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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 19/03/2013 à 18:54
» Dernière mise à jour le 07/06/2019 à 21:36

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Chapitre 21 : Mirages
- Vivian...

Ma voix craqua. Je me raclai la gorge, cherchant à humecter ma bouche trop sèche. Pendant ce temps-là, mon frère m'observait, les mains dans le dos, le regard calme. La posture d'un enseignant, presque. Ou celle d'un mec sûr de lui.

- Tu m'as vraiment manqué, tu sais, répéta-t-il.

- Ne te moque pas de moi ! rétorquai-je, le plus agressivement possible.

Je ne voulais pas de son affection, quand bien même elle ne serait pas factice - et soyons honnêtes, il y avait autant de chances qu'il soit sincère que de voir un chien faire de la physique quantique. Son ton chaleureux et son sourire détendu, il pouvait se les carrer bien profond en ce qui me concernait.

- Qu'est-ce que tu leur as fait ? l'apostrophai-je, désignant d'un geste Zack et nos Pokémons.

Voulut désigner d'un geste serait plus juste. Ils n'étaient plus là. Littéralement. Quelques instants plus tôt, leur absence ne concernait que le plan mental, mais à présent elle relevait aussi du plan physique. Les jambes coupées, mon cœur cognant trop fort dans ma poitrine, je parcourus les environs du regard. Mais rien. Rien.

Une vague de peur glaciale monta en moi, me prenant à la gorge. Que se passait-il ? Les gens ne pouvaient pas disparaître comme ça, sans aucun avertissement ! Je n'avais même pas vu le moindre scintillement violet...

- Je ne me moque pas, je suis vraiment heureux de te revoir, continua Vivian sans paraître le moins du monde concerné par la disparition des mes amis. Ça faisait trop longtemps que je n'étais pas revenu à la maison. Les mois filent vraiment trop vite, et je ne les vois pas passer, entre mes études et mon job...

Quoi ? Quoi quoi quoi? Ma bouche était ouverte, mais c'était entièrement dû à la surprise et non parce que j'avais quelque chose de substantiel à répondre. J'en venais à douter de l'état de mes oreilles là. Étais-je en train de devenir folle ? Est-ce que j'avais finalement pété un câble à cause de toute cette histoire et que je me trouvais en pleine crise ? Mais les gens fous savaient-ils seulement qu'ils étaient fous ?

Ou bien Vivian s'amusait-il simplement à mes dépends, jouant le rôle du grand frère attentionné histoire de retourner le couteau dans la plaie ?

Je demeurai figée telle une statue de glace, clignant tellement des yeux qu'on aurait pu penser que j'essayais de faire passer un message en morse. Une explication. Il me fallait une explication. Et Vivian qui m'observait toujours, parfaitement maître de lui...

Lorsqu'il s'avança et posa ses mains sur mes épaules, je ne réagis pas. Mes yeux se fermèrent, cherchant un semblant d'équilibre, quelque chose auquel je puisse me raccrocher. Je ne pouvais faire confiance ni à ce que je ne voyais ni ce que j'entendais. Mais les sensations, elles, mentaient rarement. Et dans l'obscurité, je fus bien obligée de constater que le poids des mains de Vivian était bien réel.

Alors quoi ? Je ne savais même plus quelle conclusion en tirer.

- Mais je suis là maintenant... déclara mon frère. Et je vais rester un bon bout de temps.

Non... Non. Je gardais les yeux fermés, respirant trop rapidement, chamboulée par ses paroles même si je faisais tout pour ne pas l'être. Personne ne pouvait faire semblant à ce point... Personne ne pouvait prendre ce ton, cette voix si empreinte d'affection fraternelle, et ne pas penser ce qu'il disait... Il devait forcément être sincère. Donc... je lui avais vraiment manqué ?

Au moment où je commençais à entrevoir la sortie du labyrinthe de pensées inextricables dans lequel l'attitude de Vivian m'avait plongée, il m'y ré-expédia d'une seule petite phrase :

- Joyeux Noël, sœurette...

Je rouvris les yeux si vite que le monde ne fut qu'un canevas blanc durant quelques secondes.

- Mais à quoi tu joues, merde ? m'exclamai-je avec colère.

Ou du moins, c'était l'idée. Seul le premier mot sortit de ma bouche. Le reste se retrouva bloqué par le choc alors que je contemplais l'endroit où nous nous trouvions. Qui n'était plus du tout le Bois Baies. Et plus impossiblement encore, plus du tout dans le monde Pokémon.

Mon salon.

Mon salon, chez moi, dans ma maison.

Je tournai la tête. À droite, à gauche. Lentement, examinant chaque détail. Tout y était. L'immense cheminée, dans laquelle brûlait un feu ronronnant. Le canapé en cuir blanc, avec la trace presque effacée de la tache de ketchup que Vivian lui avait infligée quand il avait huit ans. Le buffet en bois massif qui était dans la famille depuis trois générations. La table basse, encombrée des bouquins à l'eau de rose de Maman. La télé, dont les dimensions pouvaient rivaliser avec celles d'un écran de cinéma et qui trônait bien en évidence, et juste en face, la table à manger, recouverte d'une nappe blanche comme neige. La seule chose qui avait changé depuis la dernière fois, c'était le sapin de Noël.

Mon cerveau pédalait dans la choucroute. La transition dont je venais de faire l'expérience avait tout d'un rêve, et pourtant j'étais bien éveillée, j'en étais certaine. Si j'avais dû compter toutes les raisons pour lesquelles la situation actuelle n'avait aucun sens, il m'aurait fallu plusieurs paires de mains supplémentaires. Ce n'était même pas Noël bon sang, on était à l'autre bout du calendrier, en plein mois de Juillet !

- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel.

J'avais voulu donner à ma phrase l'intonation d'une question. Échec total.

- Quel langage, Léa ! Ton père et moi t'avons pourtant élevé mieux que ça.

Cette voix... Un mois que je ne l'avais pas entendue. Moi qui croyais avoir atteint ma limite en ce qui concernait les chocs émotionnels, j'obtins la preuve que j'avais tort en voyant ma mère entrer dans la pièce.

- Maman...

Ce ne fut qu'un murmure, je n'avais pas la force pour autre chose. En revanche, je parvins je ne sais comment à me jeter dans ses bras. Elle me réceptionna avec un rire surpris.

- Ce n'est pas comme ça que tu vas te faire pardonner ! me rabroua-t-elle gentiment.

- Tu m'as manquée, lui soufflai-je.

- Depuis les cinq minutes où on s'est vues pour la dernière fois ? Il va falloir que tu grandisses un jour ma Léa...

J'eus un sourire un peu triste. Si elle avait su tout ce que j'avais traversé ces dernières semaines, elle ne m'aurait certainement pas traitée comme une enfant. Mais peut-être qu'il était préférable de garder tout ça pour moi.

- Va donc aider ton frère à mettre la table, poursuivit-elle. Les invités vont bientôt arriver.

- Les invités ? voulus-je demander.

Mais un cri en provenance de la cuisine me grilla la priorité :

- Chérie, les huîtres se rebellent !

Je ne pus m'empêcher de sourire, et un vrai cette fois-ci. Même si je ne comprenais rien à ce qui se passait, mon père demeurait égal à lui-même : complètement perdu sans ma mère.

- Je le laisse seul une minute et il est déjà débordé... soupira-t-elle avant de retourner en cuisine afin d'aider mon géniteur à mâter la rébellion ostréicole.

Je la fixai du regard jusqu'à ce qu'elle ait quitté mon champ de vision, pas encore remise de cette nouvelle apparition. Un bruit d'assiettes derrière moi me ramena à la réalité - enfin, à la situation présente, quoi qu'elle fût. Vivian avait commencé à sortir les couverts et le reste du buffet.

- Tour de contrôle à Léa la Limace. Tu comptes m'aider, ou bien t'as l'intention de me refiler honteusement ta part du boulot ? plaisanta-t-il.

Mon cœur fit un nouveau bond en entendant ce vieux surnom. Léa la Limace. Mon frère m'avait affublé de ce sobriquet à cause de ma propension à m'endormir tout le temps quand j'étais gamine, et aux endroits les plus improbables en prime. Une fois, je m'étais même assoupie durant une chasse aux œufs à Pâques, et mes parents m'avait retrouvée sous une haie, ronflant comme une bienheureuse avec le ventre du chien du voisin en guise d'oreiller.

Je secouai la tête et m'emparai d'une assiette en décidant de me laisser porter par le flot des événements plutôt que de m'échiner à essayer de comprendre le pourquoi, le comment, ainsi que la dizaine d'autres mots interrogatifs qui allaient avec. Je venais de retrouver mes parents, j'étais à nouveau chez moi, et Vivian se comportait en grand frère exemplaire : autant en profiter. Je chercherai plus tard le fin mot de l'histoire.

À nous deux, la table fut vite mise. J'avais disposé les assiettes de manière automatique, sans trop penser à ce que je faisais. Malgré ma résolution de ne pas m'encombrer la tête avec des questions, j'avais du mal à me faire à la situation.

- Qu'est-ce que tu penses de Pokémon ? demandai-je soudain, décidant de biaiser.

C'était toujours mieux que : "Comment c'est possible qu'on soit là tous les deux à discuter alors que nous sommes censés être coincés dans une cartouche de jeu Pokémon, ah oui et aussi tu es mort ?".

Il parut surpris.

- Ce vieux jeu ? C'est plus de mon âge. Du tien non plus d'ailleurs.

Je triturai une fourchette distraitement, mes pensées s'emballant toutes seules dans mon esprit. Pokémon était donc à nouveau juste un jeu, et Vivian avait survécu jusqu'à l'âge adulte ? Est-ce que j'avais réussi sans le savoir à vaincre le jeu, et ma victoire avait d'une façon ou d'une autre rétabli Vivian dans le monde réel ? Et si ce n'était pas le cas et que tout ça n'était qu'un rêve, est-ce que ce serait ce qui se passerait vraiment si je parvenais à vaincre la Ligue ? Peut-être que c'était même la raison pour laquelle Vivian voulait que je triomphe...

Le métal froid de la fourchette me glaçait la main. Je la reposai. Puis je fronçai les sourcils en prenant conscience du nombre de couverts. Douze. Pourquoi autant ? Nous passions toujours Noël en famille avec mes cousins - oncle Ben, sa femme Annie, et leurs jumeaux Maxime et Cédric -, et même en comptant Vivian en plus, cela ne donnait que huit.

- Qui est-ce qui... commençai-je.

Pour être à nouveau coupée, mais cette fois ce fut par le retentissement de la sonnette.

- Ah, les voilà ! s'exclama ma mère depuis la cuisine.

J'entendis la porte d'entrée s'ouvrir. Quelques secondes plus tard, une tornade blonde déboula dans le salon.

- Noyeux Jooooël ! hurla-t-elle de toute la puissance de ses petits poumons.

Même si elle ne s'était pas arrêtée pour me dévisager avec un grand sourire, je l'aurais quand même reconnu à sa voix si cristalline.

Eilie.

Mon estomac descendit jusque dans mes doigts de pieds et je crus que j'allais m'évanouir. À un moment, tous ces chocs qui ne cessaient de se succéder allaient finir par avoir raison de moi. Mais là quand même, c'en était presque trop. Qu'est-ce qu'Eilie pouvait bien fabriquer ici ? Un personnage de jeu vidéo dans la réalité ? C'était l'inverse de ce qu'était ma vie depuis un mois qui se produisait à présent ?

Et puis une deuxième personne entra dans le salon, et toutes ces questions n'eurent soudain plus aucune importance.

Mais vraiment aucune.

Il y eut une vive douleur dans mes genoux alors que je m'effondrais sur le carrelage, mais je ne m'en souciais pas non plus.

Parce que cette personne, cette personne qui venait de pénétrer dans la pièce, cette personne qui me souriait, cette personne qui me tendait la main pour m'aider à me relever tout en plaisantant sur l'effet qu'il faisait aux filles...

Cette personne, c'était Léonard.

Je saisis sa main avec l'impression de sortir d'un long cauchemar.

- Tu n'es pas mort ? murmurai-je très doucement, comme si en élevant la voix j'allais alerter la Mort qui risquait de se rendre compte de son erreur et d'emporter Léonard sous mes yeux.

- Pas encore, me répondit-il de la même manière. Mais chut, c'est un secret.

Ma gorge se serra à ces mots.

- Pourquoi vous chuchotez ? s'indigna Eilie. De quoi vous parlez, dites-moi, je veux savoir !

- On discutait des Pokémon de Léa, répondit Léonard le plus naturellement du monde.

Hein.

- Ah oui ? s'écria la petite fille. Nanard a dit que t'avais un Florizarre ! Je peux le voir, dis, je peux le voir ?

Oh, ils parlaient du jeu... réalisai-je. De la cartouche. Et de rien d'autre, évidemment.

- Je te le montrerai plus tard, lui promis-je, trop occupée à dévorer Léonard du regard.

Il était vivant. Mais comment ? Comment ? Malgré l'apparente réalité de toute cette situation, ce devait forcément être un rêve. Un rêve ou un délire provoqué par... provoqué par quoi, d'ailleurs ?

Réfléchis, Léa. Trouve une explication logique à tout ça.

Mon cerveau couina et s'enfuit en courant face à l'ampleur de la tâche.

- Nan, je veux le voir maintenant ! tempêta Eilie. Maintenant maintenant maintenant ! Sinon je t'aime plus ! ajouta-t-elle en croisant les bras et en faisant la moue.

Même en faisait semblant d'être en colère, elle avait toujours l'air aussi adorable.

- Bon d'accord, je vais aller le chercher... déclarai-je, jouant le jeu.

J'avais retrouvé Léonard, je pouvais bien céder aux caprices d'une gamine de huit ans. Et puis de toute façon je doutais que mes actions aient un quelconque impact sur la réalité, alors j'étais libre de faire ce que je voulais.

- Ouuuaaiisss ! s'écria la gamine en question.

Je montai à l'étage, laissant la petite furie et les deux candidats à la résurrection ensemble. Tout semblait normal ici. J'hésitai entre ma chambre et celle de Vivian : Eilie avait dit mon Florizarre, mais c'était sa cartouche... Quoiqu'au vu de ses dires, il trouvait le jeu trop enfantin. Ce fut donc la porte de ma chambre que j'ouvris.

Et là, je découvris une énième surprise.

Princesse dormait sur mon lit.

J'aurais dû le voir venir, songeai-je en sentant mon cœur se contracter si fort que je crus que j'allais faire une crise cardiaque.

Réveillée par mon arrivée, la Persian s'étira, puis me rejoignis d'un petit bond pour venir frotter sa tête contre mes jambes en ronronnant. Quelque chose lâcha en moi, tous les chocs des dernières minutes trouvant leur apogée dans celui-là, et je me retrouvai à pleurer toutes les larmes de mon corps, le visage enfoui dans la fourrure de Princesse. Mes épaules tremblaient à cause de la force de mes sanglots, de la morve coulait de mon nez et souillait les poils immaculés de ma Princesse, je la serrai sûrement trop fort dans mes bras, et pourtant elle ne s'arrêta jamais de ronronner.

Je me calmai au bout de quelques minutes, me sentant un peu mieux après ce déversement d'émotions. La Persian me lécha le visage tout entier d'un rapide coup de langue, ce qui me catapulta à l'opposé du spectre des émotions, droit dans le rire.

- Arrête, la réprimandai-je en m'esclaffant. C'est pas ta langue toute baveuse qui va arranger ma tête.

- Singe, fit une voix approbatrice.

Je levai les yeux et découvris le reste de mes Pokémon autour de moi - du moins ceux qui pouvaient tenir dans ma petite chambre. Il y avait Teigne, évidemment, et puis Grignotte, Ficelle, Souris, Touffu et les deux Poilus. J'osais à peine y croire. Une famille unie, Léonard vivant, et à présent tous mes Pokémon aussi ? C'était vraiment Noël.

- Vous m'avez manquée... soufflai-je à l'adresse des revenants.

Ils me répondirent tous de leurs cris respectifs, comme pour dire "On ne t'abandonnera plus jamais." Ou peut-être que c'était juste ce que je voulais entendre.

Ma ceinture de Pokéballs était posée sur mon bureau, bien en évidence. Je vérifiai la présence des trois mastodontes de l'équipe, puis me tournai vers mon PC. Il avait muté pour ressembler à ceux des centres Pokémon, et l'unité centrale avait même hérité d'un petit socle pour les balls. Est-ce qu'il fonctionnait également comme eux ? Je l'allumai pour en avoir le cœur net. Le dossier "Pokémon stockés" se présenta de lui-même, et je pus constater que tous mes autres Pokémons s'y trouvaient.

La tête me tournait. Vivian avait qualifié Pokémon de jeu lorsque je lui avais posé la question un peu plus tôt. Or ce que j'avais sous les yeux contredisait directement cette affirmation. Que signifiait cette incohérence ? Dérapage d'un Vivian qui cachait son jeu ou simple imperfection de ce rêve étrange ? Je résolus de me tenir sur mes gardes.

C'était plus facile à dire qu'à faire, car lorsque Princesse se pressa à nouveau contre moi en miaulant, je me penchai pour la grattouiller et toute ma méfiance fut reléguée, non pas au second plan, mais au millième. Je perdis ainsi un bonne demi-heure à jouer avec mes Pokémon, câlinant Princesse, riant face aux pitreries de Ficelle qui s'amusait aux dépends de Teigne, et contemplant avec affection les deux Poilus jouer à cache-cache avec Grignotte tandis que Souris faisait l'arbitre.

Lorsque je redescendis enfin dans le salon, accompagnée de Princesse et munie de ma ceinture où se blottissaient Salade, Plouf, et Pleind'Soupe, les derniers invités étaient arrivés, portant notre nombre à douze : le prof Chen, Zack, sa sœur dont j'ignorais le nom, et Léo. Je ne m'en étonnais même plus, et me contentai d'entraîner Zack à l'écart.

- Tu sais ce qui se passe ? lui demandai-je à voix basse.

- Ça arrive tout les ans à la même date, Léa, répondit-il en roulant des yeux. Je sais que t'as la tête comme une passoire mais quand même...

Je camouflai ma déception. Évidemment, ce n'était pas le vrai Zack, tout comme le Léonard qui était actuellement occupé à discuter avec le prof Chen n'était pas le vrai Léonard. En ce qui concernait Vivian, ça restait à voir...

- Alors, alors, alors ? vint me harceler Eilie. Tu me montres ton Florizarre ?

- Dans le jardin, lui indiquai-je.

Nous sortîmes en passant par la véranda et je fus surprise de la douceur de la température à l'extérieur. Nous étions peut-être le 25 décembre, mais le thermomètre devait afficher dans les quinze degrés. Un méfait du réchauffement climatique ? En tout cas, il ne risquait pas de neiger, ce qui me convenait tout à fait.

Je relâchai Salade dans l'herbe, et il s'ébroua comme au sortir d'une longue sieste avant de grogner un "Zarre" mesuré.

- Ouaaaah, il est trop coool, piailla Eilie en ouvrant des yeux grands comme des soucoupes.

- Florizarre ! s'écria Salade, semblant apprécier le compliment.

- Est-ce que Bulbi sera aussi grande quand elle sera évoluée ?

- Sûrement, lui répondis-je.

- Je l'ai pas amenée parce qu'elle aurait fait rien que des bêtises...

Ce commentaire proféré à mi-voix me fit sursauter. C'était exactement l'excuse qu'avaient toujours répété mes parents face à mes nombreuses demandes pour avoir un animal de compagnie. Que faisait-elle dans la bouche d'une fillette de huit ans ? Sans compter qu'elle n'avait vraiment pas lieu d'être avec l'existence des Pokéballs. Ma méfiance repassa au premier plan, augmentée d'un cran. Il y avait vraiment quelque chose qui clochait dans tout ça...

Puis vint le moment de passer à table. Ce fut le dîner le plus étrange auquel j'ai jamais pris part de toute ma vie - et je comptais ceux passés avec mes Pokémon dans le lot. Mes deux parents discutaient allègrement avec ceux de Léonard, la sœur de Zack - dont le prénom était Nina - et Eilie échangeaient des anecdotes sur leurs Pokémon respectifs, le trio du prof Chen, de Léo et de Vivian s'était lancé dans un débat qui mélangeaient joyeusement éthique par rapport aux Pokémon et politique du monde réel, tandis que Zack et Léonard se lançaient pique sur pique tout en se regardant dans le blanc des yeux.

En substance, cela donnait quelque chose comme :

- Nous sommes si fiers de Léonard, il est parti pour devenir un grand chercheur...

- Léa a obtenu de bonnes notes en maths au dernier trimestre, elle a vraiment fait des efforts.

- ...et là, Plumeau s'est envolé par la fenêtre avec le feu au derrière, et c'est Zack qui l'a retrouvé deux jours plus tard dans un champ à dix kilomètres de chez nous.

- Une fois, Bulbi a tiré les cheveux de quelqu'un qui m'embêtait, et même qu'elle l'a fait plusieurs fois !

- Léa, tu es d'accord avec moi concernant le référendum qui approche, non ? Il me paraît évident que les Pokémon doivent disposer du droit fondamental de refuser d'obéir à leurs dresseurs.

- Ce serait l'anarchie. Pour ma part, je suis pour un contrôle plus strict. Tu n'es pas sur le terrain Léo, tu ne peux pas te rendre compte de la réalité du dressage.

- Vous oubliez tous les deux qu'on ne peut pas forcer un Pokémon à faire quoi que ce soit. C'est un jeu dangereux, et au final ça se répercute toujours sur sa relation avec le dresseur.

- Mais tu rigoles, t'as aucune chance, mec ! T'es trop vieux pour elle en plus. Hein, Léa, qu'il est trop vieux pour toi ?

- Deux ans d'écart, c'est loin d'être un obstacle. Et je ne pense pas que Léa veuille être avec quelqu'un qui la rabaisse constamment.

- Je te ressers de la dinde, Léa ma chérie ?

Je me trouvais sollicitée de toute part, bien souvent au centre de l'attention de tous. Et je ne pouvais pas m'empêcher d'être heureuse, malgré ma réticence et bien que je sache pertinemment que tout ça n'était probablement qu'un rêve. Oui, la situation était dingue, oui, elle était factice, et pourtant je ressentais une joie bien réelle. J'étais heureuse d'être là, tout simplement. Heureuse de partager un moment convivial avec les gens que j'aimais. Le meilleur des deux mondes s'offrait à moi, Pokémon et réalité se mariant harmonieusement pour un résultat des plus satisfaisants. Pourquoi aurais-je voulu partir ?

Parce que c'est pas réel, souffla une voix en moi.

Mais il y avait un gros problème si je suivais cette logique jusqu'au bout, parce que dans ce cas-là le monde Pokémon non plus n'était pas réel, et Salade, Teigne, et toutes mes petites bestioles avaient autant de matérialité qu'un filet de fumée. Que faire alors du plaisir que j'avais pris à arpenter ce monde virtuel, des heures remplies de bonheur passées en compagnie de mon équipe de monstres ? Qu'est-ce qui définissait la réalité en fin de compte ? Je pouvais ressentir tout ce qui se passait autour de moi en ce moment même, les réactions des différentes personnes que je côtoyais me paraissaient parfaitement acceptables, et j'étais heureuse. Cette version-là de la réalité ne valait-elle pas mieux que celle où notre famille ne s'était jamais remise de la mort de Vivian et où Pokémon n'était qu'un jeu vidéo ?

Curieusement, ce fut une remarque de Léonard qui me sortit du bourbier mental dans lequel je pataugeais.

- Comme si Léa allait se contenter d'une pâle copie. C'est moi l'original, clama-t-il face à Zack.

Ce monde n'était qu'une copie bâtarde des deux autres, certes réconfortante, mais pas suffisante. Il fallait que je revienne au monde Pokémon, et ensuite j'aviserai quant à savoir la place que j'accorderai à ce dernier. Ma décision prise, je suivis la seule piste dont je disposais : Vivian. Je profitai d'un moment où il se rendit aux toilettes et lui tendis une embuscade à la sortie.

- C'est bon, j'ai compris ton petit manège, lui crachai-je à la figure.

- De quoi tu parles ? me demanda-t-il, l'air authentiquement surpris pour autant je puisse en juger, mais je ne me laissai pas avoir par son jeu d'acteur.

- Je t'ai vu dans le Bois Baies, "Julien", dis-je en me servant délibérément de son faux prénom. Juste avant que je ne me retrouve inexplicablement ici, c'est plutôt curieux comme coïncidence, non ? Tout cette mise en scène n'est qu'une tentative pathétique de ta part pour m'amener à passer de ton côté, avoue. Tu espères quoi au juste en jouant au grand frère modèle ?

- Est-ce que tu n'aurais pas un peu trop bu par hasard ? me renvoya-t-il sur un ton vaguement inquiet.

- Tu croyais que je ne remarquerai pas les incohérences dans ton joli petit monde ? Si Pokémon n'est qu'un jeu comme tu dis, comment tu expliques ça ? m'énervai-je en lui brandissant une Pokéball sous le nez.

Il la repoussa calmement.

- Bon, je vais te couvrir auprès de Maman. Va prendre l'air, tu te sentiras mieux ensuite.

Et là-dessus, il retourna à table. Je restai plantée là, ne sachant que faire.

- C'est vraiment comme ça que j'aurais agi, tu sais, dit une voix qui ressemblait à s'y méprendre à celle de Vivian derrière moi.

Sauf que ça ne pouvait pas être lui, puisqu'il était présentement occupé à couper la bûche. Je fis volte-face. C'était bien Vivian.

Je n'avais plus la patience d'essayer de comprendre ce qui se passait.

- T'as intérêt à me fournir des explications vite fait si tu veux pas te prendre mon poing dans la gueule, le menaçai-je.

- Je préférerai éviter toute violence physique ; je n'ai pas envie de te faire mal. Et tu devrais me remercier, je suis là pour t'aider.

- Pour m'aider, vraiment ? répétai-je. Donc tout ça n'est pas de ton fait ?

- Quelle question stupide, petite sœur. Si c'était le cas tu te doutes bien que je ne te le dirais pas.

- Je t'ai vu dans la forêt avant que je ne me retrouve ici, l'accusai-je en me retenant de le frapper.

- Tu es vraiment lente à la détente, soupira-t-il. Mais soit, puisqu'apparemment il faut tout t'expliquer : ce n'était pas vraiment moi. L'Hypnomade jouait avec tes sens.

- Un Pokémon psy ? C'est pour ça que Lostelle semblait être dans une sorte de transe ?

- Et désormais c'est également ton cas.

Voilà qui expliquait la situation. Si les Pokémon de type psy avaient le pouvoir de changer un goût pour un autre, il n'était pas déraisonnable d'imaginer qu'ils aient également le pouvoir d'agir sur les esprits des personnes et des Pokémon. Et ça justifiait aussi toutes les incohérences que j'avais remarquées. Sauf qu'il y avait un détail qui ne collait pas :

- Comment t'as fait pour savoir ? m'enquis-je, suspicieuse.

- J'ai mon propre Pokémon psy et je garde un œil sur toi, répliqua-t-il ouvertement.

Ainsi donc mon propre frère espionnait mes faits et gestes. Je me sentis vaguement malade à cette idée, bien que cela ne me surprenne pas outre mesure.

- J'ai profité d'un moment d'inattention de la part de l'Hypnomade pour infiltrer sa simulation, continua-t-il. Il est concentré sur les autres en ce moment, mais ça ne va pas durer. Nous n'avons pas beaucoup de temps.

Je faillis lui demander s'il savait ce qui se passait du côté de Zack, mais retins ma question. Si jamais il interprétait ça comme une marque d'affection, Zack risquait de subir le même sort que Léonard. À cette pensée mon envie de le frapper atteignit un degré presque insupportable, mais je me fis violence pour ne pas y céder. J'avais besoin de ses réponses.

Je coupai au plus court :

- Je fais comment pour revenir à la réalité ?

- Très simple : les capacités de simulation de l'Hypnomade sont limitées, il suffit que tu fasses quelque chose pour lequel il n'a aucune référence. Quelque chose que tu n'as jamais fait, et où ton imagination ne suffirait pas à combler le vide de l'inexpérience.

- Comme quoi ? demandai-je hargneusement, ma patience à bout.

- Mourir, par exemple, dit-il de manière détachée.

Je me mordis la langue et retins une fois de plus tout acte de violence physique. Ça aurait été hautement satisfaisant, mais il y avait peut-être des chances pour que ça attire l'attention de l'Hypnomade sur moi, sans compter que j'avais des doutes quant à mes chances de réussir à faire vraiment mal à Vivian.

- Mourir ? répétai-je sur un ton sarcastique qui cachait très mal le tremblement dans ma voix. Tu n'as rien d'autre que ça ?

- Je suppose que ça pourrait se trouver, mais le temps presse et c'est la seule méthode qui marchera à coup sûr qui me vienne à l'esprit. Mais bien sûr si ça ne te convient pas, tu peux toujours attendre sans rien faire que ton corps physique meurt de soif.

Je pris une profonde inspiration. Une pensée égarée surgit dans ma tête et je lui donnai voix :

- En admettant que tu dises vrai... comment je peux avoir la certitude que t'es réel ? Tu pourrais juste être mon subconscient qui se bat contre le Pokémon psy, et qui a choisi de se manifester sous cette forme.

Son visage se fendit d'un sourire amusé.

- Pourquoi ton subconscient me choisirait comme représentation ?

- Parce que t'es censé être mon grand frère et que ça devrait être ton rôle de me protéger, aurais-je voulu répondre, mais je demeurais silencieuse.

Prononcer ces mots me semblait être une insulte à la mémoire de Léonard. Et pourtant, si c'était bien le véritable Vivian que j'avais face à moi et non pas le fruit de mon imagination, alors c'était exactement ce qu'il était en train de faire. Il me protégeait.

J'en ai marre de toute cette complexité. Pourquoi est-ce que la vie ne peut pas être plus simple ?


J'évacuai mon stress et ma frustration en soufflant par le nez.

- Tu... commençai-je.

Le regard de Vivian se porta soudain sur quelque chose derrière mon épaule, et il disparut.

- Tu parles toute seule Léa ? C'est ta nouvelle technique pour pouvoir tenir tête à ton interlocuteur ? railla la voix de Zack dans mon dos.

- Tu devrais essayer, rétorquai-je, comme ça tu trouverais enfin quelqu'un qui puisse t'écouter sans avoir envie de t'en mettre une.

Je m'engageai dans l'escalier sans attendre sa réponse. Premier étage. Deuxième étage. Et puis le grenier. Je me frayai un chemin à travers tous les cartons afin d'atteindre le vélux. Autant sauter d'un endroit qui soit le plus haut possible, histoire de pas me rater... Si j'avais pu faire confiance à mes Pokémon, j'aurai pu leur demander de m'aider dans ma tentative de suicide, mais ils n'étaient que des marionnettes dont l'Hypnomade tirait les ficelles. Dommage, parce qu'entre un coup de poing de Teigne qui ferait sans doute la chose proprement et une chute du troisième étage qui risquait d'être très sanglante, le choix était vite fait.

J'ouvris le vélux et me hissai sur le toit en faisant attention à ne pas déraper - ce serait trop bête que je termine avec juste quelque chose de cassé. Je m'approchai du bord en crabe, gardant une prise sur le rebord du vélux. Merde, ça faisait quand même super haut. Les dalles de la terrasse allaient me fournir un atterrissage abrupt à souhaits.

La tête la première, comme ça ce sera sûr, songeai-je.

Je m'étonnai moi-même d'être aussi calme. Mais je n'allais pas vraiment mourir. J'allais juste rejoindre ceux que j'aimais - les vrais, et non les ersatz sans âme avec qui je venais de déjeuner.

- Léa, ma chérie, non ! s'écria ma mère depuis tout en bas.

La main plaquée sur sa bouche, elle me dévisageait avec un mélange d'horreur et d'inquiétude. Elle venait de sortir, et je demandai si c'était l'Hypnomade qui la faisait agir ainsi ou bien si c'était une coïncidence. J'hésitai, lâchant presque ma prise, avant de me raviser, et durant ce laps de temps ma mère fut rejointe par d'autres personnes.

Mon père, Vivian, Léonard et Zack, ce qui m'amena à penser que l'Hypnomade était bien aux commandes : un choix stratégique de ceux qui comptait le plus à mes yeux, sans s'encombrer du reste. Quelques-uns de mes Pokémon vinrent s'ajouter aux humains : Princesse, Teigne, Grignotte...

- Reste avec nous Léa, je t'en prie... Reste avec nous, sanglotait ma mère.

- On t'aime, Léa. Ne fais pas ça, s'il te plaît, m'implora mon père.

Zack me demanda doucement de descendre tandis que Vivian me fixait sans rien dire et que Léonard s'engouffrait à nouveau à l'intérieur, sûrement pour venir m'empêcher de sauter. Mes Pokémon n'étaient pas en reste, s'exclamant dans leur propre langue sur une intonation plaintive. Je secouai la tête, le cœur serré.

Ils ne sont pas réels, me rappelai-je. Juste des illusions.

Mais c'était très dur d'y croire, alors que tout m'indiquait le contraire. Et je n'avais que la parole de Vivian comme garantie...

- Léa, arrête ! fit la voix suppliante de Léonard derrière moi.

L'envie de me retourner me tarauda, mais je la combattis. Mon choix était fait.

- Adieu... chuchotai-je.

Pour de bon cette fois.

Je me laissai tomber dans le vide.

L'air me fouetta brièvement le visage alors que la gravité appliquait sa loi.

Et puis plus rien.

***

Des flammes.

Des flammes et une chaleur infernale.

Avais-je atterri en enfer ? Je clignai des yeux, ajustant ma vision. Non, je me trouvais quelque part dans un bâtiment qui flambait, constatai-je. Je songeai inévitablement au centre Pokémon de Céladopole, me demandant si l'Hypnomade m'avait piégée dans un de mes souvenirs, avant de reconnaître rapidement que ce n'était pas le cas lorsque j'examinai mes alentours plus en détails. Le feu dévorait les murs de la pièce et commençait à s'étendre au plafond, et il y avait déjà suffisamment de fumée pour qu'on ait du mal à y voir, mais pas encore assez pour que je ne puisse pas identifier l'endroit où j'étais apparue comme une chambre d'enfant. Les peluches Pokémon, la couverture rose Rondoudou, et la taille des vêtements pliés sur la chaise voisine ne trompaient pas.

Un filet de sueur coula entre mes omoplates. L'adrénaline avait fait son retour dans mon organisme et me criait de me barrer d'ici en vitesse. Je ne voulais même pas imaginer la douleur que l'on devait ressentir à mourir brûlé vif - même si ce ne serait pas permanent vu qu'à priori je n'étais pas encore revenue à la réalité. Ma main descendit chercher la Pokéball de Plouf à ma ceinture, ne la trouva pas. Je baissai les yeux : pas de ceinture tout court.

Saleté d'Hypnomade. Il ne jouait pas fair-play.

Je fis quelques pas hésitants en direction de la porte, qui était ouverte et donnait sur un couloir lui aussi ravagé par les flammes. Un épais nuage de fumée bloquait la progression. Je pris plusieurs grandes inspirations d'air plus ou moins pur, puis m'armai de tout le courage que je possédais et avançai.

Pour immédiatement percuter quelqu'un.

Trois pas de reculs précipités et je me retrouvai nez à nez un Zack complètement échevelé à la peau noire de suie.

- Léa ? toussa-t-il en me dévisageant d'un air incrédule. T'as trouvé comment échapper aux cauchemars provoqués par le Pokémon psy ?

- En quelque sorte... Attends, comment t'as deviné que c'était un Pokémon psy qui nous faisait subir ça ?

- Un monde où les lois de la logique sont très variables et un scénario qui se répète en boucle ? C'est une évidence qui crève les yeux, répondit-il alors qu'au-dessus de nous le plafond résonnait d'un craquement sec.

Je me recroquevillai d'instinct.

- T'inquiète, on a encore quelques minutes avant que ça s'effondre.

- Quoi ? Comment tu sais ?

Ses yeux se fichèrent dans les miens, et je n'y lus que le calme et la résignation.

- Parce que c'est la trentième fois que je revis cette scène.

Son aveu me fit frissonner. Était-ce un souvenir d'enfance que Zack revivait en boucle ? L'incendie où ses parents avaient perdu leurs vies ? Voulais-je vraiment le savoir au fond ?

- Comment t'es sortie de ton cauchemar à toi ? interrogea Zack. Je crois que j'ai à peu près tout essayé, mais rien ne marche.

- Je suis morte.

Zack plissa les yeux, restant silencieux.

- Apparemment l'Hypnomade qui nous fait ça a besoin de références pour que son monde inventé continue à fonctionner, expliquai-je, donc il suffit de lui balancer quelque chose qu'il ne peut pas gérer, comme la mort, et ça termine le rêve.

- J'ai déjà tenté ça, révéla Zack. Il a une référence en ce qui me concerne.

Malgré la chaleur étouffante des flammes, un frisson me parcourut.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? croassai-je, la gorge sèche.

- J'ai inhalé trop de fumée à cause de l'incendie, et je suis mort pendant deux minutes et quatorze secondes - cliniquement du moins. Je me rappelle pas de grand chose, mais ça doit lui suffire comme expérience.

- Bon OK, soufflai-je, absorbant cette nouvelle information tant bien que mal. Mais il n'a rien de mon côté, et ce genre de choses c'est personnel non ? Donc si je meure ici ça devrait casser ton cauchemar.

J'avais essayé de prendre un ton convaincu, mais je n'avais aucune certitude quant à savoir si ce que je proposais allait marcher. Autour de nous, les flammes léchaient les murs et s'attaquaient au plancher, réduisant notre espace vital. Je me répétais mentalement en boucle que tout ça n'était pas réel pour tenir le coup.

- Essayons ça, résolut Zack. C'est facile, il suffit de ne pas bouger d'ici.

Je jetai un coup d'œil en l'air, vers le plafond en flammes, et essayai de me rassurer en me disant que puisque je n'avais pas ressenti l'impact sur la terrasse, je ne sentirai pas non plus la maison qui allait nous tomber sur la tête. Étrangement, cela ne marcha pas des masses.

Un son qui n'avait rien d'humain me fit soudain sursauter. Une plainte rauque qui provenait du couloir.

- Zaaaack.

Deux silhouettes émergèrent de la fumée, et j'eus un hoquet d'horreur. Horriblement brûlées, les deux personnes présentaient une peau couverte de cloques, avec des morceaux de chair à vifs qui pendaient ça et là. Leurs yeux avaient noirci dans leurs orbites, et les flammes avaient collé leurs vêtement à leurs corps. Même leur langue que je vis bien malgré moi lorsqu'ils ouvrirent la bouche n'était plus qu'un bout de chair complètement noir et desséché...

D'après leurs tailles, il s'agissait de deux adultes. Les parents de Zack ?

- Zaaack, répétèrent-ils d'une voix suppliante.

Ils restaient sur le seuil de la porte, les bras tendus mais n'avançant pas. Je détournai le regard, incapable d'en supporter davantage. Zack, lui, leur faisait face sans paraître être affecté.

- Ça ne s'est pas vraiment passé comme ça ? demandai-je tout bas pour en être sûre.

- Nan. Je soupçonne que l'Hypnomade s'amuse à mes dépends... Tous les Pokémon psy sont un peu sadiques au fond.

- Zack... murmurai-je, ma propre voix se superposant au sifflement rocailleux des deux brûlés.

Je posai une main sur son bras, une maigre tentative de lui offrir mon soutien. Il avait l'air de ne rien ressentir, mais c'était forcément une façade. Il aurait fallu être sans cœur autrement.

- Hé oui, j'ai un passé tragique, fit Zack d'une voix légère. Tu as l'intention de me guérir par le pouvoir de ton amour ?

Comment trouvait-il encore la force de plaisanter ?

- Je vais te guérir avec mes poings si tu continues de raconter des conneries, répliquai-je, entrant dans son jeu histoire d'oublier l'horreur de la situation.

- Je prends aussi. Tu frappes comme une fillette, ça correspondra à des caresses.

Voilà que nous nous retrouvions en train de flirter... On était vraiment irrécupérables. Je voulus répliquer quelque chose, mais à cet instant il y eut un craquement sinistre, suivi d'une pluie de flammes que j'eus à peine le temps d'entrevoir.

Et le monde bascula dans l'obscurité.

***

Le soleil, haut dans le ciel.

Ce fut la première chose que je vis lorsque j'ouvris les yeux. J'étais allongée dans l'herbe, la tête plus haute que les pieds - le sol était en pente. Je me redressai, et constatai que si nous avions effectivement réussi à sortir du cauchemar du Zack, nous n'étions pas encore revenus à la réalité. Ou alors la réalité avait vécu la crise de la quarantaine entre-temps et avait décidé de tout laisser tomber pour devenir juste une colline entourée d'un espace vide et blanc.

- Il perd le contrôle, lança Zack à mes côtés.

J'espérai qu'il avait raison, parce que pour moi ça pouvait tout aussi bien signifier que l'Hypnomade n'avait pas envie de s'embêter à créer davantage qu'une colline pour le rêve de Lostelle. Car c'était bien la fillette aux cheveux roux qui se trouvait assise au sommet du monticule herbeux. En plissant les yeux, je distinguai des choses qui scintillaient tout autour d'elle. Des lucioles ? L'éclat du soleil m'empêchait d'en avoir le cœur net.

Zack entreprit de grimper jusqu'en haut et je lui emboîtai le pas.

- Tu crois que Teigne et Alakazam ont également été piégés par l'Hypnomade ? lui demandai-je.

- Ils vont bien et s'en tirent sûrement mieux que nous, répondit Zack sans l'ombre d'un doute. Ils savent se débrouiller.

Pour Alakazam, je voulais bien le croire, mais Teigne, elle, souffrait d'une faiblesse inhérente face aux Pokémon de type psy, et ça, ça m'inquiétait.

- Il n'y a pas de danger pour Teigne alors ? insistai-je. Elle ne risque pas d'avoir des séquelles ?

Ou de mourir, n'ajoutai-je pas.

- Pas plus que toi, fut la réponse de Zack, ce qui ne me rassura pas entièrement.

Alors que nous arrivions à la hauteur de Lostelle, je pus constater que les trucs brillants qui l'entouraient n'étaient pas des lucioles mais des papillons. Il y en avait des centaines, de toutes les couleurs possibles, et ils voletaient tous autour d'elle dans une danse d'éclats lumineux. Ça aurait pu être une scène sortie tout droit d'un conte de fées n'eussent été les actions de la fillette. D'un geste vif, elle se saisit d'un papillon qui volait insouciamment, puis lui arracha ses deux ailes avant de les déposer méticuleusement devant elle. Ça ne devait pas être la première fois qu'elle faisait ça parce qu'il y avait déjà un nombre impressionnant d'ailes à ses pieds. Elle posa le reste du corps du papillon sur le côté et tendit la main pour en attraper un autre.

- Lostelle, l'interpellai-je.

Elle sursauta et tourna la tête sans bouger de sa position assise. Ses yeux bleus s'élargirent sous la surprise lorsqu'elle nous vit.

- Non ! s'exclama-t-elle d'une voix fluette. Vous n'avez pas le droit d'être là ! Partez sinon il va se mettre en colère !

- Qui ça, l'Hypnomade ?

La fillette baissa les yeux, contemplant les trop nombreuses ailes de papillons à ses pieds.

- Je ne dois rien dire, je ne dois rien dire, je ne dois rien dire, récita-t-elle comme une litanie.

Elle voulut s'emparer d'un nouveau papillon mais je lui saisis la main.

- C'est ton père qui nous envoie, expliquai-je. On est venu te sauver de l'Hypnomade, tu n'as plus à avoir peur de lui...

Elle secoua violemment la tête en se mordant la lèvre.

- Je dois continuer sinon il me punit.

- Tu peux nous faire confiance, lui assurai-je.

Elle secoua à nouveau la tête.

- Laisse tomber, intervint Zack. De toute façon, on a pas besoin d'elle pour sortir. Il suffit qu'on brise encore une fois le rêve.

- Ça ne garantit pas qu'on retournera à la réalité, il reste encore les cauchemars de Teigne et d'Alakazam, fis-je remarquer.

- On recommencera autant de fois qu'il faudra dans ce cas.

- Ça me va, mais comment on fait pour sortir ? Y a rien en hauteur ici... et rien de dangereux. Je ne pense pas qu'on puisse mourir en dévalant une colline...

Zack émit un grognement pensif.

- Il faut un truc pour lequel l'Hypnomade n'ait aucune référence et qu'il ne puisse pas extrapoler à partir de nos souvenirs, c'est bien ça ?

- Ouais, confirmai-je.

- J'ai une idée, fit-il en s'approchant.

Je tournai la tête dans sa direction.

- Ah bon ? Tu...

Je n'eus pas l'occasion de finir ma phrase car ses lèvres vinrent trouver les miennes.

Oh.

Le choc passé, et une fois que j'eus récupéré le contrôle de mon corps, je répondis à son baiser avec une ferveur qui me surprit moi-même. Je sentis Zack hésiter une fraction de seconde face à ma réaction, puis il poussa un grognement rauque d'approbation et posa une main au bas de mon dos pour plaquer ses hanches contre les miennes comme s'il savait exactement ce qu'il voulait. Sa langue se glissa dans ma bouche, possessive et électrisante. Je passai mes mains dans ses cheveux en réponse et me pressai contre lui.

Si mes neurones avaient été en état de marche, je me serais rendu compte que cette passion entre nous, ce quelque chose de fort et d'indéfinissable, ça ne pouvait provenir que d'une envie mutuelle qui avait été niée depuis trop longtemps. Mais en l'occurrence, toutes mes pensées conscientes m'avaient désertée et je m'étais abandonnée à l'instant.

J'aurais voulu que ça dure pour l'éternité, mais le monde cessa d'exister bien avant cela.

***


Faut bien compenser la torture mentale que je leur ai infligée tout le long du chapitre... Je précise que ça ne veut pas dire que ni Léa ni Zack n'ont jamais embrassé quelqu'un auparavant : c'est juste que l'Hypnomade n'est pas assez doué pour prendre leurs souvenirs de leurs baisers respectifs précédents et de les adapter pour celui-là.

Quant à l'oubli de Maraude dans les Pokémon, c'est tout à fait volontaire : l'Hypnomade construisait le rêve à partir des souvenirs et des émotions de Léa et elle ne considère pas encore la Goupix comme faisant partie de l'équipe.


Équipe actuelle :
SaladeTeigneGrignottePloufPleind'SoupeMaraude

Cimetière :
FicelleTouffuSourisPoilue
PoiluPrincesse