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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 03/07/2013 à 19:52
» Dernière mise à jour le 03/07/2013 à 21:11

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Chapitre 25 : Obstacles et sacrifice
- Maraude !

Mon cri retentit dans le jardin. Pas de réponse. Je me penchai par la fenêtre, essayant de repérer la Feunard dans les buissons qui flanquaient la clôture du fond - c'était toujours là qu'elle se trouvait. Était-ce elle, cette tâche blanche que j'apercevais à travers les taillis, ou bien juste un reflet du soleil sur un quelconque papier ? Impossible d'en être sûre.

- Maraude ! repris-je d'une voix forte. On va bientôt partir !

Le truc blanc ne bougea pas. Si c'était bien la Feunard, elle choisissait délibérément de m'ignorer. Ce qui ne me changeait pas des deux derniers jours : depuis qu'on était rentré de Jadielle, son comportement avait complètement changé. Elle restait dans le jardin, le plus souvent couchée à l'ombre des buissons, la tête entre les pattes. Pas qu'elle soit hostile, non : on pouvait l'approcher, et même la toucher. Dans mon cas, elle faisait simplement comme si je n'existais pas. Mes autres Pokémon eux au moins avaient droit à un grognement, voire même à un "Feunard" prononcé d'une voix lasse. C'était encore Gonflette qui avait le plus de contact avec elle, car la Machoc lui portait son repas deux fois par jour. Au moins, la Feunard s'alimentait - c'était déjà ça. J'avais eu peur qu'elle se laisse dépérir mais ce n'était pas le cas. Je m'inquiétais tout de même à son sujet. Sa blessure à l'arrière-train semblait être guérie - du moins la Feunard ne boitait-elle plus lorsqu'elle se déplaçait. La convalescence n'avait pas excédé deux jours : la puissance des machines de soin ne cessait de m'étonner. Mais elles ne pouvaient s'occuper que des blessures physiques, et ce qui rongeait Maraude ne pouvait pas se régler d'une simple pression sur un bouton.

Je redoutais le moment où j'allais devoir aller la chercher. Elle me blâmait pour la mort de Grignotte, et je ne savais pas comment m'y prendre avec elle. J'avais essayé de lui parler doucement en tête-à-tête, j'avais essayé au contraire d'être inflexible et d'exiger qu'elle me réponde, j'avais même essayé de lui promettre que je la relâcherai une fois que j'aurais vaincu le Conseil des Quatre, qu'il lui suffisait de m'aider à aller jusque là et qu'ensuite elle serait libre. Rien n'y faisait, elle se refusait toujours à réagir à ma présence. Il allait pourtant bien falloir qu'elle arrête de m'ignorer : j'avais besoin d'elle pour la suite des événements.

Me détournant de la fenêtre, je jetai un coup d'œil circulaire à ma chambre. Mon sac à dos reposait sur le lit, ainsi que ma ceinture de Pokéballs - toutes vides pour le moment car j'avais libéré la troupe pour le petit-déjeuner un peu plus tôt. Juste à côté, il y avait une grosse bosse sous les couvertures que je savais être Poupidou : le Saquedeneu était tombé amoureux de ma couette pour une raison inexpliquée, et il avait insisté pour dormir à mes pieds ces deux dernières nuits. Je m'approchai et tapotai doucement le gros renflement.

- T'es réveillé mon Poupidou ? Tout le monde est déjà levé tu sais, il est tard.

"Tard" dans ces circonstances signifiait neuf heures du matin : j'avais voulu me lever assez tôt afin de parvenir au plateau Indigo avant la fin de la journée.

- Neu... fit la boule sous ma couette.

- Mais si, allez, l'encourageai-je. On va bientôt partir, et tu voulais dire au revoir à Vésuve nan ?

J'obtins la réaction escomptée, et la boule commença à se déplacer avant de ressortir au bout de mon lit, atterrissant sur la moquette dans un bruit feutré.

- Saquedeneu ? m'interrogea le petit Pokémon en tendant une liane vers ma ceinture de Pokéballs.

- Non, il est encore en bas avec les autres, lui indiquai-je.

Le Saquedeneu se précipita dans le couloir et je l'entendis dévaler les escaliers quelques instants plus tard. Avant de le rejoindre, je pris un moment pour vérifier que j'avais bien toutes mes affaires. Mes badges, oui. Ma carte dresseur, c'était bon. Pokédollars, présents. Mon stock de potions et autres objets guérisseurs, là. Et enfin, les quelques Hyperballs que j'avais gardées au cas où - il ne me restait que deux endroits pour des captures potentielles d'après la carte, et même si je doutais fortement de croiser des Pokémon dont j'allais me servir en combat, on ne savait jamais.

Je refermai mon sac non sans avoir jeté un dernier regard aux Pokéballs grisées tout au fond, puis descendis dans la cuisine.

- Alors ma chérie, prête pour le grand jour ? s'enquit ma Pokémère avec un sourire que je trouvai presque normal.

- Je pense, oui. J'espère juste que Maraude...

Ma phrase resta en suspens face aux possibilités qui me traversèrent l'esprit. La Feunard allait-elle seulement accepter de revenir dans l'équipe ? Et si elle ne me pardonnait jamais, qu'allais-je donc faire ?

- Ne t'inquiète pas, Léa. Les coups de déprime ça arrive à tout le monde, même aux Pokémon, mais elle finira par s'en remettre. En attendant, rien ne sert de se ronger les sangs.

- Ouais... acquiesçai-je, seulement à moitié convaincue.

Une assiette remplie de petits gâteaux apparut soudain sous mon nez.

- Choc ? émit Gonflette en rapprochant encore un peu plus son offrande, ce qui me donna l'impression qu'elle me suggérait de prendre ceux au chocolat.

- Euh, j'ai vraiment plus faim là... déclinai-je.

- Ma ?

- Non... Tu sais il reste plus beaucoup de place après les quatre tartines, le bol de céréales, et les deux premiers petits gâteaux.

- Choc ! s'exclama la Machoc à l'intention de ma fausse mère, changeant de cible.

- Oh oui, avec plaisir ! répondit cette dernière. Tu ne trouves pas que les gâteaux de Gonflette sont délicieux, ma chérie ?

- Ils sont excellents, renchéris-je.

Apparemment nous n'étions pas les seules à penser ça car une grosse main rafla alors tous les gâteaux restants. Un bruit de mastication s'éleva tandis que Teigne profitait de son butin, des miettes échouant sur sa fourrure à chaque fois qu'elle ouvrait un tant soit peu la bouche pour y enfourner un autre cookie.

- Machoc ! protesta Gonflette en donnant un coup sur la tête de la Colossinge à l'aide de l'assiette. Machoc, ma ! continua-t-elle, ce que je traduisis approximativement par "Grosse goinfre !".

- Finve ! commenta Teigne, sa bouche trop pleine déformant son habituelle réplique.

Elle termina de tout avaler, se tapota le ventre d'un air heureux, puis leva le regard sur moi.

- Colossinge ? s'enquit-elle, et cette fois je savais qu'elle avait bien plus à l'esprit qu'une simple satisfaction culinaire.

- On part dans cinq minutes, juste le temps que j'aille chercher Maraude, lui confirmai-je.

Un hochement de tête enthousiaste me répondit. Je sortis dans le jardin tandis que Teigne posait une question à Gonflette (qui concernait peut-être la recette de ses gâteaux). Malgré l'heure matinale, la chaleur était déjà accablante, et la plupart de mes Pokémon s'étaient réfugiés à l'ombre, recherchant fraîcheur et protection contre les rayons de l'astre du jour. Seuls Salade, Poupidou et Vésuve se trouvaient en plein soleil. Le Florizarre avait l'air de somnoler à moitié, écoutant tout de même distraitement le Saquedeneu et le Magmar qui discutaient non loin de lui.

- Neuneu ? entendis-je Poupidou demander alors que je passais devant les deux amis.

- Magmaaaar, lui répondit Vésuve en lui tendant la main.

Le Saquedeneu y glissa une de ses lianes, qui curieusement ne s'enflamma pas. À vrai dire, Poupidou se tenait plutôt proche du Magmar et ne semblait même pas gêné. Est-ce que le Pokémon feu arrivait à contrôler ses flammes pour les rendre inoffensives ? Voilà qui était intriguant...

Il y eut soudain un battement d'ailes sur ma droite, suivi d'un coup de vent rafraîchissant, puis Fulgure se posa près de moi.

- Rapasdepic ? me demanda-t-il.

- Désolée Fulgure, mais je n'ai pas changé d'avis depuis hier soir. Toi, tu restes ici.

L'oiseau me jeta un regard attristé. Enfin, je crois - j'avais toujours autant de mal à lire les expressions du Rapasdepic. Je lui adressai un sourire, lui assurant qu'il m'avait été d'une grande aide jusque là, puis rejoignis le fond du jardin où je m'accroupis près des buissons.

- Maraude ? m'enquis-je. Maraude, t'es là ?

Silence.

Je m'approchai davantage, écartant quelques branches, et découvris la Feunard, à moitié dissimulée dans un espèce de trou qu'elle avait dû creuser elle-même. Elle était couchée, ses neufs queues ramenées vers sa tête pour former un petit coussin de fourrure confortable, mais ne dormait pas : ses yeux couleur rubis étaient grands ouverts, fixés sur un point situé bien au-delà de moi.

- Tu viens ?

Elle ne bougea pas d'un pouce. Encore une fois, elle refusait de reconnaître ma présence. Son regard me traversait littéralement, me donnant l'impression d'être un fantôme.

- T'es plus blessée... insistai-je. Tu peux à nouveau te battre, et j'ai besoin de toi. Tu comprends ça ?

Toujours aucune réaction. Je soupirai et m'assis à même la terre, essayant de trouver les mots pour lui expliquer, les mots qui lui feraient comprendre...

- J'ai fait de mon mieux. Et je suis désolée, vraiment vraiment désolée que Grignotte soit mort, et ça me fait très mal à moi aussi. Mais il savait bien que c'était dangereux de se battre, qu'il y avait toujours un risque que... et pourtant il me suivait quand même. Je pense qu'il croyait en ma quête... Il pensait réellement qu'avec son aide je pouvais aller jusqu'au bout, je pouvais vaincre le Conseil des Quatre. Alors c'est ce que je vais faire, parce que sinon il sera mort en vain. Mais je peux pas y arriver sans toi, Maraude.

La Feunard ne disait rien, si immobile que j'aurais pu croire avoir affaire à une statue n'eût été le lent mouvement de ses flancs qui se soulevaient au rythme de sa respiration. Ce comportement m'exaspérait, j'aurais encore préféré qu'elle me grogne dessus.

- Tu dois te dire que je ne peux pas comprendre ta peine, continuai-je. Mais j'ai aussi perdu quelqu'un récemment qui comptait autant à mes yeux que Grignotte aux tiens. Quelqu'un avec qui, peut-être, j'aurais pu entrevoir un futur, quelqu'un qui me faisait me sentir plus forte, quelqu'un qui...

Je m'arrêtai là, ne sachant pas quoi dire d'autre.

- Je ne peux pas t'aider si tu ne communiques pas avec moi, Maraude, finis-je par murmurer.

Le regard de la Feunard ne cillait pas, toujours fixe, toujours impassible. Le message véhiculé par son attitude me paraissait clair : "Tu ne peux pas m'aider, quoi que tu fasses, que ce soit par des paroles ou des actes". Ou alors : "Je ne veux pas de ton aide". Ce dernier faisait particulièrement mal. Je baissai la tête. Dans ces conditions, pas question de la faire réintégrer l'équipe. Il serait trop dangereux qu'elle se batte en ignorant mes ordres - en supposant même qu'elle accepte de se défendre face à un adversaire... Ça ne m'aurait pas étonné qu'elle se contente de s'allonger simplement à terre.

- D'accord, repose-toi alors, lui soufflai-je. Je reviendrai te chercher d'ici quelque temps.

En attendant, Vésuve pouvait remplir la place de Pokémon feu, et bien qu'il ait lui aussi un problème d'obéissance, j'avais plus de chance qu'il finisse par m'écouter qu'avec la Feunard.

- Rapasdepic ? interrogea Fulgure en me voyant revenir sans Maraude.

- Bienvenue dans l'équipe, mon grand...

J'avançai une main pour lui effleurer le cou mais il se déroba et fit claquer son bec à quelques centimètres de mes doigts. Grimace de ma part.

- T'aimes pas les caresses ?

En réponse, il me fixa longuement de ses yeux noirs. Fulgure et les câlins : négatif. OK, c'était enregistré.

- Bon, c'est l'heure, conclus-je sur un ton un peu amer, déçue que Maraude soit restée distante, mais tout de même décidée à aller de l'avant.

Je rappelai le Rapasdepic dans sa ball, puis fis de même avec Salade, Plouf, et Pleind'Soupe, ainsi que Vésuve qui avait fini de dire au revoir à Poupidou. Mais j'avais négligé un détail, et au moment de rentrer dans la maison, je trouvai une Teigne en travers de mon chemin. Une Teigne proprement furieuse.

- Singe ! beugla-t-elle en pointant du doigt la Pokéball de Fulgure à ma ceinture.

- Je n'ai pas vraiment le choix, Teigne, contrai-je. Comme Maraude ne veut pas venir, il me faut bien un sixième Pokémon pour la remplacer.

La Colossinge frappa du pied par terre, cria un "Singe !" énervé en direction de l'endroit où se cachait la Feunard, et commença à se diriger vers les buissons, ayant apparemment résolu de s'occuper elle-même du refus de Maraude. Je l'arrêtai d'un geste.

- Non, laisse-la. De toute façon tu as clairement un problème avec Fulgure, et c'est bien de ça qu'il s'agit ici et non pas de Maraude... Tu n'aimes pas les oiseaux en général, hein, Teigne ? Je ne t'oblige pas à cohabiter avec Fulgure, tu peux rester là si tu veux, je prendrai Nessie à ta...

- Singe ! m'interrompit la Colossinge en bondissant.

Ses sourcils se froncèrent encore plus, lui donnant l'air d'un bouledogue particulièrement féroce. J'avais bien compris son dilemme : elle voulait m'accompagner, mais ne supportait pas qu'il y ait un oiseau dans l'équipe. Pour une raison ou pour une autre, elle haïssait les volatiles, et si elle pouvait tolérer leur proximité comme elle l'avait prouvé à la maison avec Zozio et Fulgure dans les parages, elle n'acceptait pas de partager avec eux davantage qu'un espace de vie.

- Bon, écoute, on peut toujours trouver une solution... Si je ne vous libère jamais en même temps, ça te va ?

Elle pencha la tête de côté, son expression évoluant vers "bouledogue qui a avalé de travers et essaie de se rappeler comment respirer".

- Vous serez à tour de rôle hors de votre Pokéball, comme ça tu ne le verras même pas. Mais il est quand même dans l'équipe. Je ne peux pas faire mieux, Teigne, c'est ma meilleure offre.

La Colossinge se gratta le nez.

- On est d'accord alors ?

- Singe, acquiesça-t-elle avec réticence.

- Et ça serait bien que tu évites de t'enfuir comme hier, ajoutai-je, saisissant l'occasion au vol tant qu'elle était disposée à m'écouter. Je me suis inquiétée pour toi. Tu imagines ce qui ce serait passé si Fulgure ne t'avait pas trouvée ? Le Roucarnage de Zack t'aurait sûrement tuée.

Ce qui était une autre manière de dire : un oiseau t'a sauvé la vie. La Colossinge grogna en réponse. Ça n'avait pas l'air de lui plaire.

- Réfléchis un peu à ça, OK ? lui dis-je avant de la rappeler dans sa Pokéball.

Quelques minutes plus tard, lorsque ma Pokémère eut dispensé tous ses bons conseils ("N'oublie pas de te laver derrière les oreilles, Léa ! Et ne reste pas sous la pluie, tu vas prendre froid !") et que je fus passée rapidement par le labo du prof Chen pour faire coucou à mes Pokémon aquatiques, j'étais en route pour Jadielle, la première étape du chemin vers le plateau Indigo. Il ne me fallut qu'une vingtaine de minutes pour rallier la bourgade, après quoi je bifurquai vers l'ouest. La dernière fois que mes pieds avaient foulé ce sentier, ça avait été en compagnie de Zack, alors que l'orage avait éclaté lors de notre deuxième duel, le tout premier jour, il y avait de cela une éternité. Ou juste un mois et demi.

Je marquai une pause en passant devant l'arbre foudroyé, là où l'éclair été tombé si proche de nous que je l'avais ressenti jusque dans la moelle de mes os. Le végétal carbonisé se dressait au bord du chemin, géant rongé par le feu dont il ne restait presque rien : échardes de bois noirci, tronc calciné envahi par une mousse d'un noir verdâtre, et quelques branches mortes qui se dressaient vers un ciel couleur azur, tels des bras monstrueux cherchant à atteindre le soleil. Une odeur mêlant cendres et pourriture se dégageait des restes de l'arbre, faisant concurrence au parfum des fleurs qui poussaient aux alentours.

J'effleurai l'écorce rugueuse du bout des doigts. Pourquoi est-ce que je pensais à Zack tout à coup ? J'avais franchement mieux à faire. Et tout avait changé depuis ce jour où son Salamèche avait combattu mon Bulbizarre. J'avais grandi. Vu des choses que je n'aurais jamais osé imaginer. Fait des choses que je n'aurais jamais osé imaginer, aussi. La Léa d'alors ne connaissait rien au sens du mot "sacrifice", et j'avais le sentiment qu'avant la fin de toute cette histoire, j'en viendrais à connaître chaque nuance de ce terme. Je n'étais pas pressée d'y être - et en même temps, si, parce que ça signifierait que tout ça serait terminé, et que je pourrais enfin rentrer chez moi et oublier jusqu'à l'existence de Pokémon. C'était bien ce que je voulais, non ? Ce que j'avais décidé depuis le début... Alors pourquoi je me sentais mal en envisageant un tel futur ?

Un cri de frustration quitta ma gorge tandis que je balançais un coup de pied dans l'arbre ravagé.

Ça suffit maintenant, m'enjoignis-je mentalement. Je vais jusqu'au bout, et ensuite... je verrais.

Je repris la route sans m'attarder, et parvins jusqu'au bâtiment qui marquait l'entrée du chemin vers la Ligue. Le garde vint à ma rencontre.

- Z'êtes un challenger ?

Je confirmai sa demande d'un hochement de tête.

- J'vais avoir besoin de voir votre badge Roche avant de vous laisser passer.

Après lui avoir montré la preuve qu'il demandait, je ressortis de l'autre côté. Un chemin plus ombragé m'y attendait, pavé de pierres blanches et bordé de grands arbres aux feuilles d'un vert tendre. Encadrant le sentier, des arches aux solides piliers se tendaient vers le ciel avant de retomber en courbe douce, espacées les unes des autres de quelques centaines de mètres. Chacune d'entre elles était flanquée de deux statues, toutes différentes, qui représentaient soit des Pokémon, soit des personnes - sans doute des dresseurs célèbres, voire même les membres du Conseil des Quatre en personne. Le marbre dont elles étaient sculptées avait été poli par les éléments, au point qu'il avait fini par acquérir une patine lustrée qui accrochait les rayons du soleil et renvoyait de temps à autres des reflets dorés.

Je constatai bien vite qu'à chaque arche correspondait un garde, qui m'arrêtait à chaque fois pour me demander de lui présenter tel badge, en suivant l'ordre dans lequel je les avais obtenu.

- Vous ne voulez pas tous les regarder d'un coup ? proposai-je au quatrième garde lorsqu'il me réclama mon badge Prisme.

- Ah non, je ne peux pas, jeune fille. Mon travail consiste uniquement à vérifier que vous êtes en possession du badge Prisme.

Je continuai, pestant en silence contre cette façon de faire qui n'était qu'une perte de temps. Après plusieurs autres arrêts, j'arrivai devant un large plan d'eau qui bloquait totalement toute avancée, un lac à la surface duquel se pourchassaient des insectes bourdonnants, probablement pas naturel vu la manière abrupte dont la berge descendaient. Les dresseurs qui ne disposaient pas d'un Pokémon aquatique - ou d'un Pokémon vol, à la réflexion - devaient se mordre les doigts face à un tel obstacle. Fort heureusement ce n'était pas mon cas et je n'eus qu'à faire appel à Plouf pour effectuer la traversée.

En débarquant sur la petite plage en face, je m'agenouillai dans le sable le temps de me rafraîchir le visage, puis je pris quelques gorgées à ma gourde. L'eau parfumée à la fraise était déjà tiède et je grimaçai en déglutissant. Il faisait vraiment trop chaud.

- Tor tor ? s'enquit Plouf en se coulant à nouveau dans l'eau du lac.

Je scrutai le chemin que nous avions devant nous. Les pierres blanches avaient disparu pour laisser place à de hautes herbes, avec ici et là de gros rochers, parfois plus grands que moi. Plus d'arches ni de statues non plus, ce qui rendait les lieux tout de suite beaucoup plus sauvages.

- Je ne crois pas qu'il y ait d'autres plans d'eau, indiquai-je au Léviator.

- Lévia ! se lamenta-t-il avant de plonger jusqu'à disparaître complètement, m'aspergeant généreusement au passage.

Je fis sortir le reste de ma troupe, excepté Fulgure - pour cause de Teigne - et Pleind'soupe - pour cause de fainéantise aiguë (aussi appelé "non, laissez-moi dormir") -, puis nous repartîmes tous ensemble une fois que Plouf eut terminé ses ablutions. Dans la colonne que nous formions tandis que nous traversions l'étendue de végétation, Teigne bondissait en avant-garde, suivie par Vésuve qui lui collait au train comme si elle avait été une semelle et lui un vieux chewing-gum. Derrière eux venait Plouf, déjà sec à son plus grand dam, et sur lequel Teigne montait parfois pour avoir meilleure vue, aussi à son plus grand dam (mais il avait beau secouer la tête et grogner, la Colossinge continuait à l'escalader allègrement). Salade, lui, avait choisi de cheminer à mes côtés.

- Zarre, fit le Florizarre alors que je m'étais arrêtée pour enlever un caillou de ma chaussure.

- Quoi ?

Il y avait une lueur étrange dans son regard.

- Zarre, Flori ?

- Mais quoi ? répétai-je sans voir où il voulait en venir.

Il pointa une liane sur la plage d'où nous venions, puis mit une épaule à terre, avant de rouler sur le dos comme il le pouvait, gêné par son arbre-fleur dans une telle entreprise. Ah. Je me sentis rougir alors que l'épisode de roulage dans le sable avec Zack revenait au-devant de mon esprit.

- Salade, arrête, c'est bon j'ai compris, tu peux te relever, couinai-je d'une petite voix.

Se remettant sur ses pattes, le Florizarre me dévisagea intensément.

- Zarre ? me relança-t-il alors que je restais muette.

- J'ai pas envie de parler de ça...

Son regard se fit encore plus fort. Insistant. Scrutateur.

Raaaah.

- Bon, qu'est-ce que tu veux savoir ? capitulai-je.

Comme ça tu me lâcheras les baskets
, n'ajoutai-je pas.

- Zarre zarre ? Florizarre ?

- Pourquoi Zack et moi on ne fait pas plus de roulades dans le sable, c'est ça ? Et ce qui suit après ? Salade, c'est compliqué...

Voilà que je me retrouvais à me creuser la tête pour tenter d'expliciter la situation sans trop lui en révéler tout en essayant de rester cohérente. Ouais, pas facile, d'où les deux longues minutes de silence avant que le Florizarre ne s'impatiente et me donne son avis :

- Florizarre, Flo. Flori !

- Oui, mais entre deux Pokémons c'est différent, c'est plus facile... Comme avec Maraude et Grignotte. Mais... ah, imagine que Teigne tombe amoureuse d'un oiseau. De Fulgure même si tu veux. Bah voilà, Zack et moi c'est la même chose. Plus ou moins.

Ma superbe explication fut qualifiée d'un "Zaaaaarre" appréciateur, comme si Salade venait de découvrir la recette de la sauce barbecue de McDo. Je m'autorisai un sourire, contente d'avoir évité cet écueil. Sauf que c'était sans compter Salade qui revint à l'assaut trois secondes plus tard :

- Zarre, flori.

- Oui mais non, lui opposai-je dans une magnifique flambée d'art rhétorique.

- Zarre, insista-t-il.

Je fus sauvée d'avoir à formuler une réponse par Teigne qui poussa un cri de guerre. Cherchant la Colossinge du regard, je la trouvai perchée au sommet d'un rocher. Non, une minute, Teigne n'était pas si grosse que ça, même lorsque sa fourrure était ébouriffée. Un Colossinge sauvage ? J'obtins la réponse quand je vis Plouf se dresser au-dessus du rocher, le surplombant de plusieurs mètres, un autre Colossinge à l'allure bien plus familière se tenant sur la tête du Léviator.

- Vas-y doucement, Teigne ! lui criai-je.

L'autre se mit soudain à se frapper la poitrine de ses poings, puis hurla un "Colossinge !" rageur et bondit sur Teigne, qui dans le même temps s'était élancée vers le bas. Le choc eut lieu dans les airs, puis ils retombèrent au sol ensemble, ce qui donna une mêlée de poils blancs et de coups de poing assénés à tour de rôle. Dans la confusion, je perdis Teigne de vue : il était difficile de l'identifier face à son congénère. La bataille dura une minute ou deux, ponctuée de grognements et de "Singe" en tous genres, puis l'un des deux combattants administra un coup de poing particulièrement brutal sur le nez de l'autre, avant de se relever en gardant un pied sur la gorge du vaincu. Je reconnus Teigne.

- Bouge pas !

Je lançai une Hyperball sur le Colossinge à terre. Tic-toc, tic-toc. Elle remua deux fois, et à la troisième il se libéra, sautant directement sur Teigne sans même marquer un temps d'arrêt, lui décochant un Ultimapoing qui l'envoya valser contre le rocher. La pierre se fendit à l'endroit où la tête de la Colossinge vint la cogner.

- Singe ! gronda Teigne en se redressant, les narines frémissantes et le regard meurtrier.

- Colossinge ! répondit l'autre tout aussi hargneusement.

Et c'était reparti pour un tour. Les deux singes se précipitèrent à nouveau l'un sur l'autre pour échanger des coups de poings tandis que nous les regardions, spectateurs d'un combat sans aucune finesse où seules comptaient la force brute et la vivacité.

- Zarre, commenta Salade alors que le Colossinge sauvage partait en vol plané au terme d'un magnifique enchaînement de la part de Teigne.

Je l'interceptai avec le rayon rouge d'une Hyperball avant qu'il ne touche terre, et cette fois-ci la ball tint bond, emprisonnant le Colossinge en son sein. Teigne revint vers nous en sautillant, l'air guillerette - il ne lui fallait pas grand chose pour être de bonne humeur, elle, juste un petit combat bien violent. Je vérifiai le sexe du Colossinge capturé avant que sa ball ne soit expédiée au centre Pokémon de Jadielle, et en découvrant que c'était un mâle, résolus de l'appeler Tarzan.

- Singe, singe ! s'exclama Teigne joyeusement en pointant du doigt l'endroit où s'était tenue l'Hyperball.

Elle était sûrement en train de me dire qu'il n'y avait plus besoin de Fulgure et que je pouvais le remplacer par son nouveau copain, qui était forcément très compétent car un Colossinge tout comme elle. Je secouai la tête. Mon refus parut l'énerver et elle repartit dans l'autre sens, allant se percher sur Plouf en deux bonds puissants. J'entendis ce dernier émettre des "Léviator" sans doute destinés à apaiser la Colossinge.

Nous continuâmes en silence pendant que Teigne boudait, et bientôt une barrière rocheuse se dessina devant nous, sa hauteur rivalisant avec celle d'un immeuble de plusieurs étages. Une unique entrée pratiquée dans la pierre donnait vers les profondeurs. Nous parcourûmes la grande route qui y menait, passant sous deux arches consécutives, puis je dus me plier à la vérification du badge Terre à la demande d'un dernier garde avant de pouvoir pénétrer dans ce qui se révéla être une immense caverne. J'appréciai aussitôt la fraîcheur de l'endroit, un vrai baume après mon excursion en plein soleil, mais il fallut quelques secondes à mes yeux pour qu'ils s'adaptent par rapport à la vive clarté du dehors avant d'être capable de distinguer plus précisément l'intérieur de la grotte. Elle n'était que relativement éclairée et les flammes de Vésuve éclaboussèrent de lumière les alentours, projetant de grandes ombres sur les parois rocheuses les plus proches.

La Route Victoire. Le dernier obstacle avant le Conseil des Quatre. Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'un gigantesque labyrinthe de roche constitué d'un réseau de plate-formes sur-élevées et d'escaliers, tandis que des murs de pierre délimitaient des couloirs qui s'entrecroisaient à divers embranchements, certains se finissant en culs-de-sac. J'aperçus des silhouettes à forme humaine qui se mouvaient ici et là, sûrement des dresseurs comme moi, qui cherchaient la sortie ou bien entraînaient leurs Pokémon. C'était grâce à Plouf que j'étais capable de voir tout ça : je m'étais hissée sur lui, culminant à plus de quatre mètres de hauteur - Teigne m'avait laissée sa place. Très pratique, et je ne voyais pas de raison de redescendre.

- En avant, Plouf ! m'écriai-je.

Le Léviator glissa le long du sol, suivi par le reste de l'équipe. La caverne était si vaste que je n'en distinguais pas la fin, et je soupçonnais l'existence d'autres salles de ce genre, car des échos de cris et de rugissements lointains me parvenaient. L'exploration des lieux risquait de prendre du temps, surtout si les dresseurs que nous croisions réclamaient tous un duel. Cependant ce ne fut pas un dresseur qui nous força à effectuer notre premier arrêt mais un Pokémon, un Racaillou plus précisément. Salade renvoya promptement l'intrus d'où il venait d'un coup de lianes, et nous repartîmes.

Pour être aussitôt à nouveau interrompus à peine quelques pas plus tard. Un autre Racaillou nous barrait la route, apparemment nullement gêné par le fait qu'il s'opposait à un Léviator, un Florizarre, une Colossinge et un Magmar.

- Racaillou ! s'exclama-t-il en agitant un bras dans notre direction, comme pour dire "allez vous-en !"

Je fis signe à Salade de s'occuper de son cas. Le Florizarre s'avança, tendit une liane vers le Pokémon roche... et ce dernier se mit à briller, un bref instant de clarté surnaturelle qui illumina la grotte. Plouf eut le réflexe de reculer et moi celui de me cramponner désespérément à ses écailles, juste avant que ne retentisse l'explosion. Le son devenu familier résonna dans mes tympans avec la force d'un coup de tonnerre, envoyant mon cœur cogner dans ma cage thoracique tel un oiseau affolé. Il y avait pourtant peu de chances qu'une telle attaque suffise à tuer Salade - le Florizarre était plus costaud que ça -, mais les réactions de mon corps étaient tout sauf rationnelles. Un nuage de poussière s'éleva, projeté jusqu'à moi par l'onde de choc, âcre, sableux, et qui brûla jusqu'au fond de ma gorge.

Puis le calme revint aussi soudainement qu'il avait été brisé. Le danger passé, je me penchai pour contempler la zone de l'explosion. Outre la marque noire qui indiquait l'endroit où le Racaillou s'était tenu, la détonation avait également laissé des traces de suie le long des parois rocheuses, ainsi que sur le museau de Salade lui-même. Le Florizarre agita une liane pour m'indiquer que tout allait bien. Je soufflai. Il eut droit à une Superpotion pour le remettre d'aplomb, puis je l'aspergeai lui et tous les autres d'une bonne dose de Repousse histoire de pouvoir avancer tranquille sans être interrompus par des Racaillou suicidaires tous les trois mètres.

Ma tactique parut fonctionner, et nous passâmes l'heure suivante à arpenter les couloirs et à gravir les escaliers de la Route Victoire, en quête de la sortie. À un moment, notre chemin croisa celui d'une fille aux cheveux violets qui me proposa un duel, ce que j'acceptai volontiers.

- Teigne, je vais faire combattre Fulgure, lançai-je pour prévenir la Colossinge.

Je m'attendais à ce qu'elle demande à rentrer dans sa Pokéball, sauf qu'au lieu de ça elle lâcha un "Singe" dédaigneux et partit se mettre à l'écart. Tiens donc. Serait-il possible que la situation où elle se trouvait dehors et Fulgure dedans l'arrange bien, mais qu'elle refuse de se plier à l'inverse ? Je ne m'attendais pas à voir une telle hypocrisie chez Teigne. Il allait falloir qu'on reparle de cet arrangement censé la contenter, il n'y avait pas de raison de léser Fulgure en laissant la Colossinge s'en tirer à bon compte.

Le Rapasdepic s'envola alors qu'il était à peine sorti de sa Pokéball, décrivant un large cercle au-dessus de nous tous. J'eus un pincement au cœur quand la dresseuse adverse libéra également son Pokémon : il s'agissait d'un Persian. S'étirant comme le font les chats au sortir d'une sieste, il racla le sol de ses griffes puis leva les yeux vers Fulgure, le joyau rouge sur son front étincelant dans la semi-pénombre. Je vis la fille faire un drôle de mouvement de main quand le Persian tourna la tête pour poser son regard sur elle.

- Reste en vol et attaque quand tu veux ! criai-je à Fulgure.

Ça se traduisit par "attaque immédiatement" dans le cerveau de l'oiseau, car il plongea aussitôt en piqué sur le chat, lequel bondit de côté pour esquiver les serres qui allaient s'abattre sur son crâne. Fulgure corrigea sa trajectoire d'un battement d'ailes, mais le Persian se montra plus rapide, un éclair de fourrure blanche contre les plumes brunes du Raspasdepic. Ses deux pattes frappèrent l'aile de l'oiseau, emportant avec elles quelques plumes ensanglantées. Fulgure répliqua d'un coup de serre qui toucha le Persian au flanc, creusant trois longues entailles dans ses poils et lui arrachant un feulement. Un bond amena le chat hors de portée de son adversaire, puis il se tourna à nouveau vers sa dresseuse, qui réitéra son étrange geste de la main.

Quant à moi, je changeai les instructions de Fulgure :

- Bec Vrille.

Il réagit en se précipitant sur le chat, mais celui-ci se révéla encore une fois plus vif. Il fit mine de partir vers la gauche, puis changea complètement de trajectoire au dernier instant et se coula sous le Raspasdepic pour lui labourer le ventre de ses griffes. Fulgure qui n'avait rien anticipé parvint cependant à se rattraper, et sans tenir compte de la douleur, il porta sa propre attaque, cisaillant d'un coup de bec le dos du chat sur presque toute sa longueur. Un miaulement torturé sortit de la gueule du Persian, il recula précipitamment et alla se réfugier derrière les jambes de sa dresseuse.

- Le combat n'est pas fini, Persian, insista cette dernière.

Un autre miaulement pitoyable lui répondit, un son qui me rappela Princesse avec une douloureuse intensité. La fille fit la grimace.

- C'est un nouveau Pokémon, il est pas encore très combatif, me dit-elle sur un ton d'excuse.

- Vaut mieux ça plutôt qu'un Pokémon qui continue à foncer dans le tas même à moitié mort non ?

- C'est pas comme ça qu'on va gagner, soupira mon interlocutrice. Non, il faut qu'il s'endurcisse... C'est pour ça que je m'entraîne sur la Route Victoire, pas toi ?

- Je vais au plateau Indigo pour défier la Ligue, révélai-je.

- Ah ouais, j'ai tenté le coup y a un mois aussi. Perdu presque toute mes Pokémon sauf ma Kalya. Mais je suis en train de me reconstruire une équipe, et d'ici deux ou trois mois je retenterai ma chance, conclut-elle en rappelant son Persian.

- Faut être motivée... murmurai-je en me demandant si j'aurais le courage de ré-entraîner d'autres Pokémon à supposer que je perde toute mon équipe.

- Ah ça oui. Mais je me vois pas faire demi-tour alors que j'ai sacrifié tant de choses pour la victoire.

Ces paroles résonnèrent fortement en moi. Je hochai la tête tandis que la fille libérait un Ponyta - son deuxième Pokémon sur les trois qu'elle possédait en tout si je me fiais au nombre de Pokéballs à sa ceinture. À peine sorti, le petit cheval frappa le sol de ses sabots, piaffant d'impatience.

- C'est elle Kalya ? m'enquis-je en indiquant à Vésuve que c'était à son tour.

- Nan, ça c'est un Ponyta que j'ai gagné au casino y a pas longtemps. Il est encore assez faible mais il a un bon potentiel.

Elle effectua un autre de ses gestes spéciaux alors que son Pokémon gardait un œil sur elle, et le Ponyta ne tarda pas à se mettre en mouvement, décrivant un large cercle autour de Vésuve à une vitesse sidérante. Je renonçai à le suivre des yeux, il était si rapide que je ne distinguais de toute façon qu'une traînée blanche auréolée de flammes.

- Lance-Flamme, ordonnai-je à Vésuve, en sachant que j'avais probablement une chance sur deux qu'il m'obéisse.

Ça ne rata pas : le Magmar se rua sur son adversaire, le poing levé. Il parvint je ne sais comment à toucher le petit cheval alors que celui-ci galopait à pleine vitesse. Le Ponyta s'arrêta soudainement et se cabra en réponse au coup de poing, mais Vésuve évita les sabots qui descendaient sur lui en virevoltant, la flamme de sa queue traçant un chemin de feu dans l'air. Puis il recula de quelque pas et fit face au cheval, l'invitant d'une main à essayer de le frapper. Je souris, amusée. Ça, c'était une tactique à la Teigne... La Colossinge devait lui avoir prodigué quelques conseils concernant le combat. Dommage qu'elle n'ait pas précisé aussi qu'il valait mieux obéir à sa dresseuse.

Soufflant de la fumée par les naseaux, le Ponyta chargea, tête baissée. Vésuve s'y attendait et le cheval ne fit que le raser de près alors que le Magmar se décalait dans un mouvement éclair, mais la vivacité de l'équidé lui permit d'effectuer un demi-tour fulgurant et de percuter son adversaire en plein estomac. Vésuve tituba, posant un genou à terre ; quant au Ponyta, il secoua la tête, clignant des yeux, et j'aperçus du sang sur son front - il s'était blessé lui-même dans l'attaque brutale. Le Magmar se reprit le premier et cracha une lance enflammée sur le cheval, à bout portant. Bien que l'assaut brûlant soit dirigé contre un Pokémon feu, il sembla faire assez mal au Ponyta : ses jambes plièrent et il s'affaissa avec un petit hennissement d'impuissance. Sa dresseuse s'empressa de le rappeler.

- Ton Magmar doit avoir un bon niveau pour parvenir à épuiser un Pokémon du même type que lui en seulement deux attaques, commenta-t-elle.

- Le niveau ne fait pas tout, tempérai-je avec un regard sévère en direction de Vésuve.

Mon expression s'adoucit tant le Magmar avait l'air heureux et fier.

- Pas faux, concéda la fille, mais ça aide. Je vais te le prouver avec Kalya.

Kalya : une magnifique Galopa qui hennit doucement en sortant de sa Pokéball et caracola un instant, sa crinière de feu se déroulant tel un ruban dans son sillage.

- Teigne, à toi !

La Colossinge ne se le fit pas dire deux fois : à peine avais-je prononcé son prénom qu'elle se trouvait déjà face au cheval, les poings serrés. Je lui demandai un Tomberoche tandis que son adversaire lançait un hennissement au timbre particulièrement grave qui me fit tressaillir et occasionna un petit frisson le long de mon dos. Les oreilles de Teigne frémirent, il y eut une seconde de flottement, puis elle abattit ses poings au sol, déclenchant une pluie de rochers. Malgré sa vitesse et son agilité, le Galopa ne fut pas en mesure de tous les éviter, et lorsqu'il fonça sur la Colossinge, il boitait nettement, séquelles d'une grosse pierre qui lui avait heurté la jambe arrière droite. Tout en courant, il expulsa de ses narines un jet de feu que Teigne tenta d'esquiver, sans succès. Les flammes lui roussirent les poils alors même qu'une fraction de seconde plus tard elle s'effaçait dans un roulé-boulé face aux sabots du cheval qui l'auraient piétinée. Déjà impressionnée par une telle esquive alors que je m'attendais à ce qu'elle encaisse, je le fus encore plus lorsqu'elle contre-attaqua dans la foulée. Son Ultimapoing fut décoché d'un mouvement fluide, et le Galopa repoussé par la force du coup.

La dresseuse et moi-même lançâmes ensuite nos ordres suivants, et deux autres attaques fusèrent derechef, les combattants ne laissant pas un seul instant de répit à l'adversaire. Teigne subit à nouveau la morsure des flammes, avant de répliquer d'un geste vif par un coup en oblique qui aurait dû faire mouche, mais qui pourtant ne fit qu'effleurer le flanc du Galopa. Le cheval s'était dérobé au dernier moment, faisant preuve d'une incroyable souplesse. Il enchaîna ensuite sur un autre assaut, chargeant la Colossinge. Je vis Teigne sauter et prendre appui sur le front du Galopa, vrillant son corps dans une acrobatie aérienne pour retomber sur le dos du cheval.

Puis elle frappa. Deux coups violents assénés successivement, qui ne laissèrent aucune chance à l'ennemi. Le Galopa parcourut encore quelques foulées maladroites avant de s'écrouler, terminant sa course en soulevant un nuage de poussière. Sa dresseuse contempla Teigne quelques instants, l'air songeuse pour autant que je puisse en juger, avant de faire rentrer son Pokémon dans sa Pokéball.

- Toi, t'es fin prête pour la Ligue, me dit-elle ensuite. Moi j'ai encore du boulot...

- J'en suis pas si sûre, répondis-je, le doute toujours présent à l'esprit.

J'avais de bons Pokémon, certes, mais compte tenu de ce que m'avait révélé Claire sur le fonctionnement des dresseurs qui affrontaient le Conseil des Quatre... Il allait falloir que je pousse mes Pokémon plus fort, plus loin, que je sois plus dure avec eux. Mon récent affrontement contre Zack me l'avait également prouvé. J'espérais être capable de telles actions.

- Tu passeras au moins Olga, continua mon interlocutrice. Peut-être Aldo même. Après Agatha c'est le gros morceau, presque personne ne la vainc du premier coup.

Sa remarque me fit prendre conscience que je ne savais pas grand chose du Conseil des Quatre. L'identité des quatre membres, la composition de leur équipe, leur façon de combattre... tout ça je l'ignorais.

Il y aura sûrement des brochures au plateau Indigo, ou quelqu'un pour m'expliquer,
me rassurai-je.

Je m'apprêtai à demander à la fille quand je l'entendis pousser un juron.

- Merde, j'ai plus de potions ! Plus qu'à aller me ravitailler au centre Pokémon.

- Je t'accompagne, lui proposai-je, flairant un bon moyen de trouver la sortie.

Elle secoua la tête.

- Je vais pas me faire chier à crapahuter dans les cailloux, j'y vais par Corde Sortie. Et tu peux pas venir, c'est individuel et ça te renvoie au dernier centre où t'as mis les pieds. Je dirais Jadielle pour toi donc.

Je fus obligée de lui donner raison. Elle avait sorti de sa poche une espèce de pilule bleue qui brillait faiblement et l'avait placée dans sa main.

- Bon courage ! me jeta-t-elle joyeusement.

Elle referma le poing, il y eut un craquement qui résonna de manière étouffé, et puis elle disparut dans un éclair bleuté. Je clignai des yeux. Wah. Qu'est-ce que c'était que ce truc ? Et pourquoi donc n'en avais-je jamais vu en vente dans tous les magasins où j'étais passée ? Ça avait pourtant l'air rudement pratique...

Je repartis à pieds, dépitée de ne pas avoir pu interroger davantage la fille sur le sujet, ainsi que sur le Conseil des Quatre. Le prochain dresseur que je croisai m'informa volontiers sur les Cordes Sorties (elles n'étaient en vente qu'au plateau Indigo et réservées aux dresseurs à huit badges), mais demeura muet quand je me mis à parler de la Ligue.

- C'est pas contre toi, me dit-il finalement alors que je venais de vaincre son Dracaufeu (merci Plouf), mais si je te file des infos, ça diminue mes chances, tu vois ? C'est chacun pour soi.

- Donc tu as déjà affronté le Conseil ? voulus-je savoir.

- Deux fois. La première où je me suis arrêté à Olga, et la deuxième où j'ai été jusqu'à Agatha. Et j'ai appris sur le tas, pas comme tous ces richards qui se payent un mentor... pas que les résultats soient toujours au rendez-vous d'ailleurs. Mais je ne vais pas te faciliter les choses alors que j'en ai bavé, ce serait injuste.

Je commençai à m'inquiéter. Aller se frotter contre des adversaires de la trempe du Conseil des Quatre en aveugle me paraissait suicidaire. Manque de bol, les autres dresseurs me tinrent tous le même discours à base de "j'ai galéré alors ce sera ton cas aussi". J'essayai de négocier des infos à la place de Pokédollars lorsqu'ils perdaient contre mes Pokémon, mais aucun n'était disposé à accepter le marché. Bloquée, donc - enfin figurativement. Dans la réalité, je continuai à avancer, affrontant dresseurs après dresseurs. Ils étaient tous très durs envers leurs Pokémon, les laissant combattre bien après ce que j'aurais autorisé pour les miens et prenant des risques que je jugeais inconsidérés. Une attitude nécessaire, néanmoins, et que j'en étais venue à comprendre. Les duels s'enchaînèrent, épuisant petit à petit mes Pokémon comme mon stock de potions, jusqu'à ce ma troupe de monstre se retrouve presque à bout de force et que mon sac perde quelques kilos. Je réalisai que la Route Victoire était avant tout une épreuve d'endurance, un calvaire destiné à éprouver la résistance du dresseur comme de ses Pokémon.

Mais il fallait persévérer
, me répétai-je alors que je dirigeais mon équipe.

Et cela paya : au bout de longues heures passées sous terre, nous finîmes par trouver la sortie. Passant par une grosse ouverture pratiquée dans la roche, la lumière du jour éclairait une salle étroite dans laquelle nous venions de déboucher où le plafond était beaucoup plus bas - perchée sur Plouf, je le frôlai presque de ma tête. Je sentis une énergie nouvelle couler dans mes veines à la vue de cette lumière qui signalait la fin de notre périple, et la fatigue qui s'était emparée de mon corps reflua quelque peu. Après avoir passée une bonne partie de la journée à arpenter des galeries poussiéreuses et à gravir des escaliers, je n'allais pas être fâchée de retrouver l'air du dehors.

- On y est ! triomphai-je en levant une main victorieuse.

Plouf poussa un mugissement en réponse et se hâta vers la sortie. Alors que l'écho de son cri mourrait, deux silhouettes nous barrèrent soudain la route. Une voix s'éleva :

- Une minute ! On te défie, la crevette !

Je me penchai : à contre-jour, difficile de voir à qui j'avais affaire. En plissant les yeux, je jugeai qu'il s'agissait de deux adultes, ayant vingt ans et quelques peut-être. Un mec et une fille, eux aussi avec les cheveux violets. Drôle de mode.

- La crevette ? relevai-je, moitié vexée moitié amusée.

- Oh, c'était gentil, précisa l'homme. T'as l'air toute petite sur ton Léviator.

- T'es partante pour un double duel ? enchaîna sa comparse.

Je répondis par l'affirmative. La fille me sourit alors que le garçon m'adressait un rictus féroce. Ils libérèrent leurs Pokémon, un Nidoking et une Nidoqueen, ce qui ne me surprit pas vraiment. Je descendis de Plouf, glissant le long de ses écailles jusqu'à sa queue comme sur un toboggan.

- Toi et Salade, décidai-je en tapotant le flanc du Léviator.

- La crevette joue l'avantage de type... commenta le mec.

- Ce sont mes deux seuls Pokémon qui sont encore en forme et je suis à sec question potions, me justifiai-je.

Nous nous écartâmes pour laisser la place aux combattants, et je rappelai le reste de ma troupe, par précaution comme par sens pratique. Le couple de dresseurs avaient dû donner leurs ordres de manière silencieuse car déjà leurs Pokémon s'élançaient. Je m'empressai de faire de même :

- Poudre Dodo et Surf !

J'aurais préféré un Tranch'herbe et un Hydrocanon, respectivement, mais Salade comme Plouf n'étaient plus en mesure de produire ces attaques. Les spores projetées par l'arbre-fleur du Florizarre atteignirent le Nidoking à l'instant même où il arrivait sur Salade. Son poing qui avait été leva s'abaissa, ses yeux se fermèrent, et emporté par son élan il s'écrasa sur mon mastodonte vert, mais le choc fut moindre comparé à ce que ça aurait donné sans la Poudre Dodo. Pendant ce temps-là, la Nidoqueen avait pour sa part frappé Plouf et se retournait pour lui asséner un coup de queue, ce qui fournit au Léviator un intervalle de temps pour reculer et se positionner. Grâce à cet ajustement, la vague d'eau qu'il produisit engloba les deux Nido, mâle comme femelle, les emmenant cogner contre la paroi du fond avant qu'ils ne s'échouent au sol.

La Nidoqueen secoua la tête et se releva lourdement tandis que le Nidoking restait au sol, probablement toujours sous l'effet des spores soporifiques. Un rugissement bestial marqua le retour de la Pokémon bleue dans la bagarre, elle se rua sur Salade qui s'évertua à essayer d'éviter sa charge quand...

- Plouf, encore !

... une seconde vague d'eau balaya proprement la Nidoqueen. Cette fois-ci elle ne se redressa pas, définitivement KO. L'autre dormait toujours malgré les injonctions de la fille qui lui ordonnait de se réveiller. Je fis signe à Salade de charger et le Florizarre se rua sur lui de toute sa masse, si bien que les murs de la caverne tremblèrent lorsqu'il parvint en bout de course et percuta sa cible. Le choc réveilla enfin le dormeur, mais il fut trop lent à réagir et Plouf termina le travail avec un dernier Surf.

J'avais rarement eu une victoire aussi claire et nette, mais une petite voix me soufflait au fond de moi que j'avais gagné uniquement parce que je disposais de l'avantage de type.

- OK, crevette, tu peux passer, me lança le mec.

- Bonne chance pour la Ligue ! ajouta la fille.

Ce dernier obstacle derrière moi, je rappelai Plouf et Salade puis fis un pas au dehors, quittant la Route Victoire pour de bon. La chaleur me frappa brutalement, me faisant l'effet d'un coup de poing : le soleil avait beau être bas sur l'horizon, il devait encore faire dans les trente-cinq degrés. Comparé à la fraîcheur de la grotte, l'extérieur avait tout d'un sauna. Pressant le pas, je suivis le chemin qui me mena à une grande esplanade où s'entrecroisaient des arches habilement placées de façon à former une rosace au centre de laquelle se trouvaient quatre statues aux dimensions colossales, chacune faisant face à un point cardinal. Deux hommes et deux femmes. Je notai que l'une d'entre elle semblait être là depuis plus longtemps que les autres, car elle présentait des signes d'usures absents chez les trois restantes.

Au-delà de ces géants de pierre se dressait un bâtiment encore plus colossal, qui me fit me sentir toute petite. Percé de fenêtres sur toute sa façade, il était illuminé de l'intérieur, une douce lueur jaune qui vacillait par endroits lorsque les ombres des gens présents à l'intérieur passaient devant les vitres. Une Pokéball trônait au sommet du toit, habillée d'une habituelle livrée rouge et blanche rehaussée d'un plus exotique liseré d'or, rendu flamboyant par les rayons du soleil. Je distinguai d'ici le scintillement de doubles portes massives, mais il me faudrait d'abord gravir une volée de marche qui semblait sans fin et promettait d'épuiser mes dernières forces pour les atteindre.

J'entamai l'ascension, songeant au lit dans lequel j'allais m'écrouler d'ici peu pour me motiver. Alors que j'arrivai sur le grand parvis au terme de plusieurs minutes d'effort, les portes s'ouvrirent pour laisser passer quelqu'un. Je me figeai, les jambes sciées. Un juron buta contre la barrière de mes lèvres et passa en force :

- Putain.

Vivian m'adressa un petit sourire.

- J'en déduis que tu n'avais pas envie de me voir, dit-il d'une voix posée.

L'adrénaline avait explosé dans mes veines et un poids inconnu me comprimait les poumons. Je m'obligeai à respirer, prenant de courtes inspirations qui m'amenaient tout juste suffisamment d'air. Un coup d'œil aux alentours et je constatai qu'il n'y avait personne d'autre que nous sur le parvis. Mais le bâtiment était occupé, je l'avais vu : il suffisait que je crie pour que des gens accourent. Je gardai cette possibilité à l'esprit tout en dévisageant mon frère. Il n'avait pas l'air agressif... mais j'aurais tout de même préféré ne pas avoir à l'affronter maintenant, pas comme ça, pas alors que je devais lutter à chaque seconde pour rester debout, pour ne pas m'écrouler et m'endormir là, à même le sol.

Encore une fois, je n'avais pas le choix. Je me forçai à prendre un ton nonchalant pour dissimuler le tremblement de ma voix :

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Ne fais pas semblant, sœurette. Tu le sais très bien.

Oui, bon. C'était certes une question stupide. J'en choisis une autre :

- C'était bien toi dans le rêve sur les Îles, contre l'Hypnomade ?

Il hocha la tête, et son regard se focalisa sur le pendentif à mon cou, le petit morceau de météorite qu'Alakazam avait bidouillé pour en faire un bouclier contre la vision à distance des Pokémon psy.

- Je vois que tu as pris tes précautions, commenta-t-il. C'est astucieux de ta part mais tu devrais savoir que je ne te veux aucun mal. Si je gardais un œil sur toi c'était uniquement pour ton propre bien.

Je ne discutai pas sa dernière affirmation, je n'en avais pas la force. Même la rage et la haine que je ressentais à son égard me semblaient être des émotions lointaines, comme assourdies, écrasées par le poids de la fatigue et de la lassitude.

- Comment t'as su que je venais si tu ne peux plus m'espionner ? demandai-je plutôt.

- J'ai des contacts avec certains dresseurs de la Route Victoire et je leur avais demandés de me passer un coup de fil s'ils croisaient quelqu'un qui correspondait à ton signalement. Je voulais être sûr de ne pas manquer ton arrivée. Je te le répète Léa, je suis de ton côté.

- Pourquoi ?

Un seul mot que je lui jetai à la figure.

- Parce que tu as le potentiel pour vaincre le Conseil des Quatre et plus encore, ce que moi je n'ai pas pu faire. Tu peux réussir là où j'ai échoué. Et je veux t'aider à y arriver. C'est la seule chose qu'il me reste... la seule chose que je peux encore désirer. La victoire, à travers toi.

- Tout ça juste à cause de cette obsession ? soufflai-je.

- Oh je t'en prie, tu ne vaux pas mieux que moi, me renvoya-t-il en riant. Et de toute façon ton objectif s'accorde au mien. Tu as bien vu que ce monde n'était qu'une caricature de la réalité, que toi et moi étions les deux seuls vraies personnes dans tout ce bordel. Tu as remarqué toutes les incohérences, les erreurs, la logique des événements qui s'enchaînent comme dans un jeu vidéo. Je suis passé par le même chemin que toi, tu sais : la Team Rocket qui cherchent des fossiles au mont Sélénite, les fantômes de la tour Pokémon, la bataille pour la Master ball à Safrania... La cartouche ne dispose que d'un seul scénario qu'elle répète encore et encore, et nous sommes coincés dans un monde sans queue ni tête qui nous détruit petit à petit. C'est un cercle sans fin. Ne me dis pas que tu veux passer le restant de tes jours ici.

Un discours diablement convaincant. J'avais effectivement constaté des tas de problèmes, des anomalies qui ne collaient pas avec ce que la réalité aurait dû exiger - ce qui méritait le nom de "bugs", je suppose. La mère robot, Zack dont j'avais moi-même choisi le prénom, les circonstances étranges qui se combinaient pour me faciliter la tâche dans ma quête, comme les CS qui m'étaient tombées dessus en récompense à chaque fois et la Pokéflûte que l'on m'avait offerte alors que j'aurais été bloquée par le Ronflex autrement...

Je trouvai tout de même un argument à lui opposer :

- Ce n'est pas forcément circulaire, on peut faire changer les choses.

- Tu parles de ta victoire sur la Team Rocket ? T'as certes éliminé Giovanni, mais tu crois vraiment qu'il suffit de tuer le boss pour que tous les sbires perdent soudain l'envie de se battre ? La Team n'a pas été bâtie sur du vide Léa, il y a des idéaux derrière, et même si le grand chef se barre en ordonnant à tout le monde de plier bagages, elle ne va pas disparaître pour autant. Ça ne marche pas comme ça. J'ai d'ailleurs déjà eu des propositions de Rockets mécontents qui m'ont demandé de prendre la suite de Giovanni.

Quoi ? Cette révélation avait un goût très amer dans ma bouche. Moi qui pensais avoir vraiment fait une différence... J'avais été bien naïve.

- Tu les as refusées, ces offres ?

Vivian me scruta de son regard bleu.

- J'attends de voir ta réponse... Si tu acceptes mon aide, je n'aurais plus besoin de la Team Rocket. Sinon...

J'eus la sensation que les mâchoires de son piège se refermaient sur moi. Mais ça n'avait pas d'importance de toute façon, non ? Puisque tout ça n'était qu'un cycle sans fin, la Team Rocket ne cesserait jamais d'exister... Les paroles de Vivian venaient de faire voler en éclats la vision du monde - certes déjà très branlante - sur laquelle je m'appuyais depuis le début. Je fermai un instant les yeux, cherchant un repère, quelque chose auquel je puisse me raccrocher.

- D'accord, nous sommes dans la cartouche, admis-je, revenant au sujet d'avant pour gagner du temps. Il se passe quoi si je gagne ? Je retourne dans le monde réel, ça j'en suis à peu près sûre, mais toi tu deviens quoi ?

Il eut un petit haussement d'épaules.

- Je reste ici, j'imagine. Peu importe. La victoire est tout ce qui compte. Ensuite...

J'eus un sursaut.

- Ensuite quoi ? Tu te fous de ce qui t'arrivera ?

- Et depuis quand toi tu t'en soucies ? releva-t-il. Je croyais que tu voulais me voir mort parce que j'avais tué ton ami.

Je ne répondis pas, coincée entre deux sentiments contradictoires. La haine que j'éprouvais envers Vivian, tranchante et dangereuse, enroulée comme un serpent autour de mon âme. Et l'affection que je lui portais toujours, qui n'avait pas disparu malgré tout ce qu'il avait fait, qui refusait de partir et qui tenait bon, envers et contre tout. Le feu, la glace, et moi comme champ de bataille.

- Pourquoi tu t'inquiètes de mon futur ? insista Vivian.

- Parce que t'es mon frère !

J'avais hurlé. Fort. Trop fort.

Silence sur le parvis. Vivian me contemplait sans mot dire.

Je repris mon souffle. Et sans savoir pourquoi, me retrouvai à avoir envie de lui parler de la maison. Par nostalgie ? Ou peut-être parce qu'il était la seule personne dans ce monde à pouvoir comprendre.

- Papa et maman... commençai-je.

Il m'arrêta d'une voix sèche :

- Non.

Les mots moururent sur mes lèvres.

- Tu ne veux pas avoir de leurs nouvelles ? m'étonnai-je. Savoir ce qui s'est passé en dix ans ?

- À quoi bon ? Ils sont aussi morts à mes yeux que je le suis aux leurs.

- Sauf que tu n'es pas mort, pas pour Maman, le détrompai-je. Tous les soirs elle t'attend assise dans la cuisine, elle attend que tu rentres de l'école, que tu ouvres la porte en la balançant contre le mur comme...

Ma voix s'étrangla, dérisoire, réduite à un murmure.

- C'est fini, énonça Vivian, doucement mais implacablement. Je suis mort, Léa. Pour de bon. Et la seule vie qui me reste encore, c'est celle-là, une parodie de ce que l'existence devrait être. Je ne suis rien qu'un fantôme coincé dans une vieille cartouche, entouré de programmes qui ne sont que des ersatz d'interaction humaine. Peut-être que tu comprends maintenant pourquoi la seule chose qui m'importe c'est la victoire.

Une pause. Une longue, longue pause, et je tremblais de tout mon corps, et lui non. Et lui rien. Il était déjà mort.

- Je t'offre mon aide, petite sœur, poursuivit-il. Toi et moi ensemble contre le Conseil des Quatre, ensemble contre Mewtwo.

Le nom du Pokémon fut comme un électrochoc. Enfin des réponses. Enfin une pièce du puzzle.

Grâce à Vivian.

- Avec ton équipe et ma connaissance de Pokémon, on accomplira ensemble ce dont on a tous les deux besoin, ajouta-t-il.

Je sus alors ce que je devais faire. Après tout, c'était évident. La voix dans mes rêves avait raison.

- D'accord, répondis-je. J'accepte ton offre.

Mon frère fit un pas vers moi.

- Avant tout, je veux qu'une chose soit claire. Tout ce que j'ai fait jusque là, toutes mes actions qui te semblaient cruelles ou injustes, c'était pour toi. Pour te garantir la victoire. Tu étais trop faible quand tu es arrivée dans ce monde, et j'ai seulement cherché à t'endurcir pour que tu puisses survivre. Tu comprends ?

Je hochai la tête, ne faisant pas confiance à mes cordes vocales pour produire le son qu'il attendait.

- Alors dis-le, exigea-t-il.

Je savais ce qu'il voulait entendre. La phrase qui scellerait notre pacte, celle qui lui prouverait que j'étais de son côté, que j'avais bien saisi ce qu'il voulait de moi et que j'acceptais de m'y plier. La phrase qui me garantirait son aide contre le Conseil des Quatre. La phrase qui m'ouvrirait la voie vers la victoire.

Celle que je ne pouvais pas me permettre de ne pas prononcer.

Alors je m'endurcis le cœur et la lui livrai :

- Tu as eu raison de tuer Léonard.

Il hocha la tête. Me tendit la main.

Je la saisis.

- Allons-y, dit-il simplement.

Je le suivis.

***

Léa qui s'allie avec son frère ? Mais où va le monde, je vous le demande...



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