fait pour mériter ça ?
— Pourquoi vous ? répéta-t-il, toujours avec ce sourire énigmatique fixé à ses lèvres minces. Je ne saurais pas l'expliquer. J'ai l'impression de vous avoir déjà rencontrée, mais je n'en suis pas tout à fait certain. Ce qui est sûr, c'est que j'ai déjà vu cette charmante paire d'yeux.
— Et... c'est une raison pour me faire une farce absurde ? Et puis où avez-vous pu me voir ?"

L'homme en sang aspira de la fumée de sa cigarette et la regarda comme si c'était l'évidence même. Elle plissa les yeux, perplexe et désireuse d'en savoir plus.

"Je vous ai vue ce matin en me promenant dans l'hôpital. Etrangement, personne n'a prêté attention à moi. J'ai toujours été assez effacé en société... enfin bref. J'ai eu l'impression de vous reconnaître, alors je me suis renseigné sur vous et j'ai décidé de vous attendre pour pouvoir vous parler. Oh, et... je ne suis pas là pour vous faire une farce absurde.
— Attendez, je... je suis pas sûre de vous suivre, là. Vous voulez discuter de quoi exactement ? Et bien sûr que c'est une farce absurde, un mort, c'est un mort, et vous m'avez l'air bien vivant, rétorqua l'infirmière.
— Et ces impacts de balle ? Et ce sang ? insista-t-il.
— Vous connaissez le principe des déguisements ?"

Le type étrange secoua la tête, affligé, et choisit d'aller se servir dans le petit réfrigérateur du bureau. Elle ne protesta pas, trop effarée par l'excentricité de ce visiteur. Comprenant qu'il n'y avait aucune boisson, il revint vers elle. Encore ce sourire sur son visage. Ne cessait-il jamais de sourire ? Elle se le demandait. Curieuse, elle s'enfonça un peu plus dans sa chaise.

"Un déguisement... soupira-t-il. Vous croyez que j'irais jusqu'à me déguiser pour faire une farce absurde à une femme que je ne connais qu'à travers une impression de déjà-vu tenace ? Non, non. Ce n'est pas mon genre."

Devant l'air dubitatif de la jeune femme, il haussa un sourcil, et aperçut une sphère rouge et blanche à sa ceinture.

"Une Pokéball. Je pourrais voir votre Pokémon, s'il vous plaît ?
— Pourquoi ça ? s'étonna-t-elle.
— J'ai demandé gentiment, pas besoin d'avoir une raison.
— Si ça peut vous faire plaisir..."

Rebecca, trop exténuée pour refuser cette simple requête, fit sortir son Pokémon de sa maison. Une sorte de lézard vert apparut dans un flash. Ses grands yeux dévisageaient l'homme avec curiosité. Il se pencha pour caresser la tête de la créature.

"J'aime bien les Arcko. Dociles, intelligents, mignons et plutôt bons en combat.
— Vous vous y connaissez en Pokémon ?
— J'étais chercheur, répondit-il, sans se détourner du petit Pokémon.
— Vous étiez ?"

L'étrange visiteur lui adressa un regard, son sourire ayant disparu. Il semblait à présent très sérieux, mais elle doutait beaucoup de son honnêteté. Il était vivant, pas mort, et elle en était intimement convaincue.

"Je vous l'ai déjà dit, mademoiselle. Je suis mort il y a quarante-sept ans. Dans les rues de Voilaroc, au mois de février 1964."

Rebecca, accablée par toute la fatigue accumulée ces derniers jours, ainsi que par son affreuse journée, n'y tint plus et perdit connaissance, son esprit ne pouvant résister davantage à toute cette pression. L'homme couvert de sang fouilla dans la poche de la blouse de l'infirmière et en tira une petite clé, qu'il utilisa pour fermer la porte du bureau à double tour, pour que personne ne vienne déranger. Il regarda la jeune femme inconsciente et soupira.

"Je savais bien qu'elle me prendrait pour un fou..."