Entre infini et au-delà de Cyrlight

Innamoramento - Mylène Farmer


Juste avant son départ des ruines Sinjoh, Némésis avait soigné grâce à ses pouvoirs les pokémon de Cassy, qui chevauchait à présent son Dracolosse régénéré. Elle vola pendant un long moment, survola des terres qu'elle connaissait bien, avant d'atteindre le lieu où elle désirait se rendre.

Si la déesse lui avait désormais tout révélé à propos de son passé et de ses origines, elle ne savait toujours rien de son avenir. Elle ignorait encore où se trouvait sa place. Certainement pas ici, dans cet endroit, où elle l'avait pourtant si longtemps cru et ardemment souhaité.

Deux portes vitrées coulissèrent sur son passage lorsqu'elle se présenta face à elle, afin de libérer l'accès à un laboratoire immaculé. Derrière les paillasses, deux scientifiques en blouse blanche interrompirent leur travail pour lever les yeux vers elle. Un troisième, beaucoup plus jeune, aux cheveux châtains hérissés de pics, resta bouche bée en la voyant debout sur le seuil.

- Bonjour, Régis, murmura-t-elle avec une certaine timidité qu'elle n'avait plus connu depuis des années.
- Cassy ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Il l'examina avec attention, comme s'il avait du mal à concevoir l'idée qu'elle puisse se tenir là, devant lui, en chair et en os.

- Je sais que tu m'as demandé de ne plus jamais remettre les pieds ici, mais... Je suis simplement venu voir comment tu allais.

Régis hésita un instant, puis d'un signe de tête un peu brutal, il l'invita à la suivre dans le jardin, celui où elle avait autrefois passé tant d'heures à s'occuper des pokémon confiés au professeur Chen.

- Où est-ce que vous en êtes ? demanda-il après un long silence, les mains dans les poches, alors qu'ils cheminaient en direction du petit étang.
- Nulle part. Il y a quelques heures à peine, nous étions face à Arceus qui a bien failli nous avoir pour de bon.
- Arceus ? Vous l'avez réellement affronté ?
- Nous n'avons pas eu le choix. Il s'apprêtait à lancer un assaut sur Ebénelle. Nous n'aurions pas survécu.
- Il est mort ?
- Non. Athéna tente de le ramener à la raison. En revanche, il sera bientôt jugé.
- Jugé ? s'étonna Régis. Comment peut-on juger le Créateur ?
- Némésis, la déesse de la justice. Tu te souviens, il y a peu de temps, j'ai parlé d'une boîte à Cynthia. Est-ce que tu sais si elle a découvert quelque chose à ce sujet ?
- Je n'en ai pas la moindre idée. Tu pourras lui poser la question, si tu veux.
- Comment cela ? Elle est toujours ici ?
- Lucio a pensé que l'air du Bourg-Palette lui était bénéfique. Il préfère qu'elle reste loin des affaires de l'Elite des Quatre, alors lui est reparti pour Sinnoh, mais elle, elle est restée. J'espère que vous n'avez pas trop fait de dégâts chez eux.
- Quand nous sommes partis, les murs de leurs appartements tenaient encore debout, répondit Cassy avec une ébauche de sourire.

Régis le lui rendit et, pendant quelques secondes, elle eut l'impression que rien ne s'était jamais passé, qu'elle redevenait la fillette insouciante d'autrefois, celle qui avait trouvé ici un abri et une famille. La réalité la rattrapa cependant bien vite : trop de choses avaient changé, elles ne pourraient jamais plus être les mêmes, à présent.

- J'imagine que je dois te féliciter.

D'un regard, le jeune homme désigna son petit ventre qui s'arrondissait de plus en plus. Elle fut surprise de voir qu'il s'en était aperçu, lui qui ne remarquait même pas quand il mettait un pull à l'envers.

- Cynthia m'en a parlé, avoua-t-il. Tu en es à combien ?
- Environ quatre mois, maintenant, mais je n'ai toujours rien dit à Sven. Je redoute le jour où il me faudra le faire.
- Sven, c'est bien le type qui a essayé de me tuer et qui t'a transpercé l'artère ?
- C'est lui-même.

Régis se contenta d'hocher la tête sans rien ajouter d'autre. La Championne de Sinnoh n'avait sans doute pas gardé sa langue dans sa poche quant aux critiques qu'elle pouvait faire à son sujet, raison pour laquelle il devait déjà tout savoir de sa réputation.

- Pourquoi ne lui en as-tu pas encore parlé ?
- Il ne voudra pas de cet enfant. Même moi, je ne suis pas certaine d'être prête pour cela.
- Au pire, il peut juste refuser d'assumer sa paternité.
- C'est Sven. Qui est capable de prédire à l'avance ses réactions ?

Cassy posa une main sur son abdomen et respira profondément. Elle sentait sa chair se tendre sous ses doigts. Par chance, le bébé ne remuait pas trop à l'intérieur. Elle n'aurait pas été certaine de pouvoir supporter une agitation dans son propre corps.

- Est-ce que je peux voir Cynthia ? demanda-t-elle, désireuse de changer de sujet.
- Elle est partie se promener. D'après son médecin, marcher un peu tous les jours l'aide à contenir son stress, et pour être stressée, elle l'est !
- Je suis désolée... C'est de ma faute.
- Pas forcément. J'ai appris à la connaître au cours des dernières semaines, c'est une grande anxieuse de nature. Elle s'inquiète pour son enfant, pour son instinct maternelle, pour toi, pour Lucio, pour l'Elite des Quatre... Bref, pour tous les sujets possibles et inimaginables. C'est d'ailleurs ce qui fera d'elle une excellente mère.
- Je n'en doute pas une seule seconde. Elle a toujours eu cette fibre en elle, depuis le jour de notre rencontre où elle s'est si bien occupée de moi.

Ils retournèrent dans le laboratoire où, sous les regards des autres scientifiques qui se demandaient sans doute qui était cette demoiselle car ils ne travaillaient pas encore au Bourg-Palette lorsque Cassy l'avait quitté, ils gagnèrent la cuisine. Régis offrit à son ancienne amie un rafraîchissement.

- Troncinade ? proposa-t-il.
- Bien sûr, répondit-elle aussitôt avec un clin d'oeil.

Ils sirotèrent tranquillement leur boisson en attendant le retour du Maître de Sinnoh. Comme celle-ci tardait à revenir de sa balade quotidienne, la dresseuse décida de relancer la conversation.

- Alors... Hum... Comment va Sacha ?
- Bien, je te remercie. Il passe quelques jours à Carmin-sur-Mer. Il avait envie de changer un peu d'air.
- Oh... Vous ne vous êtes pas disputés, au moins ?
- Non, je te rassure. Tout marche toujours très bien entre nous.
- Dis, Régis... commença Cassy avant de s'interrompre. Tu... Comment est-ce que tu t'es aperçu que... que tu... Enfin, tu sais...
- Que j'étais homosexuel ? Tiens, c'est étrange, tu ne m'as jamais posé cette question.
- Tu n'es pas obligé d'y répondre.
- C'est surtout que j'ignore quoi te dire, en fait. Je crois... Déjà, les filles ne m'ont jamais attiré. Au début, je pensais que j'étais simplement trop jeune pour m'intéresser à elles, puis je me suis surpris à regarder les garçons. Du jour au lendemain, sans trop comprendre, mon amitié envers Sacha a fait un bon en avant et nous nous sommes mis à... à être plus proche.

La jeune femme le releva pas. Elle se contenta de leur resservir un verre de Troncinade en attendant que leur malaise respectif passe, car ils avaient tous deux le rouge aux joues. Le chercheur, toutefois, relança le sujet :

- Dis-moi, par hasard, tu ne penserais pas être...
- Du tout ! répondit catégoriquement Cassy. Enfin... Non. Non, je ne suis pas homosexuelle. J'ai toujours eu une attirance physique envers les hommes, sans quoi d'ailleurs je ne serais sûrement pas enceinte de Sven, mais... J'ai... J'éprouve certains sentiments pour... une fille.
- Tu l'as déjà embrassée ?
- Juste ce matin.
- Et cela t'a plu ?

La dresseuse se contenta de répondre par un haussement d'épaules, mais le petit sourire en coin qu'elle ne put contenir en trahissait long sur le fond de sa pensée. Régis ne tarda pas à la rassurer.

- C'est la seule fois où cela se produit, n'est-ce pas ?
- La seule et l'unique.
- Tu n'as pas à t'inquiéter, alors. Je pense que tu es simplement tombée amoureuse de cette fille. Cela ne fait pas de toi une homosexuelle à partir du moment où tu l'aimes pour ce qu'elle est, et non pour le sexe auquel elle appartient.

Cette explication suffit à satisfaire Cassy. Elle achevait de vider son verre d'une traite lorsque la porte de la cuisine s'ouvrit doucement. Cynthia entra, le dos tourné, car elle discutait avec l'un des scientifiques présent dans la pièce voisine.

- Bonjour.
- Oh !

Elle sursauta en entendant la voix de la meneuse de la Confrérie, si bien qu'elle lâcha le sac en plastique qu'elle tenait à la main. Ses grands yeux argentés ronds comme des soucoupes, elle l'enjamba sans le ramasser pour venir embrasser sa protégée.

- Cassy ! Je suis tellement heureuse de te revoir !

Elle l'étreignit avec force et l'intéressée se laissa faire. La Championne lui avait manqué, de même que son délicieux parfum à l'arôme de citronnelle. Cynthia prit tendrement son visage entre ses mains pour l'étudier avec minutie.

- Ma pauvre, tu as l'air épuisée !
- Les... évènements des derniers jours ont été un peu rude, mais tout va bien, maintenant. Nous avons trouvé le moyen de ramener la paix entre les humains légendaires.
- Vraiment ? s'enquit le Maître de Sinnoh en prenant à son tour place à table. Et comment ?
- Le coffret dont je vous ai parlé. Je dois absolument mettre la main dessus.
- Sauf que mes recherches à ce sujet sont restées vaines. J'ai épluché quantité de livres et étudié des dizaines, voire des centaines de légendes, sans jamais croiser la moindre mention d'un quelconque coffre.
- Sans doute parce que vos textes n'étaient pas assez anciens. Il n'a plus été question de cette boîte depuis près de mille ans.
- Je me remettrai à l'ouvrage, Cassy, mais je ne te promets rien. Es-tu certaine que toute cette histoire est réelle ?
- Absolument certaine. C'est l'unique objet qui nous permettra de jouer cartes sur table face à Arceus. Ensuite, nous en aurons fini pour de bon, et tout redeviendra normal.
- Ce n'est pas la première fois que je t'entends dire cela.
- Non, mais j'escompte bien que ce soit la dernière, affirma la dresseuse avec détermination.