Entre infini et au-delà de Cyrlight

Right here waiting for you - Richard Marx


A l'aube, toute la maisonnée s'éveilla en douceur. Une délicieuse odeur s'échappait de la cuisine lorsque Cassy sortit de sa chambre en chemise de nuit. Yohanna préparait des pancakes, vêtue d'un pyjama trop grand pour elle.

- Ah, te voilà. J'espère que cela sera comestible, je n'ai presque aucune expérience culinaire, et j'ai souvent laissé brûler les plats à Ebénelle.

Elle déposa une pile de crêpes épaisses dans son assiette, qu'elle aspergea de sirop d'érable avant que la dresseuse n'ait eu le temps de prononcer le moindre mot. Tina ne tarda pas à les rejoindre en frottant ses yeux encore gonflés par le sommeil.

- Nous étions vraiment obligées de nous lever à six heures du matin ? murmura-t-elle d'une voix endormie.
- Nous avons suffisamment perdu de temps comme cela. D'ailleurs, j'ai une mission de la plus haute importance pour toi. Quand tu seras prête, je veux que tu ailles rejoindre Chloé et que vous partiez ensemble chez le tailleur pour récupérer ma commande.
- Pourquoi moi ?
- Parce que je vais avoir besoin de faire mes bagages, tout comme Marion et Esméralda. C'est à deux pas d'ici, tu n'en auras même pas pour un quart d'heure.

A contrecoeur, la fillette acquiesça, avant de tartiner ses pancakes d'une épaisse couche de crème au chocolat. L'estomac noué, Cassy ne parvint pas à avaler la moitié de son petit-déjeuner. Finalement, elle le repoussa, puis se leva de table, sous le regard de la religieuse qui agitait sa poêle.

Elle était très fatiguée, or elle ne devait pas se laisser abattre, car une mission difficile l'attendait encore. Qui savait combien de temps elle mettrait pour localiser un glyphe avec précision, ceci dans une ville probablement encore hantée dans l'ombre par la Team Galaxie.

Dans un sac de voyage, elle glissa quelques affaires à elle, cependant elle n'en possédait pas beaucoup qui ne soit pas immédiatement identifiables. Par mesure de précaution, elle glissa sa tenue de dracologue tout au fond, en sachant qu'elle ne pourrait pas la porter au risque d'être démasquée. Elle le déplorait car elle avait l'habitude de combattre avec.

A l'aide d'une vieille ceinture, elle fabriqua une sorte d'étui fin qu'elle attacha autour de son ventre, de façon à toujours avoir avec elle ses gants de combats. Elle les glissa à l'intérieur, puis vérifia sous son pull que la bosse était invisible.

Tina vint frapper un petit coup à sa porte une vingtaine de minutes plus tard afin de lui indiquer qu'elle était prête à partie. Elle lui remit une liasse de billets nécessaire à la rémunération de sa commande, puis l'adolescente partit sans poser la moindre question supplémentaire.

Cassy se précipita aussitôt dans le salon pour accoler le nez à la fenêtre. Lorsqu'elle fut certaine que sa consoeur ait atteint la rue en contrebas, elle se rendit à l'intérieur de sa chambre sur la pointe des pieds. Elle n'avait pas fermé la porte en partant, heureusement. Cela lui évitait de devoir crocheter la serrure à la manière enseignée par Sven.

Elle grinça sur ses gonds et, l'espace d'un instant, elle craignit que cela n'ait alerté Yohanna, néanmoins celle-ci ne se montra pas. La pièce était très mal rangée. Des vêtements gisaient sur le sol, des accessoires sur les meubles... Apparemment, ni elle ni Léa n'étaient des professionnelles du rangement.

Elle progressa jusqu'à l'armoire en s'efforçant de ne rien déplacer et en ouvrit la porte en bois massif. A quatre pattes sur le sol, elle en tâtonna le plancher jusqu'à sentir sous ses doigts, invisible dans la pénombre du meuble, une cassette en métal. Ses doigts heurtèrent le cadenas, preuve qu'il s'agissait bien de l'objet qu'elle recherchait.

Elle dissimula le coffret sous son pull, aux côtés de ses gants, et sortit. Un toussotement la fit sursauter lorsqu'elle crut de tourner la poignée pour refermer la porte. Le coeur battant la chamade, elle se retourna. La religieuse était adossée au canapé, les coudes en appui contre le dossier.

- Oh ! Euh... Je... bafouilla-t-elle, prise de court d'être ainsi surprise.
- Oui ?
- J'avais... Je... Ahem...
- Pourquoi veux-tu te justifier ? s'enquit Yohanna d'une voix douce. Tu es libre de faire ce que tu désires. Si tu n'en as pas envie, je ne te poserai pas de questions.
- Vraiment ?

La dresseuse lui lança un regard soupçonneux auquel elle répondit par un hochement de tête avec le plus grand sérieux. Elle s'avança dans sa direction et posa délicatement une main sur son bras :

- Prends soin de toi, lorsque tu seras à Voilaroc. Tu vas me manquer.
- Je reviendrai vite, c'est promis.

Cassy ne savait pas exactement pourquoi elle avait dit cela, mais les mots s'étaient échappés de ses lèvres avant qu'elle n'ait eu le temps d'y réfléchir. Elle prit doucement les doigts de Yohanna dans les siens afin de se dégager de leur étreinte légère, mais elle les conserva quelques secondes au contact de sa peau.

- Vous devrez être fortes, en notre absence. Seule Chloé est une combattante aguerrie, car Tina peut se montrer... immature et téméraire, même lorsque la situation exige le contraire.
- Et moi, je manque encore cruellement d'expérience.
- Il vous restera toujours les Gijinkas. Je sais qu'ils veilleront sur vous.
- Et toi ? Qui veillera sur toi ?
- Cela fait bien longtemps que je m'efforce de survivre seule, déclara-t-elle simplement avant de rejoindre sa chambre sans lui laisser le temps d'ajouter autre chose.

Elle tira le verrou avec soin dans son sillage, puis attrapa la cassette dont le contact froid sur son ventre la faisait frissonner. Elle la posa sur son oreiller et, d'une main rendue tremblante par la minutie du cadenas, entreprit d'afficher le code à quatre chiffres. Elle essaya d'abord l'année de naissance de Léa, puis le jour et le mois, qui s'avérèrent être la bonne combinaison.

Elle fut surprise de constater qu'il n'y avait non pas une, mais deux fioles à l'intérieur. La plus grande était soigneusement scellée à l'aide de cire écarlate et emballée dans un papier antichoc transparent. A la vue de tant de précautions, elle en conclut qu'il s'agissait du poison de Circé.

L'autre, en revanche, n'était pas plus grande qu'un pouce. Un bouchon de liège empêchait le liquide translucide de s'échapper. Intriguée, elle enfila ses gants de combat afin de ne pas le manipuler sans sécurité, puis l'approcha de la fenêtre. Rien dans sa texture un peu jaunâtre ne permettait de l'identifier. Comme elle craignait que ce ne soit du souffre, elle le remit à sa place, le protégea des chocs, et se promit de l'étudier à Voilaroc dès qu'elle aurait un instant de libre.

Elle glissa également la lettre de la fillette dans son coffret, en songeant qu'elle était peut-être passée à côté d'une information. Elle la relirait avec attention avant de la détruire au cas où l'identité de cette mystérieuse potion lui soit indiquée.

Elle se rendit ensuite dans le bureau de Cynthia où elle photocopia à l'aide de son imprimante multifonctions la liste des recettes fournie par la porteuse du glyphe plante afin d'en donner une copie à Yohanna. Même en restant à la Ligue, les filles pourraient avoir tout autant besoin de soins que celles qui partaient.

- Comment l'as-tu obtenue ? demanda-t-elle en la rangeant dans l'un des tiroirs du salon où elle serait sûre de la retrouver.
- Léa a laissé un message dans ses affaires pour moi et Tina me l'a remis. Elle pensait que nous pourrions en avoir besoin en son absence. Nous allons devoir redoubler de prudence sans ses dons de guérisons.
- Ils vous ont déjà sauvé la vie, par le passé ?
- Sven m'a sectionnée l'aorte par accident, une fois, et cela nous a permis de...

Cassy s'interrompit en entendant des bruits de pas dans la cage d'escalier. Quelques secondes plus tard, la reste de la Confrérie faisait son apparition, de sorte qu'elles se retrouvèrent au complet dans le grand salon. Chloé remit à son amie deux grands sacs en plastique qui contenaient ses affaires fraîchement confectionnées.

- Bien, déclara-t-elle en sortant de là tout ce dont elle aurait besoin. Marion, vous serez une ornithologue qui travaille à la faculté de Safrania, venue à Sinnoh pour rédiger une thèse sur la migration. Esméralda, voici un costume de vendeuse. Vous pourrez vous promenez dans les rues avec une valise sans attirer l'attention : on pensera que vous faites du porte à porte. Evidemment, il faudra changer de déguisements souvent, mais je pense que cela suffira à duper la Team Galaxie le temps que nous retrouvions ce glyphe.
- Nous devrions établir un quadrillage afin de ne pas ratisser les mêmes endroits à tour de rôle, suggéra la Ranger.
- J'y ai déjà réfléchis. Yohanna, passe-moi l'atlas qui est dans le tiroir, s'il te plaît.

Comme elle savait que Cynthia tenait beaucoup à ses livres, elle ne s'était pas permise d'écrire dessus mais avait photocopié la carte de Voilaroc qu'elle avait laissé dedans jusqu'à présent.

- Je vais m'occuper du centre ville. Marion, vous ferez la périphérie et les environs, et Esméralda, tout ce qui n'est pas compris dans ces deux zones. En plus de cela, il faut également cibler les grands rassemblements. Je me chargerai des centres commerciaux, l'une de vous deux des spectacles et l'autre des casinos, discothèques, cinémas... Bref, ce genre de chose. Nous occuperons chacune une chambre à cet hôtel, où nous nous retrouverons obligatoirement à midi et à vingt heures tous les jours afin de faire le point. Si l'une de nous n'est pas au rendez-vous, cela signifiera qu'elle a des ennuis et nous nous lancerons immédiatement à sa recherche. Est-ce que cela vous convient ?

Ni la gitane ni la Ranger ne trouvèrent rien à redire sur un plan aussi minutieusement préparé. Elles se contentèrent d'acquiescer, car elles ne pouvaient espérer meilleure méthode de travail avec le peu de moyens dont elles disposaient et la sempiternelle menace de la Team Galaxie qui planait au-dessus de leur tête.

- Je doute qu'Arceus décide d'envoyer quelqu'un nous agresser à Voilaroc. C'est donc vous trois qui risquez d'être visées s'il parvient à vous localiser, annonça-t-elle d'une voix blanche à l'annonce de ses consoeurs qui demeuraient à l'Elite des Quatre.
- Nous ferons face, Cassy, déclara Chloé avec fermeté. Tu peux compter sur nous.

Après avoir rassemblé leurs affaires en tas sur le canapé, elles s'embrassèrent à tour de rôle afin de se dire au revoir, en souhaitant en silence que cela ne soit pas un adieu, et lorsque Yohanna vint serrer la dresseuse dans ses bras, elle lui murmura doucement à l'oreille :

- N'oublie pas ta promesse, tu dois revenir. Et moi, je t'attendrai.