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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 25/07/2013 à 14:07
» Dernière mise à jour le 25/07/2013 à 14:07

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Chapitre 26 : Les liens du sang
La Feunard était morte.

Elle gisait sur le sable de l'arène, le corps brisé. Déchiqueté.

Il y avait du sang partout. Le liquide maculait sa fourrure et collait à ses poils, les agglutinant en de gros paquets poisseux, tandis qu'une mare rouge s'étendait sous son corps. Son fin museau était ensanglanté lui aussi, le fluide mouchetant les contours de sa gueule. Des tâches de rousseur macabres - idée absurde. Ses neufs queues s'étendaient derrière elles, immobiles ; elles avaient balayé le sable lors des derniers sursauts d'agonie de la Feunard, laissant une marque visible aux regards de tous dans la poussière. La renarde avait fermé les yeux depuis. Ses oreilles ne frémissaient plus. Retroussées dans une dernière volonté de mordre son adversaire, ses babines découvraient encore l'éclat de ses crocs blancs, rougis du sang de son ennemi.

Son ennemi.

Le Roucarnage planait au-dessus de la dépouille de la Feunard, fier. Triomphant. Quelques touffes de poils blancs demeuraient coincées dans ses serres, alors que du sang dégoulinait encore de son bec. Il avait infligé bien plus de blessures qu'il n'en avait récoltées : seules quelques-unes de ses plumes se trouvaient roussies, et les trois rémiges principales de sa queue paraissaient légèrement froissées. Rien d'autre.

Malgré tout, la Feunard s'était bien battue. Toute la scène s'était déroulée sous mes yeux un instant plus tôt. Les ordres avaient été donnés silencieusement et les deux Pokémon y avaient répondu sans défaut. Le Roucarnage avait débuté les hostilités avec une Aéropique d'une rare violence, une lame d'air effilée qui s'était dessinée dans l'espace une fraction de seconde avant d'aller raser les flancs de la renarde, laquelle était restée campée sur ses pattes, stoïque en dépit du sang qui avait commencé à jaillir de sa plaie. Et puis elle avait répliqué : un long souffle de feu projeté en direction de son ennemi, qui avait frôlé les pattes du Roucarnage puis s'était divisé en une dizaine de lassos enflammés, emprisonnant l'oiseau à l'intérieur d'un cercle brûlant. Il s'en était échappé presque aussitôt grâce à un fulgurant plongeon vers le sol, et avait enchaîné en créant une violente tornade qu'il avait dirigéé droit sur la Feunard. Cette dernière avait tenu le coup, s'aplatissant contre terre afin de ne pas être emportée par les bourrasques, endurant le sable qui la cinglait de toute part, ses neuf queues ramenées contre sa tête afin d'offrir le moins de prise possible à la tempête.

Lorsque le calme était revenu, elle avait jappé en direction du Roucarnage. L'oiseau s'était figé, hésitant - premier signe depuis le début du combat qu'il se trouvait en difficulté. Alors que la foule retenait son souffle, la voix du commentateur s'était élevée pour souligner l'intérêt stratégique d'avoir ici fait usage d'une Onde Folie. Mais la tactique n'avait pas fonctionné, et le Roucarnage s'était repris, chassant l'air de ses ailes avant de foncer sur la Feunard. Lors de la collision, le bec et les serres de l'oiseau avaient infligé des blessures cruelles, et la vitesse de l'impact avait envoyé la renarde bouler dans le sable. Sa riposte, une Déflagration qui avait émis un grondement de tonnerre puis était allée exploser en plein sur le Roucarnage, avait porté un sérieux coup à son ennemi. Néanmoins, il n'avait pas été touché de plein fouet car il avait réussi créer un coussin d'air entre lui et les flammes, ce qu'avait fait remarquer le commentateur d'une voix excitée. Un nuage de fumée avait alors entouré l'oiseau, le masquant aux regards.

Il en était ressorti une seconde plus tard sous la forme d'une flèche couleur crème, et ses serres avaient brillé en s'enfonçant dans la chair de la Feunard, y creusant de profondes balafres. La rapidité de l'attaque n'avait eu d'égale que sa sauvagerie : le renarde s'était écroulée, terrassée.

Ou presque.

Dans un dernier sursaut de volonté, elle avait relevé le museau. Une lueur avait brillé tout au fond de sa gueule et s'était muée en une lance de lumière rayonnante de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, jaillissant vers le Roucarnage. Un trait foudroyant qui aurait dû ne lui laisser aucune chance. Il l'avait pourtant évité, le faisceau d'énergie se contentant de lui frôler une aile. Et sa réplique avait été mortelle. Un battement conjoint de ses deux ailes, une seule fois, un bruit sec qui avait résonné comme un coup de tonnerre dans le stade, et la pique d'air durci avait empalé la Feunard de part en part. Le sang avait giclé. De longs jets carmins qui s'étaient mêlés à la poussière. La Feunard avait hoqueté, ses yeux roulant dans leur orbite, les mâchoires crispées par la douleur, par le choc. Et puis tout son corps s'était relâché et elle avait expiré son dernier souffle alors que la lame immatérielle se dissolvait.

Son cadavre gisait dans le sable à présent. C'était la seule image que je voyais. Elle emplissait tout mon champ de vision, impossible à ignorer. Impossible à oublier. Et je ne ressentais rien. J'aurais dû, pourtant. Je savais qu'il y avait quelque chose qui clochait chez moi. Quelque chose de différent. Il y a deux semaines, avant Vivian, avant que je ne décide de m'allier avec lui, une telle scène m'aurait touchée. Mon cœur se serrait serré, je me serais peut-être exclamée, mordu les lèvres... Mais aujourd'hui, rien.

C'était le jeu, voilà tout. Un sacrifice nécessaire - encore que, cela dépendrait de qui gagnerait. Et il n'y avait pas de retour en arrière possible. Dans le duel pour accéder au titre de champion, le premier des combats avait mené à cette conclusion.

La Feunard était morte.

***

Maraude grognait.

Un grondement sourd qui montait de sa gorge et résonnait dans tout le jardin. Un avertissement.

Vivian fit claquer sa langue, avançant une main vers elle. Le résultat fut sans équivoque : les oreilles de la Feunard s'aplatirent sur son crâne, ses crocs se découvrirent et ses poils se hérissèrent tandis qu'elle jetait à mon frère un regard plus froid que la banquise.

Je m'accroupis à mon tour devant la haie.

Quelques minutes à peine s'étaient écoulées depuis que j'avais accepté le marché proposé par Vivian. Nous étions revenus en un clin d'œil au Bourg Palette grâce à son Pokémon psy, un Hypnomade que j'avais à peine eu le temps d'apercevoir. Vivian m'avait expliqué qu'il allait examiner tous les Pokémon que j'avais capturés afin de s'assurer que je disposais de la meilleure équipe possible. La Feunard était la première que je lui montrais et le moins qu'on puisse dire, c'était que ça se passait très mal.

- Maraude, s'il te plaît... tentai-je. J'ai besoin de toi ma belle, j'ai besoin de ton aide... Je sais que j'avais dit que je te laisserais du temps, mais les choses ont changé. Il faut que tu sois à mes côtés maintenant.

Malgré ma plaidoirie, la renarde de feu demeura de marbre à mon égard, tout en continuant de grogner sauvagement sur Vivian.

- Ça fait combien de temps qu'elle est comme ça ? me demanda ce dernier en se relevant.

Il épousseta son pantalon d'un revers négligent bien que je n'y distingue pas la moindre trace de saleté.

- Deux jours. Depuis que j'ai perdu Grignotte dans l'arène de Giovanni... répondis-je en soufflant à peine le nom du Sablaireau, inquiète de la réaction de Maraude.

Les oreilles de la Feunard ne frémirent même pas. Toujours couchée mais donnant l'impression d'être prête à bondir à chaque instant, elle ne quittait pas Vivian des yeux.

- Elle est brisée. Inutile, décréta mon frère en dévisageant la Pokémon en retour. Tu devrais la relâcher.

Ma bouche s'ouvrit toute seule pour émettre une protestation instinctive :

- Hors de question.

- Tu as des arguments pour aller avec ça, je suppose ? s'enquit-il en mettant les mains dans son dos.

Me séparer de Maraude me semblait tellement impossible que j'étais choquée par l'idée même de la chose. Les arguments, eux, ne tardèrent pas à se manifester dans mon esprit, et je les attrapai au vol et les livrai à mon frère, donnant davantage de poids à mon refus.

- Ce n'est pas parce qu'elle m'ignore maintenant que ça ne changera jamais : avec le temps, son attitude évoluera. De plus, dans son état, elle ferait une proie facile pour les Pokémon sauvages. Et puis si elle reste avec moi, je lui offre le gîte et le couvert, c'est bien mieux pour elle.

- Quel est l'intérêt d'un Pokémon s'il ne se bat pas ?

- Elle a déjà beaucoup combattu pour moi, j'estime qu'elle a le droit à des vacances, lui opposai-je. Et de toute façon pour le Conseil des Quatre j'ai Vésuve, alors ce n'est pas comme si son absence constituait un vrai handicap.

Une curieuse expression passa sur les traits de Vivian.

- Qui t'a dit qu'il te fallait un Pokémon de type feu contre le Conseil des Quatre?

Sa question m'occasionna un trébuchage mental. J'avais intégré ce fait comme une vérité dans mon plan ; en fait, c'était à peu près la seule info dont je disposais concernant le Conseil : un Pokémon feu allait m'être indispensable pour les vaincre. D'où venait-elle ? Je le savais tout comme je savais que le ciel était bleu : Zack. Lorsqu'il m'avait conseillé de faire évoluer Maraude, il m'avait affirmé que j'allais avoir besoin d'elle plus tard - après la dernière arène.

- Euh, mon rival, je crois, avançai-je prudemment, évitant de citer le nom de Zack devant Vivian.

- Vraiment ? se contenta-t-il de dire, un sourcil levé comme pour me narguer.

- Putain, quoi encore ?

Je n'avais pas voulu dire ça à voix haute. Plantée, la Léa, et en beauté. J'avais encore du chemin à faire avant de pouvoir affronter Vivian à armes égales sur le plan de la rhétorique.

- Le seul Pokémon contre qui les attaques feu soient vraiment utiles est le Lipoutou d'Olga, m'informa mon frère. Je ne qualifierai donc pas un Pokémon de ce type d'indispensable à une équipe destinée à affronter le Conseil des Quatre. Plante, eau, psy, électrique, combat, certainement. Feu, non.

Je ne comprenais plus rien. Ou plutôt, j'avais trop peur de comprendre.

- Zack m'a menti ?

- Une tactique classique du rival. Ils aiment jouer le jeu de la désinformation.

À la lumière de ses paroles, je reconsidérai mes interactions avec Zack. M'avait-il fait cadeau de Maraude uniquement pour affaiblir mon équipe ? Parce que lui disposait déjà d'un Pokémon feu, et voulait donc m'infliger le même handicap ? Peut-être même était-il parfaitement conscient du caractère réfractaire de la Goupix, et il savait bien que je n'étais pas équipée pour faire face à ça... Par contre il n'avait sans doute pas prévu que la renarde s'éprendrait de mon Sablaireau. Non. Mais au final, les faits restaient les mêmes : Zack m'avait délibérément induite en erreur.

Mon visage devait refléter ma colère et mon incompréhension, car Vivian annonça :

- On traitera la question du rival plus tard, et tu auras tout le temps de te venger. Pour l'instant tu vas me montrer tes autres Pokémon, que je vois ce qu'ils valent.

- Mais ça prendrait trop de temps de les ramener au niveau de mon équipe actuelle, non ? objectai-je.

- Pas forcément. J'ai une astuce ou deux qui peuvent aider.

J'étais curieuse de voir ça. Mais avant...

- Tu veux vraiment changer mon équipe ? lui demandai-je, formulant la crainte qui m'habitait depuis le début.

Je ne me voyais pas aller au devant du Conseil des Quatre avec d'autres Pokémon que ceux que j'avais à la ceinture actuellement. Mes bestioles... Je les avais vu grandir, je les avais entraînées, elles m'avaient soutenu, nous étions soudés. Je ne pouvais espérer meilleures alliées qu'elles. Et Vivian qui avait pourtant l'air de dire que mes Pokémon ne convenaient peut-être pas... Un doute me saisit, insistant. Tout ceci n'était-il qu'un stratagème de sa part ? Un coup insidieux destiné à me déstabiliser ? Voulait-il me voir échouer tout comme lui avait échoué ?

Je m'efforçai de ne pas laisser transparaître mes émotions sur mon visage. Une chose était certaine : ma méfiance envers mon frère demeurait bien vivante.

- Ce que j'ai vu me satisfait pour le moment, répondit Vivian. Ton équipe fera sûrement l'affaire. Mais il me faut en être sûr, prendre en compte toutes les variables. Il ne faudrait pas que tu te retrouves en difficulté face à Zack après avoir vaincu le Conseil des Quatre.

Je hochai la tête, jouant le rôle de la petite sœur convaincue.

- On a du pain sur la planche, conclut mon frère.

Alors que j'appelais le reste de mes Pokémon, faisant de mon mieux pour paraître assurée, toutes mes pensées tourbillonnaient en réalité autour d'un seul constat : j'avais apparemment été bien trop naïve. Avec les mensonges de Zack d'un côté et potentiellement ceux de Vivian de l'autre, il allait falloir que je m'initie à l'art de la ruse et des faux-semblants, et vite.


***

Silence dans le stade.

Le corps de la Feunard avait été rappelé une dernière fois dans sa Pokéball, et seules de larges tâches sombres marquant la terre battue du terrain témoignaient de ce qui venait de se passer. Les spectateurs attendaient de voir quel serait le prochain couple de Pokémon à s'affronter. Ils n'eurent pas à attendre bien longtemps : deux silhouettes humanoïdes se dessinèrent, prenant forme, et un instant plus tard le commentateur faisait son annonce habituelle, celle qui comprenait l'espèce des combattants, leur surnom s'ils en avaient, et la petite phrase censée résumer le caractère du Pokémon concerné.

- Ce sera donc l'eau contre les pouvoirs psychiques pour cette deuxième manche ! Une Akwakwak, Majestée, la tueuse qui ne manque jamais sa cible, opposée à un Alakazam, qui lui ne perd jamais son sang-froid ! Lequel des deux triomphera ?

La voix de l'homme s'était à peine éteinte que l'Akwakwak ouvrait le bec pour cracher une volée d'étoiles brillantes. Elles traversèrent le terrain en sifflant comme des balles, rivalisant de rapidité les unes les autres. Et terminèrent leur course sur le bouclier de lumière d'Alakazam, le jaune se brisant contre le jaune. Seuls deux projectiles réussirent à le transpercer, se fichant dans le poitrail du Pokémon psy avec un bruit sec. Un premier échange qui promettait un combat passionnant, et la foule ne s'y trompa pas, explosant dans un concert de cris et d'invectives, chacun encourageant son favori.

L'Akwakwak toisa son adversaire qui lui rendit son regard sans ciller, puis elle claqua du bec alors qu'une attaque mentale se profilait dans l'air, le faisant onduler comme une mare dans lequel on lance soudain un caillou. Ses pieds palmés frappèrent le sable, elle se cambra. Son bec s'ouvrit de nouveau, et ce fut une giclée de liquide violet qui en jaillit. Giclée qui atterrit directement sur le museau d'Alakazam, empoissant sa fourrure et dégoulinant le long de ses moustaches, l'obligeant à lâcher une cuillère pour tenter de contrecarrer l'action du venin. Il leva ensuite son autre main, essayant visiblement de se soigner, mais l'Akwakwak n'avait pas l'intention de le laisser faire et arrivait déjà au contact, coupant net l'action guérisseuse du Pokémon psy en le forçant à se défendre. Les pattes palmées mais néanmoins griffues de la Pokémon eau heurtèrent le visage de son adversaire, infligeant trois balafres parallèles, puis l'Akwakwak virevolta avant que l'autre n'ait pu réagir, ouvrant le bec pour la troisième fois alors qu'elle terminait sa rotation. Un rayon d'un blanc-bleu partit s'écraser sur Alakazam, quasiment à bout portant. Le son du Laser Glace résonna dans le stade tout entier, faisant écho aux craquements de la glace qui commençait à se former sur le corps du Pokémon psy. Ce dernier se secoua, brisant la carapace qui l'enserrait avec un effort visible. Dans l'air désormais glacial, son souffle forma un nuage de buée.

Face à face, si proches qu'ils leur auraient suffi de tendre la main pour se toucher, les deux ennemis échangèrent un long regard. Les yeux rouges de l'Akwakwak rencontrèrent ceux, dorés, d'Alakazam.

- Regardez-moi la volonté et l'endurance dont font preuve ces deux Pokémon ! s'écria le commentateur. Aucun d'eux ne se laisse dominer !

L'accalmie ne dura pas, et déjà les hostilités reprenaient, sous la forme d'un Psyko lancé par Alakazam. Le choc fit reculer l'Akwakwak, elle grogna et répondit par une volée d'étoiles qui cette fois touchèrent toutes leurs cibles. Alakazam tressaillit lorsque les projectiles lumineux le tailladèrent, mais il ne riposta pas, se contentant de fermer les yeux. Il resta ainsi immobile, cuillères baissées, offrant a priori une cible facile pour son adversaire qui ne se priva pas d'en profiter.

Ce fut un véritable torrent d'eau que l'Akwakwak déchaîna, une vague gigantesque qui faucha l'Alakazam, lui assénant une claque brutale, l'emporta sur sa crête qui culmina à une bonne dizaine de mètres, et redescendit brutalement, larguant le Pokémon psy sur le sol de l'arène comme s'il n'avait été qu'une vulgaire poupée de chiffon. Le bruit qu'il fit en tombant rappela quelqu'un faisant un plat dans une piscine - en plus mou, peut-être. Puis Alakazam demeura face contre terre, apparemment vaincu.

L'Akwakwak leva le bec vers le public en délire et effectua une sorte de révérence, s'inclinant jusqu'à ce que son front frôle la poussière. Les cris redoublèrent d'intensité.

- Et la victoire pour le second round du match va à...

Le commentateur s'arrêta net : l'Akwakwak venait de s'écrouler. Une poignée de secondes passa. La foule s'était tue, dans l'attente. Mais la Pokémon aquatique ne se relevait pas. Elle paraissait définitivement hors de combat.

- Et c'était une attaque Prescience ! s'exclama le commentateur d'une voix enthousiaste, coupant le silence incrédule qui s'était installé. Nous avons là un match nul, c'est un cas très rare ! Une preuve de plus que nos deux champions se donnent à fond dans ce duel !

Les yeux rivés à l'écran, je n'avais pas perdu une miette du spectacle.

***

- Le Pokérus.

- Le quoi ?

- Pokérus.

- Et c'est quoi ce truc ? Un Pokémon russe ?

Vivian eut un sourire indulgent.

- Un virus qui permet aux Pokémon de mieux s'entraîner. Ils deviendront plus forts, plus vite.

Avec un nom pareil, j'aurais dû m'en douter...

- Et c'est sans danger ? m'enquis-je, sceptique. Je veux dire, il n'y a que des effets bénéfiques ?

- Absolument sans danger.

- Bon, OK. Vas-y alors.

Mon frère libéra son Pokémon, un Flagadoss qui parut étonné de se retrouver en dehors de sa Pokéball. Ou bien peut-être que c'était moi qui le déconcertait - ou alors, les Flagadoss avaient toujours une expression débile figée sur leur visage, qui sait. D'un signe de tête, Vivian lui ordonna d'aller voir Salade. Mon mastodonte vert roupillait dans le jardin à quelques pas de nous, profitant du soleil de cette fin de matinée. Lorsque le gros Pokémon rose s'approcha de lui, le Florizarre entrouvrit un œil et tendit une liane pour lui dire bonjour. Ils échangèrent chacun quelques syllabes de leur nom, et il ne fallut pas longtemps avant que Poupidou ne se joigne à eux, vite imité par son inséparable copain Vésuve.

- Le virus va se répandre naturellement, déclara Vivian. D'ici deux jours on commencera l'entraînement intensif, mais en attendant je vais te faire bosser la théorie.

Mon regard était resté fixé sur le Flagadoss, qui était présentement occupé à mâchonner une des lianes de Poupidou - le Saquedeneu avait d'ailleurs l'air ravi de toute cette bave qui dégoulinait sur lui.

- Ce Flagadoss, il faisait partie de ton équipe quand t'as essayé de battre le Conseil des Quatre ? voulus-je savoir.

Vivian n'avait pas du tout abordé le sujet de ce qui s'était passé durant sa quête à lui, et la curiosité me titillait. La question de son passé m'avait même tenu éveillée cette nuit, je m'étais promis d'essayer de lui sous-tirer des informations si j'en avais l'occasion. Maintenant me semblait le bon moment.

- Non, c'est une capture récente, révéla mon frère. Tous mes Pokémon de cette époque-là sont morts. Le plus vieux que je possède actuellement c'est mon Hypnomade, que j'ai trouvé il y a deux ans.

Je hochai la tête, avant d'enchaîner d'un ton nonchalant :

- Combien de fois t'as essayé de les battre ?

Pas besoin de préciser de qui je parlais. J'eus l'impression de voir ses mâchoires se crisper brièvement. Ou bien était-ce mon imagination ?

- J'ai perdu le compte, à vrai dire, répondit-il.

- Tu penses que tes échecs étaient dus à quoi ? Ton équipe pas assez entraînée ? Ou la faute à pas de chance ?

J'avais mentionné ces deux propositions pour donner le change, car j'avais déjà ma petite idée sur la question vu son insistance pour me rendre "forte". Mais je tenais à entendre sa réponse de vive voix.

- Je suis le seul responsable de mon échec, dit-il après un court silence.

- Et Mewtwo ? C'est quoi son rôle dans toute cette histoire ?

Cette fois, il grimaça clairement.

- Bon ça suffit avec tes questions, me rabroua-t-il. Pour l'instant je veux que tu te concentres uniquement sur le Conseil des Quatre, ce sont eux que tu dois battre en priorité.

- Morgane m'a dit qu'il fallait que j'affronte Mewtwo pour revenir dans notre monde, insistai-je.

Ce qui n'était pas exactement la vérité, mais je n'étais plus à ça près.

- Je sais, répliqua Vivian. Elle m'a dit exactement la même chose. J'ai essayé et j'ai échoué, ce qui a provoqué ma mort dans le monde réel.

Ça se tenait. Et c'était plus ou moins ce que je soupçonnais qu'il s'était passé depuis le début. Un Game Over était synonyme de mort.

- Et si donc si moi j'échoue, on sera coincés ici tous les deux ?

Son regard se fit dur. Perçant.

- Tu n'échoueras pas.

Un ordre. Une demande. Une prédiction.

Ou les trois à la fois.

- Non, bien sûr que non, acquiesçai-je en imitant son ton assuré.

Je n'étais pas non plus à un mensonge près, après tout.


***

- Troisième manche ! clama le commentateur. Mes chers amis, le suspens est à son comble alors que le challenger mène le match d'un point à zéro ! Quels Pokémon vont maintenant choisir les dresseurs ?

Je plissai les yeux, essayant de deviner la stratégie de Zack. Il avait déjà utilisé son Roucarnage ainsi que le Pokémon que j'estimais comme son second plus grand atout, Alakazam. Il lui restait donc son Léviator, son Noadkoko, Patate, et son dangereux Dracaufeu. Comme il menait pour l'instant, il pouvait se permettre de lâcher un peu de mou pour le duel suivant. À sa place, j'aurais sans doute joué soit le Noadkoko, soit Patate. Du côté de son adversaire, les Pokémon qui pouvaient sortir étaient une Voltali, une Insécateur, une Parasect, et enfin une Ossatueur. Pour une raison connue de lui seul, l'équipe du champion actuel ne comprenait que des Pokémon de sexe féminin.

Quelque part, ça m'arrangeait que ce soit Zack qui s'occupe de lui et non moi. Ce type était un dresseur redoutable, et il ne faisait montre d'aucune pitié envers ceux qui le défiaient. Je l'avais vu laminer une équipe entière une semaine plus tôt, lorsqu'un dresseur avait réussi à vaincre le Conseil des Quatre alors que Zack n'en était encore qu'à Agatha, et ses Pokémon n'avaient pas fait long feu contre les assauts brutaux de l'équipe du champion. Son Akwakwak avait noyé l'Arcanin du challenger en direct, alors même qu'il la suppliait d'arrêter tout en criant qu'il abandonnait. Pendant toute la scène, le champion avait eu un léger sourire aux lèvres, le même qu'il arborait à présent. Face à Zack, il paraissait nettement plus imposant : âgé d'une trentaine d'années, il avait un physique d'une bonne carrure mis en valeur par les vêtements qu'il portait - une veste et un pantalon dans des tons gris qui avaient l'air de sortir tout droit d'un atelier de haute couture. Ses cheveux bleus encadraient son visage aux traits taillés à la serpe - presque trop anguleux, même - et lui arrivaient à la mâchoire qu'il avait carrée, tandis qu'il dissimulait ses yeux derrière des lunettes noires. Il se tenait d'une étrange façon, une posture qui combinait rigidité et souplesse : la première dans les jambes, la seconde au niveau du buste, de ses bras et de sa tête, et je trouvais qu'au final cela lui donnait une apparence assez hautaine. Son nom lui par contre n'était ni compliqué, ni prétentieux. Simplement Alec.

J'avais beau savoir que la victoire de Zack était programmée, je ne pouvais m'empêcher de craindre que ce type arrive pourtant à le battre. Ce n'était pas logique - Vivian m'avait expliqué que le rival parvenait toujours au sommet de la Ligue Pokémon avant le joueur - mais le doute ne me quittait pas, tenace. Il se renforça lorsque les Pokémon choisis apparurent sur le terrain : Patate contre la Parasect. La Rhinoféros - elle avait évolué depuis - se trouvait doublement vulnérable face aux potentielles attaques plante de son adversaire, alors qu'elle n'avait pour riposter efficacement que des attaques de type roche. A priori, c'était mal parti pour Zack. Sauf que je l'avais déjà vu se tirer de situations autrement plus dangereuses, me rappelai-je.

- Pour cette troisième manche, nous avons une Parasect surnommée Zeta, spécialiste des combats rapides - on se souvient de son KO en un coup contre ce pauvre Léviator il y a deux ans - qui affrontera une Rhinoféros, Patate la Magnifique !

La caméra s'arrêta en gros plan sur chacun des deux Pokémon tour à tour, puis alors que l'image changeait pour montrer l'arène dans son ensemble, je vis Zack faire un mouvement du bras. Son adversaire, lui, demeura immobile, mais ce n'était pas étonnant : moins les ordres étaient visibles et plus la surprise était grande, et ce mec devait être passé maître dans l'art de communiquer secrètement avec ses Pokémon pour être arrivé au rang de champion.

Les deux Pokémon réagirent en même temps, une parfaite synchronisation alors que Patate rugissait et frappait le sol de ses pieds tandis que l'autre lui fonçait dessus. Une pluie de rochers se déclencha, suivant la Parasect à la trace. Elle se montrait étonnamment rapide malgré sa masse et la plupart des gros blocs de pierre la manquèrent largement pour aller s'écraser dans la poussière. Certains la frôlèrent tout de même, et alors qu'elle s'arrêtait en dérapant face à Patate et lâchait une salve de poudre blanche, le dernier des rochers la frappa en plein sur son champignon, s'enfonçant sur une bonne dizaine de centimètres dans la matière spongieuse avant de glisser au sol.

Un liquide vert se mit aussitôt à suinter de la plaie, mais la Parasect ne parut pas y prêter attention, et Patate ne lui laissa de toute façon pas le temps de s'appesantir sur sa blessure : la Rhinoféros se précipita sur son adversaire, trébuchant au dernier moment - probablement à cause des para-spores -, ce qui amoindrit l'impact de sa charge, et heurta la Parasect la tête la première. Cette dernière broncha à peine et riposta par deux coups secs de ses grandes pinces, deux coups qui entaillèrent les plaques de corne protégeant l'épiderme de la Rhinoféros, atteignant la chair en-dessous. Patate lâcha un grognement, fit trois pas de côté puis roula à terre sur le flanc. Elle souffla par le nez, soulevant un nuage de sable et de terre mêlés tandis que l'autre s'approchait lentement d'une démarche chaloupée qui aurait été rigolote si les circonstances avaient été différentes.

Le poing de la Rhinoféros s'abattit soudain. Elle frappa le sol à trois reprises, lançant un second Tomberoche qui surprit peut-être davantage la Parasect. En tout cas, elle sauta en arrière avec un temps de retard, et l'une de ses pinces avant fut écrasée sous un rocher. Le membre parut se détacher sans difficulté, restant au sol tandis que la Parasect s'éloignait sur trois pattes. Tout à coup, son image se démultiplia, gagnant deux, quatre, six, puis huit doubles qui s'éloignèrent en démarche de crabe, rasant les murs de la zone de combat tout en commençant à contourner Patate qui était toujours allongée. La tactique du Tomberoche devenue impossible, ou du moins peu susceptible de causer des dégâts, Zack ordonna un Séisme, et Patate se releva tant bien que mal, poussant un rugissement bestial la seconde d'après. L'arène entière trembla alors que le sol tressautait, un grondement sourd emplissant le stade. Curieusement, ni les gradins où était assis la foule ni les plate-formes surélevées sur lesquelles se tenaient les deux dresseurs ne furent affectés - peut-être étaient-ils construit de matériaux spéciaux qui absorbaient les chocs ? Ce n'était pas le cas de la Parasect qui se trouva déstabilisée par les secousses, et elle s'affala à moitié, tombant sur le côté de sa patte manquante.

Pour répliquer aussitôt. Un cri stridulant sortit de sa bouche, et des filaments d'énergie verte quittèrent le corps de Patate pour rejoindre celui de la Parasect, accrochant des éclats de lumière alors qu'ils tournoyaient dans leur course. Les jambes de la Rhinoféros ployèrent, elle s'affaissa à son tour.

- Un magnifique Giga-Sangsue ! s'exclama le mec qui commentait. Droit dans le point faible !

La Parasect esquissa un mouvement pour se relever, imitée par Patate qui n'abandonnait pas. J'étais impressionnée par la résistance de la Rhinoféros, une telle attaque avait pourtant dû lui faire très mal. Mais elle trouva la force de continuer le combat quelque part en elle et fit trois pas hésitants, avant de foncer carrément sur la Parasect telle une Teigne survoltée. Au dernier instant avant l'impact, elle abaissa sa corne, et je la vis empaler l'un des gros yeux globuleux de son adversaire, faisant gicler un liquide opaque sur lequel la caméra s'attarda. Certains dans le public avaient poussé un cri de stupeur, d'autres des exclamations victorieuses. Moi, je me contentai d'un hochement de tête alors que la Parasect s'affaissait lentement.

Zack venait de remporter la troisième manche dans le sang et la sueur.

***

- Je me sens perdue.

Regard étonné, puis inquiet.

- Je me sens perdue, répétai-je. Je ne sais plus trop où j'en suis. Je savais que ça allait être dur de faire semblant, je savais que j'allais avoir du mal à écouter Vivian, à suivre ses ordres, mais là...

Une liane se glissa autour de mes épaules, se voulant réconfortante.

- ...en fait ce n'est pas du tout ce que je pensais. Je commence à me dire qu'il a raison. Que vous êtes tous rien que des pixels et que vous n'avez donc aucune importance... Je veux dire... si rien de tout ça n'est réel, alors on s'en fout que Vivian ait tué Léonard, il n'existait même pas. On s'en fout que Ficelle soit morte, ou Princesse, ou Grignotte.

La liane se resserra un peu, et il vint frotter son gros museau contre mon flanc. Je ne savais même pas s'il comprenait ce que j'étais en train de raconter. Un mot comme "pixels" devait le laisser perplexe.

- Y a que la victoire qui compte, non ? Et puis c'est ce que je voulais depuis le début de toute façon... rentrer chez moi...

Il émit un grondement interrogateur. Pour lui, j'étais déjà chez moi. Forcément. J'étendis complètement mes jambes dans l'herbe et me calai à nouveau contre sa patte.

- Imagine que tu fasses un rêve, Salade. Un rêve magnifique rempli de couleurs, de beauté, et de choses que tu n'aurais jamais pu imaginer. Un rêve où tu rencontres des tas de personnes qui te paraissent réelles. Un rêve qui te change, profondément. Est-ce que tu voudrais te réveiller ?

Silence. Le Florizarre relâcha une profonde inspiration, faisant voler quelques-unes de mes mèches. Le soleil m'écrasait de sa chaleur et mes jambes étaient parcourues de petits fourmillements à la limite du désagréable. Je fis jouer mes doigts de pied.

- Je crois que Vivian veut vraiment m'aider. Sinon il ferait pas tout ça, ce serait juste pas logique. Il ne me donnerait pas de conseils sur comment optimiser vos attaques, il ne m'aurait pas révélé la composition des équipes du Conseil des Quatre et leur caractère... Et puis faut vraiment être motivé pour supporter volontairement le bavardage de la Pokémaman...

Salade me donna un gentil coup de tête, poussant contre mon épaule. Je levai une main pour le grattouiller.

- C'est mon frère après tout.

Le plus drôle c'était que depuis une semaine, je me sentais bien en compagnie de Vivian. Au-delà des doutes et des mensonges, on formait une sorte de famille, et il prenait soin de moi, à sa façon. Lorsqu'on délaissait l'entraînement, il y avait des moments heureux entre nous, et même des instants de rigolade où j'avais l'impression de revenir des années en arrière. Mon frère était toujours là, quelque part sous la carapace de l'homme endurci par son échec. Le gamin de dix ans aux grands yeux innocents n'avait pas disparu, il avait simplement été occulté par l'adulte, et parfois il resurgissait, de brefs instants instants ensoleillés dans ce qui était autrement un monde de gris et d'ombres. C'était peut-être stupide, mais je tenais à ces instants. Tout comme je tenais à mon grand frère.

Je repensai à ce que la Chieuse m'avait dit. Faire semblant de s'allier avec Vivian, puis le trahir lorsqu'il s'y attendrait le moins. Elle semblait croire que mon frère finirait par se retourner contre moi. Mais même si elle avait raison, je ne me voyais pas le poignarder dans le dos.

- Tu entends ça, la Chieuse ? Tu peux aller te faire voir avec tes conseils.

- Zarre ?

- Non, c'est rien. Je parle toute seule...

Mon mastodonte vert reposa sa grosse tête par terre, son corps tout entier frémissant alors qu'il prenait une autre inspiration. Je me laissai bercer par le mouvement de ses flancs pendant un temps.

La voix de Vivian s'éleva depuis la cuisine :

- Léa ?

- Ouais ? répondis-je en me redressant brusquement.

- On va pouvoir commencer l'entraînement.

L'entraînement.

Les choses sérieuses commençaient.


***

Du vert : une tâche floue qui se déplaçait à une vitesse inconcevable.

Et du bleu : un Pokémon gigantesque en plein milieu du terrain, immobile alors que l'autre décrivait des cercles autour de lui.

Un satellite vert orbitant une géante bleue. Sauf que le satellite n'était autre qu'une Insécateur en pleine course et que ce n'était pas une géante mais un géant, plus précisément le Léviator de Zack. Le combat venait à peine de débuter et déjà le Pokémon aquatique arborait deux blessures, deux entailles qui se croisaient pour former un X sanglant sur son poitrail, un cadeau de l'Insécateur du champion. Je ne l'avais même pas vu porter les coups tant elle était rapide, et même maintenant, il était impossible de dire où elle se trouvait : l'œil ne distinguait qu'une unique image rémanente, une Insécateur qui se situait partout à la fois, devant, derrière, à gauche et à droite.

Les Léviator disposaient cependant peut-être d'une vision plus acérée que les humains car celui de Zack orienta soudain sa gueule d'un côté et cracha un feu bleu-violet, une langue brûlante qui embrasa le sable d'une lueur dorée. Il ajusta ensuite son tir pour suivre le déplacement de son adversaire, et, dans le sillage de l'Insécateur, les flammes cristallisèrent les grains de sable, les changeant en millier de morceaux de verres brillants. Mais toujours la Pokémon insecte gardait un temps d'avance, distançant le jet incendiaire d'une courte tête, laissant une piste incandescente derrière elle.

Elle vira soudain, le crissement de ses pattes sur le sol parvenant à mes oreilles bien après qu'elle ait pris son tournant. Un passage fulgurant au niveau du Léviator, et ce dernier mugit, une nouvelle balafre s'ouvrant sur son flanc. Demi-tour pour l'Insécateur. Elle infligea une troisième blessure à son adversaire alors qu'il rugissait et donnait des coups de queue et des coups de tête à l'aveuglette qui se perdaient dans le vide. Puis une quatrième. Et encore une autre. Insaisissable, elle paraissait danser, comme un feu-follet vert exécutant un ballet dont tous les mouvements avaient été décidés bien longtemps à l'avance, au détriment du Léviator qui demeurait impuissant.

- Regardez-moi ça ! s'extasia le commentateur. Cette bataille est une tempête !

Phrase qui ne voulait strictement rien dire, et pourtant le public l'entérina en redoublant de cris. Cris qui se muèrent soudain en une clameur collective : les mâchoires du Pokémon de Zack s'étaient enfin refermées sur l'Insécateur, la stoppant net. Le serpent des mers la lança brusquement en l'air avant de la rattraper aussitôt, le claquement de ses dents audible dans tout le stade. Un liquide rouge coula en cascade le long de ses babines, vite rejoint par son propre sang lorsque l'Insécateur riposta en se servant de ses doubles lames pour lui lacérer les gencives et la langue. Elle commençait à se tourner pour s'attaquer au nez du Léviator quand soudain elle fut projetée au loin par une lance d'eau, éjectée à l'autre bout du terrain et plaquée contre le mur, à peine un mètre en-dessous des gradins. La puissance du jet la maintint un moment dans cette position, épinglée tel un vulgaire insecte dans une collection quelconque, puis l'eau se tarit car le Léviator dut s'interrompre pour cracher du sang et elle glissa à terre, trempée.

Mais ça n'avait pas été suffisant pour la terrasser, et ses ailes frétillèrent tandis qu'elle se relevait, projetant des gouttelettes aux alentours. Face à elle, le Léviator arqua le dos, la défiant du regard. L'air vibra sous la tension, le public ne faisait pas un bruit. L'Insécateur inclina la tête, étendit ses deux longues lames dans un geste délibérément lent. Puis elle fonça, devenant une bande verte qui combla les vingts mètres en un clignement de paupière. Il y eut un éclair de bleu quand elle atteignit son adversaire : l'indication d'un mouvement si rapide que je n'en vis que les effets. Il fut accompagné d'un bruit sourd, puis d'un autre plus feutré.

Quelque chose s'envola, haut dans les airs, accrochant les rayons du soleil.

La tête de l'Insécateur retomba, roulant à terre.

Et la foule se déchaîna.

***

- Teigne, viens ici.

La voix de Vivian avait claqué, sèche, impérative. La Colossinge lui jeta un regard noir, avant de se tourner vers moi, ses oreilles dressées de manière interrogative.

- Fais ce qu'il te dit, lui ordonnai-je.

Elle crispa les poings mais obéit néanmoins, s'approchant de mon frère. Ce dernier la contempla un instant, puis sourit.

- Il semblerait donc que tu ne t'entendes pas avec les oiseaux, Teigne ?

La Colossinge répondit d'un grognement. Je me demandais comment Vivian allait s'y prendre pour résoudre ce problème. En marge de l'entraînement de mes Pokémon, il avait mis en place des espèces de séances où on se concentrait uniquement sur un seul membre de l'équipe, ce qui était censée renforcer ma connaissance des forces et des faiblesses de chacun. Hier, ça avait été Salade, et j'avais appris qu'entre le feu et la glace, il choisissait encore le feu, et qu'il n'aimait pas qu'on lui tripote les lianes trop longtemps - ou peut-être juste que Vivian lui tripote les lianes trop longtemps. Aujourd'hui, on s'attaquait à Teigne - probablement le plus gros morceau, avec Vésuve qui arrivait en second.

- Or, il y a un oiseau dans l'équipe dont tu fais partie. Tu vois le problème, petite Colossinge ?

Les poils de Teigne se hérissèrent en réponse à son ton condescendant. Je crois qu'elle l'aurait frappé s'il n'y avait pas eu l'Hypnomade de présent. Au lieu de ça, elle donna un coup de pied dans l'herbe.

- Il y a une solution très simple, continua Vivian. Tu peux haïr tous les Pokémon oiseau que tu veux, mais pas ton coéquipier. Et si tu acceptes de t'entendre avec lui, ta dresseuse t'emmènera tuer autant d'oiseaux que tu le désires.

Hein ? Ma bouche s'était ouverte sous le coup de la surprise. Alors que j'allais protester, Vivian me lança un rapide coup d'œil qui disait "laisse-moi faire". Teigne, elle, parut enchantée par ce développement inattendu et déblatéra une longue question :

- Colo, Colossinge ? Singe ? Colossinge ?


Elle veut savoir si on peut l'aider à retrouver le Roucarnage qui a tué sa famille, transmit l'Hypnomade d'une voix mentale complètement désintéressée.

- Bien sûr. Du moment que tu fais ce qu'on te demande, tu seras récompensée, affirma Vivian.

Je croisai son regard et lus dans ses yeux que c'était un mensonge. Encore un. Je me mordis les lèvres, gardant le silence. Teigne, elle, exultait, rayonnante de détermination et d'assurance. Tout ça à cause d'une seule phrase. Je n'aimais pas lui faire miroiter une chose qu'elle n'obtiendrait jamais, mais si dans l'immédiat cela permettait de faire cesser les disputes entre elle et Fulgure, alors je devais reconnaître que la technique de Vivian avait peut-être du mérite.

- Maintenant on va voir ce qu'elle vaut en combat, déclara Vivian, s'adressant à moi. Rappelle-toi, je ne veux te voir donner aucun ordre compréhensible pour moi.

Durant les deux jours où on avait travaillé sur la théorie, Vivian m'avait demandé de mettre au point un système de commandes codés, différent pour chacun de mes six Pokémon. J'avais le choix entre des ordres non verbaux ou bien des phrases qui n'auraient de sens que pour mes bestioles, tel le "Protège-moi les cheveux" que j'avais utilisé contre Ondine lorsque je débutais mon voyage. Hier lors du combat qui opposait Salade à un Persian, il avait réagi sans erreur à toutes mes demandes, ne se trompant pas une seule fois. Mais mon Florizarre était méticuleux et avait bonne mémoire. Pour Teigne, c'était une autre histoire.

- Prête ? interrogea mon frère en s'emparant d'une Pokéball à sa ceinture.

Il avait apparemment capturé un paquet de Pokémon, et ils étaient tous de taille à rivaliser avec les miens - du moins c'était ce qu'il affirmait.

- Vas-y, répondis-je tandis que Teigne sautillait, impatiente de voir qui allait être son adversaire.

La réponse fut une surprise, pour elle comme pour moi.

Un Papilusion.

La Colossinge se figea, ses poings s'ouvrant pour retomber à ses côtés. Impossible de connaître l'expression de son visage car elle me tournait le dos, mais son attitude physique indiquait la stupéfaction. Elle n'avait jamais eu à combattre de Papilusion depuis la mort de Ficelle, elle n'en avait même jamais recroisé un en personne. Vivian savait très bien ce qu'il faisait en la confrontant à un tel Pokémon - et Teigne n'était pas la seule visée, d'ailleurs. Déjà hier lorsque Salade s'était retrouvé face à un Persian, j'avais compris que mon frère appuyait délibérément là où ça faisait mal. Encore une façon de me rendre plus forte.

Je claquai de la langue pour attirer l'attention de Teigne alors que Vivian donnait le signal d'attaque à son Pokémon. J'ignorais quel était l'ordre en question mais nous n'avions pas beaucoup de temps avant que... oui, voilà, une lueur se formait déjà devant le Papilusion. Heureusement la Colossinge avait récupéré du choc, elle me jeta un regard et enregistra ma demande signifiée par deux doigts tendus - Tomberoche.

Ses muscles se gonflèrent et elle sauta, prenant de l'élan pour frapper le sol de ses poings. Au même instant, un rayon blanc veiné de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel fusa depuis la bouche du Papilusion, droit sur Teigne. Il fut intercepté par un rocher qui se matérialisa sur sa trajectoire et le craquement de la pierre retentit, suivi d'une détonation sèche alors que la roche surchauffée explosait en des milliers de morceaux tranchants. Projetés vers la Colossinge, ils l'écorchèrent alors même que le rayon la soulevait de terre dans un grésillement pour l'envoyer à plusieurs mètres de là.

- Ultralaser ? Putain, t'y vas pas avec le dos de la cuillère... fis-je remarquer à Vivian tandis que son Papilusion se recevait les quelques rochers restants, sans toutefois sembler trop affecté.

- Je te l'ai déjà dit, on ne joue plus.

Il jeta un coup d'œil à Teigne qui se relevait, tremblante.

- Elle n'a pas beaucoup de marge, ajouta-t-il, il faut qu'elle le tue maintenant ou au prochain coup, sinon...

Un frisson descendit le long de mon dos.

- Je croyais que c'était un entraînement ?

- Un entraînement ne vaut rien s'il ne se passe pas dans des conditions réelles. Et puis si elle crève, ça veut dire qu'elle est trop faible pour ton équipe, donc je te rends service.

Mon estomac se noua. Durant un instant, je me vis rappeler Teigne, la mettre en sécurité dans sa Pokéball et dire à Vivian que c'était fini, qu'on s'arrêtait là, que je n'allais pas risquer la vie de mes Pokémon pour son bon plaisir et qu'il pouvait s'en aller. Que je n'avais pas besoin de lui. Et puis cette vision fut remplacée par celle des cadavres de mes Pokémon face à Zack, et je serrai les mâchoires.

Un geste décisif de ma main droite fit savoir à Teigne ce que je désirais d'elle. La Colossinge n'hésita pas, amorçant un saut pour réitérer son attaque précédente... et s'arrêta quand un ultrason crissa à ses oreilles, pour finalement bondir vers son adversaire afin de lui asséner un coup de poing. Je tiquai. D'habitude, Teigne ne se laissait jamais distraire comme ça - la tactique de la confusion n'avait jamais marché sur elle, elle était toujours bien trop concentrée sur ce qu'elle faisait pour tomber dans le panneau. Sauf là. Le Papilusion de Vivian était-il puissant à ce point ? Il y eut un bruit comme du papier qu'on froisse lorsque l'une des ailes du Pokémon insecte se déchira sous l'impact, et le Papilusion poussa un cri aigu qui me propulsa soudain un mois et demi en arrière, me rappelant Ficelle avant tant d'acuité que j'eus l'impression de l'avoir sous les yeux.

Teigne recula, les oreilles rabattues sur la tête.

- Singe ! s'exclama-t-elle d'un ton énervé où pointait une touche d'indécision.

L'autre battit soudain des ailes à un rythme infernal et fit naître une tornade qui engloutit la Colossinge en son cœur. Les bourrasques sifflantes la ballottèrent dans tous les sens durant une longue minute, tordant son corps et forçant ses membres à se courber alors qu'elle bandait désespérément ses muscles pour résister aux brusques tractions exercées par la force du vent.

- Sois comme le roseau, pas le chêne, Teigne, avais-je essayé de lui expliquer. Plie au lieu de te braquer.

Comme d'habitude, elle n'en faisait qu'à sa tête.

Lorsque le Papilusion cessa d'agiter ses grandes ailes et que les vents moururent, Teigne se réceptionna à terre avec un grognement. Elle chancela, ses oreilles frémirent, ses poings s'ouvrirent puis se serrèrent à nouveau. Coup d'œil dans ma direction. Je réitérai mon ordre. Fléchissant les genoux, la Colossinge virevolta et frappa. Le sol.

Elle avait visé parfaitement et le Papilusion se trouva assailli sous une pluie de rochers qui l'obligea à se lancer dans une série d'acrobaties. Des mouvements qui lui demandaient toute sa concentration. Profitant du chaos, Teigne se rua sur lui. Son Ultimapoing expédia le Papilusion à terre, mettant fin à son vol erratique et lui arrachant un petit cri.

La Colossinge s'avança vers sa forme prostrée alors qu'il tentait de déployer ses ailes sans y parvenir. Ses antennes s'orientèrent vers Teigne, je vis ses yeux à facettes lancer des éclairs - qui n'étaient autres que les reflets du soleil.

- Lusion ! pépia-t-il.

Teigne s'arrêta. Pencha la tête de côté.

- Lusion ! répéta le Papilusion d'une petite voix.

La Colossinge trembla. Tous ses poils se hérissèrent soudain.

Et puis la violence contenue en elle explosa.

Sautant sauvagement sur le Papilusion, elle se mit à le frapper encore et encore, chacun de ses coups plus brutal que le précédent. Déchirant ses ailes, broyant son visage, pulvérisant ses yeux à facette, écrasant son torse, enfonçant son corps dans la terre humide. Le tout accompagné de bruits mous, de plus en plus spongieux, et des petits gémissements du Papilusion qui se turent bien vite.

Paralysée, j'assistai sans bouger à la scène, témoin de ce déchaînement de fureur aveugle. C'était comme si le temps s'était arrêté, immobilisant mes bras, mes jambes, ma bouche. Et mon cœur. Dans l'instant présent, je ne ressentais rien. Un brouillard figeait mon cerveau, transformant le monde en un tableau irréel, un rêve lointain, à demi oublié, et en même temps, paradoxalement, tout était d'une clarté impitoyable, tranchante. L'odeur du sang, les morceaux d'ailes irisées qui collaient aux poings de Teigne, les couinements du Papilusion, ses yeux explosés déversant leur contenu vitreux à terre, les sursauts d'agonie qui agitaient ses antennes, le bruit des chocs, le sourire - le sourire, putain - de mon frère. Tout se gravait en moi comme au fer rouge.

Teigne ne s'arrêta lorsque le Papilusion fut réduit à l'état de bouillie sanglante.

La voix de Vivian s'éleva, légère, satisfaite :

- Elle ira loin, cette Colossinge.

Mes jambes cédèrent et je tombai à genoux pour vomir dans l'herbe.


***

- Quelle sera la suite ?

La question du commentateur trouva immédiatement réponse alors que les Pokéballs des dresseurs relâchaient leur contenu dans deux gerbes de lumière identiques. Les formes qui apparurent, cependant, étaient très différentes.

- Cette cinquième manche opposera l'Ossatueur Hécatombe, assoiffée de sang, face à un Noadkoko solide et endurant ! Il semblerait que la chance sourie au challenger, cet avantage de type pourrait se révéler crucial ! Mais n'oublions pas qu'Hécatombe est déjà sortie vainqueur de nombreux combats contre des Pokémon plante...

Hécatombe. Tu parles d'un surnom...


Nullement impressionné par une telle adversaire, le Noadkoko débuta le duel par un Poudre Dodo. Les spores blanchâtres se répandirent en un nuage dense sur l'Ossatueur, mais cette dernière fit tournoyer son os devant elle pour les disperser, avant de lancer son arme fétiche. L'os décrivit un large arc de cercle, alla frapper le visage principal du Noadkoko, puis revint dans la main de sa propriétaire tel un boomerang à la précision redoutable. L'enchaînement des deux actions avait en tout duré moins de deux secondes.

Chancelant, le Noadkoko émit un borborygme étrange - un cri de colère peut-être ? - et fit une grande enjambée en direction de son adversaire. L'instant suivant, des volutes de lumière verte tourbillonnantes s'enfuirent du corps de l'Ossatueur pour rejoindre celui du Pokémon plante - cette fois-ci, impossible de parer pareille attaque avec un os. Hécatombe ne parut cependant pas affectée, fonçant vers son adversaire en brandissant son arme sans marquer la moindre hésitation. L'autre se campa sur ses pieds, prêt à encaisser le coup. Sa tentative d'amortir le choc ne réussit qu'à moitié car lorsque l'Ossatueur le frappa en plein dans le ventre, se servant de son crâne comme d'un bélier, il dérapa dans le sable et il s'en fallut de peu qu'il tombe, prouvant ainsi qu'une petite Pokémon d'à peine un mètre était tout à fait capable d'en repousser un qui faisait deux fois sa taille. Le Noadkoko perdit donc du terrain mais parvint à rester sur ses pattes de justesse.

Jusqu'à ce que l'Ossatueur se retourne et le frappe à bout portant avec son os.

Le Pokémon plante chuta lourdement, les feuilles de palmier qui ornaient ses têtes cinglant le sol. Et ne bougea plus. La caméra fit un gros plan sur ses yeux fermés. Était-il inconscient ? Peut-être allait-il se relever d'un instant à l'autre... Je savais que ce Pokémon en particulier pouvait lancer des attaques même en restant à terre : il ne fallait pas le sous-estimer. Le champion devait partager mon avis car l'Ossatueur leva à nouveau son os pour asséner le coup de grâce.

Elle n'en eut pas le temps : le Noadkoko avait ouvert les yeux et l'espace entre les deux Pokémon se teinta soudain d'un vert âpre alors que le Pokémon de Zack absorbait la force vitale de l'Ossatueur. Cette dernière sauta brusquement en arrière, comme brûlée par une flamme, puis s'éloigna aussi vite qu'elle le pouvait. Cette fois-ci sa fatigue était apparente, car elle traînait la patte et s'appuya même sur son os à plusieurs reprises. Elle partit se positionner à l'autre bout du terrain tandis que le Noadkoko se relevait, puis fit volte-face, le fixant d'un regard intense.

Une soudaine bourrasque agita alors les feuilles au sommet de la tête du Pokémon plante, puis une autre, amenant avec elle des cristaux de glace. Qu'est-ce c'était que cette attaque ? J'observai avec intérêt une tempête miniature se former autour du Noadkoko, une tourmente qui se manifesta sous la forme d'une série de vagues d'une neige poudreuse portées par un vent sûrement glacial. Le blizzard assaillit le Pokémon plante durant une longue minute. Il était difficile de distinguer exactement ce qui se passait au centre du maelström, mais les caméras qui enregistraient le combat zoomèrent toutes sur la scène afin d'offrir l'image la plus nette possible, et je pus voir le Noadkoko trembler, et son tronc ployer sous les bourrasques alors qu'une couche de glace s'y formait. Plusieurs fois, il parut sur le point de s'écrouler, mais il résista finalement jusqu'à ce que l'attaque se dissipe.

Face à lui, l'Ossatueur tenait son os levé à l'horizontale, prête à frapper. Ses yeux étincelèrent, elle arma son bras... mais le Noadkoko se montra plus rapide, et ses trois bouches s'ouvrirent alors qu'il absorbait goulûment l'énergie vitale de son adversaire. Un Giga-Sangsue qui dura particulièrement longtemps. Lorsque le dernier ruban de lumière verte s'échappa de l'Ossatueur, elle s'effondra, vaincue.

Ce qui signifiait que Zack n'était plus qu'à une manche de la victoire ultime.

***

- Olga.

- Flagadoss, Lokhlass, Crustabri, Lamantine, Lippoutou.

- Leurs attaques ?

Je les récitai toutes dans l'ordre.

- Aldo, demanda ensuite Vivian sans même marquer une pause.

J'obtempérai, listant les Pokémon d'Aldo, puis leurs attaques respectives.

- Agatha, continua mon frère.

Cette fois, je mordis dans ma tartine avant de répondre. Quand même.

- Nocheferalto, Chpectrum, deux Ectoplachema. Et un Arbok, ajoutai-je plus intelligiblement une fois que j'eus avalé ma bouchée.

- Peter.

Toujours ce ton inflexible. Lorsqu'on en venait à mon entraînement, Vivian ne plaisantait pas. Jamais.

- Deux Draco, un Léviator, un Dracolosse, un Ptéra. Oh, ça me fait penser, je pourrais aller chercher le fossile dont tu m'as parlé pour en avoir un aussi non ?

- Un sans faute, constata-t-il sans relever ma question. Enfin. J'ai cru que tu n'y arriverais jamais.

Je pinçai les lèvres. Les compliments venant de mon frère étaient rares, pour ne pas dire inexistants, mais je pensais vraiment que j'aurais droit à plus de considération vu que j'avais tout bien retenu. Ce n'était pas si facile que ça.

- J'y serais ptet arrivée plus rapidement si tu me laissais regarder les matches à la télé, objectai-je.

- Je te l'ai déjà dit, ils risquent de fausser ton jugement. Et le commentateur raconte n'importe quoi.

- Vous voulez encore de la confiture mes petits Canartichous ? nous interrompit la Pokémère d'une voix mielleuse.

- Non !

Une réponse synchrone provenant de nos deux bouches, née d'une habitude pure. La fausse mère posait toujours la même question lors de notre petit-déjeuner, invariablement à la même heure et à la même minute depuis la semaine et demi que Vivian était là. D'une manière générale, elle me semblait beaucoup plus collante qu'avant, toujours dans nos pattes à s'assurer que nous ne manquions de rien et à nous appeler par des surnoms qui atteignaient des sommets de ridicules. Nous choisissions de l'ignorer en grande partie, c'était plus simple à la fois pour nos discussions et notre santé mentale.

- De toute façon tu vas pouvoir faire l'expérience des combats en vrai, et ce très bientôt, me rappela Vivian.

- Demain ?

- Dès que ton rival aura vaincu la Ligue.

Je grognai. Ce n'était pas pour tout de suite. Zack venait de vaincre Peter, et le match contre le champion était programmé pour dans trois jours - merci programme télé.

- Sois pas impatiente, Limace. En plus l'entraînement de Vésuve n'est pas terminé.

Je caressai furtivement la Pokéball du Magmar. Tous les autres membres de l'équipe étaient en dehors de leurs balls, dans le jardin ou la cuisine, profitant de la fraîcheur de la matinée. Libres. Mais pas le Magmar : il était puni car il ne suivait pas mes ordres. Il s'agissait de la méthode de Vivian pour lui apprendre l'obéissance. Je me demandai si elle aurait le temps de porter ses fruits avant que je ne retourne au plateau Indigo.

- Lorsque tu te retrouveras face au Conseil des Quatre, tu regretteras peut-être d'avoir tant voulu les affronter, déclara Vivian. Mais même si tes Pokémon meurent, même si ton Salade se fait tuer, il faudra que tu continues.

- Je sais.

- Entre savoir et faire, il y a un gouffre.

- Je sais, répétai-je.

- Ça ne suffit pas. Il faut que tu me promettes que tu n'abandonneras pas, quand bien même tu devrais vaincre Zack avec un seul Pokémon.

- Je te le promets.

De toute façon ça ne me coûtait rien, parce que c'était ce que je ferais dans tout les cas.

- Bien, fit Vivian en se rencognant dans sa chaise, sourire aux lèvres. Maintenant on recommence. Olga ?

- Quoi ? Mais je viens de tout te réciter sans me tromper !

- Moi j'appelle ça un coup de chance. Prouve-moi que j'ai tort.

Je rassemblai mes pensées et m'attelai à la tâche.


***

Dernière manche.

Dernière manche, un score de quatre à zéro, et pourtant la posture du champion était toujours aussi confiante. Il n'avait même pas remporté de manches - juste un nul lors de l'affrontement Akwakwak/Alakazam. Alors pourquoi ne s'inquiétait-il pas ? S'agissait-il d'un bluff pour les caméras, un refus de perdre la face en public en somme, ou bien disposait-il d'un atout dans sa manche ? Zack quant à lui paraissait calme, concentré. Ses traits étaient détendus, exception faite de ses yeux, légèrement plissés. Je lui connaissais bien cette expression : il réfléchissait à une stratégie. Face au Voltali du champion, son Dracaufeu partait avec un handicap. Il avait le droit d'utiliser un autre de ses Pokémon bien sûr, mais fatigués comme ils l'étaient après leurs duels, ça devenait dangereux. Je crus lire de l'hésitation dans ses yeux alors que la caméra s'attardait sur son visage, mais finalement il relâcha son Dracaufeu. Le Pokémon ailé cracha un jet de flamme en débarquant sur le terrain, tête renversée vers le ciel. Se matérialisant à son tour, la Voltali du champion répliqua à cette démonstration de force par un large éclair qui se scinda en deux fourches avant de se dissiper dans l'atmosphère. Le coup de tonnerre qui en résulta fut si fort que le son de la télé grésilla.

- Mesdames et messieurs, c'est incroyable ! Alec n'a plus qu'un seul Pokémon, tandis que le challenger dispose encore de presque toute son équipe ! Le règne du champion touche-t-il à sa fin ? Ou bien sa Voltali, la fameuse Tétra plus rapide que la foudre le sauvera-t-elle de la défaite ? Elle aura fort à faire ce féroce Dracaufeu qui n'a jamais perdu un seul combat !

Je tiquai. Vraiment, Zack ? Ça c'était de la publicité mensongère...

Le combat débuta l'instant suivant, les deux Pokémon se jetant de toutes leurs forces dans la bagarre. Le premier échange fut explosif : une série de dards électrifiés jaillirent d'un côté, une dizaine de fouets enflammés de l'autre, et les deux attaques se croisèrent avant de continuer leur course pour atteindre leur cible respective. Grésillement, crépitement. Les dards criblèrent la peau du Dracaufeu de minuscules impacts, leur pointes aussi fines que des aiguilles pénétrant profondément l'épiderme épais du reptile et relâchant leur charge électrique dans son organisme, tandis qu'une cage de flammes se formait autour de la Voltali, un réseau de lignes de feu brûlantes qui se resserrèrent progressivement autour de leur victime. Au dernier instant, la Pokémon électrique bondit hors du piège, frôlant les bords enflammés qui lui embrasèrent les flancs. À peine s'était-elle réceptionnée au sol qu'elle s'y roulait aussitôt afin d'éteindre sa fourrure fumante.

Le Dracaufeu inspira pour projeter un autre souffle de feu, les flammes rugirent en sortant de sa gueule. Elles auraient submergé la Voltali si elle ne les avait pas esquivé d'un agile roulé-boulé ; en l'occurrence, elles ne frappèrent que le sable mêlé de poussière. La Pokémon se releva d'un mouvement fluide et son pelage se hérissa soudain alors qu'elle accumulait de l'électricité, puis revint à la normal une fraction de seconde plus tard alors qu'elle la déchargeait sous la forme d'un immense éclair. Il atteignit le Dracaufeu avant même que ne retentisse dans tout le stade son bruit de tonnerre correspondant, crucifiant le reptile, tétanisant ses muscles et vaporisant instantanément la sueur qui recouvrait sa peau.

Sans lui laisser le temps de se reprendre ou de réagir, la Voltali courut vers son adversaire, ses pattes martelant la terre à une vitesse infernale. Elle bondit, cherchant probablement à bousculer le Dracafeu, à lui rentrer dedans brutalement. Ce ne fut pas ce qui se passa. Pas du tout. Au lieu de percuter le Pokémon feu, ce fut lui qui la percuta le premier, avec ses griffes. La Voltali se prit d'abord celles de sa patte gauche en pleine figure, immédiatement suivies de leurs jumelles qui labourèrent cette fois son flanc. La fourrure jaune de la Pokémon se teinta de rouge tandis qu'elle se trouvait déviée de sa trajectoire par l'impulsion des coups qu'elle venait de recevoir, la ligne droite devenant courbe qui se termina dans la poussière.

Là-dessus, le Dracaufeu prit son envol, jouant son avantage côté portée des attaques. Il passa une première fois au-dessus de la Voltali en train de se redresser, expulsant une gerbe de flammes qui roussit les poils de son ennemi, puis il fit demi-tour pour tenter une attaque identique que cette fois la Voltali évita d'un saut sur le côté. Elle contre-attaqua dans la seconde, expédiant vers le Dracaufeu un cercle d'électricité qui alla l'enserrer à la taille, lui paralysant les ailes. Le Pokémon de feu fut forcé de se poser en catastrophe, il faillit se crasher à terre et réussit au dernier moment à se redresser suffisamment pour poser ses pattes en premier.

Sans doute désorienté par cet atterrissage forcé, il ne perçut que trop tard la Voltali qui se ruait sur lui et sa riposte fut instinctive, si bien qu'il lâcha un jet de flammes qui explosa autour d'eux dans un grondement de fin du monde alors qu'il recevait la charge de la Pokémon en plein dans le ventre. La fumée dégagée masqua les deux adversaires au regard de tous, le feu se déclinant en volutes à ses extrémités. Les exclamations du public retombèrent, le silence se fit dans l'attente du résultat de ce double assaut.

Une forme fusa soudain du nuage à une vitesse hallucinante : la Voltali avait l'air de s'en être bien tirée, elle était toujours aussi rapide en dépit des attaques qu'elle avait essuyées. Le Dracaufeu ne tarda pas à émerger également de la fumée, agitant sa queue tel un fouet alors que la flamme qui brûlait au bout paraissait avoir triplée de volume. Durant un instant fugace, les deux Pokémon se regardèrent, puis les hostilités reprirent, encore plus violemment qu'auparavant me sembla-t-il. Une volée de dards combinée à une attaque électrique zébrèrent l'air, tandis qu'en face c'était une langue de flammes orangées qui montait à l'assaut. Le Dracaufeu parvint à éviter la morsure de la foudre mais pas celle des piques acérées ; elles s'enfoncèrent profondément dans sa chair et lui tirèrent un grognement rauque. De l'autre côté, la Voltali était parvenue à esquiver les flammes et enchaînait déjà, fonçant en trombe sur son ennemi. Je vis le Dracaufeu se camper, une demi-seconde s'écoula encore.

Et puis le choc.

Frontal.

Des cris s'élevèrent dans le public alors que les deux Pokémon s'écroulaient. Ils semblaient pourtant tenir le coup l'un comme l'autre jusque là, mais ce brusque impact physique avait peut-être été la dernière goutte dans deux vases remplis à ras bord. Mais non, ils n'étaient pas encore vaincus : le Dracaufeu comme la Voltali venaient de bouger, l'un ses ailes, l'autre ses pattes. Ce fut le Pokémon de Zack qui se redressa, déjouant les attentes de nombreux spectateurs à en juger par les cris déçus : il s'assit lentement, ses narines frémissantes, ses flancs se soulevant d'une manière erratique. Son premier regard ne fut pas pour son adversaire mais pour son dresseur. Et Zack leva le bras puis tendit deux doigts, un geste qui ne pouvait signifier qu'une chose.

Achève-la.


La Voltali était toujours à terre. Le Dracaufeu ouvrit sa gueule, un minuscule point de feu scintillant tout au fond, un point qui allait s'embraser avec son souffle et se transformer en un flamboiement aveuglant, un déluge de flammes qui ne laisserait pas la moindre chance à la Voltali...

Une voix retentit soudain, impérieuse, surpassant les hurlements de la foule. La voix du champion.

- Tétra !

Le surnom de la Voltali agit comme un coup de fouet sur cette dernière et elle se redressa d'un bond, tremblante, la bave aux lèvres. Sa fourrure grésilla, elle voulut lancer ce qui devait être un Fatal-foudre, mais l'éclair se dissipa dans l'air alors qu'il avait à peine quitté son corps : elle n'avait plus assez de force pour ce genre de choses. Et elle n'avait plus le temps non plus. La déferlante de feu arrivait déjà sur elle. Elle tenta une esquive à la dernière seconde, une dernière chance de s'écarter de la trajectoire de l'attaque. Peine perdue. Ses pattes la trahirent à nouveau, se dérobant sous elle, et elle s'effondra.

Trop lente, trop faible, trop tard.

Les flammes l'engloutirent, mettant fin à sa vie en même temps qu'aux espoirs de son dresseur de conserver son titre.

C'était terminé. Zack avait gagné.

L'image du stade s'effaça pour laisser place au visage de mon rival. Il exultait, regard triomphant, dents découvertes dans un grand sourire féroce. Sous les vivats de la foule, il s'inclina, tel un artiste après une représentation. Le public se mit à scander son nom, tout le stade vibrant au rythme de sa victoire. Zack. Zack. Zack.

Quelques instants plus tard, une journaliste s'approchait de lui, micro en main.

- Zack Chen, vous venez de remporter le titre de champion de la Ligue Pokémon. Comment vous sentez-vous ? Vous étiez confiant de votre victoire ?

- Depuis le début, affirma Zack. Je n'ai jamais douté que j'accéderais un jour au sommet de la Ligue. J'ai toujours su que je méritais ce titre... et je défie quiconque de venir me le prendre.

Son regard se planta droit dans la caméra, comme une provocation à mon encontre. Je sentis une détermination nouvelle m'envahir.

J'arrive, Zack. Ne te complais pas trop à ta place de champion parce que tu ne vas pas y rester longtemps.


Un clic retentit soudain derrière moi, et la télé s'éteignit.

- Il me semblait pourtant t'avoir dit de ne regarder aucun match, fit la voix de Vivian.

- Ceux du Conseil des Quatre, me défendis-je. Là ça concernait un champion que je n'aurais jamais eu à affronter de toute façon. Je ne vois pas le problème.

- Le problème, c'est ce Zack, justement. Sors-le de ta tête. Tu ne peux pas te permettre d'être distraite à la veille de ton premier match.

- La veille ? relevai-je, l'impatience transparaissant dans mon ton.

Il hocha la tête.

- À supposer que tu passes le test d'aujourd'hui. Considère-le comme ton examen final.

Je n'étais pas étonnée. Ces deux semaines passées avec Vivian avaient été émaillées d'épreuves diverses et variées, alors une de plus...

- Et ça consiste en quoi ? demandai-je donc, m'attendant au pire.

Ce qui sortit de sa bouche me surprit pourtant :

- Tu vas tuer un oiseau légendaire.

***

Un chapitre assez différent des autres. Je me suis bien amusée à inventer totalement les combats, pour une fois que j'ai le champ libre. ^^



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