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Les griffes écarlates [One-Shot] de Ayumi-san



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» Auteur : Ayumi-san - Voir le profil
» Créé le 13/02/2013 à 18:13
» Dernière mise à jour le 16/06/2013 à 19:48

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Les griffes écarlates [OS]
Route 18, -15 heures et 34 minutes.

Enfoncé dans les couvertures chaudes jusqu'au cou, je perçois à peine le chant matinal des Roucool. Les rayons du jeune soleil baignent la chambre d'une lumière crue. Pourtant, comme un rempart, un corps fait obstacle à cette lumière agressive. Les rayons le cisèlent comme une statue d'ivoire. Je profite de cet instant, niché au creux du cou de ma dresseuse. Je goûte à la chaleur rassurante de son corps et de la douceur des draps de satin clairs. En levant les yeux vers le visage doux de la jeune fille, je me rends compte qu'elle me regarde en souriant. Ses cheveux chocolats sont tout ébouriffés et elle paraît encore ensommeillée, mais ses prunelles bleues brillent de malices. Je sais ce que ce regard veut dire : aujourd'hui encore, nous allons nous amuser à effrayer les Poichigeon qui picorent dans les hautes herbes ou faire des châteaux de sable dans la petite crique de sable fin du Laboratoire. Je lui rends un sourire lumineux et elle me prend dans ses bras en riant.

* * *


Je m'appelle Teddy et je suis un jeune Teddiursa. Ma dresseuse s'appelle Molly et je crois qu'elle a environ douze ans en âge humain. Elle est la fille d'un célèbre scientifique, le Professeur Swan, renommé pour ses nombreuses découvertes sur les Pokémon Légendaires. Nous vivons tous les trois sur la Route 18, dans la région d'Unys. Sur une petite île, pour être précis. Pendant les vacances, je passe le plus clair de mon temps au Laboratoire P2 avec Molly. Son père ne veut pas la laisser seule à la maison et comme je ne me sépare jamais de ma dresseuse, je l'accompagne à chaque fois. Mais le problème, c'est qu'il faut monter dans un drôle d'engin pour aller au Laboratoire. Molly dit que c'est un bateau. Je suis malade à chaque fois que j'y mets les pattes.
Les nombreux Pokémon sauvages qui vivent aux alentours du Laboratoire me permettent de m'entraîner avec elle. Je ne suis pas très fort, mais on s'en fiche. Tant qu'on est ensemble, rien ne peut nous arrêter.
Toute la journée, le Professeur reste enfermé dans son Laboratoire et travaille sur de gros receuils de légendes et de mythologies sur les Pokémon. Mais le soir, une fois que nous sommes tous rentrés à la maison et que Molly est endormie, j'entends le Professeur qui sort dehors en fermant doucement la porte. Je pense qu'il retourne travailler au Laboratoire. Mais je préfère ne rien dire.
Pour ne pas attrister Molly.

Si Molly vit seule avec son père et moi, c'est parce que sa maman est morte il y a longtemps. Je n'avais pas encore rencontré ma dresseuse. Depuis, le Professeur passe ses journées entières à travailler, il ne vit pour rien d'autre. A part pour Molly, peut-être. Je crois que c'est pour ça qu'elle est triste. Le soir, je l'entends quelques fois gémir dans son lit. Je n'aime pas quand Molly pleure. Alors je la serre du mieux que je peux dans mes pattes et elle finit par se calmer.
Je ne peux rien faire d'autre, mais il semble que cela suffise.
Il y a peu, j'ai décidé que je ne laisserai jamais personne lui faire de mal. Comme cette promesse que je lui ai faite il y a bien longtemps.
Parce qu'on est toujours là l'un pour l'autre.
Et parce que j'aime vraiment ma dresseuse.

* * *


Même lieu, -14 heures et 28 minutes.

Molly achève de nouer ses cheveux avec un joli ruban jaune et me demande en tournant sur elle-même :
- Alors, comment tu me trouves, Teddy ?
Je lui réponds en prononçant mon nom d'un air enjoué. Elle est vraiment magnifique, Molly. Elle prend toujours soin d'elle. De moi aussi, d'ailleurs.
En quittant sa chambre pour aller prendre notre petit déjeuner, nous passons devant un grand miroir mural. Molly s'arrête devant, comme elle le fait tous les jours. Je ne lui arrive pas au dessus du genou mais je prends quand même le temps de l'admirer. Ses cheveux sont noués avec le ruban jaune mais quelques mèches chocolats retombent en bouclant sur ses épaules. Elle porte une chemise légère très féminine à manches courtes, jaune elle aussi et une jupe claire. Ses jambes sont en partie couvertes de grandes chaussettes blanches qui montent jusqu'aux genoux. Ma dresseuse, sans lâcher son reflet des yeux, dit d'un air satisfait :
- Parfait, on peut y aller, Teddy !

Elle est éblouissante, Molly. Je la trouve très jolie avec son regard cobalt, sa peau claire et son visage doux de jeune fille. Souvent, elle me dit que nous allons bien ensemble, parce que je suis mignon, moi aussi. Elle a peut-être raison.
Je baisse les yeux et regarde curieusement mon propre reflet dans le miroir. J'ai une petite tête ronde et mes oreilles ressemblent à des beignets, selon Molly. Un croissant de Lune doré s'enroule sur mon front et je trouve que mes yeux sont moins beaux que ceux de ma dresseuse, mais elle me dit qu'ils brillent plus fort, comme des étoiles. Mon visage, comme le reste de mon corps, est brun clair mais il est en partie couvert par une tâche crème qui monte jusqu'à ma truffe. Molly affirme que c'est parce qu'un jour, j'ai trempé la moitié de mon visage dans l'assiette de lait à la crème qu'elle avait posée à terre à mon attention. J'ai longtemps frotté pour essayer d'enlever cette tâche, mais je n'y suis pas parvenu. Ce n'est pas grave, Molly m'aime comme je suis, crémeux ou non.
J'ai aussi, au bout de mes pattes, de petites griffes blanches comme l'albâtre.
Mais je ne m'en sers que pour combattre.
Le reste de mon corps est cuivré comme le haut de ma tête, et ma fourrure est douce ainsi que brillante. C'est parce que Molly fait beaucoup attention à moi, elle me brosse tous les soirs avant de s'endormir. J'aime beaucoup ce moment parce qu'elle chantonne doucement des chansons célèbres de la région où nous vivons. Elle dit aussi que je suis son « ourson ».

Quand elle n'est pas en vacances, Molly va dans un endroit pour apprendre des choses. Je viens toujours avec elle, mais je dois rester dans la sphère rouge et blanche dans laquelle elle m'a mise après m'avoir recueilli. C'est là-bas qu'elle apprend les comptines qu'elle me chante le soir.
Soudain, je me rends compte que Molly est en train de pleurer devant son miroir. Je me mets à tirer doucement le bas de sa jupe. Je ne veux pas qu'elle pleure, ça me rend triste. Elle essuie son visage d'une main fébrile et me regarde, les yeux encore un peu humides :
- Excuse-moi. C'est parce que je pensais à maman. C'était son ruban préféré, papa dit qu'elle le mettait tout le temps.
Puis, se ressaisissant, elle sourit et dit avec malice :
- Il est temps de descendre, il ne faut pas mettre mon père en retard à son travail ! Tu viens Teddy ?
- Teddiursa !

* * *


Même lieu, -14 heures et 19 minutes.

A peine les marches de l'escalier descendues, les délicieuse effluves du pain grillé me parviennent. Je me mets à saliver. Nous pénétrons dans la cuisine. C'est une jolie pièce aux murs clairs, éclairée par une grande fenêtre. De longs rideaux translucides et pastel y sont suspendus. C'est en quelque sorte la pièce principale. La porte d'entrée mène à une petite terrasse entourée de rambardes de bois. Molly salue son père en lui déposant un baiser sur la joue. Il semble fatigué, ses yeux sont soulignés de cernes mauves et il n'est pas bien rasé. Je sais pourquoi, mais je ne dis rien, me contentant de lui sourire. Molly s'installe à table, je me mets à côté d'elle. Le Professeur Swan lit son journal en face de nous. Je ne comprends pas ce qu'il y a écrit sur la première page et Molly me regarde d'un air amusé :
- Tu essaies de lire, Teddy ? Tu devrais boire ton lait avant qu'il ne refroidisse !
Et elle croque à pleine dents dans sa tartine couverte de confiture. Moi, j'aime bien la confiture, surtout celle à la framboise. Mais ce que je préfère par dessus tout, c'est le miel. Molly le sait bien et tous les jours, j'ai droit à mes biscuits de miel. C'est ma jeune dresseuse qui me les achètes quand nous sommes de passage à Arabelle.
Elle est vraiment géniale, Molly. Je ne sais pas comment elle pourrait l'être d'avantage.

Je trempe ma langue dans le lait crémeux et un goût familier me chatouille le palais. Le breuvage tiède me fait frémir de plaisir. Du miel. Molly a mis du miel dans mon lait ! Je la regarde avec bonheur et elle me sourit.
- J'espère que tu apprécies, Teddy. C'est parce que cela fait exactement trois ans que je t'ai trouvé. Tu te rappelles ? J'avais préparé un bol de lait et j'y avais ajouté du miel pour soigner ta toux. Tu avais adoré.
- Teddi !
Le Professeur interrompt sa lecture et me regarde avec sérieux. Puis il passe une main dans ses cheveux noirs et hirsutes, rajuste ses lunettes et reprend sa lecture. Molly et moi continuons à déguster notre petit-déjeuner en silence jusqu'à ce que Mr. Swan nous rappelle que l'heure est l'heure et que la découverte n'attend pas. Nous débarrassons la table en vitesse et attendons le Professeur dehors. Molly s'assoit sur la petite terrasse et se met à chantonner. Devant nous, les ardoises du chemin qui desend vers la plage chauffent au soleil. Puis le Professeur, qui semble avoir retrouvé ses clés, ferme la porte derrière nous et se met en route vers la crique sablonneuse où nous attend le bateau en partance pour le Laboratoire P2. Molly et moi prenons de l'avance. Ma dresseuse court vers la plage en riant et je la suis en trottinant.

* * *

Chenal 17, -13 heures et 05 minutes.

Nous arrivons, Molly et moi, sur la petite crique où nous attend le bateau amarré à un ponton. A une dizaine de mètres, le Professeur marche tranquillement. Molly le salue en faisant de grands gestes. De loin, je distingue la clôture blanche du petit jardin de notre maison. Le cerisier qui y pousse n'est qu'une tache vue d'ici, mais je devine presque la balançoire de Molly qui y est accrochée.
Lorsque le Professeur nous rejoint, il s'avance vers l'homme qui est assis sur le sable. Il y a un Pokémon à ses côtés. Cet homme, c'est Takeshi. C'est lui qui s'occupe du bateau du Professeur Swan. C'est un Humain très gentil, quoique peu bavard. Sa peau tannée contraste avec ses cheveux grisonnant. Cela lui donne un air un peu exotique, je trouve. Le Professeur Swan et lui se connaissent depuis longtemps : le vieil homme s'occupe de l'entretien du bateau et le conduit lui-même. Le Pokémon à ses côtés, c'est Roigada. Il est d'une grande sagesse et c'est lui qui m'apprend toutes ces choses sur les Humains. C'est un vénérable Pokémon que je respecte et considère comme une sorte de professeur. Ils nous arrive de combattre, mais je perds toujours.
Mr. Swan et Takeshi se saluent pendant que Molly et moi montons dans le bateau. Je reste blotti contre ma dresseuse. Au bout d'un court moment, j'entends le moteur du bateau qui démarre. L'instant d'après, nous voguons tous les cinq vers le Laboratoire.

* * *

Même lieu, -12 heures et 57 minutes.

Comme chaque fois que je prends le bateau, je suis malade. Molly est à côté de moi et elle tente de me changer les idées en me racontant des histoires sur les Pokémon Légendaires. Je ne l'écoute pas, trop occupé à contenir mon malaise. Je pourrais entrer dans ma « Poké Ball » mais la sensation d'être enfermé est pire qu'une traversée en bateau. Les courants sont toujours forts dans ces zones-là, et je me cramponne à Molly comme un Goinfrex se cramponne à son repas. Un drôle d'odeur flotte dans l'air, portée jusqu'à ma truffe par le vent. Je tiens bon.

Après ces longues minutes d'accalmie, le bateau s'amarre sur l'île où se trouve le Laboratoire. Je saute sur le sol, trop heureux de pouvoir enfin m'éloigner de cet engin de malheur. Molly me suit en riant. Le Professeur Swan salue son vieil ami qui repartit avec le bateau et Roigada à bord. Ils reviendront nous chercher ce soir. Mr. Swan nous rejoint, Molly et moi, devant le Laboratoire et nous met en garde, comme il le fait toujours :
- Faites bien attention tout les deux, d'accord ? N'allez pas jouer trop près de la falaise et toi, Molly, évite de laisser Teddiursa se blesser si tu t'entraînes avec lui dans les hautes herbes ! On se retrouve ici vers midi.
Puis il dépose un baiser sur la joue de sa fille, me salue et pénètre dans le Laboratoire. J'ai à peine le temps de voir ce qu'il y a à l'intérieur. Les portes automatique se referment sur le Professeur.

Je m'entraîne tout le reste de la matinée avec Molly. Je perds presque tous mes combats mais j'ai l'impression que je deviens peu à peu plus fort. Molly semble bien s'amuser, c'est une bonne chose. Même quand j'échoue, elle me répète que je me suis très bien battu puis elle ouvre son sac-à-dos et me fais manger une ou deux Baies Sitrus. Vers la fin de la matinée, je suis exténué. Heureusement pour moi, il est temps que nous rejoignions le Professeur Swan. Le soleil est déjà haut dans le ciel mais le feuillage émeraude des arbres filtre la lumière qui forme des taches claires sur l'herbe grasse. Une douce brise fait bruisser les branches et atténue la chaleur de l'été. J'entends les vagues qui se jettent contre les falaises à quelques pas d'ici.
- Nous ne pouvons pas aller plus loin, Teddy. Papa me l'a interdit. Il faut faire demi-tour pour retourner au Laboratoire.
Je hoche la tête et nous repartons en sens inverse. Peu à peu, le bruit des vagues s'étouffe pour ne plus être qu'un souffle lointain. Seuls nos pas, étouffés par l'herbe drue et douce, accompagne notre respiration calme. Molly et moi marchons côte à côte, laissant nos pensées vagabonder. Soudain, je perçois un bruissement à côté de moi. Molly l'a entendu, elle aussi. Elle s'arrête et se tient prête à combattre. Je trouve qu'elle a un air très sérieux quand elle se met en position de combat : la jambe gauche en avant et celle de droite en retrait, légèrement fléchie. Elle a les poings serrés et un masque de concentration fige ses traits, mais ses yeux brillent d'excitation. Elle fait toujours face à son adversaire. Moi, à côté d'elle, je ne suis qu'un trouillard. Pendant un instant, je ne vois plus l'herbe remuer. Paniqué, je me tourne vers Molly qui me crie de faire attention. Trop tard : une attaque fulgurante m'éjecte et je m'écrase contre un arbre. Molly me demande si je vais bien. Sonné, je lui fais signe que ça va, même si ce n'est pas tout à fait le cas. Mon regard se porte vers la créature qui m'a attaqué : un Pokémon se tient sur deux pieds, dans une position similaire à celle de Molly. Son corps est bleu et il porte une drôle de tenue plus claire. Il a, nouée à la taille, une ceinture de tissu noir et ses yeux brillent d'un éclat malveillant. J'avale ma salive avec difficulté et attends les ordres de Molly : affronter ce Pokémon ou prendre la fuite. Ma dresseuse semble tendue, du fait que je sois désavantagé face à ce Pokémon. Je ne peux pas faire grand chose contre un Type Combat. Pendant un instant, j'ai l'impression qu'elle veut prendre la fuite. Malheureusement, elle se ressaisit et lance d'une voix forte :
- Teddy, attaque-le !
Incapable de refuser, je bondis vers le Pokémon qui me fait face et le combat s'engage.

* * *


Laboratoire P2, -10 heures et 50 minutes.

Une nouvelle fois, je suis projeté avec violence et m'écrase au sol. Le combat dure depuis un bon moment et je n'ai presque pas touché mon adversaire. Celui-ci s'amuse à ne lancer que de petits coups. Malgré cela, j'ai de plus en plus de mal à me relever. Molly continue de m'encourager, je ne suis debout que grâce à elle. Pour une fois, je ne veux pas perdre. Pour Molly. Je me remets sur mes pattes et me tiens prêt.
- Teddy, attaque Griffe !
J'obéis mais mon adversaire évite sans difficultés mon attaque et riposte avec Casse-Brique. Je parviens à esquiver le coup de justesse et recule de quelques pas. Le Karaclée qui me fait face semble se fatiguer mais je vois dans son regard qu'il n'a pas l'intention d'abandonner. Je le vois arriver rapidement en préparant une attaque Close Combat. Je n'ai pas le temps de souffler qu'il est déjà sur moi. Puis, pendant une seconde, je perçois une faible lumière bleue. Elle forme un fragile dôme autour de moi puis se dissout. Bien trop tôt, puisque l'attaque me percute de plein fouet. Je sens que cette fois, je ne vais pas me relever. Mon adversaire est trop rapide, trop puissant. Molly semble totalement perdue. Mais loin d'en avoir fini avec moi, le Karaclée fait un pas en avant et je vois son poing s'embraser. Il charge de nouveau mais cette fois, je suis prêt. Je ferme les yeux et me concentre pour tenter d'ériger cette barrière qui aurait pu me protéger de l'attaque précédente. Karaclée prend son élan, bondit et... percute le dôme brillant de lumière bleue qui s'est formé autour de moi. Mon adversaire s'écrase au sol, sonné. Je profite de cette chance inouïe pour lancer une attaque Bâillement. Une étrange bulle rose flotte un instant dans l'air puis éclate sur la tête de Karaclée. J'entends Molly qui pousse un cri de joie.
- Oui, bien joué, Teddy ! Tu es le meilleur ! On a réu...
Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase que Karaclée est déjà debout et son attaque Vengeance me percute de plein fouet. Il ne rigole plus, maintenant.
Je m'écroule aux pieds de ma dresseuse.

Pendant un instant, je ne vois que de grosses taches noires qui dansent devant mes yeux, puis le visage de Molly m'apparaît. Elle semble effrayée et inquiète. Je lui souris et, après un court moment d'hébétude, elle me rend un sourire lumineux. Elle vient de comprendre que le combat n'est pas terminé. Je peux me relever, une dernière fois. Rassuré, je dissipe mon attaque Tenacité et me relève. J'ai beaucoup de mal à tenir debout, mes membres me font souffrir, la tête me tourne mais il me reste assez d'énergie pour continuer. En face de moi, Karaclée me regarde sans comprendre, puis je vois l'agacement se peindre sur son visage. Comme pour rattraper le temps perdu, il prépare une nouvelle attaque Poing de Feu. Cette fois, Molly est prête et me presse :
- Teddy, protège toi, vite !
J'utilise le peu d'énergie qu'il me reste et invoque un magnifique Abri qui me protège de mon adversaire. Le choc fait vibrer la paroi bleutée mais je tiens bon. J'entends Molly qui crie derrière moi :
- Teddy, attaque Griffe !
Je m'exécute mais Karaclée, prévenu par la voix de ma Dresseuse, recule d'un bon et me regarde, fou de rage. Je le vois charger de nouveau, se préparant à attaquer. Confiant, je me concentre et tente de parer de nouveau son attaque avec Abri. Toutefois, à mon plus grand étonnement, aucune barrière n'apparaît. Karaclée n'est plus qu'a quelques mètres.
- Qu'est-ce que tu fais, Teddy ?! Protège-toi ! Protège-toi !! hurle Molly, paniquée.
Mais je ne parviens pas à faire apparaître l'Abri digne de ce nom. J'ai beau me concentrer aucune lumière bleutée n'est visible autour de moi, aucun dôme ne se forme. Je vois déjà le combat se terminer. Mais soudain, le Karaclée ralentit sa course et, après un moment de réflexion, je comprends. Je me retourne face à Molly, un grand sourire dessiné sur le visage tandis que mon adversaire s'écroule au sol. Ma dresseuse reste figée de stupeur, la bouche encore ouverte et les yeux écarquillés. Puis elle se jette sur moi et me prend dans ses bras.
- Teddy, tu es le meilleur ! On a gagné ! On a gagné !! Je t'aime !
Nous restons longtemps comme cela, serrés l'un contre l'autre, le cœur vibrant encore d'émotion. Puis Molly se redresse et me tend une Baie Sitrus que je m'empresse d'avaler. Un goût sucré envahit ma bouche et je me sens mieux. Ma dresseuse me garde dans ses bras et nous reprenons notre chemin en direction du Laboratoire P2, plus heureux que jamais. Derrière nous, le Karaclée est toujours au sol, profondément endormi.

* * *

Route 18, -4 heures et 13 minutes.

Lorsque nous débarquons sur l'île, la journée touche à sa fin. Le soleil couchant colore le ciel d'un mauve rêveur, taché çà et là de légers nuages roses. Ses rayons embrasent la mer d'orange et de reflets d'or et de lumière. Les vagues flamboyantes, frangées d'écume de nacre, caressent doucement les grains du sable fin. Derrière moi, le Professeur bavarde avec Takeshi et Molly. Plus loin, le bateau mouille encore dans les eaux claires du Chenal 17. Le crépuscule est un des moments que je préfère. Les émotions fortes de la journée retombent et le calme s'installe dans ma tête. Je ne suis pas le seul à profiter de cette quiétude. Souvent, le néon d'un Lumivole escorte les premières étoiles qui piquettent le ciel s'assombrissant peu à peu. Les bruits grouillants de la nature se taisent et la fraîcheur enveloppe doucement l'île. Je me laisse bercer par les vaguelettes qui clapotent contre le flan du bateau. Ma journée défile dans ma tête comme un film en accéléré : le délicieux réveil aux côtés de Molly, le lait au singulier goût de miel, notre arrivée au Laboratoire P2 et le combat acharné contre Karaclée. Ma nouvelle attaque, aussi. Puis le reste de l'après-midi où j'ai dû, sous les ordres formels du Professeur Swan, resté allongé et me reposer. Il y a aussi eu le goûter que nous avons partagé -divins biscuits de miel-, Molly et moi, à l'ombre du feuillage émeraude d'un arbre. Le retour en bateau, toujours si éprouvant. Et, enfin, le calme. La quiétude. La sérénité. Cette journée qui, malgré tout, me rappelle vraiment la première fois où j'ai rencontré Molly. Elle portait une robe rose et était plus petite, mais avait ces mêmes yeux de lapis-lazuli.
Derrière moi, les Humains discutent encore. Seul Roigada semble soucieux. Intrigué, je me soustrais à la somnolence qui commence à s'emparer de moi et m'approche de lui.
- Quelque chose ne va pas, Senpai* ?
- Tout va bien, mon petit, me répond-il en souriant. Alors, cette journée ?
- Merveilleuse, comme chaque fois que je suis avec Molly. C'était comme le premier jour où je l'ai rencontré.
- C'est vrai que tu sembles heureux, cher Teddiursa, c'est une bonne chose. Voilà donc trois ans que tu connais la jeune Humaine ?
- C'est exact. Je n'ai jamais si bien vécu avant que je la rencontre !
- Bien, bien, répond Roigada en hochant lentement la tête. Cependant, une petite chose me dérange, toutefois je ne sais pas...
Je penche la tête sur le côté et porte ma patte à ma bouche en signe d'incompréhension.
- Il est vrai que tu vis chaque jour avec bonheur aux côtés de la jeune Humaine, que depuis que tu es son Pokémon, depuis... qu'elle t'a enfermé dans cette Poké Ball, la vie est un doux ruisseau qui suit son court. Mais as-tu déjà repensé à ce que tu étais avant de rencontré ta dresseuse ?
- Que voulez-vous dire ?
- As-tu oublié ce que tu étais vraiment ? Un Pokémon, même « apprivoisé », si je puis dire, reste un Pokémon. Et le lien très puissant qui t'unis à cette Humaine est remarquable, c'est vrai. Mais je crois que, pour le bien de tous ici, il faut que tu fasses très attention : la vie n'est pas ce ruisseau tranquille que tu imagines. C'est un fleuve tumultueux et farouche. Molly ne restera pas toujours une petite fille. Un jour, vous serez séparés, d'une manière ou d'une autre. J'ai peur que ce fleuve ne t'arrache à elle trop brusquement.
Je continue de regarder Roigada, encore plus perdu qu'avant.
- Écoute moi, mon petit. Sous le coup de cette séparation, ta nature reprendra le dessus. Par douleur ou par colère, je ne sais pas. Et c'est ce dont j'ai peur : que ce fleuve t'emporte et te noie.
Le silence qui suit cette déclaration me met mal à l'aise. Derrière moi, Molly et le Professeur Swan viennent d'emprunter le chemin qui remonte vers la maison. Puis, ma dresseuse, qui se rend compte que je ne les suis pas, m'interpelle :
- Teddy, tu viens ?
Je me retourne vivement vers Roigada et lui assure :
- Je n'ai pas tout compris, Senpai, mais ne vous en faites pas : Molly ne se séparera jamais de moi, j'y veillerai. Nous resterons ensembles pour toujours. Je ferai attention, promis.
Et je me mets à courir en direction de ma dresseuse qui m'accueille à bras ouverts. Nous rejoignons la maison dans la bonne humeur et la fraîcheur du soir.
Derrière nous, sans que je n'en ai conscience, Roigada pose un regard plein de tristesse sur le petit groupe que nous formons et lâche un long soupir semblable à un sanglot.

*Senpai : au Japon, façon d'appeler une personne plus âgée et à qui l'on reconnaît une plus grande compétence dans un domaine précis. Ici, Roigada est le Senpai de Teddiursa en matière de connaissances.

* * *

Même lieu, -2 heures et 31 minutes.

Où suis-je ? Je ne vois rien. Tout autour de moi n'est que tumulte et douleur. Mes pattes sont gelées, tout mon corps l'est. Des flocons blancs me fouettent le visage, ma fourrure ne parvient pas à me protéger du vent glacial qui me gifle et me torture. Je suis enfoncé dans la neige jusqu'au bas du ventre. Je ne sais pas où je vais mais je continue d'avancer. Pour ne pas mourir. Je garde la tête rentrée dans les épaules, les pattes serrées contre mon corps. Je n'arrive pas à contrôler les tremblements compulsifs de mes membres. Mon sang est figé dans mes veines. Depuis combien de temps est-ce que j'avance ? Depuis combien de temps est-ce que j'attends que la mort me prenne ? Je ne vais pas tenir. Il fait trop froid. Trop de vent, trop de douleur. Mais peu à peu, je distingue un bâtiment. D'abord une ombre entr'aperçue à travers la tempête de neige qui se déchaîne, puis elle m'apparaît. Une immense forteresse de pierre noire. Son sommet se perd dans un ciel que je ne distingue pas et elle s'étend sur une telle longueur que je ne vois pas le reste de la fortification. D'immenses arceaux crochus s'étirent vers l'infini comme des griffes prêtes à vous écorcher. Les tours sont hérissées de pointes sombres. La forteresse m'écrase de toute sa hauteur et je sens une peur venimeuse me tétaniser. Je suis incapable de bouger, je ne peux que hurler le nom de Molly. Qu'est-ce que cela signifie ? Où est ma dresseuse ? Les larmes qui ruissellent sur mes joues sont brûlantes. J'en ai assez... Molly...


Je m'éveille en sursaut et une centaine d'idées folles me traversent l'esprit. Pendant un bref moment, je ne sais plus où je suis. Puis mon rêve me revient avec la force d'une gifle. Je regarde autour de moi avec angoisse et je constate que je suis dans la chambre de Molly, aux côtés de cette dernière qui semble profondément endormie. Je souris dans le noir, rassuré. Mon souffle se calme, je sens le sommeil s'emparer de nouveau de moi. Je ferme les yeux, apaisé.
Puis, je perçois un bruit très léger. Je tends l'oreille : le bruit d'un trousseau de clé pris à la hâte, un juron lâché presque inaudible et enfin, un bruit de porte que l'on ferme doucement. J'entends une clé qui tourne dans la serrure, puis plus rien. A côté de moi, Molly respire lentement et régulièrement, signe qu'elle dort bel et bien. Le halo bleuté de son réveil projette une infime lumière dans la pièce. Je reste longtemps comme cela, les yeux grands ouverts dans le noir et les sens à l'affût, comme chaque fois que le Professeur sors la nuit. Mais rien d'autre ne vient troubler le silence de la maison. Résigné, j'essaie de me rendormir, mais une étrange sensation me fait porter ma patte à mon corps. Ce dernier est gelé. Mon cauchemar revient me tarauder. Une peur menaçante plane au-dessus de moi.
« Comment est-ce possible ? »
Je ne parviens plus à me rendormir.

Je ne dors toujours pas lorsque je l'entends revenir. Le Professeur, bien moins discret qu'à son départ, tire bruyamment une chaise et un bruit mât m'informe qu'il vient de s'affaler dessus. Rien d'inhabituel. Pourtant, je suis hanté par un mauvais pressentiment. D'habitude, Mr. Swan reste convenablement silencieux quand il rentre. Là, je l'entends pousser de drôles de bruits. Après un moment, je comprends qu'il pleure. Le Professeur pleure dans sa cuisine, seul. Très intrigué, je me glisse hors de la chambre et commence à descendre discrètement les marches de l'escalier. Mais malheureusement pour moi, Molly, alertée par le remue-ménage de son père, demande depuis son lit d'une voix ensommeillée :
- Papa ?
Le silence qui lui répond achève de la convaincre. Elle se précipite hors de la chambre et dévale l'escalier.

* * *


Même lieu, -21 minutes.

- Papa !
Molly se précipite sur son père en poussant un cri paniqué. Le Professeur sursaute en voyant sa fille levée à cette heure là. Il lui dit d'une voix mal assurée :
- Mmh... Molly, retourne... te coucher.
- Mais qu'est-ce qu'il t'arrive, papa ?!
Je sens de l'incompréhension dans la voix de ma dresseuse. Voir son père dans cet état ne doit pas être facile. Pour ma part, je n'ai jamais vu Mr. Swan ainsi. Son corps est courbé au dessus de la table. Son visage rougi et ses yeux cernés lui donne un drôle d'air. Soudain, il se penche sur le côté et vomit sur le carrelage. Une immonde odeur envahit l'espace de la cuisine. Molly a les larmes aux yeux. C'était donc ça : le Professeur ne retournait pas travailler la nuit, il allait boire cette étrange boisson qui le rend si malade, celle qui s'étend en une flaque dans la cuisine. Le voir comme cela m'attriste, mais pas autant que Molly. Son visage est partagé entre la tristesse et la fatigue, ses cheveux retombent par mèches ternes sur ses épaules. Elle froisse nerveusement la manche de son pyjama. J'entends le Professeur dire d'une voix pitoyable :
- Molly, re...tourne te coucher, ça... va aller.
- Non ! crie-t-elle, non ! Je veux rester avec toi, je veux que tu ailles mieux. Tant que tu ne seras pas guéri, je resterai avec toi !
Le Professeur essaie de se lever de sa chaise mais se rassoit aussitôt, la tête entre les mains en geignant comme un Chuchmur. Molly tire à son tour une chaise et s'assoit à côté de son père. Elle lui murmure des paroles rassurantes et, de sa main droite, lui caresse doucement l'avant-bras. Je reste assis devant l'escalier jusqu'à ce que je sente le sommeil m'engourdir. Au bout d'un moment, ma dresseuse et son père commencent à discuter à vois basse. Molly pose parfois des questions et le Professeur y répond en balbutiant des paroles incompréhensibles. Il fixe la nappe fleurie de la table d'un regard vide et absent. Et soudain, sans crier gare, Mr. Swan repousse violemment sa fille et se met à hurler :
- J'EN AI MARRE DE CETTE VIE, PUTAIN ! Marre... de cette baraque de merde et de mes recherches qui... n'avancent pas ! J'en ai marre de tout, de toi Molly et de ton débile de... Pokémon !
Molly tente de calmer son père mais je vois bien que s'en ai trop pour elle. Elle bondit de sa chaise. Des larmes coulent le long de ses joues tandis qu'elle hurle d'une voix stridente :
- PAPA ! Arrête ! Calme-toi ! Pourquoi tu te fâches ? Que... que dirait maman si elle était encore là ?! Que crois-tu qu'elle ferait si elle te voyait comme ça ?!
Le calme retomba instantanément. Mais au lieu de répliquer sur le même ton, le Professeur parvient à se lever et titube jusqu'à Molly qui reste pétrifiée face au regard meurtrier de son père.
C'est là que tout à basculé pour moi.
Pour nous tous.

* * *


Même lieu, -5 minutes.

- Sale peste, c'est... à cause de toi ! Petite garce ! Si tu n'étais pas... venue au monde, ta mère... serait encore là !
Molly reste sans voix, anéantie. De là où je suis, je vois ma dresseuse paralysée d'horreur. Ses jambes vacillent et ses mains tremblent. Quelque chose dans son âme vient d'être brisé à jamais. Malgré moi, je me mets à pleurer. « La vérité... Pauvre Molly... »
Le Professeur fait face à sa fille. Son regard glacial transperce ma dresseuse. Mais, contre toute attente, Molly réussit à articuler d'une toute petite voix :
- Mais... je croyais que maman... étais morte dans un accident de...
- TA GUEULE !! hurle le Professeur.
Il lève le bras au dessus de sa tête. Je vois sa main s'abaisser, comme au ralenti, et gifler violemment sa fille. Sous la force du coup, celle-ci s'écrase plus loin et sa tête heurte le buffet sombre de la cuisine dans un bruit sourd. Elle ne bouge plus.
Le temps se fige quelques secondes. Je reste tétanisé.
Puis je comprends.
Ma respiration s'arrête. Mon cœur explose. Mon âme vole en éclats.
Une rage destructrice s'empare de moi. Je fais volte-face et le Professeur recule d'un pas en voyant mes crocs apparents, mes griffes prêtes à le déchiqueter. Il reste ainsi, partagé entre la peur et la colère. Son regard fou a du mal à se fixer sur quelque chose. Cependant, c'est un sourire exsangue qui se dessine sur ses lèvres. Il se moque de moi !
- ASSASSIN ! SALE MONSTRE ! hurlé-je.
Mais l'homme n'entend que des rugissements qui se veulent menaçants. Je tourne la tête vers Molly. Ma voix s'éteint dans ma gorge. Deux sillons brûlants glissent sur mes joues. Ma dresseuse ne bouge toujours pas. Un filet de sang coule du haut de sa tête, lentement, très lentement, jusqu'à tacher le carrelage d'écarlate. Je me retourne vers le Professeur qui regarde Molly sans vraiment comprendre. Mais une lumière blanche attire son regard vers moi. Mon corps brille, mes membres grandissent, mes griffes s'allongent. Je sens se sourdre en moi une étrange force. Une force faite de haine, de souffrance et d'une incommensurable douleur. Une force qui me submerge tel un raz-de-marée émotionnel et balaye ma propre volonté. Un violent sursaut m'ébranle. L'assassin n'a pas le temps de réagir. Je me jette sur lui, griffes dehors.

* * *

Autre lieu ? -1 minute.

Le soleil filtrait à travers les branches des arbres. Une agréable chaleur flottait en l'air. Aucun bruit ne venait troubler le silence de la nature, si ce n'est une légère brise qui agitait les feuilles. L'herbe de la clairière, verte et grasse, était parsemée de fleurs violettes et bleues. Plus loin, le courant d'un ruisseau clair chantait doucement.
Un cri aigu retentit. Une petite fille déboula dans la clairière, suivie d'un Dardargnan aux yeux luisants de rage. La jeune Humaine semblait terrifiée et soudain, elle trébucha et s'écrasa au sol. Le Dardargnan se rapprocha et prépara une attaque. Mais un petit Pokémon s'interposa et repoussa le coup avec ses griffes. Un combat s'engagea mais, au bout d'un court instant, le Dardargnan prit la fuite. Le petit Pokémon se tourna vers la petite fille qui lui sourit.
« Teddy, tu es mon héros ! Merci mon Teddy ! »
Peu après, la petite fille, assise à côté du Pokémon, discutait avec ce dernier.
- Dis, Teddy, tu me protégeras toujours, hein ?
- Teddi !
- Ne laisse jamais personne me faire du mal, d'accord ?
- Teddiursa !
La petite fille prit l'ourson dans ses bras en riant tandis que ce dernier gravait sa promesse dans sa mémoire.


Cette promesse, je l'ai toujours tenue. Personne n'a jamais fait de mal à Molly. Mais j'ai failli à ma tâche. J'ai échoué. A cause de moi, mais aussi à cause de cet assassin. Les dernières barrières de ma conscience volent en éclats. Aveuglé par la rage et la douleur, je ne perçois même pas les hurlements et les plaintes désespérées de l'homme. Écrasé par mon poids, il ne peut rien faire. Mes griffes se mettent à luire.
Et commence alors mon sinistre carnage.

* * *


A ce moment là, rien d'autre ne compte plus que mes griffes effilées qui déchirent frénétiquement des lambeaux entiers de chair. Le sang éclabousse les murs et le carrelage autour de moi. Mes sens sont totalement brouillés, je ne perçois plus rien. Rien de plus que l'immonde odeur des tripes qui s'épandent dans une flaque écarlate.
Les lamentations se sont éteintes depuis longtemps dans un gargouillis convainquant.

Je me redresse lentement, comme après un long sommeil. Mes pattes puissantes sont poisseuses. Du sang barbouille mes membres jusqu'aux coudes. Le liquide glisse le long de mes griffes et vient grossir la marre écarlate qui ne cesse de s'étendre à mes pieds. De l'assassin, il ne reste rien. Rien d'autre qu'une immonde bouillie d'os et de sang. Des morceaux de tissus sont épars dans la pièce. J'ai un drôle de goût dans la bouche. Mes crocs sont démesurément grands, je peux voir le dessus de la table sans monter sur une chaise. La nappe est éclaboussée de tâches vermeilles. Je me sens puissant, invincible. Mes muscles tremblent encore après les nombreux coups que j'ai donné. La vue de tout ce sang, et en particulier de celui de l'assassin me satisfait. Comme c'est grisant de se venger, de sentir que personne ne vous résiste.
Justice est rendue.

- T... Ted...
Je me retourne et sens mon souffle se couper. Est-ce bien elle ? Sur un côté de sa tête, ses cheveux sont souillés de sang, mais oui, elle est bien là.
Ma Molly.
Un immense soulagement s'empare de moi et je sens des larmes de bonheur brouiller ma vue. Néanmoins ma dresseuse ne semble pas aussi heureuse. Derrière elle, un des tiroirs du buffet est ouvert, il semble avoir été fouillé.
Elle tient dans sa main tremblante un étrange objet noir et luisant. Un profond malaise s'empare de moi.
- Qu'est-ce... tu...
Elle s'interrompt et je la vois fixer un point derrière moi. Je m'écarte et regarde dans la même direction qu'elle. Un long silence suivi. Puis je me retourne vers Molly et lui sourit. Elle lâche un hoquet de stupeur se plie en deux pour vomir. Je ne la comprends pas. « N'est-elle pas heureuse ? Je l'ai protégée, j'ai tenu ma promesse ! » Mais les yeux de ma dresseuse brillent de folie, elle tremble convulsivement. Elle tient toujours l'étrange objet recourbé. Braqué sur moi. Il luit d'une lumière sinistre. Molly me regarde avec horreur et, comme si elle venait enfin de comprendre, un cri atroce lui déchire la gorge. Elle tombe à genoux en hurlant comme une démente. De sa main libre, elle martèle le carrelage comme si elle voulait le détruire. Je reste là, pétrifié par ce que je viens de réaliser.
« Sous le coup de cette séparation, ta nature reprendra le dessus. Par douleur ou par colère, je ne sais pas. Et c'est ce dont j'ai peur : que ce fleuve t'emporte et te noie. »

A présent, je comprends. Je me rappelle aussi ce que ma dresseuse tient dans sa douce main. Elle continue de pleurer en psalmodiant d'étranges paroles, telle une folle. Je comprends qu'elle ne peut même pas plaindre son père, puisqu'il qui n'en reste rien. Perdu, je fais un pas vers elle. Mais Molly, ma douce Molly, se redresse d'un bond. Son visage est inondé. J'entends un cliquetis venant de l'arme qu'elle tient.
- Sale monstre ! Tu es un assassin ! Je te hais, tu m'entends ?! Je te déteste !!!
Je tente de la raisonner mais je ne parviens qu'à lâcher un grognement misérable. Ma dresseuse braque toujours son arme sur le cercle jaune de ma poitrine. Il semble vouloir l'inviter à tirer, comme une cible. A travers les yeux écarquillés et complètement fous de Molly, je crois apercevoir une dernière lueur de raison, de pitié. Mais, comme pour contredire mes pensées, une détonation explose dans la cuisine et résonne des centaines de fois entre les vases de porcelaines. Le temps se suspend... quelques secondes durant lesquelles je ne bouge pas, pétrifié d'horreur.
Puis doucement, je lève la tête et contemple stupidement le trou dans le plafond de la cuisine. Juste au-dessus de moi.

* * *


« Où suis-je ? »

La pièce est plongée dans l'obscurité, seul un faible rai de lumière filtre à travers le dessous de la porte. L'air ambiant est polaire. Couché sur le ventre, reclus dans un coin, je suis presque incapable de bouger, à cause des sangles de cuir qui me lacèrent les membres jusqu'au sang. Je suis muselé comme une bête sauvage. Le froid parvient à traverser ma fourrure et paralyse mon corps. Je suis frigorifié. Ma raison, ma vie, mes pensées s'engourdissent peu à peu. Autour de moi, je distingue à peine les murs de ma cellule, lisses et au moins aussi glacials que la température. Comment suis-je arrivé ici ? Je ne sais pas. Mais chaque minutes qui s'égrainent m'étourdit d'avantage. Je sens la chaleur s'étouffer au fond de moi. Les heures passent, personne ne vient me chercher. Je suis seul dans les ténèbres et perdu comme jamais.

« Comment peut-il faire aussi froid ? »

Puis, mon crime me revient en mémoire. D'horribles images sanglantes défilent devant mes yeux comme un film en accéléré. Les cris de ma victime résonnent de nouveau dans ma tête. Accablé, je lève faiblement, lentement, mes pattes de façon que je puisse les voir.

« Comment est-ce que cela a-t-il pu se produire ? »

Mes poils sont, jusqu'aux coudes, collés entre eux et souillés de sang séché. Ce même sang qui caille peu à peu au bout de mes griffes. Mes griffes écarlates.
Seul dans l'obscurité glaciale, je sens ma tristesse remonter et l'instant d'après, un cri s'échappe de ma gorge douloureuse. Un immense chagrin me submerge et m'étouffe par de longs sanglots brûlants qui glissent sur ma fourrure souillée. Mon âme, que je croyais disparue, se consume comme un tison incandescent. Ma douleur et ma peine, nées d'un regret maladif, s'écoulent hors de moi tel un ruisseau acide. Je reste longtemps ainsi, noyé dans le chagrin et la pénombre, en proie au mal le plus atroce.
Mais qu'est-ce que j'ai fait...

« Où est... ma famille ? »

Lorsqu'ils ouvrent la porte, je comprends ce qui va ce passer. La lumière, à présent crue et agressive, inonde la pièce. Je ne bouge pas. Même si je le voulais, je ne pourrais pas. Mon corps est endormi par la drogue et les injections de nombreux produits. Je perçois, à travers l'écran flou de mon regard, un groupe d'hommes en blouses blanches qui se tiennent sur le seuil de la porte. Un Humain se détache soudain des autres et s'avance prudemment. Et dans sa main...
Je tressaille à peine lorsqu'il empoigne la peau de mon cou et y enfonce une aiguille froide comme la glace. Puis il se retourne et rejoint rapidement les hommes qui l'attendent sur le seuil. Presque aussitôt, je ressens les effets de l'injection. Un feu liquide envahit mes veines. Mon regard se voile, ma respiration ralentit, mon ouïe s'étouffe. Mon cœur s'arrête.
J'en suis presque soulagé.

Ma dernière pensée fut pour Molly.