Beautiful Killer de Star-Killer

"C'est dans le silence des lois que naissent les grandes actions."
(Marquis de Sade)


Vingt-deux heures. C'est l'heure qu'indiquait la pendule accrochée au mur, dans la chambre d'hôtel de Jessie Marsden. Elle n'arrivait pas à trouver le sommeil. Alors elle restait assise, dans son lit, les couvertures entassées à l'extrémité. Elle se leva et marcha jusqu'à la fenêtre. Les lumières de la ville restaient allumées toute la nuit, et l'animation ne se perdait pas dans l'obscurité. Céladopole était en cela bien différente de Safrania, où personne ne rôde à cette heure-ci.

Un bruit de porte que l'on referme retentit dans le couloir et sortit Jessie de sa torpeur. Le son était proche, cela devait venir d'une des portes voisines, soit celle de Colin ou bien celle de Kieran. Mais pourquoi l'un d'eux voudrait sortir en pleine nuit ?

"Pas le choix, je vais le suivre..."

Elle enfila rapidement ses baskets en toile et attrapa son trench-coat beige pour sortir. Elle referma précautionneusement la porte de sa chambre et suivit son compagnon dans le couloir, qui était déjà à dix mètres d'elle. Une fois à l'extérieur, elle comprit qu'il s'agissait de Kieran. Ses cheveux noirs étaient désordonnés à cause du vent et il tenait un porte-documents.

"Mais qu'est-ce qu'il fout avec ça ?"

Alors qu'il s'éloignait, elle continua à le suivre à travers un dédale de ruelles sombres, attirant les regards des hommes louches qui trainaient dans le coin et la dévisageaient avec un air lubrique. Elle eut un frisson de dégoût et reprit sa marche, espérant que l'avocat ne l'avait pas remarquée.

Le climat était froid, rien à voir avec le temps ensoleillé et chaud de la journée. Malgré cela, bon nombre de citoyens se promenaient comme si de rien n'était. Céladopole ne dormait jamais. Toutes les enseignes lumineuses et colorées contribuaient à accentuer le mal de crâne de Jessie. Elle ne flancha pas pour autant et garda le contact visuel avec son ami, qui entrait à présent dans le casino par la porte de service, laquelle était surveillée par deux vigiles.

"Le casino ? Il va jouer en cachette, alors ?"

Jessie s'approcha à son tour de la porte métallique située derrière le bâtiment, mais les vigiles ne voyaient pas ça d'un très bon œil.

- Eh là, ma jolie, on n'entre pas par cette porte sans y être invité ! protesta le premier, un grand blond au teint pâle.
- Je me demande bien ce que tu viens faire ici, ajouta le second, un homme à la peau noire.

Jessie réfléchissait à toute allure. Vite. Se justifier. Ou alors sortir un Pokémon et s'enfuir. Elle opta finalement pour la première option.

- Je... suis une amie de l'homme qui vient de rentrer, en fait, alors...
- Une amie de Monsieur Howard ? Pourquoi n'a-t-il rien précisé, dans ce cas ? grommela le grand blond.
- Euh... je...
- Laisse, Will, on va régler ça avec le boss, intervint le second vigile.

La jeune femme sentit son cœur se serrer. Le boss ? Alors ces tordus allaient la livrer à leur patron ? Et puis pourquoi est-ce qu'elle avait tenu à suivre Kieran ? Elle aurait pu rester tranquillement dans sa chambre d'hôtel en attendant le lendemain. Mais non, sa curiosité naturelle avait pris le dessus et...

"Pas le moment de me lamenter, je vais assumer ma connerie comme une grande... Bordel de meeeerde !!"

- Bon, viens avec nous, poupée, si tu dis vrai, tu pourras sortir d'ici dans pas longtemps !
- Seigneur...

Les vigiles l'emmenèrent derrière la porte métallique. Un escalier menait à un long couloir aux murs grisâtres, qui s'étendait bien sur une dizaine de mètres. Jessie en déduit qu'ils se trouvaient dans les sous-sols du casino.

"J'espère que c'est pas un trafiquant de drogue, au moins, ce serait pas cool..." songea-t-elle en accélérant le pas quand un des vigiles la poussa légèrement.

Les portes se succédaient mais aucune ne semblait intéresser les deux hommes qui surveillaient la brune de près. Finalement, le vigile blond ouvrit une porte presque au bout du couloir. Tous les regards se braquèrent sur Jessie lorsqu'ils entrèrent. Elle repéra Kieran, assis à une table sur laquelle une mallette pleine de billets était ouverte. En face de lui, un homme d'une trentaine d'années à peine, très pâle, les cheveux blonds coiffés sur le côté et des yeux bleus - qui lui faisaient penser à ceux d'Armand -, l'observait froidement. Ce devait être lui, le "boss".

Après un moment d'étonnement général - sauf de la part du blond qui se contentait de regarder froidement l'intruse -, Kieran prit la parole.

- Jessie, j'ignore ce que tu fais ici... Tu m'as suivi ?
- Ben, comme je ne trouvais pas le sommeil et que j'ai entendu du bruit... la curiosité l'a emporté et me voilà... souffla la brune.
- Oh. On s'expliquera à propos de ça... Après. Bon...

Kieran se retourna vers le blond.

- Si vous pouviez éviter de me regarder comme si j'étais l'éventreur de Chesapeake... Ca me met mal à l'aise.
- Je ne suis pas là pour vous juger, répondit le trentenaire au regard froid avant de se tourner vers Jessie. Approchez donc, mademoiselle.
- O-oui, bien sûr...

En le regardant de près, elle remarqua que son regard n'était pas si froid qu'elle l'avait imaginé. Il avait même un sourire en coin. Il l'invita à s'asseoir à côté de Kieran.

- Qui êtes-vous exactement, mademoiselle ? Une amie de Monsieur Howard ?
- Oui, on peut dire ça comme ça...
- Elle dit la vérité ?
- Exact, approuva Kieran.

Le blond acquiesça et referma la mallette remplie de billets, puis la tendit à Kieran. Il regarda Jessie avec un sourire.

- Votre nom, mademoiselle ?
- Oh, euh, Marsden. Jessie Marsden.
- Bien. Hoyt Wesenrein, heureux de vous rencontrer.

Il lui serra la main et Jessie frissonna tant elle était glacée.

"J'ai le pressentiment qu'on sera amenés à le revoir, ce mec... Enfin."

Kieran se leva et elle le suivit, puis ils retournèrent dehors. L'air frais lui faisait un bien fou, après être entrée dans un espace aussi confiné que ce sous-sol de casino. L'avocat regarda Jessie. D'un regard désapprobateur.

- Je suis désolée, je...
- C'est bon, la coupa-t-il. Je suis mal placé pour t'en vouloir, j'aurais dû m'assurer que personne ne me suivait...
- Ouais. Excuse-moi pour ça.
- Ca va, ça va. Je m'inquiétais juste un peu pour toi, ça aurait pu être dangereux...
- Toi ? T'inquiéter pour moi ?

Kieran haussa un sourcil et dégagea une mèche qui se trouvait sur le visage de Jessie. Il se contenta de lui adresser un sourire énigmatique et ils repartirent en direction de l'hôtel, avec une mallette pleine d'argent.


- x -


Midi et demi. Trois jeunes gens devant une porte. Un autre derrière cette même porte, qui dort.

- Bordel, Armand, REVEILLE-TOI ! hurla Colin en frappant à la porte.

Pour toute réponse, il reçut un grognement incompréhensible. Armand, qui n'était qu'à moitié habillé, les cheveux en bataille et un œil fermé, dévisagea le blond.

- Quoi ? Je dormais.
- Il est midi, on a faim, et on ne pouvait décemment pas se résoudre à te laisser là. Tu comprends ?
- Hm hm. Bah, allons manger alors.

Colin leva les yeux au ciel.

- Pas dans cette tenue, habille-toi et rejoins-nous dans le hall, okay ?
- Oui m'man.

Les trois autres descendirent dans le hall et se posèrent sur un canapé.

- Vous n'avez pas dit un mot depuis ce matin, tous les deux. Vous allez bien ? s'inquiéta Colin en regardant ses compagnons.
- Tout va super bien, soupira Jessie.
- Ouais. J'ai été récupérer du fric à la banque hier soir... marmonna Kieran.

Jessie s'étonna.

"Il ment ? Pourquoi ?"

Armand arriva à peine cinq minutes plus tard, les cheveux impeccables et cette fois-ci tout habillé. Il sourit à ses camarades et sortit de l'hôtel.

- Il a l'air en forme, observa l'avocat en suivant le tueur.
- Ouais, c'est vrai, admit Colin.
- Allez, on va manger !


- x -


Ils mangeaient des sandwiches dans un café, et Armand semblait avoir des envies de meurtre. Ce qui était le cas.

- ...ce foutu gosse a tâché ma chemise...
- Armand, ça arrive qu'un gamin renverse son Coca sur quelqu'un ! soupira Jessie.
- Une chemise hors de prix ! Je vais le tuer si je le revois.

Colin leva les yeux au ciel.

- Tu es un putain de psychopathe.
- Moi ? Un psychopathe ? Arrête, je ne serais même pas capable de manger une aquarelle de William Blake. Je t'assure, je suis sain d'esprit.

Jessie et Kieran se regardèrent, amusés.

- Pourquoi t'as menti à Colin concernant l'argent ? chuchota-t-elle.
- Pourquoi ? Parce que ce Hoyt Wesenrein est un des boss de la Mafia Kantonnaise. Il me verse des millions pour mes services.
- Des millions... Eh ben. On en rediscutera.
- A ta guise, soupira l'avocat.
- Eh, ça vous dirait d'aller faire un tour au centre commercial, comme on a pas le temps de partir à Parmanie aujourd'hui ? proposa Armand.

Tous acquiescèrent. Ils n'avaient rien de mieux à faire, de toute façon...


- x -


Le centre commercial de Céladopole était une grande tour de verre, rénovée depuis peu, qui faisait penser au siège social de la Sylphe SARL de Safrania. Avec les enseignes colorées en plus. L'intérieur était climatisé et raffiné. Un sol en marbre, comme dans la plupart des bâtiments importants de la ville, des lustres coûteux, des tapis, des présentoirs où s'alignaient toutes sortes de produits, des Pokéballs aux vêtements, en passant par les CT...

- J'ADORE cet endroit ! s'émerveilla Jessie en parcourant le rez-de-chaussée, comme une enfant dans un magasin de jouets.
- Ta sœur m'étonnera toujours... souffla Armand.
- Elle adore le shopping, alors attention à ton porte-monnaie... ajouta Colin en suivant sa sœur dans l'ascenseur menant aux étages supérieurs.

Au premier étage, consacré aux vêtements, il y avait bien plus de monde qu'au rez-de-chaussée. Des femmes se bousculaient pour des vêtements en solde, des enfants boudaient pour avoir le moindre truc et des vendeurs s'attelaient à leurs tâches dans tous les coins. La radio diffusait de la musique.


[Hurts - Silver Lining]
There's a storm on the streets, but you still don't run
(Il y a une tempête dans les rues, mais tu ne fuis toujours pas)
Watching and waiting for the rain to come
(Regardant et attendant que la pluie vienne)


Armand chercha un endroit tranquille où se poser, déjà excédé par l'atmosphère étouffante et la foule bruyante. Il repéra un visage familier non loin de l'ascenseur : Liz Dolarhyde, la jeune femme qu'il avait croisée la veille au restaurant et qui, selon toute vraisemblance, le cherchait.

"Restons hors de vue..." songea le tueur.

Liz était avec un jeune homme qu'Armand ne connaissait pas : Hoyt Wesenrein, l'un des boss de la Mafia Kantonnaise. De là où il était, il ne pouvait pas entendre ce qu'ils se disaient, mais était trop concerné par sa sécurité pour s'en préoccuper. Il ne remarqua pas un Miaouss qui lui tournait autour depuis deux ou trois minutes.


And these words wouldn't keep you dry
(Et ces mots ne te garderaient pas au sec)
Or wipe tears from an open sky
(Ou essuyer les larmes d'un ciel ouvert)
But I know, but I know, but I know I'm right
(Mais je sais, mais je sais, mais je sais que j'ai raison)


Jessie se figea lorsqu'elle vit l'homme de la Mafia Kantonnaise.

- Kieran...
- Hm ? s'étonna celui-ci en s'approchant de Jessie.
- Wesenrein est là...

L'avocat regarda dans la direction que son amie désignait et parut presque choqué.

- Mais qu'est-ce qu'il fout avec elle ?!
- C'est la femme qu'Armand a vu hier ?

Kieran hocha la tête.

- Ouais, elle fait partie de la Mafia Unysienne... Liz Dolarhyde. Il paraît qu'elle a déjà tué des Pokemon.

Jessie frissonna. Ca ne lui disait rien de bon, tout ça...

- Bon sang y'a trop de monde... Qui a déjà tué des Pokémon ? demanda Colin qui les rejoignait.
- Euh... ma grand-tante Gertrude ! mentit Kieran pour ne pas alerter Colin.
- Elle devait être cinglée alors celle-là...
- C'est clair ! approuva Jessie.


And I won't let you drown, when the water's pulling you in
(Et je ne te décevrai pas, quand l'eau te prendra)
I'll keep fighting, I'll keep fighting
(Je continuerai à me battre, je continuerai à me battre)


Armand s'était rapproché de Liz et son interlocuteur. Suffisamment pour les entendre du moins. Il devait avouer que la conversation l'amusait.

- C'est pas parce que t'es mon ex que tu peux continuer à me tourner autour ! grommela la jeune femme.
- Ca n'a aucun rapport, je venais juste te saluer. Vraiment colérique comme fille... Tu trimballes toujours un sabre japonais avec toi ?
- Hm... Cette habitude m'est restée, oui.
- C'est dur de changer, admit le boss Kantonnais.
- Pas comme si t'avais expérimenté ça... marmonna la criminelle aux cheveux roses.

Armand pouffa de rire, alertant la jeune femme.

- T'as entendu ça ?
- Quoi ? Entendu quoi ? s'étonna Hoyt. Tu deviens parano toi alors !
- ...la ferme... grommela Liz.
- C'était sympa de te revoir, allez, bonne chance pour retrouver celui que tu cherches.
- Comment tu...
- J'ai mes sources, rappelle-toi que je suis un des boss de la Mafia Kantonnaise. Au plaisir de te revoir.

Le blond laissa la jeune femme pour descendre par l'ascenseur. Liz soupira et changea elle aussi d'étage.


The rain's going to follow you wherever you go
(La pluie te suivra, partout où tu iras)
The clouds go black and the thunder rolls
(Les nuages sont noirs et le tonnerre gronde)
And I see lightning, I see lightning
(Et je vois des éclairs, je vois des éclairs)


Armand rejoignit ses compagnons, qui profitaient d'un thé glacé.

- Bah alors, tu t'étais perdu ? s'étonna Colin.
- Non non, je m'amusais à écouter des conversations entre des couples qui ont rompu. Extra pour rigoler, comme activité ! sourit le brun.
- Tu es un psychopathe méprisable, Armand Van Doren ! geignit Jessie.
- Pour ça qu'on m'aime, répliqua le tueur après avoir subtilisé la boisson de son amie.
- ...voleur... grommela la jeune femme.

Kieran était étrangement calme - non pas qu'il soit particulièrement bruyant ou bavard habituellement. Les yeux dans le vague, il regardait par l'une des innombrables vitres de verre, observant les passants qui paraissaient tellement petits... Il fut interrompu dans ses rêveries par Colin.

- Tu viens, on s'en va... Armand a apparemment trouvé une voiture pour nous, histoire qu'on parte demain pour Parmanie.
- Oh, je... je vous rejoins dans une minute.
- Ca marche, admit Colin en s'éloignant avec les autres.

L'avocat observa une dernière fois la ville, si qui paraîssait si manipulable à cette hauteur. Il aimait comparer des villes à des échiquiers de taille improbable. Les passants étaient les pions, le maire était le roi, les scientifiques étaient les fous... Décidément, ça ne lui réussissait pas de perdre une nuit de sommeil.


- x -


- Quoi, tu déconnes là j'espère ?! s'écria Jessie alors qu'Armand, le lendemain, leur présentait leur nouveau véhicule, une voiture presque neuve et surtout à un prix exorbitant, appartenant à un employé de la banque, de surcroît.
- Ben non, bien sûr que je ne déconne pas. Une voiture de luxe c'est toujours plus sympa ! se défendit le brun.
- Je suis pas certain que ce soit la meilleure idée du siècle... marmonna Colin.
- Redis-moi ça quand tu auras lu Nietzsche et acquis la moitié de MA culture littéraire, ok ?

Le blond leva les mains en signe d'apaisement et ne dit plus rien. Le tueur dévoila un autre de ses talents, à savoir forcer l'ouverture d'une voiture comme le font les voleurs.

- Tu m'étonneras toujours... souffla Kieran, mi-admiratif, mi-pensif.
- Oh si tu connaissais tous mes talents... sourit Armand.

Jessie secoua la tête avec un sourire amusé. Le brun regarda ses trois compères et, d'une voix enjouée, lança :

- Let's go to Parmanie, folks !