Bienvenue à Lavanville de Xabab

L'ombre s'écarta et enleva sa main du front de Dan. De ses yeux livides il regarda au fond de ceux de l'ancien militaire, ce dernier n'y vit que de la tristesse.
« Mon souvenir… Ma peine, celle qui m'a détruit… »
Dan ne parvint pas à répondre. Il était déjà trop étonné de ce qui venait de lui arriver et ému de ce que lui avait montré cette âme en peine.

Le vieil homme n'avait pas l'habitude de ressentir de telles émotions. La compassion et la peine étaient deux choses qu'il avait appris à chasser de sa vie à grands coups de talon des années plus tôt. Mais elles revenaient à la charge sur les bords de ce fleuve, imprégnant son corps tel la nuit sur le monde une fois le crépuscule à son terme. Son cœur battait en voyant le regard de cet homme, de ce mort perdu entre deux mondes dont la vie avait été piétinée dès l'enfance.
« Randy ? lui demanda-t-il alors qu'il faisait un pas en arrière. »
Le défunt hocha sa tête livide et un scintillement sembla apparaître au coin de son œil.

Á peine avait-il franchit la porte située derrière Cerbère que cette ombre s'était avancée vers lui et avait posé sa main sur son visage. Il lui avait ainsi montré ses souvenirs, une vieille image de lui et d'un ami, une après-midi tragique entre gamins sur les eaux d'un lac.
« Vous n'avez pas à vous en faire pour tout cela, lui lança ensuite Dan en réponse à son silence, ce n'était pas de votre faute.
– Laissez-le ! Suivez-moi ! »

Jack venait d'interrompre son entretien avec le fantôme. Le petit homme attendait depuis une dizaine de minutes un peu plus loin sur la rive, sa lanterne pendant au bout de ses gros doigts potelés.
« Deux minutes encore ?
– Non, refusa-t-il, le maître veut vous voir tout de suite et la barque ne va pas tarder. »
Il marqua une pause.
« Elle est là. »

Dan se retourna vers le fleuve qui coulait devant lui et le remonta des yeux. Au fond du canal dans lequel s'écoulait des eaux verdâtres. Une barque avançait lentement dans l'obscurité qui n'était percée que par la lanterne de Jack et celle qui se trouvait à l'avant du véhicule, pendu au bout d'un vieux bâton. Un homme se dressait au milieu du navire, se tenant droit sur la coque de noix qu'il faisait avancer au moyen d'une unique rame.
Il était seul et l'ancien militaire se demandait s'il était possible de monter à plusieurs de toute manière.

« Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il à Jack qui lui répondit seulement à l'aide de son grand sourire édenté. »
Sachant qu'il n'aurait pas de réponse de sa part, le vieil homme détourna son attention et tenta de retrouver le regard du fantôme auquel il était en train de parler juste avant ; sans succès. Ce dernier avait disparu dans l'ombre, le laissant seul avec le vieux croquemort qui lui servait de guide.

Il chercha autour de lui d'autres spectres de ce genre mais n'en trouva aucun, ce qui lui sembla plus qu'étrange dans un lieu censé les accueillir en masse. Alors qu'il cherchait une trace de ces êtres, le vieil homme sentit qu'on lui tirait sur la manche. Il se retourna pour découvrir le doigt tendu de Jack, désignant les eaux verdâtres du fleuve.
« Dans le Styx. »

Intrigué par ce qu'il lui montrait Dan s'avança un peu vers le bord, sans pour autant se mettre en danger, il n'avait aucune confiance en l'homme qui se tenait dans son dos. Et, plongeant son regard dans ce qu'il pensait être de l'eau, le vieil homme n'y vit finalement qu'un flot d'âmes en peine.
Pokemons comme humains nageaient dans des courants qu'eux-mêmes composaient. Ils étaient le fleuve, le Styx, portail des enfers et seul moyen de s'y rendre. L'humanité défilait sous les yeux de Dan et le monde des morts débutait ici.

Mais alors qu'il pensait cela il se retourna vers Jack, interrogatif.
« Pourquoi Randy n'était pas avec eux ? »
Le boiteux continua de sourire en se moquant de lui, ou du fantôme, il n'en savait rien. Tout ce qu'ils voyaient en ces lieux semblait l'amuser grandement.
« Il ne trouva pas le sommeil donc il ne peut pas rentrer. Il n'est pas le seul à arpenter les rives de ce fleuve. »
Disant cela il désigna encore du bout de son doigt d'autres spectres sur la rive d'en face, certains qui survolaient les eaux ou même qui semblaient suivre la barque qui venait de s'arrêter devant eux.

L'homme à son bord les regarda tour à tour et Dan parvint à l'observer de plus près. Ses cheveux roux en bataille tombaient sur son visage endormi tandis que son corps frêle soutenait avec peine la rame de son véhicule.
« Je ne prends pas les vivants Jack, aboya-t-il. Tu ne montes pas et il ne monte pas.
– Il monte, ordre du maître, se contenta de répondre fermement le boiteux.
– Impossible. Il faut que…
– Il monte. »

La voix venant du fond du canot avait tranché. Dan ne parvenait pas à voir la personne qui venait de donner ses ordres mais il arriva aisément à le reconnaître pour lui avoir parlé quelques heures auparavant ; Marc Saul se trouvait dans le fond de cette barque.
Le conducteur de la barque semblait réticent mais il n'ajouta rien, se contentant de saisir en plein vol la pièce lancée par Jack.
« Espèce de vieil avare, pesta ce dernier en remettant sa bourse dans sa poche. Monte, reprit-il ensuite envers Dan qui s'exécuta. »

Il posa le pied sur le bois sec de l'embarcation qui craqua sous ses pieds tandis que le passeur lui montrait l'endroit où il devait s'asseoir, juste à côté de Marc Saul. Pendant ce temps son guide boiteux s'en retournait sur ses pas, ce qui n'était pas sans lui déplaire.

Alors que la barque repartait lentement sur le fleuve d'âme, poussé par la faible impulsion du passeur, Dan se retournait vers celui qui l'avait attiré ici, une question en tête.
« Ce qu'il a dit, demanda-t-il en pointant du menton l'homme à l'avant de la barque, que les vivants ne peuvent passer… Enfin c'est… »
Marc Saul l'interrompit d'un signe de la main afin de répondre : « Oui, vous êtes ce que l'on pourrait appeler une exception. »
Dan replongea dans le silence pour l'espace d'un instant.
« Mais alors vous…
– Évidemment. Je suis déjà mort. »