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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 25/01/2014 à 19:01
» Dernière mise à jour le 25/01/2014 à 19:01

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Chapitre 31 : Dragons en furie
Ma main caressait de la fourrure blanche, douce et soyeuse entre mes doigts.

Un acte machinal qui durait déjà depuis de longues minutes, et qui n'était peut-être pas très confortable pour la Colossinge concernée, mais ça m'aidait. Me calmait, quelque part. Après le tourbillon d'émotions de la veille au soir, j'avais passé une nuit affreuse, me tournant et retournant dans mon lit, en sueur et prise au piège de cauchemars dans lesquels Teigne figurait largement. Des cauchemars où je la regardais mourir sans rien faire.

Pas très différent de la réalité
, songeai-je avec amertume.

Mes doigts effleurèrent une fois de plus les poils blancs, ébouriffant le haut de la tête de la Colossinge. Elle eut un grognement qui fit tressauter mon cœur et durant une stupide, stupide seconde, je crus au retour de Teigne alors que je savais pertinemment qu'il ne s'agissait pas d'elle mais de Néréa. Pourtant, si je fermais les yeux, je pouvais presque y croire. Croire que c'était Teigne et que je ne l'avais pas perdue. Mais ça aurait été me complaire dans une fausse réalité et la Colossinge avait donné sa vie afin que ce genre de choses n'arrivent pas, que ce soit à petite ou à grande échelle. Elle s'était sacrifiée pour me permettre de sortir du jeu. Il fallait au moins que j'honore son dernier vœu et que j'aille jusqu'au bout de cette foutue Ligue. Ça aurait été trahir Teigne que d'agir autrement. Même si elle n'avait jamais su exactement pourquoi elle se battait...

Je regrettais à présent de ne lui avoir rien dit, à elle ainsi qu'aux autres. J'avais eu tant d'occasions de le faire, tant de moments où j'aurais pu orienter la discussion vers ce sujet-là, si sensible soit-il. D'un autre côté, ils n'auraient peut-être pas compris ce que ça signifiait. Ça mettait en jeu des concepts qui devaient dépasser l'intelligence d'un Pokémon lambda... D'accord, pas celle d'un Alakazam, mais celle d'un Colossinge, certainement. Déjà que Teigne avait du mal à saisir des idées simples comme le fait que tout ce qui montait devait redescendre... (À de nombreuses reprises, la Colossinge s'était prise sur la tête des choses qu'elle avait auparavant lancées en l'air, dont, une fois, Poupidou.)

Et puis, annoncer à mes Pokémon que je venais d'un autre monde dans lequel ils étaient considérés comme un jeu, ça aurait chamboulé leur perspective. En supposant qu'ils arrivent à en saisir toutes les implications, ils n'auraient peut-être plus eu envie de m'aider à atteindre mon but, puisque ça voudrait dire que j'allais les quitter. Peut-être cela les aurait-il incité à refuser de se battre... voire à perdre exprès.

Toutefois, la question se posait toujours. Je les plaçais constamment en danger, prenais des risques avec leurs vies dans la balance, et eux me suivaient depuis le début sans jamais douter ni remettre en question mes méthodes. Leur devais-je la vérité ?

Teigne, elle, n'aurait jamais le loisir de l'entendre. Mais elle m'avait fait confiance, et au-delà des détails de ma quête, c'était ça qui comptait. Elle avait su que conquérir la Ligue était important pour moi, s'était consacrée à ce but plus que n'importe lequel autre Pokémon de mon équipe, quitte à parfois déraper et perdre le contrôle, et au final, elle avait consenti à l'ultime sacrifice. M'offrant sa vie pour que je continue le combat. Je l'avais lu dans son regard, lorsqu'elle vivait ces derniers instants. Un ordre impératif d'aller de l'avant, de ne jamais abandonner, de ne pas faire d'elle le maillon faible en abdiquant pour la sauver. Que ça n'aurait pas été digne d'elle. Elle avait peut-être perdu aux yeux du public face à la Spectrum, mais elle s'était battue jusqu'à l'instant final et elle était partie la tête haute, ses yeux brillant d'un éclat vif et sauvage, et ça, quelque part, ça constituait une victoire.

Ou peut-être que tu ne fais que t'imaginer tout ça pour ne pas culpabiliser...
lâcha une petite voix désagréable depuis le fond de mon esprit.

J'eus un sourire triste. C'était bien possible. J'avais cru lire beaucoup de choses dans le regard de la Colossinge juste avant sa mort, mais j'avais très bien pu me tromper, surtout considérant les circonstances extrêmement stressantes. Et il n'y avait plus personne pour clarifier la situation désormais. Rien qu'une Pokéball au sommet gris posée sur la table de nuit.

Une chose demeurait certaine cependant : Teigne aurait détesté que je m'apitoie sur sa mort. Je l'imaginai m'observant depuis l'au-delà, les sourcils froncés, se demandant pourquoi j'étais assise sur mon lit à déprimer au lieu d'être dehors avec le reste de l'équipe à réfléchir aux bastons à venir. C'était que le combat n'était pas fini... Ou du moins, en pure Teigne, il ne serait fini que lorsque j'aurais gagné. Elle me grognerait dessus, donc, lâchant peut-être un "Singe" ou deux histoire de me motiver.

- Singe !

Mon cœur fit un tel bond dans ma poitrine que je crus qu'il allait ressortir par ma bouche.

Néréa.

Ce n'était que Néréa, réalisai-je avec retard.

- Désolée, dis-je en retirant ma main de sa tête. Tu dois en avoir marre que je te papouille.

- Faut dire que les câlins c'est pas trop son truc, déclara Claire sur un air d'excuse.

Mes doigts me picotaient. Je fermai et rouvris mon poing afin de faire passer la sensation.

- Teigne non plus n'aimait pas ça, répondis-je, observant Néréa tandis qu'elle rejoignait son frère dans le jardin.

- Comme la plupart des Pokémon de type combat... Ils ont la violence dans leur gènes, et la tendresse ça se situe plutôt à l'opposé, alors...

- Ouais, forcément, acquiesçai-je sans quitter la Colossinge des yeux.

Elle s'était engagée dans une discussion avec mes propres Pokémon, gesticulant peu au contraire de Crabouille. Tous l'écoutaient attentivement, Salade intervenant de temps à autres. Je captai un regard qu'il lança dans ma direction à un moment avant de revenir à son interlocutrice. S'inquiétait-il pour moi ? Je n'avais pas tellement échangé de paroles avec mes Pokémon depuis hier soir : quelques-unes lorsque j'étais rentrée dans ma chambre juste après le match, et une poignée de phrases ce matin pendant leur petit-déjeuner. Pas plus - et ils n'avaient pas insisté en ce sens. Ils devaient savoir que ma façon de gérer un deuil incluait un certain mutisme et respectaient ce fait, ce pour quoi je leur étais reconnaissante. Sans compter qu'après tout ils devaient eux aussi souffrir de la perte de Teigne. Elle était avec l'équipe depuis tellement longtemps - depuis le premier jour en fait -, elle allait sûrement leur manquer tout autant qu'à moi...

En conséquence, la matinée avait été calme. Trop calme, presque. Je m'étais surprise à deux ou trois reprises à chercher Teigne du regard parce qu'un tel silence, inhabituel, signalait forcément qu'elle était en train de préparer une de ces bêtises dont elle avait le secret. À chaque fois, le retour à la réalité m'avait fait l'effet d'un coup de poignard en plein cœur.

La tranquillité avait donc régné jusqu'à l'arrivée de Claire. La blonde avait frappé à ma porte un peu avant dix heures, et si au début j'avais failli ne pas lui ouvrir, eu égard à mon envie de demeurer seule, avec le recul je pouvais voir que j'avais bien fait de la laisser entrer. En dehors de l'effet calmant procuré par sa Colossinge, elle m'avait offert un soutien précieux : pas une épaule sur laquelle déverser mes larmes, mais une amie avec qui partager ma peine. Et ça, c'était différent des autres fois où j'avais perdu des Pokémon... ou même Léonard. J'avais été toute seule alors, livrée à moi-même, obligée de me débattre avec mon chagrin sans aucune aide extérieure. Certes, mes Pokémon m'avaient réconfortée, mais ce n'était pas comparable à la présence d'un autre être humain - surtout quand l'être humain en question se trouvait être une bonne amie.

- Merci d'être là, soufflai-je à son intention.

- Y a rien de plus normal, fut sa réponse. Je sais à quel point Teigne et toi étiez proches, et je suis particulièrement bien placée pour comprendre ce que tu ressens. Ça m'a brisé le cœur quand j'ai vu qu'elle...

Pas besoin qu'elle termine sa phrase pour que je sache ce qu'elle voulait dire, et elle le savait parce qu'elle la laissa en suspens. Je l'entendis étouffer une sorte de soupir, puis elle posa sa main sur mon bras en réconfort.

- Mais tu sais, reprit-elle, j'ai vu le regard qu'elle t'a lancée au dernier moment, et même si je ne la connaissais pas très bien, je crois que c'était ce qu'elle voulait. Une fin comme ça, à faire don de sa vie pour permettre à sa dresseuse d'avancer au duel suivant.

- Je suis sûre qu'elle aurait aussi aimé y être, au duel suivant... murmurai-je d'un ton désabusé.

Avant de dire d'une voix plus haute :

- Je crois que tu as raison. Teigne ne voulait pas que j'abandonne et elle s'est sacrifiée de bonne grâce, acceptant les circonstances sans m'en tenir rigueur, mais ça ne change rien au résultat final. Elle est morte.

- Pour une cause qui lui tenait à cœur, ajouta doucement Claire.

- Une cause qui lui a coûté beaucoup plus que ce qu'elle n'aurait dû.

Un petit silence accueillit mes paroles.

- Mais tu as envie d'aller jusqu'au bout, non ? me relança la blonde.

- Plus qu'une envie. C'est un besoin, admis-je en priant pour qu'elle ne réclame pas davantage de détails.

Ce ne fut pas le cas. Elle hocha simplement la tête avant de déclarer :

- Teigne en était consciente. Et comme à ses yeux tu faisais partie de sa famille, elle a accepté de mourir pour toi. C'était son moyen à elle de te protéger, de t'offrir le futur que tu désirais tant... de permettre à celle qu'elle devait voir comme sa petite sœur de continuer à avancer sur le chemin qu'elle s'est choisie... que tu t'es choisie.

Les paroles de Claire exacerbèrent les émotions que je ressentais, déjà quelque peu à vif. Si ça vraiment été le raisonnement de Teigne, j'étais encore moins digne de son sacrifice que ce que je pensais. Je pris une grande inspiration et la gardai bloquée un instant, luttant pour que les larmes qui perlaient au coin de mes yeux ne s'écoulent pas.

- Petite ? soulevai-je ensuite, d'une voix plus rauque que je ne l'aurais voulu.

- Ouais... Je m'y connais en Féro et Colossinge, et au vu des signes physiques que j'ai notés, Teigne devait avoir dans les dix ou douze ans. Ce qui est l'équivalent de vingt cinq ans en âge humain. Elle était donc plus âgée que toi.

- Bah y a des fois où on aurait vraiment pas dit ! lâchai-je en souriant malgré moi.

Lorsque je repensais à certaines de ses bêtises ou à son attitude lorsque je prononçais des mots tels que "baston" ou "bouffe", c'était surprenant de découvrir que la Colossinge avait vécu plus que moi, proportionnellement à nos espérances de vie respectives.

Claire partagea mon sourire.

- Par certains aspects les Pokémon restent de grands enfants...

- Et les tiens ? lui demandai-je. Quel âge ils ont en années humaines ?

- Ils sont plus jeunes. Néréa approche des quinze, et Crabouille est à... mmh, dix maintenant. En gros. Je suis encore leur grande sœur, mais plus pour très longtemps.

- Ils vivent vraiment moins longtemps que nous...

- Comme pour la plupart des Pokémon, fit remarquer Claire, m'apprenant un fait que je soupçonnais sans jamais y avoir réfléchi en profondeur. C'est vrai que leurs vies sont plus brèves, mais elles n'en sont pas moins heureuses. Et Teigne... je ne pense pas qu'elle aurait pu trouver meilleure dresseuse, et je suis certaine qu'elle a grandement apprécié ces mois passés en ta compagnie. En plus tu as eu le temps de lui dire au revoir, même si ce n'était qu'avec un regard. C'est assez rare, d'habitude les Pokémon tués par les membres du Conseil succombent instantanément.

- Oui... mais j'aurais pu la sauver.

J'avais entendu tout ce qu'avait dit Claire, tous ses arguments apportés pour apaiser ma peine, mais en dépit de tout, je demeurai bloquée sur ça. Sur ces cinq petits mots. J'aurais pu la sauver.

Une soudaine douleur au bras me fit grimacer. Ce n'était pourtant pas Claire qui me serrait, sa main reposait juste sur ma peau, légère. Sans doute une crampe alors. Je changeai de position afin de la soulager.

- Tu regrettes de ne pas l'avoir fait ? m'interrogea la blonde.

Je répondis à sa question par une autre question.

- Tu aurais abdiqué, toi ?

Elle n'hésita pas une seule seconde :

- Oui. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas été plus loin que le troisième badge, tu sais. Parce que je tiens trop à Crabouille et à Néréa et que je ne veux pas les perdre. On a fait les deux premières arènes ensemble, et puis arrivés face au major Bob, Néréa a bien failli y rester, et c'est là que j'ai pris conscience que c'était trop pour moi. J'ai vu la mort en face ce jour-là, dans les yeux de ma Colossinge, et je remercie Arceus tous les jours qu'elle s'en soit tirée. Alors maintenant je m'en tiens aux matches Pokémon amicaux, et je ne prendrai plus jamais ce genre de risques.

Le major Bob... Il avait l'air d'en avoir stoppé, des dresseurs. Je songeai à Cassandre et Dorian, qui avaient eux aussi renoncé à continuer la Ligue et étaient rentrés chez eux avec un Pokémon blessé. Volt et Néréa auraient-ils perdu la vie si leurs dresseuses respectives avaient continué l'aventure de la Ligue ? Le maître de l'arène de Carmin-sur-Mer avait-il indirectement sauvé ces deux Pokémon en décourageant Cassandre et Claire de continuer ? Peut-être que seuls les meilleurs en étaient capables. Et moi, je n'étais pas faite pour être dresseuse - non pas que j'ai jamais prétendu le contraire.

- Mais je comprends ton point de vue, continua la blonde. L'envie de gagner et d'aller au sommet...

De rentrer chez soi.


Je ne prononçai pas ces mots, mais il manquait à Claire un élément qui changeait tout. Le fait que rien de tout ça n'était réel, qu'il s'agissait juste d'un jeu, et que Pokémon comme humains n'avaient aucune existence tangible. Ça paraissait donc logique que moi, en tant que joueuse, je sois au-dessus d'eux et que je décide parfois qui devait vivre ou mourir.

Quoi ? Non !
se rebella ma conscience. Mille fois non !

C'était horrible ce que je venais de penser... Digne de l'attitude de mon frère. Et ça ne justifiait rien du tout, parce que dans le contexte, Teigne m'était apparue comme étant réelle, une créature de chair et de sang avec qui j'avais formé un lien d'affection avéré. Je n'avais aucune excuse pour l'avoir laissée mourir : cette histoire de "juste un jeu" n'était qu'un argument émanant de la partie la plus pragmatique de moi-même, celle qui considérait les Pokémon comme des outils et ne reculait devant rien pour atteindre mon but. Une part de moi-même envers laquelle je ressentais à la fois mépris et peur ; mépris parce qu'elle n'était qu'égoïsme pur, et peur parce qu'il lui était arrivé d'échapper à mon contrôle.

Au final, la conclusion de tout ça était claire. Qu'importe que ce soit un jeu, qu'importe que la Colossinge n'y ait pas opposé d'objection, qu'importe le prix que j'aurais dû payer... Je m'avouai enfin à moi-même ce que j'avais su dès l'instant où les yeux de Teigne s'étaient voilés : j'avais eu tort. Tort de ne pas abdiquer, tort de ne pas la sauver. Si c'était à refaire, je placerais la vie de la Colossinge au-dessus de tout, comme il aurait dû en être depuis le début.

Impossible, évidemment. J'allais devoir vivre avec ce choix. La Colossinge m'avait peut-être pardonnée et était allée à sa mort en l'acceptant, mais moi je savais que je ne me pardonnerai jamais mon erreur.

Petite nature... C'était nécessaire, et tu le sais.

Je sursautai, voulus chasser la voix, mais elle avait déjà disparu.

- Si je pouvais revenir en arrière et la sauver, je le ferais, annonçai-je, autant pour contredire l'affirmation de la Chieuse que pour informer Claire de ce que je pensais.

Ma nuque me démangeait. Je levai une main pour me gratter.

- Oh, Léa... J'aimerais tellement que ça soit possible... souffla la blonde.

- Moi aussi...

Un soupir.

- Je lui avais posé un ultimatum, révélai-je. Il fallait qu'elle change de comportement ou bien elle ne faisait plus partie de l'équipe. Je me demande ce qui ce serait passé à terme. Est-ce qu'elle aurait réussi à se contrôler au final ? À ne plus se laisser dominer par sa rage ? Je suppose qu'on ne le saura jamais...

- Non, acquiesça Claire. Mais à défaut de son futur, il te reste son passé, et il ne doit pas être oublié, lui.

- Je ne pense pas que ça soit possible... Je me souviendrai d'elle pour toujours. Elle était tellement... tellement...

- Énergique ? suggéra Claire.

- Et déterminée, complétai-je. Toujours à cent pour cent quel que soit le sujet. Une fois qu'elle s'était accrochée à quelque chose, elle n'en démordait pas, et avec son petit côté foufou, ça donnait un cocktail du tonnerre. Je me rappelle la première fois que je l'ai vue, elle était en train de s'acharner sur une barrière en bordure de chemin. Dès qu'elle a vu Salade elle lui a sauté dessus. À l'époque je croyais qu'elle défendait son territoire, mais maintenant je sais qu'elle ne cherchait qu'un moyen de se défouler...

- Et tu t'es tout de suite entendue avec elle ?

- Houla non. Il nous a fallu pas mal de temps avant de commencer à se connaître...

C'est ainsi que je me retrouvai à parler de Teigne tandis que Claire m'écoutait. Je lui racontais tout ce que j'avais vécu avec la défunte Colossinge, les moments de joie comme ceux de consternation, les fous rires comme les engueulades. Je détaillai ses bêtises et puis tout ce qui faisait qu'elle était Teigne, son amour de la baston, son courage sans faille (et son estomac sans fond), l'amitié qu'elle avait formé avec Ficelle et ensuite Souris, sa rivalité avec Vésuve, sa relation difficile avec les oiseaux, toutes les moments où elle avait fait sa tête de mule et puis tous ceux où elle m'avait sauvé la vie.

Et au fur et à mesure de ma narration, je sentais un timide sourire tirailler les coins de ma bouche, parce qu'il m'était impossible de rester plongée dans la tristesse alors que je mentionnais la fois où la Colossinge avait marché par accident sur la queue de Princesse, un incident qui avait failli dégénérer en guerre mondiale, ou bien celle où elle avait kidnappé ma couette pour me forcer à me lever. Claire aussi souriait, plus franchement que moi, l'expression de son visage témoignant du chagrin qu'elle ressentait également, mais aussi et surtout de l'intérêt qu'elle portait au passé de Teigne, un Pokémon qui n'était pourtant pas le sien et qu'elle n'avait pas beaucoup côtoyé. Parfois elle commentait tel ou tel passage pour dire que ses Pokémon faisaient pareil, ou qu'elle aurait bien aimé voir une photo du moment que je décrivais. Mais elle m'écoutait avant tout, et c'était ça dont j'avais besoin. Je n'aurais pas pu rêver meilleure interlocutrice en cet instant.

Vint enfin un moment où ma gorge s'assécha et ma voix se tarit.

- C'était une sacrée Colossinge, dit Claire en souriant.

- Ouais... confirmai-je, la tête encore pleine de réminiscences. Une sacrée Colossinge qui va sacrément me manquer...

Un regard vers l'horloge, et je constatai avec étonnement qu'il était près de quatorze heures. Mince, j'avais tant parlé que ça ? Pas surprenant que je meurs de soif... Tout en récupérant une bouteille d'eau dans mon sac, je jetai un coup d'œil au dehors. Mes Pokémon ainsi que ceux de Claire n'avaient pas bougé, Salade toujours occupé à discuter avec Néréa, Fulgure et Plouf se joignant occasionnellement à la conversation, tandis qu'un peu à l'écart Crabouille et Vésuve avaient l'air de se faire une petite bagarre. Pleind'Soupe, lui, ronflait non loin.

Je pris une longue gorgée d'eau puis m'étirai, ankylosée de partout. Même mon cuir chevelu me démangeait ; je secouai la tête histoire de le faire revenir à la normale.

- Et si on allait manger au petit bistrot de l'autre jour ? proposa Claire.

Je lui signifiai mon accord d'un bruit peu articulé, la bouteille d'eau interférant présentement avec ma capacité à énoncer des syllabes.

- Qui sait, peut-être qu'on re-croisera Zack... continua innocemment la blonde.

- J'ai pas vraiment la tête à ça là... et lui il est pas comme toi ou moi, les Pokémon morts il s'en contre-fiche.

- Je pense pas. Il les gère juste différemment.

- Mmmh-mmouais.

- Pas convaincue ? sourit Claire.

- Je le serai quand je l'entendrai de sa bouche.

Ce qui laissait une occasion à la blonde, et évidemment, elle ne la manqua pas :

- Hé bah justement, pour ça il faudrait que tu le voies !

- Tu as réponse à tout... constatai-je, sans toutefois comprendre pourquoi la situation entre moi et Zack lui importait tant que ça.

Elle opina vivement.

- Je pense vraiment que tu devrais parler à Zack de toute façon, de manière générale. Maintenant ou plus tard, mais avant votre duel. Parce qu'après ça risque d'être trop tard.

- Comment ça ?

Son regard se fit fuyant. Elle sembla hésiter, puis :

- Si vous perdez des Pokémon à cause de l'autre...

- Déjà fait, répondis-je.

La surprise s'inscrivit sur les traits de la blonde.

- Ah ? Et ça n'a rien changé entre vous ?

- Vu qu'il n'y a rien, non.

Elle eut un sourire en coin.

- Quoi ? grognai-je.

- Ah mais non, j'ai rien dit !

- Ptet pas, mais tu le penses très fort...

On frappa soudain à la porte. Je dirigeai un regard mi-inquisiteur mi-ennuyé vers Claire.

- Si tu lui as demandé de venir...

- Rien demandé du tout, indiqua-t-elle.

Une phrase qui m'occasionna une grande vague de soulagement ainsi qu'une petite pointe de déception - bien que je n'aurais avoué ce deuxième point pour rien au monde. J'allai ouvrir, révélant quelqu'un que j'avais encore moins envie de voir que Zack.

- Léa... me salua Alec de sa voix aux étranges cadences. Laisse-moi commencer par te dire que je suis profondément déso...

- Chuis pas intéressée par vos condoléances, le coupai-je.

Il recomposa son visage, abandonnant son air grave pour passer à un plus neutre.

- Je vois. Directement dans le vif du sujet alors. Puis-je entrer ? Je préférerais ne pas discuter de ce genre de choses sur le pas d'une porte.

Avais-je seulement envie d'en discuter tout court ? Je pesai le pour et le contre un instant, puis décidai que je pouvais toujours l'écouter et ensuite refuser - ça ne me coûtait rien. Je l'invitai donc à entrer d'un geste. Ce qu'il fit, sa carrure paraissant encore plus impressionnante dans ma petite chambre.

Il promena son regard alentours et avisa Claire toujours assise sur le lit. De profil, je crus voir un sourire se former sur ses lèvres, mais lorsqu'il se tourna pour me faire face, les traits de son visage étaient immuables.

- Je remets à nouveau ma proposition sur la table, annonça-t-il, ses yeux d'argent me fixant. Et me permets de remarquer que tu devrais d'autant plus accepter au vu des circonstances.

- Quelles circonstances ? demandai-je, ce qui revenait à avouer que les subtilités de la situation m'échappaient.

- La mort de ta Colossinge. C'est une conséquence directe de ton refus de jouer le jeu. Tu n'as pas donné les réponses attendues lors de l'interview, et ils ont ciblé ta Pokémon en retour pour te punir.

J'eus l'impression qu'on venait de me frapper en plein dans le ventre. Ma responsabilité s'en trouvait donc décuplée... Je faisais vraiment une mauvaise dresseuse.

Oh, Teigne... Si j'avais su...


Cependant, pour inattendue que soit cette révélation, il restait un point qui n'était pas clair :

- Je ne comprends pas... Ils voulaient que j'abdique ou pas au final ?

- L'une comme l'autre des solutions leur convenaient, me répondit l'ex-champion. Si tu avais abdiqué, ils auraient été débarrassé d'une challenger potentiellement problématique, entraînant certes une perte de recettes, mais éliminant un problème futur. Et de l'autre côté, en laissant mourir ta Pokémon, tu as garanti le succès du match et ils sont assurés d'avoir des très bons scores d'audience pour le duel à venir contre Peter. Un duel qui s'annonce d'ailleurs d'une extrême difficulté. Si je connais les stratèges commerciaux du Conseil - et c'est le cas -, ils feront tout pour te mettre le plus de bâtons dans les roues possibles, assurant ainsi le spectacle quelle que soit l'issue du combat. De cette façon, si tu perds, la soif de sang du public sera assouvie, et si tu gagnes, cela promettra un match contre le champion qui risque de battre des records d'audience.

Il marqua une pause, puis reprit :

- Mais bien sûr tout ça n'est valable que si tu persistes dans ta petite rébellion. Et c'est là qu'intervient ma proposition : je peux t'aider à rentrer dans les bonnes grâces du Conseil.

- Vous aviez pas dit que vous aviez l'intention de me fournir des tactiques pour les combats plutôt ? lui rappelai-je, m'étonnant de ce changement de discours.

- Ça aussi. Mais au stade où tu en es, il faut avant tout soigner son image.

- Encore des magouilles, grinçai-je, amère. Quoi, vous allez me conseiller de lire les réponses qu'ils me prépareront pour le prochain interview ?

- Serait-ce si terrible que cela si ça garantit la sécurité de tes Pokémon ?

- C'est du chantage ce que vous êtes en train de faire, l'accusai-je.

- Ce n'est pas moi, c'est eux, se défendit l'ex-champion.

- Je suis pas sûre qu'il y ait une différence, rétorquai-je.

Il fronça les sourcils.

- Ce petit jeu me fatigue. Ta réponse ?

Je serrai les dents, me sentant acculée. Courber l'échine face aux gens en partie responsables de la mort de Teigne me semblait un non-sens total. Ça, ce serait vraiment trahir la Colossinge et tout ce pour quoi elle s'était battue. Mais quand on considérait que la vie des autres membres de l'équipe était en jeu...

À ma gauche, Claire se racla la gorge. Je me tournai vers elle. Son esprit était sans doute beaucoup plus limpide que le mien, dans lequel tourbillonnaient actuellement tout un tas d'hypothèses, de peurs et d'incertitudes. Mais elle, elle saurait prendre la bonne décision - ou du moins d'indiquer dans quelle direction il fallait aller.

- Tu ferais quoi à ma place ? lui demandai-je donc.

- Tu veux un avis honnête ?

- C'est bien pour ça que je te pose la question.

Elle se leva, alla se planter face à Alec, et lui décocha une gifle dont l'impact retentit dans toute la chambre. Ma mâchoire faillit se décrocher sous le coup de la surprise, mais ce fut peu de chose comparée à l'expression qui s'afficha sur le visage de l'ancien champion : ébahissement total, colère pure, et une autre émotion que je ne pus identifier qui embrasa ses prunelles d'argent. Ses épaules se tendirent, je crus qu'il allait frapper Claire en retour et me tins prête à crier pour appeler Salade, mais il se contenta finalement de secouer la tête. Puis ses yeux vinrent trouver les miens, inquisiteurs.

- Vous avez votre réponse, déclarai-je d'une voix ferme, convaincue que la blonde avait fait le bon choix quoique sa façon de l'exprimer m'ait un peu interloquée.

- J'en prends note. Tu le regrettas, bien sûr, mais il t'appartient de faire des erreurs.

Il partit sans un mot de plus. Je refermai la porte avec soin, et la tension retomba d'un coup lorsqu'il ne resta plus que Claire et moi dans ma chambre.

- Euh... c'était quoi ça ? demandai-je à la blonde. Pas que je me plaigne, mais...

Elle laissa échapper une sorte de soupir avant de porter une main devant sa bouche.

- Oh mon dieu, je l'ai giflé. Je l'ai giflé !

- Je confirme, tu l'as giflé. Et pas qu'un peu.

- Il m'énervait tellement avec ses faux-semblants, ses airs de supériorité et ses solutions moralement bancales que... argh ! s'écria-t-elle, finissant sa phrase par un grognement de frustration. Je crois que ça lui a même pas fait mal en plus...

- Joli coup quand même, fis-je avec un demi-sourire.

- Oui, hein, approuva-t-elle, souriant elle aussi.

Je savourai ce petit instant de bonheur avec l'impression d'avoir trouvé une pépite dans une rivière boueuse - et ce genre de découvertes se faisaient de plus en plus rares par les temps qui couraient. L'emmagasinant dans ma mémoire afin de pouvoir y revenir lors de moments moins heureux, j'en tirai le maximum avant de le laisser s'évanouir pour passer à des choses plus sérieuses.

- Je crois que le duel contre Peter s'annonce difficile...

- Ouais, va falloir que tu t'entraînes dur pendant les deux jours restants, renchérit Claire. Ce... ah mince, je suis plus assez en colère pour l'insulter. Bref, ce mec avait tort sur plein de choses, mais probablement pas sur la difficulté du combat qui t'attend.

En dehors de l'entraînement, j'allais aussi devoir réfléchir à des ajustements stratégiques pour compenser la perte de Teigne, et ce n'était franchement pas une tâche sur laquelle j'avais envie de me pencher. Cependant, pas moyen d'y couper.

- Bon, c'est pas tout ça, mais on va manger ? s'enquit la blonde.

- Ça donne faim de frapper les gens ? ne pus-je m'empêcher de la taquiner.

Elle me tira la langue puis partit rappeler ses Pokémon. Je la suivis après m'être étirée une fois de plus - bizarre ce que mes muscles me démangeaient aujourd'hui ; j'avais certes mal dormi, mais quand même.

- À table les loulous ! hurla Claire depuis la fenêtre, moyen très efficace pour rameuter toute la troupe de monstres.

Mon ventre gronda également en réaction ; je songeai aux plats que j'allais engloutir et oubliai aussitôt mes crampes.

***

Un flash de feu bleu-violet crépita, repeignant le ciel sombre d'une palette de couleurs vives.

La langue enflammée alla lécher les flancs de l'Elektek, roussissant son pelage tandis que le Dracolosse intensifiait le souffle qui sortait de sa gueule. Soudain une fourche d'énergie brillante vint frapper la tête du dragon, ce qui le fit tiquer et offrit un instant de répit au Pokémon électrique. Il roula au sol, s'écartant de son adversaire, trébuchant à moitié dans sa précipitation. Chacun de ses gestes traduisait l'épuisement qu'il ressentait, sa poitrine se soulevant de façon erratique tandis qu'il levait les yeux vers son dresseur.

Le jeune garçon lui adressa un hochement de tête. La fourrure de l'Elektek se gonfla en réponse, tous ses poils dressés par la charge électrique qu'il venait de générer. Il voulut se tourner vers le Dracolosse, découvrit alors que le Pokémon dragon avait disparu.

Réflexe de scruter le ciel.

Mais trop tard, l'ombre du dragon fondait déjà sur lui. La puissance dégagée par l'atterrissage brutal du Dracolosse jeta l'Elektek à terre, et avant qu'il n'ait pu se relever, une énorme patte s'était posée sur son ventre. Le Pokémon du challenger eut beau arquer son dos et tenter de s'appuyer sur le sable pour faire levier, il était coincé, maintenu en place par le poids immense qui pesait sur lui.

Un coup de queue cinglant asséné à bout portant fit craquer les vertèbres de l'Elektek, lui tournant la tête de force, écrasant sa joue droite dans le sable. Puis un autre, en sens inverse, le brutalisa davantage. Un troisième survint ensuite, puis un quatrième, un cinquième... La foule déchaînée encourageait de vive voix cette série d'assauts, le commentateur saluant lui la résistance du Pokémon électrique.

Enfin, le Dracolosse s'arrêta. L'Elektek était encore conscient et les yeux fous, terrifiés, il fixait le dragon qui le surplombait de toute sa hauteur. Ce dernier ouvrit la gueule et...

- Hé, j'ai une question à te poser. T'es née débile ou on a procédé à l'ablation de ton cerveau après-coup ?

Oubliant le combat, je détachai mes yeux de l'écran géant pour me tourner vers la personne qui venait de m'interpeller. Sans surprise, il s'agissait de Mélodie. J'adressai un sourire très loin d'être amical à la fillette.

- Tu connais un mot comme ablation à ton âge ? lui renvoyai-je.

- Je connais aussi crétinerie et putain de décision stupide.

À l'extérieur, le public émit une gigantesque clameur, comme pour saluer les paroles de la gamine.

- Dans ce cas le concept du libre arbitre doit également t'être familier.

Ma réplique me valut un long regard de sa part. Quelques mèches de cheveux folles tombaient dans ses yeux, les cachant en partie, et de plus avec la pénombre du tunnel je ne pouvais pas en être certaine, mais il me semblait qu'elle les avait marrons - en tout cas une couleur sombre, rien à voir avec le gris hyper clair de son père.

- Non mais allez, pourquoi t'as refusé ? me relança-t-elle. Mon père t'aurait assuré la victoire, 100% garanti !

- Tu ne comprends vraiment pas ?

- Non, répéta-t-elle sans me lâcher du regard, comme si elle pensait pouvoir parvenir à me faire cracher le morceau par ce biais.

- Demande à ton père de t'expliquer, suggérai-je, m'interrogeant brièvement quant à quoi pouvait bien ressembler une discussion entre Alec et sa progéniture.

La fillette croisa les bras en se renfrognant, apparemment ma solution ne lui plaisait pas. Je m'apprêtai à expliciter mon point de vue lorsque le commentateur appela mon nom, et je réalisai que le rugissement de la foule entendu un peu plus tôt devait avoir signalé la victoire de Peter sur le challenger - probablement la mort de l'Elektek, en fait.

- Je dois y aller, lançai-je à ma jeune interlocutrice tout en haussant les épaules d'un air d'excuse. Mais sérieusement, si ça te tracasse tant que ça, on peut en reparler plus tard.

Non pas que je pense pouvoir contrecarrer l'éducation qu'Alec lui avait donnée, mais si je parvenais à la faire un tout petit peu réfléchir sur des notions telles que l'honnêteté ou la compassion, ça pouvait valoir le coup.

- Je crois pas que t'auras envie de discuter avec moi quand tous tes Pokémon seront morts, me rétorqua-t-elle.

Elle avait dit ça sans méchanceté aucune dans la voix, simplement comme une évidence. Je me surpris à sourire - férocement, même.

- On en reparlera après le combat, décidai-je, puis je tournai les talons, me dirigeant vers la sortie du tunnel.

Alors que je l'avais presque atteinte, m'apprêtant à passer la ligne de démarcation entre semi-obscurité et lumière éclatante, Mélodie m'interpella :

- Hé !

- Ouais ?

- Je te souhaite bonne chance parce que tu vas en avoir besoin... et aussi parce que ça m'arrangerait que tu gagnes. Surtout ça, en fait.

Je hochai la tête à son intention avant de pénétrer dans l'arène proprement dite. La luminosité éblouissante fit larmoyer mes yeux alors que les spectateurs m'accueillaient bruyamment, cris et vagues d'applaudissement agitant la masse compacte occupant les gradins. Je clignai des paupières, ma vision se rétablit et je retins un grognement en constatant que pour ce duel-là aussi j'allais avoir droit aux questions du journaliste. Comme la fois dernière, lui et son fidèle camera-man me bloquaient l'accès à la plate-forme.

- Alors Léa, s'enthousiasma le mec lorsque je parvins à sa hauteur, c'est un duel des plus intéressants qui s'annonce ! Je sens qu'il va faire vibrer tout le stade ! Mais avant cela, un commentaire à faire sur les événements du dernier match ?

Il s'attendait évidemment à ce que je parle de Teigne. Le papier qu'on avait glissé sous ma porte la veille suggérait de dire qu'elle me manquait terriblement, et que j'avais décidé d'aller jusqu'au bout pour honorer son sacrifice. Ce n'était pas si éloigné de la vérité, mais je répugnais à suivre les ordres du Conseil - c'était d'ailleurs la seule raison pour laquelle j'avais lu leur feuille, afin de m'assurer de ne pas aller dans leur sens involontairement. Aussi répliquai-je sèchement :

- Je n'ai pas particulièrement envie d'en parler, vous comprenez pourquoi je pense.

Le reporter prit une expression peinée.

- Bien sûr, nous savons tous à quel point vous teniez à votre Teigne... Mais la mort est un élément naturel de cette grande compétition, n'êtes-vous pas d'accord ? Et si vous veniez à perdre un autre de vos Pokémon aujourd'hui, comment réagiriez-vous ? Cela briserait-il votre élan vers la victoire ?

Je sens que l'élan de mon poing va se briser sur sa tête...


Je me repris brusquement. Teigne avait déteint sur moi, pas possible autrement... Oui, donc, la question. J'étais censée répondre que ça allait sûrement arriver mais que ça valait le coup, et que c'était là toute la beauté du challenge de la Ligue, cette sublimation de l'effort et du don de soi, qui entraînait parfois les Pokémon à aller jusqu'au sacrifice ultime. En gros, un magnifique tissu de conneries.

- Non, dis-je à la place. Question suivante.

Le mec enchaîna sans faillir :

- Pour finir, une rumeur court selon laquelle l'ancien champion, Alec de Hautecour, vous a proposé de devenir votre mentor. Pouvez-vous confirmer ?

Selon mes réponses préparées, c'était vrai et j'avais refusé parce que je voulais prouver que je valais autant que Zack. Claire avait fait remarqué qu'ils préparaient sans doute le terrain au cas où je sortirais victorieuse face à Peter, établissant des parallèles avec mon rival pour faire monter la tension. Une analyse que je rejoignais.

- Je confirme, révélai-je.

- Dans ce cas, pourquoi avoir refusé ? voulut savoir le journaliste.

- Il y a une fillette nommée Mélodie qui se pose la même question dans les coulisses, et vous m'excuserez mais j'ai prévu de lui donner la réponse face-à-face.

- Ce sera donc à chacun de se faire son opinion, conclut le mec. Et comme toujours, bonne chance pour votre match !

La foule entérina sa dernière phrase en se mettant à hurler mon nom. Je saluai les spectateurs de la main avant de prendre place sur la plate-forme qui s'éleva aussitôt dans les airs. Elle s'immobilisa à trois mètres de hauteur avec un clic sonore alors que la voix du commentateur résonnait dans le stade :

- Et voici l'étoile montante de cette saison, la dresseuse dont le nom est sur toutes les lèvres dernièrement ! Tout comme notre nouveau champion, elle est originaire du Bourg Palette elle aussi ! Décidément, ce petit village a l'air d'être un véritable nid à talents ! Ayant triomphé d'Olga puis d'Aldo sans subir de pertes, elle a récemment dû dire adieu à l'un de ses Pokémon mais ça ne l'a pas arrêté, oh non ! Mesdames et messieurs, la revoici, la revoilà, Léa Norelle !

Les cris du public enflèrent tout autour de moi, puissants et nombreux, se mêlant les uns aux autres pour ne plus former qu'une sorte de brouhaha monstrueux. Je parcourus les milliers de spectateurs du regard, essayant de repérer Claire - un pari perdu d'avance vu la densité de la foule.

- Elle se mesurera ce soir à un dresseur qui a de la classe, un dresseur qui a du style, oui mes amis, je parle bien de Peter, le maître des Pokémon dragons ! Personne n'a encore réussi à le faire plier cette semaine, notre challenger y parviendra-t-elle ?

Une fois n'est pas coutume, j'étais d'accord avec les propos du commentateur : Peter avait indéniablement la classe. Vêtu d'un costume dans les tons rouge et noir qui lui allait impeccablement, il arborait également une cape qui flottait derrière lui, le tissu sombre brodé de résilles pourpres lançant des éclairs à chacun des mouvements du maître Pokémon. Deux anneaux d'argent à ses pouces ainsi qu'une ceinture de cuir vermeille complétaient sa tenue. Les couleurs s'accordaient à celle de ses cheveux, d'un riche rouge bordeaux, dressés en piques sur sa tête, et l'effet produit était franchement spectaculaire quand on ajoutait son visage dans l'équation : traits nobles, menton volontaire, nez aquilin, le tout respirant l'harmonie et la force.

Il s'inclina lorsque le commentateur déclama son nom, puis se redressa en se drapant dans sa cape, un mouvement calculé qui provoqua une éruption de cris parmi le public. Il avait l'air d'avoir pas mal de fans.

- Vous remarquerez que Léa a fait le choix de combattre ce soir avec seulement cinq Pokémon, tout comme son adversaire, annonça le commentateur tandis que mon équipe et celle de Peter s'affichaient sur les écrans. Est-ce prendre un risque ? A-t-elle eu tort ? Vous le saurez en regardant la suite ! Et que le meilleur gagne ! ajouta-t-il en s'égosillant.

C'est prévu.


Deux Pokéballs relâchèrent leur occupant au même instant, une synchronisation parfaite entre Peter et moi - et en ce qui concernait les Pokémon aussi. Deux serpents des mers se faisaient face sur le terrain, chacun fusillant l'autre d'un regard meurtrier.

- Oh, et ce sera donc un duel de doubles pour ce premier round ! Crache-Tempête, le redoutable Léviator de Peter, contre Plouf, un Pokémon si affectueusement surnommé par sa dresseuse !

Pas si doubles que ça. Les Léviator n'étaient pas exactement identiques : Plouf accusait une légère infériorité question taille, et les crocs de son adversaire me semblaient également un peu plus longs - pas que cela ait une grande importance en fin de compte. Ce n'était pas ça qui ferait la différence dans le feu du combat. Rompant leur duel de regards, les deux Pokémon quémandèrent les instructions de leurs dresseurs respectifs, puis, les ayant trouvées, ils foncèrent l'un vers l'autre, soulevant des gerbes de sable sur leur passage. Leur rencontre eut lieu au beau milieu de l'arène, les serpents se percutant si brutalement que l'énergie libérée par l'impact fit trembler les murs. Je vis les boucliers lumineux qui protégeaient les gradins ondoyer, absorbant le choc.

Rugissement contre rugissement, crocs contre crocs, les Léviator s'appliquèrent à se broyer mutuellement les écailles, enlacés dans une étreinte qui avait tout d'une lutte. Plouf avait profondément enfoncé ses dents dans le cou de son vis-à-vis et tous ses muscles étaient en action pour conserver sa prise tandis que, de son côté, le Pokémon de Peter avait fait de même. Le sang ruisselait le long de leurs corps, les repeignant d'écarlate ; les deux liquides aux sources différentes s'entremêlaient en bout de course lorsqu'ils venaient s'échouer sur le sable.

Les efforts des Léviator duraient depuis une bonne minute lorsque soudain Plouf flanqua un coup de queue à son adversaire, ce qui lui tira un grondement et l'incita à se dégager. Seulement, ça ne signifiait pas un répit pour autant, et à peine le Pokémon de Peter avait-il reculé que sa gueule s'ourla de flammes bleues-violettes, qu'il cracha à bout portant sur mon Plouf. La flambée s'écrasa sur ses écailles, s'embrasant en volutes ignées, se coulant contre sa gorge et son cou en une marée de feu liquide. Retrait instinctif chez mon Pokémon, ce qui ne l'empêchât pas de subir de nombreuses brûlures - sa nature aquatique ne le protégeant pas face à cette attaque de dragon. Un retrait qui ne servit qu'à mieux préparer sa riposte : le jet de lumière irisée ayant surgi du fond de sa gueule toucha l'autre Léviator en plein poitrail, l'éclaboussant d'énergie surchargée. Le Pokémon de Peter fut repoussé de plusieurs mètres et rugit de douleur, un son qui se mêla au brame de défi lâché par Plouf. Le public salua l'échange d'une salve d'applaudissements, les uns hurlant des encouragements tandis que les autres huaient tout leur soûl.

Plouf revint ensuite vers moi, reprenant son souffle après cet Ultralaser tout en gardant un œil sur son congénère. Les yeux de ce dernier étincelèrent, il lança à son tour cette attaque dévastatrice, le rayon lumineux parcourant l'espace en un instant avant d'exploser au contact de Plouf. Déluge de couleurs. Vives, tranchantes, et mortelles. Mon Léviator se secoua, arrosant le sable de son fluide vital, puis mugit. L'Ultralaser avait fait fondre certaines de ses écailles, et en avait brûlé d'autres jusqu'à ce qu'elles ne soient plus que des morceaux noirs tout fumants. Mon Plouf commençait à être sérieusement amoché...

Allez, encore un,
songeai-je en lui indiquant quoi faire.

Son adversaire respirait difficilement lui aussi, peut-être parviendrions-nous à le mettre hors d'état de nuire sur ce coup-là. Il devait également récupérer après l'effort investi dans sa propre attaque, ce qui laissait le champ libre à Plouf - et il saisit l'occasion. Gueule ouverte au maximum, il décocha son habituel faisceau de lumière, grésillant d'une énergie au potentiel létal. Le Pokémon de Peter se dressa de tout son long lorsque le rayon frappa, tête rejetée en arrière sous l'impact, corps vicieusement ébranlé par la force sans pareille de l'Ultralaser. Ça allait peut-être suffire à le mettre à terre... Sauf qu'au moment même où le scintillement de l'attaque s'évanouit autour du grand Léviator, un autre d'une couleur dorée se manifesta.

- Une Guérison du côté de Peter ! indiqua le commentateur.

Sa phrase finissait à peine de résonner dans le stade que déjà le Léviator adverse s'apprêtait à ré-attaquer, ouvrant sa large gueule. Une poignée de secondes pour prendre ma décision : soigner Plouf ou pas ? En réalité, elle était déjà prise depuis longtemps, depuis cet instant où j'avais réalisé que j'avais eu tort de ne pas sauver Teigne. Ma main alla donc appuyer sur le bouton rouge, et la lueur dorée engloutit Plouf, lui restaurant ses forces.

Ce regain d'énergie le fit rugir, un défi auquel répondit son adversaire tout en l'arrosant de gerbes de flammes. Cette fois, mon Léviator tenta de se protéger, utilisant sa queue pour faire rempart : moyennement efficace, le feu se scinda en deux, débordant de chaque côté, atteignant tout de même ses écailles. Mais cela avait un autre avantage, celui de dissimuler sa riposte naissante, et son adversaire se trouva plutôt surpris lorsqu'il se reçut en plein visage le rai de lumière destructrice. Il se déroba immédiatement, plongeant vers le sol pour se soustraire à l'assaut, mais grâce aux écrans géants et à leur ralenti je pus voir que l'un de ses yeux avait été touché, éclaté dans son orbite par la puissance de l'Ultralaser. L'attaque lui rasa encore les flancs quelques instants tandis que Plouf orientait le rayon vers le bas, puis ce fut terminé.

Le combat, lui continuait, car bien qu'éborgné et gravement ensanglanté, le Léviator de Peter semblait toujours en état de se battre. Il répliqua par son propre Ultralaser, ou plutôt voulut répliquer, car son œil endommagé devait troubler sa visée et le faisceau multicolore passa à quelques centimètres de Plouf, ne parvenant qu'à vitrifier le sable au terme de sa trajectoire descendante, creusant une large tranchée scintillante qui s'arrêta lorsque le rayon heurta le mur et mourut.

Grondement frustré d'un côté, rugissement victorieux de l'autre.

Puis le silence.

Les deux serpents se toisèrent à nouveau, la tension montant dans l'air. Espacés de quelques mètres, ils se fixaient, immobiles, figés dans la même posture telles deux statues de pierre jumelles. Muets, si ce n'était le bruit rauque de leurs respirations conjointes, superposées au point de ne faire plus qu'une. La foule s'était tue, attendant la résolution de cet instant crucial qui semblait ne jamais vouloir en finir. Même le commentateur d'habitude si volubile restait cette fois sans rien dire. Et les secondes s'écoulaient encore et encore, avec une étrange lenteur, lourdes du poids des peut-êtres, les possibles non décidés s'accumulant à chaque battement de cœur, à chaque battement de cils, jusqu'à ce que, fatalement, la bulle crève.

Se déchire.

S'éclate pour tout laisser s'écouler lorsque deux rayons d'énergie identiques fusèrent, droit l'un sur l'autre. Se rencontrèrent en plein milieu de l'arène, les salves prismatiques fusionnant le temps d'une fraction de seconde.

Un éclair, plus vif que le soleil.

Et l'explosion.

Instantanée, concentrée de lumière aveuglante, avalanche de grondement assourdissant. Je ressentis le son jusque dans mes os, j'en vibrai, mes oreilles bourdonnèrent tandis que ma plate-forme vacillait.

Je serrais les dents jusqu'à ce que ça passe.

Au retour du calme, de gros nuages de poussière crayeuse mêlée à une épaisse fumée occupaient presque toute l'arène, enflés et ronflants, des arcs électriques les parcourant ça et là. Je scrutai le terrain, puis n'obtenant aucun résultat reportai mon regard sur les écrans géants. Là, était-ce le scintillement d'une écaille bleue que je venais d'apercevoir ? L'éclat de crocs découverts, peut-être...

Un beuglement de tous les diables tonna soudain, et le voile de poussière fut pulvérisé par le mouvement brusque d'une queue, claquant dans l'air avant de venir frapper le sable. Ce n'était probablement pas volontaire, mais plutôt le résultat du corps-à-corps dans lequel s'étaient engagés les deux Léviators. Plouf était en-dessous, dominé, et fit à nouveau siffler son appendice caudale dans une tentative de se dégager, je le voyais clairement à présent. L'autre serpent l'écrasa un peu plus à terre, puis ouvrit sa gueule et lui déversa au visage un jet de flammes brûlantes, incendiaires. Plouf eut le réflexe de se détourner, le feu ne frappa que son profil. Puis il contre-attaqua, mettant à profit sa proximité avec son adversaire pour enfoncer ses dents dans son cou.

Giclée sanglante.

L'autre rua, sans effet. Plouf tint bon, émettant un grondement sauvage, et je souris. La situation s'était inversée, il contrôlait la lutte à présent. Nouvelle ruade du Pokémon de Peter, vaine elle aussi. Il commençait à fatiguer, celle-ci avait été moins vive. La suivante le fut encore moins, et puis il ne donna plus que quelques soubresauts, sombrant dans l'inconscience au bout d'une longue minute.

- Ce premier round va donc à notre challenger, Plouf triomphant face à Crache-Tempête !

Applaudissements. Peter s'inclina après avoir rappelé son Pokémon, refaisant le coup de la cape tournoyante. Un rien frimeur ce mec...

- Quels seront les combattants suivants ? Peter va-t-il envoyer son Dracolosse afin de tenter de porter un grand coup à l'équipe de Léa ? Non, ce sera son Ptéra, le féroce Varrack aux mâchoires d'acier ! Et face à lui, réveillé me semble-t-il, ce cher Pleind'Soupe !

Le Ronflex mugit, passant à la station debout tout en fixant ses petits yeux plissés sur le Pokémon adverse. Il était vaguement semblable à un ptérodactyle avec ses ailes membraneuses, ses serres recourbées et son air général de dinosaure, sauf qu'il avait une mâchoire carrée remplie de dents aiguisées au lieu d'un bec et que ses prunelles brillaient d'une intelligence que n'avait jamais atteint aucun animal préhistorique. De plus son corps paraissait plus trapu, plus proche du mammifère que de la légèreté aérienne qui caractérisait les oiseaux - et sa couleur grise-violette, elle, ne correspondait à rien de ce que je connaissais. Se tenant pour l'instant sur le sable, les ailes drapées autour de son corps, il n'avait pas encore pris son envol.

Je fis signe à Pleind'Soupe de commencer, mais le Ptéra le prit de vitesse, s'envolant brusquement pour foncer sur sa cible. Sa façon d'évoluer dans les airs paraissait bizarre, pas du tout glissante comme Fulgure mais bien plus saccadée, comme si chaque coup d'aile lui demandait des efforts supplémentaires. Alors qu'il s'approchait, cinq pierres de la taille d'un poing apparurent devant lui, luisantes d'énergie, et jaillirent telles des balles, trop rapides pour que je puisse les suivre à l'œil nu. Elles heurtèrent chacune le ventre de Pleind'Soupe, laissant de petits cratères dans sa fourrure tandis que le Ptéra passait bien au-dessus de lui en poussant un cri rauque et moqueur. Pleind'Soupe y répondit par un grognement grave, indiquant qu'il n'était pas content du tout et que ça n'allait pas se passer comme ça. Le Blizzard qu'il déchaîna rattrapa aisément le Ptéra, la glace et la neige se conjuguant en une tempête qui enveloppa entièrement le Pokémon dinosaure, frappant son dos et ses ailes de coups de boutoir au souffle glacial. Mis en difficulté, l'oiseau tenta de redresser son vol, voire même d'échapper à l'attaque en s'efforçant de grimper vers le haut, mais les bourrasques finirent par avoir raison de lui, et il dégringola, s'écrasant dans le sable sous les cris - déçus ou joyeux - du public.

Lorsque le Ptéra se remit d'aplomb je remarquai qu'une couche de glace brillante s'était formée sur ses ailes ; il la brisa de deux coups de mâchoires puis reporta son attention sur Pleind'Soupe. Deux secondes de latence, et il prit à nouveau son envol. Rebelote, une salve de pierres étincelantes s'achemina en direction du Ronflex, le criblant sans qu'il puisse les éviter. Pas que ça soit une option de toute façon : Pleind'Soupe était trop lent pour esquiver, mais heureusement il encaissait très bien, une véritable éponge. Le Ptéra se mit ensuite à tournoyer au-dessus de lui, jouant les oiseaux de proie, et le Ronflex n'eut qu'à lever la tête pour riposter, une brise glacée montant à l'assaut de l'oiseau.

Oiseau qui replia ses ailes et fonça soudain droit vers le sol. Il évita la zone de vents hurlants d'un dangereux looping : son ventre frôla un tourbillon de neige et l'une de ses pattes fut recouverte par les flocons, mais la tactique paya, et c'est en toute sécurité qu'il se posa pendant que tout là-haut, le Blizzard faisait rage.

- Ronflex ! s'indigna Pleind'Soupe, sûrement énervé de constater qu'il avait fourni des efforts pour rien.

- C'est pas grave mon gros, tu te rattraperas au prochain, lui assurai-je.

- Rooon, répliqua-t-il.

Je vis qu'il comptait ré-attaquer, mais encore une fois son adversaire se montra plus rapide : en quelques secondes, il avait grimpé dans le ciel et avait agité ses larges ailes, donnant naissance à une lame d'air qui vint lacérer le visage de Pleind'Soupe. Ce dernier porta une main à l'entaille, clignant des yeux avant de lâcher un grognement, le sang coulant dans sa bouche ouverte. Les yeux du Ptéra se mirent à briller de malice alors qu'il surplombait le Ronflex, et de sa gorge jaillit une sorte de rire au timbre rocailleux... qui s'étrangla lorsqu'une houle de vents l'encercla, le capturant au sein d'un enfer de neige et de glace. Pleind'Soupe avait visé parfaitement cette fois-ci. L'ouragan malmena l'oiseau préhistorique, l'obligeant à courber ses ailes, le bringuebalant de droite à gauche sans la moindre pitié, le froid polaire couvrant son corps tout entier d'une couche de givre tandis qu'il peinait pour rester en vol.

Une bataille qu'il perdit au bout d'une minute passée à lutter contre les vents.

Il chuta, s'abattit dans le sable, et y resta. Frissonnant, les ailes froissées, une lueur tenace au fond de ses yeux noirs : j'avais l'impression qu'il ne tenait à la conscience que par un fil.

Un très mince fil.

Pleind'Soupe allait s'occuper de le sectionner. Le Ronflex était également blessé, mais j'estimais qu'il pouvait encore encaisser un coup, voire deux. Il capta mon ordre et s'approcha à pas pesants de son adversaire prostré, puis ouvrit les bras et se laissa tomber sur le Ptéra. Une demi-tonne de Ronflex en approche. L'oiseau m'était caché par la masse de Pleind'Soupe, ce fut la clameur soudaine du public qui m'alerta ; je scotchai mon regard sur l'un des écrans géants et découvris que le Ptéra venait de tirer une salve de projectiles, à bout portant sur le ventre du Ronflex. Il y eut un éclat lumineux, puis il disparut lorsque le ventre de Pleind'Soupe écrasa le Pokémon de Peter.

KO, lui - c'était sûr. Et mon Pleind'Soupe ? Je le vis respirer, bien que ses yeux se soient fermés. Il les rouvrit soudain, cligna des paupières, puis les referma, et un ronflement du tonnerre s'éleva dans l'arène. Je sentis une vague de sueur brûlante m'envahir, suivi d'un éclaboussement de sensations : soulagement, joie, peur de me tromper à nouveau. Je soufflai et fis le vide dans mon esprit.

Le commentateur lâcha quelques remarques sur le combat pendant que Peter et moi récupérâmes nos Pokémon, mais je ne l'écoutai pas, songeant déjà à la manche suivante. Il restait à mon adversaire ses deux Draco et son Dracolosse ; c'était ce dernier qui représentait le plus de danger, capable à lui seul de décimer des équipes entières de challenger. Une chance sur trois pour que ce soit lui qui se matérialise...

Je m'emparai de ma propre Pokéball et relâchai son occupant, Peter m'imitant. L'énergie rouge surgit de part et d'autre du terrain, prenant forme au niveau du sol, puis les silhouettes se précisèrent et les deux Pokémon s'envolèrent dans une tempête de battement d'ailes. Fulgure décrivit des cercles pendant que le Dracolosse, car c'était bien lui que Peter avait choisi, faisait un tour complet de l'arène à une vitesse démesurée, si bien que je n'aperçus qu'un flou orangé soulevant des vagues de sables sur son passage. Lorsque le Pokémon dragon s'immobilisa, de retour à son point de départ, il fixa son dresseur du regard, ignorant l'adversaire avec une nonchalance qui était toute calculée. Heureusement il en fallait bien plus pour énerver Fulgure et le Rapasdepic continua à planer, agitant ses ailes, bien plus larges que celles du Dracolosse au demeurant, qui d'ailleurs dans un monde normal n'auraient jamais pu soulever son poids. Le Pokémon orange secoua la tête, faisant bouger les deux espèces de petites antennes qui en dépassaient, puis se gratta le museau d'une de ses grosses pattes, ignorant toujours son adversaire.

Peter dût lui donner un ordre car tout à coup un mur doré apparut devant le Dracolosse, scintillant. Il avait donc décidé de jouer la défense... Très bien, ça me convenait. Tapotement de trois de mes doigts contre la rambarde. Fulgure vira sur l'aile et entama sa descente, traînée brune sur le bleu du ciel. Il tomba, tomba, faisant honneur à son nom tant il atteignit le sol rapidement, mais à l'instant où il allait atteindre le Pokémon dragon ce dernier opéra un démarrage en flèche, rasant les murs de l'arène, à nouveau parti pour un tour complet. Le Rapasdepic se lança à sa poursuite, et je l'encourageai mentalement tandis qu'il se changeait en une tache floue, apte à concurrencer son adversaire.

Un tour, deux, trois...

C'était le Pokémon de Peter qui restait en tête, mais Fulgure gagnait peu à peu du terrain, et au début du quatrième tour il dépassa enfin le dragon, lui infligeant une blessure au dos, son bec acéré incisant l'épaisse peau jusqu'au sang. Là-dessus, il remonta vers les hauteurs, tandis que le Dracolosse lui s'arrêtait net, ayant tout de même arrosé le sable sur plus de la moitié de l'arène. Le demi-cercle de pourpre indiquait le succès de Fulgure et les caméras zoomèrent dessus, le commentateur s'en donnant à cœur joie : apparemment il était relativement rare que le Pokémon de Peter subisse des blessures. J'avais bien l'intention de réitérer cet exploit plusieurs fois.

L'heure de la contre-attaque était venue pour le Dracolosse, il agita ses ailes, décollant dans un nuage de sable, et fonça sur Fulgure. Sa gueule s'ouvrit, une nuée ardente embrasa l'air, enserrant le Rapasdepic dans une sphère de flammes composée de dizaines de lanières brûlantes entrecroisées. Position inextricable.

Fulgure plongea.

Vertigineusement.

Il passa à travers le rideau enflammé, ressortit de l'autre côté avec les plumes en feu, mais ne dévia pas pour autant de sa trajectoire, maintenant le cap sans faillir sur son adversaire malgré la fumée qu'il dégageait dans son sillage. Son bec tendu vint labourer le ventre blanc du Dracolosse, un coup qui porta malgré la position précaire de l'oiseau. Le retour fut rude : la queue du dragon fouetta l'air, touchant Fulgure de plein fouet, l'éjectant vers les gradins. Le Rapasdepic s'écrasa sur l'un des boucliers, les plumes calcinées, et glissa lentement le long de la pente dorée jusqu'à retomber dans le sable.

Il se redressa péniblement, la foule s'agitant comme elle sentait venir le pire. Le métal froid des yeux du Dracolosse reflétait ses intentions meurtrières, et après tout les spectateurs m'avaient vu sacrifier l'un de mes Pokémon lors du dernier duel, alors pourquoi pas celui-ci aussi, devaient-ils penser. Quelques personnes se mirent à crier.

Ça suffisait.

Fulgure retourna au sein de sa Pokéball, ce qui me valut des sifflements.

Désolée, aujourd'hui personne ne meurt,
songeai-je en faisant sortir Vésuve.

Le combat reprit aussitôt, les deux Pokémon échangeant attaque contre attaque. Un ondoiement de l'air qui cachait une charge psychique du côté du Magmar, et une longue langue de feu pour le Dracolosse. Les réactions, elles, différèrent grandement : là où Vésuve émit un cri de douleur et recula face aux flammes lui léchant le torse, son adversaire parut presque tranquille. Il bailla d'ailleurs, révélant les crocs qui garnissaient sa gueule. Un souffle de feu sortit du bec du Magmar, sa façon à lui de répondre au défi du grand Pokémon. Le dragon avait beau le dominer de plusieurs têtes et être infiniment plus rapide, Vésuve entendait ne pas céder un pouce de terrain - toujours tenace, mon Magmar. Il avait appris à bonne école...

Lorsqu'il attaqua une deuxième fois, ce fut d'ailleurs à la manière de Teigne, bondissant sur le Dracolosse. Mon cœur se serra un instant. J'aurais tant voulu que la Colossinge soit là pour voir ça... Elle aurait ratatiné ce vilain Dracolosse, l'aurait grillé proprement. Ce que j'avais été stupide de la sacrifier au nom de mon envie de finir ce jeu. J'allais m'en vouloir éternellement... Délaissant ce genre de pensées, je suivis Vésuve des yeux tandis qu'il décochait un coup de poing dans le ventre de son adversaire, coup de poing qui s'accompagna d'une bordée de flammes rouge vif. Il n'était même pas censé avoir cette attaque, étrange. Peut-être l'avait-il portée en honneur de Teigne. Un mince sourire affleura à mes lèvres, s'accentuant lorsque le Magmar évita la queue du Dracolosse qui manqua de le percuter d'un cheveu. Vésuve avait roulé dans le sable, tout près des pattes du dragon, et faillit se faire piétiner : un pied massif bougea, s'abattant là où il se tenait il y a quelques instants. Finalement il ressortit dans le dos du grand Pokémon, voulut se retourner...

Il lui manqua quelques secondes pour y parvenir.

Le deuxième coup de queue lui faucha les jambes, l'expédiant tête la première dans le sable. Il hésita à se relever, et je m'inquiétai car la violence du coup aurait très bien pu lui briser les reins. Non, il se redressait finalement... Je soufflai, essuyant mes mains pleines de sueur sur mon pantalon. On aurait pu penser qu'au bout de trois matches de ce genre, je serais habituée au suspens et au fait d'avoir peur pour mes Pokémon, mais non, mes nerfs étaient à vifs chaque seconde de chaque duel même si je m'efforçais de le cacher. Voire de le nier par rapport à moi-même. Heureusement qu'il y avait des moments de confiance pour contre-balancer cet aspect éprouvant.

Ce fut justement un sentiment de confiance, sinon de satisfaction, qui pointa le bout de son nez lorsque je m'aperçus que le contact du Magmar avait enflammé le ventre du Dracolosse, le parsemant de braises qui rougeoyaient contre le blanc mat de sa peau. Le dragon gronda, donnant quelques brusques coups d'ailes pour tenter de les déloger, mais si quelques-unes partirent, la plupart demeurèrent en place, assurant un désagrément durable au dragon. Il évacua sa rage en partant à l'assaut de Vésuve, lui jetant une série de torsades brûlantes à la tête, ce qui fit hurler le Magmar. Il se griffa le visage tout en se roulant dans le sable, l'air ébahi que des flammes puissent lui causer tant de souffrance. Je l'avais prévenu avant le combat, lui expliquant qu'elles étaient de nature draconique et qu'il devrait faire son maximum pour les éviter, mais je crois qu'il n'avait pas vraiment compris jusque là. Ce devait être difficile à accepter pour un Pokémon, se faire blesser par quelque chose qui semblait à première vue de leur type...

La Colère avait sérieusement amoché Vésuve, il tenait encore debout mais ses jambes tremblaient, et son bec ouvert en grand indiquait son besoin d'inspirer de grandes goulées d'air. Je croisai son regard, y lut la même force de volonté que dans celui de Teigne.

Non mon grand, c'est fini de prendre des risques.

Je brandis sa Pokéball, le rayon rouge surgit...

... et ne frappa que le sable.

Vésuve avait bondi, ré-attaquant par un Psyko, les vagues psy troublant l'espace qui le séparait du Dracolosse.

Mais qu'est-ce qu'il fabrique ?!


- On dirait bien que Vésuve vient de désobéir à sa dresseuse ! Voilà qui est dangereux mes amis, le Magmar va-t-il en payer le prix ?

Tumulte parmi la foule...

Le Pokémon dragon ouvrit la gueule, prêt à rôtir son adversaire...

Je brandis la ball tout en hurlant :

- Vésuve fais pas le con !

Cette fois-ci, la lumière rouge l'aspira, laissant le Dracolosse seul sur le terrain. Je fixai la Pokéball d'un air sévère, espérant que le Magmar comprenait que ce qu'il venait de faire n'était pas acceptable. Pas acceptable parce que ça l'avait mis en danger, parce que ça me rappelait trop Teigne et que je ne voulais plus revivre ça.

- Va falloir qu'on parle, grondai-je à la Pokéball avant de la replacer à ma ceinture.

Je me saisis ensuite de celle de Pleind'Soupe. Lui allait pouvoir tenir face au Dracolosse. Une aura dorée accompagna son retour sur le terrain : j'avais réclamé ma Guérison restante en libérant le Ronflex. Son ronflement se stoppa et il s'assit, se grattant la tête ; le Dracolosse, lui, plissa le museau et lâcha une petite gerbe de flammes violettes. Je crus que cela préfigurait une attaque de plus grande ampleur, vis que je me trompais la seconde d'après : le feu s'éteignit, le dragon s'élevant de quelques mètres dans les airs pour retomber lourdement ensuite et se mettre à frapper le sable de ses pattes. Il n'avait plus trop l'air de savoir ce qu'il faisait...

Autant en profiter.

Pleind'Soupe l'avait compris lui aussi, et il commença à se concentrer, les vents se levant dans les parages du Dracolosse. Une bourrasque soudaine fit vaciller le dragon, ce qui sembla le sortir de son état de confusion. Il répliqua au Blizzard en formation par un crachat puissant de flammes. L'éclat de l'attaque sema des étincelles d'ambres qui furent rapidement anéanties par la neige, la tourmente gagnait en puissance et affaiblissait le souffle de feu du dragon. Une partie réussit tout de même à échapper à la tempête, touchant Pleind'soupe et lui cramant les poils du ventre. Le Ronflex se vengea en augmentant l'intensité de son Blizzard, qui dura une minute entière tandis que l'orangé caractéristique du Dracolosse s'effaçait, vaincu par le blanc des flocons.

Et puis le vent cessa de hurler, les bourrasques neigeuses retombèrent, et la silhouette du Pokémon dragon redevint entièrement visible. Non plus verticale, mais horizontale : le déchaînement de glace avait eu raison du Dracolosse. Enfin !

Super, Pleind'Soupe. Plus que les deux Draco et tu pourras aller ronfler autant que tu veux.


- Magnifique KO cher amis ! Je ne sais pas pour vous mais je sens que le duel tourne à l'avantage de notre Léa... Est-ce le destin qui s'acharne à réunir nos deux tourtereaux du Bourg Palette ?

Aaaaaargh.

Je me cachai la tête dans les mains un instant tandis que les gradins crépitaient d'applaudissements, relevant ensuite les yeux pour fixer le nouvel adversaire de Pleind'Soupe. Le Draco était dressé dans le sable, à moitié enroulé sur lui-même, les écailles de son dos bleu jetant des éclats de lumière alors qu'il oscillait d'avant en arrière - une espèce de danse qui devenait presque hypnotique si on le fixait pendant trop longtemps. Les ailettes de chaque côté de sa tête frémirent soudain, son museau rond se retroussa et il ouvrit la gueule, mais ce ne fut pas une attaque qui en jaillit contrairement à ce que j'avais anticipé. Juste un mur doré, semblable à celui que son congénère évolué avait invoqué un peu plus tôt : la paroi émit quelques scintillements en se dressant devant lui.

Du côté de Pleind'Soupe, un nouveau Blizzard se levait. Il l'avait centré exactement sur le Draco, et ce dernier se trouva pris en pleine tempête, la neige l'ensevelissant malgré ses efforts pour se dégager. Il tenta de s'envoler, repoussant les flocons qui lui arrivaient en pleine figure, tendant son corps au maximum ; une rafale diagonale le ré-expédia au sol sans ménagement. Une autre de face plaqua ses ailettes contre sa tête, les plumes blanches se tordant sous le coup, l'une d'elles se détacha et se perdit dans le blizzard. J'entrevis les crocs du Draco comme il ouvrait la gueule, puis la caméra le perdit de vue.

Quelques secondes passèrent, rythmées par le rugissement du vent, jusqu'à ce qu'un grondement le surpasse et qu'une forme floue surgisse du nuage de neige en un mouvement foudroyant empreint d'une grâce infinie. Le serpent fila à travers les airs, créant un brasier devant lui avant de percuter Pleind'Soupe. Flamboiement de méandres en fusion qui laissèrent la fourrure du Ronflex complètement calcinée. Le gros Pokémon se leva alors, et profita de ce que l'adversaire soit à portée pour le saisir d'une main, l'interceptant, puis lui tomber dessus de tout son poids.

BLAM !


La terre trembla, le sable tressauta en formant des petites vagues. État du Draco quand le Ronflex se releva : mode crêpe. Pas mort cependant, mais probablement pas loin.

Plus qu'un.

Un dernier adversaire qui démarra le round de la façon la plus brutale qui puisse être : le trait lumineux de l'Ultralaser trancha l'air, ouvrant un fossé dans le sable alors qu'il rasait le sol. Des particules s'envolèrent dans le sillage du rayon, le dotant d'une queue telle une comète, puis il s'écrasa sur Pleind'Soupe, arrosant le Ronflex de sable alors que le faisceau frappait son pied. L'endroit où se tenait le gros Pokémon se teinta de rouge ; une vision inquiétante, mais ça devait venir de la peau arrachée, le pied en question avait l'air de fonctionner encore. Le Ronflex s'appuya d'ailleurs dessus en se dirigeant vers le Draco, boitant un peu tout de même. Il allait vite, mais faisait bien entendu figure d'escargot face aux vitesses dont était capable le serpent, et il n'aurait jamais pu l'atteindre et lui balancer un coup de son pied valide si le Pokémon de Peter n'avait pas été épuisé par l'attaque qu'il venait de produire. En l'occurrence, Pleind'Soupe shoota dans le serpent, l'envoyant contre le mur, puis l'écrabouilla davantage en lui rebondissant dessus.

Mais le Draco n'avait pas dit son dernier mot : il répliqua d'un souffle de feu, incendiant le ventre du Ronflex qui avait déjà été rudement malmené. Sa fourrure autrefois couleur crème n'était plus qu'un mélange noir-marron couplé à des reflets de sang ; je grimaçai à chaque fois que la caméra faisait des gros plans dessus dans une tentative de cataloguer les blessures respectives des deux Pokémon. Pleind'soupe lui ne paraissait pas trop incommodé, il leva le regard vers moi pendant que le Draco terminait de cracher son jet de flammes. Je hochai la tête. Une fois de plus, le ventre du Ronflex vint cogner le serpent, le plaquant violemment contre le mur. Il y laissa une traînée sanglante, s'écroulant ensuite dans le sable, paraissant avoir perdu connaissance.

Je retins une inspiration, espérant que c'était bon, que c'était fini...

Le Draco ne bougeait plus, et Peter le rappela au bout d'une longue minute d'attente. La foule explosant tout à coup, célébrant ma victoire à grand renfort de cris et d'applaudissements.

- C'est pour toi, Teigne, murmurai-je.

- Quel KO soudain ! s'exclama le commentateur. Peter n'a même pas eu le temps de demander sa deuxième Guérison ! Ce fut un match de folie et c'est Léa qui l'emporte ! Mesdames et messieurs, vous savez ce que ça signifie : nous avons une prétendante au titre de champion !

Ovation de la foule en délire. Les gens se levèrent, applaudissant à tout rompre, certains tambourinant sur leurs sièges, d'autres hurlant mon prénom qui finit par être repris par l'ensemble du public. Je les saluai en souriant, la joie d'avoir triomphé inondant mes veines. Un pas de plus vers mon but.

Prochaine étape : Zack.

Cette pensée était solide, de même que mes convictions, mais en réalité je m'aventurais en terrain inconnu. Déjà Zack, et notre match que j'anticipais sûrement tout autant que lui. L'aboutissement de deux mois de rivalité et le verdict final de notre quête : qui était le meilleur dresseur ? Sans compter l'autre dimension, celle plus sentimentale. Oui, je l'avouais, il y avait quelque chose. Malgré moi, malgré ce jeu buggué. Zack, donc. Compliqué.

Et puis ensuite, Mewtwo, et là, incertitude totale. Quand, comment, où ? Les réponses à ces questions-là se trouvaient chez mon frère. Aucune envie de le revoir. Je n'aimais pas ce que je devenais quand je le côtoyais. Mais lui seul savait où se cachait le Pokémon qu'il me fallait vaincre pour rentrer chez moi, ce qui faisait de Vivian une étape obligatoire - malheureusement pour moi. Peut-être que Claire accepterait de venir avec moi ? Ou alors Zack si...

Je coupai ma pensée.

Plus tard.


Ma plate-forme avait commencé à s'abaisser, j'attendis qu'elle se clique au niveau du sol pour en descendre. De façon prévisible, je fus alors assaillie par le reporter. La foule se déchaînait toujours et il y eut un regain dans la force des clameurs lorsque mon visage apparut sur les écrans géants, si bien que le mec dût répéter sa question par trois fois avant que je ne la comprenne enfin.

- Léa, votre victoire face à Peter signifie que vous allez affrontez le champion récemment couronné. Comment vous sentez-vous ?

Je regardai droit dans l'objectif de la caméra. Ma réponse tenait en un seul mot et je le jetai comme un défi à Zack, qui, j'en étais certaine, avait suivi le match dans ses moindres détails :

- Prête.

***

- Et voilà. Plus qu'un combat et on y sera, déclare la Chieuse d'un ton satisfait.

- On y sera quoi ? je demande tout en fouillant l'espace blanc du regard, cherchant l'origine de la voix même si je sais que ça ne sert à rien.

- Face à Mewtwo, évidemment. Le but ultime du jeu, la cible sur laquelle tu devras concentrer toute ton attention.

- Pour faire quoi ? Le tuer ?

Petit rire de sa part.

- Tu es bien sanguinaire, très chère. Non, il te faudra le capturer, ce qui s'annonce bien plus difficile, crois-moi.

- Et ensuite je sors du jeu ?

- Pas exactement.

La Chieuse semble prendre un malin plaisir à me contredire.

- Alors comment je reviens à la réalité ? je demande, essayant de contenir mon énervement.

- Léa, Léa, Léa... Le veux-tu vraiment, au fond ?

- Oui !

Bon, c'est raté. Toute ma frustration vient de s'exprimer à travers ce mot.

- Non, réplique la Chieuse.

- Je sais quand même ce que je veux mieux que toi ! je lui balance à la figure.

- Sur quoi te bases-tu pour affirmer ça ?

Cette fois, c'est moi qui ricane.

- Comment dire... ? je m'amuse d'une voix acerbe. Je suis moi, je suis donc un tout petit peu la mieux placée pour savoir ce que je ressens.

- Et que suis-je alors ? demande la Chieuse.

- Une conne ? je suggère.

Un soupir se répand dans l'espace blanc.

- Bon dieu, ce que j'étais lente à la détente quand j'étais ado...

La brume se dévoile, une silhouette se dessine, et là... Je me retrouve face à moi-même. Sauf que non. Les traits de mon double sont subtilement différents. Plus âgés, je réalise.

- Tu...

- Vingt-six ans, répond l'autre moi, anticipant ma question non formulée avec une aisance déconcertante - mais rien de plus logique si elle est bien moi.

- Dix ans dans le futur ? Comment c'est possible ? je m'étrangle.

Heureusement qu'on ne peut pas s'évanouir de stupeur en rêve, parce qu'autrement je serais en train de faire une syncope.

- Ce n'est pas du voyage dans le temps. Enfin, pas exactement. Tout repose sur le fait que nous soyons la même personne. Appelons ça un petit tour psychique pour simplifier.

- Et depuis le début, c'est à toi que j'ai affaire ? Depuis le premier rêve, celui après la mort de Ficelle ?

- Depuis le début, confirme-t-elle.

- Pourquoi ? Pourquoi venir me visiter en rêve comme ça ?

- N'est-ce pas évident ? Je viens pour t'aider, Léa.

Un rire amer me secoue.

- Ah oui, me pousser à être une grosse connasse sans cœur, c'est de l'aide de qualité.

- Allons, allons. Prends un peu de recul. Tu ne t'en es pas aperçu, mais nos conversations t'ont clarifié l'esprit et t'ont aidé pour les décisions difficiles.

- Mais non ! je rétorque, commençant à saturer. T'as beau être moi, je suis pas d'accord avec toi. Rien de tout ce que tu m'as dit n'a été utile.

- Réfléchis. Réfléchis et rappelle-toi. Lorsque tu as débarqué dans ce monde, tu voulais à tout prix éviter de perdre tes petits monstres chéris. Et puis au fur et à mesure que tu avançais, ça a changé, et lorsque ça a été le tour de Princesse, tu as reconnu toi-même la nécessité de donner un sens à la mort de tes Pokémon. À présent tu justifies ça au nom de ta quête... comme tu l'as fait pour Teigne récemment.

Je n'ai rien à lui rétorquer, alors je reste silencieuse. Elle a raison, j'ai changé. En mauvais.

La Chieuse finit par reprendre au bout d'une longue minute :

- Tu prétends être différente de moi, mais tu me commences déjà à me ressembler par bien des aspects. Laisser mourir Teigne, tu crois que la Léa d'il y a deux mois aurait fait ça ? Ou même d'il y a un mois ? Non, tu t'es endurcie depuis. Et ça va continuer. Mais ne t'inquiète pas, ce sera une transformation lente, graduelle. Tu ne vas pas te réveiller un matin en pensant tout à coup "J'ai pris la bonne décision en choisissant de ne pas abdiquer face à Agatha". Non, tu ne verras pas les changements se produire, et un jour, tu seras moi. Aussi simplement que ça.

- Non, je souffle en réponse.

La Chieuse me sourit, un sourire qui dit que si. Qu'elle sait tout mieux que moi parce qu'elle est moi, et plus que moi.

- Tu es si proche du but, ma chère moi-du-passé. Tout ce qu'il te reste à faire, c'est d'aller capturer Mewtwo, et ensuite, tu auras tout le pouvoir que tu désires, tout le pouvoir au monde.

La dernière partie de sa phrases est si inattendue que je mets quelques secondes avant d'en saisir pleinement le sens.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu devrais très bien savoir que rester dans un faux monde buggué ne m'intéresse pas - peu importe que j'y sois la personne la plus puissante ou pas.

- Et si je te disais que ce n'est pas juste un programme ? Pas juste une cartouche ? avance la Chieuse.

- Vivian m'aurait menti ? je demande, sceptique.

- Notre frère adoré n'a jamais compris la vraie nature de la cartouche. Le pauvre...

- Et je dois te croire sur parole je suppose ?

Elle me dévisage posément.

- Ça dépend, à qui tu fais le plus confiance, ton frère ou toi-même ?

La question frappe fort. Dans le silence qui s'installe, la réponse se dessine, évidente. L'autre moi sourit.

- Tu seras confrontée à un choix : rester ou retourner dans ton monde, révèle-t-elle. Si tu restes, tu deviens moi.

- C'est gentil de tout m'expliquer, je réplique. Du coup je vais décider de partir, parce que pas question que je me change en psychopathe.

- Je te le dis parce que je sais quel choix tu feras. Celui-là même que j'ai fait lorsque j'étais à ta place. Le futur a déjà eu lieu, Léa. Il est là, sous tes yeux.

Elle se désigne d'un geste. Je gronde.

- Je le changerai. Je t'effacerai.

Elle se met à rire, et je reconnais une vraie manifestation de joie et non une moquerie à mon encontre. Apparemment, ce que je viens de dire est hilarant.

- Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?

- Je me rappelle avoir affirmé la même chose lorsque j'étais toi. Mais tu verras, tu comprendras. À dans dix ans, Léa... ou plutôt, à très bientôt.


***

Non.

Tout simplement, non.

Ce fut la première pensée qui m'habita à mon réveil. Je repoussai les couvertures, plaçai mes pieds nus sur la moquette, et fis reposer ma tête entre mes mains. Inspirant et expirant profondément. Tentant d'analyser le rêve qui, déjà, s'effilochait - les détails, du moins, car le point central, lui, restait clair.

La Chieuse.

Moi dans le futur.

Non, je n'allai pas devenir ça. Pas question. Peu importait que la cartouche ne soit finalement pas qu'une cartouche, j'allai changer mon destin, coûte que coûte.

Oui, mais comment ?
m'interrogeai-je.

La Chieuse était sans pitié, pragmatique au point d'en devenir blasée, et elle était d'avis que la fin justifiait les moyens. Il fallait donc que je sois exactement le contraire. Ainsi, si dans le duel à venir contre Zack le cas de Teigne se répétait, cette fois-ci, j'abdiquerai. Sauver mes Pokémon passait avant la victoire. Je hochai la tête, ma résolution renouvelée. Et en parlant de mes Pokémon, il y avait autre chose qu'il fallait que je fasse.

Je me levai, m'habillai, puis sortis dans le jardin de la résidence, m'étirant face au soleil levant. Mes jambes me grattaient, ce qui me tira une grimace ; je mis de côté mes petits problèmes physiques pour libérer ma troupe de monstres. Ils devaient encore dormir à cette heure relativement matinale, et c'est donc cinq Pokémon pas très alertes qui firent leur apparition sur l'herbe.

- Florizarre ? s'étonna Salade, tandis que les autres me fixaient d'un air ensommeillé.

Un ronflement s'éleva avant que je n'ai eu le temps de formuler une réponse : Pleind'Soupe avait décidé de continuer sa nuit.

- Tu peux le réveiller s'il te plaît Salade ? J'ai quelque chose d'important à vous dire et j'aimerais que vous l'entendiez tous.

- Mag ? commenta Vésuve, la flamme de sa queue prenant un peu de vigueur.

- Léviator, gronda Plouf, ce qui devait signifier "un peu de patience".

C'était mes chevilles qui me démangeaient à présent. Je levai un pied pour me gratter l'une, puis inversai pour l'autre. Pendant ce temps, mon mastodonte vert avait entrepris de chatouiller le Ronflex de ses lianes, et cela finit par le faire sortir de sa torpeur. Il s'assit lourdement, me dévisageant tout en clignant ses petits yeux.

- Ronflex ?

Je regardai mes cinq Pokémon à tour de rôle, puis me lançai :

- Je vous cache un truc depuis longtemps... depuis le début en fait. Et quand vous l'apprendrez ça risque de changer votre regard sur moi, mais je veux être honnête avec vous, alors voilà. Je vais tout vous dire.

Silence. J'étais la cible de cinq regards attentifs.

- Je... je viens d'un autre monde. Un monde où celui-là, le vôtre, est considéré comme un jeu. Un divertissement inventé où on joue à être un dresseur, on capture des Pokémon et puis on fait des combats... mais ça reste virtuel. Je ne sais pas comment ni pourquoi, en voulant jouer à ce jeu, je me suis retrouvée avec vous, ici. J'en suis très heureuse, par certains aspects, parce que ça m'a permis de vous rencontrer et de vivre des tas d'aventures en votre compagnie, mais... il n'empêche que la vie dans mon monde à moi me manque. Et c'est la seule raison pour laquelle je fais le challenge de la Ligue : parce que je veux rentrer chez moi.

Je me tus, attendant le verdict. Mes Pokémon affichaient pour la plupart une expression d'incompréhension. Seuls Fulgure et Salade faisaient exception : la mine de l'oiseau demeurait neutre tandis que le Florizarre arborait un air d'intense concentration. À vrai dire, c'était l'avis du mastodonte vert que je redoutais le plus, aussi le sollicitai-je en premier.

- Salade ? Qu'est-ce que t'en penses ?

- Zarre ? fit-il d'une voix incertaine.

Il ne regardait pas du tout dans ma direction mais semblait fixer un point lointain sur ma droite. Je tournai la tête, cherchant à apercevoir ce qui l'intéressait tant. Il n'y avait qu'un Hypnomade qui devait appartenir à un autre dresseur, occupé à méditer j'avais l'impression. Je ne voyais pas en quoi c'était plus important que la révélation que je venais de faire.

- Zarre, zarre, Florizarre ! déclara soudain Salade.

Il devait avoir dit quelque chose d'urgent ou de surprenant parce que les autres réagirent tous assez violemment. La flamme caudale de Vésuve tripla de volume, Plouf se dressa de tout son long en lâchant un rugissement, Fulgure fit gonfler ses plumes en rejetant la tête en arrière, et même Pleind'Soupe se balança tout à coup d'avant en arrière. Salade venait-il de leur expliquer ma situation ?

- Alors, ça ne change rien ? demandai-je, craignant qu'ils ne me rejettent en tant que dresseuse.

- Florizarre ! continua mon tout premier Pokémon, les yeux brillants d'excitation. Flori, Florizarre !

- Tu es content ? déchiffrai-je, plutôt étonnée. Euh, bon, je ne m'attendais pas trop à ça, mais ça me va...

Mon cuir chevelu me tirailla brusquement, je passai une main derrière ma tête par réflexe, sans rien trouver. Le picotement désagréable cessa un instant plus tard. Étrange. Je n'eus pas le temps d'y réfléchir davantage ; Salade venait de s'écarter du groupe pour se placer devant la fenêtre.

- Salade ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Il envoya une liane à l'intérieur de la chambre. Je le regardai faire, interdite. Qu'est-ce qu'il fabriquait ? J'obtins la réponse lorsqu'il revint vers nous et qu'il me tendit un objet dont je ne pensais pas me resservir un jour.

- Florizarre, déclara doucement le grand Pokémon, agitant sa liane.

Les mains tremblantes, je m'emparai du Scope Sylphe. Enfilai les lunettes. Les ajustai. Baissai le regard.

Au centre du cercle formé par mes Pokémon, baigné par un rayon de soleil de circonstance, se tenait un fantôme.

Teigne.

***

Maintenant, allez relire le chapitre en prêtant attention à toutes les fois où Léa a une partie du corps qui la démange, qui la chatouille ou la tiraille... C'était Teigne qui essayait d'attirer son attention en la punchant. xD

Et l'identité de la Chieuse est donc dévoilée. Bravo à ceux qui avaient deviné. ^^




Équipe actuelle :
SaladePloufPleind'SoupeFulgureVésuve

Cimetière :
FicelleTouffuSourisPoiluePoilu
PrincesseGrignotteTeigne