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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 16/04/2015 à 16:28
» Dernière mise à jour le 29/05/2015 à 20:22

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 5 : Laisse le vent emporter tout

Laisse le vent emporter tout - Mylène Farmer


Ce bonus se déroule vingt-huit ans avant le début de l'histoire.


Des bourrasques de vent puissantes soufflaient sur la montagne. Plus l'altitude était élevée et plus la tempête faisait rage. Il aurait fallu que les habitants des Iles Sevii soient fous pour mettre le nez dehors par un temps pareil, mais l'homme qui avait entrepris d'escalader le Mont Braise n'était pas de l'archipel.

Ce montagnard se servait d'un équipement de pointe pour gravir son objectif. A l'aide d'un pic en métal, il perforait des trous dans la roche afin de se trouver des prises. Sa corde le soutenait lorsque la bise le malmenait ou quand la pluie rendait les pierres trop glissantes. Il aurait tout aussi bien pu renoncer à son expédition pour la reporter à une date ultérieure, où la météorologie serait plus clémente, néanmoins lui, Wilbert Munhaüs, n'abandonnait jamais.

Dans sa famille, ils étaient explorateurs de père en fils. Son grand-père, d'ailleurs, Flynn Munhaüs, avait découvert peu de temps avant sa mort une île étrange, regorgeant de pokémon qu'il appelait les "Zarbi". Comme il était devenu à moitié sénile au moment de faire partager sa trouvaille au monde, hélas, personne ne l'avait jamais pris au sérieux.

Pendant des années, Wilbert s'était efforcé de retrouver ce mystérieux temple évoqué par son aïeul, en vain. Il avait fini par laisser tomber et se ranger à l'opinion générale, à savoir qu'il s'agissait uniquement de propos tenus par un homme dément.

Il atteignit une petite cavité creusée à même la montagne, dans laquelle il décida de faire halte un moment. Il faisait si froid que ses doigts étaient gelés et peinaient à fonctionner encore. Il attraperait des engelures s'il ne les réchauffait pas très vite.

Assis sur le sol glacé, il sortit un briquet de sa poche et s'en servit pour allumer quelques branchages mélangés à du papier journal qu'il venait de déposer à ses pieds. Une fraction de seconde plus tard, un petit feu crépitait face à lui.

Il ôta son bonnet et son écharpe de laine qui dissimulaient une grande partie de son visage. Cela révéla des traits épais, des cheveux roux rasés et une barbe de plusieurs jours qui donnaient à l'homme l'apparence d'un Ursaring à sa sortie d'hibernation. Etant un solitaire, pour ne pas dire un ermite, il ne se souciait pas le moins du monde de son physique.

Il tira de la poche de son manteau un article découpé dans une revue la semaine précédente et l'approcha de la lumière dansante du feu afin de parvenir à le lire. Il dut plisser les yeux pour distinguer convenablement les petits caractères.

Sulfura, l'oiseau légendaire censé n'être qu'un mythe, aurait été aperçu par un groupe de touristes isolé en train de survoler le Mont Braise. Quelques explorateurs courageux se sont d'ores et déjà lancés à sa recherche, néanmoins tous ont renoncé face à la dangerosité de la montagne, ainsi que de celle du climat.

Rappelons que Sulfura est une créature issue du folklore de Kanto et également l'un des symboles des Îles Sevii. Si son existence est avérée, ce serait une véritable découverte pour la science autant que pour l'histoire, mais également pour l'économie de l'archipel qui verrait affluer un nombre de visiteurs inouï.


Ce n'était pas l'argent qui intéressait Wilbert Munhaüs, ni la gloire, d'ailleurs. Il était convaincu d'être le plus grand aventurier de tous les temps et ne tenait à se le prouver qu'à lui-même. Puisqu'il avait échoué dans sa quête des ruines Sinjoh, rencontrer le légendaire Sulfura serait l'apogée de son existence, après quoi il ne pourrait certainement plus réaliser d'exploits aussi grands.

Il mangea un peu de pain qu'il conservait dans son sac et que la bruine avait ramolli, puis décida qu'il était l'heure de reprendre sa route. Avec un peu de chance, il aurait atteint le sommet du Mont Braise avant le lever du soleil. Il voulait prendre l'oiseau par surprise en surgissant en pleine nuit afin de voir son plumage rutiler, car on le disait plus brillant que les étoiles.

Le vent ne s'était pas calmé, bien au contraire. Il soufflait avec davantage d'intensité qu'au moment où Wilbert avait choisi de faire une brève halte. Il ne se découragea pas pour autant : il avait déjà enduré bien pire par le passé.

Il enroula une corde autour de son buste, s'arma de son pic et reprit l'ascension de la montagne. Il était solide comme un roc. Il avait encore assez de temps devant lui avant que la fatigue ne commence à gagner ses muscles, malgré l'effort qu'il leur demandait. Ses bras devaient supporter presque à eux seuls l'intégralité de son poids, à savoir pratiquement cent kilos.

Enfin, il atteignit une sorte de petite plateforme sur laquelle une herbe verdoyante poussait. La bruine l'avait rendue humide et il manqua de glisser lorsqu'il posa le pied dessus. Heureusement, grâce aux crampons que possédaient ses chaussures de marche, il parvint à stabiliser son équilibre.

Il faisait nuit noir. Allumer son briquet sous la pluie fine n'aurait servi à rien : elle l'aurait aussitôt éteint. Au lieu de cela, il fit appel à une méthode plus efficace ou, pour être précis, à son Lixy, qui illumina les alentours à l'aide de sa capacité Flash. Ses pokémon n'étaient pas entrainés au combat, mais à l'assister dans la nature. Il n'en aurait pas eu besoin autrement.

Il distingua l'entrée d'un tunnel qui donnait sur l'intérieur du Mont Braise et décida de l'explorer. Il avait toujours entendu dire qu'un réseau de souterrains parcouraient la montagne, néanmoins il ne s'attendait pas à ce que ceux-ci s'élèvent aussi hauts.

Il pénétra dedans, la petite créature bleutée sur ses talons. Il ne craignait pas que le plafond s'écroule sur lui. En réalité, il n'avait peur de rien. Il avait toujours su que sa mort viendrait ainsi, en plein milieu d'une aventure. Il ne serait même pas porté disparu, étant donné qu'il ne possédait ni ami, ni famille.

La première chose qui l'étonna fut la tiédeur ambiante. Contrairement à la bassesse des températures extérieures, il avait l'impression de se retrouver à nouveau dans son salon, à Vermilava, devant un bon feu de cheminée crépitant.

Il savait que le Mont Braise était un volcan et il devait donc contenir une chambre magmatique. Les vapeurs s'en échappaient certainement par les fissures qui striaient la roche et remontaient jusque là, où elles tiédissaient l'atmosphère. Son Lixy marchait dans son sillage, la langue pendante. Visiblement, il était assoiffé et Wilbert décida de le rappeler dans sa ball après lui avoir donné un peu d'eau prélevée dans sa gourde.

Il progressait désormais dans une obscurité quasiment totale, ne s'éclairant qu'à la lumière d'une torche de fortune, beaucoup moins efficace que l'électricité produite par son partenaire. Le bruit de ses pas se répercutaient en écho sur les parois qui le cernaient, pourtant cela ne l'empêchait pas d'entendre un bruit dont il n'était pas à l'origine.

Quelque chose s'approchait. Il en était presque certain, mais le doute lui fut permis car le son disparut sitôt qu'il s'immobilisa. Qu'était-ce ? Un pokémon ? Dans ce cas, il n'avait rien à craindre. Son Mackogneur les ferait fuir en un instant. Parfois, son apparence suffisait même à les effrayer sans qu'il n'ait besoin de les combattre.

Il abandonna cette théorie lorsqu'il arriva dans une cavité large de quelques mètres. Malgré la flamme chancelante qu'il tenait à hauteur de son visage, il parvint tout de même à distinguer une silhouette humaine qui disparut presque aussitôt par l'un des trois boyaux qui partaient de l'endroit où il se trouvait, en plus de celui qu'il venait d'emprunter.

- Attendez ! s'écria-t-il.

Sa voix était rauque, bourrue. Après toutes ses années passées dans la solitude, il avait presque perdu l'habitude de la parole. Le plus souvent, il ne s'exprimait que pour jurer ou tempêter sur les opportuns qui avaient le malheur de le déranger dans sa demeure isolée où il s'était retranchée depuis une décennie, quand il n'était pas à l'aventure sur les routes des diverses régions.

Il avait quasiment fait le tour du monde : Hoenn, Sinnoh, Kanto... Il connaissait ces endroits comme sa poche, mais ne s'y attardait jamais. Il avait une nécessité maladive de voyager. Il finirait par dépérir s'il devait rester trop longtemps au même endroit. L'aventure, c'était toute sa vie. A trente-cinq ans, il n'avait ni femme ni enfant et pas davantage d'amis. Seule sa liberté comptait à ses yeux.

Il s'engagea dans le tunnel à la suite de la mystérieuse personne qu'il avait cru distinguer. De qui s'agissait-il ? D'un autre explorateur ? Pourquoi l'avoir fui, dans ce cas ? La rivalité était rude dans la profession, certes, mais pas au point de se cacher de la sorte. Ce comportement lui avait paru étrange.

- Halte ! gronda soudain une voix.

Il fut étonné par la clarté de ce timbre, aussi pur que de l'eau mais aussi extrêmement envoutant. Jamais il n'avait entendu pareille mélodie, plus jolie encore que le chant d'un Hélédelle. Sa stupeur fut cependant décuplée par le fait que ce soit une femme qui venait de s'adresser à lui.

Elle se dressait à l'autre extrémité du chemin étroit. Derrière elle, il y avait une sortie éclairée, sur laquelle se découpait la forme de son corps. Elle était grande, immense même pour un individu de sexe féminin. Elle devait être à peu près de sa taille, lui qui frôlait le mètre quatre-vingt dix.

Elle avait des formes sublimes et il pouvait également voir ses longs cheveux certainement blonds, mais qui devenaient roux à la lueur de la torche, à l'instar de sa peau hâlée. Wilbert n'avait pas croisé beaucoup de femmes au cours de sa vie, mais il était certain d'une chose : la beauté de celle-ci les éclipsait toutes.

- Quittez ce lieu, ordonna-t-elle avec autorité. Tout de suite.
- Pourquoi ?
- Vous n'avez rien à faire ici.

Il outrepassa ses paroles et fit un pas en avant. A présent, la lumière l'éclairait presque entièrement. Il pouvait distinguer ses yeux brillants, où la flamme se reflétait, ses lèvres vermeilles et charnue ainsi que son nez parfait et son menton délicat. Elle portait une tenue sobre, composée d'un pantalon en toile et d'une chemise moulante. N'importe quelle autre personne aurait été banale ainsi vêtue, mais tout en celle-ci, de son maintien à son charme naturel, était exceptionnel.

- Qui êtes-vous ? demanda Wilbert.

Il fut surpris par la douceur de son propre ton. D'ordinaire, il avait plutôt tendance à aboyer sur les gens qui osaient l'importuner or, cette fois, il n'en avait pas envie. Au contraire, il souhaitait paraître poli, même si ses bonnes manières laissaient à désirer dans l'ensemble.

- Abigail. Je suis la gardienne du Mont Braise.
- La gardienne ? Jamais entendu dire que quelqu'un gardait ces lieux.
- C'est parce que vous êtes le premier à être parvenu aussi loin, aussi haut. Vous représentez une menace.
- Une menace ? Bah tiens, on me l'a déjà faite, celle-là. J'ai encore tué personne, aux dernières nouvelles. J'ai juste profané deux ou trois tombes, tout au plus.
- Allez-vous en. C'est un avertissement.
- Sinon quoi ? répliqua-t-il. Je subirai une malédiction et je deviendrai la victime tragique du courroux des éléments déchainés ?
- Je sais ce que vous voulez, coupa la femme sans hausser le ton, contrairement à lui. Vous en avez après Sulfura. Beaucoup se sont aventurés près du Mont Braise récemment, mais tous ont renoncé. Tous, sauf vous.
- C'est pas mon genre. Et puis, je n'en ai pas après l'oiseau. Je veux simplement l'observer. Je repartirai tranquille chez moi une fois que j'y serai parvenu.
- Comme si j'allais vous croire. Partez.

Cette fois, elle prononça cet ultime mot en criant. Il résonna dans l'esprit de Wilbert comme un coup de tonnerre. Il n'avait jamais eu peur de personne, pourtant cette femme semblait redoutable. Une aura puissante se dégageait d'elle.

- Que vous me croyez ou non, ça ne change rien. Je suis venu ici rencontrer Sulfura et j'ai bien l'intention de le faire. Je n'ai jamais échoué dans aucune de mes explorations jusqu'à présent, ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Enfin... Si on excepte le fiasco des ruines Sinjoh.

Le visage de la dénommée Abigail parut se décomposer l'espace d'une seconde, mais il retrouva rapidement la froideur qu'il exprimait depuis le début de la conversation. D'une voix parfaitement mesurée, elle se contenta de répliquer après avoir pris une profonde inspiration :

- Les ruines Sinjoh sont un mythe. Elles n'existent pas.
- Mon aïeul les a trouvés, mais il est rapidement devenu fou.
- Il l'était peut-être déjà avant pour croire en de telles chimères.
- Remettriez-vous en doute la parole d'un Munhaüs, m'dame ? Nous sommes sincères et loyaux. C'est d'ailleurs pour cette raison que votre zozio n'a rien à craindre de moi. Je ne lui ferai aucun mal.
- De toute façon, répliqua la femme avec les lèvres pincées, vous n'atteindrez jamais sa tanière. Il niche au sommet du Mont Braise. Les éléments auront eu raison de vous avant et si ce n'est pas le cas, il vous crèvera les yeux de son bec. Il n'aime pas qu'on le voit. Je suis la seule à avoir ce privilège.
- C'est sûrement parce que vous lui avez tapé dans l'oeil. Mes hommages, m'dame.

Il porta deux doigts à son bonnet dont il souleva l'ourlet en un simulacre de salut poli. L'autre resta immobile, figée comme le marbre, tandis qu'il faisait demi-tour. Cela lui demanda une certaine maitrise car, avec sa forte corpulence, il peinait à se mouvoir dans le boyau exigu. Puisque cette inconnue était décidée à lui barrer la route, il reprendrait l'escalade de la montagne. C'était toujours mieux à ses yeux que d'abandonner.

***
Aphrodite fixait le tunnel par lequel il venait de s'en retourner. Quel étrange personnage... Elle avait menti : d'autres avant lui étaient arrivés aussi loin, cependant ils s'étaient tous inclinés devant son charme lorsqu'elle leur avait demandé de partir. Pas lui. Cela ne manquait pas de la surprendre.

Elle n'aimait pas cela. Son don lui permettait de séduire n'importe qui ou presque. Elle avait réussi à faire tomber Apollon et Poséidon à ses pieds, bien que Satan lui ait toujours résisté. Elle savait pourquoi. Il n'avait d'yeux que pour cette traîtresse de Lilith. Même encore aujourd'hui, près de mille ans après sa chute, il ne cessait d'être amoureux d'elle. A côté du souvenir qu'il conservait de la Première, Aphrodite, elle, était invisible, malgré toutes ses tentatives aussi infructueuses que désespérées pour attirer son attention.

Elle cligna des paupières. Elle aurait été curieuse de voir si, avec un peu plus de temps, elle aurait réussi à faire plier cet importun. Tant pis. Sulfura se chargerait de lui, de toute manière, si toutefois il ne mourrait pas avant de l'atteindre. D'une façon ou d'une autre, il ne les dérangerait plus.

***
Wilbert peinait à bouger ses doigts engourdis par le froid. Même la chaleur d'Héricendre, placé dans un harnais spécial autour de son poitrail, ne suffisait pas à le réchauffer. Le petit pokémon tremblait d'ailleurs sous la pluie qui n'était pas bénéfique à son type.

- Tiens bon, je suis sûr que nous approchons du sommet. Ce n'est pas une foldingue qui va me décourager dans mon entreprise. Sulfura, me voilà !

A l'instant où il prononçait ces paroles, sa main prit appui sur une roche saillante qui se délogea de la paroi. Elle s'enfonça dans sa paume et du sang imbiba aussitôt ses gants épais. Il beugla de douleur, le bras dans le vide. Sa corde n'était plus attachée, désormais, et il n'avait plus de sécurité. Il était vraiment en fâcheuse posture.

A cause de sa blessure, il ne parvenait plus à remuer ses doigts. Les autres, ceux qui tenaient toujours la pierre humide, commençaient à glisser. Il y avait forcément quelque chose à faire. Jusqu'à présent, il avait appris à trouver une issue à un sort funeste, même quand la situation était désespérée.

Ce n'était pas le cas, cette fois. Il n'y avait aucun échappatoire au destin qui l'attendait. C'était triste pour lui de songer qu'il allait finir ainsi, écrasé sur le plateau en contrebas, néanmoins il ne s'imaginait pas non plus une autre mort. Que ce soit comme cela ou d'une autre façon, dans le fond, le résultat restait le même.

Il rappela Héricendre dans sa pokéball une seconde avant de lâcher prise. Il tenait à éviter une destinée similaire à la sienne à la créature qui n'avait pas demandé à être ici avec lui. Par réflexe, il poussa un cri en tombant, puis tout devint noir. Il n'éprouva pas la moindre douleur lorsqu'il heurta le sol. Il était certainement mort sur le coup.

***
Wilbert s'agita. Que lui était-il arrivé ? Il avait l'impression d'avoir été piétiné par un Tropius au galop. Chaque centimètre carrée de son corps lui faisait mal et il avait l'impression que chacun de ses os étaient brisés. Il ne se souvenait de rien. Une violente migraine le lançait : il s'était certainement cogné la tête, mais comment ?

Il tenta de bouger, cependant le simple fait d'esquisser un mouvement lui arracha une grimace de douleur, bien qu'il soit très dur au mal. Il battit donc faiblement des paupières, dans l'espoir que voir les alentours lui apporteraient quelques réponses à toutes les questions qu'il se posait.

Sa vision fut trouble, au début. Il lui fallut près d'une minute entière avant de se recouvrer sa netteté habituelle. Visiblement, il était dans une grotte. Ce n'était pas très difficile à deviner avec la voute rocheuse qui s'étendait au-dessus de sa tête. Il ne faisait pas froid, ni humide, contrairement aux climats qu'il côtoyait d'ordinaire dans les cavernes. La température était tiède, certainement due à un feu car des reflets rougeoyants dansaient sur les murs, sans qu'il ne puisse en voir la source.

Il voulut tourner sur le côté, mais une chose l'en empêcha. On avait immobilisé ses cervicales afin qu'il ne puisse pas remuer la tête. Qui avait bien pu faire cela ? Il tendit l'oreille. Il ne perçut pas le moindre son susceptible d'indiquer que quelqu'un se trouvait dans les alentours.

Il resta un long moment ainsi, un quart d'heure ou peut-être même une demi-heure, avant d'écouter enfin des bruits de pas. Une personne s'approchait. Il s'agita malgré les souffrances que cela provoquait dans son corps, toutefois une voix autoritaire lui ordonna d'arrêter.

- Ne bougez pas. Vous avez fait une chute de vingt mètres, vous avez de la chance de vous en être sorti vivant.

Une main chaude, délicate, se posa sur son épaule afin de la plaquer contre la couche de fortune, composée simplement d'herbe séchée, sur laquelle il était étendue. Il n'arrivait toujours pas à distinguer le visage qui venait de s'exprimer, néanmoins il reconnut le timbre si particulier de la jeune femme à l'esprit dérangée qu'il avait rencontré précédemment.

- Je vous avais dit que vous n'atteindriez jamais Sulfura.
- Je n'ai pas dit mon dernier mot, grogna-t-il.

Il déglutit péniblement : un goût de sang lui restait dans la bouche. Il se rappelait à présent ce qui lui était arrivé. Il s'était blessé après qu'un caillou se soit effrité et il avait basculé dans le vide à défaut d'une autre prise.

- Vous ne comptez tout de même pas refaire cette même folie après que vous ayez manqué d'y laisser votre vie ?

Aphrodite fronça les sourcils tout en s'asseyant en tailleur sur le sol au côté du blessé et éplucher des baies Oran dans un récipient en bois. Ces fruits, bien que très courants, ne poussaient qu'en bas, sur l'île. Elle avait dû s'absenter un long moment afin de descendre en cueillir.

- Mangez ça, ordonna-t-elle en lui glissant un quartier de force entre les lèvres. C'est excellent pour se régénérer.
- Dans mon état, vous croyez vraiment que ça servira à quelque chose ?
- Vous n'êtes qu'un vieux fou. Vous avez préféré vous entêter à escalader cette montagne plutôt que tenir compte de mon avertissement.
- Surveillez un peu votre langage, ma jolie. Je ne suis pas si âgé que ça. D'ailleurs, qu'est-ce qui me prouve que sous vos airs de midinette, vous n'avez pas la trentaine, vous aussi ?

Cette fois, Aphrodite alla jusqu'à ouvrir des yeux ronds pour marquer sa surprise. Elle n'en revenait pas que cet homme, cet étranger auquel elle avait certainement sauvé la vie pour Arceus savait quelle raison, l'insulte de la sorte. Si elle avait su cela, elle l'aurait sans nul doute laisser mourir.

Elle avait certes près d'un millier d'années mais, par rapport aux critères humains, elle n'en paraissait pas plus de vingt. De surcroît, encore plus que toute autre femme, elle détestait les remarques péjoratives sur son physique qui avait été créé pour être parfait, l'image même de la beauté.

Vexée, elle se montra brutale au moment d'ôter le bandage qu'elle avait rapidement noué autour de la main meurtrie de Wilbert afin d'y étaler un onguent à base de plante. Elle était loin d'avoir le talent de Circé, néanmoins elle connaissait par coeur la faune et la flore du Mont Braise et pouvait donc aisément s'en accommoder.

- Je vous ai offusquée ? Z'êtes bien silencieuse, tout à coup.
- A votre avis ? répliqua-t-elle en frappant son bras, ce qui lui provoqua une vive douleur. Je prends soin de vous et c'est de cette façon que vous me remerciez ? Par une réplique cinglante ? Vous mériteriez que je vous jette dehors, sous la pluie.
- Pourquoi est-ce que vous le faites pas, alors ?

Pourquoi ne le faisait-elle pas ? Excellente question. Elle-même se la posait, d'ailleurs. Elle avait déjà vu des humains périr en tentant d'escalader cette montagne. Elle en avait même regardé agoniser certains, riant de leur témérité quand elle s'était pourtant échinée à les prévenir du danger. Pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre ? Sans doute parce qu'elle croyait percevoir en lui quelque chose de différent.

- Arrêtez de bouger, sinon je vais me fâcher.

Elle lui parlait comme à un enfant. En fait, c'était très courant chez elle. Son instinct maternel ne cessait de s'accentuer au fil des siècles, mais elle n'avait jamais eu le plaisir d'attendre un bébé. Elle ignorait même si cela était possible puisque seules Eve et Lilith avaient été créées avec un don de fertilité, avant qu'Arceus ne le reprenne à la Première.

Isis ayant conçu Horus, néanmoins, elle ne voyait pas de raison pour que cela lui soit interdit, mais l'occasion ne s'était encore jamais présentée à elle. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle haïssait Eve, sans doute même plus que sa rivale de toujours qui les avait pourtant trahis. Elle avait eu la chance de voir naître Lamia, or elle avait laissé Zeus provoquer son bannissement sans même avoir la volonté d'intervenir. Comment pouvait-on faire cela à la chair de sa chair ?

Elle chassa ces pensées qui lui causaient tant de chagrin de son esprit et se reconcentra sur les soins qu'il lui fallait prodiguer au blessé. Son allure de costaud lui rappelait un peu Prométhée, bien que cet homme là soit plus bourru que lui. Il était aussi robuste et ne gémit que très rarement, malgré la douleur qu'il devait éprouver.

- Voilà, murmura-t-elle une fois qu'elle eut terminé de lui poser plusieurs attelles. Avec ça et les baies que je vous ai donné, vos os devraient se ressouder très vite. Vous n'êtes pas en état de redescendre sur l'île, cependant, ce qui signifie qu'il va vous falloir me supporter encore quelques jours, en attendant que vous soyez apte à vous déplacer par vous-même.

Wilbert grogna, mais ne répliqua pas. Malgré l'attitude un peu agaçante de cette femme, elle avait vraisemblablement un bon fond puisque rien ne l'avait obligée à s'occuper de lui. Il la remercia en grommelant. C'était la première fois qu'il témoignait de la reconnaissance à quelqu'un.

- Il n'y a pas de quoi, répondit Aphrodite, le regard perdu dans le vide. Il faut vous reposer, à présent.

***
La déesse devint plus vivable à partir du lendemain et il commença même à lui trouver des qualités. En plus d'être incroyablement belle, elle était dotée d'une vivacité d'esprit peu commune et d'une certaine intelligence. Elle cuisinait également comme personne les pokémon qu'elle parvenait à attraper dans la montagne afin de l'alimenter.

Le troisième jour, elle partagea un bol de soupe avec lui. Cela l'étonna car depuis qu'il l'avait rencontrée, il ne l'avait encore rien vue manger. Ils étaient assis sur une roche plate, côte à côte, face au feu sur lequel elle faisait dorer un Rattata empalé sur une broche de fortune.

- Vous avez de l'appétit, ce soir, constata-t-il.

Il voulut briser le silence, pourtant son mutisme ne semblait pas la mettre mal à l'aise. Il fallait admettre qu'il avait prononcé en peu de temps presque autant de mots qu'en une année. C'était très inhabituel chez lui de parler, surtout en premier

- Oui, je dois... Je dois faire attention à ma ligne.

En réalité, comme tous les autres légendaires, Aphrodite n'avait pas besoin de se nourrir puisqu'elle était déjà dotée de l'immortalité. Elle avait cependant désiré faire un effort ce soir-là en dinant avec son hôte.

Wilbert lui jeta un regard blasé. Sa ligne ? Elle ne devait pas peser un gramme de trop, contrairement à lui qui commençait vraiment à s'empâter avec l'âge. Il ne releva pas, malgré la remarque cinglante qui lui brûlait les lèvres, et se contenta d'achever son potage.

- Ca fait longtemps que vous êtes ici ? lui demanda-t-il au bout d'un moment.
- Un an, peut-être plus.
- Pourquoi vous faites ça ?
- Ma famille protège Sulfura depuis des générations. C'est à mon tour, à présent.
- Et vous quittez jamais cette caverne ?
- Cela m'arrive, parfois, mais jamais bien longtemps. Je ne me sens pas bien quand je me trouve loin de lui.

Aphrodite baissa les yeux. Personne ne pouvait comprendre le sentiment puissant qui la liait à son pokémon. Les relations que les dresseurs tentaient de nouer avec leur équipe n'étaient qu'une pâle copie de cette quintessence. Elle ne le supporterait pas s'il venait à lui arriver malheur.

- Je vous remercie pour... pour tout ce que vous avez fait, finit par lâcher maladroitement Wilbert.
- De rien.

Elle semblait à présent tout aussi gênée que lui. Elle lui prit son bol une fois qu'il eut terminé sa soupe et alla les empiler auprès du feu dans lequel elle jeta une branche sèche afin de l'attiser.

- Les baies ont vraiment fait des miracles sur moi, confessa-t-il. Je pense que je vous quitterai demain matin, je ne tiens pas à abuser de votre gentillesse ni de votre hospitalité plus longtemps.

Aphrodite l'observa un instant tout en attisant les braise à ses pieds. La lumière rougeaude des flammes se reflétaient dans ses yeux ainsi que sur l'ensemble de son corps. Au bout de quelques secondes, elle murmura :

- Vous pouvez rester, aussi.
- Passer plus de quatre jours au même endroit, ce n'est pas fait pour moi, ma p'tite dame, mais je vous serai toujours reconnaissant pour tout ça.

Il lui adressa un sourire auquel elle répondit froidement, puis il se mit debout pour rejoindre sa couche de paille. Ses os s'étaient pratiquement ressoudés grâce à son régime de baies Oran et aux cataplasmes qu'Aphrodite lui avait fait. Il lui souhaita bonne nuit, ce à quoi elle ne répondit pas. Il ne s'en offusqua pas : la gente féminine était sans doute le seul mystère qu'il n'avait aucune envie de percer.

Il fut réveillé au milieu de la nuit par un contact tiède. Il entrouvrit les yeux pour voir le feu qui crépitait faiblement, avec moins d'intensité qu'au moment où il s'était endormi. C'était la déesse qui l'avait tiré du sommeil. Elle était penchée par-dessus son épaule alors qu'il dormait en chien de fusil et ses longs cheveux dorés caressaient sa joue.

- Un problème, miss Abigail ? demanda-t-il d'une voix pâteuse.
- Non, aucun.
- Alors qu'est-ce...

Il n'eut pas le temps de formuler sa question que la bouche d'Aphrodite se refermait sur la sienne. Il ouvrit des yeux ronds alors qu'elle-même gardait les siens clos. Ses lèvres étaient délicates, sa peau douce et parfumée, ses boucles soyeuses.

- Dites voir, vous vous sentez bien ? s'enquit-il lorsqu'elle le relâcha.
- Je ne vous plais pas ? répliqua-t-elle, l'air pincé.

Il était complètement désemparé. Cette femme n'avait pas dû fréquenter un homme depuis des années pour vouloir jeter son dévolu sur lui. Avec un physique aussi parfait que le sien, elle n'avait rien à aimer chez lui.

- Ce n'est pas ça, c'est juste... Je comprends, vous devez certainement souffrir de solitude, mais... C'est pas très raisonnable, admettez-le.
- Vous êtes marié ?
- Non.
- Vous avez des enfants ?
- Non.
- Vous me trouvez jolie ?
- Oui, très, mais...
- Qu'est-ce qui vous ennuie, alors ? questionna-t-elle, les sourcils arqués.
- Je pense que ce n'est pas une bonne idée de faire ça uniquement parce que vous vous sentez seule.
- Je ne le fais pas parce que je me sens seule, mais parce que j'en ai envie.

Une agréable chaleur émanait de son corps posé contre le sien. Evidemment, Wilbert avait très envie de céder à ses avances, mais il n'était toujours pas certain que ce soit la chose à faire. Il n'avait plus touché une femme depuis trop longtemps.

- S'il te plait, murmura Aphrodite en l'embrassant encore. S'il te plait...

Ses mains immenses se refermèrent alors autour de la taille fine de la déesse qui venait de s'asseoir à califourchon sur ses jambes. Elle semblait si fragile, même s'il avait remarqué au cours des derniers jours que ce n'était qu'une apparence. Comment allait-il s'y prendre sans redouter de la briser ?

En réalité, il n'eut pas à faire grand-chose. Aphrodite était très entreprenante, beaucoup plus qu'un ermite dans son genre. Il se contentait de répondre à ses caresses, de frémir quand sa bouche parcourait son corps, de l'étreindre quand elle se rapprochait de lui. A la fois douce et féline, tendre et brûlante, il n'avait rien connu de tel dans toute sa vie.

Cela dura des heures. Apparemment, elle n'était jamais rassasiée car elle n'hésitait pas à grogner d'un air menaçant lorsqu'il tentait de mettre fin à leurs ébats, non pas que cela lui déplaise, mais parce qu'il croyait que cette jeune femme dont il ignorait tout n'était plus vraiment elle-même.

Peu de temps avant l'aube, elle le laissa s'endormir, non sans avoir posé sa main sur son sein au préalable. Elle voulait qu'il sente son coeur battre pour lui, qu'il perçoive son rythme sous sa peau. Elle avait envie qu'une partie de lui la touche encore.

Elle ne savait pas ce qui lui avait pris. Cet humain... Si Arceus venait à l'apprendre, il rentrerait dans une folie furieuse et pourtant, elle n'y songeait même pas. Rien n'avait d'importance pour le moment, à l'exception du corps de Wilbert contre le sien. Il était loin d'être beau, contrairement à elle, pourtant il lui plaisait infiniment. Elle pelotonna sa tête dans le creux de son épaule et ferma les yeux. Pour la première fois de sa longue existence, elle regrettait d'être incapable de dormir.

Quand Wilbert émergea du sommeil, la matinée était déjà bien avancée et Aphrodite était toujours couchée contre lui, emmitouflée dans sa couverture miteuse. Elle ne s'était pas encore rhabillée, pourtant elle s'était apparemment réveillée avant lui puisqu'elle avait déjà les yeux ouverts.

- Bien dormi ? demanda-t-elle d'une voix douce.

Il lui répondit d'un simple hochement de tête, puis ramassa ses vêtements afin de les enfiler. Ce ne fut pas une mince affaire à cause de ses nombreux os brisés. Il y parvint néanmoins mais, au moment de passer son pull, Aphrodite l'en empêcha en venant poser sa tête sur son épaule nue.

Son contact le mettait mal à l'aise. Au terme de ces quelques jours, il s'était profondément attachée à cette étrange jeune femme, mais il savait très bien qu'il allait repartir dans les heures à venir et il ne voulait pas lui causer de peine.

- Ecoute... commença-t-il, mais elle l'interrompit en plaçant un doigt sur ses lèvres.
- Ce n'est pas la peine. Je sais déjà ce que tu vas me dire. Avant que tu t'en ailles, cependant, il y a quelque chose que je voudrais te montrer.

***
Il faisait une chaleur accablante dans la salle où Aphrodite le conduisit, en plein coeur du Mont Braise, et pour cause : un immense lac de lave en fusion s'étendait sous leurs yeux. Wilbert ne parvenait pas à le croire, c'était tellement impressionnant.

- Sulfura ! appela-t-elle de sa jolie voix. Sulfura !

La surface épaisse s'agita, d'abord faiblement, puis de plus en plus au fur et à mesure qu'une ombre semblait s'en rapprochait. Soudain, le sublime oiseau légendaire au plumage doré pourfendit le liquide incandescent. Il se tenait désormais face à eux, ses élégantes ailes déployées.

- Viens, approche. Je voudrais te présenter quelqu'un.

La créature poussa un cri menaçant et claqua du bec en direction de l'explorateur, mais son humaine le réprimanda sévèrement. Il s'avança donc vers le rivage, le regard dur. Un seul coup de dents de sa part et il pourrait certainement lui trancher le poignet. Wilbert décida malgré cela de faire confiance à la déesse.

- Laisse-toi faire, ordonna Aphrodite à son pokémon. Tu n'as rien à craindre de lui.

Il approcha sa face de celle de l'aventurier, qui étendit une main prudente vers lui. Il hésita un instant et, comme la femme s'en aperçut, elle l'encouragea d'un sourire. Il glissa alors sa main entre les plumes jaune vif de l'oiseau. La chaleur qui émanait de lui était presque aussi intense que celle du lac de lave.

- Si on m'avait dit un jour que je caresserai un légendaire... murmura-t-il, émerveillé.
- Deux, en fait, corrigea la divinité.
- Comment ça ?
- Peux-tu me faire la promesse de garder à jamais un secret ?

***
- Une humaine légendaire ? répéta Wilbert, abasourdi. Et vous êtes nombreux ?
- Un pour chaque pokémon. Notre devoir est de les épauler. Je suis née du magma et de la lave en fusion par la volonté de Sulfura. C'est pour cette raison que je fais preuve d'un dévouement sans pareil à son égard.
- Vous servez à quoi, exactement ?
- A maintenir l'équilibre de l'univers. Il a été autrefois menacé par la liaison immonde de Lilith et de Giratina et il nous faut veiller à ce que cela ne se reproduise pas.
- Personne n'est au courant de votre existence depuis tout ce temps ?
- Personne. Tu es le premier.

Aphrodite caressa sa joue rendue rugueuse par sa barbe drue. Elle lui avait tout avoué, de sa véritable identité au rôle qu'elle jouait parmi les disciples d'Arceus. Elle avait pensé qu'il ne la croirait pas, mais il l'avait écouté du début à la fin et ne la prenait visiblement pas pour une folle.

- Et les ruines Sinjoh, alors ? demanda-t-il après un instant de silence. Elles existent, oui ou non ?
- Oui... Par contre, tu ne dois jamais t'en approcher. Jamais.
- Pourquoi ?
- Parce que... Parce qu'il y a une force contenue là-bas... Si Elle venait à se libérer, cela chamboulerait le monde tel que tu le connais et nous-mêmes serions impuissants dans une telle situation.
- Ah bon ? Plus fort que les légendaires, ça existe ?
- Infiniment plus, même. Promets-moi que tu ne tenteras pas de retrouver cet endroit.

Wilbert hésita une minute. Découvrir ce temple pour restaurer l'honneur de son ancêtre était le but de sa vie. Néanmoins, devant le regard mélancolique d'Aphrodite et la beauté sulfureuse qui émanait d'elle, il oublia toute sa détermination. Il ne voulait pas lui causer davantage de peine.

- D'accord. Je ne le chercherai pas.

Elle lui sourit, puis l'embrassa sur les lèvres. Elle l'avait raccompagnée jusqu'au plateau où elle l'avait secouru. Malgré son bras en écharpe, il pourrait descendre le flanc de la montagne en rappel à l'aide d'une corde. Il ne ressentait plus la moindre douleur dans ses membres, désormais.

- Je suppose que je ne peux rien te dire pour te convaincre de rester ? s'enquit-elle avec tristesse.
- Non. Je dois partir. C'est clair qu'on n'appartient pas au même monde, toi et moi. Tu es un mythe et moi, je préfère toujours filer vers l'horizon.

Il effleura ses cheveux dorés du revers de sa main puissante. Il savait qu'il ne reverrait jamais une telle beauté. Ces quelques jours passés en sa compagnie avait bouleversé sa vision du monde et il n'était pas certain qu'après cela il parvienne à retrouver totalement son goût pour la solitude.

- Adieu, Aphrodite. Prends soin de toi.

Il lui déposa un baiser sur le front, ce qui lui arracha un petit rire peiné. Elle réussit malgré son chagrin à plaisanter :

- Je suis une légendaire et Sulfura me protège. Que veux-tu qu'il m'arrive ? Celui qui pourra me faire du mal n'est pas encore né.

Ils échangèrent une ultime étreinte, puis se séparèrent. La déesse fut la première à lui tourner le dos. Si elle avait pu pleurer, elle aurait certainement versé une larme, mais heureusement, elle ne possédait pas cette faculté propre aux êtres normaux. Elle était bien au-dessus de cela.

Qui aurait cru, cependant, qu'une rencontre avec un simple humain provoquerait en elle une telle tempête de sentiments ? Elle s'était fourvoyée jusqu'à présent en pensant que l'amour n'était qu'un vain mot. Après ces siècles à courtiser Satan, elle comprenait que la seule chose qui l'avait poussée à agir de la sorte était son besoin maladif d'être au centre de l'attention.

Maintenant qu'elle connaissait Wilbert, tout était différent. Elle lui avait ouvert son coeur, elle avait partagé ses secrets avec lui et surtout elle y avait pris du plaisir. Jamais elle n'avait éprouvé tout cela auparavant. Etait-ce les émotions qu'un humain ressentait au quotidien ? Si c'était vraiment le cas, alors il lui faudrait admettre qu'Arceus se trompait. Ce n'était ni une faiblesse, ni une perte de temps. Au contraire, se dévoiler de la sorte à un autre individu était même un symbole de force.

***
- Chante encore pour moi, veux-tu ?

Volupté cessa de marcher pour s'asseoir élégamment sur le sol brûlé de la Tour Cendrée. Suicune vint s'étendre à côté d'elle, ses gracieuses pattes bleues repliées sous lui et elle posa une main douce dans sa fourrure fraîche. Il poussa un grognement de contentement avant qu'un son étrange ne s'échappe de ses cordes vocales. Il fredonnait.

La divinité ferma les yeux et se laissa bercer par la mélodie. C'était bien la seule chose qu'elle regrettait du règne de Némésis : aucun son n'était plus beau, plus pur que le chant de Lugia. Aucun n'était aussi tragique aussi, puisqu'il n'était jamais bon de l'entendre.

A l'instar de tous les autres, elle redoutait la déesse et n'avait pas hésité à être l'une des premières à s'allier avec Arceus afin de la capturer. Elle représentait une trop grande menace pour eux tous. Aphrodite n'était pas convaincue, à l'origine, mais elle avait fini par se joindre à leur coalition.

Soudain, Suicune cessa de chanter. Alertée par cette interruption, Volupté, qui avait blotti sa tête contre sa crinière violette, se redressa. Elle sauta gracieusement sur ses pieds, le visage grave. Son Chien avait senti une seconde avant elle la présence qui se rapprochait.

- Qui est-ce, d'après toi ?

Pour toute réponse, il s'étira et demeura dans la même position, les pattes avant tendues, celles de derrières légèrement pliés, prêt à bondir. Ses babines retroussés laissaient entrevoir ses crocs, avec lesquels il pourrait entaillé la chair de n'importe quel adversaire. La déesse, sur ses gardes, s'empara de sa lance en bois calée jusqu'à présent contre l'un des piliers noircis de la Tour Cendrée.

- Il y a quelqu'un ? appela-t-elle, menaçante.

Ce n'était pas un humain. Seuls quelques rares téméraires s'aventuraient dans le bâtiment en ruine en dehors des heures d'ouverture et elle les sentait venir à l'avance, grâce à leur aura. Cette chose-là n'en avait pas, ce qui faisait forcément d'elle un humain légendaire.

Depuis qu'elle avait chassé Inari et Seth d'ici, après qu'ils aient provoqué l'incendie qui avait ravagé leur temple, elle craignait des représailles de leur part, et surtout de la première qui, elle avait mis du temps à le comprendre, était l'alliée la plus fidèle de Lilith. Ils n'avaient cependant rien tenté contre elle au cours des siècles précédents. Pourquoi l'attaqueraient-ils maintenant ?

Suicune aboya, le poil dru, l'échine courbé. Son museau était pointé en direction du ciel, là où Ho-Oh se posait autrefois, quand Prométhée venait encore lui rendre visite. Elle glissa sa lance dans son dos et grimpa à califourchon sur celui de son pokémon. Il bondit dans l'escalier à une vitesse nettement supérieure à la moyenne pour avaler les marches une à une sans ralentir.

Volupté voyait la lumière du sommet se découper dans la pénombre du lieu. Elle redoutait ce qui l'y attendrait, mais elle pouvait compter sur son légendaire pour la défendre. Après tout, il était aussi fort que les autres Chiens et pouvait même rivaliser avec de nombreuses autres divinités pokémon en terme de puissance.

Elle ne resta pas sur ses gardes bien longtemps. Le soulagement illumina son visage lorsque, ayant atteint le haut de la Tour, elle constata que son visiteur était simplement Sulfura. Elle esquissa un sourire à l'intention d'Aphrodite, encore assise sur son plumage, tandis qu'il repliait ses ailes.

Elle déchanta bien vite en remarquant le visage grave de son amie. La sublime déesse avait les traits las et paraissait anxieuse, comme si quelque chose la contrariait, ce qui était visiblement le cas.

- Quelque chose ne va pas ? s'enquit aussitôt Volupté.
- Tout. J'ai besoin de ton aide.
- De mon aide ? Bien sûr, mais pourquoi ?
- Il faut que je me cache.
- Te cacher ? répéta-t-elle, étonnée.
- D'Arceus. Il me châtiera s'il apprend ce que j'ai fait et... il le tuera.
- Qui donc ?

Aphrodite se laissa glisser en douceur contre le flanc de son pokémon et se réceptionna sur le toit de la Tour en silence. Ses souliers plats n'émirent pas le moindre bruit au contact du sol tant elle semblait légère. Volupté ouvrit des yeux ronds en constatant sa métamorphose.

- Mon bébé. S'il vient à apprendre que je suis enceinte d'un humain, il cherchera à me le voler.

***
- Je n'arrive pas à croire que tu aies pu faire une chose pareille !
- Ce n'est pas...
- Un humain ! Tu as laissé un humain te... Peux-tu m'expliquer ce que tu avais en tête à ce moment-là ?

Volupté, d'ordinaire si calme, faisait les cents pas en triturant nerveusement ses doigts. Aphrodite, assise contre Sulfura dont le plumage chaud la réconfortait, suivait ses allées et venues des yeux.

- Ce qui est arrivé à Lilith ne t'a pas suffi, visiblement ? Il te faut un autre exemple de ce qu'Arceus fait à ceux qui se montrent indignes de leur rang ? Il va te punir, et en conséquence moi aussi, parce que tu viens de faire de moi ta complice en me révélant ton secret.
- Tu es ma meilleure amie, la seule en qui je puisse avoir confiance. Ce n'est l'affaire que de quelques semaines, Arceus n'en saura rien.
- Et si Zeus se rend à la Tour Cendrée ? Si Prométhée...
- Prométhée n'est pas revenu te voir depuis des années et, même si c'était le cas, il a beaucoup trop d'intégrité pour songer à te trahir. S'il te plaît, Volupté, aide-moi.

La déesse cessa un instant de marcher pour étudier le regard suppliant que lui jetait Aphrodite. Elle pouvait percevoir la sincérité des gens et elle savait que son amie n'exagérait pas : elle était vraiment en proie à une réelle détresse.

- Très bien, tu peux rester ici jusqu'à... jusqu'à ce que tu l'aies mis au monde. Je suis cependant incapable de me porter garante à ce sujet. Tu te souviens de l'accouchement d'Eve ? Suite à la mort d'Isis, elle a été contrainte de le faire dans la douleur.
- Je résisterai, affirma la divinité, le regard déterminé.
- Et que comptes-tu en faire à la naissance ? Il est exclu que tu le gardes avec toi. Arceus finira par le découvrir.
- Je sais. Je... Justement, je comptais sur toi pour... pour localiser son père. Je pourrais lui confier l'enfant, je sais qu'il en prendra le plus grand soin.
- Si j'arrive à mettre une couleur sur son aura, je ne devrais pas avoir trop de peine, effectivement. Tu n'as pas peur de ce qui reste d'en découler, tout de même ?

Aphrodite leva une expression interrogative en direction de Volupté qui s'était désormais immobilisée devant elle, les bras le long du corps, le visage doux, quoique légèrement anxieux.

- Comment cela ?
- Lamia et Horus sont des légendaires grâce à leurs parents, sans même avoir eu besoin de leur pokémon. Ton bébé le sera à moitié. Tu ne redoutes pas qu'il développe des dons que nous seuls sommes censés posséder ?
- Il sera aussi à moitié humain. J'espère pour moi qu'il tiendra davantage de son père que de moi.
- Si jamais cela devait se produire, tu ne penses pas qu'il se poserait des questions ?

Aphrodite détourna précipitamment les yeux, soudain mal à l'aise. Son interlocutrice répéta sa question une fois, deux fois, tandis que sa voix continuait de s'affermir. Comme la déesse n'était toujours pas décidée à répondre, elle s'exclama :

- Ne me dis pas que... Tu lui as parlé de nous ?
- Peut-être bien un peu.

Volupté poussa un soupir qui en trahissait long sur son mécontentement. Elle perdait rarement son calme, pour ne pas dire jamais, cependant son attitude trahissait sa nervosité.

- Si Arceus l'apprend...
- Cesse donc avec Arceus ! Tu es la seule à être au courant. Si tu ne le cries par sur les toits, il n'y a aucune raison pour qu'il l'apprenne.
- Et cet homme ? Cet... humain ? Que s'est-il exactement sur nous ?
- Que nous veillons sur l'équilibre du monde, comme nos pokémon. Que nous sommes apparus il y a un millénaire de cela et que nous ne cesserons jamais d'exister.
- C'est tout ?
- Non... avoua Aphrodite après une légère hésitation. Je lui ai également parlé... d'Elle.
- Tu as quoi ?
- J'en ai juste fait mention. Il m'a dit que l'objectif de toute son existence était de trouver les ruines Sinjoh afin de rétablir l'honneur de son aïeul. Tu aurais voulu que je le laisse fureter dans Son antre ? J'ai préféré l'en dissuader.
- Sait-il quel est le secret que l'île renferme ?
- Seulement qu'il s'agit de notre fléau à nous, les légendaires.

Volupté plaqua une main contre son front, puis cala nerveusement une mèche de cheveux couleur ébène derrière son oreille. Finalement, après quelques instants d'énervement, elle vint s'asseoir à côté de son amie.

- Une chose est certaine : je préfèrerais mille fois subir le courroux d'Arceus plutôt que d'avoir à nouveau affaire à Elle.

***
- Dépêche-toi ! s'époumona Aphrodite.

Une main sur son ventre rond, l'autre appuyée sur l'encolure de Sulfura qui la soutenait, elle poussait de grands cris pour exprimer sa douleur. Elle avait perdu les eaux et commençait désormais à paniquer. Elle avait tellement mal.

- Ne panique pas, surtout !
- Crois-tu vraiment que ce soit si facile que cela ?
- Allonge-toi sur le sol.
- Il est plein de poussière, c'est sale et...
- Suicune !

Le Chien souffla un jet d'eau puissant qui récura la suie aux pieds d'Aphrodite juste avant que celle-ci ne s'y effondre. Les mains crispées sur les plumes de son oiseau, elle manqua de lui en arracher plusieurs. Des larmes ruisselaient sur ses joues alors que sa souffrance s'accentuait de plus en plus.

- Fais-le sortir ! haleta-t-elle, la voix rauque de tant s'égosiller. Sors-le de mon ventre !
- Je... Je ne sais pas comment faire.

Volupté se précipita vers elle pour s'agenouiller à ses côtés et déchira la robe qu'elle portait sur toute la longueur afin de libérer un accès à son ventre. La déesse respirait mal et ne cessait de trembler.

- Je me souviens que Lamia a mis des heures pour venir au monde. Eve a longtemps cru qu'elle n'y survivrait pas, d'ailleurs.
- Je ne veux pas mourir... souffla Aphrodite, les dents serrées.
- Tu es plus forte qu'elle, tu survivras.
- Pas si les contractions continuent ainsi. Cela me fait bien trop mal ! Je t'en prie, Volupté, trouve quelque chose.
- C'est Héra qui a accouché Eve. En ce qui me concerne, je ne vois pas ce que je pourrais faire pour te venir en aide sans te faire courir le moindre risque.
- Je veux que cela s'arrête ! S'il te plait !

Elle pressa si fort la main de l'humaine légendaire liée à Suicune qu'elle faillit lui briser les os. Cette dernière se mordit la lèvre pendant que son pokémon lui donnait un coup de museau encourageant sur l'épaule. Sulfura, lui, observait la scène d'un oeil à la fois attentif et anxieux.

- Je pense qu'il faut que tu l'expulses.
- Comment ?
- Je ne sais pas... Contracte les muscles de ton corps et essaye de pousser le bébé vers la sortie.

Si les divinités étaient particulièrement intelligentes, elles ne connaissaient rien aux pratiques mortelles, du moins pour la plupart. Volupté et Aphrodite étaient aussi désemparées l'une que l'autre. La première se sentait inutile, quant à la seconde, elle avait l'impression d'être terrassée par une force inconnue, elle qui était pourtant une guerrière.

- Attends... Arrête ! Tu saignes.
- Je saigne ? répéta la déesse. Penses-tu que ce soit normal ?

La brune s'était désormais accroupie à hauteur de ses jambes entrouvertes et observait le liquide écarlate qui s'en échappait d'un inquiet. Il maculait déjà une bonne partie de la robe déchirée d'Aphrodite. Cette dernière ne cessait pas de gémir.

- Non, je ne crois pas. Du moins, je n'en sais rien. Cela ne va pas du tout, Aphrodite ! Il faut que nous fassions quelque chose très vite, sinon j'ai peur pour toi.
- Que suggères-tu ? Ah !

Des contractions puissantes la faisaient sursauter. Elle rêvait d'empoigner une dague et de s'ouvrir le ventre pour en faire sortir le bébé uniquement pour que celui-ci cesse de la torturer de la sorte.

- J'ai peut-être une idée, mais...
- Mais quoi ?
- Prométhée connait bien les humains, je suis certaine qu'il peut t'aider.
- Prométhée ?
- Tu as dit toi-même à ton arrivée ici qu'il ne ferait jamais rien pour me nuire. Je veux bien concevoir qu'il soit le valet de pied d'Athéna, mais je lui fais confiance malgré cela. Il a encore suffisamment de respect envers moi pour conserver mes secrets. Aphrodite, si nous n'agissons pas, tu risques de mourir.
- D'accord, accepta-t-elle après une brève hésitation. Sulfura, Suicune, allez le chercher.

L'oiseau se répugnait d'abandonner celle à laquelle il était lié, mais il devait exécuter ses ordres, surtout si sa vie en dépendait. Il délaissa donc sa place auprès d'elle pour déployer ses ailes tandis qu'elle continuait de s'agiter faiblement sur le sol, le corps recouvert de sueur qui se mêlait au sang.

***
- Que fait-il, bon sang ? gronda Volupté.

Avec un linge humide, elle essuyait le front de son amie qui sanglotait dans ses bras. Elle se fatiguait, continuait de se vider sans que le bébé ne se montre. La déesse avait bien tenté de lui appuyer sur le ventre, mais cela n'avait pas fonctionner. Aphrodite, elle, cherchait toujours à l'expulser en bandant ses muscles, cependant cela ne servait pas davantage.

Soudain, un aboiement puissant fit trembler les murs mal en point de la Tour Cendrée. Suicune était de retour et, d'après Volupté qui se redressa précipitamment, il était porteur de bonne nouvelle.

- Je reviens dans un instant.

Elle s'apprêtait à aller accueillir Prométhée, toutefois Aphrodite la retint par la main. Des larmes de souffrance continuaient de ruisseler sur ses joues et par le biais d'un simple regard suppliant, elle lui demanda de ne pas la laisser seule.

L'humain légendaire les rejoignit une longue minute plus tard. Le Chien bleu le précédait et, lorsqu'il vit la scène des deux divinités à terre, il marqua un temps de stupeur. Il se précipita néanmoins aussitôt vers elle pour s'agenouiller à son tour au côté de la déesse de Sulfura.

- Il semblerait que je doive vous tirer d'un bien mauvais pas, Aphrodite, murmura le géant.
- S'il vous plait, vous êtes le seul en qui Volupté peut se fier pour m'aider.
- Et elle a raison. Vous auriez dû m'avertir bien avant que le travail ne commence, au lieu de cela, vous êtes en train de faire une hémorragie.
- Si vous ne pouvez rien pour moi, alors tant pis, mais sauvez le bébé s'il n'est pas trop tard, je vous en prie.
- Es-tu folle ? s'exclama sa complice. Un enfant ne vaut rien aux yeux du monde, contrairement à toi.
- Elle est en train de découvrir un sentiment nouveau, propre... aux femmes. Cela s'appelle l'instinct maternel.
- Sauf qu'elle n'est pas une femme, mais une divinité. Elle est bien au-dessus de tout cela.
- Aphrodite ? appela Prométhée en lui tapotant les joues car elle paraissait sur le point de s'évanouir à cause de la quantité impressionnante de sang qu'elle perdait. Ne m'en voulez pas, cependant je vais avoir besoin de faire des gestes qui vous certainement vous sembler très déplacés.
- Faites. Cela n'a aucune importance.

Volupté, outragée par la tournure que prenait la scène qui se déroulait sous ses yeux, détourna le regard. Elle espérait que le dieu n'aurait pas besoin de son assistance, car elle serait bien incapable de réitérer ce qu'il faisait.

Il resta de longues minutes penché par-dessus le corps ensanglanté d'Aphrodite, qui hurlait encore par moment en dépit de ses forces qui l'abandonnaient. Enfin, au bout d'un temps qui parut interminable, il se redressa, les bras écarlates, à l'instar de ses habits, une masse rougeâtre entre les bras.

- C'est une fille, annonça-t-il aussitôt.

Volupté jeta un regard rapide et fronça les sourcils lorsque la chose qu'il tenait se mit à pousser de petits cris en gigotant faiblement. Prométhée posa une main gigantesque sur la petite boule ronde qui servait de tête au nouveau-né dans un mouvement protecteur.

- Ce... C'est cela ? Par Arceus, que c'est laid ! Comment une telle monstruosité peut-elle sortir des entrailles de la Beauté ?
- Parce qu'elle est à demi-humaine. Elle tient autant de son père que de sa mère.
- D-Donnez-la m-moi...

Aphrodite, livide, tenta de lever un bras en direction du bébé, mais celui-ci retomba mollement le long de son corps. Volupté secoua la tête, puis fit un pas vers elle en évitant de marcher dans les gouttelettes de sang qui avaient éclaboussé les alentours.

- Arrête tes sottises, tu es bien trop faible. Repose-toi.
- N-Non. Je veux l-la voir.

Malgré son épuisement et le fait qu'elle parvienne à peine à s'exprimer, une lueur déterminée brillait dans son regard. L'humaine légendaire liée à Suicune conserva son scepticisme, mais Prométhée ne vit aucun inconvénient à poser l'enfant sur sa poitrine. Aphrodite sourit lorsque sa peau rentra au contact de celle de sa progéniture.

- C'est vraiment moi qui ai fait cela ? s'émerveilla-t-elle.
- Vous pouvez en être fière.
- Pas tant que cela, intervint Volupté. Rappelle-toi que nos têtes tomberont si ton erreur atteint les oreilles d'Arceus. Je vous en prie, Prométhée, assurez-moi que vous n'en soufflerez mot à quiconque.
- Vous pouvez me faire confiance, ma dame, cependant vous connaissez Athéna aussi bien que moi. Elle finit toujours par tout savoir et ce qu'elle ignore, les Zarbis s'empressent de lui attendre.
- Prions dans ce cas pour qu'ils lui taisent ceci ou, du moins, qu'elle se tienne de le répéter expressément à son père.

Aphrodite embrassa son bébé sur le front, puis le géant le lui reprit en affirmant qu'elle avait besoin de repos pour se régénérer. Sulfura alla s'étendre à côté d'elle, une aile posée par-dessus son corps afin de le réchauffer et de lui transmettre une partie de sa force. D'ici quelques heures, toutes les séquelles de l'accouchement auraient disparu.

***
- Etes-vous certaine de vraiment vouloir le faire ?

Prométhée observait Aphrodite avec compassion tandis que celle-ci, parfaitement remise de son douloureux accouchement, enveloppait avec soin le nouveau-né dans une couverture. Elle caressa ses joues rondes et, au moment d'éloigner sa main du bébé, vit ses doigts minuscules se resserrer autour de son index.

- Vous savez qu'il le faut.
- Pas forcément. Vous pourriez la garder avec vous et vous éloigner d'Arceus pendant un moment. Les humains ne vivent jamais plus d'un siècle.
- Cela lui laisse suffisamment de temps pour me retrouver.
- Pas si vous vous cachez.
- Pour devenir une paria en fuite, comme Circé qui a vraisemblablement disparu de la surface du globe ou Artémis qui passe son existence à se faire traquer ?
- Arceus n'a aucun grief contre vous, vous lui êtes loyale.
- Il est paranoïaque. Si je viens à disparaître, il pensera aussitôt que je me suis mutinée. Inari a longtemps caché son jeu, jusqu'à ce que Seth ne révèle la vérité au grand jour. Il se persuadera que je suis une alliée de Lilith, même s'il n'a pas la moindre preuve.

Prométhée leva les yeux au ciel. Le Créateur ne l'avait jamais apprécié à cause de sa proximité avec les humains et la réciproque était vrai. Il n'aimait pas voir Aphrodite malheureuse de devoir se séparer de son enfant uniquement par sa faute.

- Ce n'est pas pour moi que je m'inquiète. Que peut-il me faire, à part m'envoyer en exil à l'instar de Lamia ? Je ne peux pas laisser mon bébé courir le moindre risque. Il la tuera s'il découvre son existence. Il n'aura pas la moindre pitié pour elle en sachant que du sang humain coule dans ses veines. Je dois la protéger.

Le géant acquiesça. Elle avait raison. Arceus ne s'en prendrait jamais véritablement à un légendaire, en dehors des alliés de Lilith, toutefois il n'hésiterait pas à détruire ce genre d'hybride. A ses yeux, un croisement avec un mortel ne valait sans doute pas mieux qu'un Gijinka.

- Emmenez-la.

Aphrodite déposa son enfant entre les bras de Prométhée qui l'encercla avec douceur. Elle regarda ensuite Volupté, restée en retrait, qui secoua la tête. Elle était prête également. Elle ferma les yeux un instant et son corps fut entouré d'un halo lumineux qui changeait de couleur presque trop rapidement pour avoir le temps d'en percevoir une seule.

- Je crois que j'ai quelque chose, finit-elle par déclarer.

***
- C'est ici.

Volupté s'immobilisa à l'angle d'une rue, dans Vermilava. Elle n'était pas venue à Hoenn depuis des siècles. Un filament brun rouge qu'elle seule pouvait distinguer ondulait à ses pieds en direction de l'une des habitations. Elle la désigna à Prométhée d'un revers de la main.

- Etes-vous certaine de ne pas vous tromper, ma dame ?
- Non, je n'ai aucun doute. Il habite dans cette maison.

Le légendaire s'approcha du perron et, avec maintes précautions, déposa le nouveau-né sur le paillasson, soigneusement emmitouflée dans une couverture afin qu'elle n'attrape pas froid.

- Pensez-vous qu'elle aura une existence normale ?
- Je ne saurais le dire. Elle est encore trop jeune pour avoir une aura et me permettre de la lire. Les humains ne la développent que quelques années après leur naissance.
- Puisse Arceus ne jamais te découvrir, chère enfant... murmura Prométhée en caressant la tête du bébé endormi.

Il frappa un coup puissant par la porte de la maisonnette, puis s'éloigna précipitamment. Volupté l'imita et ils eurent tout juste le temps de disparaître que, déjà, le battant s'ouvrait. Wilbert Munhaüs découvrit avec stupeur la petite fille empaquetée dans un épais morceau de tissu juste devant chez lui.

Au même instant, elle ouvrit les yeux et commença à s'agiter dans sa couverture. Elle tendit un bras dans sa direction, comme si elle cherchait à l'attraper. Le coeur solitaire de l'aventurier s'enflamma à la vue de ce bébé fragile et délicat. Il ne pouvait pas la laisser dans la rue où il faisait si frais, il devait absolument la mettre à l'abri.

- Est-ce que tu as un nom, toi ? demanda-t-il en la soulevant doucement dans ses bras. Sans doute pas. Si on t'a abandonnée ici, on n'a sûrement pas pris la peine de te nommer. Pas grave, je vais le faire. A partir d'aujourd'hui, tu seras ma petite Emily.