Entre infini et au-delà de Cyrlight

La vérité - Guy Béart


La femme s'avança dans leur direction. Elle était très belle. Brune, un teint de porcelaine, elle devait mesurer un bon mètre quatre-vingt. Sa silhouette élancée lui donnait une allure souple et gracile dans sa longue robe de satin noir qui épousait ses formes. Elle portait en-dessous des escarpins hauts perchés avec lesquels elle ne semblait pas avoir le moindre mal à se déplacer. Ses lèvres vermeilles s'étirèrent en un splendide sourire révélant ses dents parfaites.

- Bonjour à vous trois. Je suis Volupté.

Comme un seul homme, ils reculèrent d'un pas. Elle les observa, ses iris cyans rendues brillantes par l'amusement que cela paraissait lui procurer. Elle hocha lentement la tête, faisant voleter ses anglaises au niveau de ses fines épaules.

- Allons, de quoi avez-vous peur ? Je n'ai pas l'intention de vous faire le moindre mal.
- Vous venez de mentionner Zeus, permettez-nous d'être sceptique, répondit Cassy d'une voix qu'elle souhaitait mesurée.
- Vous êtes perspicace. Ce n'est pas l'une des qualités que je préfère, mais elle est tout de même louable.

Elle réduisit encore la distance qui les séparait. A présent, elle n'était plus qu'à une demi-douzaine de mètres d'eux. Aussitôt, ils furent entouré d'un étrange halo coloré, aux couleurs diverses. Celui de la dresseuse était turquoise, celui de Yohanna d'un bleu très pâle et celui de Sylvain d'un marron tendre.

- Qu'êtes-vous en train de nous faire ?
- Visiblement, vous ignorez tout de mon talent. Je suis Volupté la Vertueuse. J'ai le pouvoir de révéler les auras et d'évaluer ainsi le degré de vertu de la personne à laquelle j'ai affaire. Evidemment, nous autres humains légendaires n'en possédons pas. Cela ne s'applique qu'aux mortels. Je crains hélas que les vôtres ne soient faussées par les glyphes que vous portez.

Cassy demeurait méfiante. Leur interlocutrice ne semblait pas vouloir les attaquer, sans quoi elle l'aurait probablement déjà fait, pourtant quelque chose au fond d'elle lui indiqua qu'elle ne leur voulait pas du bien. Lentement, elle glissa un doigt sous le rabat de sa sacoche afin de le soulever, puis passa sa main à l'intérieur, jusqu'à sentir sous sa paume le contact froid du métal de la pokéball de Dracoli.

- A votre place, je ne ferais pas cela, l'interrompit la déesse en posant sur elle un regard emprunt d'autorité. Vos pokémon ne sauraient me blesser, de toute manière. Je suis bien trop forte pour eux.
- Jusqu'à présent, nous avons tenu tous ceux de votre espèce en déroute. Pourquoi cela serait-il différent avec vous ?

Le visage de Volupté sembla se détendre. Ses traits se firent plus doux, et accentuèrent encore davantage son immense beauté. Le bruit de ses talons aiguilles frappant le sol devenait plus fort au fur et à mesure qu'elle se rapprochait d'eux. Yohanna et Sylvain s'efforçaient de garder leur sang-froid, à l'instar de leur meneuse. Elle avait raison : par le passé, ils s'étaient déjà sortis de situations plus délicates.

- Je ne vous affronterai pas, déclara l'humaine légendaire. Je ne combats pas, à moins qu'Arceus ne m'en donne l'ordre. La violence ne fait pas partie de mon existence et je ne veux pas avoir de sang sur les mains. Toujours est-il que je ne peux pas non plus vous laisser quitter la Tour Cendrée sans être intervenue.
- Qu'entendez-vous par là ?
- Suicune est probablement déjà en train d'avertir Zeus de votre présence ici. Je vais vous garder avec moi jusqu'à ce qu'il arrive, après quoi je vous remettrai à lui.
- Vous ne voulez pas de sang sur les mains, pourtant vous savez parfaitement qu'en agissant ainsi, vous lui permettez de nous tuer.
- C'est exact. Je n'ai pas le choix, vous menacez notre cause.
- Votre cause ? Quelle cause ? Arceus laisse la civilisation humaine s'effondrer petit à petit. Bientôt, elle sera détruite sans qu'il n'ait rien tenté pour l'en empêcher.
- Et je le comprends. Ce n'est pas de sa faute si votre espèce se plait à s'entretuer. Vous provoquerez vous-même votre perte, vous les mortels. Vous vous détruirez seuls. Depuis le début, vous n'auriez même jamais dû exister. Lilith a été l'ébauche de vos erreurs, montrant combien vous étiez imparfaits et incapables de suivre le droit chemin.
- C'est l'Alpha qui a fait une erreur en la bannissant, pas elle.
- Pourtant, elle s'entête à mener une vendetta contre lui. Vous n'êtes bon qu'à cela : la vengeance. Vous n'avez pas d'autres mots à la bouche et cela vous conduira inéluctablement à une fin certaine.

Cassy se mordit l'intérieur de la lèvre. Cela lui coûtait d'admettre, même dans son esprit, que les paroles de Volupté contenaient davantage qu'un simple fond de vérité. Elle-même avait pour unique but dans son existence de parvenir à tuer son frère, et réciproquement. Oui, les humains semaient la mort, et s'annihileraient par leurs propres soins. Cela justifiait-il cependant de ne pas intervenir ?

- Si Arceus s'oppose à l'idée de revanche, pourquoi a-t-il traqué des siècles durant les alliés de Lilith ?
- Puisque nous avons du temps à perdre avant l'arrivée de Zeus, je veux bien vous l'expliquer. Elle a endoctriné beaucoup plus de monde que nous aurions pu le croire au départ. A partir de l'instant où les autres devenaient ses partisans, ils étaient considérés comme des traitres au même titre qu'elle. Puisqu'ils partageaient ses idéaux, il apparaissait clairement qu'ils voudraient déchoir l'Alpha de son trône, eux aussi, raison pour laquelle il fallait les vaincre avant.
- Cela n'a pas pourtant pas dérangé Arceus de passer un marché avec Circé pour ensuite tenter malgré tout de l'assassiner, lança la dresseuse en espérant toucher un point sensible.
- J'ignore pourquoi vous cherchez à me mentir. Ce n'est pas la peine, je ne vous croirai pas.
- Alors, quand Zeus sera ici, n'hésitez pas à lui parler de l'élixir de longue vie. Il s'agit d'un secret qu'ils dissimulent depuis un millénaire tout entier. Ils ont promis l'absolution à Circé si elle le fabriquait, or rien ne comptait plus pour eux que de la réduire ensuite au silence.
- Absurde. Je n'ai jamais eu vent d'une pareille histoire.
- Sans doute parce que vous êtes aveuglée par votre foi envers eux. Vous allez nous livrer à eux, mais savez-vous seulement pourquoi ils veulent notre mort ? Parce que j'ai ramené Lilith du Monde Inversé, ce que je n'aurais pas eu à faire si je n'avais pas eu désespérément besoin de son aide pour sauver le monde d'une destruction certaine. Arceus, lui, n'a pas tenté d'empêcher cela.
- Pourquoi l'aurait-il fait ? Je viens de vous le dire, ce n'est qu'une question de temps avant que votre espèce ne disparaisse pour de bon. Maintenant ou dans un siècle, qu'est-ce que cela change ? La corruption vous ronge, de même que l'envie et la convoitise. Le mal a pris possession de votre esprit alors que vous vivez dans la luxure et l'abondance. Vous êtes tous des pêcheurs. Nul ne peut plus rien pour vous sauver.

Un coup fut soudain frappé à la porte branlante du bâtiment. Cassy profita de cette diversion pour se rapprocher de ses amis. Si Zeus venait d'arriver, ils avaient très peu de chance de s'en sortir vivants. Néanmoins, s'il ne s'agissait pas de lui, ils pouvaient toujours tenter d'échapper à Volupté en envoyant leurs pokémon contre elle.

- Pourquoi ne l'attaquons-nous pas ? murmura Sylvain à son oreille.
- Généralement, les humains légendaires ont toujours une ou deux histoires à nous apprendre. Maintenant que j'ai entendu ce qu'elle avait à nous dire, nous allons passer à l'acte. Tenez-vous prêts.

Ils n'en eurent cependant pas besoin. A peine la déesse eut-elle fait pivoter le battant sur ses gonds qu'elle fut projetée sur plusieurs mètres. Une chaleur incandescente envahit la pièce obscure tandis qu'elle s'écrasait sur le sol. Elle se releva sans la moindre égratignure, à l'instant où une silhouette se découpait dans l'encadrement lumineux.

Ils durent plisser les yeux pour parvenir à distinguer ses traits. La jeune femme, qui connaissait Zeus, fut soulagée de constater qu'il ne s'agissait pas de lui. Le nouvel arrivant semblait passablement moins âgé. Il avait des cheveux aussi noirs que la nuit, assortis à la barbe drue recouvrant le bas de son visage. Sa forte musculature saillait sous la toge blanche qu'il portait, dénudant son épaule droite. Son apparence lui conférait une apparence bestiale, cependant une once de douceur émanait de ses prunelles dorées.

- Que faites-vous ici ? souffla Volupté en repoussa les boucles brunes qui retombaient désormais devant son visage, en perdant l'expression sereine qu'elle arborait jusque là.
- Je suis venu chercher les trois humains, tonna l'autre d'une voix puissante.
- Il n'en est pas question. Je dois les remettre à Zeus.
- Oseriez-vous affirmer que ce n'est pas lui qui m'envoie ?
- Je ne peux en avoir la certitude et j'attendrai d'avoir une preuve. Je ne vous ai jamais fait confiance.
- La réciproque est vraie, aussi est-elle sûrement fondée. Les enfants, venez.

L'humain légendaire leur fit un signe de son immense main, mais ils ne bougèrent pas. Ils ne songèrent même pas à appeler leurs pokémon afin de libérer le passage qui les conduirait dehors. Tous paraissaient paralysés, même Cassy.

Alors que Volupté s'approchait prudemment de l'homme, celui-ci libéra une nouvelle vague de chaleur dans sa direction. Il profita de son recul pour traverser la vaste salle en ruines et rejoindre les trois membres de la Confrérie.

- Vous préférez rester ici à attendre l'arrivée de Zeus ou me suivre ? demanda-t-il d'un timbre à les faire tressaillir.
- Nous ne savons pas qui vous êtes, parvint à articuler la dresseuse. Comment être sûrs qu'il ne s'agisse pas d'un piège ?
- Je t'aime bien, petite. Tu n'as pas l'air de te laisser démonter facilement. Allez, en avant, maintenant !

Il attrapa Yohanna et la hissa sur son épaule où il la cala de sa poigne digne d'un étau. Elle poussa un cri de se surprise qui se mua en hurlement lorsqu'il saisit Cassy à son tour. Elles tentèrent de se débattre, toutefois leurs coups n'avaient aucun effet sur ses muscles d'acier.

- Tu viens ? lança-t-il à l'intention de Sylvain. Si tu refuses de me suivre, tu ne reverras jamais tes amies.

Le jeune homme croisa le regard de sa cousine qui acquiesça d'un signe d'un tête. Sans paraître plus convaincue qu'elle, il accepta d'emboîter le pas à ce parfait inconnu. Volupté ne les quitta pas des yeux alors qu'ils se dirigeaient vers la porte. En apparence, elle semblait avoir retrouvé son calme, mais quelque chose dans le tic nerveux de sa lèvre inférieur trahissait sa colère.

- Ils vous tueront, Prométhée, lorsqu'ils apprendront que vous m'avez enlevé ces enfants.
- Rien ne vous interdit de vous battre pour les reprendre, mon amie.
- Vous savez très bien que je ne me bats pas, et encore moins contre vous.
- Alors, la question est close. Oui, ils me tueront, mais peu m'importe. Mes convictions sont plus fortes que le prix que j'attache à ma vie. Adieu, ma dame.

Et il franchit le seuil de la Tour Cendrée, en pourtant toujours sur ses épaules une Cassy et une Yohanna terrifiées.