Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Shamroc [OS] de Xabab



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 02/02/2014 à 10:34
» Dernière mise à jour le 22/06/2014 à 23:36

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
OneShot - Shamroc
OneShot – Shamroc


Le vieil homme se réveilla au beau milieu de la nuit, alerté par les bruits de pas venus du couloir. Dans le noir absolu, il tâta le mur au-dessus de sa tête et chercha du bout des doigts l'interrupteur afin d'aller vérifier. Faisant cela il tendit l'oreille et il lui fut confirmé que quelqu'un marchait en effet dans sa maison, d'un pas léger comme s'il ne voulait pas se faire remarquer.
Lourdement il se leva de son lit après avoir allumé sa lampe de chevet, ses vieux os ne lui permettant pas plus de vigueur. Il entra ses pieds dans ses chaussons et se dirigea vers la porte sous laquelle filtrait un trait de lumière.

Que pouvaient-ils faire debout à une heure pareille ? La question traversa sa tête au moment de sortir de sa chambre mais il n'eut guère plus le temps de se la poser.
« Je n'arrive pas à dormir. »
La fillette levait les yeux dans sa direction et plongeait ses larges pupilles d'un bleu enchanteur dans ceux de son grand-père. Ses petits cheveux blonds lui tombaient en pagaille tout autour de la figure, elle se frottait les paupières du dos de sa main pendant qu'une peluche pendait de la deuxième. Le vieil homme remarqua qu'elle était troublée de ne pas trouver le sommeil ; il ne fallait pas être un génie pour s'en rendre compte.

« Et ton frère ? demanda-t-il tandis qu'il se baissait pour la prendre dans ses bras.
– Aussi. Il m'a demandé de venir te chercher.
– Il te l'a demandé ? répéta le vieil homme en lui souriant. Alors comme ça vous êtes à son service, mademoiselle ?
– Pas du tout ! riposta la fillette en riant. On a tiré à la courte-paille et il a gagné. Tu sais, reprit-elle en murmurant à son oreille, je pense qu'il a triché.
– C'est odieux ! »

Cette réponse exagérée les fit rire en cœur et le vieil homme la serra un peu plus contre lui. Il se dirigea en même temps vers la chambre des deux enfants qui se trouvait à l'autre bout de la maison. Tout autour les murs craquaient face au vent qui soufflait ardemment cette nuit-là, sans doute l'une des raisons qui faisaient que les deux enfants étaient encore debout à une heure si tardive.
« Donc vous n'arrivez pas à dormir, reprit-il tandis que la petite avait posé sa tête contre son épaule, pourtant nous sommes au beau milieu de la nuit.
– Oui mais on a essayé ! Mais le sommeil ne veut pas...
– Quand le sommeil ne veut pas autant ne pas le brusquer en cherchant à le forcer. Il faut laisser ce dernier venir à nous, c'est tout. »
Cette leçon de morale n'était sans doute pas la plus belle qu'il eut à faire de sa vie mais il en fut plutôt fier sur le moment.

Légèrement il poussa la porte de leur chambre, préférant ne pas y mettre trop de rigueur au cas où le garçon se soit rendormit entre temps, même s'il n'y croyait pas vraiment. Et comme prévu ce dernier se tenait assit sur son lit et semblait attendre avec impatience le retour de sa sœur. La voyant accompagnée du vieil homme, celui-ci sauta de joie et courut vers la porte pour se serrer contre sa jambe.
« Merci d'être venu ! s'exclama-t-il.
– Je ne pouvais pas dire non à une si jolie petite fille.
– Tu aurais pu envers moi ? répondit l'enfant d'un air résigné.
– Bien sûr que oui. »

Suite à cette taquinerie le vieillard tenta de réprimer un fou rire. Le visage décomposé du petit qui ne semblait comprendre sa blague l'amusait au plus haut point. Il aurait par ailleurs apprécié que ce dernier ne se rende pas si rapidement compte du subterfuge. L'enfant laissa un sourire se dessiner sur son visage en voyant qu'il en était de même sur celui du grand-père.
Pendant ce temps sa petite sœur était descendue des bras du vieil homme et s'était assise sur le bord de son lit, le fixant comme si elle attendait quelque chose de sa part. Comprenant de quoi il était question l'intéressé se posa près d'elle et lui demanda ce qu'elle désirait.
« Une histoire papi, s'il te plaît. »

Son frère, qui semblait être de mèche dans l'élaboration de ce plan consistant à le faire raconter l'un de ses récits d'aventures sur les coups de minuit, cessa de bouder. Et, se précipitant sur le lit, il prit place de l'autre côté de son grand-père. « S'il te plaît, papi ! J'en veux une moi aussi ! »
Devant l'entrain des deux gamins ce dernier ne pouvait refuser. Inventer des histoires était l'une de ses plus grandes passions et il ne pouvait que difficilement résister à la tentation d'en raconter toujours plus. C'était pour lui un honneur lorsqu'on lui demandait de le faire. Alors pour ses deux petits-enfants il aurait sans problème écrit tout un roman, qu'importe l'heure. Il acceptait tout de ces deux anges.

« C'est d'accord, répondit-il avec un sourire qui les fit sauter de joie. Néanmoins, ajouta-t-il, je me dois d'ajouter une condition à tout cela.
– Laquelle ? demandèrent d'une même voix les deux enfants.
– Je veux que vous me disiez l'histoire que je vais vous raconter. »
Les deux petits, qui ne s'étaient jamais attendu à se voir imposer une telle restriction, se mirent à réfléchir à la réponse qu'ils pourraient donner à leur grand-père. Il ne fallait pas la choisir à la légère et risquer de laisser passer cette opportunité. Il était rare que le vieil homme les autorise à rester debout à une heure pareille lorsqu'ils venaient en vacance chez lui.
Après une concertation à l'écart, parce qu'il était hors de question que le vieil homme influe sur le déroulement du débat, les deux petits revinrent vers lui. Le sourire taquin au bord de leurs lèves en disait long au vieillard qui s'amusait d'avance de leur réponse.

« Nous voulons que tu nous raconte ta plus belle histoire, lancèrent-ils ensemble avant de se rasseoir à ses côtés. »
Cette décision fit grandement plaisir au vieil homme qui n'attendait que cela. Il les prit par les épaules d'un air chaleureux et les serra tous deux dans ses bras.
« Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela me fait chaud au cœur, leur lança-t-il durant cette étreinte. Cela fait des années que je vous garde cette histoire sous la main et je vais enfin vous la raconter avant que vous ne rentriez chez vous.
– On ne part que dans deux jours papi, répondit la fillette, tu as tout ton temps et...
– Tais-toi ! Tu voudrais qu'il se taise et garde son histoire pour demain ? »

Le vieil homme se mit à rire devant l'entrain des deux enfants et leur demanda de se calmer d'un signe de main.
« Ne vous en faites pas, je vais la commencer ce soir. Je pensais le faire demain mais au final il me faudra plus d'une soirée pour vous parler du Shamroc.
– Du Shamroc ? répétèrent en cœur les deux petits, question à laquelle il opina d'un signe de tête.
– Le Shamroc, en effet. Celui dont parlent les légendes et que l'on connaît aussi sous le titre de dragon de lierre ou de gardien de la forêt. C'est un légendaire, un pokemon des plus majestueux qui vivrait au fond des bois. Peu de monde a conscience de son existence et beaucoup ne voit en ce nom qu'une fable. Aux dernières nouvelles il n'est pas recensé dans le Pokedex.
– Une forêt comme celle dans laquelle tu habites ? demanda la fillette sans faire mention de ce qu'avait ensuite dit son grand-père.
– Pas comme celle dans laquelle j'habite ; celle-là même ! »
Les deux enfants répondirent à ces mots par une exclamation montrant toute leur admiration et leur curiosité. Ils se mirent dès lors à fixer intensément le visage du vieil homme avec des yeux semblant foisonner d'étoiles. Celui-ci en était ravi, il avait piqué leur imagination exactement où il le désirait.

« Maintenant faites silence, je vais vous parler d'une vieille histoire dont je suis le personnage principal. Je vais remonter dans le temps, dans un passé lointain. Tout cela risque de me prendre du temps, soyez patients. »


***


J'avais quinze ans au moment d'entamer mon voyage pokemon aux côtés d'un gentil Vipélierre qui est encore mon ami aujourd'hui. Vous le connaissez simplement sous le nom de Majaspic et il vient parfois me rendre visite. Il était mon pokemon au départ, mon plus grand allié sur les routes et le seul en lequel je pouvais avoir totalement confiance pour récupérer les badges des arènes.
Maintenant il est en liberté dans la forêt car nous en avons décidé ainsi il y a quelques années, sur un accord commun. Je préférais le voir heureux auprès de sa famille que l'obliger à rester à mes côtés. Puis c'était aussi son choix. Vous savez, je pense que l'Homme n'est que beaucoup trop possessif lorsqu'il s'agit de pokemon. Il était hors de question que j'en fasse autant.

Mais ce n'est pas notre préoccupation pour le moment. Où en étais-je ? Mon voyage pokemon, le début de mes aventures… C'est cela !
Sachez tout d'abord que je ne suis pas allé bien loin dans cette entreprise. Ne vous attendez pas à entendre parler des combats de votre grand-père contre les champions d'arènes ; je n'ai qu'un seul badge que je garde en souvenir. Si vous le désirez je vous le montrerai demain matin, il est rangé dans l'un des tiroirs du salon.

Devenir un grand dresseur n'était pas ma principale ambition. Je venais d'un tout petit village de quelques habitants et personne ne comptait vraiment sur ma gloire ou ma fortune. Les gens me savaient trop sensible pour atteindre de tels sommets ; trop fragile aussi peut-être. Quoi qu'il en soit je dois avouer qu'ils avaient raison.
En quittant ma maison je pensais surtout à découvrir le monde. Mes parents étaient pauvres et je n'avais jamais eu l'occasion de voyager bien loin. Le voyage pokemon était mon seul recours pour percer les secrets d'un univers que je ne traversais qu'au travers les pages de vieux livres. Il était temps pour moi d'en savoir plus et j'étais vraiment impatient.

J'ai traversé une gigantesque plaine en sortant de mon village. J'ai vu courir de superbes oiseaux dans les grandes herbes, fasciné par les couleurs de leurs plumes et la façon qu'ils avaient à se déplacer sans ne se soucier de rien. Je voyais des fleurs en éclosion sous mes pieds, des rongeurs retourner la terre que je venais de fouler et une myriade de graines tomber du ciel. C'était un rêve, comme si la nature s'épanouissait dans mon sillage.
Cette plaine était merveilleuse et j'y retournerai volontiers si elle existait encore. Mais depuis ce jour les hommes ont construit une grande autoroute qui la dévore de part en part. Les Dodrios qui s'y prélassaient dans le temps ont migré vers des endroits plus sereins, les fleurs sont mortes et je n'y verrai rien d'intéressant. La désolation ce n'est pas mon fort.

Mais je préfère ne pas m'attarder là-dessus, j'ai mal en y pensant.
Une fois cette plaine dépassée je suis arrivé dans une grande ville, la première que je voyais de ma vie et ce après des journées de marche. Ce fut quelque part dans cette cité l'unique badge de ma vie.
Je n'y suis pas resté très longtemps. Une fois passée la surprise de voir de si grands bâtiments cette ambiance m'a rapidement lassé. Les gens couraient dans tous les sens sans raison, jetaient des regards froids à leurs voisins et se moquaient des autres. La montre était la seule chose à attirer leurs regards et pourtant il s'en détournait aussitôt avec un rictus, découvrant une fois de plus qu'ils étaient en retard.

Mais j'y ai aussi rencontré votre grand-mère et rien que pour cette raison je ne pourrais blâmer l'existence de ces rues insalubres. Elle était aussi en train de mener son voyage et nous sommes tous de suite tombés amoureux.
Je l'ai vu pour la première fois durant mon match à l'arène. Je me souviens encore de son regard lorsqu'elle m'a félicité pour ma victoire. Elle venait de remporter son combat contre le champion et avait voulu rester regarder le mien. Nous sommes allés boire un café deux rues plus loin et c'est dans cet endroit que nous avons décidé de poursuivre ensemble notre périple.

Elle était magnifique, cela va sans dire. Une chevelure brune, comme on en voit que rarement, qui encadrait de superbes yeux bleu ; un peu comme les tiens d'ailleurs. Je pense depuis toujours que tu tiens ton regard de celui de ta grand-mère. Mais ce n'était tout de même pas chez elle le plus remarquable ; ses paroles l'étaient encore plus. Car chacun des mots qu'elle prononçait provoquaient en moi un incontrôlable bonheur. Et en cela poursuivre mon voyage à ses côtés était un honneur.
Malheureusement pour nous celui-ci n'allait pas durer très longtemps puisque la forêt que nous nous apprêtions à traverser deviendrait notre toute dernière étape.

En y entrant nous avons ressenti un plaisir immense, le même que celui que j'éprouvais dans cette plaine à la sortie de mon village. Un bonheur que nous avions perdu en ville, que toute cette agitation semblait avoir ôté à nos âmes pour ne le rendre qu'une fois hors de tous les tracas urbains. Le vent venait frémir doucement dans les feuilles des arbres, les secouant, faisant par moments tomber l'une d'elle sur nos visages.
Un petit sentier traversait les bois en ligne droite mais nous ne voulions l'emprunter, préférant les chemins plus secrets. L'aventure qu'ils nous promettaient était bien plus alléchante.

Nous avons exploré la forêt de fond en comble et elle nous inspirait un véritable bonheur, nous témoignant des milliers de choses. Sa suavité, ses promesses d'amour ; tout en elle me ravissait et j'avais envie d'y passer ma vie. Chaque sentier caché nous guidait vers des familles de petits pokemons qui se cachaient entre les racines d'un chêne, au fond d'une grotte ou dans le creux d'un tronc. Elles guettaient l'arrivée des êtres humains qui parfois s'aventuraient dans le coin, comme nous le faisions justement. Mais étrangement notre présence ne les effrayait pas, bien au contraire. Ils semblaient s'en réjouir.
Nous passions parfois quelques jours avec eux, jouant entre les branches des arbres, vivant de fruits et de l'eau des ruisseaux. Le temps passait sans nous toucher, seul le calme pouvait nous atteindre avec une douceur infinie. Cette vie n'était pas celle à laquelle j'aspirais, elle en devint néanmoins rapidement celle dont j'avais inconsciemment rêvé pendant des années.

Aux côtés de votre grand-mère nous avons construit cette maison au fond de la forêt, un repaire dont personne à part moi et votre mère ne connaît aujourd'hui le secret. Les pokemons venaient nous voir tous les matins et le bonheur était à notre porte à chacun de nos réveils. Nous étions les hommes les plus heureux du monde et le voyage pour lequel nous étions partis de nos foyers avait complètement quitté notre tête.
Les badges que nous possédions furent bientôt enfermés dans le tiroir dans lequel ils se trouvent encore aujourd'hui.

Mais ce bonheur ne pouvait durer éternellement car la haine de l'Homme est plus grande que toutes les autres forces de ce monde. Il en veut toujours plus et sa cupidité le pousse souvent dans ses pires retranchements. C'est grâce à l'égoïsme, à la vanité et à la luxure que nous avons rencontré Edward Stone pour la première fois. C'est par tous ces sentiments contraires que nous l'avons affronté.
L'histoire de notre cabane au fond des bois étaient arrivée aux oreilles de grands entrepreneurs et ces derniers n'étaient pas d'avis que nous restions. Edward Stone avait racheté la forêt dans laquelle nous nous étions établit. Un matin il vint frapper à notre porte, nous apprenant que la forêt était en sa possession. Il nous montra les papiers, nous demanda de quitter les lieux et nous proposa même une liasse de billets en échange.
Nous refusions tout.

Mais cet homme n'était pas de ceux qui se laissaient faire. Il ne voulait pas nous laisser décider sans opposer une vive résistance. Pour lui cette partie de la forêt devait être rasée. Il prévoyait un parc d'attraction, des lotissements et même des bureaux pour un futur centre de paiement où viendrait fluctuer les plus grandes transactions du pays. Et dans ce beau monde il nous réservait une maison et un an de manège gratuit.
Votre grand-mère se moqua de cette proposition. Elle ne voulait pas d'argent, ce n'était sûrement pas pour accepter une maison neuve et un tour de grande roue.

Évidemment Edward Stone nous promit de se venger et de revenir rapidement, nous menaçant de raser la forêt, que l'on soit à l'intérieur ou non. Toutes ces installations devaient lui rapporter des milliers et ce n'étaient pas deux adolescents qui allaient lui barrer la route.
Et il est effectivement revenu. Deux semaines après cette altercation tombait le premier arbre et la forêt agonisait lentement. Les pokemons venaient nous voir de plus en plus, nous suppliant de faire quelque chose. Mais votre grand-mère fut clouée au lit sans pouvoir rien faire. Dès que la lame des bucherons entama le bois sa santé se détériora.
Elle était malade et crachait du sang.


***


« Il se fait tard, vous devriez commencer à dormir. »
Les deux enfants protestèrent vivement face à la décision de leur grand-père mais celui-ci resta ferme : ils devaient se reposer et ce d'autant plus que cela leur permettra d'être en forme pour le lendemain. Il comptait bien terminer cette histoire.
« Demain soir je reprendrais la suite du récit et tout vous sera révélé. Il ne m'en reste qu'un petit morceau et ce ne sera plus très long.
– Et le Shamroc ?
– Patience. Il viendra rapidement même s'il est là depuis le début. Vous ne le voyez pas, tout simplement.
– Et pourquoi tu le vois toi ? riposta la petite fille.
– Parce que je suis un vieillard et que je le connais depuis très longtemps. »

Les deux petits restèrent sur leur faim mais n'eurent pas le loisir d'entendre la suite le soir même. Le vieil homme ne le désirait pas et il les laissa s'endormir après avoir déposé sur leurs fronts un baiser quotidien. Une fois revenu dans sa chambre il se glissa au fond de son lit. Là il remit toutes ses idées en place afin de poursuivre dès le lendemain dans les meilleures conditions possibles.
La nuit fut calme et les deux enfants dormirent comme des pierres. Ils furent pourtant debout avant leur grand-père et en profitèrent pour fouiller dans les tiroirs du salon.

Il ne fallut pas longtemps aux deux aventuriers pour dénicher le badge dont leur avait parlé le vieil homme la veille, attestant la véracité de son histoire dont il ne doutait pourtant pas une seconde. Leur seul désir était seulement d'admirer cette relique provenant de la jeunesse de leur grand-père. Assis autour de la table de la cuisine, les deux petits admiraient le trophée dont ils avaient entendu parler la veille. Ils restèrent ainsi quelques dizaines de minutes, tant et si bien que leur grand-père les trouva dans cette position à son réveil.
« Il est super ! lui lança son petit-fils.
– Vous ne pouviez pas vous en empêcher, répondit le vieillard en souriant, cela ne m'étonne pas de vous. La curiosité est l'un de mes défauts, je ne vois pas pourquoi vous en seriez exempts. »

Néanmoins il ne s'attendait pas à ce que cette découverte vienne mettre en péril son récit lorsque sa petite-fille lui posa une question qui vint le perturber. « Où est celui de grand-mère ? Tu as dit hier qu'il était avec le tien dans ce tiroir. »
En effet il l'avait dit et il aurait du mal à revenir sur ses paroles une fois prononcées, ces deux enfants étaient têtus et ils ne démordraient pas aisément. Il n'avait donc qu'une seule solution pour leur faire entendre raison. S'asseyant avec eux autour de la table, le vieil homme reprit le cours de son récit.


***


Les arbres tombaient petit à petit et les machines de chantier d'Edward Stone dévoraient la forêt avec ardeur. Cette vision m'était terrible mais je ne pouvais pas me dresser face à ces hommes, ils étaient plus nombreux et plus puissants que moi. Ils venaient par centaine, assit dans des machines toujours plus grandes, fendant le bois avec la facilité d'un couteau dans du beurre. Je ne voyais pas une armée d'hommes ; j'avais sous les yeux un monstre se nourrissant de sève.
Pendant ce temps votre grand-mère avait contracté une terrible maladie. Elle saignait et crachait parfois de grosses giclées de sang que je devais nettoyer avec terreur. Non pas parce que la vue de ce liquide me répugnait mais parce que la simple idée de voir mourir cette femme parvenait à me terrasser. J'avais peur de la perdre et à juste raison.
La forêt mourrait, elle mourrait. Quand le monstre frappait un arbre, il tapait dans son œil ; quand il coupait une branche, il tranchait son bras.
Leurs destins semblaient parallèles et je ne savais comment les en sortir.

Je passais mes journées à son chevet, entendant au loin mugir les dents des machines qui venaient se repaître des bois dans lequel nous avions établis nos rêves. Dans ses délires elle s'évanouissait, pleurait du bruit qui s'élevait au loin et me suppliait par moment de faire quelque chose. Nous vivions des nuits terribles de réconfort, de larmes et de sang. Les douleurs de celle que j'aimais semblaient pourtant s'épanouir après le crépuscule, dans un silence dont le jour nous privait. Les lames retombaient au sol, ses plaies guérissaient. Elles vrombissaient et son sang se mettait à couler.
Elle me serrait dans ses bras, pleurait toute les larmes de son corps et chacun de ses baisers était un poignard que l'on m'enfonçait en plein cœur.

Un jour n'y pouvant plus j'ai quitté la maison dans laquelle nous vivions pour me rendre dans le fond de la forêt. J'étais désireux de prendre l'air afin de trouver une solution au problème qui nous terrassait. Au loin les machines d'Edward Stone continuaient de détruire tout ce qui nous était cher. Rassurez-vous je n'avais pas peur qu'elles atteignent votre grand-mère alors qu'elle mourrait dans son lit. Edward était encore loin de chez nous. En revanche je ne devais pas rester longtemps en retrait.
Elle resta cependant seule durant trois jours.


***


« Et pourquoi ?
– Vous le saurez plus tard, répondit le vieillard en tendant le doigt vers la fenêtre par laquelle filtrait un flot de lumière. Je refuse de vous parler alors qu'il fait un temps merveilleux dehors. Je vais demander à Majaspic de veiller sur vous pendant que vous jouez. »
Malgré les protestations des deux enfants le vieil homme resta sur ses positions. Il voulait qu'ils sortent avant d'entendre la suite, cela ne pouvait leur faire que du bien et les deux petits finirent par accepter sa décision.

Une fois dehors ils se livrèrent à mille jeux comme ils en avaient l'habitude, leur préféré restant celui de deux explorateurs perdus dans une jungle sauvage. Au-dessus de leurs têtes trônaient un merveilleux Majaspic qui avait pour un temps laissé sa famille et répondu à l'appel du vieil homme. Il lui devait bien ce service de temps en temps.
Alors qu'ils couraient au beau milieu des arbres, leur chemin les mena à un endroit plus dégarni que le reste de la forêt. Ils pensèrent immédiatement à Edward Stone et à son envie de conquérir la demeure de leur grand-père.

« Tu penses que c'est ici qu'ils ont fait tous les travaux ? demanda la fille à son frère qui secoua immédiatement la tête.
– Les arbres sont trop grands, ils ne peuvent pas avoir repoussé si rapidement après tout ça. On ne doit pas être au bon endroit. »
La petite fille acquiesça et ils se mirent d'accord sur cette réponse. Néanmoins ils ne semblaient pas convaincus puisqu'ils s'enfoncèrent dans cette partie de la forêt afin d'en observer chaque recoin et peut-être de découvrir un indice sur l'histoire du Shamroc.

Ils ne mirent ainsi pas très longtemps avant de dénicher la pierre qui se dressait entre les arbres et sur laquelle s'étalaient quelques mots. C'était un semblant d'épitaphe que la fillette s'empressa de lire.
« Pour toi Edward qui fut mon ennemi, je chante ta mort autant que j'haïssais ta vie. Tout cela n'était pas obligé et pourtant tout eut lieu. Repose en paix. »
Elle sauta de joie en lisant cette phrase malgré son ton lugubre, se vantant auprès de son frère qu'elle avait raison en pensant qu'ils étaient au bon endroit. Mais ce dernier ne semblait pas partager son enthousiasme, pointant du doigt la date qui s'étalait sous ce que venait de lire sa sœur. Alors celle-ci cessa de s'exclamer et la regarda du même regard incompréhensif.

« Edward Stone est mort il y a au moins deux cents ans. »
Ils restèrent toute la matinée à s'imaginer de quelle manière il était décédé et pourquoi l'histoire que racontait leur grand-père était un mensonge. Car il ne pouvait en être autrement si cette date était vraie ; le vieil homme n'était pas si vieux.
« Il ne se met pas par hasard comme personnage principal de son histoire, reprit le garçon à un moment, il doit avoir une raison. Attendons ce soir de savoir la suite. »


***


En effet Edward Stone est mort il y a plus de deux cents ans. Son décès fut terrible et je n'espère à personne de finir ses jours à sa manière. Malgré ses défauts c'était un homme comme tout le monde et je regrette aujourd'hui les évènements qui ont secoué la forêt il y a des années.
J'avais quitté la femme que j'aimais afin de trouver une solution à ce problème mais à mon grand désarroi je ne trouvais rien digne de nous sauver. La forêt se mourrait et je restais sans rien faire. Chaque seconde que je passais sur cette terre me semblait être un affront à la santé de celle dont j'étais tombé fou d'amour. Il fallait que je sauve tout le monde mais rien ne semblait m'en donner la possibilité.

Puis je suis arrivé à une source chaude au cœur de la forêt, un endroit sur lequel je tombai par hasard et dont je n'avais jamais soupçonné l'existence. Il y faisait chaud, la flore semblait en paix et l'endroit s'épanouissait contrairement au reste des bois. Tout autour de moi des vapeurs exaltaient les pokemons et redonnaient à mon cœur quelques espoirs. Au centre s'élevait un arbre qui semblait toucher le ciel.
Mais ce ne fut pas la source qui me convainquit de l'issue de ce combat mais la rencontre avec le dragon de lierre qui se cachait en ce lieu. Il apparut à moi alors que je portais à ma bouche asséchée l'eau qui coulait sous ses pieds. Car en effet l'arbre qui trempait dans la source n'en était pas un ; c'était le Shamroc. Ce lieu était un sanctuaire dans lequel il était endormi et dont je le tirais.
Ce dernier semblait néanmoins avoir patiemment attendu ma venue. Pendant des heures il me parla des souffrances de la forêt, faisant preuve à chacun de ses mots d'une sagesse infinie dont aucun homme n'était capable.

Je lui expliquai à mon tour la torture que subissait ma femme ainsi que celle de ces bois. Je lui appris tout à propos de l'entreprise destructrice d'Edward Stone, de la folie de ces hommes qui aspiraient à devenir maître des lieux. Et je découvris que le dragon de lierre n'était pas insensible à cette douleur et que son cœur était malade autant que ma femme qui dont le sang coulait au rythme de la sève des arbres.
Il aimait ce monde sur lequel il veillait depuis des années et ne voulait le voir mourir. Dans ses yeux je voyais qu'il aurait tout fait pour que cela n'arrive pas, qu'il aurait donné sa vie et le reste de l'univers pour conserver intacte ce coin de paradis.

En lui racontant tout cela, je le fis entrer dans une colère terrible qui le propulsa au-dessus de la source chaude en laquelle j'avais fait sa rencontre. Il était resté trop longtemps plongé dans son sommeil, restant passif face aux douleurs de la forêt. Peut-être que s'il avait été là depuis le début il aurait convaincu les ouvriers de faire demi-tour, il aurait évité ce drame…
Mais il se réveillait et ne voyait que la douleur de la forêt qui saignait sans fin. Il voulait venir à bout de cette folie.

La rage du Shamroc était déchaînée et elle le poussa jusqu'au chantier d'Edward Stone, jusqu'à ces hommes qui persistaient à détruire tout ce que nous avait offert la nature et ce qui leur était nécessaire à la vie.
Malheureusement ils ne comprirent que trop tard l'erreur qu'ils venaient de faire et le dragon de lierre les détruisit. Voulant protéger la forêt du monde des hommes il réduit à néant la moindre de leurs ambitions. La faune et la flore serait sauvées ; ils mourraient. Les machines explosèrent dans tous les sens et les arbres coupés écrasèrent d'un bond ceux qui leur avaient fait cet affront. Beaucoup d'ouvriers périrent dans cette bataille sans issue, dans un massacre sans nom.
Sans parler d'Edward Stone qui fut lui aussi déchiré par les flammes et les lianes tranchantes du dragon légendaire. Dans une colère terrible dirigée sur l'instigateur de ce mal, le Shamroc le réduisit à un tas de cendre et de sang.
L'entrepreneur n'était sur les lieux que par un pur hasard. Il aurait sans doute pu échapper à cette folie s'il n'était venu pour un rendez-vous avec les chefs de chantier. Je sais que le dragon s'en voulu de l'avoir tué, comme il pleura sur chacune de ses victimes. Mais la mort progressive de la forêt l'avait rendu fou et il se dit qu'au fond il ne valait pas mieux que ceux qui la dévoraient.

Il grava quelques années plus tard le nom d'Edward Stone sur une stèle, honorant sa mort et celles des ouvriers. Il se repentait de ce chaos.
En revenant à la source il me trouva au même endroit, tétanisé. Il me remercia de l'avoir aidé à se rendre compte de la peine de la forêt et me demanda de rentrer chez moi. Il me donnait sa bénédiction pour vivre en ces lieux et me souhaitait bon courage.
Une fois dans cette maison je retrouvai ma femme. Elle allait mieux et me remerciait pour mon aide, ne m'en voulant pas de l'avoir laissée seule pendant quelques jours. Je lui racontai alors ma rencontre avec le Shamroc et cette histoire berça nos nuits pendant des années, bien après la naissance de votre mère.


***


Le lendemain les deux enfants repartirent mais non sans désirer en savoir plus sur la rencontre de leur grand-père avec le fameux Shamroc, dragon légendaire et gardien de la forêt. Sur cela il leur expliqua tout ce qu'il savait à son sujet mais évita au maximum la question de temporalité qui revenait le plus souvent. Les petits voulaient savoir la raison pour laquelle il n'y avait qu'un seul badge dans le tiroir, pourquoi Edward Stone était mort il y a deux cents ans… De cela le vieillard ne disait rien et déviait le sujet.
« Tu n'as rien dit de plus, papa ? lui demanda sa fille à l'écart des enfants qu'elle venait chercher pour la fin des vacances.
– Rien du tout. J'ai inventé en grande partie car ils ne sont pas encore en âge de tout comprendre et que cela paraîtrait trop invraisemblable.
– Ce serait totalement fou. En tout cas je te remercie vraiment de ne pas avoir étalé le sujet. »

Il la salua d'un signe de tête et l'embrassa avec tendresse.
« J'ai hâte de vous revoir toi et les enfants, vous me manquez quand je suis seul.
– Maman est avec toi, tu n'es jamais seul. »
Un sourire se dessina sur son visage et sa fille en fit tout autant. Ce fut sur ces mots qu'ils se dirent au revoir et se séparèrent. De l'arrière du véhicule qui était venu prendre les enfants à la lisière de la forêt, sur la seule route qui passait près de cette dernière, les deux petits faisaient de grands signes de main au grand-père auquel ils ne rendraient visite que dans quelques mois.
« On se reverra très bientôt, reprit le vieil homme avec amusement, fils et fille de la nature. »

Le soir il s'isola, revenant à la solitude dont il était toujours l'éternelle victime, mangeant face à un badge que les enfants avaient découvert la veille. Non il n'avait pas le second car ce dernier n'existait pas. Sa femme, il l'avait rencontré ici, pas dans la ville qu'il avait effectivement visitée et dans laquelle il avait bel et bien affronté un champion.
C'était dans ce lieu qu'ils avaient vécu leur amour et nulle part ailleurs. Cet amour existait depuis la nuit des temps et il n'avait jamais été question de le faire naître à un endroit quelconque ; il était fixe.

« J'avais décidé de découvrir le monde des hommes mais je n'y suis pas resté longtemps, se dit-il tout bas, la seule ville que j'ai eu l'occasion de voir ne m'a pas totalement convaincu. Je suis rapidement retourné me cacher dans la forêt. Mais leur monde est cruel et ma place n'est pas en extérieur. »
Mais à l'époque il croyait en la bonté des hommes. Il pensait qu'ils avaient un potentiel à aimer au-dessus de la moyenne et qu'ils pouvaient faire preuve d'attention à l'égard des plus petites choses. Il avait abandonné son état d'origine, avait demandé à un Vipélierre de le suivre et était partit sur les routes.
Tout cela jusqu'à ce qu'une trop grande douleur ne lui rappelle soudainement ce qu'il était réellement.

Il se leva de table et se dirigea vers la salle de bain dans laquelle il regarda son reflet dans son miroir. Sa jeunesse l'impressionnait. L'image de vieillard qu'il donnait aux enfants n'était que temporaire jusqu'à temps qu'ils soient assez âgés pour tout comprendre. Il se révèlerait lorsque serait temps pour leur grand-mère de prendre forme humaine pendant quelques temps avant de revenir à son hibernation d'une centaine d'années.
Il avait vraiment eu de la chance de traverser cette forêt au bon moment pour la croiser, alors même qu'il prenait forme humaine pour découvrir le monde humain. Si elle n'était pas devenue humaine cette année qui sait ce que serait aujourd'hui ces bois… Il serait sans doute établit dans une autre forêt, gardant des bois différents de ceux dans lesquels il vivait depuis des centaines d'années.

Il laissa tomber son regard sur sa main qui se recouvrait d'écaille tandis qu'il reprenait sa forme originelle. Voilà ce qu'il avait toujours été : le gardien de celle dont il était éperdument tombé amoureux le jour où il avait traversé cette forêt. Il était celui qui la gardait quand les hommes de Stone tranchaient sa chair, celui qui lui rendait vie au printemps après la chute de toutes ses feuilles…
Son nez s'allongeait en museau dans le miroir, ses yeux se teintaient de vert et du lierre poussait sur tout son corps écailleux de jeune homme. Autour de lui il entendait murmurer celle qui dans quelques années redeviendrait pour un temps humaine, celle qu'il aimait et protégeait.
Sa femme était de sève et lui de lierre. Elle était son repaire, il en était son gardien.





FIN