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A Guy and his Breathtaking Destiny de Drad



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» Auteur : Drad - Voir le profil
» Créé le 16/04/2014 à 00:48
» Dernière mise à jour le 24/08/2017 à 21:32

» Mots-clés :   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de transformations ou de change

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XXIII - Des êtres et de leurs destins
Nous atterrîmes quelques minutes plus tard sur le sol de glace ; les battements d'ailes soulevèrent une fine couche de poussière gelée qui fuit au ras du sol. Le ciel brûlait de ses derniers feux orangés, et la terre blanche sur laquelle nous posâmes patte se perdait toujours autant dans l'horizon.

Il y avait un petit chalet, tout seul au fond d'une excavation ; les archéologues l'avaient implanté là pour accueillir les chercheurs les plus chevronnés, puisqu'ils leur fallait bien de quoi s'abriter dans cette terre vide de vie. Je me souvenais, lorsque j'étais plus jeune, du jour où ils avaient annoncé la découverte des Ruines Sinjoh ; le survol par les hélicoptères, alors qu'ils recherchaient des informations sur un avion disparu dans la région, et les détecteurs de métaux afin de repérer la moindre pièce de l'appareil avaient mis à jour la présence de ce temple englouti par le gel et le temps. Ma mère était aussitôt partie ce jour-là pour rejoindre l'équipe de fouilleurs, heureuse de pouvoir aider à creuser, et surtout prête à étudier le moindre caillou étrange que l'on y trouverait. Les recherches s'étaient ainsi concentrées sur ce seul endroit, et ils avaient de ce fait creusé tout autour et uniquement autour des ruines ; d'une part car creuser l'inlandsis n'était pas une partie de plaisir, d'autre part car ils voulaient perturber le moins possible le paysage ou l'écosystème - bien que ce dernier était quasiment inexistant. Un chalet, un petit chemin, et cette architecture ressortie de son caveau de glace, le tout à plus d'une dizaine de mètres sous la surface que nous arpentions, comme enfoncé mécaniquement et précisément dans un trou perdu, sans lien aucun avec le reste du monde.

Nous avions décidé d'atterrir devant ce chalet. Non que l'envie de retrouver des humains soit si pressante, mais savoir si quelqu'un était là, ne serait-ce que pour nous aider efficacement, ou même connaître leurs intentions, était toujours plus rassurant. Je laissai donc Lugia, Zekrom, Shaymin, Fire et Hugwald prendre le chemin des Ruines Sinjoh, les Légendaires et les explorateurs se chargeant d'aller voir comment trouver Arceus (puisqu'il ne devait pas attendre bien sagement au fond), pendant que Goyah, Drak et Bastiodon m'accompagnèrent à la cabane qui tenait fermement sur ses rondins suintant de glace. Le Maître de la Ligue d'Unys se proposa sans un mot d'aller frapper à la porte ; autrement dit, il nous devança de son pas rapide et conquérant, grand sourire sur le visage, sans autre explication. Il toqua de son épais poing :

- Hé ! Bonjour ! Y a-t-il une âme qui vive dans cette maison ?

On entendit des pas s'activer sur le plancher ; l'homme à la chevelure fougueuse se tourna vers nous, moqueur :

- Ah, oui, et essayez d'agir comme des Pokémon normaux, histoire de ne pas effrayer notre hôte, hm ?

Un Montagnard nous ouvrit alors, passablement surpris de trouver des gens ici, et qui plus est, de se trouver face à face à un homme de la renommée de Goyah. J'aperçus derrière lui un Abra, qui lévitait placidement à côté d'un vieux qui, lui, ne s'était pas bougé pour venir nous accueillir. L'homme à l'embonpoint nous salua de sa grosse bouche, serrant avec une poigne intimidée la main fière que lui tendait le Maître :

- Nom d'un Racaillou ! Bonjour ! Mais... ! Comment... ?

- Haha, oui, je sais, ça surprend ! rit notre homme. Comment ? Ce serait bien trop long à vous expliquer, mon bon ami. Nous venons tout d'abord pour savoir si vous êtes ou non un de ces connards qui font du mal aux Pokémon ?

Le Montagnard en fut tout secoué sous son chapeau ; devant le bégaiement et le scandale qu'il nous fit une minute plus tard, choqué et attristé qu'on puisse porter de telles accusations, Goyah vit que l'homme était inoffensif et le rassura :

- D'accord, merci pour votre franchise ! Voyez-vous, mon brave, voilà un sacré bout de temps que nous sommes traqués par des hommes de tout ce qu'il y a de plus antipathiques, alors comprenez bien que nous sommes sur nos gardes.

- ...Oh ? Je vois, d'accord. Mais... Qu'est-ce qu'ils vous veulent ?

- Même nous ne sommes pas au courant, c'est pour vous dire ! partit Goyah dans un éclat de rire. Enfin ! Nous venons pour les Ruines Sinjoh. Est-ce que vous vous y connaissez ?

- Moi ? Non, pas trop ; je ne suis là que pour veiller sur elles, et maintenir le lieu en bon état pour les archéologues qui passent, en plus de les accueillir. C'est bête, vous seriez venus vingt minutes plus tôt, vous auriez pu croiser Cynthia...

Quoi ?! Maman était là ?! Caverne et Bouclier furent tout aussi surpris que je le fus.

- ...Mais cela dit, vous pouvez toujours aller la trouver aux Ruines ! Elle ne repart jamais sans passer me tenir au courant des avancées dans ses recherches, et vu qu'elle n'est toujours pas revenue, je suppose que vous pourrez la voir là-bas !

- Bien, merci pour votre aide ; nous y allons de ce pas ! sourit Goyah.

Nous y allâmes donc, accélérant la marche pour ma part ; je ne voulais p-

- CHRIS ! CHRIS !

Une grande silhouette, vêtue de noir et laissant flotter au vent sa grande chevelure blonde, arriva alors en courant, du coin du chemin. Entre les murs de couches de neiges, je la vis, suivie par Zekrom, filer vers moi, sa mèche ne pouvant masquer toutes ses larmes. Le lourd bouclier de Bastiodon et la tête cornue de Drakkarmin n'eurent pas le temps d'avancer plus loin ; entendant qu'elle m'appelait par mon prénom, qu'elle me regardait, je rugis, courus, et bondis dans ses bras. Le parfum de maman, la douceur de son manteau, et son étreinte délicate m'enveloppèrent. Recevoir une telle vague de bien-être et de sécurité après tant de jours et tant de calamités... Une pression incroyable retomba soudainement depuis mes épaules. Je fondis en larmes chaudes dans ce froid glacial, mouillant mon museau contre sa gorge, contre ma mère qui me serrait fort, avec le rire de Goyah, les acclamations de mes Pokémon, et la satisfaction du Dragon Idéal.


- Je dois dire qu'ils m'ont surprise, en arrivant tous en même temps aux Ruines ! Mais lorsque je les ai aperçu, j'ai tout de suite su que tu n'étais pas loin ; Zekrom m'a donc expliqué que vous aviez pris le chemin du chalet, et alors je n'ai pas perdu une seconde !

Le sourire réconfortant de maman, qui m'évoquait pleins de bons souvenirs et me rappelait la maison, me mit davantage de baume au coeur. Elle caressa la tête de Drakkarmin, qui lui montra qu'il appréciait.

- Ça fait longtemps qu'on s'est vus, dis-donc ! s'exclama-t-elle. Je n'ai même pas eu le temps de rencontrer tous tes nouveaux Pokémon ! Tu étais à peine revenu du Lac Courage que tes amis et toi étaient déjà kidnappés... J'étais à Vaguelone, et l'agitation au QG était telle qu'ils ont mis du temps à me prévenir... Et je ne te parle pas de ton père ! rit-elle.

Hm. J'avais décidément besoin d'explication, perce que ça voulait dire que :

- Attends, qu'est-ce que tu racontes ?! T'es au courant pour tout ce qu'il se passe ?!

- Hé bien, oui, en quelque sorte. Ce n'est que lorsque tu avais pris le métro à Vaguelone que j'ai été informée des évènements. Les MOCLASM rament un peu en ce moment, avec tout ce qu'il se passe. Cela dit, j'ai réussi à avoir Gardevoir au visiophone, et elle a pu tout m'expliquer. Ah, et donc oui, ton père et moi sommes des MOCLASM !

Zekrom confirma ses mots, Goyah rétorqua que lui aussi, après tout, vu qu'il avait déjà participé à sauver le monde, dans sa prime jeunesse, et que c'était le bon temps, même que la machine à café du QG servait de très discutables boissons.

- ...C'est gentil de m'en avoir parlé avant, rétorquai-je, vexé. Même papa m'a dit qu'il ne savait pas de quoi je parlais, quand j'avais évoqué le sujet, à mon retour du Lac Courage.

- Tu connais ton père, il est un peu tête en l'air parfois ; et puis, on ne doit pas se dévoiler si facilement, il devait être encore sur ses gardes.

- Mouais.

- Donc voilà, je suis au courant, conclut-elle avec un gentil sourire.

Nous n'étions plus qu'à quelques mètres du temple, les pattes s'enfonçant dans la neige, quand Goyah intervint :

- Dis-moi, Peter t'as donné des infos concernant ces gars ?

- Non, je n'ai pas eu de nouvelles de lui. Tu sais, avec l'agitation, comme je le disais, le QG est un peu perdu, et, en s'étalant sur toutes les affaires qui émergent d'un coup, ils perdent en rapidité... Ils doivent aussi gérer la Police Internationale qui s'en mêle, vu que Chris a été fiché ennemi public.

Ah, oui, c'est vrai que j'avais oublié ce petit détail, aussi. Mais cela ne m'expliquait pas pourquoi ce prénom :

- Peter ? Vous voulez parler du Maître des ligues de Johto et de Kanto ?

Ce fut Goyah qui m'expliqua, cette fois :

- Tout à fait ! C'est un des fondateurs des MOCLASM, et actuellement l'homme à la tête de l'organisation - côté humains, en tout cas.

- Côté Pokémon, c'est celui que nous allons trouver, souligna Cynthia d'un petit sourire.

Et ce fut sur ces mot que nous arrivâmes aux Ruines Sinjoh proprement dites. Il y avait un assez large espace à leur entrée, une sorte de cour marquée par quatre piliers d'une vieille roche grise, marqués par le temps, fissurés par le gel et couverts de congères. Quelques dalles perçaient le tapis de neige, mais elles peinaient à témoigner de la splendeur que devait avoir l'endroit à l'époque de sa construction. Un peu comme le temple, qui n'était pas si impressionnant ; mais son architecture simple et bancale avait cela de curieux de témoigner du mélange de culture dont il résultait. Drak semblait déçu par l'apparence des Ruines qui devaient nous sauver la vie ; il demanda :

- Ce sont ça, les "Ruines Sinjoh" ?

- Yep, acquiesçai-je. Ce lieu a été bâti il y a des centaines d'années par deux peuples qui souhaitaient honorer Arceus : un de Sinnoh, et un autre de Johto.

- Un de Johto ? s'étonna Bastiodon. Sinnoh, je peux comprendre, avec la mythologie qui lie Dialga, Palkia et Giratina au Créateur, mais pour Johto... ?

- C'est qu'il me semble qu'Arceus a un lien avec les Zarbi... Enfin, je ne sais plus trop ; maman ?

Cynthia s'avança plus au centre de la place, et, regardant les piliers, puis les Ruines, elle me rappela :

- Oui, c'est cela. Les Ruines Alpha, qui se trouvent à l'ouest de Mauville, à Johto, sont liées à ces Ruines ; que ce soit par la manière dont elles ont été bâties ou le passage spatio-temporel qui les relie. Vous voyez ces piliers ? Ils sont similaires à ceux des Colonnes Lances. Nous avons donc un témoin parfait de l'entrelacement de l'histoire culturelle de ces deux nations ici.

- Wahou. C'est impressionnant, s'émerveilla Bastiodon.

Ma mère inspire longuement ; la neige se mettait à tomber, en tout petits flocons, tranquille et disparates.

- Cet endroit me rappelle notre région nordique de Sinnoh, vous ne trouvez pas ? Allez, entrons donc.

Zekrom demanda par quel hasard elle se trouvait justement aux Ruines Sinjoh, vu que, comme le monde était en crise, c'était curieux qu'elle n'avait pas rejoint le QG.

- Je crois que j'ai eu la même idée que vous ! sourit-elle. N'ayant aucune information, ne sachant que faire devant la gravité de la situation, et puis, peut-être parce que je m'inquiétais pour cet endroit, je suis venue ici grâce à Gueriaigle. Il faut croire que le destin a voulu que nous nous retrouvions ici ! sourit-elle.


Une fois l'entrée passée, Zekrom n'eut aucune crainte de devoir se tenir courbé pour ne pas se prendre un plafond ; au contraire, l'intérieur des ruines était étrangement grand et spacieux, contrairement à leur apparence si effondrée de l'extérieur. L'intérieur était sombre ; mais, au delà de l'obscurité qu'auraient de simples vieilles constructions, le noir qui plombait la salle était un noir lisse et propre, presque brillant. De plus, il n'y avait pas grand-chose, mais ce peu était singulièrement beau et mystérieux : une allée bordée de statues Pokémon menait à une estrade triangulaire, dont les dimensions couvraient toute la surface que prenait le temple. Lugia, Shaymin, et les deux membre des W.T.F. nous saluèrent, avant de retourner à leurs inspections ; ils tournaient autour de cette grande estrade, certains dessus, d'autres à côté, la regardaient sous toutes ses formes, et réfléchissaient, le regard perdu sur les cercles et figures tracés à chaque sommet de ce qu'il semblait être un terrain d'invocation.

- Voici l'Autel Trismegis, nous apprit Cynthia. C'est là que nous devrions pouvoir trouver le Créateur.

- Hé bien, si vous avez une idée, on prend, soupira Shaymin.

Le Pokémon Gratitude, gravement amochée suite au combat contre le monstre, avait repris tout juste de poil de la bête pour ne pas se laisser marcher sur les pattes et insister pour se tenir toute seule sur celles-ci.

- Parce que nous, poursuivit-elle, on ne trouve rien, à part de la poussière, de la neige fondue et des dessins bizarres.

Le Dragon Idéal demanda au Seigneur des Sept Mers, qui se tenait tout à fait à l'aise vu la hauteur de plafond et sans la moindre invisibilité :

- Lugia, je croyais que tu pouvais l'appeler d'ici ?

- Il faut bien croire que c'est plus facile à dire qu'à faire, répondit l'Oiseau. J'étais en effet certain de pouvoir l'appeler, mais non.

- "L'appeler" ? demanda Drak. Par télépathie ?

- C'est exact. Et tout reste encore plus muet qu'un Magicarpe. Donc je ne sais pas vraiment quoi faire.

On se mit tous à réfléchir à la question. Moi qui croyait que les soucis étaient finis, je m'étais imaginé trop vite qu'il nous suffirait de trouver le lieu pour trouver la personne. Cela dit, la situation ne paraissait pas du tout embêter Goyah, qui nous vit tous plongé dans une profonde perplexité, et éclata de rire, avant de bondir sur l'Autel :

- Bah ! Je vais vous l'appeler, moi, votre Pokémon !

Et, mettant ses mains en porte-voix autour de sa bouche, il beugla soudain un "ARCEUS !" à réveiller les morts.

- MONTRE-TOI ! ON A BESOIN DE TOI POUR SAUVER LE MONDE QUE TU AS CRÉE ! - enfin, selon ces gens de Sinnoh et leurs bouquins, héhé.

Nous attendîmes. Il ne se passait rien.

- Hm, je crois que ça ne fonctionne pas, en conclut savamment le Maître d'Unys.

Sans blague.

- Dis-moi, Cycy, t'es sûre qu'on peut trouver Arceus ici ? demanda-t-il en se tournant vers ma maman.

- Hé bien, normalement, oui. C'est l'endroit le plus approprié que je connaisse. J'ai reçu un Dresseur de Johto une fois ; et croyez-moi, Arceus y a fait des miracles. Nous devons très certainement trouver de quoi entrer en contact avec lui.

- T'es sûre d'avoir vu apparaître Arceus ici ?

- Concrètement, non... Arceus a démontré son pouvoir ici, mais il ne venait pas d'ici.

Shaymin s'emporta aussitôt :

- Ah ! Génial ! Ça nous met dans de beaux draps ! Qui est l'idiot qui nous a dit qu'on pourrait faire apparaître une légende dans un endroit où celle-ci est juste rapidement passée ?

- Mais je suis certain qu'on peut le faire venir ici !

- Attends, s'en mêla Zek', qu'est-ce que tu sais exactement sur cet endroit, toi qui doit y connaître quelque chose aux réunions qui sont faites pour causer de Johto ?

Les Légendes et ma mère se mirent alors à disserter sur le pourquoi du comment et du parce que des autorités suprêmes ; tout ceux qui n'avaient pas la moindre idée de quoi faire ne pouvaient que regarder vainement les murs où s'intéresser au Coffre au Trésor que sortit alors Fire, pour présenter sa fierté à Bastiodon et à Drak. Moi, je rejoignis Goyah, qui s'était planté au beau milieu de l'Autel Trismegis.

- Qu'est-ce que tu en penses ? me demanda-t-il.

- Bah, j'en sais rien. Je sais juste que demain, je meurs si je ne retrouve pas mon corps. Je sais aussi que le Destin m'a l'air très concerné à mon sujet ; même s'il veut me faire croire que je ne peux rien changer, et que je joue avec lui en allant au devant de ce qu'il me propose, je sais très bien que je ne pourrai pas mourir ici, sans que rien ne se passe, alors qu'il aurait l'occasion de nous donner du spectacle. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis le début, j'me sens un peu suivi, que ce soit avec tout ce qui m'arrive, ou avec les abrutis qui me cherchent. Du coup, même eux ne peuvent pas se permettre de me perdre ; et si même le Destin ne peut pas se le permettre, quelque chose va forcément bientôt arriver. Logiquement. Parce que je dois aller jusqu'au bout de cette histoire, que je le veuille ou non.

Goyah ne répondit rien. Il me regarda longuement, puis me sourit :

- Hé, tu sais que tu ferais un très bon héros, toi ?

Je jouai le rôle du Pokémon le plus modeste au monde, haussant les ailes :

- Bah, je commence un peu à m'habituer, à vrai dire.

C'est là que, sortant du vide le plus complet, à quelques centimètres devant nous, une lueur poignit. Une toute faible étincelle, qui se grossit soudain, de la taille d'une Poké Ball. Je sursautai, et Goyah, juste assez surpris, se pencha dessus :

- Tiens, c'est curieux !

Il voulut la toucher, mais la sphère produisit une formidable onde de choc ; elle nous envoya valser lui et moi, et de la même façon attira l'attention de tous vers le centre du triangle. Lorsque je relevai mon museau des poussières froides, après m'être mangé le sol pour la énième fois de la semaine, je me trouvai, comme tout le monde dans la pièce, face à une étonnante boule lumineuse, éclatant d'une lumière d'or. Elle tournoyait à une vitesse astronomique au centre de l'Autel Trismegis, qui jetait lui aussi une forte luminescence, celle-ci versicolore, par ses dessins alambiqués ; il se produisit un fantastique feu d'artifice. Ça en jaillit de partout, péta de clarté et déflagra de couleurs ; nous détournâmes quasiment tous la tête pour ne pas finir aveuglés, sauf Hugwald, qui sautait sur place en criant "SUPER GÉNIAL !". Le sifflement qui avait accompagné le tumulte s'estompa dans le souffle peiné d'une fin de bombonne de crème chantilly, et le calme fut aussi plat qu'une crêpe. Je commençai à avoir faim, sinon.

- Arceus... Arceus... Arceus... Arceus... !

Ça, c'était le Dracaufeu qui n'arrivait pas à se faire à ce qu'il avait sous les yeux, et qui balbutiait, époustouflé. Goyah était content de son coup et se servait sûrement de cette assurance pour dissimuler sa stupéfaction, Drak et Bastiodon ne dirent rien, et ma maman cachait son émerveillement sous l'air le plus respectueux qu'il soit. Ce fut l'agréable Shaymin qui engagea la conversation :

- Hé ben, c'est pas trop tôt !

Puisqu'en effet, le Pokémon Alpha, légèrement cabré sur ses pattes arrières, nous apparaissait. Il me sembla encore plus spectaculaire que dans mes souvenirs ; son anneau encore plus scintillant, sa peau encore plus blanche, ses joyaux encore plus smaragdins, et sa prestance, inégalable, combinait à la perfection l'incommensurable puissance tranquille à un flegme complètement sympathique. Drapé ainsi d'un halo divin, il se justifia (GENRE ARCEUS QUI SE JUSTIFIAIT, QUOI) :

- Shaymin, Lugia, Zekrom, Drak, Fire, Bastiodon, Hugwald, Cynthia, Goyah, Chris, je vous prie d'accepter mes plus humbles salutations. Veuillez néanmoins y ajouter mes excuses. Vous êtes tout aussi au courant que moi pour ce qu'il se passe dans notre monde, et cette crise me coûte beaucoup de temps.

La Gratitude incarnée les accepta en maugréant silencieusement, et, pendant que Goyah essayait d'enlever les étoiles des yeux du Dracaufeu, le Créateur poursuivit :

- Je sais pourquoi vous faites appel à moi. Mais sachez qu'afin de maintenir l'équilibre, je ne peux pas grand-chose, si ce n'est vous emmener dans la région où doit se jouer le destin de notre monde. Il vous faudra, par vous-mêmes, empêcher cette organisation de mener la planète à sa perte.

- Ce serait déjà un grandiose service, assura Lugia avec respect. Nous mettre sur leur piste est tout ce que nous demandons. Nous n'oserions jamais vous déranger pour remettre à leur place une poignée d'humains.

- Ils ne sont tristement pas qu'une poignée, coupa net Arceus. Vous avez partiellement vu juste lorsque vous songiez à la possibilité qu'ils recrutent toute la défunte Hoenn dans leurs rangs. Le pouvoir du langage et des beaux discours alimentés par l'égoïsme humain risque d'enrôler bien des créatures à leur côté. C'est surtout cela qui m'inquiète. De plus...

Le Dieu de notre monde me regarda, avec toute sa brillance blanche et or. Je déglutis.

- ...notre centre de l'affaire, ici présent, doit retrouver son enveloppe corporelle dans les plus brefs délais. Ne perdons pas plus de temps. Disposez-vous au centre de l'Autel. Nous allons procéder à la téléportation.

Toute la troupe grimpa alors sur l'Autel Trismegis qui n'avait pas perdu de sa superbe ; on se plaça en cercle autour d'Arceus, comme ce dernier nous le demanda. Je posai néanmoins une question :

- Attendez une minute ; vous ne pouvez-pas nous apprendre tout ce que l'on devrait savoir, avant de nous envoyer dans la gueule des Grahyéna ?

- Vous vous rendrez avant toute chose au QG des Membres Officiels du Comité Légendaire des Agents Sauveurs du Monde. C'est non loin que je vous envoie pour plus de discrétion, et parce que la téléportation n'est pas une science précise. Là-bas, vous serez efficacement préparés pour votre ultime jour, et aurez toutes les informations que vous devrez avoir pour mener à bien cette mission et l'accomplir avec succès.

Déjà que la moitié de notre groupe trouvait ma question un peu effronté, ils eurent vraiment l'air surpris quand ils me virent rétorquer aussitôt au big boss :

- Pas si vite ! Je ne comprends pas ; pourquoi ne pas tout nous dire maintenant, et nous téléporter directement là où nous pourrons "changer notre monde", comme vous nous le conseillez si vivement ? Pourquoi ne pouvez-vous pas laisser tomber tous les problèmes auxiliaire et vous concentrer une bonne fois pour toute sur ce "centre de l'affaire" ? En tant que notre Créateur, protecteur, et accessoirement être omnipotent, pourquoi ne réglez-vous pas cette mission sur-le-champ ?

Le Pokémon Alpha me toisa de son regard émeraude, ses pupilles rubis ne perdant rien pour autant de sa douce harmonie :

- Je croyais que vous comprendrez. Les choses ne sont pas si simples que ce que vous pensez savoir.

- Ah oui ?! Hé bien, allez-y, dites-les nous, ces choses ! Je suis toute ouïe !

- Chris ! me lança ma mère doucement. Arrête ça !

- Non, je n'arrête pas ! Je n'aime pas qu'on nous cache des choses sur ce monde, alors qu'on est censé le sauver ! Vous, là, le quadrupède qui brille dans le noir ! Allez-y ! Pourquoi ne pouvez-vous pas agir librement ?

- J'agis librement. Il faut simplement que...

- Il "faut" ? Comment est-ce que vous pouvez employer ce verbe, par Arceus ?!

Mon juron plus ou moins blasphématoire devant la déité en personne laissa tout le monde coi. Le silence qui s'en suivit fut de marbre. Tout sembla s'incruster dans la pierre ; les puissances en présence, la tension, la témérité. Après quelques longues secondes, Arceus déclama :

- Je suis obligé d'agir avec les forces en présence.

- Autrement dit... ? poursuivis-je d'un air insistant.

Le Pokémon Alpha, qui, jusque là, n'avait fait que tourner sa tête vers moi, se positionna alors de manière à me faire pleinement face.

- Bien. Que désirez-vous donc savoir ?

- La vérité, Arceus, poursuivis-je, bien qu'intimidé. Le "destin" de notre monde... Il est déjà écrit, n'est-ce pas ?

- Je ne vous apprendrai pas qu'il existe une déité qui contrôle le temps, Dialga. Comme vous l'avez vu lors de votre première mort, il contrôle tout le cours des évènements.

- Je veux bien accepter qu'il contrôle le cours des événements, concédai-je. Mais qui l'écrit ?




[...]




- Où est-ce qu'il veut en venir ? chuchota Zekrom.

- Je n'en sais rien, rétorqua Bastiodon. Faut avouer que c'est la première fois que je le vois comme ça.

- Il a fallut que ça le prenne devant Arceus, sourit confusément Drak, embarrassé par la situation.

Non. Je voulais la réponse à la question à laquelle seul le Pokémon Alpha pouvait répondre.

- Qui ai-je donc rencontré au Centre Pokémon de Vaguelone ? demandai-je en m'écriant, pressé. Et aussi dans ma cellule, lorsque j'étais aux mains des abrutis ? Le monde vous écoute !

Silence. On ouït l'air entrer dans les museaux et sentit la poussière se vieillir. La voix du dieu s'éleva alors :

- Cette personne dont vous parlez-

- "Cette personne" ! m'exclamai-je. Ah ! Ah ! C'est donc bien quelqu'un !

- ...Ce Pokémon, si vous préférez, poursuivit Arceus. Ce Pokémon qui a daigné vous rendre quelques visites est appelé Dunmeist.

...Hein ?

- Dounn-quoi ? "Dunmeist"... ?

Arceus précisa finalement :

- C'est le Pokémon en charge du Destin.





[...]





Wahou. D'accord. D'accord ! Hé bien, merci, merci beaucoup. Je... D'accord. Cool. Super, mais alors, vraiment, vraiment super génial. Un Pokémon-Destin. Genre l'entité qui décide. De tout. Il existait donc.
Pendant qu'il fallait expliquer à Hugwald ce que c'était que le destin, Drakkarmin demanda, incompréhensif :

- ...Mais... Vous l'avez aussi... "Créé" ?

Ce à quoi notre Créateur répondit :

- Je ne l'ai pas créé. Dunmeist est venu à l'existence en même temps que moi. Il est... Un jumeau, si vous voulez.

Je me pris à marmonner tout seul, perdant de vue les réactions de mes tiers :

- Alors, ce que j'ai vu, c'est bel et bien... Le Destin...

- Vous ne l'avez pas vu, coupa net le Pokémon Alpha. Il ne se montre jamais sous sa vraie apparence ; il préfère se déguiser, ou prendre la forme qu'il lui plaît, comme il le souhaite.

Il réfléchit un moment, levant le regard au plafond.

-... D'ailleurs, même moi, je ne me souviens guère de sa véritable apparence, finit-il par nous avouer.

Bordel...

- Il y aurait un Pokémon qui prenne en charge le Destin...

Là, Shaymin se révolta un peu :

- Mais pourquoi l'avoir caché ?

- Oui ! Même à nous ! renchérit Zekrom. Et je suis certain que Lugia n'était pas au courant aussi ! (Le Pokémon Plongeon se taisait, le bec cloué.) Qu'est-ce que c'est que cette histoire, franchement ?!

- Désolé, s'excusa à nouveau le Pokémon originel. Je n'y peux rien. Je dois faire avec, moi aussi. Je suppose que je ne devais pas le révéler jusqu'à aujourd'hui, pour une raison ou une autre. Dunmeist a dû penser qu'il était préférable, en attendant ce jour, que vous vous croyiez tous parfaitement libres.

...Personne n'ouvrit la bouche ou la gueule. Il n'y avait rien à ajouter. Paumé dans une tempête de pensées tragiques, je croisais les regards des autres, le rubis de Zekrom, le saphir de Fire, l'émeraude de Shaymin, et les petites pupilles noires et immobiles de Lugia. Nous perdions beaucoup, je crois.



[...]


Pfff.
Je n'avais même plus envie de regarder les tronches que tout le monde tirait. Arceus reprit, posément :

- S'il-vous-plaît. Nous avons déjà assez perdu de temps. Le soleil est presque déjà sous l'horizon à Johto, et vous devez impérativement arriver à Rhodes avant la fin de la journée. Le décalage horaire est de quelques heures, mais cela n'empêche toujours pas les minutes de s'écouler. Hâtons-nous.

Nous nous remîmes tous en position, nos pieds foulant les inscriptions mystiques gravées dans la roche noire. On se recoiffa et se racla a gorge, bref prépara rapidement, et j'en profitai juste pour remercier :

- Merci de m'avoir répondu, Arceus.

- Je vous dois bien ça, vu ce que vous êtes censé faire pour nous. Je compte sur votre capacité à éviter le sujet en retour.

Et, sur ce, le Créateur annonça, faisant reluire son anneau :

- Bien ! Vous connaissez les méthodes de téléportation de groupe : la clé de sa réussite réside dans la concentration. Tous ceux connaissant les alentours du Colosseum de Rhodes sont priés d'y songer ; quant aux autres, veuillez faire le vide dans votre esprit. Essayez de vous concentrer sur vos perceptions de l'instant et uniquement sur celles-ci. Vous devrez y arriver ainsi. Bonne chance !

Nous nous tînmes tous fermement par la patte, et Arceus s'éleva davantage. Je vis ma mère, Goyah et Lugia fermer les yeux et relever le menton. Tout le reste des Pokémon, moi compris, nous mîmes d'accord un regard pour essayer de faire le vide au maximum. Sans le moindre bruit de sa part, la lumières du sol s'intensifia. L'Autel Trismegis s'ébranla dans un flash de lumière, avec l'impression que les Ruines Sinjoh allaient s'effondrer ; le son perçant, comme ceux des attaques psy, nous siffla dans les oreilles. On se sentit portés par une force incommensurable ; et, le plus sérieusement du monde, tout disparut pour nous dans un éclatement de la trame de l'espace.




Et tout nous réapparut en un rayon de soleil, dans une chaude brise ensablée. Le bruit de la téléportation s'estompa d'un coup, et je fus éblouis. Le sang me manqua soudain à la tête ; en plus de se sentir barbouillé à cause des problèmes déséquilibre engendrés par la téléportation, j'avais la vue brouillée, comme lorsqu'on se relève trop vite de quelque position assise ou allongée. Mais nous étions tous bien debout, et, après avoir retrouvé nos esprits, en pareille forme qu'à notre départ. Moral compris.

Nous nous trouvions en plein désert. Enfin, je devrais être moins catégoriquement et préciser terre désertique, car il y avait bien, à quelques kilomètres de nous, de grands piliers rocheux et craquelés qui s'élevaient du sol, qui se distinguaient d'à côté de ce qu'il semblait être un stade antique ; cette construction remarquable émergeait de la terre aride et ocre que nous avions sous nos pieds. Le ciel, vide de tout nuage, était d'un bleu cru, et, à en juger par la position du soleil qui flamboyait comme j'avais l'impression qu'il n'avait jamais flamboyé, nous devions nous approcher de la fin d'après-midi. Cela n'empêchait pas la température d'être cruellement haute ; ou alors était-ce l'impression d'être soudain projeté en pleine aridité depuis une région froide qui accentuait l'impression de chaleur, je ne savais trop.

- ...Où est-ce qu'on est ? demanda le Dracaufeu.

- C'est la région de Rhodes, nous apprit maman, longues mèches au vent.

Goyah mit sa main en visière sur son front, puis regarda à tour de rôle le stade, et, se retournant, un dôme blanc, assez lointain, qui scintillait sous l'éclat solaire, perdu entre deux plateaux rocheux. Il refit de même, en nommant cette fois les lieux :

- Hm, nous sommes entre le Colosseum de Rhodes... Et Pyrite.

- Arceus a eu l'excellente idée de nous téléporter dans un endroit ni trop loin de Suerebe, ni trop près d'une concentration d'habitants, commenta Lugia de sa hauteur.

Drakkarmin comprit l'astuce :

- Ç'aurait été dommage qu'on effraie des gens, en effet.

Bastiodon se tourna vers le Maître de la Ligue d'Unys :

- Mais, si nous sommes entre le "Colosseum de Rhodes" et "Pyrite", en quoi cela nous rapproche de "Suerebe" ?

Je traduisis, et ce fut Cynthia qui lui répondit :

- Parce que Suerebe est une ville souterraine, basée sous Pyrite. Elle a été désaffectée voilà quelques années ; cependant l'endroit fut choisi pour abriter le Quartier Général des MOCLASM. Ça nous permet de rester en lien avec l'ONBS, d'ailleurs.

- L'ONB-quoi ?

- L'Orre News Broadcasting Station, le siège du réseau de presse et d'informations de la région de Rhodes ; le journal télévisé y est tourné. "Orre" signifie "Rhodes" en anglais.

- Oh. Okay.

J'oubliais que les sigles ou les noms en anglais sonnaient indubitablement mieux aux oreilles de ceux qui cherchaient désespérément à en mettre plein la vue.

- Le Réseau Kid - un groupe d'enfants qui furètent ci et là pour nous récolter des infos - et les médias de cette région sont particulièrement efficaces ; ainsi, les avoisiner dans l'ombre permet d'agir en ayant tout un lot d'informations à côté.

- Ce qui explique pourquoi on en sait si peu sur l'organisation, lança le Dracaufeu d'un ton sarcastique. Bref. Allons-y, dans ce cas.

Le meneur de l'équipe de secours et d'exploration prit d'instinct la tête du groupe, suivit de près par le Grelaçon qui ne comprenait pas grand-chose à tout ça mais qui était heureux de découvrir une nouvelle région. Zekrom les rejoignit, car il prenait déjà des notes sur les organisations humaines de cette région qu'il trouvait "tout à fait intéressantes", et, à sa demande, ma maman se fit une joie de lui expliquer ce qu'étaient les "Colosseum", en plus de répondre à diverses questions sur la région. Goyah marcha aux côtés de Lugia, qui me semblait bien pensif ; le Maître essayait malgré tout de lui faire retrouver son sourire d'Oiseau, et ils commencèrent à bavarder à propos des missions que l'un et l'autre menèrent pour le Comité Légendaire des Agents Sauveurs du Monde. Bastiodon, Shaymin, Drak et moi fermions enfin la marche, un peu blasés par les endroits inédits, peut-être, embêté par les événements, sûrement. Et puis, Bouclier s'était lui-même chargé de soutenir Gratitude qui, bien qu'elle montrait que tout allait bien grâce au chaud soleil désormais, ne pouvait nous convaincre que la sécheresse qui soufflait par intermittences en envolant quelques grains de sable lui faisait du bien à elle et à la déchirure noire qui la rayait de part en part. Mon loyal Pokémon la portait donc sur son dos, à l'abri derrière son crâne, et Minshya fut contrainte d'accepter malgré ses réticences et son honneur.

Moi, je pensais toujours à ce que m'avait confirmé Arceus. Je pensais à ce que cela impliquait ; qu'au final, j'étais réellement destiné à faire quelque chose, et je ne pouvais rien y faire. L'espoir, il était toujours présent : l'espoir de les vaincre, l'espoir que le monde aille mieux. Le hic, c'était que j'avais l'impression d'être dans un livre, un film, ou une pièce de théâtre ; j'avançai vers un but déterminé, je ne savais point lequel, mais je savais qu'il n'y en avait qu'un de possible. Celui que ce metteur en scène tout-puissant avait prévu. Néanmoins, n'avais-je pas l'impression tenace de choisir quelque chose ? N'avais-je pas choisi tout ce que j'avais fait, jusque là ? Même si, je dois le reconnaître, les vicissitudes m'ont forcé à emprunter deux ou trois voies ; mais même là, n'était-ce pas un stratagème pour me forcer à faire ce qu'il y avait à faire ? Dans tous mes choix, j'avais toujours eu l'impression d'avoir mon plein libre-arbitre, non ? Et puis, même si c'était ce que je devais faire, n'était-ce pas parce que c'était la meilleure chose à faire ? Vu que ce Dunmeist serait en charge de tout le déroulement des existences, ne savait-il pas mieux que quiconque ce qu'il fallait faire, quand notre jugement s'en trouvait troublé, ou que nos connaissances nous faisaient défaut ?
Drak, voyant que j'avais les pensées ailleurs, tourna son épaisse gueule vers moi :

- Tu y penses aussi ?

- Hm ? fis-je, sortis de mes pensées. Oh. Heu, si tu parles de ce que nous a révélé Arceus, ma réponse est oui.

- Ouais. Voilà. Bon, concrètement, je me disais, là : qu'est-ce que ça change ? Puisqu'au final, ça ne nous a pas empêché de le trouver, qu'il nous aide, et qu'on se retrouve ici, à marcher sur c'te lande perdue, dans une autre région. Même si on ne l'aurait pas su, il se serait passé exactement les mêmes choses, non ? Du coup, ben, je crois que ça doit nous faire de belles pattes d'être au courant de ça. Ptêt aussi que ça nous avance à pas grand-chose, de le savoir ; et donc que, ben, c'est pour ça que personne ne savait.

Je hochai la tête machinalement :

- Hm. Oui, peut-être, aussi.

Puis nous marchâmes pendant quelques minutes sans rien nous dire. Pyrite se rapprochait lentement mais sûrement. Bastiodon, sans doute en ayant vu que le peloton parlait, et que nous, bah rien du tout, décida de casser le silence qui régnait de notre côté :

- Et donc ! Aucun d'entre vous ne connaît Rhodes ?

- Non.

- Heu, non, je ne crois pas. Même lorsque j'étais avec Solarius, il ne l'a pas évoquée.

- De même, jamais entendu parler. Vu la région trèèès chaleureusement qu'elle est, ça m'étonnerait d'ailleurs que quelque Shaymin connaisse ce coin.

Bouclier fut un peu dépité qu'on assèche aussitôt le sujet.

- Oh. D'accord. Moi non plus, alors...

Histoire de l'aider, et parce que je n'étais pas contre de parler, ne serait-ce que pour passer le temps, je réfléchis un moment, et je me souvins de quelque information :

- Maintenant que j'y pense, je crois en avoir déjà entendu, il y a longtemps. Je ne sais quasiment même plus pourquoi d'ailleurs ; mais je suppose que c'était à cause d'une Team d'abrutis, encore.

- Ah ?

- Oui, je crois... Et puis, j'ai même du mal à savoir où on se trouve sur la planète exactement. C'est pour dire que je connais très peu. Même niveau histoire, mythologie, ou tout ce que vous voulez en espèce Pokémon. Je ne sais même pas ce qu'on y trouve, en fait.

Drak regarda rapidement autour de lui : les contrées désertiques s'étendait à perte de vue, et la terre semblait vidée de vie. Maintenant qu'on s'habituait au paysage, on pouvait voir, tout au fond, perçant l'horizon, une montagne, vers le nord, à en juger par le soleil. Ou était-ce un volcan endormi ? A l'ouest de ce mont, il s'étalait tout de même une verte vallée, ce qui rassurait un peu ; cela témoignait d'une rivière ou d'au moins quelques averses dans cet endroit. Néanmoins, nous ne croisions pas un Pokémon sauvage. C'était d'ailleurs frappant maintenant que je le remarquai ; même lorsque j'avais traversé des endroits déserts ou inhospitaliers, que ce soit la Route 11 de Hoenn ou l'Inlandsis Sinjoh, nous avions toujours pu croiser une ou deux créatures. Mais ici, aucune vie sauvage ne semblait exister.

- Mouais. Ça m'a l'air vraiment désert, en conclut-il. Vivement qu'on arrive en ville, je serai rassuré, même si on n'y trouve que des humains.


On s'était de nouveau tus, et nous nous rapprochions davantage de Pyrite et de son dôme blanc, qui s'avéra être, à ce que j'entendais de devant, lui aussi un Colosseum. Il s'agissait d'une sorte d'arène ou les Dresseurs se livraient à un tournoi ; ils devaient les enchaîner jusqu'à vaincre le boss des lieux. En somme, des exclusivement réservés aux combats Pokémon. Enfin ; nous avancions vers Pyrite à pied lorsque deux points, venant droit sur nous, au loin, nous alertèrent. Goyah demanda ce que c'était, Fire se prépara à se battre, et Lugia, de sa vue perçante, n'eut même pas le temps de nous informer sur la situation que Zekrom s'était déjà figé instantanément, et éclatait d'un sourire.

- ZEKROOOOOOOOM !

Le Dragon Noir Idéal se prit alors Latias à toute berzingue en pleine poire, et en tomba à la renverse. Latios, qui l'accompagnait, freina son vol le plus habilement du monde, et, comme il était content de voir sa sœur retrouver son amour, rit amicalement :

- Tu vois, je t'avais dit qu'il s'en sortait bien !

Latias n'arrêtait pas d'embrasser Zek', et de lui demander comment il allait, ce qu'il avait fait, comment est-ce que c'était horrible, de lui raconter comment il lui avait manqué, etc, etc ; son frère, de son côté, venait nous saluer à tour de rôle, ce qui m'étonna un peu, moi qui, sur le coup, avait imaginé qu'il allait se contenter d'un salut à l'adresse du groupe entier. Goyah, qui n'avait pas à mimer l'étonnement de croiser ces deux Pokémon Légendaires, vu que tout le monde savait pour sa qualité de MOCLASM, le salua joyeusement : ils avaient l'air de bien se connaître. Ma mère fit de même, demandant comme il se portait ; il répondit que c'était tendu en ce moment, avec tout ce qu'il se passait, mais que de son côté, il arrivait à gérer les tâches qu'on lui assignait. Le Pokémon Eon salua donc chacun des Pokémon du groupe : le Dracaufeu, qu'il félicita pour le travail accompli jusque là, et qu'il qualifia "d'excellent élément pour la défense du genre Pokémon", puis le Grelaçon, à qui il signa volontiers un autographe ; Lugia, qu'il ne connaissait apparemment pas beaucoup, car il s'en tint au minimum de politesse ; et quant à nous, il joua la surprise :

- Tiens ! Vous ici ! Comme on se retrouve !

Dire que c'était lui qu'était venu jusqu'à Verchamps m'embarquer dans cette histoire de voyage dans le temps et de téléportation de météorite juste après ma capture de Zekrom.

- Alors ? Quoi de neuf depuis le Lac Courage ? On visite Rhodes ? Tiens, des problèmes de peau, Shaymin ?

- Va te faire voir !

- Très heureux également ! Et Bastiodon ! Et Drakkarmin ! J'espère que vous servez toujours aussi loyalement votre Dresseur et ami !

- En effet, oui... ?

- Heu... Enfin, bon, c'est tout à fait normal, répondirent-ils, un peu perturbés par la question.

Puis ce fut à mon tour :

- Et voilà notre intemporel héros international ! Toujours l'air aussi ahuri, Chris.

- Content de te revoir aussi, Latios.

Avant que, histoire de le calmer, j'aborde avec un grand sourire les sujets qui fâchent :

- Alors ? Gardevoir va bien ?

C'est là qu'il se racla la gorge, demanda l'attention de tout le monde, et nous pria de reprendre la route, puisqu'on était bientôt arrivé à Pyrite, et qu'on avait un monde à sauver, tout de même, non mais oh. On se remit donc en route, formant à peu près les mêmes groupes ; sauf que je l'empêchai de repartir mine de rien voir sa sœur en lui sautant dessus :

- Minute ! Je tiens à avoir une réponse !

Il se retourna alors, un peu (beaucoup) gêné :

- Ah ! Hé bien, heu, comme tu dois le savoir, on a énormément de boulot en ce moment. Gérer le manque de Zekrom et de Reshiram, calmer certains équilibres naturels, faire le deuil de Hoenn... Et puis, niveau âmes, c'est un peu le bordel, donc voilà.

- "Donc voilà" quoi ? Tu ne m'a toujours pas dit si Gardevoir allait bien.

- Ah ! Gardevoir !

- Oui. Gardevoir.

- Ta Gardevoir ?

- Accessoirement, oui. T'en connais d'autres, peut-être ?

- Oh, tu sais, les amours de jeunesse...

C'était la goutte d'eau qui faisait exploser le vase. Je vociférai :

- JE VAIS T'EN FAIRE REGRETTER, MOI, DES AMOURS DE JEUNESSE, SI TU ME RÉPONDS PAS TOUT DE SUITE, MON VIEUX !

- Okay, okay ! Calmos ! Hé bien, je crois qu'elle va bien, oui.

- "Tu crois" ?!

Il me répondit, en planant un peu maladroitement :

- Ben, elle ne parle pas beaucoup, en ce moment. Alors je ne peux pas trop savoir.

- Pose-lui des questions. Normalement c'est fait pour que les gens répondent quelque chose.

- T'es marrant, c'est ce que j'ai fait. Mais elle a l'air de pas vouloir me dire ce qu'il y a.

A tout hasard, je supposai, en regardant le ciel mine de rien :

- J'espère que la vie avec moi ne lui manque pas trop.

- Ah, ça ! s'exclama soudain Latios ; ça, je suis certain qu'il n'y a aucun problème avec !

- Ah oui ?

- Parfaitement ! Sinon, elle m'en aurait parlé !

Shaymin, qui écoutait tout depuis l'abri que lui procurait Bouclier, trouva quelque chose à rétorquer elle aussi :

- Faut savoir y faire avec les femelles, mon gars. Les nanas, elles mettent beaucoup dans l'insinuation, le sous-entendu. On évite le franco, le défonçage de manières à coup de sincérité irréfléchie, tu vois ? Tu m'étonnes que ça chauffe entre vous eux deux.

Les deux tempéraments créant forcément des étincelles lorsqu'ils se lançaient sur de tels sujets, le Pokémon Éon eut vite fait de s'emporter :

- ÇA NE CHAUFFE PAS ! TOUT VA BIEN !

- Ça ne chauffe pas ? C'est bien ce que je disais. Sans chaleur dans le couple c'est cuit, ne serait-ce qu'au lit. Héhé.

- MOI AU MOINS JE NE CRAINS PAS DE ME BRÛLER LES PATTES !

- AH, ON JOUE SUR LES AFFINITÉS DES TYPES, MAINTENANT ?!

Shaymin se mit alors à prendre une voix toute fluette, et à jouer à la caricaturiste, en faisant la grimace du délicat :

- Ah ! Non ! Au secours ! Une Fée ! Je vais mourir ! Trop de rose à paillettes ! Je suis totalement incapable d'agir face à tant de puissance ! Ohlala !

Moi qui ne comprenais rien à ce que Gratitude voulait dire, je ne pus que constater Latios s'énerver, hurler contre des forces de la nature, et Shaymin gueuler que de toute façon, c'est lui qui l'avait cherché. Drakkarmin voulut se tenir au courant, mais Bastiodon, embarrassé de porter le gentil petit Pokémon qui insultait l'autre, le pria de ne pas en chercher à en savoir plus sur le moment.


Finalement, Latios repartit, sans aucun doute gonflé par Shaymin ; d'ailleurs celle-ci se blottit contre Bastidon, probablement fière du travail qu'elle avait accompli et surtout d'avoir défendu une femelle. Nous nous rapprochâmes davantage de Pyrite ; nous voyions désormais un bâtiment blanc sale surmonté d'une antenne satellite. Le dôme du Colosseum était en réalité de verre teinté, et non immaculé comme me l'avait fait songé la lumière qu'il réverbérait. A côté de ces deux bâtiments plus ou moins convenables, les quelques toits que nous apercevions paraissaient tristement rouillés et délabrés. Le béton et l'acier semblaient être leurs uniques matières à construire des immeubles ; mais non verrions bien lorsque nous serions arrivés. Avec Caverne et Bouclier, nous avions finalement trouvé un sujet de discussion en les capacités de combat. En effet : j'avais voulu savoir, en repensant à ce qui m'était arrivé ces derniers jours, ce qu'ils ressentaient exactement lorsqu'ils lançaient une attaque ; j'avais ressenti par exemple plusieurs fois le Dracosouffle, mais, à part quelques autres, la plupart ne m'impliquait pas corporellement plus que cela. Je demandai donc ce qu'ils ressentait lors d'un Crocs Feu, d'une Colère, d'une Malédiction, ou même l'état exact dans lequel les plonge Repos... Somme toute, j'apprenais énormément de choses de mes deux compagnons lorsque je me rendis compte qu'un museau supplémentaire lévitait à quelques centimètres de nous depuis quelques secondes. Je me tournai vers le Pokémon en question : Latias, ne voulant pas déranger, faisait mine de nous écouter tranquillement - ou alors elle le faisait réellement, et dans ce cas je prends la responsabilité d'avoir pris le réflexe de voir de la fourberie partout. Avec tout ce qu'il se passait, aussi...

- Latias ? Bonjour au fait !

Apparemment surprise que je lui adresse soudain la parole, elle s'écria :

- Oh, oui ! Bonjour, c'est vrai ! Comment allez-vous, depuis le temps ?

- Ma foi, tout se déroule un peu vite en ce moment, mais bon, depuis deux semaines, on commence à être habitués ! sourit Bastiodon.

- Hihi ! Oui, vous m'étonnez ! D'ailleurs... Vous avez vu comme le toit de l'ONBS est extrêmement commun ?

A peine Caverne et Bouclier regardèrent-ils le bâtiment que je sentis une patte m'attraper par le Ruban Joie et me tirer en arrière. Latias me fit ainsi reculer d'une dizaine de mètres avant de me laisser enfin respirer ; j'en toussai. Mais bon, elle voulait pousser son plan jusqu'au bout, maintenant qu'elle m'avait mise à l'écart :

- Alors alors alors ? Comment ça s'est passé avec Zekrom ?

- De-hein ? Quoi ? Comment ça "comment ça s'est passé avec Zekrom ?

- Bah oui, les retrouvailles, l'aventure, est-ce qu'il s'est bien comporté, a bien mangé, a bien dormi, n'a embêté personne ; bref, il a bien été le Pokémon Légendaire parfait, hein ? Hihi !

Je réfléchis un instant. Il avait été retrouvé dans des toilettes, je l'avais réveillé de son galet dans le lit d'une chambre d'hôtel, il s'était goinfré au Coritzyon d'Or, on avait frôlé le scandale, il avait mangé des Baie Pêcha, il avait tout défoncé au Pokéathlon, il nous avait fait gagner le duel contre Dakim en recevant la médaille Pierre de Cobaltium, il avait taquiné un tant soit peu Genesect, et on avait dormi ensemble. J'en conclus donc :

- Oui, oui, il s'est parfaitement bien comporté !

- Ah ! Tant mieux alors ! sourit-elle.

Elle poursuivit en me chuchotant (alors que nous n'étions que deux) :

- Parce que tu vois, je compte sur toit pour le surveiller quand je ne suis pas là. Je ne veux pas qu'il aille s'attirer des petits problèmes, tu comprends ? Il peut être si beau, adorable, plein d'empathie, compréhensif, attentif, drôle, attentionné et choupinou parfois que des gens pourraient être jaloux et voudraient le défaire du trône de mon coeur sur lequel il repose.

- Ah ! Heu, non, aucun rival en vue, assurai-je. De toute façon, ça se saurait !

- Oui, c'est sûr ! me sourit-elle.

Je suis certain qui ni elle ni moi ne savions exactement ce que nous entendions par là, mais passons.

- Ahlàlà ! Et toi alors ?

- Hein ? Moi ? Quoi moi ?

- Hé bien, t'es un Pokémon maintenant ! s'exclama-t-elle gaiement.

- Ah, oui, ça ! me souvins-je en levant mes ailes au ciel. Hé bien, j'm'y habitue, je crois. C'est pas mal du tout ! Je suis super classe, en plus ! assurai-je en agitant la queue.

- Parfait ! Ça te dérange pas d'avoir un corps préhistorique un peu déplumé, décharné par ci par là, ahuri et qui vit ses dernières heures ! C'est bien ! Bon état d'esprit !

Duh.

- ...Merci.

- Ah ? Mais heu, pas de quoi ! sourit-elle ingénument. Et donc ! Tu n'en as pas profité pour fricoter avec une oiselle, parfois ? Hihi.

Je me scandalisai tout seul :

- Ah non non non ! Si tu crois que je pensais à ça pendant tout ce temps ! J'avais mieux à faire entre gérer une voix dans la tête, des accidents de parcours, des poursuites, des catastrophes, et j'en passe !

- Oh. D'accord. Même pas avec des spécimens de ton espèce ?

- Des spécimens de mon espèce...?

Je réfléchis un autre instant. Je songeai à Opéa, Ryxa, Keops, toute la colonie ; toutes les fois où l'on s'était crié dessus en une seule après-midi, ses mines réservées, délicates, et bien souvent fâchées, puis nos adieux, et "mon intérêt à ne plus revenir". Je décidai ainsi de répondre le plus rationnellement possible :

- Comment veux-tu que j'en ai rencontré jusque là ? Des spécimens d'une espèce disparue ; voyons, Latias.

- C'est vrai. J'oubliais ; fit-elle. Hm, ça me fait penser... J'avais quelque chose à te demander, mais je ne sais plus quoi...

Ah oui ? Elle songeait, regardant le sable défiler au fur et à mesure de nos pas ; lorsqu'elle eut un éclair de remembrance :

- Ah oui, voilà ! Tu te souviens... ?

- De ?

- Attends, j'avais pas fini.

- Oh. Pardon.

- Tu te souviens... quand on était dans le passé ?

- Heu... Oui ?

- Et un moment, je t'avais demandé comment tu me trouvais ! Et, si j'ai bonne mémoire, tu m'avais répondu "c'est compliqué, parce que je suis pas un Pokémon", ou quelque chose dans le genre.

...BORDEL MAIS C'EST VRAI ÇA. Du coup, elle jubila :

- Donc ça tombe bien ! Maintenant que tu es un Pokémon, est-ce que tu peux me dire comment tu me trouves ?

BORDEL DE ZUT ! Bon. Calmons-nous. Il n'y avait plus d'échappatoire possible. Merde, mais qu'est-ce que c'était cette manie de vouloir absolument l'avis des autres sur tout et n'importe quoi ? Elle me fit réfléchir un autre instant. Bon. Pensons Pokémon. Concrètement, donc. Hé bien, elle était plutôt pas mal. ALLEZ, CHRIS, OUBLIE TES IDÉES D'HUMAINS, LANCE-TOI, VIS l'INSTANT. Hm... Oui, en effet. Disons-le franchement, elle était très jolie, tout à fait adorable, et je pouvais tout à fait concevoir que Zekrom la désirasse. Huh.

- Ben, t'es belle !

Elle rougit, et s'exclama aussitôt :

- Ah ouiii ? C'est vrai !

- Puisque je te le dis. Et je sais de quoi je parle. Je suis un Pokémon, après tout.

- Wouaaah, merci beaucoup ! continua-t-elle, toute heureuse. Hihihi !

- Bah, avec plaisir. Je dis ce que je pense hein !

Elle réfléchit un instant, elle aussi. Puis elle me dit :

- Tu sais, je trouve que t'as changé depuis le temps !

- Ah oui ?

- Oui, j'ai l'impression que t'as pris, genre, trois ans en une semaine !

Ah ? Vraiment ?

- Oui, vraiment ! m'assura-t-elle.




[...]




- Mais, je n'ai rien dit.

Elle s'étonna aussitôt, l'air malin :

- Oh, voyons ! Ne me dis pas que tu as déjà oublié que je peux lire dans les pensées !

Ah. Ben si, j'avais oublié, en fait.

- Hihihihi !

- Donc, du coup, tout ce à quoi j'ai pensé, quand tu me posais des questions...

- Voilà !

... Zut.

- Bah, c'est pas grave ! rit-elle. Ça te rend encore plus choupinou comme ça !


Sur ces entrefaites, il devait être aux alentours de 17 heures lorsque nous arrivâmes finalement à Pyrite. A la distance "règlementaire" que nous annonça Lugia, lui et les Éons passèrent en mode invisibles afin de ne pas être aperçus depuis la ville ; de plus, Latias avait eu l'idée pratique de ramener la Faiblo Ball de Zekrom. Outre le sourire qui m'échappa en voyant que Zekrom l'avait gardée, et donc que, concrètement, je l'avais toujours capturé (huhu), ma maman put se charger de rappeler Noir Idéal, afin de le cacher plus pratiquement qu'avec l'excuse alambiquée du Métamorph coincé. Les habitants de Pyrite virent après tout arriver dans leur ville deux Maîtres Pokémon, accompagnés d'un Dracaufeu portant un Sac en bandoulière, et de cinq espèces de Pokémon qu'ils n'avaient pas l'air de voir par là, ce qui soulevait déjà bon nombre de remarques, voire de ricanements.

Puisque la ville était en effet peuplé de vauriens. Ce fut le premier mot qui me vint ; m'enfin, c'étaient Loubards, Motards, Culturistes, Canailles et Voyous à tout coin de rue, alors, forcément, ça n'aidait pas à avoir d'autre image que celle qu'ils donnaient. Quant à la ville en elle-même, l'impression qu'on en avait eu de loin restait la même. Pyrite était une ville qui me faisait songer à quelque chose construit avec les fonds de tiroirs, et d'ailleurs, tout aussi bien entretenue. Autrement dit, sale, mal fréquentée, laide, avec ces bâtiments de béton ou d'acier rouillé, lorsqu'ils n'était pas de la même couleur, le tout en pleine rocaille. Même le dôme du Colosseum présentait des fêlures ; on y accédait par un pont grinçant, en traversant la ville, je vis qu'on devait y accéder par une espèce de passerelle faite de matériaux de récup', tous aussi branlants et rongés par la corrosion.

Néanmoins, ni Cynthia ni Goyah ne s'y sentaient mal à l'aise. Ils avaient l'air de s'y retrouver comme dans leur poche ; ou alors n'avaient-ils tout simplement rien à craindre ? Puisque, malgré les réflexions qu'on se prenait de ci de là, ces gens m'avaient l'air malgré tout peu méchants ; une population de braves gens qui vivait dans une ville sans trop de moyens. Nous, Pokémon, nous regroupâmes derrière eux, et essayions tout de même de faire profil bas.

Nous traversâmes donc Pyrite. Goyah nous raconta qu'elle avait un passé de ville minière, mais que, les filons ayant été épuisés jusqu'au dernier caillou, la ville était peu à peu tombée en désuétude ; néanmoins, selon ses dires, l'hôtel était tout à fait confortable, avait de sgens charmants, l'Herboriste était adorable, et la diseuse de bonne aventure n'arnaquait pas sans bonne raison. Les humains nous amenèrent jusqu'au pied du seul bâtiment en apparence plus entretenu que les autres, à savoir l'ONBS. L'immeuble blanc sale jouxtait d'ailleurs la passerelle menant au Colosseum ; ce fut là que la vis. Mais nous n'étions pas venu là pour aller faire quelques matchs.

- Voici donc l'ONBS, nous annonça comme si de rien n'était la Maîtresse de la Ligue de Sinnoh. Entrez, entrez, n'allons pas rater notre interview, voyons.

En bons Pokémon ne sachant pas parler, nous entrâmes ; Lugia, décidément trop grand pour passer par les portes automatiques, nous prévint par télépathie qu'il nous rejoindrait plus tard, et risquait d'aller voler retrouver Arceus dans le QG des MOCLASM côté Légendaires. Il ne précisa rien sur sa localisation, et me rappela néanmoins qu'il restait au courant de ce qu'il se passerait via les pensées de bibi. Latios et Latias firent de même, promettant qu'on allait vite se revoir. Sur ce, le Maître de la Ligue d'Unys et sa coupe de cheveux flamboyante fermèrent la marche, et les portes de verre de l'ONBS se fermèrent derrière nous dans un coulissement propre.

Nous fûmes accueillis par une réceptionniste enjouée, bien assise devant un panneau de bois laqué, affichant avec pompe et efficacité le logo de la chaîne d'informations, autrement un simple et direct "ONBS" bleu, en italique. En voyant Cynthia et Goyah s'approcher, la réceptionniste et ses boucles brunes ne laissèrent échapper aucun tressaillement, et allèrent même jusqu'à jouer le jeu jusqu'au bout :

- Madame, Monsieur ! Vous arrivez tout juste à l'heure pour l'émission.

Les Dresseurs la remercièrent comme il se doit, et nous passâmes tranquillement, avec un petit regard de la réceptionniste sur notre équipe de choc. Nous grattâmes le sol ciré et impeccablement brillant du rez-de-chaussée, longeâmes un bureau, puis empruntâmes un couloir ou étaient accrochés quelques tableaux. Arrivés au bout de celui-ci, un ascenseur des plus modernes, si ce n'est futuristes, nous attendait. J'étais frappé par la différence, d'une part avec le dehors de la ville, d'autre part par le niveau de technologie, rien qu'à l'ascenseur. Mais j'étais loin d'imaginer que ce niveau technologie s'étendait alors à toute la région de Rhodes ; sur le coup, je mettais cet ascenseur sur le coup de la distinction ONBS / QG friqué et Pyrite / ville de braves vauriens. Nous utilisâmes donc l'ascenseur et son sol allumé de bleu : ma maman passa rapidement ce qui ressemblait à un pass devant le bouton du RdC ; elle fit s'ouvrir une petite ouverture dans la paroi de notre cabine, qui cachait jusque là le bouton du -1. Elle posa gracilement son pouce sur celui-ci, donnant un petit coup de tête inconscient qui remit sa mèche blonde en place ; une brève lueur me parut scanner son empreinte digitale, puis les portes de l'ascenseur se refermèrent sans bruit. Un son électronique annonça la descente. Ce que nous fîmes, le coeur soudain soulevé par l'imperceptible mouvement. Dracaufeu, Bastiodon, Drak, Grelaçon et moi nous regardâmes ; l'un avec le sourire d'un excité par toute cette aventure, les autres avec une certaine appréhension mêlée d'une curiosité grandissante. Goyah avait croisé ses mains, et se balançaient tranquillement sur ses pieds, il lançait de grands sourires rassurants à qui semblait trop s'inquiéter, et se pencha vers la longue chevelure de Cynthia, tout à fait sereine jusqu'ici, pour lui souffler :

- Hé, comment ils vont le prendre, d'après toi ?

- Comme la plupart des enfants qui s'émerveillent devant un réseau d'agents secrets, répondit-elle sympathiquement.

Très rapidement, l'ascenseur et sa sonnette nous indiquèrent notre arrivée. Notre habitacle ralentit, puis se stabilisa. Les portes s'ouvrirent sans accroc. Et tadaa.


Nos yeux durent s'habituer à l'obscurité. Car c'était l'élément qui dirigeait Suerebe : l'obscurité de tout un monde en sous-sol. A vrai dire, on pourrait schématiser la ville comme un quartier de nuit agité, enfermé dans un gargantuesque entrepôt. Du béton du sol au plafond, parcourue de passerelle d'acier et de plaques métalliques, Suerebe était construite sur plusieurs niveaux, reliés entre eux par des escaliers de ciment ou des pont de ferraille. A côté de ce gris omniprésent dans cette sombre ambiance, il nous sautait aux yeux une myriade de couleurs électriques. Les enseignes aux néons diffusant leurs teintes gazeuses s'empilaient entre les portes automatiques éclairées, les devantures illuminées et les hologrammes projetés par différentes machines qui m'étaient inconnues. Ces panneaux lumineux me rappelaient ceux des boîtes de nuit, des stations services de nuit et des restaurants bon marché ouverts tard le soir ; les lueurs que ces bâtiments émettaient depuis leurs baies vitrées celles des bars branchés, des bureaux de grandes entreprises et des laboratoires de recherche. Toute la ville était aérée par un système de ventilation puissant ; aucune fenêtre à l'horizon. Nous fûmes tous surpris, je pense, d'y trouver tant de gens aux airs affolés, qui couraient, marchaient vite et s'activaient dans tous les sens dans ce labyrinthe aux allures bassement urbaines, l'oreille accrochée au téléphone, le bras scotché à la mallette, le pas alerte qui se lançait entre les portes coulissantes, la veste ou le chemisier débraillés ; et pourtant, la ville me semblait bien grande, il n'y avait pas la cohue malgré toutes les différentes professions qui s'affairaient. Scientifiques, Professeurs, Pokémon Rangers, Topdresseurs, Vénérables, Ouvriers et j'en passe se croisaient en toute efficacité, communicant d'un éclat de voix entre le tohu-bohu des sonneries, de l'activité professionnelle et le ronronnement de la navette.

Ah, oui, puisqu'il y avait des gouffres, aussi. J'en fus tout aussi surpris que le premier venu dans telle ville ; mais je crus comprendre que les sous-sols accidentés de Rhodes en étaient la cause, en plus du passé minier de Pyrite. Ce monde souterrain était ainsi conformé de pavés de béton disposés selon les caprices du terrain. Il y avait donc une navette qui portaient à plusieurs bouts de Suerebe des humains histoire de faciliter les déplacements à grande distance. Elle ressemblait vaguement à un ascenseur ouvert, qui, à mon avis, suivait en long et en large des champs magnétiques rectilignes ; dans les faits, elle lévitait entre les rues et par-dessus les toits, supportant des groupes de gens hâtifs aux responsabilités abracadabrantesques. Nous attendîmes patiemment notre tour, et elle nous parvint rapidement ; des gens à l'air intelligent et gentil en descendirent, saluèrent sympathiquement les Maîtres et nos personnes, puis coururent là où leur devoir les appelait. Nous y montâmes, et ma maman pianota quelque chose sur le cadran de l'appareil ; l'engin, qui s'ébranla et ronronna de plus belle, nous fit ainsi survoler Suerebe.

- Alors ? C'est sympa, hm ?

- C'est... Disparate, mais coloré. Très animé, aussi. Mais ça m'a l'air de regorger de grands bureaux, pièces secrètes, services annexes et autres trucs du genre, alors pourquoi pas.

Cynthia m'expliqua, le regard vers les toits plats et poussiéreux :

- Il y a quelques dizaines d'années, cette ville était encore rongé par les réseaux de bandits et pullulait de canailles. Lorsque la Team Ombre a été mise en déroute, la police a pu désinfecter l'endroit, et les criminels s'en sont allés, ou alors sont venus se refaire une vie à la surface, principalement à Pyrite.

- La "Team Ombre" ?

- Oui, une des organisations qui sévissait à Rhodes, avec la Team Snagem. Bref ; Peter a eu l'idée d'utiliser Suerebe pour y installer le Quartier Général des MOCLASM. La plupart de la ville d'origine a été gardé - tout reconstruire n'aurait vraiment pas été simple - mais tout a été réorganisé pour accueillir le QG comme il se devait.

Goyah sourit :

- C'est vrai maintenant que j'me rappelle, à la place de l'ONBS, c'était le repaire de Bouledisco qui gardait l'entrée à l'époque !

- Ah oui ?! m'exclamai-je. Cet imbécile travaillait dans cette Team Ombre ?

- Exact !

Hm. Encore un membre d'une ancienne organisation de malfrats qui se retrouve dans le groupe d'individus qui causait nos problèmes actuels.

- J'ai une question pour ta mère, me demanda Bastiodon, qui regardait les rues carrées que nous survolions. Pourquoi est-ce qu'on ne croise aucun Pokémon ?

C'était vrai ; on y avait croisé aucun de nos camarades, et je m'étais moi aussi posé la question, vu la légère odeur de nourriture, d'encre, de papier, de déchets, de nettoyages, de sueur et d'affairement exclusivement humains que je reniflais ; et surtout les seuls têtes que nous voyions. Je traduisis donc, et la Maîtresse de la Ligue me répondit :

- Beaucoup de Pokémon MOCLASM vont, eux, directement au QG côté Pokémon, qui ne se trouve pas à Suerebe. Les quelques Pokémon que vous trouverez là aident aux menus travaux ou s'entraînent dans les gymnases avec leurs Dresseurs. Mais les équipes de secours et d'exploration MOCLASM, par exemple, vont directement au QG des Pokémon.

Le Dracaufeu se réjouit de cette annonce ; il assura à Hugwald qu'ils seraient forcément les prochains à y entrer, "avec tout ça" !

- Mais la séparation n'est pas si drastique que ce que je peux laisser penser, poursuivit-elle. Nous avons un téléporteur, au centre de la ville, qui fait le lien directement avec le QG des Pokémon, tenez, regardez, là.

Elle nous montra un bâtiment aux grandes vitres, qui projetait au-dessus de son toit un hologramme de Poké Ball.

- C'est ici qu'il se trouve. C'est grâce à ce coeur de technologie qu'on peut aussi aller et venir d'un QG à l'autre si les affaires le demandent.

On y voyait en effet des hommes et des femmes s'engouffrer dans le bâtiment pour qu'il en ressortent d'autres ; d'ailleurs, nous vîmes quelques Magnéti et Tengalice sortir également, avant de se dépêcher de courir dans telle ou telle rue. Maman continua de nous expliquer :

- A côté de cela, je crois que l'état de crise y est pour quelque chose, et si les Pokémon travaillent de leur côté pour régler les problèmes liés aux Donjons Mystères, aux forces de la nature et à l'équilibre global de la planète, les MOCLASM, s'occupant des cas de société, préfèrent garder leurs Pokémon dans leurs Balls lorsque la situation est urgente. Mais, c'est vrai que les QG sont normalement plus mélangés que cela, avec des Pokémon qui viennent à Suerebe pour tel ou tel dossier, et des humains qui peuvent se trouver au QG Pokémon pour leur venir en aide sur telle ou telle affaire.

- Pourquoi cette séparation de QG entre humains et Pokémon ? questionnai-je. On ne serait pas plus efficaces si nous travaillions ensemble ?

- Hm, je crois que tout est une question de communication.

...C'est vrai. J'avais d'ailleurs dû faire la traduction des paroles de Bastiodon.

- Et puis, beaucoup de Pokémon seraient gênés par l'endroit, m'expliqua-t-elle, ; Lugia est très bon exemple, ou les types Eau non amphibiens.

Ah, oui. Effectivement.

- Donc... Ce QG regroupe l'élite humaine des MOCLASM, si j'ai bien compris ? demanda cette fois Drak, à l'adresse de Goyah.

- Voilà, c'est ça ! répondit-il chaleureusement. Toutes professions confondues ; des Pokémon Rangers aux Dresseurs, du plus jeune au plus âgé ! Vous avez là la crème de la crème pour régler toute embrouille qui mettrait en péril le monde, le genre humain, Pokémon, ou les trois en même temps !

Notre navette s'approchait d'un rebord de rue, nous nous apprêtâmes donc à descendre de l'appareil. A peine faisions-nous nos premiers pas dans les rues de Suerebe, entre les cafés bruyants et les bureaux de poste qui proposaient des PC à tout le monde, que Fire s'exclama :

- Heu, j'ai l'impression qu'y a un homme qui vient droit sur nous !

Nous tournâmes vivement le regard vers le point que le Dracaufeu désignait ; notre tension retomba lorsque nous vîmes que l'homme en question n'avait rien d'un dangereux criminel. C'était simplement papa, qui arrivait en secouant les bras et en se prenant des gens pressés.

- Cynthia ! Cynthia ! Mon ange !

- Lovis !

Mes parents se retrouvèrent donc ; mon père, d'un mouvement de bras, retira son masque qui lui donnait cette coupe de cheveux blancs en pétard, dévoilant son crâne rond partiellement recouvert de ses très courts cheveux bruns qui se rejoignaient en barbe propre. Il embrassa ma maman et, l'enserrant, fourra son nez dans sa chevelure blonde. Hugwald demanda à Fire ce qu'il se passait exactement, et le Dracaufeu me donna un coup de coude :

- Héhé, il s'agit des parents de Frère Plume, si je suis bien ! Dis-donc, il est assez... Spécial, ton père !

Vu que j'étais certain qu'il faisait allusion à sa manie de se trimbaler toujours avec sa tenue de catch, je lui expliquai :

- Ce que, mon père est à fond dans ses tournois, en parallèle de l'arène. Perso, je le vois quasi tous les jours torse nu, donc je suis un peu habitué ! Mais je conçois que les nouveaux trouvent cela intimidant.

- EN PLUS IL FAIT DU CATCH ! s'émerveilla Fire. Haha, il est vraiment cool ! Et il est donc aussi Champion d'arène ?! Je suis sûr qu'il est spécialiste du type Dragon, ou du type Combat tiens, en tout cas des Pokémon qui défoncent tout et avec classe !

Je souris, avec un air un peu amusé d'apprendre la réalité des faits à mon coéquipier :

- Hé bien, dans les faits... Il est spécialiste des types Eau.

Je vis un certain dépit s'exprimer sur le museau du type Feu/Vol, mais il se reprit aussitôt, soufflant des braises par ses narines :

- Bah, personne n'est parfait, hé !

Goyah et Lovis se saluèrent chaleureusement avec une franche accolade. Les deux hommes me parurent avoir autant de force dans les bras ; ma mère semblait heureuse que ce qu'il semblait être de vieux amis se retrouvent enfin. Puis mon père vint alors me voir, me portant aussitôt à bout de bras :

- Ça alors ! Mon fils ! Haha, c'est donc toi, dans ce corps tout menu et écailleux ? Ils n'ont ptêt pas grand-chose dans la cervelle, ses abrutis, mais au moins, ils ont de l'humour, pour t'avoir donné un corps pareil, haha !

- Oui, merci beaucoup, papa, t'es pas le premier à le remarquer !

- Par Arceus ! s'écria-t-il. Même avec cette voix rauque, je te revois, Chris ! C'est bien mon fils, nom de nom !

Sur ce, il m'embrassa, ce qui me fit, sur le coup, sentir de retour chez moi. Finalement, il me reposa à terre, me regarda de nouveau, les bras croisés, et, bien qu'il sourît, je vis qu'il serrait les dents ; il s'essuya rapidement les larmes qui lui montaient aux yeux, et s'exclama :

- Allez, on va te retrouver de la tête aux pieds, t'en fais pas ! Oh, mais que vois-je ! C'est ce bon vieux Bastiodon !

Il se détourna alors vers mon Pokémon, qui le salua bien cordialement, et fit également plus ample connaissance avec Drak, qui était ravi de voir que mon père aussi savait y faire avec l'art de gratter sous le cou. Lovis le Teigneux serra également la patte de Dracaufeu, et le remercia d'avoir pris soin de moi pendant tout ce temps ; Dracaufeu répondit que c'était un honneur, ce que je me fis une joie de traduire. Pour ne pas faire de jaloux, il s'amusa en décidant de porter Grelaçon ; le petit Hugwald s'en réjouit. Finalement le Champion de l'arène de Verchamps nous annonça, en remettant son masque qui faisait sa fierté :

- Bien ! Avant que vous n'alliez voir vous-savez-qui, je suis chargé de vous emmener manger un morceau ! Parce que vous devez avoir vachement faim, avec tout ça !

Nous bondîmes tous de joie, à l'exception de ma maman, qui, elle, n'avait pas dû parcourir trois régions ces derniers jours ; elle sourit néanmoins, ravie de l'idée, et argumentant en faveur de Peter, puisque c'était apparemment lui qui avait eut l'idée d'envoyer mon père nous retrouver pour qu'il nous emmène dîner avant le briefing. Et, vu qu'on n'avait jamais vraiment eu de repas complet, consistant, depuis le petit déjeuner à l'Asagi Beach Resort, autrement dit rien depuis que divers fruits, Pommes, Gelées , Baies ou Graines, la perspective d'un bon repas avait de quoi nous mettre davantage de baume au coeur. Et puis, il fallait dire qu'enchaîner les inanitions dans notre séquence Donjon mystère n'avait pas aidé.


Nous suivîmes donc mon père à travers quelques rues de Suerebe, éclairés par les néons grésillants et les intérieurs des boutiques et des salles de conseils classes et cosy qui se dévoilait aux passants derrière leurs baies vitrées.

- Au fait, gamin, désolé de t'avoir menti à propos des MOCLASM, s'excusa subitement mon père. Mais, tu comprends, c'est vachement secret, et j'étais pas trop au courant de ton succès à ta première mission ; je veux dire, avec cette histoire de voyages dans le temps, tu es revenu vachement vite, et du coup, j'avais pas capté...

Je tournai le museau vers lui, et haussai les ailes :

- Boah, t'inquiètes pas, va ! Avec tout qui s'enchaîne aussi rapidement, je te comprends, d'une certaine manière.

Et il conclut le sujet d'un court éclat de rire bien à lui. Il papota finalement avec Goyah qui jusqu'ici épiait les bars et boîtes de nuit qui présentaient des numéros de strip-tease ; à croire que ces lieux qui témoignaient du passé de Suerebe avaient été gardés, curieusement, et à peine remodelés. Je n'y voyais pas d'inconvénients, après tout ; si certains humains avaient à se détendre par les moyens de leur choix, ils faisaient ce qu'ils voulaient. Je m'occupai à imaginer si le QG des Pokémon avait ce même genre d'endroits quand Lovis occupa donc le Maître de Ligue en engageant la conversation, à laquelle Cynthia participa bientôt ; nous, Pokémon, nous retrouvâmes un peu en arrière, et ne trouvâmes pas grand-chose à dire. Nous plaisantâmes sur nos estomacs qui grognaient de faim, mais la discussion ne se poursuivit pas plus loin ; elle se limita à quelques remarques sur la ville, mais nous avions globalement le même avis sur la question. La situation embarrassante dans laquelle nous nous trouvions fut sauvée par notre arrivée au restaurant, après d'autres rues de béton grattées par nos pattes.


Je ne m'étendrais guère sur ce repas ; à vrai dire, on y fit pas grand-chose d'autre que d'y manger. Le restaurant était tout à fait charmant, récent et propre, avec un personnel sincèrement amical. Cynthia put sortir Zekrom, qui, après tout, devait avoir autant faim que nous ; Noir Idéal nous rejoignit donc pour la pitance, à mon plus grand plaisir. Je fis toutefois un peu la mou quand je vis qu'ils avaient un espace tout réservé aux Pokémon, et que, là aussi, nous serions séparés des humains. Cela dit, Bastiodon me rappela que ça avait été comme ça partout où nous étions allés manger dans le passé. Et puis, cela ne nous empêcha pas de dévorer de bon coeur tout ce que l'on nous apporta ; ah, engloutir un bon steak, se nourrir de pain, patates et autres, et finir sur de la crème glacée, il y avait longtemps que j'en rêvais ! Et la faim me semblait tout sublimer, du goût des aliments à leur qualité revigorante. On nous proposa de la nourriture Pokémon, mais je fus sceptique à l'idée de goûter un aliment conçu uniquement pour nous ; je gobai malgré tout quelques croquettes, et, ma foi, ce n'était pas si mauvais, même si je me dis que ce devait être un peu barbant d'avoir cette nourriture là tous les jours. Je me satisfaisais d'avoir reçu un corps d'omnivore à dominante carnivore, alors autant en profiter. Toute l'équipe put elle aussi, donc, s'alimenter ; Shaymin, silencieuse jusque là, put retrouver des forces supplémentaires, bien que son apparence ne s'améliora pas pour autant.

A la fin du repas, une équipe du Centre Pokémon vint demander à Gratitude si celle-ci désirait bien les suivre ; elle allait recevoir des soins vu ce qu'elle s'était pris lors du combat contre le monstre. Pas trop rassurée de devoir quitter le groupe comme ça, surtout au moment où on allait rejoindre Peter, l'Infirmière Joëlle la rassura gentiment en lui expliquant qu'elle serait mise en vidéo conférence avec notre salle. Bastiodon, sentant également la méfiance de Minshya, se proposa alors de l'accompagner, ce qui ravit et fit finalement accepter le Pokémon Gratitude. Ces deux-là partirent donc avec les Infirmiers, la touffe d'herbe arrachée emportée sur un brancard qui lévitait. Lovis, Cynthia et Goyah se levèrent de table, et, nous demandèrent si le repas avait répondu à nos attentes ; Drak, Fire, Hugwald, Zek' et moi acquiesçâmes de concert. Mon père en fut ravi, vu "que c'était un de ses restos favoris, avec ses petites tartelettes au fromage", et , une fois Zekrom rentré dans sa Faiblo Ball, nous sortîmes donc, direction l'un des quais de la navette pour qu'elle nous emporte voir le boss.


Nous arrivâmes à destination au bout de quelques minutes. La navette nous déposa à l'entrée d'un grand bâtiment qui présentait de monumentales portes battantes. Le Maître de la Ligue d'Unys les ouvrit en grandes pompes, secouant sa queue de cheval et son poncho ; il parcourut tout le hall principal, et dévala un large escalier. Nous le suivîmes au pas de course ; le lieu était dans les tons bleus et blancs, propres et électroniques, et affichait sur tous ses murs un flot d'information continu. Je crus au départ que les murs étaient couverts d'écrans, mais il s'avéra que les murs-mêmes étaient de larges écrans, sur lesquels des hommes en tenue de travail, en blouse ou en costume pianotaient comme sur de géantes tablettes tactiles. Les écrans verts d'eau produisaient ces sons cristallins et rassurants ; les dossiers, photos, bandes sonores, vidéos, statistiques et tableaux filaient sur les parois, et retombaient entre les doigts des personnes qui étaient assises à leur bureau, ceux-ci longeant ainsi les murs. Toute une maison de technologies.

Notre descente de l'escalier central et de ses larges marches immaculées nous amena dans une salle encore plus grande que le rez-de-chaussée, ou s'étala devant nos yeux ébahis toute une foule de tables, de paperasse et de gens assis, où les murs paraissaient encore plus lumineux et plus bondés d'informations, le tout baignant dans une espèce d'effusion logorrhéique sentant le café, tant le capharnaüm était invraisemblable et semblait fastidieux. Les couleurs froides et sans la moindre taches qu'étaient ce blanc nickel et ce bleu azur manquaient d'arracher les yeux, mais avaient au moins la mérite de tenir éveillé. Mais passons ; c'était au fond de la pièce que l'homme du groupe nous menait, afin de retrouver un second homme, qui, lui, à défaut de poncho et de coupe de cheveux explosive, portait la cape et des cheveux rouges lancés en arrière. Peter - puisque c'était définitivement bien de lui qu'il s'agissait - quitta les écrans du regard pour nous accueillir à bras ouverts, fit le tour d'une grande table ovale, du genre de celle pour les conférences, qui était elle aussi tel un écran géant. Le Maître de Ligues nous salua ainsi la bienvenue :

- Ah ! Nous vous attendions avec impatience ! Avez-vous dîné ?

- Oui, parfaitement ! répondit mon père, qui se tapa le ventre en signe de contentement, comme à son habitude après chaque bon repas.

- Parfait ! Prenez donc place, nous avons à parler.

Mes parents, Goyah, Fire, Hugwald, Drak, et moi prîmes place sur une chaise. Zekrom, dans sa Ball, fut posé sur la table de conférence. Une assistante lambda, sur le côté, afficha sur un mur le direct depuis la salle de soins intensifs du Centre Pokémon, où nous retrouvâmes Shaymin, allongée, et Bastiodon, non loin de son lit. On se salua, puis laissa Peter se recoiffer machinalement, pour enfin prendre place, et commencer.

- Bien. Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Savez-vous ce qu'est un Pokémon Obscur ?




[...]




Tout le monde se regarda. Personne ne répondit. Sauf Fire :

- Hem... Non ?

- Laissez-moi donc vous expliquer.

Peter s'assit sur ses mots, posa ses avants-bras sur la table, et commença à parler, surtout avec ses mains.

- Un Pokémon Obscur est un Pokémon dont la conscience a été artificiellement fermée. Autrement dit, le Pokémon voit ses émotions complètement annihilées, et est continuellement sous le joug de la seule chose qui lui reste, à savoir son subconscient. Un Pokémon dans cet état dévoile alors un pouvoir dont vous n'avez même pas idée ; n'ayant plus conscience de quoi que ce soit, c'est l'essence du Pokémon, son instinct-même, et uniquement, purement celui-ci, qui s'exprime impétueusement. Ce sont de vraies machines de combat, sans âme. Lorsqu'un Pokémon est dans cet état, une fois sorti de sa Poké Ball, ils peuvent ne pas se contenter d'attaquer les autres Pokémon, mais également leurs Dresseurs ; ils vont déchaîner leur puissance en utilisant des attaques différentes de celles qu'ils utilisent habituellement, des attaques "obscures".

Le Dresseur de Dragons nous montra une vidéo pour expliciter ses propos ; on y vit un Rhinocorne, aussi violent que jamais, comme pris en proie à un délire, qui terrorisait tout un quartier : il fonçait aveuglément dans tout ce qu'il bougeait, avec une aura ténébreuse qui teintait toutes ses charges forcenées. Je n'avais jamais vu cette couleur auparavant ; entre l'indigo et le noir, même en vidéo, elle avait l'air d'exprimer quelque chose d'horrible qui me fit frémir. Le petit Rhinocorne défonçait littéralement les murs et fracassait tous les Pokémon sains d'esprit qui essayaient désespérément de le contrer. Il fut finalement mit K.O. au bout de deux bonnes minutes de massacre.

- Pour continuer sur les Pokémon Obscurs proprement dits... Leur obscurcissement étant une expérience contre-nature et donc instable, il se peut que le Pokémon soit parfois submergé par ses émotions ; il entre alors dans une espèce d'état critique, que certains appellent le Mode Hyper ou le Mode Retour. Ils deviennent totalement incontrôlables dans ce cas, et les ramener à la raison - enfin, les faire quitter cet état, devient une chose extrêmement complexe et ardue.

Peter marqua une pause ; Fire voulut poser une question par mon intermédiaire, mais l'humain fit signe d'attendre. Il voulait d'abord nous exposer tout ce qu'il y avait à savoir sur le sujet.

- Une autre de leurs singularités est qu'on ne peut les différencier des Pokémon normaux. Hormis leur violence de frappe, l'allure de leurs attaques et leur comportement, ils sont indiscernables en apparence : ils ont le même type que leurs contre-parties normales, et n'émettent qu'une aura invisible anormalement sombre que n'ont pas les autres Pokémon, et qui ne peut être détecté que par la technologie, ou, très rarement, par certaines personnes. Cependant, il a été observé des cas d'obscurcissements tels que le physique même du Pokémon s'est altéré.

Attendez, ne me dites pas que...

- Le monstre que vous avez affronté sur l'Inlandsis Sinjoh était le résultat d'une tentative d'obscurcissement de Kyurem. Appelons-le Kyurem Altéré ; vous avez eu, avec Kyurem Altéré, une démonstration de ce que pouvait être un Pokémon Légendaire Obscur. Et encore, comme je vous le dis, Kyurem n'a pas été obscurci complètement ; ce n'était qu'une tentative plus ou moins ratée de Cipher.

- Cipher ? demandai-je.

Peter marqua une pause. Puis :

- Il s'agit de la traduction qu'ont donné les anglais de "Team Ombre" ; mais il s'agit également du nom que s'est donné cette organisation dont les agissements présents nous réunissent ici.




[...]




Alors ça y est. Nous connaissons enfin le nom de cette Team. "Cipher".

- Mais, il s'agit donc de la Team Ombre, à nouveau... ?

- Oui et non, poursuivit Peter, sérieux. Il est chose certaine que leur but est de créer une armée de Pokémon Obscur, et de ce point de vue, Cipher est une seconde renaissance de la Team Ombre.

- "Seconde" ?

- Oui. Ils avaient déjà retenté d'accomplir leur plan cinq ans après leur première tentative, nous apprit le MOCLASM en chef.

- Oh.

- Donc oui, c'est d'un côté la Team Ombre - d'ailleurs, Bouledisco, Vamper, Dakim et Artus en faisaient partie -, mais d'un autre, avec le recrutement de Purple Eye, et sûrement d'autres têtes de rang du même acabit, ils ont élargi leurs horizons et voient davantage plus grand.

- Alors, attendez, coupai-je ; tout d'abord, qui est Artus ?

Peter tapota sur quelques dossiers, et nous afficha son fichier, photo en prime. Bordel de merde. Le gars aux cheveux bleus, lunettes noires et tout le barda.

- Cet homme est Artus. Il est le frère d'Eudes, et ces deux-là sont fils de Malafid, le dernier boss en date de la Team Ombre.

De même, Peter nous montra les fiches de ce Eudes et de Malafid. Nouvelles informations capitales dans ce grand puzzle : Eudes n'était personne d'autre que l'homme aux cheveux rouges et aux lunettes noires, alias celui qui nous avait aidé sur Algatia, celui qui ne nous dévoilait pas grand-chose, celui qui avait été assassiné sous nos yeux à l'hôtel le matin du Pokéathlon, celui qui m'avait demandé de prendre soin de son Drattak, celui enfin qui m'avaiat demandé de retenir 893-0-0-1. Celui qui m'avait mis en garde, juste avant de se prendre une balle, en quoi tout mon entourage, mes parents inclus, étaient en danger. Quant au dénommé Malafid, s'était un petit vieux chauve voûté aux grandes oreilles, aux petites lunettes, drapé d'une toge violette et d'un petit ris vissé entre ses deux joues exprimant pourtant une certaine bonhomie. Il n'avait pas du tout la tête d'un grand cerveau méchant, mais plutôt celle du gentil papi chez qui on passe des vacances d'été et qui nous offre des bonbons à Noël.

- D'accord, poursuivis-je, merci. Deuxièmement, si vous nous dites qu'ils ont été, par deux fois déjà, mis en déroute, cela signifie donc qu'il y a un moyen de "dés-obscurcir" un Pokémon ?

- C'est exact, annonça Peter en s'adossant à son siège.

Il garda un avant bras sur la table, et explicita ses propos avec l'autre main :

- Cette méthode se nomme Purification. Avant qu'il ne passe par cette étape, un Pokémon Obscur doit passer plusieurs fois par le Mode Hyper, passer du temps avec un Dresseur qui ne l'exploite pas comme il a été modifié pour l'être, et d'autres soins corporels comme des massages à base de parfums particuliers. La méthode la plus efficace consiste encore à l'appeler à revenir à la raison lors du Mode Hyper ; les émotions ressurgissant, il s'agit d'atteindre celles-ci avec les meilleures paroles que le Dresseur puisse lui adresser afin de l'exhorter à redevenir le Pokémon conscient qu'il était auparavant. Cela se fait malgré tout dans le long terme. Enfin, peu à peu, le Pokémon se mettra à réutiliser des attaques habituelles, et, lorsqu'il ne maîtrisera plus d'attaques Obscures, il sera temps de passer à la Purification. Il suffit soit de procéder à un rituel à la Relique Sacrée de Samaragd, une ville au nord ouest de la région, soit d'utiliser le Purificateur. Il s'agit d'un dispositif inventé par le Professeur Syrus après la première affaire des Pokémon Obscurs, afin de faciliter la purification de ceux-ci.

- Donc il y a encore un espoir pour délivrer les Pokémon Obscurs de l'emprise de Cipher, résuma Drak.

Je fis la traduction, et le boss prit une expression perplexe :

- En effet, mais je vous le répète, il y a quelque chose de différent avec Cipher d'aujourd'hui et la Team Ombre d'hier. Ils n'ont pas les mêmes méthodes ; et, regardez Kyurem Altéré : ce n'était pas un Pokémon Obscur à proprement parler. Pourquoi n'ont-ils pas procédé comme auparavant, et qui plus est, en mâchant à moitié le travail, eux qui sont si bien organisés ?

Il y eut un moment de silence. Puis Fire évoqua les événements d'Algatia, la prise de la ville et du Centre Spatial par la Team Aqua et la Team Magma, et le rôle de Purple Eye dans la destruction de la région entière.

- Hm, cette affaire est encore bien complexe, répondit Peter. Nous ne savons toujours pas en quoi détruire la Région de Hoenn leur servirait à...

- Arceus nous a dit que nous avions "partiellement vu juste" en pensant qu'ils voulaient ainsi recruter tous les Hoenniens, ajoutai-je.

- C'est impossible ! s'exclama Peter. Tous les rescapés ont été dirigés vers l'Île Gentille, et y vivent en parfaite harmonie. Il n'y a absolument rien qui puisse laisser supposer qu'ils aient quelque affaire avec Cipher.

Hm. En effet.

- Bien, continua Peter. Laissez-moi faire le point sur quelques-unes de ces personnes.

Il reprit le dossier concernant Eudes, l'ex-homme au Drattak.

- Eudes et Artus faisaient tous deux partie de la dernière Team Ombre en date. Bien qu'ils soient frères, ils avaient tous les deux des points de vue extrêmement variés sur les agissements de l'organisation. Artus est sans le moindre doute l'homme qui a le plus de foi en l'obscurcissement des Pokémon ; Eudes a - ou devrai-je dire "avait" - toujours remis en question leurs plans, persuadé de savoir si c'était bien là la meilleure solution. Ce brave homme n'a, pour ainsi dire, pensé qu'à accroître la puissance de son équipe pendant bien des années jusqu'à atteindre un très haut niveau de Dressage ; cependant, il y a environ vingt ans, alors que la Team Ombre récidivait, il s'est mis à se remettre en question, lui et sa philosophie. Lorsque l'organisation a été mise en déroute une seconde fois, il a réussi à persuader son père et son frère de ne pas faire sauter l'Île Ténébra, alors leur base secrète, afin de ne pas nuire aux Pokémon et aux personnes que l'explosion pourrait alors toucher. Par la suite, Eudes a quitté l'entourage de son père, et s'est mis en tête d'aider à réparer les crimes qu'ils avaient pu commettre, et si possible, dans le même temps, de convaincre son frère d'abandonner le rêve de domination par les Pokémon Obscurs.

Je vis qu'il allait passer au cas de son frère ; je me permis donc de demander à ce moment :

- Justement, à propos d'Eudes ; avez-vous récupéré son Drattak ? Il m'a fait promettre de m'occuper de lui.

- Ne vous inquiétez pas, sourit Peter. Son Pokémon Dragon se trouve actuellement au QG côté Pokémon.

Ah. J'aurais aimé le revoir, ne serait-ce que pour lui dire en face que les derniers mots de son Dresseur étaient pour lui. Le Maître de Ligues se racla la gorge, puis poursuivit :

- Quant à Artus... ? Hé bien, vous avez vous-même vus ce qu'il est devenu aujourd'hui. Il est assurément le cerveau de Cipher, et a réussi à reconduire ces ambitions extraordinaires pour la troisième fois en trente ans.

C'est là que je partis dans un éclat de rire, faisant s'étonner les W.T.F., mes Pokémon et les humains :

- Haha ! J'ai l'honneur de vous dire qu'après avoir perdu un bras, il s'est fait exploser dans l'Inlandsis suite au crash de leur aéronef ! Non, ne me remerciez pas ; j'avais une dent contre lui, après tout.

Peter en fut abasourdi pendant de bonnes secondes. Il en conclut, oscillant entre la joie et la surprise :

- C'est donc ceci, la conclusion à l'épisode du Kyurem Altéré ! Bien...! Je suppose que cela ampute Cipher d'un gros membre. Félicitations, agent Chris !

Puis je me fis applaudir par tout le bâtiment. Wah. Ça faisait drôle, je m'attendais pas à ça. Peter était définitivement content, et, se levant de son siège pour m'applaudir également, en profita pour tracer une croix rouge sur la photo d'Artus, et ajouter les circonstances de son décès. De mon côté, je voulus taire les conditions de l'accident pour le moment, et profiter d'un peu de la gloire qui, je le pensais sincèrement, me revenait de droit, après tout ce que j'avais bouffé.


Une fois que l'euphorie s'était apaisée, le boss des MOCLASM côté humains reprit son exposé :

- Bien ! Parfait ! Passons à nos atouts, désormais ! Autant rendre de suite à l'empereur ce qui est à l'empereur, et remercions chaleureusement Beladonis et bon nombre d'autres MOCLASM pour nous avoir fourni toutes ces informations.

Bastiodon l'interrompit :

- Donc Beladonis est MOCLASM en plus de faire partie de la Police Internationale ?

Peter sourit, fier de leur coup :

- Nous avions bien besoin de quelqu'un pour nous tenir au courant de cette sacrée P.I. ! Elle est sur notre piste depuis si longtemps que les laisser nous griller serait dommage. Bon ! A côté de notre agent - dont nous n'avons d'ailleurs plus de nouvelles depuis un bout de temps, maintenant que j'y pense. Nicole ? appela-t-il. Qu'advient-il de l'agent Beladonis ?

Une nana lambda se détourna de l'un de ses écrans :

- Nous n'avons pas reçu de nouvelles informations de puis trois jours, monsieur.

- Bah, il s'en sort toujours impeccablement, alors faisons-lui confiance ! Donc ! Reprenons, préconisa-t-il en se rasseyant, prenant soin de ne pas écraser sa cape. Nous avons aussi Walker, un des plus célèbres Pokémon Ranger, originaire d'Oblivia.

A ce moment, Bastiodon s'écria, de l'autre côté de l'écran :

- Ah, oui, je le connais, lui ! C'est celui qui est venu sauver quelques-uns d'entre nous en attaquant Cipher !

- Tout à fait ! renchérit Peter. Un de nos meilleurs éléments ! Mais, qui reste ma foi un peu trop silencieux, ajouta-t-il après quelque réflexion. Nous n'avons toujours pas de compte-rendu de cette infiltration.

Mouais. Je savais pas ce qu'il avait fait à mon Lançargot pour que ce dernier ne nous rejoigne pas, mais en tout cas, je le remerciai d'avoir libéré l'agent Noctunoir, enfui avec Crocrodil. Le Dresseur de Dragons poursuivit :

- Nous avons aussi une membre du réseau des Rebelles, Julie !

Et là, il balança le fichier sur elle. Cela me fit un choc. D'une part de la revoir, d'autre part de voir qu'elle avait techniquement un dossier, d'une troisième part, qu'elle était finalement dans notre camp.

- Elle... Elle est...

- Tout à fait ! m'assura Peter. Julie est une de nos agents infiltrés dans Cipher, en plus de travailler en équipe avec l'agent Smith, le Colhomard que vous connaissez également, agent Chris. Avoir une taupe chez l'ennemi, c'est notre péché-mignon.

- Mais-mais-mais... bégayai-je. Si elle est infiltré chez eux, comment ça se fait que vous n'ayez pas plus d'infos ?! Genre, je ne sais pas moi, pourquoi est-ce que des Pokémon Feu, pourquoi est-ce que faire sauter une région, pourquoi est-ce que... moi ?

Voyant qu'il avait affaire à trop de questions soudainement, Peter me demanda brusquement de me rassoir, perdant par la même occasion le sourire qu'il avait gardé depuis que j'avais annoncé mon meurtre. Je me reposai le croupion sur mon siège, m'enfin.

- L'agent Julie mène la tâche la plus complexe qu'il soit, vous en conviendrez, s'expliqua-t-il. Elle doit être constamment surveillée, oppressée, et doit jouer son rôle du mieux qu'elle puisse afin de garder sa vie.

- ...Donc vous n'avez rien d'elle pour le moment ?

- Agent Chris, vous semblez perdre votre notion du temps. Êtes-vous au courant que cela fait à peine un mois que nous avons pressenti quelque complot d'échelle mondiale, et environ deux semaines que nous avons des actes concrets de hors-la-loi ? Un agent infiltré n'est pas rentable si rapidement. Il doit connaître les lieux, nouer des liens avec les membres les plus importants, et caetera. Nous devons d'ailleurs vous féliciter une nouvelle fois, cette fois pour nous donner la confirmation que Julie est bien installée chez nos ennemis. Car elle vous a adressé la parole lorsque vous étiez retenu prisonnier après les événements d'Algatia, n'est-ce pas ?

Je relevai le museau :

- Oui, c'est ça... Elle me semblait drôlement de leur côté.

- Bien ! Vous voyez, une vraie pro ! se réjouit-il.

- Ou alors, elle est de leur côté, et c'est vous qu'elle couillonne.



[...]



Le silence représenté ci-dessus est cette fois-ci à attribuer à tous les MOCLASM qui étaient alors présents dans la salle. Peter passa du sourire au sérieux le plus grave une nouvelle fois, et éleva la voix :

- Agent Chris. Si vous remettez en question l'organisation et la crédulité de tous les MOCLASM...

- Je ne remets rien en question, rétorquai-je. Je dis simplement ce qu'il me passe par la tête, et d'après ce que je sais. On ne peut se fier à personne, vous le savez très bien. Alors je me fie à moi, monsieur. Désolé si je vous ai offensé, ce n'était pas mon but. Faites comme si je n'avais rien dit. Poursuivez.

Un court silence, et l'agitation des travailleurs revint, en même temps quelles sonneries de téléphone et tout le tintouin.

- Bien ! s'exclama Peter, en frappant dans ses mains. Poursuivons d-

- MONSIEUR PETER !

A cet instant, un gars lambda, en apparence un Ranger, dévala les marches de la salle principale et déboula à notre étage, complètement chamboulé :

- C'est le Professeur Syrus, Monsieur ! On vient de m'annoncer qu'il a été enlevé !

...Attendez, c'était pas le mec qui a inventé le Purificateur ? Peter n'eut pas besoin d'aide pour s'étrangler en entendant cette nouvelle, vu comme celle-ci lui passait en travers de la gorge :

- COMMENT ÇA ?! MAIS... Je croyais qu'on avait chargé l'agent Juliette de le surveiller !

- C'est tout à fait exact, Monsieur ! Le Ranger Juliette est d'ailleurs elle aussi portée disparue !

Peter frappa du poing sur la table. Je le comprenais, je crois.

- Rah ! C'est pas vrai ! On vient juste d'apprendre une bonne nouvelle, et voilà que les mauvaises refont leur apparition ! Et c'était la dernière membre du groupe des Rebelles ! Nom d'un Dragon ! Et, bien sûr, c'est Cipher qui a fait le coup ?

- A n'en point douter, Monsieur ! certifia le jeune Ranger. Vu leurs tenues noires et leurs crânes rasés, ce ne pouvait être qu'eux !

De fait, notre boss s'exclama, faisant voler sa cape en se retournant vers nous :

- Bon ! Alors nous allons rajouter cela sur votre fiche de mission, vaillants MOCLASM ! Demain, vous partirez pour Port Amarrée, ou notre hélico vous attendra ! Nous supposons que le QG de Cipher se trouve tout à fait au sud de Rhodes, par delà ses frontières. Que dis-je supposons ; nous en sommes certain, grâce à Eudes ! Il nous a livré leurs positions le matin de sa mort, et nous n'attendions plus qu'une force de frappe de votre calibre pour les arrêter ! De plus, il nous fallait vous trouver, Chris, afin que vous puissiez récupérer votre corps, qui doit très certainement se trouver dans leurs locaux. Vous vous y rendrez donc, retrouverez Julie, sauverez le Professeur et Juliette, libérerez les Pokémon retenus en otage, et mettrez un terme aux agissements de Cipher, en vous assurant que nous n'ayons plus jamais affaire à la moindre histoire de Pokémon Obscur !

Le Maître avait déjà commencé à grimper l'escalier, accompagné du Ranger :

- Peu importe les questions qui restent en suspend : notre objectif est clair, est il s'agit d'empêcher ces gugusses de faire du mal à davantage de monde ! Vengez Hoenn, chers agents ! Je m'occupe de vous ouvrir les barrières ! Et maintenant, rompez !

Et ce fut sur ses mots que Peter donna l'ordre d'alerter tout le Réseau Ranger, avant de sortir du bâtiment avec le jeune accablé, partant tout de suite là où son devoir l'appelait.


Nous marchions tous désormais dans Suerebe. Goyah, Cynthia et Lovis s'étaient tus lors de l'exposé de la situation par Peter, et nous conduisaient, Drak, Fire, Hugwald et moi, à un gymnase, afin qu'on fasse le point sur notre équipe, une démonstration des aptitudes de chacun, et que tout ce petit monde aille se coucher tôt pour demain. Personne ne disait rien. J'avais l'impression que ça commençait à devenir une habitude, le manque de conversation. Il faut dire qu'on était, en ce qui concerne les Pokémon, tous crevés. On avait encore le poids des derniers jours sur le corps, et, pour trois d'entre nous, 180 étages de Donjons et un combat mémorable contre Kyurem Altéré s'ajoutaient sur les nombreuses marches de la journée. Je ne savais même plus, du coup, si, ces derniers jours, le mal de crâne que je me coltinai était dû à la fatigue, ou à je ne sais quelle preuve de la détérioration de mon enveloppe corporelle. Tout ce que je sus, c'est que la douleur me prit si brutalement, ce soir-là, alors que nous marchions dans Suerebe, que je n'eus pas le temps de hurler. Je perdis connaissance directement.



J'entends de la musique. Un air techno, je crois, qui ne m'est pas inconnu, sans doute ; et divers bruits humains. Ils chantent, vomissent, crient, rient, s'insultent, mangent, se taisent, boivent, vont pisser. De plus en plus distinctement ; tout s'embrouille de moins en moins. Des projecteurs de toutes les couleurs imaginables balayent l'endroit ; ça sent l'alcool et le tabac. Et la drogue. Et le sexe. J'ai l'impression d'avoir été bourré et camé, j'ai mal à la tête affreusement. Je ne ressens rien, et pourtant, je perçois tout, trop bien, ça me fait mal à la tête tellement que je les perçois. Le tempo du son d'à côté retentit en moi, comme si mon coeur battait avec la musique ; mais j'ai la sensation de ne pas me contrôler. Je n'ai quasiment plus d'équilibre ; je ne suis plus en possession de mon corps, je suis là sans être là. D'ailleurs, je n'étais pas là ; je ne me voyais aucunement ; c'était vraiment trop rationnel subjectivement parlant. J'entends des grognements. Comme un souffle bestial. Profond et puissant. Cette ambiance floue de nightclub pas net est toujours là. Proche. Je cherche quelque chose ? Que je suis fatigué... Je ressens une sensation pokémonale, des impulsions, et une envie phénoménalement puissante. Je ne sais pas de quelle envie ; j'ai perdu le contrôle de mes mouvements, je suis contrôlé par l'envie. Je crois que je ne suis plus le crâne dans le nightclub, je pense être à côté. Il fait sombre ; la musique est étouffée. Soudain, je l'ai trouvée. La chose que je semblais chercher. Aucun bruit anormal ; peut être que le souffle et la violence deviennent plus âpres. Et là, hormis mon mal de crâne tout compte fait plus douloureux qu'étrange, j'ai l'impression d'être heureux. Je me sens incroyablement bien. Je ne me suis jamais senti aussi bien. Je n'ai jamais ressenti ceci auparavant. Je n'espère rien, à part que tout ceci soit vrai. Tout... Tout est... bizarre, inattendu... Inopiné, étrangement flou, embrumé... Je suis... Défoncé... Dans tous les sens du terme... Ma... Tête... Que... Que se passe-t-il... Mon... Moi... Subconscient... Mal... Sauvage... Non... Je... Cette chose... Je... Ce n'est pas... C'est... Tellement... Pas... Coupable... Encore... Une fois... Que... Je... Moment... Envie... Se... Pourrait-il que je... L'aime? ...Comment est-ce possible ?



Tout ne se finit pas en criant. Je revins à la réalité dans la transition la plus douce qu'il soit. Je vis un plafond blanc, de béton. Penchés sur moi, Peter à ma gauche, et, à ma droite, Gardevoir. Elle souriait de son plus beau sourire. J'en fus le Pokémon le plus ravi du monde. Je crois que je souris aussi, ou alors que j'essayai de balbutier son nom; en tous cas, elle posa sa patte sur ma bouche, et me fis signe de ne pas m'agiter. Je n'entendais pas grand-chose, comme si j'avais les oreilles bouchées. En regardant plus loin, je vis deux humains derrière la vitre, qui me regardaient en se tenant l'un dans les bras de l'autre. C'était papa et maman. Ils avaient l'air atterrés.
Peter sourit. Je le vis déposer une arme sur ma table de chevet ; un flingue noir, lourd, qui cogna contre le verre d'une façon si drastique que le bruit me fit recouvrir l'ouïe. Je le vis me dire :

- Vous en aurez besoin, peut-être, pour votre infiltration de demain. Faites en bon usage. Vous n'avez que six balles. Ne me demandez pas pourquoi ; vous savez déjà qu'une arme, c'est le protocole pour une mission si dangereuse, car les Pokémon pourraient bien ne pas suffire. Et puis, Cipher a aussi des armes, alors, voilà.

Il se sentit gêné. C'était drôle.

- Bon, je vais vous laisser. Je prie sincèrement pour vous, agent Chris. Vous êtes un élément que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Faites-le au moins pour en finir. Vous serez libéré, au sens propre comme au figuré, après cela. Bonne chance. Vous en aurez besoin.

Il sortit sur ces mots, puis je le vis parler à mes parents. Ceux-ci me regardèrent de nouveau. Puis lui. Puis moi. Puis lui. Puis ils partirent. Ma mère me regarda une nouvelle fois avant de disparaître derrière la porte, et m'envoya un bisou. Je ne l'avais jamais vue si abattue.
Je fis revenir mon regard sur Gardevoir. Elle s'était redressée, et assise sur le bord du lit où j'étais couché. J'étais adossé contre un oreiller ; en essayant tout simplement d'agiter ma queue, je me rendis comptes que mon corps restait insensible à ma volonté. Il perdait de plus en plus de plumes. J'avais l'impression de perdre mes écailles avec. Je ne pouvais pas bouger ; j'étais paralysé.


Il se passa un certain temps. Je retrouvai de plus en plus mes esprits. J'avais mal à la poitrine, en plus de la tête (mais ça, c'était devenu habituel). Je posai mes yeux sur Gardevoir, à nouveau. Je m'aperçus alors qu'elle avait un collier de perles. J'ouvris alors la gueule :

- C'est joli.

Elle joua la surprise :

- Oh, ça ! C'est Latios qui me l'a confectionné. Oui, il me plaît beaucoup, à moi aussi !

Il y eut un moment de silence. Je regardai son cou paré, et pensais à milles choses. Elle, doucement, réengageait, le plus agréablement possible, la conversation, même si, bien souvent, j'avais l'impression, me semble-t-il, qu'elle avait du mal à aborder le sujet, et à finir ses phrases.

- Tu sais que... Avec tout ce qu'il t'arrive... Tu sais bien que... Que ton... Ton... coeur... peut... te lâcher d'un instant à l'autre, me prévint-elle alors. Mais, là... Ce ne sera pas demain, pas dans une semaine. Ça peut arriver, maintenant, comme dans une heure, comme demain matin, comme demain midi. Mais si tu tiens jusque là, tu auras eu de la chance.

Ce n'était pas du tout à cela que je pensais.

- Je récupérerai mon corps à temps, promis-je. J'en ai la ferme conviction.

Elle me sourit. Elle ne voulait pas pleurer, je crois.

- Bien ! Tant mieux, alors ! Je suis rassurée, hihi.

Non. Je pensais à tout à fait autre chose.

- Peux-tu rappeler Peter, s'il-te-plaît ? lui demandai-je soudain.

- Oh ? Pourquoi ?

- J'ai à lui parler des Pokémon Obscurs. Je crois... J'ai envie d'avoir son avis sur un point. Pourrais-tu faire ça ?

Elle se leva, et m'assura :

- Sans problème. Je n'en ai pas pour longtemps.

Puis elle se téléporta.


Je me retrouvai seul. Ces chambres de Centre Pokémon, avec leur odeur de désinfectant et de savon pré-opératoire, commençaient à me dégoûter. Il n'y avait personne derrière les vitres, dans le couloir. Je regardai le plafond. Il était toujours blanc. Hm. J'étais persuadé d'être un Pokémon Obscur.

Je tournai le museau, le laissant tomber sur l'oreiller froid. J'étais relié par intraveineuse à une poche de glucose, et c'était tout. Aucun moyen de connaître mon battement cardiaque. Je posai mes griffes sur ma poitrine. Mon coeur n'avait jamais battu aussi vite, aussi désordonnément. Pourquoi ne l'avais-je pas senti avant ?
Je regardai le flingue. Quelle idée. Comment allai-je pouvoir l'utiliser, avec ces pattes ? Hm. C'était rassurant, d'un côté. Ça me confortait dans l'idée que j'étais destiné à retrouver mon corps, pour pouvoir me servir de cette arme.

Gardevoir réapparut, en effet, peu de temps après son départ, dans un flash scintillant, aux couleurs apaisantes. La lumière se dissipa ; grâce à Téléport, elle ramenait avec elle l'homme à la cape que je désirai. Il revint à l'exacte place où il était il y a quelques minutes.

- Oui, agent Chris ? Qu'il y a-t-il ?

Je priai à Gardevoir de rester. Puis, m'adressant au Maître de Ligues, je lui expliquai tout. Des rêves bizarres aux pertes de mémoire, en passant par les maux de crâne. Je gardai le plus intéressant pour la fin ; je lui décris ce qu'il m'était arrivé à Algatia, puis ce qui m'avait complètement changé, aussi bien physiquement que mentalement, alors que j'étais dans l'aéroporteur des abrutis, au-dessus de l'Inlandsis Sinjoh, et ce qui m'avait poussé à arracher un bras humain avec mes crocs. C'était la première fois que je parlais de ces évènements à quelqu'un, vu qu'ils s'étaient toujours déroulés en moi, et toujours à l'écart de mes coéquipiers. Je décrivis le plus précisément possible ce que j'avais ressenti ; la voix étrange qui m'avait pris la tête, la poigne à la gorge qui m'avait étouffé, pour finir sur mon manque flagrant de contrôle de moi ; de rares images qui me revenaient, ces états étant restés au même stade que des cauchemars pour moi. Je n'avais agi que sur l'instant, qu'avec l'instinct du Pokémon qu'il y avait en moi.

Peter resta muet quelques secondes après que j'eusse terminé. Il attendait probablement le moment où je sortais la conclusion que je m'étais faite, ce que je fis. Gardevoir s'en étonna, et lui, beaucoup :

- C'est impossible, voyons. Les Pokémon Obscurs doivent subir des modifications, vous ne pouvez pas devenir Obscur comme ça, en claquant des doigts.

- J'vous rappelle que ce sont eux qui m'ont foutu dans ce corps, ajoutai-je.

Il argumenta davantage :

- Peut-être bien, mais un Pokémon Obscur n'apprend rien, ne s'améliore pas au fil des combats, et ne peut pas évoluer. Vous, vous avez évolué. A côté de cela, en ce moment-même, vous vous contrôlez parfaitement, me trompé-je ? Cette contrainte que vous me décrivez - un Pokémon Obscur est sous son emprise sans arrêt, et ce jusqu'à Purification complète. Ça ne lui vient pas par à-coups soudains et imprévisibles.

...Le Dresseur de Dragons avait raison sur tous les points qu'il évoquait. Mais, alors... Si je n'étais pas un Pokémon Obscur...

- Qu'est-ce qu'il m'est arrivé, toutes ces fois-là ?

- Pour ça, il faudrait qu'on sache ce qu'il vous est arrivé, justement, rappela-t-il. Vous n'avez pas subi ces "transformations" et les "délires" dont vous me parlez devant nous, à ce que je sache. C'est vous qui venez me raconter cela. Et puis, même si vous aviez vraiment vécu ce que vivrait un Pokémon Obscur, cela ne veut pas dire que vous le soyez. Rappelez-vous, vous n'êtes même pas un Pokémon. Vous êtes un humain. Vous avez tout votre esprit d'humain, dans ce corps de Pokémon ; et un humain ne peut pas être "obscur". Cela va autant de soi qu'un humain ne peut rentrer dans une Poké Ball ou utiliser ces mystérieux pouvoirs que nous appelons "capacités".

Il s'arrêta là. Il n'avait rien de plus à ajouter. Il avait raison ; en raisonnant de la sorte, je ne pouvais pas être un Pokémon Obscur.

- Ce que vous avez, je n'en sais rien ; vous devez être facilement irritable sous cette forme, c'est tout. Ou peut-être, si vous aimez les théories farfelues, que Cipher a fait sur vous les mêmes expériences qu'elle a fait sur Kyurem, pour le faire devenir Kyurem Altéré - une sorte d'Aéroptéryx Altéré, peut-être. Kyurem étant revenu à sa forme normale sans qu'il n'y ait eu quelconque Purification, vous avez peut-être la même chose dans le sang. De toute façon, essayez de vous concentrer sur demain. Vous devez retrouver votre corps le plus vite possible.

Il vit qu'il me laissait perplexe, et il ajouta, avec un sourire :

- Allez, Chris. Évitez de vous surmener. Essayez de vous reposer jusqu'à demain, car vous n'êtes pas en état de bouger. Vous devriez avoir de nouveau le contrôle de ce corps à l'aube, le temps que l'anesthésiant se dissipe ; alors vous partirez avec vos coéquipiers pour mettre un terme à cette histoire.

Ah, bon. J'étais seulement anesthésié. Cela voulait-il sous-entendre que j'avais été opéré... ? Il posa sa main sur mon épaule :

- Il est grand temps que tout cela se termine, et que vous rentriez chez vous, n'est-ce pas ? Vous avez votre vie à mener. Bon courage pour votre doctorat. J'ai hâte de vous compter parmi les plus éminents Professeurs qu'il soit ; vous en ferez un très bon, j'en suis certain.

Peter se leva (il s'était accroupi à ma gauche jusque là), et, lorsque Gardevoir voulut le ramener, il insista pour qu'elle reste. Notre boss sortit par la porte, et repartit, comme quelques minutes plus tôt.


Je ne voulais pas rester dans cette chambre nulle, froide, vide, et glauque. Je voulais partir, et faire comme si je pouvais encore marcher. Alors Gardevoir fut tout à fait gentille, et alla demander à ce qu'on me mette sur un de leurs petits brancards qui lévitaient. On voulut bien. "De toute façon, il n'avait plus à être nourri par intraveineuse." Alors mon Pokémon me fit sortir, poussa mon lit magnétique, et ouvrit toutes les portes pour nous laisser passer, elle et moi. On traversa un couloir, puis nous arrivâmes dans le hall du Centre Pokémon ; mon Pokémon Étreinte salua l'Infirmière, qui avait été prévenue de ma sortie, et c'est ce que nous fîmes.

Elle me mena dans Suerebe. Je me retrouvai à nouveau en ville, cette fois-ci le regard vers ses obscurs plafonds. En fin de compte, cette ville n'était pas si éclairée ; l'ambiance de souterrain ne trompait pas. Ce devait être perturbant, le matin, ou à midi. Puis je voulus changer totalement de sujet et revenir à mon amie Gardevoir : je lui demandai enfin comment elle était arrivée. Elle me rappela gentiment qu'il y avait un téléporteur entre les deux QG, et qu'elle l'avait tout simplement empruntée dès qu'elle avait su que j'étais à Rhodes.

- Je suis tellement contente de te revoir ! se réjouit-elle. Et puis, Chris en Aéroptéryx, je ne pouvais pas louper ça !

Je ris avec elle, et je plaisantai sur les moments où nous avions tenté vainement d'apprendre à voler à Vostourno, à l'époque ; je savais ce qu'elle ressentait, maintenant, héhé !

- Ah oui, je me souviens ! Hihi, c'est vraiment inoubliable, cette manière de se dandiner ! lança-t-elle en mettant sa main devant sa bouche.

Nous parlâmes encore de notre voyage à Hoenn. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions du gymnase, sur le chemin duquel j'étais lorsque j'avais perdu connaissance, je me rendis alors brusquement compte que la région dont nous parlions n'existait plus. Jusqu'ici, bien sûr, son annihilation m'avait fait un choc ; mais, et j'ai de la peine à le dire, il se passait tellement d'autres choses que je n'avais pas vraiment réalisé. Je crois que j'en avais parlé en imitant ceux que j'entendais sur le sujet, mais sans vraiment être moi-même dans l'esprit qu'une région entière avait été rayée de la carte. Même à cet instant, là, avec Gardevoir, dans Suerebe, alors qu'un Ranger nous croisa en nous saluant rapidement avec son Dynavolt, je n'arrivai pas à concevoir que la région d'où les ancêtres de ce petit Pokémon provenaient n'existait tout simplement plus. Il suffisait que quelques membres d'une espèce inconnue n'ait pas quitté son état naturel à temps pour que celle-ci devienne une espèce disparue, en une fraction de seconde. Et tous ces souvenirs que nous évoquions... N'étaient plus que des souvenirs. Bourg-en-Vol, Vergazon, Mérouville, Poivressel, Pacifiville, Vermilava... Le Mont Chimnée, la jungle aux alentours de Cimetronelle, le désert non loin de la grande Lavandia... Même la Zone de Combat, où nous avions failli nous rendre, il y a encore quelques mois... Tout ça, disparu...


Nous pénétrâmes finalement dans le gymnase. Il se présentait comme une salle de sport, et ce, dès l'entrée ; un comptoir à peine et déjà les tapis roulants et autres appareils de musculation s'offraient à la vue des rues de Suerebe. Gardevoir, qui avait eu le temps de connaître les QG des MOCLASM grâce Latios, m'amena donc au sous-sol par un ascenseur. Une fois les portes de celui-ci ouvertes, elle me poussa jusqu'à ce qu'on arrive sur un large gymnase aux terrains verts et oranges, arrangés pour qu'ils conviennent aussi bien à des matchs Pokémon ou à des matchs sportifs. Là, nous trouvâmes un Bastiodon, un Dracaufeu et un Drakkarmin qui livraient un match Triple, un style venu de la région d'Unys, contre un Leuphorie, un Galeking et un Hariyama. Le match était surveillé par un arbitre, l'équipe adverse, à disposition, se gérait toute seule suivant les manœuvres qui avaient été décidées, et mes compagnons attaquaient sous les conseils de Goyah, qui, avec un air attentif d'entraîneur, me parut tout à fait impliqué dans cet exercice.

A peine étions-nous entrés sur le terrain que le Maître de la Ligue d'Unys et ses tatanes ordonnèrent un temps mort ; les Pokémon s'arrêtèrent, et nos amis vinrent de suite à notre rencontre. Ils se réjouirent tous de voir que j'étais réveillé ; Bastiodon me rassura sur la santé de Shaymin, m'indiquant qu'elle était déjà partie se coucher, et que sa vie n'était heureusement pas mise en danger. Cependant :

- Sa santé a été gravement touché, ainsi que son métabolisme. Les médecins ne savent pas si elle sera en état pour demain. Tout ce qu'ils lui ont préconisé pour le moment, c'est beaucoup de repos ; ils s'occupent de trouver un moyen de refaire pousser les herbes qui ont été arrachées. D'ailleurs, le p'tiot Hugwald s'est proposé pour échanger de place avec moi pour lui tenir compagnie. Mais elle m'a dit de te dire que c'était totalement pitoyable si tu venais la voir à son chevet pour la rassurer de quoi que ce soit ou lui témoigner ton affection, et donc qu'elle ne te le pardonnerait jamais si tu le faisais ! rit-il. Enfin, je ne sais pas si elle sait que, maintenant, toi aussi, tu es alité. Mais pas pour longtemps, hien ? Allez, mon gars !

Drak, quant à lui, nous apprit que Latios et Latias étaient aussi passés les voir au gymnase ; d'ailleurs, Latias avait demandé à Zekrom de la rejoindre pour ce soir, vu que c'était "leur dernier soir avant notre mission finale de demain". Noir Idéal, qui avait à ce que je compris commencé l'entraînement ici, l'avait donc rejoint, et me souhaitait le plus prompt rétablissement. Goyah, lui, restait en arrière, les bras croisés, heureux de voir que je retrouvai le sourire.

- Et, pour ma part, s'enjoua Fire, je m'entraîne à la Griffe Ombre, héhé !

- Ah ? Une nouvelle attaque pour toi ? demandai-je.

- Yep !

Il se gratta la tête, gêné :

- En fait, ils m'ont mis face à un Pyroli tout à l'heure, et j'ai techniquement rien pu faire, vu que, ben, à part Lance-Flammes, j'ai jamais vraiment pensé à me diversifier. Du coup, pour pas me faire avoir par ceux qui aurait Torche, on apprend sur le tas, héhé !

Le Dracaufeu gonfla aussitôt le torse :

- Mais bon, c'est plutôt facile, en fin de compte ! Faut croire que j'apprends vite !

Ils se taquinèrent tous les trois ensuite sur leurs capacités de combat ; en tout cas, ils me garantirent d'être les plus aptes au combat demain. Gardevoir me conseilla de se diriger justement vers ma chambre pour que je puisse me reposer et être le plus frais possible demain matin. On se salua tous, et je laissai donc mes chers coéquipiers à leur entraînement.

Nous nous retrouvâmes dans la rue, encore. Hm, en les ayant vus tous les trois (Drakkarmin, Bastiodon et Dracaufeu), j'essayai de me rappeler de ce dont ils étaient capables. En fait, Dracaufeu, bien que je l'avais longuement côtoyé, était le seul dont je ne connaissais pas autre chose que le Lance-Flammes... Les exploits de Bastiodon et de Drakkarmin, je les avais vus pleinement lors de la Ligue Pokémon Mondiale : l'un, avec beaucoup d'expérience, avait Tête de Fer, Fulmifer, Éboulement, Malédiction, et le combo Repos/Blabla Dodo, et je pouvais compter sur sa Fermeté ; l'autre, avec son lot de puissance, je le supposai avec Sans Limite, et il maîtrisait Crocs Feu, Colère, Mâchouille, Surpuissance et Intimidation.

- Hum, non. C'est "Regard Médusant".

Hein ? Quoi ? Lugia ?

- Qui veux-tu que ce soit d'autre qui s'incruste de la sorte dans tes pensées, voyons ?

Bien sûr ! Ah, j'ai l'impression que ça fait longtemps !

- De même, mon gars ! Alors ? Comment ça va ?

Bof, je me remets, tranquillement. Et toi ?

- Bien, bien. Je me prépare pour demain, en quelque sorte !

Parfait ! Tu seras des nôtres, n'est-ce pas ?

- Évidemment ! Que feriez-vous sans le plus puissant Pokémon du monde !

Ah oui ? Voyez-vous ça ! Et depuis quand ?

- Depuis que tu n'as pas vu ce dont je suis capable en combat ! Et n'oublie pas que t'as à faire à THE Voix de la Raison !

Oui, c'est vrai, j'ai tendance à l'oublier ! :D

- Clair ! :D

...

- ...

On va s'arrêter là, parce que ça devient bizarre, une convo- heu, une conversation aussi instantanée. Bon, ben, bonne nuit, alors !

- Oui, merci beaucoup ! Bonne nuit à toi aussi ! A demain !

Gardevoir rit alors toute seule ; je supposai qu'avec ses dons de télépathie, elle aussi, avait assisté à la conversation. Hm, avec le duo de Poékmon Eon, ça faisait vraiment beaucoup de lecteurs de pensées, tout ça. M'enfin, personnellement, je n'avais rien à cacher, n'est-ce pas ?


Nous montâmes à l'hôtel, en passant par la navette de la ville. Le bâtiment était sur un des plus hauts niveaux, ce qui offrait à ses occupants une vue notable sur Suerebe. Ma chère partenaire m'amena rapidement à bon port, un hôtel dans la même veine que le reste de la ville : l'extérieur gardait la patte d'une architecture rebelle, bétonnée, lisse et anguleuse, avec l'enseigne cheap qui clignotait, et l'intérieur totalement rénové, dans des teintes de velours sans poussières, de meubles noirs cirés, et même, soyons heureux, de fausses plantes vertes. Un autre ascenseur, celui-ci dans une décoration "d'époque", nous mena au troisième étage.
Gardevoir m'expliqua qu'il s'y trouvait les chambres de tout le monde, c'est-à-dire de Drak, Bastiodon, Fire, Hugwald (qui se partageraient tous les quatre deux chambres aménagées spécialement pour eux), Goyah, et mes parents, les autres Pokémon étant de leur côté du QG. Pourquoi pas ces quatre-là, je n'en savais rien ; peut-être pour ne pas les séparer de QG par rapport à Shaymin. Bref ; elle m'emmena jusqu'à ma chambre, l'ouvrit sans avoir besoin de quoi que ce soit, et glissa mon brancard flottant jusqu'à mon appartement. Ce n'était qu'une chambre standard pour humain, avec un lit double, une salle de bains, et un placard encastré. Malgré tout, le niveau de technologie était là aussi important, que ce soit dans les portes automatiques, ou dans l'allumage et le chauffage régulables depuis un tableau dans l'entrée. Finalement, Gardevoir me fit léviter de mon brancard à mon lit, qui était bien plus confortable. Elle me fit rire, puisque cela faisait une éternité qu'elle m'avait fait léviter.

Je lui demandai d'éteindre les lumières et d'ouvrir les volets, ce qu'elle fit avec joie. Elle trouva également l'idée bonne de se laisser éclairer par les lumières colorées de la ville, qui étaient telles qu'on pouvait tout à fait se débrouiller dans la chambre sans avoir recours à la moindre ampoule. Moi allongé, elle me proposa d'aller me chercher quelque chose à boire ou à manger, vu que j'avais fait un détour par l'hosto entre cet instant et le dîner, j'acceptai avec plaisir, et elle partit avec le sourire. Je revis son collier de perles quand elle ferma la porte. Je me retrouvai seul. Je déposai le pistolet sur ma table de nuit ; objet que je n'avais pas caché durant notre sortie, et qui, dans une ville-QG d'agents secrets et de gens au courant des problèmes du monde, ne gênait vraiment personne. Je ne savais même pas si Drak, Fire et Bastiodon l'avait remarqué.

Je me rallongeai, puis je pensais à ma Gardevoir, puis à Latios. Je ne sais pas si je l'ai déjà dit, mais je hais utiliser les pronoms possessifs quand il s'agit de Pokémon. J'ai l'impression de nier leur liberté, et de les obliger par les mots à m'accompagner coûte que coûte, en en faisant une possession, justement. Alors qu'ils ont simplement confiance en moi, et qu'ils se plaisent en ma compagnie. Puisqu'un Pokémon peut choisir de sortir tout seul de sa Poké Ball, de s'enfuir hors de portée du rayon de retour, ou même de briser la balle qui le lie à son porteur. Je ne savais ce que je devais penser de Gardevoir. Dans les faits, elle m'avait demandé de garder sa Super Ball, qui devait être restée dans ma poche de pantalon, avec le reste de mon corps ; elle était donc toujours mon Pokémon. Mais elle vivait sa vie, maintenant ; avec un Pokémon qu'elle aimait, et qui l'aimait en retour. Il lui faisait même des colliers ; j'en souris. J'espérai sincèrement qu'elle l'aimait. Lorsqu'elle m'avait parlé en rêve, la nuit où j'avais rencontré N et revu Genesect, son envie de me revoir m'avait touché ; et m'avait sur le coup fait douter aussi. Tout ce que je voulais, pour elle et tous mes Pokémon, était leur bonheur.

Gardevoir revint rapidement. Elle m'apporta sur un plateau de la nourriture Pokémon et une gamelle remplie d'eau. Elle s'excusa, car c'est ce que lui avait donné la réception, qui semblait débordée, et elle n'avait pas voulu les déranger. Je ne lui en voulus pas, bien au contraire ; c'était déjà très gentil de s'occuper de moi comme elle le faisait.

- Oh, j'en profite ! Ça fait tellement longtemps que je ne t'avais pas vu ! sourit-elle.

Elle me laissa manger, boire, sans autre chose que son regard attentionné et son doux visage dissimulé sous ses cheveux verts. Et, quand j'eus fini de gober tout ce qu'il me semblait assez, elle alla ramener le plateau comme elle était venu le chercher. Je regardai par la fenêtre lors de son départ. C'était drôle, de ne voir aucune étoile, aucune lune ; simplement les lueurs d'hologrammes bleutés, ou celles des néons lointains. J'aurais cru que ça m'oppresserait, de se sentir enfermé, mais d'un côté, la ville était si grande, et puis, je me sentais davantage à l'abri, grâce à l'idée de se savoir enterré, à l'abri de tous les tumultes de la surface.

Je respirai. Calmement. Je mis la patte sur mon coeur ; il battait toujours aussi confusément, comme s'il ne savait plus quoi faire, et qu'il essayait tout et n'importe quoi, en dernier recours. Dernier recours... Demain allait être le dernier jour. Celui où tout allait se jouer. Et, pour une fois, nous étions prêt. Ce serons nous qui provoquerons la bataille. Ce serons nous qui attaquerons les premiers, et qui irons à la confrontation directe avec Cipher. Prêts à tout donner pour sauver le monde. Je ne soupirai pas ; je souris. Je m'amusai tout seul à penser ces choses. Qu'est-ce que ce Dunmeist avait pu prévoir pour nous... ? Une victoire éclatante, à n'en point douter ! Jamais il ne laisserait le monde sombrer ; il doit travailler de paire avec Arceus. Hm, cela dit, il avait déjà prévu que Hoenn soit détruite. Ou était-ce une erreur de plan, quelque chose qu'il n'avait pas vu venir ? Pouvait-il y avoir des moments où il ne décidait pas totalement du cours des évènements ? Moi qui était certain, lors des décisions les plus brutales, de jouir d'une liberté totale ; avait-il écrit jusque dans ces moindres détails ? Avait-il écrit le fait-même que je me pose ces questions, à cet endroit là, en ce moment, en pensant à lui ?


Gardevoir revint.

- Voilà, c'est fait !

Puis elle s'assit à nouveau sur mon lit, sur le bord, face à la fenêtre. Elle regarda Suerebe et son agitation nocturne. Son collier brillait, avec une pureté singulière.

- Tout se passe bien avec Latios ? demandai-je.

- Hm ? Oh ! Oui, ça se passe vraiment bien, en temps normal. Il est adorable ! me jura-t-elle. Bien sûr, en ce moment, il est très pris...

Elle s'arrêta un instant, avant de reprendre :

- Excuse-moi pour la dernière fois. Je crois qu'avec la fatigue, j'ai fini par craquer...

- Ne t'en fais pas, la rassurai-je. Tu sais très bien que je suis heureux, si toi, tu l'es.

Gardevoir me sourit à nouveau :

- Oui ! Et c'est pour ça que tu es le meilleur Dresseur que je connaisse !

- Roh, oui, bon, je fais surtout ce qu'il me semble juste, hein ! lançai-je, embarrassé par le compliment.

Elle resta silencieuse un autre instant. Je lui demandai si tout allait bien. Elle ne me répondit pas tout de suite, me laissant alors présager qu'il y avait quelque chose qu'il fallait qu'elle me dise. Le Pokémon Étreinte osa enfin :

- C'est que, demain, il ne faudra pas prendre l'hélicoptère comme c'est prévu.

Je fus surpris qu'elle aborde ce sujet :

- Hein ? Pourquoi ?

- Parce que... Le QG de Cipher n'est pas au sud de Rhodes. Il est sur l'Île Gentille.




[...]




- Mais comment est-ce que tu...

- Écoute, Chris. Si je fais ça, c'est pour sauver Lilas, Bisou, Noctali, Charkos et Vaututrice. Les données qu'Eudes a fournit à Peter sont erronées. Si vous vous rendez là-bas, vous tomberez dans un piège.

...Hm hm. Je vois. Tout ça m'a l'air très original.

- Peut-être, me répondit-elle par télépathie, mais Peter est persuadé que ce sont les bonnes coordonnées. Il faut que tu lui en parles, demain, avant de partir.

- Mais... Comment tu sais cela ?

- Grâce à Noctunoir. Il a réussi à s'échapper, avec Crocrodil et Lançargot, tu te souviens ? Il a pu rejoindre notre QG, et nous donner les informations correctes.

Je l'interrompis :

- D'accord, d'accord ; mais pourquoi ne pas en parler à Peter ? Si même le QG des MOCLASM Pokémon est au courant ?

- ...C'est une directive d'Arceus. Il nous dit qu'il ne faut pas que Peter soit au courant. Et il dit que tu sauras pourquoi.

Oh. D'accord. Je crois soudain savoir. Danger de mort.

- Écoute, je ne veux pas qu'il arrive de mal à qui que ce soit, hm ? s'inquiéta-t-elle. Je veux vraiment que tout se passe pour le mieux, demain, pour vous tous.

- Ne t'inquiète pas, vraiment, lui souris-je. J'ai appris à avoir confiance en l'avenir. Avec tous ces signes, ça ne peut que bien se terminer !

Gardevoir retrouva le sourire. Elle se remit à regarder le ciel. On frappa alors à la porte. Nous sursautâmes tous les deux ; j'eus soudain très peur. Elle frémit elle aussi. Prudemment, elle se leva, lévita lentement jusqu'à la porte, et s'approcha du panneau:

- Qui est-ce ?

Nous entendîmes alors la voix rassurante du Dracaufeu :

- C'est Fire ! Ouvrez !

La tension retomba. Ma chère partenaire ouvrit au meneur des W.T.F., qui déboula dans l'appartement :

- Ah ! Ouf, c'est ici ! Re-bonjour ! Où est... Ah ! Chris !

Le Pokémon Flamme s'approcha en frappant le sol de ses pattes puissantes, avant que je ne m'aperçoive, lorsqu'il m'apparut tout entier, qu'il porte son Coffre au Trésor. Ouvert.

- Oh ! Tu as réussi à l'ouvrir ?

Tout heureux, il m'expliqua :

- Yep ! J'ai pu passer dans le QG des Pokémon, et j'ai pu trouver un Xatu spécialiste des Coffres qui m'a gentiment aidé ! Et il m'a dit que quelqu'un de Sinnoh saurait bien ce que c'est, alors, je viens te le montrer !

Il pencha soigneusement son coffre pour que je puisse voir à l'intérieur, et je m'aperçus qu'il était rempli de terre. Au beau milieu, une petite tige poussait, ornée de deux feuilles, et portait à son sommet un bouton clos. Au début, je ne reconnus rien de ce que j'étais censé connaître, et qui puisse avoir quelque rapport avec ma région natale ; cependant, après inspection des feuilles, cela m'apparut clair comme de l'eau de roche :

- Par Arceus ! On dirait bien une Gracidée !

Gardevoir s'approcha elle aussi, et Fire s'exclama, tenant toujours le coffre ouvert entre ses griffes :

- Wahou ! Une Graci-quoi ? Ça à l'air cool !

- Hé bien, disons que c'est rare d'en trouver, elles ne poussent pas n'importe où ! m'exclamai-je. Ça alors ! Quelle veine ! J'espère que ça pourra venir en aide à Shaymin !

Toutefois, ma partenaire nous interrompit :

- Hm, attendez une minute, les gars. Regarde, Chris : le bouton n'est pas rose.

- Ah ? Comment ça ?

- Approchez-vous de la fenêtre, pour voir.

Nous nous approchâmes, avec le coffre. Oh, effectivement, le bouton n'était pas rose, mais d'un bleu profond. Je ne l'avais pas distingué dans l'obscurité.

- Tiens, c'est étrange. Je ne connais pas de Gracidée bleue, commentai-je, le museau interloqué.

- C'est ptêt pas une Gracidée ? présuma le Dracaufeu.

Je réfléchis un moment. Non, je ne voyais pas du tout ce que cela pourrait être.

- Hm, j'en sais rien, du coup, conclus-je. Je ne peux pas t'aider là-dessus. Seule la couleur me gêne ; si elle était éclose, je suis quasiment sûr qu'elle ressemblerait en tout point à une Gracidée... Mais cette fleur est bleue, donc je ne sais pas. Apporte-la à Shaymin, au pire ! Elle pourra toujours nous dire ce que c'est demain.

Le Dracaufeu reprit son coffre, et referma le couvercle délicatement.

- Okay, alors ! Je lui apporte ça, nous assura-t-il en repartant vers la porte. Bon, ben, merci quand même ! Et bonne nuit ! Moi, je vais rejoindre Lovis pour un petit duel à pattes nues, histoire de, héhé. Ne tardez pas, hein ; demain, vous savez ce qu'il se passe !

- Oui, ne t'inquiète pas ! promis-je, alors que Gardevoir refermait la porte.

Mais le Dracaufeu rajouta un truc :

- Oh, et, maintenant que j'y pense ! J'ai donné le Pokédex aux Laboratoires du QG, et ils nous l'ont mis à jour ! Apparemment, il ne connaissait pas je ne sais pas quoi au niveau des types, ou des attaques, ou des capacités spéciales, je ne sais plus...

- On dit "Talent" ! le corrigea Gardevoir, avec un éclat de rire, à notre grande surprise.

- Ah ? Bon, bref ; voilà ! A demain pour le défonçage de connards !

Et il repartit. Ma partenaire allait donc verrouiller la porte, mais eut une pensée soudaine :

- Ah ! Mais j'y pense ! C'est vrai qu'il va se faire tard ! Il ne faut un bon nombre d'heure de sommeil pour pas qu'on soit crevé, demain, vu qu'on se lève aux aurores.

Je plaisantai :

- Ha, ça me rappelle les conseils que je rabâchai les veilles de matchs d'arène !

- Hihi, t'as raison ! sourit-elle. Du coup, je vais aller aussi retrouver Latios. Bonne nuit !

- Oui, d'accord ! Merci, bonne nuit à toi aussi !

Elle allait ainsi me quitter, quand, avant qu'elle ne referme cette porte, j'eus un pincement au coeur.

- Gardevoir !

Elle s'arrêta; elle rouvrit le battant :

- Oui ?

- ...Merci encore pour ce soir. Je suis heureux de te revoir.

- Oh, c'est normal, ça, voyons ! Pas la peine de me remercier pour ça ! sourit-elle.

Je souris aussi.

- D'accord. Tu viendras avec nous, demain ?

Cette irremplaçable partenaire montra soudain son esprit combatif, serrant du poing :

- Haha, bien sûr que je viens ! Si tu crois que je vais rester là à vous attendre sagement comme une faible femelle, tu te mets le doigt dans l’œil ! Je vais leur balancer des trucs psychiques, ils vont pas comprendre !

Je ris :

- Ah, très bien ! Hâte d'y être, alors !

Puis, après un dernier sourire, elle baissa la tête, et referma la porte.


Je me retrouvai seul. Hm. Je pense qu'elle n'avait pas oublié ma santé fragile, et la possibilité que je ne me réveille pas demain. Mais j'espérai que ma nouvelle confiance en l'avenir eusse un peu déteint sur elle ; et, de toute façon, cela ne servait à rien de se faire du souci ! Cela se passera, et nous n'y étions pour l'instant pas. L'instant, c'était pour elle de profiter d'être avec le Pokémon qu'elle aimait, qui la choyait, et qu'elle puisse profiter de sa présence sans se faire du souci pour moi, pour les autres. J'espérai qu'elle le savait. Pareil pour Zek' et Latias, mes parents, et les autres. J'espérai qu'ils ne s'en faisaient pas. Je n'aurais pas aimé qu'ils soient tous, là, à mes côtés, pour me soutenir "durant cette dure épreuve", gnagnagna. Non, qu'ils s'occupent, si ce n'est dorment sagement. Demain le vaudra bien. Et, sur ce, je me décidai aussi à dormir.
Hm.
Il fallait croire que décider ne suffisait pas. J'avais crains que l'excitation, ou une brusque appréhension ne se réveille et m'empêche de basculer dans le sommeil ; mais ce n'était pas cela. A vrai dire, j'étais seul, pour la première fois depuis longtemps. Je pensais alors à Goyah. Et à Lugia. Ils devaient dormir seuls, eux aussi. Je me souvins, que, l'un comme l'autre, ils m'avaient parlé d'un amour, qu'ils avaient connu. Un amour... Hm... Je reverrai Julie, moi. Quant à savoir ce qu'il se passerait entre nous... Et ce que je ressentais... Vivement que ce fameux dernier jour se lève.

...

En attendant, je n'arrivais vraiment pas à dormir. Quelque chose me tracassait. Mais quoi... ?