Entre infini et au-delà de Cyrlight

Serais-tu là ? - Mylène Farmer


L'aube poignait depuis un bon moment déjà lorsqu'ils se posèrent devant l'Arène d'Ebénelle. Bien que ce ne soit encore l'automne, de fins flocons de neige tombaient sur la ville. Il ne faisait cependant pas assez froid pour qu'ils tiennent au sol.

Sven mit pied à terre en premier et vint aider Cassy à descendre le corps de Yohanna du dos de Togekiss. Ce fut lui qui la porta en direction de la porte vers laquelle la jeune femme marchait d'un pas décidé. Celle-ci s'ouvrit à la volée avant même qu'elle ne l'ait atteinte.

- Tu as trouvé ce que tu cherchais ? demanda aussitôt Léa. Pourquoi ne nous as-tu pas averties de ton retour ? Eh ! Qu'est-ce qu'il fait là, lui ?

Sa voix changea brusquement de ton lorsque son regard se posa sur l'espion. Il resta parfaitement stoïque, raffermissant sa prise sur les épaules de la religieuse qui glissait légèrement, pendant que l'adolescente portait une main à ses pokéballs. Son amie la retint toutefois par le poignet.

- Holà, on se calme, d'accord ? Personne n'attaque personne, c'est clair ? Pour le moment, nous sommes en quelque sorte sous la couleur d'un drapeau blanc. Sven, approche.

Il acquiesça d'un signe de tête et parcourut la distance restante. A contrecoeur, la porteuse du glyphe plante s'écarta pour le laisser passer. La dracologue, qui patientait dans le couloir, fronça les sourcils en le voyant, mais ne prononça pas un mot, contrairement à Tina :

- Cynthia va être furieuse si elle sait qu'il a mit les pieds ici ! Et la fille, qui est-ce ?
- Une connaissance. Ecoutez, je comprends que cette histoire peut vous sembler suspecte, mais elle est blessée et nous devons la soigner au plus vite. Je vous promets de tout vous expliquer lorsque nous en aurons fini avec elle. Monte-la à l'étage, s'il te plaît. Deuxième porte à gauche, ce sont mes appartements. Léa, va chercher tes gants de combat. J'espère pour toi qu'ils sont chargés. Sandra, est-ce que vous auriez de l'alcool fort ? Il va lui falloir un remontant très puissant. Tina, tu viens avec moi, tu vas m'assister pour tout cela.

Chacune s'éloigna dans une direction différente, à l'exception du trio qui monta à l'étage. Cassy déverrouilla sa porte afin de permettre à l'espion de pénétrer à l'intérieur de sa chambre. Il étendit le corps blafard de Yohanna sur le lit, par-dessus les couvertures, et ramena ses bras le long de son buste.

- Prends son pouls, ordonna la jeune femme à sa consoeur pendant qu'elle partait se laver les mains.
- Il est très faible.
- Sven... Tu veux bien sortir un moment ? Nous allons devoir la déshabiller.
- Parce que tu crois vraiment que je n'ai jamais vu personne de nu ?

La rouquine lui adressa un air choqué et la dresseuse le fusilla du regard. Comme elle pointa le couloir d'un doigt violent, il n'eut d'autre choix que de s'incliner. Elle installa une chaise à côté du lit afin de poser les vêtements de la religieuse, puis entreprit de lui ôter sa longue robe blanche.

La fermeture éclair se trouvant dans son dos, elle n'y parvint pas. Il lui fallut faire appel à l'aide de Tina, qui la fit glisser pendant que son amie soulevait légèrement son dos du matelas. Elle s'arrangea ensuite pour la faire descendre jusqu'à ses jambes sans trop la secouer. La blessée se retrouva allongée en sous-vêtements.

Son flanc écarlate contrastait avec son teint de porcelaine. Malgré le cataplasme appliqué par Circé, le sang avait imbibé le tissu de son habit et ruisselé le long de sa cuisse. Cassy demanda à son assistante d'aller chercher un gant de toilette ainsi qu'une bassine d'eau pour la nettoyer. Elle devait enlever ces fioritures pour voir l'aspect que prenaient à présent les plaies.

Sandra arriva la première, une petite bouteille de whisky à la main. Elle était un peu ancienne, mais cela suffirait. Elle la déposa sur la table de nuit et sortit presque aussitôt, comprenant que sa présence n'aurait servi à rien.

Léa ne tarda pas à la rejoindre à son tour, armée de ses gants et d'une bourse en cuir que la jeune femme n'avait jamais vu auparavant. Lorsqu'elle l'interrogea à ce sujet, elle se contenta de répondre :

- C'est un nécessaire à poison. Circé pense qu'il est toujours utile d'en avoir un avec soi. Il contient les plantes nécessaires à la composition de diverses préparations. Je risque de m'en servir si mon don ne fonctionne pas.

Tin revint de la salle de bain avec une cuvette dans les bras. Elle renversa la quasiment la moitié de l'eau moussue sur la moquette en tentant de se dépêcher, mais la dresseuse ne la réprima même pas. Après tout, elle faisait de son mieux, et les circonstances n'étaient pas adéquates.

Elle trempa l'extrémité du tissu spongieux sans le liquide tiède puis l'appliqua sur la hanche de la victime. Il ne tarda pas à devenir verdâtre à cause de la mixture étalée par Circé. Elle l'essora fermement, puis descendit jusqu'à sa cuisse ensanglantée, un peu gênée par ce geste qu'elle jugeait inconvenant.

Les deux adolescentes esquissèrent un mouvement de recul lorsque la blessure devint parfaitement visible. Il fallait avouer que son aspect était répugnant. Un liquide noirâtre semblait suinter des trous béants creusés par les crocs acérés du Gijinka. Tout autour, la chair paraissait se liquéfier, comme ravagée par de l'acide.

- Nom d'un Caninos... Qu'est-ce qui a pu causé une abomination pareille ?
- De quoi s'agit-il, Cassy ? On dirait... une morsure.
- C'est parce que c'en est bien une. A Sinnoh, nous avons été attaquées par un Grahyéna-garou. J'ai réussi à le tenir en respect, mais elle n'avait aucun moyen de défense, alors il est parvenu à l'atteindre et je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher.
- Tu ne nous avais jamais parlé d'elle, jusqu'à présent. D'où connais-tu cette fille ? interrogea Tina pendant que leur consoeur soignante examinait la plaie.
- Elle est religieuse. Un jour, il pleuvait des cordes et je me suis mise à l'abri dans la cathédrale d'Unionpolis. Elle était là. Depuis lors, je ne l'ai revue qu'à quelques reprises, mais je ne pouvais pas la laisser en danger.
- Comment vous en êtes-vous tirées ?
- Ahem... Artémis, Lilith et Circé sont arrivées à temps pour nous sauver, et Sven se trouvait avec elles. Heureusement, d'ailleurs, parce qu'un deuxième monstre a fait son apparition quand nous tentions de fuir. Alors, Léa, qu'en penses-tu ?
- C'est Circé qui a fait le cataplasme ?
- Oui. Elle l'a aussi obligée à ingérer une quantité impressionnante d'aconit.
- Le tue-loup. Je vois... Elle a réussi à contenir les effets de la transformation, cependant elle reste encore contaminée. Il faut purifier son sang. Le mieux serait une série de transfusion, sauf que nous n'en avons ni le temps, ni les moyens. Tina, va chercher un couteau dans la cuisine, je vais devoir lui faire une saignée.
- Elle a déjà fait une hémorragie, coupa Cassy d'un ton sans appel. Si tu continues, cela pourrait la tuer.
- Je n'ai pas le choix, il faut évacuer le venin. Je savais que toute cette histoire de créature diabolique n'était pas une bonne chose. Tu n'aurais jamais dû écouter Lilith.
- Tu ne vas pas t'y mettre toi non plus ! Elle nous a sauvé la vie.
- Sans elle et ses Gijinkas de malheur, ton amie ne serait peut-être pas allongée là en danger de mort.
- Elle ne pensait pas qu'ils pourraient un jour se retourner contre elle. Léa, si tu es venue uniquement pour me juger, dis-le, dans ce cas je me débrouillerai.
- Non. Excuse-moi. C'est juste que... Cela me fait peur.
- A elle aussi. Elle ne comprend pas ce qui se passe et elle semble vraiment inquiète. Elle pense que nous sommes en danger.
- T'a-t-elle au moins donné un conseil pour survivre ?
- Oui, quitter Sinnoh. Elle paraît persuadée que les autres régions craindront moins de risques. D'après elle, nous pouvons également nous attendre à des représailles d'Arceus, raison pour laquelle elle veut que nous restions tous ici, confinés à Ebénelle, en attendant qu'elle nous rejoigne.
- Tous ?
- Sven aussi. Malgré les différents que nous avons pu avoir dans le passé, nos ennemis se moqueront complètement des clans qui se sont formés. Pour eux, il n'y a qu'une seule Confrérie, qu'importe si nous nous entretuons entre nous.
- Et Sylvain ? Il est également menacé, alors.
- Mon cousin, reprit-elle d'un ton hargneux, est actuellement en fuite avec je ne sais quel taré de la Team Galaxie, afin de fomenter j'ignore quel plan de cinglé qui leur passera par la tête.
- Je croyais que nous en avions fini avec l'organisation ?

Cassy n'eut pas le temps de répondre car Tina revint avec un couteau. Il était trop émoussé cependant pour permettre d'entailler la chair. La soignante, qui commençait à perdre patience, l'envoya choir au sol en pestant. La jeune femme se leva alors pour aller ouvrir la porte, devant laquelle Sven patientait toujours. Moins d'une seconde plus tard, elle tenait un scalpel entre ses mains.

- Il se promène toujours avec ce genre d'instruments de torture ? grommela Léa en se mettant à l'ouvrage.
- C'est preuve que c'est toujours utile.
- Remplissez-moi cette cuvette d'eau chaude et déposez un peu d'aconit dedans. Il y en a dans ma bourse.

Elles s'exécutèrent sans poser de question. Au fur et à mesure que la fillette ouvrait les membres de Yohanna, elle utilisait une pipette afin de déposer au compte-goutte un peu du breuvage à l'intérieur de ses veines, avant de les refermer à l'aide de ses gants. Elle réitéra l'expérience à une dizaine de reprise, allant même jusqu'à faire une estafilade au-dessus de son coeur.

Elle sortit ensuite de son sachet en cuir un morceau d'écorce qu'elle mastiqua fermement durant près d'une minute, puis le recracha dans sa paume lorsqu'il ne fut plus qu'une mixture épaisse. Elle l'étala autour de la plaie, là où la peau semblait brûlée au vitriole. Le liquide noirâtre, probablement le venin, s'estompait peu à peu alors que ses veines se purifiaient.

- Il faut attendre encore un peu, affirma Léa. Je dois laisser à ma préparation le temps d'agir. Si je refermais cela tout de suite, ce que je viens de faire n'aurait servi à rien.
- Je comprends.
- Il va lui falloir plusieurs jours pour se rétablir entièrement, le temps que son organisme compense tout le sang qu'elle a perdu. Elle devra manger beaucoup de viande rouge et surtout se reposer.

Cassy l'observa avec une légère pointe d'admiration. Si elle ne s'était pas aperçue d'un grand changement à son retour d'apprentissage, elle voyait à présent les connaissances immenses que possédaient sa consoeur. Son sérieux et sa sagesse semblaient presque incroyables.

- Je crois que cette fois-ci, c'est bon.

L'adolescente déploya ses doigts par-dessus la plaie. Un halo vert aux senteurs d'eucalyptus s'en échappa aussitôt pour entourer la chair ouverte. Ce fut comme si une aiguille invisible recousait la peau, bientôt comme neuve, sans en garder la moindre cicatrice.

- Et voilà le travail. Laisse-lui quand même ce cataplasme-ci jusqu'à son réveil. En théorie, mes pouvoirs ont dû tout rétablir, mais je préfère être prudente. Il arrive parfois que je ne puisse pas soigner certaines blessures, en particulier lorsqu'elles relèvent du surnaturel.

Cassy la remercia, ce à quoi elle répondit par un sourire, puis les deux enfants prirent congé, la laissant seule avec son amie en voie de guérison.