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Freeze de Eliii



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Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 13/05/2016 à 18:56
» Dernière mise à jour le 04/07/2016 à 14:17

» Mots-clés :   Action   Drame   Science fiction   Suspense   Unys

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018 - Ce qu'elle a laissé derrière elle
Walter, les mains dans les poches, se tenait devant l'hôpital général de Volucité. Pour cacher au maximum sa couleur de cheveux inhabituelle chez un homme de son âge, il portait un élégant chapeau assorti à ses vêtements, mais ça ne servait en réalité pas à grand chose, car la moitié des passants l'observaient tout de même avec un air intrigué. Il soupira bruyamment et se décida à y aller. Après tout, il n'avait pas toute la journée devant lui - bien qu'il n'ait rien prévu d'autre pour passer le temps.

Il passa la double porte vitrée de l'immense bâtiment blanc et se dirigea d'un pas sûr vers le bureau de la réception, où il dût attendre cinq bonnes minutes qu'une employée soit disponible. Il connaissait bien cet hôpital, et il savait pertinemment qu'en tant que principal centre de soins de Volucité, il était constamment bondé et en effervescence, mais à chaque fois qu'il venait, il ressentait ce malaise au plus profond de lui, qu'il ne parvenait pas à s'expliquer.

S'il avait à le décrire, il qualifierait ça de tiraillement très intense au niveau de son estomac, comme si on le lui compressait avec violence. Le bip strident des machines résonnait dans sa tête comme une alarme lui hurlant de déguerpir au plus vite. Et, comme si ça ne suffisait pas, le brouhaha ambiant ne faisait qu'amplifier la migraine qui naissait en lui - voix parfois suraigües des infirmières, son des lits à roulettes que l'on déplace à travers les couloirs immaculés, pleurs des familles ayant perdu un proche, et encore d'autres sources de nuisance sonore constante. Walter avait envie de hurler, mais se retint. La réceptionniste lui lança un regard inquiet.

"Monsieur, vous allez bien ? Si vous avez besoin de vous faire hospitaliser, ce n'est pas le bon guichet."

Le voleur se ressaisit.

"Non, non... excusez-moi. Je suis ici pour une visite. Emilia Gordon."

En attendant qu'elle se lève pour aller chercher le registre des patients séjournant actuellement à l'hôpital, Walter s'accouda au comptoir, ayant l'impression qu'il allait tomber dans les pommes d'une minute à l'autre. Une infirmière, le trouvant particulièrement pâle - ce qui résultait de la capsule cryogénique l'ayant touché -, lui apporta un verre d'eau et une aspirine. Il se contenta de la remercier et de plonger le cachet dans l'eau, en observant les constituants se dissoudre. Comme il avait imaginé cette femme morte deux ans plus tôt se dissoudre dans son cerceuil après les funérailles. Comme il voyait se dissoudre tout ce en quoi il croyait au fil des jours. Comme il verrait bientôt les souvenirs de ses amis se dissoudre. Les hôpitaux avaient décidément une influence très néfaste sur lui et contribuèrent à le rendre d'encore plus mauvaise humeur.

La réceptionniste revint - après un temps qui lui sembla infiniment long -, armée d'un épais registre ainsi que de divers autres documents.

"J'ai besoin de vérifier que vous êtes parmi les personnes habilitées à rendre visite à mademoiselle Gordon. Votre pièce d'identité, je vous prie."

Le voleur soupira, et de mauvaise grâce, lui tendit le document officiel. Elle l'observa un moment, pour ensuite regarder Walter, puis haussa un sourcil. Elle lui indiqua cependant la chambre et lui rendit sa carte. Il leva les yeux au ciel. Sans doute que ses cheveux maintenant blancs faisaient cet effet-là à tout le monde, maintenant. Il n'avait plus qu'à se rendre chez un coiffeur pour aller se les faire teindre dans sa couleur d'origine.

Un infirmier lui proposa de le guider jusqu'à la chambre, mais il choisit de s'en passer. Il s'y était déjà rendu plusieurs fois, et depuis, il connaissait le chemin. D'un pas rapide, Walter longea les couloirs, laissa passer des lits à destination des urgences, monta les escaliers jusqu'au troisième étage, traversa à nouveau des couloirs longs, et blancs, et stressants, et carrément oppressants. Sa respiration se fit de plus en plus saccadée, si bien qu'il dut s'adosser un moment à un mur pour reprendre son souffle et se ressaisir. A chaque fois, la même chose lui arrivait. Les mêmes crises d'angoisse, qu'il avait pourtant expérimentées à de nombreuses occasions, le surprenaient toujours autant. Il ne parvenait pas à garder le contrôle.

Le voleur ferma les yeux et pensa à quelque chose qui pourrait le rassurer un peu. Il ne trouva rien de concluant, mais le fait de réfléchir fit un peu baisser son rythme cardiaque. La chaleur auparavant légèrement agaçante était devenue, maintenant que son corps avait absorbé la glace, complètement insoutenable pour lui. Mais il tint bon, car de toute manière, il devait atteindre cette chambre. Il en avait besoin. Pour se rassurer, dans un sens, car ça faisait deux ans qu'il tentait d'oublier la femme la plus hypnotisante qu'il n'ait jamais rencontrée, et malgré toutes les nuits à noyer ses idées noires dans l'alcool, il venait toujours un moment où il pensait à elle. Toujours. Dans ces moments-là, son unique consolation était de venir à l'hôpital pour s'assurer que ce qu'elle avait laissé derrière elle se trouvait toujours là.

Walter ferma les yeux, soupira un bon coup et franchit les quelques mètres qui le séparaient de sa destination, sous les regards intrigués et inquiets d'infirmiers ou d'autres visiteurs qui le scrutaient bizarrement, lui et ses cheveux blancs. Arrivé devant la porte, il posa sa main sur la poignée, le cœur battant fortement dans sa poitrine, son cerveau en ébullition et sa résistance mentale sur le point de céder. Il se revit au même endroit, deux ans plus tôt.


x x x


Tom Odell - Can't Pretend

Il venait d'arriver à l'hôpital suite à un appel, et un médecin lui disait, de but en blanc, comme ça, que Rachel venait de mourir. Rachel Gordon. Il ne savait quasiment rien d'elle, mais pourtant, elle rendait Walter fou. Il ne s'expliquait pas ce phénomène, et en tant que scientifique, ça avait le don de le mettre hors de lui. Mais le fait était qu'il venait d'apprendre le décès d'une femme qu'il n'avait rencontrée que deux fois au cours de sa vie et avec qui il avait pu passer des jours qui lui semblaient figurer parmi les plus agréables de sa vie.

"Par ici, je vous prie", indiqua le docteur en le laissant entrer dans la pièce.

A quoi bon, de toute façon ? Au fond de lui, Walter savait que ça ne servait absolument à rien de regarder un cadavre frais dans le blanc des yeux. En voyant son visage, il eut l'impression qu'il allait fondre en larmes. Mais aucun liquide ne coula de ses yeux. Rien. Un vide profond l'envahit, et une bouffée d'air chaud le fit se sentir mal. Le médecin ne dit rien, se contentant de serrer dans ses mains la pochette en carton qu'il tenait.

"Excusez-moi... vous êtes le mari de la défunte ?
- Non. Je vous l'ai dit, je suis pas un proche. Tout au plus une vague connaissance, on ne s'est rencontrés que deux fois. J'ignore pourquoi je figurais sur la liste des personnes à prévenir, dans son dossier. Y'a beaucoup de choses que j'ignore."

Le jeune docteur hocha la tête, assez mal à l'aise.

"Je peux vous comprendre... vous devez être monsieur Leary, alors ? Les dernières paroles de madame Gordon étaient pour vous."

Walter haussa un sourcil, franchement surpris. Si elle était mariée - ce qui devait être le cas, au vu de l'appellation "madame" -, pourquoi son mari ne se trouvait-il pas à ses côtés dans cette chambre ? Et puis, pourquoi était-ce lui, le destinataire des dernières paroles de Rachel. Tout cela commença à faire paniquer un peu le voleur.

"Ses dernières paroles, hein... qu'a-t-elle dit ?
- Mot pour mot, elle a dit "Dites à Walter Leary de bien veiller sur elle". Il se peut que j'aie mal interprété quelque chose, car elle avait une voix rauque de femme sur son lit de mort. Les opérations en urgence qu'elle a subies n'ont rien changé, et elle le savait probablement à la minute où on l'a amenée ici...
- Les accidents de la route... ça détruit des vies. Sa vie a été fichue en l'air et raccourcie d'au moins une trentaine d'années à cause d'un stupide accident de la route. Si les gens savaient se servir d'une voiture, de nos jours..." soupira le voleur en détournant les yeux, ne supportant plus de voir la silhouette sans vie de Rachel.

Walter resta un moment silencieux, puis regarda de nouveau le médecin.

"Enfin, passons. Vous savez ce qu'elle a voulu dire, par "veiller sur elle" ? Je ne vois pas de quoi il peut s'agir."

Le docteur farfouilla un instant dans sa pochette.

"Si j'en crois les documents que l'on nous a fournis, madame Gordon était en instance de divorce, et refusait de laisser leur fille de presque deux ans, Emilia, à son mari violent."

Il marqua une pause.

"Je crois que sa dernière volonté est que vous preniez soin de cette enfant, monsieur Leary.
- Eh bien... balbutia Walter, pris de court. Où... où est-elle, actuellement ?"

Le médecin baissa la tête, les dents serrées, peiné.

"Je crains de devoir vous annoncer qu'elle est actuellement dans le coma, monsieur. Elle a eu beaucoup de chance de s'en sortir vivante, et sitôt qu'elle se réveillera, vous la prendrez en charge. Si le mari ne reparaît pas vingt-quatre heures après l'admission, la loi d'Unys stipule que le garant désigné de l'enfant le devienne légalement sans besoin de procès. Veuillez me suivre."

Le voleur, sans voix, se contenta de faire ce que le médecin lui demandait. Il n'en revenait pas. Il se doutait bien que Rachel était mariée, mais en entrant à l'hôpital, il n'avait pas soupçonné une seule seconde l'existence d'un enfant. Sans doute qu'elle n'en était qu'au début de sa grossesse à leur seconde et dernière rencontre, ce qui expliquait tout. Il n'aurait peut-être pas dû l'emmener au bar pour qu'ils finissent soûls dans un lit. Jamais. Pas avec une femme mariée.



x x x

Ces réminiscences suffirent à intensifier encore plus sa migraine, et il entra rapidement dans la pièce climatisée pour pouvoir respirer un peu, car les couloirs ne l'étaient pas. Un bip sonore régulier mais presque inaudible pour le migraineux qu'il était résonnait dans la chambre. Le voleur s'approcha du lit, et prit place sur la chaise inconfortable dont il avait maintenant l'habitude. Au bout de deux ans, on s'y fait.

L'enfant de quatre ans semblait dormir paisiblement, dans son pyjama d'hôpital, sous le drap rose pâle. Son visage doux aux joues rebondies devait respirer la joie de vivre, d'ordinaire, mais là, son expression était neutre. Des cheveux bruns clairs encadraient ses traits enfantins. Walter soupira. Il s'agissait de sa fille adoptive, et il n'avait encore jamais vu la couleur de ses yeux. Le dossier médical indiquait qu'ils étaient verts, mais il souhaitait les voir lui-même. Quoique. Cela lui rappellerait peut-être trop Rachel, et il fondrait en larmes, et il tomberait en dépression pendant une bonne semaine.

Tentant d'oublier les tourments qui le rongeaient, il saisit doucement la petite main d'enfant dans la sienne. Elle dégageait une chaleur, étrangement, agréable. Bien différente de celle qui régnait dans ce couloir de la mort, juste de l'autre côté de la porte. Une chaleur humaine. Il sourit maladroitement.

"Pour la quarante-six... non, quarante-huitième fois, je crois bien qu'on en est à quarante-huit visites... je ferai un père de substitution merdique, et une fois que tu seras réveillée - si tu te réveilles un jour -, je crois que j'aurai un mal fou à t'éléver. Alors j'espère que tu sauras pardonner les sorties en pleine nuit et toutes les cachotteries, parce que je suis pas près de m'arrêter. Ce boulot, c'est toute ma vie, et on a beau dire que s'occuper d'un enfant, ça calme, je ne suis pas de cet avis. Je suis un voleur - heureusement qu'ils ne mettent pas de caméras de surveillance ici... -, et je le resterai. T'as comme un oncle et une tante, Will et Linda, qui s'occuperont parfois de toi. Ils te connaissent pas encore, mais à vrai dire, je sais pas comment aborder le sujet avec eux. Je devrais pas me sentir gêné, ce sont des amis..."

Il marqua une pause, serra un peu plus fort la minuscule main, et reprit, hésitant :

"Tout ce que j'espère, c'est que tu vas te réveiller, parce que ce fichu accident t'a tout pris, et je peux pas accepter ça. Je ne te connais pas, en vérité, mais j'aimerais bien pouvoir apprendre des choses de toi. T'as tout perdu parce que les adultes sont pas foutus de se comporter comme tels. Une partie de ta vie, ta mère... ta mère, bon sang. Je sais pas si j'arriverai à t'en trouver une nouvelle. Y'en a bien une que j'apprécie, mais tu vois, elle est comme moi. Le goût du risque, du danger... je sais pas si elle voudrait devenir ta maman."

Il resta ainsi quelques minutes, la main de la toute jeune fille dans la sienne. Il crut, à un moment, sentir un léger mouvement du doigt chez elle, mais après réfléxion, il s'agissait certainement de son imagination. Le voleur se leva, déposa un baiser sur son front, et soupira. Il ne savait pas comment un père devait se comporter avec un enfant, et il ne le saurait peut-être jamais.

"Je t'aime, chérie. Réveille-toi vite."

Et il quitta la chambre, puis l'hôpital, rapidement. Il se doutait bien que ses amis le recherchaient. Bornés comme ils étaient, ils ne lâcheraient pas prise aussi facilement. Il remit sur sa tête le chapeau noir qu'il tenait dans sa main, et se terra dans une ruelle en face de l'immense complexe de soins. En reconnaissant Will et Linda qui sortirent d'un taxi, suivis de Liz et d'Ethan - il se demandait bien comment il était arrivé dans le groupe, par ailleurs -, il réprima un sourire.

Arrivé chez lui, après avoir récupéré le courrier fourré dans sa boîte aux lettres, il parcourut rapidement les quelques factures pour s'intéresser à l'enveloppe mauve placée en dessous de toutes les autres. A l'intérieur, il n'y avait qu'un morceau de papier cartonné. Le genre de papier qui sert de carton d'invitation à des fêtes huppées, par exemple. Mais Walter n'était invité nulle part, sinon à ses funérailles. Figuraient sur le papier les mots suivants, tapés à l'ordinateur :

"Reste au frais tant que tu veux, mon mignon, et profite bien, car ça ne durera pas longtemps."
- E