Armes égales de phlarme

- Chynkah, ... Maintenant.

Je recule, saisie d'un effroi respectueux. Au son de cette voix si ferme mais toujours tranquille, le dragon c'est redressé, écartant ses sublimes ailes écarlates ; il parait fusionner avec la nuit, dont les ailes infinies m'enserrent le cœur à travers ce nom que j'invente : Hiden, qui, s'étant avancé avec son dragon, lui caresse le dos doucement.

Mes pensées fusent, confuses comme mon Laggron égaré. Je sais devoir oublier ces idées brûlantes, noires, traîtresses et trompeuses ; je ne sais plus pourquoi. Avoir confiance en moi et tenter d'agir au plus vite, balayer ce nom, comme un nuage sur ma vie ; mais j'ai oublié ce qu'elle était avant ; il ne me reste que l'obscurité, cette nuit incarné en un dragon, un dragon insurmontable dont l'œil s'adoucit sous la main d'un autre, un humain, un fou. Je voudrais voir où je vais, au moins d'où j'arrive ; mais pour fuir ce nom, je n'ai plus que la nuit ; la nuit dont il est le verbe.

- Commençons. Flammèche. »

La boule de feu touche mon Laggron qui continue de contempler le vide.

- Je compte sur toi ! Tu as l'avantage du type ! Tu n'as qu'à utiliser... Vantardise !

Oui, c'est cette attaque qui l'a rendu confus, peut-être... Non, il ne montre aucune réaction. Il n'obéiT plus.

Mais pourquoi Hiden reste-t-il sur le terrain, si proche de son Pokémon ? La vantardise m'a-t-elle atteint aussi ? Le Dracaufeu grimace, les oscillations du corps de Laggron ralentissent. Il ne manquait plus que ça.

- Mais dépêche-toi ! Réagit ! Surf !

L'aquatique coule un regard vide vers moi, avant de s'envoyer un coup de patte sur la tête. ... Qu'est-ce qu'Hiden va penser de nous si tu te bats ainsi ? ... Et il est si proche, beaucoup trop confiant... Je le lui ferais regretter.

- Inonde le terrain ! Oblige le dresseur à reculer !

Pourquoi ais-je choisi de l'épargner ? J'aurais pu demander à Laggron de s'en prendre à lui. J'aurais pu vaincre son Dracaufeu ensuite, puis voler ses trois Shiney. Le boss aurait apprécié. Peut-être aurais-je pu le faire sourire, peut-être m'aurait-il parlé plus longtemps, alors que si je rate ce combat ou laisse ce dresseur fuir, que pensera-t-il de moi ? Il croira que j'éprouve de la pitié. Il ne me fera plus autant confiance. Je sentirai le poids de son regard déçu, je ne pourrais jamais survivre à ce regard, voilà ma vie d'avant : ce regard bleu nuit, ce regard froid et mort à qui mes victoires ont parfois donné un éclat étrange, comme un astre oublié.

Voilà ma place, ma ligne, ma route : ce mépris désenchanté à fuir, cette étoile à faire renaître. Le dragon utilise l'eau de mon Laggron pour la lui renvoyer en draco-rage. Malin. Il protège son dresseur. Mais j'ai retrouvé mes objectifs, mes craintes et mes espoirs :

- Plonge !

Sur un pont de béton à plusieurs centaines de mètres d'altitude, l'eau s'accumule, creusant une fausse d'un mètre ou deux dans le sol boueux. Je souris : mon Laggron a réussi son attaque. Seul le bout de sa queue dépasse encore de l'eau croupie, comme une nageoire de Sharpedo, et le dragon, derrière sa propre draco-rage, ne semble pas apercevoir sa progression vers lui. Le dresseur s'enfonce peu à peu dans la boue que mon Laggron rend liquide. L'ayant probablement enfin remarqué, le dragon stoppe son attaque pour laisser le temps au jeune homme de lui monter sur le dos. Quels imbéciles, mon Laggron les aura tous les deux !

- Vas y ! Sors !
- Clonage !

Encore ! Retenant un gémissement de douleur, le dragon extrait de son corps une créature évoquant une caricature de lui-même.
Quelque soit la laideur de cette copie, le résultat est le même : le dragon s'est envolé de quelques mètres, tandis que le clone tombe sur mon Laggron qui l'éclabousse avec force avant de remarquer la supercherie. Je sers les poings de déception, mais ce n'est que partie remise. Soudain, une question m'inquiète : pourquoi le Dracaufeu n'est-t-il pas redescendu pour attaquer ? Pourquoi laisse-t-il à mon Laggron le temps de détruire son clone ? Levant les yeux, mon cœur se noue d'angoisse : le dragon, toujours chevauché de son dresseur silencieux, est en train de se frapper le ventre avec force.

- Vibraqua ! Le clone a son compte ! Vise le dragon ! »

Assez vif, mon Pokémon projette ses vagues, campé sur ses pattes arrière, déterminé à atteindre le duo volant.

Mais, bien plus rapide, le dragon noir file dans la boue, derrière mon Laggron que la confusion commence à reprendre. D'un coup de patte, Dracaufeu éclabousse la tête de Laggron, dont les moustaches frémissent en vain dans une tentative pour localiser son adversaire. Satisfait de voir l'aquatique en si mauvaise posture, le dragon se pose complètement, l'arrière de ses ailes noires me cachant la vue de mon Pokémon. Agacée par ce retournement de situation (au sens propre), et consciente de perdre du temps, je choisis tout de même de contourner le terrain. Enfin, je contemple la scène : le dragon penché sur mon aquatique violet, en pleine morsure. De ses crocs puissants, il tirait la queue-nageoire de mon Pokémon qui se débattait sans succès.

- Queue de fer ! »

Sa confusion l'a bel et bien repris, il ne m'écoute pas. Peut-être est-ce aussi la peur provoquée par la morsure.
Dracaufeu lève sa puissante patte griffue. Il va tenter une coupe... Et comment pourrait-il la rater, si mon Pokémon est retenu au sol ?

- Repose-toi ! Ça suffit !

La coupe sur sa queue semble avoir rendu conscience à mon Laggron de sa situation déplorable. Aussi las que moi, il s'écroule, endormi.

- Ne t'arrête pas. Et ne restons plus au sol, à présent qu'il ne bouge plus. Faisons lui goûter à notre type de terrain.

Que veut-il dire ? Je vais vite le comprendre : Dracaufeu soulève mon Laggron et décolle avec lui. Sachant que je dois attendre son réveil, je ne vois plus quoi faire. Tout de même, ce Dracaufeu a une force étonnante, on ne peut pas dire que Laggron soit léger. Au lieu de se contenter de le projeter au sol en une force classique, il enchaîne en le bombardant de rochers qui éclatent sous la puissance des coups.

- Maintenant, mitrapoing !

Une fois encore, il me sous-estime. Je sais que son Pokémon doit attendre pour cette attaque :

- Puissance caché ! »

Je crois l'avoir étonné, peut-être pour la première fois. Je connais le temps exact de sommeil nécessaire à mon Laggron, mais je sais aussi que je contre le mitrapoing pour le style. Mon Laggron réussi effectivement à s'éveiller au moment exact où je parle et à interrompre le dragon noir, mais, tremblant et faible, il tombe lorsque ce dernier lance son feu vers le ciel et tend vers lui sa queue crépitante de flammes vives. Il était trop épuisé. Il aurait dû gagner, j'ai du mal à comprendre, à me rappeler ce combat. Si je devais raconter, comment, avec un Laggron, j'ai perdu contre un Dracaufeu...

J'en serais incapable. Mais cet étrange respect pour le dragon que je tente d'omettre n'en fait que croître. Et pour son dresseur, qui a le courage de rester sur le dos de son Pokémon pendant le combat. Cette attitude est inexplicable et tellement risquée... Jamais je n'ai eu de contact si intense avec un de mes Pokémon, à part peut-être... Evoli.